Café nile avec Evelyne Guillet, Maurice Ronat et Alain Rouché
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- Marie-Claire Leclerc
- il y a 8 ans
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1 Café nile avec Evelyne Guillet, Maurice Ronat et Alain Rouché Mercredi 11 mai 2011 au Sir Winston Invités au café nile du 11 mai dernier, Evelyne Guillet, directrice santé du Centre Technique des Institutions de Prévoyance (CTIP), Maurice Ronat, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Interprofessionnelle (FNMI) et vice-président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française, Alain Rouché, directeur santé de la Fédération Française des Sociétés d Assurances (FFSA), sont venus présenter les enjeux et objectifs des Organismes Complémentaires d Assurance Maladie (OCAM), sur le thème : «Complémentaires santé : grandes muettes ou acteurs-coopérateurs?». Intervention Maurice Ronat Lorsque l on parle de mutualité, on a tendance à voir d un côté les mutuelles interprofessionnelles et de l autre les mutuelles de fonctionnaires. Cette classification a évolué : on parle maintenant plutôt des mutuelles qui ne gèrent que les régimes complémentaires, et des mutuelles qui gèrent à la fois le régime complémentaire et le régime obligatoire. Je parlerai ici des mutuelles qui gèrent le régime complémentaire. La première de mes interrogations porte sur le risque de démutualisation. Nous avons connu une période où la santé était considérée comme un monde à part, une enclave où la solidarité primait sur toute considération de marché, et à ce titre, elle était peu taxée. Aujourd hui, nous assistons à un renversement de situation : les complémentaires sont de plus en plus taxées. Nous sommes passés en quelques années de 1,75 % à 6,27 % de taxe CMU, et nous sommes aujourd hui assujettis à une taxe de 3,5 % sur les contrats solidaires et responsables! Or, il est illusoire de penser que nous pouvons absorber ces hausses continues de prélèvements sans les répercuter sur les cotisations, que ce soit d une manière immédiate ou différée. Nous nous heurtons donc à une problématique de revenu. Certains se demandent aujourd hui si, compte-tenu de certains paramètres (leur âge, leur état de santé, leur mode de vie, etc.), il ne serait pas plus avantageux de ne pas souscrire de complémentaire santé et d attendre une période plus «critique», et si l auto-assurance n aurait pas en quelque sorte au final un meilleur rapport qualité-prix, chez les jeunes en particulier. La mutualisation intergénérationnelle est remise en cause dès lors que les comportements visant à échapper à la souscription d une complémentaire santé se multiplient. La deuxième interrogation vient du rôle que l Etat nous laissera jouer. En 2005, 20 % de nos dépenses étaient liés à l hospitalisation et 31 % étaient liés à la pharmacie. Le poste «médicaments» était le premier poste de dépenses d une mutuelle. Aujourd hui, il n est pas rare que ce soit le poste 1
2 «hospitalisation» qui arrive en tête des dépenses. En optique, nous sommes passés de 7 à 9 %. Les dépassements d honoraires et les restes à charge qui pèsent sur nos concitoyens sont également une source majeure d inquiétude pour l accès aux soins de la population. Nous sommes tous dans une situation paradoxale : en tant qu adhérents, nous connaissons le montant des cotisations et nous en contestons les augmentations, mais parallèlement le tiers payant fait que nous avons de moins en moins conscience du coût réel que représentent les soins auxquels nous pensons avoir droit, tout en revendiquant d être toujours plus ou mieux remboursé. Nous avons encore certainement un grand effort de lisibilité à fournir, certes, mais c est bien le rôle et la vision traditionnelle des mutuelles qui est ainsi en train d évoluer. Evelyne Guillet On estime aujourd hui que 94 % des Français ont une complémentaire santé, soit par le biais d une complémentaire individuelle, soit par le biais de leurs entreprises. Il existe trois familles de complémentaires santé : les assureurs, les mutuelles et les institutions de prévoyance. Les prestations versées par les complémentaires santé représentent un peu plus de 24 Md, soit 13,8 % de la totalité des montants versés. Les institutions de prévoyance remboursent 18 % de ces 13,8 %. Les institutions de prévoyance sont des organismes privés à but non lucratif à gouvernance paritaire, c est-à-dire gérés à parité égale par des représentants d employeurs et des représentants des salariés. Les institutions de prévoyance proposent des contrats aux entreprises pour couvrir des risques liés à la personne avec, pour l essentiel, un premier ensemble que l on appelle la prévoyance : il s agit de garanties visant à maintenir tout ou partie de salaire en cas d incapacité de travail ou d invalidité ou de garanties décès ; un deuxième ensemble que l on appelle la complémentaire santé. La complémentaire santé ne se résume pas à un tableau de garanties. On oublie trop souvent que la complémentaire santé est aussi un ensemble de services attachés au contrat : tiers payant, mise à disposition de réseaux de soins, services de prévention. Ce dernier point est pour nous important et, à titre d illustration, trois de nos groupes de protection sociale se sont mis ensemble pour conduire une expérimentation visant à aider les personnes atteintes d une maladie chronique : cette expérimentation est actuellement en cours dans la région Nord-Pas de Calais et vise à dépister, suivre et accompagner à domicile les patients souffrant d hypertension artérielle sévère (HTA). Alain Rouché La question principale est celle de la valeur ajoutée des organismes complémentaires dans le système de santé. Peuvent-ils apporter de la valeur ajoutée et veut-on les laisser apporter cette valeur ajoutée? La réponse à la première question est évidemment oui, la réponse à la seconde est plus complexe. De nombreuses forces en présence souhaitent cantonner l assurance maladie complémentaire (AMC) à un simple statut de supplétif à l assurance maladie obligatoire (AMO). Avec les différentes mesures de taxation, on voit combien la logique est inefficace, car la question de la valeur ajoutée n est alors pas posée. Au début de l année 2011, les contrats responsables et solidaires ont été taxés à 3,5 %, cette taxe n a pu qu être répercutée sur les tarifs des contrats. Autre mesure : l augmentation des tickets modérateurs. Là aussi, l augmentation est répercutée, même si une explication peut être donnée aux adhérents quant à l intérêt de cette hausse. Dernier type de mesure s : les transferts de charges de l AMO vers l AMC dans des domaines où les complémentaires peuvent apporter une réelle valeur ajoutée et donc entraînant une augmentation des cotisations moins que proportionnelle à la charge transférée (optique et dentaire notamment). 2
3 Par ailleurs, afin d accroitre la valeur ajoutée, l accès à certaines données de soins est nécessaire. Nous avons beaucoup travaillé dans cette direction. Malheureusement, à chaque fois qu une étape a été franchie, des obstacles ont été mis sur notre chemin. La tendance aujourd hui est d essayer de cantonner les complémentaires dans un rôle de payeur à peu de valeur ajoutée. J espère que nous arriverons à inverser cette tendance, en particulier avec les réseaux de soins optiques, dentaires et audioprothétiques qui ont été mis en place ou en améliorant la prévention des maladies chroniques. Questions de la salle Charles Descourt, sénateur honoraire : Une des chances de vous faire entendre serait de vous adresser à l Union Nationale des Caisses d Assurance Maladie (UNCAM) par le biais de l Union Nationale des Organismes Complémentaires d Assurance Maladie (UNOCAM). Qu en pensez-vous? L UNOCAM fonctionne-t-elle? Alain Rouché : Je pense qu elle fonctionne, oui. Elle joue un rôle primordial et sa mise en place à permis aux différentes personnes de se rencontrer, tant au niveau du bureau qu au niveau du conseil. L UNOCAM a fait par exemple l année dernière des propositions en amont du projet de loi de financement de la sécurité sociale, elles n ont pas été prises en compte. Evelyne Guillet : Nous travaillions déjà ensemble avant la création de l UNOCAM et cette Union nous a permis d aller plus loin à travers par exemple la signature du protocole d accord tripartite (UNCAM/UNOCAM/représentants des médecins) sur la mise en place d un nouveau secteur d exercice libéral appelé «secteur optionnel». Nous souhaitons poursuivre dans cette voix et travaillons par exemple en ce moment sur un accord-cadre interprofessionnel ayant vocation à servir de socle à l ensemble des conventions qui seront signées avec les différentes professions de santé. Maurice Ronat : Nous aurons sans doute à faire l effort de comprendre que l intérêt général est plus grand que l intérêt individuel. Gilles Bonnefond, président de l Union des Syndicats de Pharmaciens d Officine : Vous avez fait le choix de ne pas rembourser les «vignettes oranges». Si on rembourse moins bien les médicaments, on a l impression que le contrat est moins favorable, d où la démutualisation. Ceci étant, il est vrai que les OCAM ne doivent plus se cantonner à un rôle supplétif et s investir dans le débat. Il faut pour cela adapter les contrats et faire intervenir l ensemble des professionnels de santé, pharmaciens y compris. Remboursez par exemple les médicaments conseillés par le pharmacien plutôt que de vous désengager là où l Assurance maladie se désengage. Maurice Ronat : Nous souhaitons mettre à profit le débat actuel sur la sécurité du médicament pour repenser le circuit du médicament. La problématique à laquelle nous faisons face aujourd hui est la progression des dépenses de santé et la progression des taux des cotisations. Nous sommes dans une moyenne de progression des tarifs tant du côté des OCAM que du côté des professionnels de santé de l ordre de 5 à 6 %, là où les salaires ne progressent pas. Nous souhaitons négocier avec les 3
4 professionnels de santé, mais si nous devions prendre en charge tous les déremboursements, les cotisations augmenteraient inexorablement. Evelyne Guillet : Dans nos garanties complémentaires santé, moins le médicament est considéré comme ayant un service médical rendu élevé et plus nous remboursons, au contraire de l assurance maladie obligatoire. C est tout à fait paradoxal! Alain Rouché : Bien évidemment, les professionnels de santé sont au centre de nos préoccupations. On ne pourra faire évoluer le système qu avec eux. Notre métier évoluera dans le sens d une plus grande valeur ajoutée que si des négociations avec les professionnels de santé peuvent être menées. Tous les assurés ne peuvent pas payer un prix élevé pour leur couverture complémentaire. Des contrats peuvent ne pas prendre en charge certains tickets modérateurs car nous sommes dans une logique d offre diversifiée répondant au mieux aux besoins des assurés et à leurs capacités financières. Nous souhaitons par ailleurs avoir accès à un certain nombre de données de façon sécurisée pour pouvoir rembourser certains médicaments non remboursés par l assurance maladie obligatoire. Chantal Dufresne, présidente de l Association François Aupetit : Nous manquons d informations sur les services que vous pouvez proposer, en particulier pour des consultations avec des nutritionnistes, des kinésithérapeutes, des psychologues, etc. Concernant la prévention, il faut certes que vous travailliez de façon conjointe avec les professionnels de santé, mais il ne faut pas oublier les associations de patients, car les patients qui adhèrent à des associations se soignent mieux. Evelyne Guillet : Je suis tout à fait d accord. Nous mettons en place des actions que nous caractérisons d actions sociales et de nombreux projets sont réalisés en lien avec les associations. Alain Rouché : Les associations de patients sont tout autant importantes que les professionnels de santé. Les assureurs sont prêts à discuter avec toutes les associations de patients. Ils le font d ailleurs dans d autres domaines que celui de la complémentaire santé. Alain Clergeot, président de Chugai Pharma France : Un médicament ne guérit pas parce qu il est remboursé. Il existe des médicaments qui ne sont pas remboursés et qui ont toute leur place. C est un choix politique et les arbitrages doivent être clairs et précis. Aussi, quels leviers pouvez-vous avoir sur le médicament? D autre part, vous avez un accès direct aux salariés avec les contrats collectifs. Pourquoi ne développez-vous pas, en accord avec la médecine du travail, des programmes d éducation, de prévention? Maurice Ronat : A propos du médicament, les critères de remboursement et les critères d efficience ne sont pas les mêmes. Il faut mettre en place une vraie réflexion. Concernant votre deuxième question, nous mettons déjà en place des actions de la sorte, par exemple sur l ergonomie au travail. Evelyne Guillet : Nous sommes convaincus comme vous que l entreprise est un lieu privilégié pour développer ce type de programmes, mais pas n importe comment. Les résultats de «l expérimentation HTA» que nous menons actuellement dans la région Nord-Pas de Calais, seront à cet égard très précieux pour la suite. 4
5 Alain Rouché : Beaucoup d actions se font déjà aujourd hui dans le cadre de l entreprise. Très probablement plus dans les grandes entreprises que dans les PME, d ailleurs, pour des raisons de facilité d organisation. Au-delà, il est très important de mesurer l impact de ces actions. A propos du médicament, la logique actuelle de prise en charge ou non par les organismes complémentaires est bien trop binaire. Il faut mette en place une logique plus différenciée. Paule Drouault-Gardrat, PDG Avocats : Concernant les données personnelles de santé, dans les expérimentations qui sont mises en place, pouvez-vous donner des précisions sur le traitement de ces données, notamment sur leur anonymisation? Y a-t-il des tendances standards qui se dégagent? Alain Rouché : Se sont développées quatre expérimentations. Une par la FNMF qui concerne le médicament, et trois par des entreprises d assurance : une dans le domaine de l optique et deux dans le domaine du médicament. Deux possibilités ont été données pour l accès à ces données : soit le consentement exprès de l assuré, soit l anonymisation des données. Dans les deux expérimentations réalisées par les assureurs concernant le médicament, une est menée en suivant la voie de l anonymisation, par Axa ; l autre est réalisée par consentement exprès, par SwissLife. Celle qui est réalisée dans le domaine de l optique, par Groupama, est réalisée par anonymisation. Les délibérations de la CNIL de décembre 2009 mettent en lumière la nécessité de la mise en place d un dispositif de tiers de confiance afin de sécuriser l accès aux données. Ce tiers de confiance peut soit prendre la forme d une entité juridique externe, soit la forme d une boîte noire dans le système de l assureur. La CNIL a demandé, pour l expérimentation d Axa, qu un audit externe soit effectué pour vérifier la sécurité. Cet audit a abouti à une nouvelle délibération de la CNIL du mois de novembre 2010 qui approuve l extension de l expérimentation à tous les assurés et à tous les départements de France. Nous ne souhaitons évidemment pas avoir accès à toutes les données de santé, nous souhaitons seulement avoir accès à quelques données de façon sécurisée afin de faire avancer notre offre. La CNIL a évoqué la nécessité d une loi pour mieux expliciter ce que les complémentaires peuvent faire en terme d accès aux données. Pierre Lahlou, Biofront : Le grand muet est le patient, pris entre la vente sur ordonnance du médecin et une information totalement insuffisante sur la qualité du médicament qui lui est prescrit. Pourquoi n existerait-il pas une cote des médicaments? Olivier Mariotte, nile : La qualité du médicament est déterminée par la Commission de la transparence, qui donne des Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR) et des DSMR. On sort là un peu du cadre. Thierry Coté, biologiste : Le poids des maladies chroniques et de l hospitalisation est très important dans la balance de l assurance maladie obligatoire. Selon certains spécialistes derrière la répartition 75/25 % se cache le fait que l assurance maladie obligatoire en prend plus en compte que 55 % de la médecine de premier recours. Cela joue tout à fait en faveur du droit des complémentaires santé à avoir le droit une place plus importante dans le système de santé. Cela implique aussi des devoirs, notamment le devoir de savoir si l on avance vers une consolidation du système de solidarité français par rapport au risque maladie institué en 1945 ou si l on s en détache. Avez-vous une réflexion sur ce sujet? 5
6 Alain Rouché : La question de la solidarité est tout à fait centrale. C est bien l assurance maladie obligatoire qui doit jouer ce rôle de solidarité. Les complémentaires n ont pas vocation à jouer ce rôle. Il faut s interroger sur ce qui doit relever du champ d intervention de l assurance maladie obligatoire. Je ne pense pas qu on puisse imaginer demain que les complémentaires puisse jouer un rôle de solidarité comme le système public peut en avoir un. Cela ne veut pas dire que les complémentaires doivent être totalement libres d agir dans un champ de marché. Il y a un certain nombre de règles qui s imposent aux complémentaires, notamment celles relatives au cahier des charges des contrats responsables. Evelyne Guillet : Concernant les chiffres que vous avancez, il me semble qu il conviendrait de regarder de quoi sont composés ces 55 %. Quoiqu il en soit, pour nous, les complémentaires santé n ont évidemment pas vocation à remplacer le système solidaire d assurance santé obligatoire mais à travailler en partenariat avec lui. 6
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