Module. Nombre de pages : 6. Plan de la leçon. I. L attitude philosophique... A. Le bouleversement...2 B. Le doute..3
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- Raymond Labelle
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1 Module P H I L O S O P H I E LEÇON 3 : ETRE PHILOSOPHE Nombre de pages : 6 Plan de la leçon I. L attitude philosophique... A. Le bouleversement...2 B. Le doute..3 II. La «mission» du philosophe 4 A. Etre un éveilleur..4 B. Etre un témoin..5
2 Introduction «l origine de la recherche philosophique se trouve dans l étonnement, le doute, la conscience que l on a d être perdu. Dans chaque cas, elle commence par un bouleversement qui saisit l homme et fait naître en lui le besoin de se donner un but.» Karl Jaspers, Introduction à la philosophie. La philosophie n est pas une «discipline» comme les autres. Même si le travail philosophique a ses règles, faire de la philosophie ce n est pas seulement appliquer une méthode, celle de Descartes ou d un autre, c est recommencer pour soi et par soi-même la quête qui caractérise la philosophie. Nous allons voir, en analysant la phrase de Jaspers, qu un philosophe est d abord un homme qui subit une sorte de crise, au cours de laquelle ses certitudes habituelles s effondrent, le contraignant de chercher de nouveaux repères. Cependant, il est aussi un homme habité d un désir : la quête de sens à laquelle il est «contraint» le porte progressivement vers une transformation et un enrichissement de sa vie et de sa pensée. I. L ATTITUDE PHILOSOPHIQUE A. LE «BOULEVERSEMENT» Lorsqu on est bouleversé, on ne sait plus trop quoi penser, on se sent perdu. On dit d une pièce qu elle est «bouleversée» lorsqu elle est en désordre, sens dessus dessous. Par analogie, Karl Jaspers parle de «bouleversement» pour désigner un ébranlement général des habitudes de pensée, ébranlement qui précède, et conditionne, l éveil philosophique 1. Le commencement de la philosophie Pour commencer de faire de la philosophie, il faut remettre en question les idées qui nous servaient de points de repère. La philosophie, nous l avons déjà dit, est une recherche : conceptualiser c est construire un sens, ce qui suppose qu on ne possède pas d avance ce sens. Celui qui est sûr de tout et de lui-même ne commence jamais de philosopher, il se considère comme un savant ou comme un habile homme et il méprise celui qui cherche, car chercher c est avouer qu on n a pas quelque chose, c est se mettre, apparemment, en position de faiblesse. 2/6
3 2. Force et faiblesse C est bien cette faiblesse apparente que Calliclès reproche à Socrate dans le dialogue de Platon intitulé Gorgias. Selon Calliclès, l homme adulte qui prétend philosopher se conduit en attardé mental! En effet, le philosophe a un «défaut» majeur : il refuse de détenir l unique vérité, il met toujours la vérité en avant de sa pensée, comme une idée qui le guide. Ce faisant, il peut sembler moins courageux que l orateur politique qui, lui, a une solution pour tout et affirme haut et fort qu il est le seul à avoir raison. Mais est-ce véritablement une force que de savoir convaincre les autres de tout et de n importe quoi, et de ne jamais s attacher aux conséquences de ce que l on dit? Au contraire, la philosophie, en refusant de se présenter comme une donneuse de solutions, se révèle finalement plus riche car celui qui philosophe et met son esprit à l épreuve d un questionnement permanent donne à sa pensée une force autonome qui ne cesse de grandir, puisque toute épreuve la fait augmenter. L orateur habile qui joute avec d autres orateurs habiles ne possède qu une technique du discours, il ne se transforme pas. Etre «bouleversé» est une condition pour être philosophe, car être philosophe c est se trouver dans l obligation de chercher des repères et devoir changer soi-même pour pouvoir les trouver. B. LE DOUTE De la même manière que le bouleversement évoqué par Jaspers n est pas seulement une émotion négative mais un point de départ, le «doute» dont il parle ensuite n est pas un facteur paralysant mais une activité. 1. Le doute : une méthode Descartes nous a montré, dans la première leçon, comment le doute pouvait être un exercice de purification de la pensée : on élimine, en doutant de toutes ses idées, les idées les moins résistantes - les moins sûres, les moins démontrées, les plus «floues» -. A terme, il reste les idées évidentes : elles vont servir de base de raisonnement. Le doute est donc un moyen ou une méthode, du moins une partie de la méthode, c est-à-dire une partie de ce cheminement par lequel l esprit humain se perfectionne. 2. Du doute au discernement Le philosophe est un homme qui doute, car c est en doutant qu on se forge un principe de discernement. (Voir fiche correspondante). Quiconque prétend réfléchir ou prendre la moindre décision, doit savoir faire preuve de discernement : c est ainsi que l on lutte contre les illusions, les préjugés, c est-à-dire contre tout ce qui empêche l intelligence humaine de remplir pleinement son rôle. Dès lors on peut dire que le philosophe est l homme qui fait effort pour être pleinement homme. 3/6
4 Cela devrait faire de lui un homme important aux yeux des autres, une sorte de guide, pourtant le philosophe est souvent mal vu, il inquiète. Pour comprendre cela, il nous faut examiner de plus près sa «mission», en d autres termes, le rôle qu il est amené à jouer dans la communauté humaine. II. LA «MISSION» DU PHILOSOPHE A. ETRE UN EVEILLEUR «Si vous me faites mourir en effet, vous n en trouverez pas facilement un autre comme moi : un homme littéralement (mes propos dussent-ils prêter à rire) attaché par le dieu à la Cité, comme si elle était un cheval de belle taille et de bonne race, mais alourdi par sa grandeur et qui aurait besoin d un taon pour l aiguillonner» Platon, Apologie de Socrate, traduction Claude Chrétien, p.27, Hatier Le «taon» philosophe Le philosophe est un éveilleur, c est-à-dire au sens propre un «empêcheur de dormir en rond» La routine de la vie politique et des affaires occupe entièrement les Athéniens et les rend inertes, inattentifs à ce qui les définit pourtant comme êtres humains, à savoir cette capacité innée de se mettre en quête de la vérité. Ce faisant, ils oublient de prendre «soin de leur âme», qui est pourtant ce qu ils ont de plus essentiel. Ils se trompent de richesse et protègent le «faux» trésor, celui des biens apparents du monde sensible. Pour remédier à cela, Socrate les engage dans des discussions qui les obligent à réexaminer leurs idées. C est pourquoi les «dialogues» avec Socrate agissent comme un «taon» : ils piquent désagréablement les esprits endormis dans leurs habitudes et les font réagir 2. Le vrai et le faux «trésor» Des siècles plus tard, le philosophe allemand Nietzsche fera un semblable reproche aux savants de son époque, qui, comme les Athéniens contemporains de Socrate, s occupent d un «faux» trésor, ils accumulent des connaissances «scientifiques» au lieu d apprendre à se connaître eux-mêmes : ce faisant, ils demeurent à jamais étrangers à eux-mêmes : «Nous ne nous connaissons pas, nous qui cherchons la connaissance ; nous nous ignorons nous-mêmes : et il y a une bonne raison à cela. Nous ne nous sommes jamais cherchés comment donc se pourrait-il que nous nous découvrions un jour? On a dit justement : «Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur» ; et notre trésor est là où bourdonnent les ruches de notre connaissance». Nietzsche, La Généalogie de la morale, Un «trésor» c est ce dont on s occupe le plus parce que c est ce à quoi on accorde le plus de valeur. Les savants contemporains de Nietzsche, comme les Athéniens de l époque de Socrate, se trompent sur ce qui a de la valeur. Ils donnent de la valeur à une chose qui leur est extérieure (la connaissance pour les uns, la politique ou l argent pour les autres). 4/6
5 Or tout ce qui est extérieur finit par disparaître ou peut nous échapper (une guerre, un incendie, et voici l argent ou les livres partis en fumée ). Au contraire, ce qui intéresse un philosophe comme Socrate, c est ce qui a une valeur qui ne disparaît pas. Il ne peut s agir que d une valeur intérieure, une valeur qui ne nous quitte pas. La seule valeur aux yeux du philosophe réside dans une richesse intérieure, une transformation de son propre esprit. Un esprit développé, une intelligence débarrassée de ses «scories», sont une puissance plus grande que les biens terrestres (argent, pouvoir politique, etc.) parce qu ils permettent de s adapter et d affronter n importe quelle situation. B. ETRE UN TEMOIN 1. Etre en situation L autre facette de ce rôle d éveilleur, c est d être un témoin attentif des événements. Le philosophe ne fait pas que travailler à transformer son propre esprit. Transformer son esprit ne peut se faire qu en situation, lorsque le philosophe se trouve devant une décision à prendre ou un jugement à formuler. C est pourquoi pour devenir philosophe, il faut apprendre à analyser les situations et pas simplement les discours - 2. Généraliser une expérience : «technique» de la dissertation C est ainsi que sont conçus les exercices philosophiques du type «question», en vue de faire une «dissertation». Ce sont des réflexions «en laboratoire» : on s interroge sur une situation que l on n a pas forcément vécue soi-même mais que des hommes peuvent rencontrer. L analyse d une question, en philosophie, nous amène à chercher dans quels cas concrets ce genre de problème existe, comment les hommes le résolvent d habitude, et si les solutions habituelles suffisent ou cachent un problème plus profond qui resterait entier. Par exemple, la question «A-t-on le droit de mentir?» n est pas nécessairement une question que je me suis déjà posée en ces termes, mais lorsque je la découvre, je la comprends, c est-à-dire que je comprends qu elle correspond à un problème que je suis susceptible d avoir déjà rencontré même si je ne me suis pas encore posé cette question. Il m est déjà arrivé d être choqué par un mensonge ou d hésiter à en faire un parce que j avais l impression de mal faire. Cette expérience ( ce que j ai déjà vécu) peut être mise en rapport avec la question «A-t-on le droit de mentir?». En d autres termes : je vais me servir de mon expérience comme «matière première» et tâcher d en extraire les éléments généraux, c est-à-dire ce qui, dans mon expérience individuelle, peut aussi concerner d autres personnes. 5/6
6 La philosophie propose une réflexion générale sur les problèmes humains. Cela signifie qu elle permet de voir, dans une situation particulière, un aspect qui peut concerner tous les êtres humains. Conclusion Etre un philosophe, cela s apprend donc. A vrai dire, on ne cesse jamais d apprendre, sans quoi on court le risque de s endormir dans des certitudes confortables, sans être sûr qu un nouveau Socrate viendra nous réveiller Etre un philosophe suppose une attention vigilante au sens des mots et des situations, une capacité de discernement, qui s exprime ensuite dans un discours construit, un raisonnement. On verra au cours des leçons suivantes, comment on peut repérer dans différents domaines les préjugés et autres symptômes de «sommeil de la raison» 6/6
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