Isabelle de Ponsay - Marc Ronssin

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2 Isabelle de Ponsay - Marc Ronssin Une vie au grand jour Mémoires d'un aristocrate entre deux millénaires

3 Isabelle de Ponsay - Marc Ronssin, 2018 ISBN numérique : Courriel : contact@librinova.com Internet : Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

4 Une image d Épinal Du plus loin que je me souvienne, j ai toujours été un enfant solitaire et même esseulé. Pourtant, premier fils, né d une fratrie de cinq et enrubanné d une sœur jumelle, je n aurais jamais dû me retrouver si souvent dans cette chambre fermée, mis au pain sec et à l eau. Mes parents avaient décidé qu un garçon ainé, devait être endurci et «mâté»! On ne devait lui céder en rien. Leur propre éducation et tradition familiale les ont pendant longtemps retenu de me prodiguer une quelconque affection, une tendresse ou simplement un peu de miséricorde pour les mauvais résultats scolaires rapportés pendant mes années de primaire à saint Goery mais aussi bien après! C est dans cette ambiance toute habitée de morale, de traditions et en perpétuel contrôle de soi que j ai passé mes douze premières années. Nous habitions une grande maison 1930 à deux étages, entourée d un jardin, à Épinal, dans les Vosges. Une imagerie bien peu conforme à ce qui se fait comme bonheur familial et dont je garde un souvenir torturant. Mes parents se sont rencontrés en 1950, grâce à des amis, suivant des règles d un autre monde ou les principes d attirance mutuelle avaient peu de place.

5 Mon père avait quarante ans lorsqu il s est marié avec ma mère, tout juste âgée de vingt-cinq ans. Il n y a que sur des photos de leurs fiançailles, découvertes récemment, que je les ai vus se sourire l un à l autre. Dans la vie courante, si je ne les ai jamais entendus se disputer, je ne les ai jamais sentis heureux. Ma mère, Adélaïde de Schouwen est issue d une grande famille aristocratique belge, habituée à vivre dans de belles demeures, habitées par une nombreuse famille et confortablement gérées par une domesticité non moins nombreuse. Je ne sais ce qui a décidé de leur union, car je n ai jamais osé le leur demander. De leur vie de couple je ne sais rien. Victime de mon éducation, il aurait été inconvenant et totalement déplacé de me plonger dans leur intimité. Je m interroge toujours aujourd hui, sur ce qui a poussé une femme si jeune, à quitter une vie brillante et privilégiée pour épouser mon père, certes lui aussi bien né, mais dont la situation et les espérances professionnelles ne sembleront guère la satisfaire tout au long de leur vie commune, passée à Épinal. Rien que l évocation de ces noms de ville et j y ajouterai Verdun, me plonge encore dans un profond cafard! J imagine ce que cela a dû être pour elle Elle avait perdu tous ses repères à Épinal. Fréquentant des gens bien différents d elle socialement et religieusement parlant, le sentiment d être déclassée lui pesait beaucoup. Ses frères et sœurs avaient fait des mariages princiers en Belgique La famille de mon père plutôt provinciale, militaire et presque rurale ne pouvait lui offrir le train de vie élitiste qu elle avait connue en Belgique. De plus, la grande différence d âge qui la séparait de mon père, la rendait plus lointaine et interdisait toute forme d intimité entre eux. Ils se vouvoyaient lorsqu ils se parlaient. Rien ne semblait vraiment les satisfaire.

6 C est peut-être le charme mystérieux de son futur époux qui l avait séduite. Car mystérieux, mon père l était beaucoup dans sa vie. Qu avait-il fait durant les vingt années qui avaient précédées son mariage? Né en 1910, en Lorraine, Gérard du Castel, fils de Marc, dont bien entendu par tradition, je porte le prénom, aura vécu les années folles à Nancy et à Paris : La vie trépidante et mondaine de cette époque était jalonnée par les sorties entre amis, les réceptions fastueuses et les divertissements parfois très libérés Mais pour lui aussi plus tard, la deuxième guerre mondiale suivie de la guerre d Algérie. Ses études de droit l ont amené à travailler dans une compagnie d assurances puis à s installer à Épinal, où il est nommé Secrétaire Général de la Chambre de Commerce et d Industrie de Lorraine, poste qu il occupe jusqu à sa retraite en De sa vie de célibataire, on ne sait rien, il n en n a jamais rien raconté. Pudeur ou silence volontaire, on ne saurait dire. Je crois que même ma mère n en sait guère plus, ou ne veut rien en dire. C était un homme très cultivé, il adorait le théâtre. À l heure de sa retraite et de retour à Paris, il passe sa vie à l hôtel de Drouot, chinant la moindre curiosité, dont nous nous partageons aujourd hui, mes sœurs, mon frère et moi, le fruit de ses trouvailles. Il était absent de la vie quotidienne, plus par ses silences que par de véritables déplacements. Quand il rentrait, c était pour se caler dans un fauteuil avec son journal et nous avions interdiction de le déranger. Dans cette atmosphère pesante et contraignante, comment le petit garçon sensible et timide que j étais alors, pouvait-il s exprimer et trouver un peu de confiance en lui? Chaque matin et par tous les temps, nous devions faire à pied les deux kilomètres qui nous séparaient de l école. Le chemin montait et descendait au gré des collines, se faufilant dans des

7 quartiers ouvriers où nous apercevions des familles pauvres. Nous en sentions toute la misère et nous en avions peur. Jetant des regards furtifs et pressant le pas, nous nous trouvions bien chanceux de ne pas être de ce pauvre monde-là... La discipline valait mieux que la misère. Vêtus été comme hiver du traditionnel short en flanelle grise qui laissait nos jambes se marbrer de bleu sous le vent glacé des Vosges, nous arrivions à Saint Goery transis. Mes oreilles que dégageait bien ma coupe en brosse, passaient au rouge! L unique poêle de la classe devait être allumé à grand renfort de bois enfourné par nos soins, à peine avions-nous passé la blouse grise d uniforme, à peu près semblable à celle que portait également de notre maître. Les leçons commençaient et j avais du mal à me concentrer et à suivre les explications. La règle du professeur claquait fort sur la table, me faisant sursauter et me terrorisait. Mon esprit était trop préoccupé par ce qui m attendait à la maison si je ne rapportais pas de bons résultats. Causes ou conséquences de tout cela, mes notes étaient mauvaises. Je ne parlais jamais à qui que ce-soit ni à la maison, ni à l école, de ce que je vivais et surtout pas de mes états d âme. Je n avais que peu d amis en classe, seulement ceux choisis par mes parents, fils de leurs relations ou connaissances. Ils n étaient jamais invités à la maison. La discipline de Saint Goery était de fer, mais celle de mes parents était en acier, l influence de la Lorraine sans doute! Dès l annonce de mes pauvres résultats, j étais aussitôt mis au pain sec et à l eau, consigné dans ma chambre. Aucune rébellion n était possible et toute velléité de ma part aussitôt sanctionnée par le martinet. Les brimades et les punitions étaient continuelles. Je ne trouvais de réconfort nulle part. Ma sœur jumelle Solène, qui incarnait pour moi un certain idéal féminin, était désormais séparée de