Un atelier sur l abandon du tabac chez les jeunes au Quebec

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1 Un atelier sur l abandon du tabac chez les jeunes au Quebec Michèle Tremblay, MD, Institut national de santé publique du Québec Keely Fraser, PDt, MSc, Centre de recherche du Centre hospitalier de l Université de Montréal Réjean Lamontagne, MA, TTS, Service de lutte contre le tabagisme, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec Steve Manske, PhD, Centre de recherche sur le comportement et l évaluation de programmes, Université de Waterloo Jennifer O Loughlin, PhD, Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal, Centre de recherche du Centre hospitalier de l Université de Montréal Le tabagisme chez les jeunes demeure une préoccupation de santé publique majeure, car la dépendance au tabac s établit rapidement après l initiation. Les jeunes fumeurs s exposent ainsi pendant de nombreuses années à plus de 4000 composés chimiques, dont plusieurs sont cancérigènes. Selon l Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2007, 1 12 % des Canadiens âgés de ans fument à chaque jour ou à l occasion, et le Québec a l un des plus hauts taux de tabagisme chez les jeunes au pays. L abandon du tabac chez les jeunes est un aspect fondamental des stratégies de lutte contre le tabagisme. Bien que plusieurs études sur l abandon du tabac à l âge adulte soient disponibles, on en trouve peu qui s intéressent à la question chez les jeunes. Pour pallier à ce manque, l Institut national de santé publique du Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Centre de recherche sur le comportement et l évaluation de programmes de l Université de Waterloo et l équipe du Rehaussement des compétences par l interdisciplinarité au Centre de recherche du Centre hospitalier de l Université de Montréal ont tenu en octobre 2008, à Montréal, un atelier sur l abandon du tabac chez les jeunes. L objectif poursuivi était de discuter des données les plus récentes et des lacunes dans ce domaine ainsi que de favoriser et consolider les liens de collaboration entre chercheurs, décideurs, praticiens de santé publique et cliniciens. Cet événement bilingue de deux jours a réuni 31 personnes du Québec, du Canada et des États Unis. Tous avaient été choisis pour leur expertise et leur expérience en abandon du tabac chez les jeunes, que ce soit en recherche ou en intervention. Ce document résume les principaux messages mis de l avant lors des présentations et des discussions de l atelier. Nos réflexions quant aux efforts futurs à déployer au Québec dans le domaine de l abandon du tabac chez les jeunes sont également présentées.

2 Le tabagisme chez les jeunes: un survol Selon l Enquête québécoise sur le tabac, l alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire menée en : 6 % des étudiants de la 1 re à la 5 e secondaire fument quotidiennement, 3 % à l occasion et 7 % sont considérés comme des fumeurs débutants. L âge moyen de la première cigarette fumée est de 12,5 ans. 70 % des jeunes fumeurs s estiment peu ou pas dépendants du tabac et 83 % croient qu ils pourront arrêter de fumer sans difficulté. Près de six étudiants sur dix avaient fait une tentative d abandon au cours des douze mois précédant l enquête et plus du tiers d entre eux avaient fait une rechute en moins d une semaine. Les définitions du tabagisme Les définitions du tabagisme varient selon les enquêtes. Selon certaines enquêtes, une personne doit avoir fumé au moins 100 cigarettes durant sa vie afin d être considérée comme fumeuse. D autres enquêtes considèrent comme fumeurs ceux qui ont fumé une ou plusieurs cigarettes au cours des 30 jours précédant l enquête. La dépendance au tabac Une étude longitudinale menée auprès de jeunes Québécois durant douze ans 3 révèle que : Un adolescent sur cinq qui fume chaque semaine éprouve un ou plusieurs symptômes de dépendance au tabac. Le premier symptôme de dépendance au tabac, très souvent une forte envie de fumer, (cravings), peut survenir aussi rapidement que trois à quatre mois après la toute première bouffée de cigarette. Dix huit mois après avoir fumé leur première cigarette complète, environ le quart des jeunes fumeurs ont perdu confiance en leur capacité de cesser de fumer. L abandon du tabac Selon une recension d écrits scientifiques sur l abandon du tabac chez les jeunes (études longitudinales seulement) 4, trois variables prédiraient le succès d une démarche d abandon du tabac chez les jeunes : ne pas avoir l intention de fumer dans le futur, fumer actuellement un faible nombre de cigarettes et avoir peu d amis qui fument. Avoir des frères ou des sœurs, indépendamment de leur statut tabagique, pourrait prévenir une rechute. En raison de ces différences de définitions, la prévalence du tabagisme peut varier de façon importante d une enquête à l autre. Bien qu ils rapportent faire usage de tabac régulièrement, environ la moitié des jeunes fumeurs ne se définissent pas comme tels. Ainsi, ils peuvent considérer que les programmes d abandon du tabac ne les concernent pas. L engagement des jeunes fumeurs à cesser de fumer est plus variable que chez les adultes. 2

3 Les interventions pour aider les jeunes à cesser de fumer Selon une recension d écrits scientifiques sur les interventions en abandon du tabac chez les jeunes (essais contrôlés randomisés seulement) 5, peu d études ont évalué l efficacité des interventions en abandon du tabac chez les jeunes. Certaines interventions menées en milieu scolaire et en milieu de soins semblent prometteuses. Il existe peu de preuves, à ce jour, que la pharmacothérapie soit efficace. Perspective des jeunes Les jeunes croient qu ils cesseront de fumer avant d être dépendants et ils pensent que cela sera facile. La dépendance au tabac 70% des jeunes fumeurs s estiment peu ou pas dépendants du tabac. Le premier symptôme de dépendance au tabac, très souvent une forte envie de fumer, (cravings), peut survenir aussi rapidement que trois à quatre mois après la toute première bouffée de cigarette. Ils préfèrent arrêter de fumer seuls, sans aide. Les jeunes fumeurs montrent peu d intérêt à recevoir de l aide d un professionnel de la santé, à participer à des programmes, à prendre un médicament pour diminuer les symptômes de sevrage ou à utiliser un service d aide téléphonique. De plus, ils connaissent très peu les ressources disponibles pour les soutenir dans leur démarche de renoncement au tabac. Les interventions de renoncement au tabac chez les jeunes au Québec Les interventions destinées aux jeunes fumeurs du Québec consistent principalement en programmes de groupe en milieu scolaire et en interventions individuelles au sein d un centre d abandon du tabagisme ou en milieu scolaire. Toutefois, très peu de jeunes fumeurs sont rejoints par ces interventions. Quelques interventions ont été évaluées mais celles ci impliquent généralement très peu de jeunes fumeurs. L abandon du tabac Trois variables prédiraient le succès d une démarche d abandon du tabac chez les jeunes : ne pas avoir l intention de fumer dans le futur fumer actuellement un faible nombre de cigarettes avoir peu d amis qui fument. Certaines interventions en abandon du tabac menées en milieu scolaire et en milieu de soins semblent prometteuses. Le site internet i Pof, qui vise les jeunes fumeurs, a enregistré, sur une période de deux ans, «hits», ou visites uniques, dont la durée varie entre 6 secondes et 4 minutes. 3

4 Comment améliorer la contribution des cliniciens Contribution des cliniciens Le rôle des cliniciens inclut : demander aux jeunes leur statut tabagique les encourager à cesser de fumer évaluer leur motivation à arrêter de fumer soutenir les jeunes qui se préparent à cesser de fumer en discutant avec eux de stratégies d abandon du tabac et en les informant des ressources disponibles dans la communauté offrir un suivi à long terme. Les médecins, infirmières, pharmaciens, dentistes et autres professionnels de la santé pourraient davantage inciter les jeunes à cesser de fumer et mieux les soutenir dans leur démarche de renoncement au tabac. Des actions doivent être entreprises pour faire connaître aux cliniciens la rapidité d apparition des symptômes de la dépendance au tabac. Le rôle des cliniciens inclut les «5 As» : demander aux jeunes leur statut tabagique (Asking youth about their smoking status), les encourager à cesser de fumer (Advising them to quit), évaluer leur motivation à arrêter de fumer (Assessing their willingness to make a quit attempt), soutenir les jeunes qui se préparent à cesser de fumer en discutant avec eux de stratégies d abandon du tabac et en les informant des ressources disponibles dans la communauté (Assisting by suggesting strategies to quit and providing information on community resources) et offrir un suivi à long terme (Arranging to follow up on smoking status ). L approche HEADS peut aider les cliniciens à personnaliser leur intervention auprès des jeunes et ainsi, mieux répondre à leurs besoins (H= Habitudes, Habitat; E= Éducation; A= Activités; D=Drogues (incluant le tabac); S= Sexe, Sécurité). Les cliniciens ont besoin d être formés afin de pouvoir intervenir adéquatement auprès des jeunes. La formation pourrait être intégrée aux activités de formation professionnelle déjà existantes. L implication du milieu scolaire Des interventions en milieu scolaire sont indispensables si on souhaite améliorer les connaissances quant à la rapidité d apparition des symptômes de dépendance au tabac chez les jeunes. On doit convaincre le personnel en milieu scolaire de l importance de se préoccuper tant des jeunes qui n ont pris que quelques bouffées de cigarettes que des fumeurs plus expérimentés. Implication du milieu scolaire Des interventions en milieu scolaire sont indispensables. Les écoles devraient identifier parmi leur personnel ceux qui ont de bonnes relations avec les étudiants. Les interventions en abandon du tabac chez les jeunes devraient pouvoir s insérer dans les curriculums existants et être intégrées aux programmes sur les dépendances aux drogues. Les écoles devraient être soutenues dans l application de la loi québécoise sur le tabac. Il existe plusieurs façons d offrir une aide concrète aux écoles : développer de nouveaux curriculums, des documents d information, des activités de classe, ou encore inclure, lors de mises à jour de programmes existants, de l information quant au risque de devenir dépendant tôt après l initiation au tabac. Idéalement, les interventions en abandon du tabac chez les jeunes devraient pouvoir s insérer dans les curriculums existants pour ainsi minimiser le travail supplémentaire pour les professeurs. Les interventions en abandon du tabac devraient aussi être intégrées aux programmes sur les dépendances aux drogues. Il serait important d y mentionner que le tabagisme occasionnel est un problème sérieux. Les écoles devraient identifier parmi leur personnel ceux qui ont de bonnes relations avec les étudiants et qui pourraient s impliquer dans des interventions en abandon du tabac. Des activités d échange des connaissances devraient être intégrées aux rencontres du personnel et aux activités de formation professionnelle. Les écoles devraient être soutenues dans l application de la loi québécoise sur le tabac de même que dans leur application de règlements sur l usage du tabac existant dans leur milieu. 4

5 Réflexion Au Québec, on observe, depuis une quinzaine d années, une diminution importante de l usage du tabac tant chez les adultes que chez les jeunes. Des législations de plus en plus restrictives, des campagnes médiatiques annuelles, la mise en place de services gratuits d aide à l abandon du tabac à la grandeur du Québec ont graduellement modifié les normes sociales protabacs qui prédominaient. Plusieurs actions législatives ont ciblé les jeunes québécois comme l interdiction de fumer sur les terrains des écoles, le retrait de l étalage des produits du tabac dans les points de vente et l interdiction de vente de cigarillos à l unité. Toutefois, d autres interventions comme les services d aide à l abandon du tabac les ont très peu rejoints. Des recherches récentes démontrent que les symptômes de dépendance au tabac peuvent apparaître très tôt après l initiation au tabac. Il devient donc essentiel de concevoir des interventions qui tiennent compte de cette réalité et qui tenteront de prévenir la survenue de la dépendance au tabac. Le fait d agir plus tôt dans le processus d expérimentation au tabac, lorsque la dépendance n est pas encore complètement établie, pourrait résulter en des taux d abandon du tabac plus élevés. Par ailleurs, des études longitudinales s avèrent nécessaires afin d identifier les déterminants de l abandon du tabac, et ainsi développer des interventions basées sur des preuves plus solides. Sans cette base, servant à établir quels facteurs encouragent ou découragent l abandon du tabac chez les jeunes, la probabilité que ces interventions soient couronnées de succès sera moindre. Cette information pourrait facilement s intégrer au sein d initiatives en cours au Québec comme le projet piloté par l Institut national de santé publique du Québec depuis 2004, qui vise à optimiser les pratiques de counselling en abandon du tabac de six groupes de professionnels de la santé. Il serait aussi possible de sensibiliser les responsables de la démarche École en santé et ceux qui développent les curriculums sur les dépendances aux drogues. Enfin, la population a, elle aussi, tout avantage à être bien renseignée sur la dépendance au tabac et la présentation des résultats des travaux du Dr. O Loughlin sur ce sujet, lors de la conférence de presse de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac en janvier 2009, est un premier pas dans ce sens. La collaboration des professionnels de différents secteurs et disciplines est essentielle pour faire progresser l avancement des connaissances dans le domaine de l abandon du tabac chez les jeunes. Les chercheurs, les praticiens de santé publique, les cliniciens et les jeunes ont des visions différentes du tabagisme, ce qui influence nécessairement la conceptualisation des interventions en abandon du tabac destinées aux jeunes. Ce n est qu en partageant leur savoir qu il sera possible de développer de nouvelles connaissances pouvant amener un plus grand nombre de jeunes à se libérer du tabac. Enfin, il est important de reconnaître que «ce qui fonctionne» chez les fumeurs adultes n est peut être pas approprié pour les jeunes. La perspective des jeunes devrait donc être incorporée au sein des interventions les ciblant pour ainsi augmenter le recrutement, la rétention et le succès. Même si les prochaines années verront la tenue d études visant à établir comment mieux aider les jeunes à cesser de fumer, nous pouvons dès maintenant informer les cliniciens, les professeurs, les parents et toute personne qui interagit au quotidien avec les jeunes, de la rapidité d installation de la dépendance au tabac. Que ceux ci connaissent les dangers réels du tabagisme occasionnel et les premiers symptômes de dépendance au tabac, devrait amener une intervention plus précoce. 5

6 Références 1. The Canadian Community Health Survey. (2007). Retrieved January 8, 2009, from eng.htm 2. Dubé, G. et al. (2007). Enquête québécoise sur le tabac, l alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, Québec, Institut de la statistique du Québec, 188 p. 3. O'Loughlin, J., Gervais, A., Dugas, E., Meshefedjian, G. (2009). Milestones in the process of cessation among novice adolescent smokers. American Journal of Public Health, 99(3), Bancej, C., O Loughlin, J., Platt, R.W., Paradis, G., Gervais, A. (2007). Smoking cessation attempts among adolescent smokers: a systematic review of prevalence studies. Tobacco Control, 16(6), e8. 5. Gervais A., O Loughlin, J., Dugas, E., DiFranza, J., Wellman, R., Eisenberg, M. (2007). Revue systématique d'essais comparatifs randomisés d'interventions d'abandon du tabac chez les jeunes. Drogues, santé, et societé, 6(1), Remerciements Ce document a été préparé par l'équipe de lutte au tabagisme du Rehaussement des compétences par l'interdisciplinarité (RCI): faire progresser la science pour réduire l'usage du tabac. Le programme RCI est une initiative stratégique ayant pour but le développement de leadership afin de soutenir la progression de la science et de la pratique dans le domaine de la lutte au tabagisme au Canada. Nous désirons remercier le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et l'initiative canadienne de recherche en contrôle du tabac de leur soutien lors de l'atelier sur l'abandon du tabagisme chez les jeunes. Ce document est disponible en format PDF sur le site web de l'équipe du Rehaussement des compétences par l'interdisciplinarité (RCI): Coordonné par: En collaboration avec: