Louis X le Hutin a-t-il vraiment émis le denier tournois à la croisette?

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1 Louis X le Hutin a-t-il vraiment émis le denier tournois à la croisette? La numismatique a ceci de passionnant que pour certaines périodes, rien n est jamais figé. Et certaines monnaies fournissent à cet égard un passionnant prétexte pour voyager dans le temps et jouer les détectives. Prenons ainsi l exemple du denier tournois dit à la croisette. Denier tournois ludovicien à la croisette A/ LVDOVICVS REX R/ TVRONVS CIVIS Exemplaire Vente 1 Inumis du 25 mars lot 481 Nombre d exemplaires recensés : 8 De style très classique mais ayant comme différent une croisette à l avers comme au revers, certains l attribuent à Louis IX ; d autres le renvoie au règne de Louis X, premier fils de Philippe le Bel (émission de mai 1315). Sous réserve d un recensement plus poussé, huit exemplaires peuvent être assurément identifiés: un dans la collection privée d un membre du Numis-club du Nord, trois vus en vente aux enchères ou en musées, un dans la collection Marcheville, un autre dans la collection Grierson, et deux illustrant chacun un article de M. Cl. Jacqueline. Cette attribution à Louis X est également référencée sous le n 240 du Ciani ; ce renvoi se basant principalement sur un effet de rareté. Mais cette dernière peut être de différents ordres pour l époque : règne court, atelier de second ordre ou temporaire, émission tardive, etc.

2 A ce niveau, notre denier entre directement en relation avec le dessin du Ciani et du Hoffmann, mais illustrant un double tournois ; monnaie non retrouvée et comme le fait remarqué M. Jacqueline «absent de nos ouvrages et bulletins numismatiques récents» au point que l on puisse s interroger sur la vraisemblance de son existence. Il «reste un des fantômes de certains chapitres traitant des monnaies du Moyen-âge». Dans toute la suite de deniers tournois de Philippe IV le Bel, il ne se trouve jusqu à présent aucun exemplaire présentant cette marque comme différent. Ce qui est suffisamment probant au vu de la production très importante et du nombre conséquent d exemplaires retrouvés pour affirmer que ce roi n a pas connu l émission d un type à la croisette ; même si nous avons de nombreux Gros tournois au L de PhILIPPVS qui soit bidenté, et ayant une croisette avant REX. Q ui dit denier tournois, dit aussi généralement obole tournois, sa divisionnaire. Et de fait, notre type possède sa monnaie d appoint. Obole tournoise ludovicienne à la croisette A/ LVDOVICVS REX R/ TVRONVS CIVIS Collection privée d un membre du Numis-club du Nord Nombre d exemplaires recensés : 1 Cette très rare divisionnaire présente le même style classique, le N boulleté à TVRONVS, une croisette séparative tant à l avers qu au revers. Elle arbore également ce différent à la fin de ses légendes. On retrouve donc quatre fois la croisette sur cette obole contre deux fois pour le denier. Bien que le nombre de différents ne soit pas identique, l obole et le denier peuvent être selon toute vraisemblance reliés au même règne.

3 Acet instant, et malgré le style très classique tant du dernier que de l obole, l attribution à Louis X ne semble pas devoir être remise en cause. Néanmoins, c est de deux autres deniers (l un parisis et l autre tournois) que vient le débat ; exemplaires, recensés respectivement à la vente Alde du 26 octobre 2015 et à la bourse numismatique de Lille de novembre 2014, qui au-delà de rendre à César ce qui appartient à César, réattribueraient à Louis IX ce qui ne relève pas de Louis X. Denier parisis ludovicien à la croisette A/ LVDOVICVS REX R/ PARISII CIVIS Exemplaire Vente Alde du 26 octobre 2015 (lot 13) - Provenance : Monnaies et Médailles, Bâle, 1974 Nombre d exemplaires recensés : 1 Ce très rare denier parisis ne peut être attribué à Louis X ; les tout aussi confidentiels exemplaires pour ce dernier possédant un P oncial, des I classiques et non composés de l adjonction par la pointe de deux triangles ; par ailleurs PARISII y est inscrit PARISIVS. En revanche, il peut relever du règne Louis VIII ou du début de celui de Louis IX ; même si selon J. Lafaurie, ce type serait plutôt de Louis VII. Quoiqu il en soit, ce denier vient compléter la gamme monétaire dite à la croisette qui se compose désormais du denier parisis, du denier tournois et de l obole tournois. On pourrait néanmoins objecter que si le denier parisis aux croisettes n a pas été émis sous Louis X, rien n empêche que le denier tournois et l obole tournois relève de son règne ; et ce afin de récupérer le prestige de son aïeul par l émission de monnaies de même facture. La première objection à ceci serait néanmoins le nombre de monnaies à la croisette retrouvé pour Louis IX ; trop confidentiel en effet pour que l on réutilise ce différent comme signe officiel sous Louis X afin que les utilisateurs y reconnaissent une quelconque ressemblance avec les monnaies du bon roi Louis IX, devenu dans l intervalle Saint-Louis. Aussi, il faut bien en conclure que monnaies parisis et tournois dites aux croisettes sont contemporaines les unes des autres et ont été frappées sous le même règne.

4 La seconde objection est l existence de monnaies philipiennes à un P (frappées donc sous Philippe III car elles ne peuvent être considérées comme fautées par omission d un éventuel second P) et arborant ce différent. Or nous avons vu supra qu aucun denier retrouvé au nom de Philippe IV le Bel ne possède de croisette. Si on laissait cette pièce à Louis X, il faudrait trouver une raison pour justifier l absence d émission pendant tout le règne de Philippe IV le Bel vu qu on a des deniers à un P. Dans son article de 1998, M. Jacqueline précisait que Philippe III (fils de Louis IX) ne semblait pas avoir émis ce type de denier puisque reprenant généralement les différents utilisés par son père. C était là un argument supplémentaire en faveur de l attribution du denier à la croisette à Louis X. Mais en numismatique comme en science, il faut des preuves irréfutables pour accréditer une affirmation. L auteur avait donc raison d être prudent. Denier tounois philippien à la croisette A/ PhILIPVS REX R/ TVRONVS CIVIS Collection privée d un membre du Numis-club du nord Nombre d exemplaires vus : 6 Cette monnaie peut être sans conteste attribuée à Philippe III, fils de Louis IX au vu de sa titulature à un seul P, de son style classique, de son N boulleté à TVRONVS, du triangle entre PhILIPVS et REX comme sur d autres exemplaires de ce roi. La spécificité de l exemplaire illustré relève dans le différent final à l avers comme au revers, à savoir une croisette. Le denier ayant dans sa légende la séquence CIVIS et non CIVI confirme l attribution à Philippe III et non Philippe II. Le descriptif de cet exemplaire (même si la croisette est finale et non intermédiaire) est suffisant pour remettre en doute l attribution de la croisette à une émission de Louis X, et permet ainsi de relier les règnes de Louis IX et de Philippe III. Un déclassement au règne de Louis IX permettrait en effet

5 d avoir concomitamment pour le système tournois un denier et une obole pour Louis IX, et un denier pour Philippe III. Le tout accompagné par la monnaie parisis. Quel atelier? L atelier d émission est de fait vraisemblablement situé en zone parisis et de très faible rayonnement. Il pourrait daté d avant l avènement du Gros tournois vu que ce dernier n arbore jamais de croisette, mais l existence de deniers philipiens avec ce différent doit faire opter pour une datation plus tardive et/ou pour un atelier n ayant pas obtenu un bail de frappe de Gros. La rareté des trouvailles entraîne la recherche vers un atelier à la production plus confidentielle ou aléatoire comme celui de Saint-Gengoux par exemple (aujourd hui Saint-Gengoux-le-National) ; atelier remonté par J. Duplessy qui n aurait plus fonctionné après 1281, mais que J. Lafaurie ne mentionne pas pour Louis IX. En outre, un tel atelier s il a connu une frappe royale n a pas dû émettre plus de deux ou trois ans, du fait de la proximité de l abbaye de Cluny et de ses privilèges en la matière. Il faudrait donc trouver un atelier royal a priori sis en zone parisis, de faible importance mais ayant frappé des deniers parisis au type parisii et à la titulature LVDOVICVS, des deniers et oboles tournois à la titulature LVDOVICVS, et des deniers tournois de Philippe III. Sauf bien sûr à avoir deux ateliers avec un maître des monnaies commun. Autre hypothèse enfin, un atelier avec un maître des monnaies ayant frappé sous la fin de Louis IX et le début de Philippe III et ayant cessé pour diverse raison (décès, fermeture, etc) son activité. L usage du différent cessant avec lui. Yannick DIEVAL Bibliographie A propos des double et dernier tournois du roi Louis X le Hutin, Claude Jacqueline in numismatique & change n 286 septembre 1998, p29-30 Le 800ème anniversaire de Saint-Louis - Claude Jacqueline in numismatique & change n 457 mai 2014, p42-44 Les monnaies royales françaises de Hugues Capet à Louis XVI Louis Ciani Les monnaies françaises royales Jean Duplessy vol. 1 Les monnaies des rois de France Hugues Capet à Louis XII Jean Lafaurie vol. I L atelier monétaire de Saint-Gengoux-le-Royale H. Petit BSFN mai 1997 p75-78