Discours par Irina Bokova, Directrice-générale de l UNESCO, à l occasion de la remise du diplôme de Docteur Honoris Causa de l Université d Alger 1

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1 Discours par Irina Bokova, Directrice-générale de l UNESCO, à l occasion de la remise du diplôme de Docteur Honoris Causa de l Université d Alger 1 Alger, le 9 avril 2012 Monsieur le ministre, Monsieur le recteur, Mesdames et Messieurs les professeurs, les étudiants, Mesdames, Messieurs, Salam Aleikoum! L écrivain Malek Haddad disait qu «on n arrive jamais pour la première fois en Algérie et lorsqu on s en va, on ne la quitte pas pour toujours». C est ma première visite officielle en Algérie, et je commence à comprendre à quel point c est vrai. C est un plaisir de m exprimer ici, et un honneur de recevoir cette distinction de la première université du pays, une institution centenaire chargée d histoire. L Algérie forme ici les fonctionnaires, les médecins, les juristes, les entrepreneurs et les intellectuels de son développement. Je suis heureuse d engager le dialogue avec vous. Nous ressentons tous, aujourd hui, ce besoin de dialogue. Le monde traverse des changements profonds, à une vitesse inédite. DG/2012/055 Original : français

2 Les crises économiques, environnementales, politiques, posent des contraintes nouvelles sur la paix, la sécurité, la croissance. Nous avons des atouts pour y faire face : les nouvelles technologies, les ressources de l intelligence humaine, l énergie de la jeunesse. La moitié de la population mondiale a moins de 25 ans. Nous sommes plus nombreux 7 milliards et le monde n a jamais été si connecté. 1/3 de la population mondiale est sur Internet. C est une promesse de solidarité, de partage des savoirs. Le moyen d entendre celles et ceux qui n ont pas la parole, de lutter contre l analphabétisme, d améliorer la qualité de l éducation. Dans ce contexte nouveau, j aimerais vous soumettre, pour ouvrir le débat, deux principes qui me semblent essentiels dans la conduite des affaires internationales. Ces deux principes sont au cœur de l action de l UNESCO, et aussi, je crois, au cœur de l histoire et de la culture de l Algérie. La première évidence, c est qu aucun pays, aussi puissant soit-il ne peut relever seul les défis de notre temps. Nous devons construire un multilatéralisme plus efficace, qui mobilise les états, mais aussi le secteur privé, et la société civile. Dans un monde globalisé, interconnecté, aucun pays ne peut se développer durablement en paix, au détriment des autres. L Algérie n a pas besoin qu on le lui dise : les troubles en Lybie, au Mali, au Niger, créent des tensions qui l affectent directement. Il faut travailler ensemble, et cela suppose de se confronter à la réalité de la diversité culturelle. Cette diversité est une source de renouvellement des sociétés, un moteur d intelligence collective. C est l idée-force de la déclaration universelle de l UNESCO sur la diversité culturelle, en DG/2012/055 - Page 2

3 Pour en tirer le meilleur, il faut renforcer les compétences interculturelles de chacun, en langues, en histoire, pour apprendre à vivre et à travailler ensemble. A cet égard, l histoire de l Algérie est un trésor. L Algérie est un condensé de civilisations, un lieu d apprentissage de la rencontre avec l autre. Ce pays compte parmi les plus beaux sites de l antiquité romaine, Djemila, Timgad, Tipaza. Le site archéologique de Tipaza, l'un des plus extraordinaires du Maghreb, est aussi l un des plus significatifs pour cerner le brassage des civilisations des deux rives de la méditerranée. Les maisons d Alger, de Constantine, d Annaba, d Oran, gardent la mémoire des héritages phénicien, arabe, ottoman, européen. Ce pays porte la trace des origines de l humanité sur les parois des grottes de Tassili, et se projette dans plusieurs espaces linguistiques et culturels francophones, arabophones, berbérophones Ce patrimoine est une chance. C est une fenêtre ouverte sur l identité foisonnante de l Algérie, et sur celle de ses voisins. C est une feuille de route pour notre monde globalisé. Nous devons apprendre à le regarder, à le partager. Je pense aux systèmes d irrigation de Ghardaïa, aux portes du désert, qui nous aident à répondre au réchauffement climatique. Je pense à l architecture traditionnelle du M Zab, conçue pour mieux vivre ensemble. Et je voudrais saluer l initiative de l Algérie, à l occasion du 40 e anniversaire de la Convention du Patrimoine mondial de l UNESCO, de proposer une décennie pour l éducation au Patrimoine mondial, pour apprendre à faire du patrimoine un outil de progrès et de dialogue interculturel. DG/2012/055 - Page 3

4 J ai parlé de deux principes : le deuxième principe, c est face à l accélération des chocs, la nécessité de construire des sociétés résilientes, sur des bases plus solides que la politique ou l économie. En 1945, les fondateurs de l UNESCO se rassemblèrent sur l idée que les accords politiques ou économiques ne suffisent pas à construire une paix durable. Les défenses de la paix doivent s élever dans l esprit des hommes et des femmes, s ancrer dans les comportements de tous les jours, par l éducation, la compréhension mutuelle. La paix et le développement ne dépendent pas seulement de la volonté des Etats, mais de la participation active de chacun. Ce message est toujours valable aujourd hui. Le printemps arabe a soulevé un immense espoir, et il a aussi rappelé quel les transformations sociales prennent du temps. Elles demandent beaucoup d efforts et beaucoup de soutien. Je le sais par expérience personnelle. Les algériens le savent mieux que personne. Ce pays a lutté pour son indépendance, pour recouvrer son identité et sa culture, il y a 50 ans il a également connu la division, la violence civile. Ce pays sait que la paix se construit dans chaque maison, par l éducation, la mobilisation de la jeunesse, l égalité des droits, l égalité des hommes et des femmes, la participation civique. Sans l adhésion et l engagement de la société civile, l action de l Etat reste fragile et limitée. Sans Etat légitime et mobilisateur, l énergie de la société s essouffle vite. La paix se construit par mille initiatives répétées et concordantes, comme la nouvelle loi sur l'information en Algérie avec les nouvelles libertés qu elle accorde. DG/2012/055 - Page 4

5 Albert Camus, ancien élève à l Université d Alger, disait que «la presse peut être bonne ou mauvaise, mais tant qu elle n est pas libre, elle est forcément mauvaise». Dans un monde complexe, nous avons besoin d information de qualité, et l information de qualité est d abord une information libre. L UNESCO est l Agence des Nations Unies chargée de protéger la liberté d expression, et nous voulons être aux côtés de l Algérie dans ce domaine, mettre à disposition nos cursus pour l éducation au journalisme, assurer la formation des journalistes, garantir leur sécurité, à travers le plan d action commun aux Nations Unies que l UNESCO est en train de développer. La paix se construit sur les bancs de l école et c est pourquoi l UNESCO contribue depuis 2003 à la Réforme du système éducatif algérien, pour améliorer la conception des programmes et des manuels scolaires, soutenir le travail des inspecteurs sur le terrain, améliorer la formation des professeurs. Les nouvelles technologies ont un rôle majeur dans ce processus et c est pourquoi l UNESCO veut créer une plateforme d'échange des ressources à l échelle du Maghreb. La paix se construit en permettant aux jeunes de trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences. L UNESCO insiste sur le potentiel du tourisme culturel, qui est un formidable gisement d emplois souvent d ailleurs des emplois «verts», durables. A cet égard, l Algérie dispose d une richesse immense pour faire de la culture un moteur de développement et de cohésion sociale. Ce pays compte 7 sites inscrits au Patrimoine mondial, comme la Casbah d Alger, toute proche, ou La Kalâa des Béni Hammad sur le flanc sud du Djebel Maâdid L UNESCO veut redoubler d efforts pour former les professionnels, dynamiser le réseau des musées, renforcer les capacités de gestion des sites du Patrimoine mondial. L Algérie fut le premier pays au monde à ratifier la Convention de l UNESCO sur la protection du patrimoine immatériel. DG/2012/055 - Page 5

6 Et je voudrais saluer l installation du conseil national des arts et des lettres, qui peut assurer une meilleure visibilité et un plus grand soutien aux artistes algériens. Cette créativité est un ressort de progrès social, il faut la soutenir au maximum. Là encore, la Convention de l UNESCO pour la diversité des expressions culturelles en donne les outils. Ce sont toutes ces initiatives, sur le long terme, qui permettent la construction d une société civile dynamique, plus confiante. Et c est aussi le message du sportif Rabah Madjer, qui emmena l équipe algérienne de football jusqu au sommet, et qui se mobilise aujourd hui, comme Ambassadeur de bonne volonté de l UNESCO, pour l inclusion sociale des jeunes par le sport. Mesdames et Messieurs, Il n est pas toujours facile de rester fidèle à ces principes de coopération et de long terme. Mais c est souvent la contrainte qui nous force à redoubler d imagination, de créativité. Il faut se rappeler des moments clés de l histoire : la déclaration Universelle des droits de l homme fut adoptée trois ans seulement après le chaos de la seconde guerre mondiale. En l an 2000, Nations Unies fixaient ensemble 8 Objectifs communs pour le développement. C était un formidable pari. Dans quelques semaines, la Conférence de Rio+ 20, peut jeter les bases d un nouveau modèle de développement. L Algérie, avec son immense potentiel d énergie solaire, peut être à la pointe de ces nouvelles énergies. Le monde bouillonne. Pour décrire cet élan, j ai parlé d un nouvel humanisme. Partout dans mes visites à travers le monde je suis encouragée par les idées de la jeunesse, par ces voix qui s élèvent pour la justice et la paix. L Algérie fait partie de ces voix, elle a ce souffle dont parle Mohammed Dib, dans son poème «sur la terre, errante» : Etrange est mon pays où tant de souffles se libèrent ( ) Moi qui parle, Algérie, DG/2012/055 - Page 6

7 Peut-être ne suis-je que la plus banale de tes femmes Mais ma voix ne s arrêtera pas De héler plaines et montagnes. Je souhaite que l Algérie continue de se réformer en vue de construire une société plus équitable, plus prospère, dans le respect de l égalité entre les hommes et femmes, entre les générations, dans le respect des droits humains. Cette ambition requiert la participation de chacun, et je suis venue dire ici que pour sa part, l UNESCO mettra tout en œuvre pour accompagner sur l Algérie dans la voie qu elle s est choisie, celle d une société moderne qui veut prendre la place qui lui revient dans le concert des Nations. Je vous remercie. DG/2012/055 - Page 7