Les Rencontres Économiques d Aix-en-Provence. Investir pour inventer demain. Session 15 La spéculation, ennemie de l investissement?
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- Émilie Marion
- il y a 8 ans
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1 Les Rencontres Économiques d Aix-en-Provence Investir pour inventer demain Session 15 La spéculation, ennemie de l investissement? Susan Wolburgh Jenah Présidente et chef de la direction 5 juillet 2014 Le discours prononcé fait foi.
2 Cette 14 e session des Rencontres Économiques d Aix-en-Provence a pour ambition de «soutenir une dynamique mondiale qui, aujourd hui, fait le choix de l investissement». Le thème de cette session, «La spéculation, ennemie de l investissement?», est des plus pertinents. Je développerai ce sujet à la lumière des changements radicaux qu a connus la structure des marchés partout dans le monde ces dernières années, des incitatifs qui dictent les comportements des marchés (par exemple les droits «teneur-preneur», la prolifération des types d ordres et la rémunération des courtiers qui acheminent les ordres, entre autres), des investissements sans précédent en technologie et de la complexité croissante qui découle de tous ces facteurs. Mais avant toute chose, parlons un peu du contexte. Depuis une décennie, voire plus, les marchés des capitaux ont connu des changements de très grande ampleur et sans précédent. Au Canada, par exemple, nous avons maintenant quatre bourses et neuf plateformes de négociation parallèles, dont plusieurs marchés opaques. Aux États-Unis, il existe environ 13 bourses, 45 marchés opaques et pas moins de 200 plateformes d internalisation des transactions par les courtiers. On estime qu environ 40 % de toutes les transactions boursières aux États-Unis sont exécutées «hors bourse». Que signifient ces changements? La concurrence, l innovation, le progrès technologique et la vitesse de négociation elle-même ont créé des occasions de profit pour certains participants et ont réduit les écarts pour les investisseurs de détail (qui profitent par exemple de meilleurs prix), mais ils comportent aussi une foule de défis et de conséquences imprévues. La cause première de bon nombre des changements observés sur nos marchés est la démutualisation des bourses. Cela a donné naissance à des sociétés ouvertes, à but lucratif, qui ont l obligation fiduciaire de maximiser les profits pour leurs actionnaires tout en devant 1
3 concurrencer pour la première fois de nouveaux venus sur le marché. Ces entités à but lucratif ont remplacé les anciens monopoles boursiers. Elles fonctionnent comme des entités commerciales ce qu elles sont et non plus comme des services d utilité publique ce qu elles étaient autrefois. Les marchés boursiers sont devenus de plus en plus complexes en raison de l avènement des marchés multiples, de la décimalisation et de la négociation électronique. Ces évolutions ont été présentées comme des «innovations» qui favoriseraient une plus grande concurrence, élimineraient les monopoles, amélioreraient la liquidité et réduiraient les écarts pour les investisseurs. Certes, certains de ces changements se sont déroulés comme prévu. Cependant, la fragmentation des marchés, la décimalisation et la négociation électronique ont également créé un contexte qui a permis à la négociation à haute vitesse (NHV) systémique de se développer. Certains décrivent les négociateurs à haute vitesse d aujourd hui comme les spéculateurs sur séance d hier à la différence qu ils sont plus rapides et plus efficaces et qu ils font davantage de profits. Pour revenir à la question de savoir si la spéculation est l ennemie de l investissement, il ne faut pas oublier que la spéculation a toujours été présente sur les marchés. La spéculation n est pas nécessairement l ennemie de l investissement. C est une forme d investissement axée sur les résultats à court terme. Les négociateurs à haute vitesse, comme les spéculateurs sur séance d antan, ont pour but de détenir, à la fin d un jour de bourse, une position nulle sur le plan directionnel. Autrement dit, de négocier abondamment tout au long de la séance, de rentabiliser chaque transaction mais de finir la séance sans exposition directionnelle. 2
4 Le marché compte divers participants : émetteurs, investisseurs à long terme, fournisseurs de liquidité à court terme, teneurs de marché désignés, opérateurs en couverture et arbitragistes. Chaque participant a ses propres motivations et poursuit ses propres intérêts. Les autorités de réglementation ne peuvent pas et ne doivent pas tenter de réglementer les «motifs». Cependant, nous devons nous efforcer de repérer les comportements des marchés ou les «résultats» qui sont manipulateurs, abusifs et prédateurs. Récemment, le procureur général de l État de New York a déposé des accusations de fraude contre Barclays, qui aurait prétendu que les investisseurs sur sa place de marché opaque étaient protégés contre les pratiques de négociation prédatrices, ce qui n était pas le cas, et faussement déclaré que la concentration de la NHV sur son marché opaque était beaucoup plus faible qu elle ne l était en réalité. Dans le sillage de ces allégations, la pression s accroît sur les marchés opaques aux États-Unis (qui représentent environ 15 % des transactions hors bourse totales) pour qu ils fassent preuve d une plus grande transparence dans leur fonctionnement et dans leur traitement des transactions et des ordres. Au Canada, l Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont mis en place un cadre de réglementation des marchés opaques qui exige que les ordres invisibles fournissent une amélioration significative du cours et que les ordres visibles aient priorité sur les ordres invisibles affichant le même cours. Le volume des transactions hors bourse exécutées sur les marchés opaques reste faible, représentant moins de 5 % de l ensemble des opérations sur titres de capitaux propre. Depuis plusieurs années, l OCRCVM publie de l information sur la valeur, le volume et le nombre des titres négociés sur chacun des marchés boursiers canadiens, y compris les marchés 3
5 opaques. Par rapport aux États-Unis, les autorités en valeurs mobilières exigent davantage de transparence quant au fonctionnement des marchés opaques. L interdiction pure et simple des marchés opaques est difficilement envisageable. L obligation d une plus grande transparence est à mon avis indispensable à leur survie, ainsi qu à l amélioration de la confiance dans la structure des marchés. Si les investisseurs institutionnels prennent davantage conscience des risques potentiels posés par les divers marchés opaques, ils pourront «voter avec leurs pieds» pour imposer les changements nécessaires. Mais les autorités de réglementation doivent exiger un certain niveau de transparence pour que ces changements aient lieu. Cela me rappelle l adage «Ce que vous voyez, c est ce que vous allez avoir; ce que vous ne voyez pas, c est ce qui risque de vous avoir.» Lorsque la confiance des investisseurs dans l équité et l intégrité des marchés est ébranlée, comme c est le cas aujourd hui, cela devrait tous nous inquiéter. L étude réalisée par le CFA Institute et Edelman Investor Trust en 2013 révèle que le secteur des services financiers est celui qui inspire le moins confiance aux investisseurs interrogés : seulement 52 % d entre eux estiment qu il fait ce qui est juste. Ce qui est encore plus préoccupant, c est qu à peine 19 % des investisseurs sont tout à fait d accord pour dire qu un investissement sur les marchés des capitaux leur offre une occasion équitable de s enrichir. Cinquante-deux pour cent des 68 investisseurs mondiaux interrogés dans le cadre de l enquête de Principal Global Investors en 2014 (qui représentent un actif géré total de milliards de dollars) pensent que la NHV a une incidence négative sur l efficacité du marché, alors que 19 % pensent le contraire. «L investissement est perçu comme une pratique dans laquelle le gagnant n est pas celui qui a les meilleures idées, mais celui qui peut devancer les autres parce qu il a la technologie la plus rapide.» En fait, une grande partie de la «liquidité» fournie aujourd hui sur les marchés boursiers provient des stratégies de négociation algorithmique employées par les intermédiaires 4
6 traditionnels et les sociétés de négociation électronique à haute vitesse qui n «investissent» pas dans les titres d un émetteur au sens traditionnel. À la vérité, ils se soucient peu de savoir quels titres ils négocient, car cela n a pour ainsi dire aucune influence sur leur succès. Cette nouvelle réalité nous pousse à nous poser les questions suivantes : La «liquidité» fournie est-elle bien réelle ou s agit-il d une liquidité fantôme? Pourquoi y a-t-il autant d ordres «passagers» plus de 90 % étant annulés avant de pouvoir faire l objet d une exécution? Le marché est-il devenu plus favorable aux négociateurs qu aux investisseurs? Comment le rôle et le fonctionnement des bourses ont-ils évolué? Les solutions commerciales et le secteur privé peuvent-ils jouer un rôle dans la promotion de l investissement à long terme et de l infrastructure nécessaire pour l appuyer (par exemple la bourse IEX aux États-Unis et le projet de bourse Aequitas au Canada)? L innovation technologique a-t-elle évolué plus vite que les systèmes de surveillance et d encadrement des marchés, au détriment des investisseurs? Toutes les activités de négociation à haute vitesse sont-elles mauvaises ou prédatrices? Non. Le fait que certaines stratégies de NHV et certains négociateurs à haute vitesse fournissent une liquidité essentielle est généralement admis et compris. La tenue de marché «engagée» (telle que la pratiquaient les teneurs de marché d antan) et l arbitrage font partie de ces stratégies. Et ces stratégies sont sans doute devenues plus efficaces et systémiques grâce aux investissements et au progrès technologique. Mais la tenue de marché «engagée» exige que l engagement existe durant les périodes de tension sur les marchés qu il vise tous les types de titres, et pas seulement les titres les plus liquides, pour lesquels une intermédiation excessive est inutile, voire préjudiciable, parce qu elle crée des barrières et un «bruit de fond» superflus entre un acheteur et un vendeur consentants. Les stratégies de négociation prédatrices qui doivent nous inquiéter sont celles qui mettent à profit la vitesse et l accès privilégié aux données sur le marché, la co-implantation, ainsi que les 5
7 types d ordres spéciaux qui ne profitent qu à leurs auteurs, ou qui leur permettent d obtenir, de traiter et d utiliser l information avant les autres. Les personnes qui offrent et exploitent ces avantages justifient le recours à ces techniques et pratiques en se référant à celles qui ont toujours existé (j en ai déjà entendu citer l exemple des pigeons voyageurs dans ce contexte). Et pourtant, si nous perdons de vue la raison pour laquelle les marchés existent et négligeons l impact de la nature systémique réelle ou perçue de ces pratiques sur la confiance des investisseurs, nous risquons sérieusement de mettre en péril les fondements mêmes de l équité et de l intégrité des marchés : accès équitable, transparence, liquidité et formation des cours efficace. Pour que les marchés soient robustes et efficaces, tous les participants (émetteurs, investisseurs et négociateurs) doivent être assurés qu il existe un bon équilibre entre les participants, que certains participants ne jouissent pas d avantages particuliers par rapport aux autres, et que leurs besoins variés peuvent être satisfaits. Cela m amène à la question de la vocation première des marchés et des personnes qu ils sont censés servir. La vocation des bourses de valeurs était, à l origine, de réunir les émetteurs et les investisseurs et de répartir les capitaux provenant des fournisseurs entre les utilisateurs de la manière la plus efficace, transparente et équitable possible. Les investisseurs à long terme sont des acteurs essentiels de nos marchés. Ils placent leurs capitaux dans des sociétés et leur permettent ainsi de croître, de recruter du personnel et de contribuer à l expansion économique. Les sociétés dotées d un potentiel d innovation et de développement recourent aux marchés publics pour obtenir les capitaux dont elles ont besoin pour embaucher, faire croître leurs activités et contribuer à la prospérité économique. 6
8 Depuis la crise financière mondiale se déroule un débat plus général opposant «courttermisme» et «long-termisme». Le gouverneur de la Banque d Angleterre a récemment prononcé un discours intitulé «Inclusive capitalism: creating a sense of the systemic». «Nous devons renforcer la confiance dans l intégrité des marchés tout en favorisant une réelle concurrence afin de veiller à répondre de manière efficace et satisfaisante aux besoins des clients finaux», a-t-il souligné. L idée que le capitalisme financier ne doit pas être considéré comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de promouvoir l investissement, l innovation, la croissance et la prospérité économique, est essentiellement un appel en faveur d un capitalisme qui servirait l économie au sens large. Dans son rapport de 2011 intitulé «Fostering Long-term Investment and Economic Growth», l OCDE indique que les marchés financiers ont besoin d investisseurs possédant divers points de vue et provenant de divers horizons, et que les spéculateurs jouent, de fait, un rôle important. Cependant, il est probable que ce sont les investisseurs à long terme qui ont un effet stabilisateur sur les marchés. En conclusion, la spéculation n est pas nécessairement l ennemie de l investissement, et les marchés dynamiques et sains ont besoin d une combinaison diversifiée de participants. Cependant, c est la vision et les incitatifs à court terme (liés à la rémunération ou autres), de même que les pratiques d affaires et les comportements insoutenables, qui ont causé la crise financière mondiale. 7
9 Dans ce contexte général, les marchés des capitaux souffrent d une crise de confiance lorsqu ils donnent l impression de privilégier les intérêts des négociateurs à court terme au détriment de ceux des investisseurs à long terme. Le vrai défi, c est de s assurer que les incitatifs sont suffisamment équilibrés et alignés pour favoriser l investissement à long terme et la confiance dans l équité et l intégrité de nos marchés, pour le bien de tous les participants. 8
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