Quelques éléments pour l analyse économique de la sécurité routière
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- Robert Ricard
- il y a 8 ans
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1 Quelques éléments pour l analyse économique de la sécurité routière Marc Gaudry 1, 2 Matthieu de Lapparent 2 Dominique Schwartz 3 1 Agora Jules Dupuit (AJD) Université de Montréal, Montréal 2 Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (INRETS) Arcueil 3 Paris Sciences Économiques (PSE) École Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC), Paris Résumé Suite aux demandes du Comité «Économie de la sécurité routière» de préciser le contenu thématique souhaitable d un cursus d économie de la sécurité routière, nous utilisons un cadre d analyse usuel en économie des transports et posons au passage un certain nombre de questions qui pourraient devenir objets de travaux de recherche en économie de la sécurité routière. Il est prévu d en publier une version légèrement modifiée au Ch. 4 d un document Synthèse du PREDIT, Economie de la sécurité routière : enjeux, état des lieux et réflexions prospectives, pp , La Documentation française, Paris, Définition : Économie de la sécurité routière Mesure et valorisation des dommages Un marché et ses composants Questions particulières sur l un ou l autre niveau spécifique à la sécurité routière Sciences économiques et économie politique Références Université de Montréal Agora Jules Dupuit, Publication AJD-98 Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité Département économie et sociologie des transports, Working Paper DEST N o 9 Le 26 avril
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3 Suite aux demandes du Comité de préciser le contenu thématique souhaitable d un cursus d économie de la sécurité routière, nous utilisons un cadre d analyse usuel en économie des transports et posons au passage un certain nombre de questions qui pourraient devenir objets de travaux de recherche en économie de la sécurité routière. Des documents illustratifs ont déjà été fournis pour certains points, par exemple les matrices de comptabilité sociale, ou cités comme exemples de travaux pertinents à notre champ d application des sciences économiques, et sont à la disponibilité du lecteur qui en fera la demande à Marc Gaudry. 1. Définition : Économie de la sécurité routière L analyse économique de la sécurité routière est d abord l explication du niveau et de la valeur économique des dommages imputables aux accidents de la route dans une économie donnée. Mais, comme pour toute quantité ou valeur économique, on peut par ailleurs s intéresser à sa distribution dans la population et modéliser le rôle et les effets du marché politique qui en conditionne en partie les réalisations. En économie, expliquer les réalisations privées et publiques de diverses variables, tant quantitatives que qualitatives 1, exige toujours et s appuie nécessairement sur les quatre éléments essentiels à toute modélisation scientifique 2 : mesures et données (S), théories (P), procédures de quantification & test statistiques afférents (Q), et résultats chiffrés 3 des modèles (R). 2. Mesure et valorisation des dommages Discutons de la mesure des quantités et des valeurs La mesure du niveau des dommages (victimes et biens). Les dommages corporels et matériels occasionnés par les accidents de la route sur la chaussée publique sont-ils correctement mesurés : A. dans les comptes nationaux? B. dans les matrices de comptabilité sociale? C. dans les bilans des actifs nets du capital national? Nécessaire dans un contexte économique, la mesure physique et en valeur peut poser en particulier les problèmes «thématiques» suivants pour lesquels des sous-questions pourraient se définir naturellement dans la coulée de chaque interrogation. A. Dommages et comptabilité nationale. On sait que l activité de transport privé (pour compte propre usage de la voiture particulière, camionnage et aviation pour compte propre) est généralement mal analysée dans la comptabilité nationale typique. Pour cette raison, beaucoup de pays ont développé des Comptes satellites transports (TSA en anglais) qui partagent chaque ligne/colonne des matrices input-output (intermédiaires et finales) entre ce qui est transport («branche transport», au sens de la comptabilité physique) et ce qui ne l est pas 4. Q.1. Les comptes transport sont-ils suffisamment précis du point de vue de la mesure statistique physique et économique des accidents et des transactions s y rapportant? 1 L application des méthodes quantitatives aux variables qualitatives fait aujourd hui partie des pratiques des économistes. 2 SPQR désigne une norme européenne pour les données et modèles établie par SpotlightsTN (2002). 3 La norme SPQR intègre la prévision au composant R. 4 On distingue habituellement, en comptabilité nationale, entre les productions finales, intermédiaires et totales. L objet des comptes satellites transport porte sur chacune de ces mesures. Ainsi, la part des transports dans la production et la consommation finale (PNB ou Revenu National) passe de 3-4 % à 12-16% quand les activités pour compte propre sont réaffectées (sans changer les totaux) aux divers postes. Quand la perspective est celle de la production totale (l usage total des ressources), une même opération est nécessaire. En effet, les transports constituent une activité intermédiaire relativement considérable, puisqu il y a «indirectement» beaucoup de transport dans toutes les activités finales. 3
4 B. Dommages et comptabilité sociale. Lorsqu on inclut les matrices input-output dans le système comptable de l ensemble des flux financiers, on définit alors des «Matrices de comptabilité sociale (MCS)» (e.g., Decaluwé et Robichaud, 2000). Q.2. Est-il souhaitable et possible d isoler dans les MCS les flux de transactions associés à l activité «accidents de la route»? C. Variation des actifs nationaux et pertes de capital humain. Les mesures tirées de l analyse inputoutput ou de MCS mentionnées plus haut concernent des flux économiques par période. Mais il est utile de faire périodiquement l état de la variation des stocks. Si les stocks de capital privé sont mesurés dans nos économies, les stocks de capital «social» des équipements publics, généralement mal répertoriés et ignorés par la comptabilité de caisse pratiquée dans le secteur public, ne le sont pas toujours. C est le cas tant du patrimoine naturel que du patrimoine construit. C est aussi le cas du capital humain. Et toutes ces mesures comportent une dimension de valorisation d autant plus difficile à établir qu on s éloigne du marché. Q.3. Quelle est alors la part des dommages corporels dus aux accidents de la route bien comptés dans la variation du stock annuel de capital humain? 2.2. La valeur économique des dommages. En effet, la valeur économique mesurée ou mesurable en argent est nécessairement subjective et dépendante du consentement à payer (Dupuit, 1844), même si ce consentement n est pas indépendant des caractéristiques physiques ou biologiques (comme les indices médicaux de gravité des blessures) des biens corporels ou autres, parce que l économie crée de la valeur proprement économique représentable par une transformation des unités de mesure physiques des biens et services en unités économiques. On pourrait dire, pour simplifier, que la valeur économique est assimilable au revenu réel ou au capital réel (selon qu on s intéresse au stock de capital ou au flux de services qu on en tire). On peut donc mesurer la valeur du capital humain perdu lors d accidents de la route et se poser des questions comme : Q.4. Quelle est la relation entre valeur tutélaire (Boiteux & Baumstark, 2001) et valeur économique? Les valeurs tutélaires des morts et blessés de la route couramment utilisées sont-elles applicables à la détermination des pertes annuelles de capital humain à cet égard? L usage d une même valeur pour tous est-il purement politique? On sait que la valorisation tutélaire des accidents n est pas faite selon des critères économiques très stricts. On ignore par exemple que le consentement à payer diminue pour chaque unité (vie) supplémentaire susceptible d être épargnée et (selon les études américaines) varie selon l ethnie du bénéficiaire (selon la distance biologique 5 entre donneur et receveur potentiels). Il faut aussi faire remarquer que la valorisation de la vie humaine implicite aux décisions d infrastructure varie de fait selon le mode de transport utilisé. On peut penser que des problèmes difficiles faisant appel aux moments des variables se posent bien, car le marché (politique en particulier) ne réagit pas de la même façon à 100 individus tués successivement sur la route et à 100 individus tués ensemble sur un avion qui s arrête soudainement à flanc de colline... Q.5. Les valorisations pratiquées dans les bilans doivent-elles valoriser différemment les victimes tuées dans des accidents de transport en tenant compte du nombre de victimes par accident? 5 Ainsi, qui consentirait à payer le même montant pour sauver sa fille ou sa belle-mère?...quand la nourriture vient à manquer, ces valorisations se manifestent. Mis elles sont aussi présentes quand il faut payer pour traverser un pont, pour reprendre l exemple de Dupuit, ou dans les coefficients des divers termes d impédance des modèles gravitaires, selon le motif des déplacements. En Europe, les valorisations communes habituelles (e.g. UNITE, avril 2001 ; TEN-STAC, 2005) pondèrent les dommages corporels par le PNB per capita : certains européens valent donc 8 fois moins que d autres en moyenne dans l Europe des 15. L accroissement à 27 augmente encore ces valeurs relatives. 4
5 La seule explication raisonnable, comme l a fait remarquer Allais (1987), est peut-être que les moments des variables aléatoires (en l occurrence le premier et le troisième), comme les gains des loteries (portant ici sur les tués et blessés) sont valorisés différemment. C est ce qu on appelle ailleurs la «préférence de la famille royale» car, traditionnellement, la reine d Angleterre (Élizabeth II, par exemple) et son mari ne voyagent pas dans le même avion : cela n a aucun effet sur le premier moment (l espérance de mort) mais a un effet certain sur le second et, surtout, sur le troisième. Le marché réagit ainsi...un Kursk (118 marins russes tués ensemble), c est grave, mais 118 marins russes tués individuellement dans l exercice de leurs fonctions, l est-ce autant? 3. Un marché et ses composants Mais l économie de la sécurité routière est bien plus que la mesure et la valorisation des accidents : c est aussi leur explication, comme pour n importe quel marché : taille et composition du marché (éventuellement par segment socio-économique et culturel), prix et revenus, régulations de l offre ou de la demande, distribution des bénéfices et des coûts Niveaux à considérer : offre et demande ; exposition, fréquence et gravité. Deux décompositions conceptuelles des marchés nous intéressent particulièrement. Disons d emblée qu en économie, il y a toujours décomposition de l observable selon 3 termes : offre, demande et équilibre (ou délais et attente) et qu en sécurité routière, la décomposition des dommages observés se fait par ailleurs entre diverses composantes du risque de dommages : exposition, fréquence et gravité. Il s agit, comme pour les constructions intellectuelles sur l offre et la demande, de décompositions éclairantes, puisqu en principe on n observe que quantités et prix de dommages. Se poseront donc en principe des problèmes d offre et de demande d exposition, de fréquence et de gravité. Les résultats obtenus en sécurité routière, compilés régulièrement sous la forme de «bilans nationaux» de dommages encourus durant une certaine période, donneront donc lieu, comme dans tout marché, à l explication d une offre et d une demande portant en principe sur le «risque» total de tels dommages mais en déclinant si possible le marché par dimension : celui du risque d exposition, celui du risque de fréquence et celui du risque de gravité, ce que font jusqu à un certain point les assureurs depuis fort longtemps. Ils d intéressent au marché de l autoprotection (achats ou comportements visant la réduction de la fréquence) ou de l auto-assurance (achats ou comportements visant la réduction de la gravité d un accident qui serait arrivé), même si l objet des classifications actuarielles n est pas d abord la décomposition 6 des dommages selon ces trois dimensions ou en fonction des caractéristiques socio-économiques qui pourraient expliquer chacune d entre elles Variables explicatives. En effet, ces trois formes inter-reliées du risque s expliquent ellesmêmes par divers facteurs associés à des «piliers» qui sont au nombre de quatre. En effet, si on distingue traditionnellement, au niveau microéconomique, entre les 3 premiers «piliers constitutifs» de la sécurité routière que sont les véhicules (V), les infrastructures (I) et les conducteurs (C), la dimension économique (A) constitutive du quatrième pilier est néanmoins fondamentale. 6 Considérons par exemple la façon dont le risque de dommages varie selon l âge. On sait qu en moyenne les dommages routiers attendus par année baissent avec l âge de l individu assuré (disons, pour simplifier, de 20 à 80 ans). Mais la décomposition entre exposition, fréquence et gravité nous apprend beaucoup par ailleurs : les courbes de probabilité par kilomètre parcouru ont des formes en U qui, pour les hommes et les femmes, se croisent comme des ciseaux à leur minimum vers ans : elles sont donc décroissantes avant et croissantes au delà de ans. Si la valeur moyenne des dommages décroît alors, c est donc principalement à cause de l exposition qui baisse rapidement au delà d un certain âge (malgré que la gravité moyenne augmente généralement). Une tarification qui discrimine selon l exposition, l âge et le sexe sera donc complexe. 5
6 Il s agit pour A du «niveau de la mer 7» qui est nécessaire pour préciser le sens des dimensions d un accident particulier qui implique par définition du système de transport en t, V, I et C pour chaque «barque». Disons que, pour expliquer l accident, il faut, en plus des circonstances définies par certaines valeurs de V, I et C, identifier aussi par exemple le niveau agrégé de l exposition au risque en t, préciser la nature des demandes routières par catégorie d usager et la congestion en t, et connaître jusqu au taux d occupation des véhicules pertinents de toutes catégories en t : V : Véhicules (caractéristiques et entretien, poids total en charge et nature du chargement) ; I : Infrastructures (géométrie du tracé, structure et couche de roulement, météo, gestion) ; C : Comportements (dont vitesse et prise de risque) ; A : Activités économiques (niveaux, composition 8, répartition temporelle et spatiale). Ce sont les interactions des offres et des demandes de différents types d acteurs qui interviennent sur ces quatre piliers et produisent la sécurité routière. Il faut donc identifier ces acteurs et analyser les liens entre eux : Définir leurs comportements d offre et de demande sur les trois piliers classiques VIC; Analyser les liens entre ces trois piliers classiques et les variables économiques A. Les échelles chronologiques du quartet VICA, n étant pas les mêmes, il convient de s intéresser à la dynamique temporelle des éléments et à la longueur de l ajustement des uns aux autres suite à une modification d un ou plusieurs éléments du système. Selon les perspectives (stratégique, tactique, voire opérationnelle) ou durées adoptées ou considérées, l un ou l autre élément sera naturellement exogène ou endogène 9 à l analyse Approches micro et macro économiques. Comme dans toute modélisation multifactorielle d un marché, il existe des littératures diverses qui relèvent de perspectives et d objectifs distincts. Considérons deux exemples représentatifs. Le premier, d inspiration microéconomique, tire son origine des travaux de Boyer et Dionne (1987) qui ne cherchent pas à expliquer les bilans nationaux par l ensemble des variables [V, I, C, A] mais visent seulement à mieux classifier les individus [C] à des fins d assurances. Ils cherchent en fait à substituer aux classifications actuarielles traditionnelles des classifications fondées sur des modèles de régression estimés sur données individuelles. Cette méthodologie, qui semble malheureusement 10 n utiliser encore que des fonctions de régression de forme mathématique fixe, n a à ce jour été appliquée apparemment qu au Québec (Dionne et Vanasse, 1996). Le second, d inspiration plus méso- ou macro-économique, est centré sur l explication des bilans nationaux et regroupe les six 11 modèles nationaux de la famille internationale DRAG (Gaudry & Lassarre, 2000) qui présentent l avantage unique d appliquer une méthodologie commune à l explication de bilans nationaux divers, méthodologie qui utilise des formes mathématiques souples 7 Comme la demande de transport est une demande dérivée de l activité économique, la prise de risque qu elle comporte nécessairement le sera aussi. Mais la définition du risque afférent n est pas simple. 8 Les motifs des déplacements des personnes et la nature des biens transportés ont des effets distincts. 9 Les structures d équations simultanées ont été utilisées assez rarement malgré leur pertinence évidente. Il faut donc s attendre à un accroissement de la prise en compte de la simultanéité dans l analyse de la sécurité routière. 10 Voir Note 9. Comme la force et la direction de la corrélation statistique dépend de la forme fonctionnelle des variables utilisées en régression multiple, parce que la covariance entre les facteurs en est affectée, des résultats dont la forme optimale n a pas été établie sont peut-être très fragiles, voire sciemment trompeurs si les auteurs ont pris conscience de leur manque de robustesse à des modifications de forme fonctionnelle. 11 Les modèles décrits ont trait à l Allemagne de l Ouest, à la Californie et à la France, au Québec, à la Norvège et à Stockholm. Le livre contient pas ailleurs des chapitres qui développent explicitement l offre et la demande, par exemple pour la vitesse pratiquée, et interprètent les résultats des équilibres à l aide de théories économiques classiques plutôt pointues (e.g. Gaudry, 2006) sur le rôle des anticipations rationnelles (Lucas) et la nature du risque (Knight, Allais). 6
7 et distingue toujours entre les niveaux de l exposition, de la fréquence et de la gravité des accidents. On peut alors poser la question : Q.6. Quels sont les avantages et les inconvénients de divers modèles nationaux de suivi de l insécurité routière ou du bilan routier? Q.7. Quelles sont les directions de recherche les plus prometteuses pour assurer le suivi et l explication de l évolution d un bilan routier national? En dehors des traditions multifactorielles, il existe aussi, bien sûr, une pléthore de travaux sur le rôle de facteurs individuels «gaucher/droitier ; fumeur/non fumeur ; assuré sous régime A ou B ; etc.» ou qui s articulent sur des méthodologies «avant/après intervention», bi-factorielles et utilisant des tests de variables définies de manière généralement linéaire Des méthodes statistiques spécifiques à la sécurité routière? Il y a des champs d application des sciences économiques qui ont donné naissance à des développements de méthodes statistiques spécifiques qui ont ensuite enrichi la boîte à outils de l économiste appliqué : par exemple, la modélisation des séries macroéconomiques a suscité une littérature considérable sur l étude des tendances, des racines unitaires et de la co-intégration. Est-ce le cas pour la sécurité routière, en sorte qu un programme de recherche doive comporter un volet de méthodologie statistique spécifique au champ d application? L explication de la demande de transport 12 et du choix modal ont favorisé, sinon causé, le développement de techniques statistiques propres : le cas des modèles probabilistes de type Logit est un exemple incontestable. En règle générale, les chercheurs ont, dans ce domaine, fait progresser l économétrie des choix probabilistes comme produit joint de leurs travaux sur la demande de transport. Ces techniques ont donc un rapport immédiat et un lien spécifique à la sécurité routière parce qu elles sont associées à l explication et à la prévision du risque d exposition. On ne peut alors modéliser le risque d exposition par mode sans y faire appel ou sans les considérer, voire continuer à les développer à cette fin. Les travaux de Lapparent sur l introduction de l incertitude sur le temps de trajet (2006) ou ses apports Bayésiens (2007) dans les modèles probabilistes sont à comprendre dans cette tradition du développement de techniques statistiques spécifiques à l explication du risque d exposition. La question complémentaire qui se pose alors naturellement est de savoir si des méthodes statistiques spécifiques ont aussi été développées pour l explication de la fréquence des accidents de la route ou de leur gravité... On ne peut pas dire que des méthodes aussi nouvelles que celles mentionnées plus haut pour l étude de la demande aient été développées spécifiquement pour l étude de la fréquence et de la gravité des accidents. Pour donner une idée des diverses dimensions statistiques pertinentes à la modélisation en sécurité routière, on peut consulter le premier chapitre du livre sur les modèles de type DRAG mentionné plus haut (Gaudry, 2000). On y discute en particulier 13 de la question des formes fonctionnelles 12 Si Dupuit a formulé une fonction de demande et la notion de surplus du consommateur comme réponse à une question sur la tarification d un pont, McFadden a partagé le prix Nobel de sciences économiques en 2000 pour sa contribution à l étude du choix modal avec des modèles de la famille Logit enrichis aux fins de l étude de la demande de transport. 13 Ce chapitre prétend que, comme on a des raisons de penser que les méthodes statistiques utilisées ont une influence sur les résultats, il faut toujours aujourd hui considérer les questions posées explicitement par les modèles du livre : Forme : si des tests de forme fonctionnelle (relation linéaire ou pas, monotone ou pas) sont faits, combien des «résultats» supposés connus seront robustes, tant dans les relations entre deux variables étudiées que dans les relations multifactorielles? Multi-factorialité : dans les études à deux variables (utilisant souvent des tests du χ 2 ) impliquant un groupe de contrôle, comment peut-on être certains que les conditions ceteris paribus sont orthogonales aux variables d intérêt et ne sont pas en interaction avec elles? Et quel serait l impact de covariances non nulles cachées entre ces variables et la variable explicative utilisée? 7
8 (linéaires ou pas ; monotones ou pas) et de multi-factorialité dans le contexte des modèles explicatifs du risque routier à niveaux multiples. 4. Questions particulières sur l un ou l autre niveau spécifique à la sécurité routière Exposition. Pour qu un accident arrive, il faut être là, c est-à-dire s exposer : les économistes spécialistes de la tarification au coût marginal proposent donc (en théorie tout au moins) que, lorsqu un accident arrive, toutes les parties payent la totalité du coût de l accident. Paradoxalement, au niveau individuel, ceci signifie que le responsable comme le non-responsable d un accident doivent en principe payer un prix égal au coût total de l accident : un système d assurance comportera donc une «prime d exposition» dont Edlin & Karaca-Mandic (2006) ont montré qu elle variait certainement en fonction de la densité du trafic. Et on en viendra à discuter de l avantage de payer cette prime d une manière qui varie avec l exposition, soit directement en l intégrant au coût du carburant (Edlin, 2003), soit en la rendant variable selon l exposition en temps réel 14 : dans un exemple anglais récent et courant (Crampton, 2007) les niveaux très élevés des primes à certains endroits et à certains moments suggèrent qu il y a là un filon très riche à exploiter. Q.8. Que nous apprennent les divers modèles sur le rôle de l exposition dans l explication du nombre des accidents? Q.9. Au niveau individuel, l assurance automobile doit-elle être, de par la loi, modulable en fonction du kilométrage annuel des assurés? Le niveau de l exposition et la congestion relative qui résultent de l évolution de l activité économique, tant dans sa localisation que dans sa composition industrielle, sont importants pour expliquer le risque d exposition Fréquence et gravité. À niveau d exposition routière donné, la probabilité d avoir un accident et la probabilité que cet accident soit d un certain niveau de gravité constituent deux dimensions des dommages qui méritent aussi des explications distinctes et naturellement interdépendantes. Les activités d autoprotection (qui modifient la probabilité d avoir un accident) et les activités d auto-assurance (qui affectent la gravité des accidents s ils se produisent) sont nombreuses et passent par les caractéristiques des véhicules à l achat, leur entretien, leur chargement et l état du conducteur non moins que par la vitesse, la prise de risque et la qualité de la conduite. Q.10. Quelle est, dans l évolution du parc automobile, la part croissante de la valeur des véhicules imputable aux caractéristiques d autoprotection et d auto-assurance passives et actives? Que connaît-on, tant en marketing quantitatif qu autrement, de la demande pour Toutes ces questions se posent indépendamment de la nature des données (micro, de comptage, «meso» ou macro ; en séries chronologiques, en coupes transversales ou en combinaisons de deux) et se posent tant pour l explication de la motorisation que pour celle de l usage des véhicules. 14 Il peut même arriver que la prime varie selon le parcours. Ainsi, à Boston, l usage d une certaine autoroute urbaine pour aller au travail exige depuis très longtemps une police particulière. En Grande Bretagne, la compagnie d assurances Norwich Union offre depuis octobre 2006 une tarification (déterminée par GPS) se rapprochant beaucoup d une tarification au coût marginal en temps réel, comme on le voit au tableau suivant (Crampton, 2007): Coût d un trajet de retour à domicile pour un conducteur entre 24 et 65 ans 2.3 miles on a single-lane road 1.2 miles on a highway 2.6 miles on a single-lane road 2.3 miles on a low-speed road TOTAL COST Off-peak rate 9.2 pence 1.2 pence 10.4 pence 16.1 pence 36.9 pence Peak rate (1) 13.8 pence 1.8 pence 15.6 pence 27.6 pence 58.8 pence (1) = from 23h00 until 6h00. 8
9 ces caractéristiques? L obligation de les rendre obligatoires réduirait-elle leur coût? Quel serait alors l impact sur la taille et l industrie automobile? Q.11. Que sait-on, toutes modélisations empiriques considérées, de la tendance des conducteurs à compenser, en partie ou totalement, ces améliorations en maintenant ou en modifiant un certain niveau de risque recherché? Les ajustements du comportement compensent-ils exactement les gains théoriques annoncés par les ingénieurs depuis 40 ans? Q.12. Que nous apprennent les divers modèles sur le rôle de la fréquence et de la gravité dans l explication du nombre des accidents? Ces dimensions sont-elles des substituts? 5. Sciences économiques et économie politique Lois et règlementations. Dans les sections qui précèdent, nous avons considéré les lois et réglementations qui s appliquent à la sécurité routière comme exogènes. Toutefois, les séries longues maintenant disponibles dans beaucoup de pays permettent de traiter de manière crédible du marché politique. Dans plusieurs domaines des sciences économiques, on a pu appliquer par exemple le modèle de l électeur médian pour obtenir des hypothèses testables sur les comportements gouvernementaux. On pourrait penser en particulier que la vague démographique du «baby boom» conduirait à des lois très différentes en phase ascendante lorsque les jeunes constituent l électeur médian et en phase descendante. Parmi les objets susceptibles de recherches empiriques, on peut penser aux caractéristiques sécuritaires des véhicules (e.g. ceinture et baudrier, résistance aux chocs, parebrises, airbags, etc.), aux droits d accès (e.g. âge et conditions médicales des conducteurs, contrôle technique des véhicules), à l usage du réseau (e.g. caractéristiques de l offre routière, vitesses autorisées, feux de jour obligatoires, niveaux des amendes et régimes d assurance automobile). Envisageons des exemples susceptibles de travaux à partir de données multinationales. L exemple des régimes d assurances. S agissant des régimes d assurances, les régimes extrêmes du no-fault (sans égard à la faute) que l on retrouve dans diverses provinces canadiennes et australiennes pourraient être étudiés dans cette perspective. L exemple des vitesses autorisées. S agissant des vitesses maximales autorisées et de leur contrôle, les mêmes hypothèses reliées à la bulle démographique (naturellement combinées à d autres considérations) constitueraient des sujets prometteurs. On peut penser à plusieurs autres sujets, comme l allumage des feux de jour et les systèmes de permis à points, qui sont explicitement dans le marché politique depuis une génération au moins ; des sujets plus récents, comme celui des arbitrages entre taille et poids des véhicules (objet d une controverse nord-américaine, prémices d une tendance...), sont aussi d un intérêt certain pour l économie politique de la sécurité routière. 9
10 6. Références Allais, M. (1987). Allais Paradox. In: The New Palgrave Dictionary of Economics. 1, 80-82, Macmillan Press. Boiteux, M. et L. Baumstark (2001), «Transports : choix des investissements et coûts des nuisances», Commissariat Général du Plan, La Documentation Française, Juin. Boyer, M. and G. Dionne (1987), The Economics of Road Safety, Transportation Research B, Crampton, T., (2007), «Beam down my insurance : satellites used to set rates for car policies», International Herald Tribune, p. 1 & 10, 23 rd February. Decaluwé, B. et V. Robichaud (2000). Une matrice de comptabilité sociale (MCS) avec transport, Ch, 1, Rapport d étape, Année I ( ), Projet «OPERATION ORIGIN-DESTINATION», Agora Jules Dupuit, Université de Montréal. Dionne et Vanasse (1996), Une évaluation empirique de la nouvelle tarification de l assurance automobile au Québec, Rapport 9722, Théma, Université de Cergy-Pontoise et Université de Paris X-Nanterre, 31 p., juin. Dupuit, J. (1844), De la mesure de l utilité des travaux publics, Annales des Ponts et Chaussées, Série 2, Vol. 8. Edlin, A.S. (2003), Per Mile Premiums for Auto Insurance, in Arnott, R, Greenwald, B., Kanbur, R. and B. Nalebull, Economics for an Imperfect World, Ch. 5, 53-82, MIT Press. Edlin, A.S. and Karaca-Mandic, P. (2006), The Accident Externality from Driving, Journal of Political Economy (114), 5, Gaudry, M. (2000). Multiple Levels, Damages, Forms, Moments and Variables in Road accident models. In Gaudry, M. and S. Lassarre, (2000). Structural Road Accident Models: The International DRAG Family, Pergamon, Elsevier Science, Oxford, Ch. 1, Gaudry, M. (2006), Life, Limb and Bumper Trade-Offs Calculable from Road Accident Models: An Empirical Multimoment Portfolio Analysis and Life Asset Pricing Model (LAPM), Transport Reviews 26, 4, Gaudry, M. and S. Lassarre (2000), eds, Structural Road Accident Models: The International DRAG Family, Elsevier Science Publishers, Oxford. Lapparent, M. de (2006), "Attitudes towards risk of time losses in travel activity and air route choices", en révision pour Journal of Intelligent Transportation Systems. Lapparent, M. de (2007), Bayesian analysis of a random utility nested Logit model in the presence of Box- Cox transformations: application to work mode choice, Manuscript, Département économie et sociologie des transports, INRETS, 22 p, March. 10
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