Batisol, une entreprise s engage en faveur de la diversité.



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Transcription:

Batisol, une entreprise s engage en faveur de la diversité. «Au début, je ne parlais pas français, j ai appris petit à petit au travail. Ici on peut suivre des stages et des formations, c est bien, on apprend des choses et on peut évoluer.» Manuk Sarkisian, carreleur.

Que peuvent avoir de particulier une PME du bâtiment, comme Batisol, et un chef d entreprise, comme Michel Droin, pour faire l objet d un livre? Apparemment rien! Il y a cependant une piste à suivre : Michel Droin «fait dans la diversité». Une démarche qui relève, selon lui, d une bonne gestion et d un bon management. En tant que chef d entreprise, c est l intérêt de Batisol qui compte. Un intérêt qui passe par la compétence professionnelle de ses salariés qu il va chercher là où elle se trouve. D une certaine manière, Michel Droin s est investi dans la diversité sans le vouloir comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Il y a aussi, certainement, une histoire personnelle, une conviction humaniste. Mais elle n a pas d affichage militant ou compassionnel. Tout au long de son patient cheminement, Michel Droin a appris à contrebalancer le poids des représentations et des discriminations qui empêchent l égalité de traitement entre les personnes et entravent la diversité. C est cette expérience que ce livre retrace. Un livre qui n a pas vocation à dire : «regardez la belle expérience exceptionnelle et exemplaire que voilà!». Au contraire, il apporte le témoignage qu une entreprise, même petite, peut décider de s engager pour la diversité et dans la lutte contre les discriminations. Sommaire La diversité dans l entreprise Une question comme un nom propre Une expérience modélisable P.5 P.8 P.11 Bruno Sulli Directeur régional Poitou-Charentes de l AcsE Que dit la loi? S engager en faveur de la diversité P.27 P.33

La diversité dans l entreprise Aujourd hui, il n est pas un territoire qui n organise ses assises de la lutte contre les discriminations ou ses débats publics en faveur de la diversité. Pour les promoteurs de ces manifestations, trois questions se posent toujours. D abord, une question d étiquette, quel ministre, secrétaire d état, directeur d administration, président d organisation patronale fera l ouverture et la clôture de la rencontre? Cette question a de multiples implications : logos sur les affiches, ordre protocolaire dans les invitations, mise en valeur de la contribution des uns et des autres. Une fois tranchés les problèmes de préséance, une autre question, de style cette fois, se pose : quel consultant ou universitaire introduira les concepts et les éléments juridiques? Faut-il choisir le style flamboyant, véhément, concret, académique? Le discours du droit, de la sociologie, de l économie, du management? Enfin, se présente la question pragmatique : quels chefs d entreprises solliciter pour témoigner de l intérêt d une politique de la diversité? Les institutions et les consultants, c est utile mais pour convaincre, rien ne vaut une parole sans intermédiaire, entre pairs et cela, même les institutions et les consultants en conviennent. Voilà donc, l heure de former la mal-nommée «table ronde» qui est toujours supposée être le point d orgue de la rencontre. Peu importe que la table en question soit souvent rectangulaire ou carré, il s agit d éviter le ronron ou de tourner en rond. Dans la circonstance, toutes les idées sont bienvenues. Bien sûr, il est possible de recourir au monsieur ou madame Diversité d une grande entreprise mais ne serait-il pas plus efficace d inviter un dirigeant de PME, dans un secteur supposé discriminatoire ou sur un territoire «reculé»? Un dirigeant qui aurait fait des choses concrètes, simples à expliquer et qui donnerait envie à ses collègues de s y mettre. En général, les idées ne se bousculent pas... jusqu au moment où quelqu un suggère : «il y aurait bien Michel Droin. Un chef d entreprise du bâtiment, en Poitou-Charentes, qui a recruté des femmes, des étrangers et a formé ses équipes à la lutte contre les discriminations.» L idée parait presque trop belle. On s interroge : «et il se déplacerait pour notre séminaire?» «Pourquoi pas? Michel Droin est généralement partant pour partager son expérience!» «il y aurait bien Michel Droin. Un chef d entreprise du bâtiment, en Poitou-Charentes, qui a recruté des femmes, des étrangers et a formé ses équipes à la lutte contre les discriminations.»

Voilà comment Michel Droin est devenu un bon client pour les débats sur la diversité. Il faut admettre que beaucoup d éléments jouent en sa faveur : un physique qui en impose sur les tribunes, un tempérament franc et direct, une capacité à dire les choses comme elles sont, sans langue de bois. Pour avoir participé à ses côtés à un séminaire sur les discriminations dans l emploi, Myriam Bernard, responsable du pôle intégration et lutte contre les discriminations de l Agence nationale de cohésion sociale (ACSE) voit immédiatement l intérêt de faire connaître plus largement l expérience de Batisol et de Michel Droin. Elle estime nécessaire de disposer d exemples de bonnes pratiques et d entreprises innovantes afin de faire «boule de neige» et d essaimer sur l ensemble du territoire. L idée de ce fascicule nait ainsi, progressivement. Il reçoit le soutien de différents partenaires, prêts à contribuer à sa réalisation. Au fur et à mesure, le contenu se dessine : portrait d entrepreneur, recueil de témoignages, retour d expériences, guide pratique pour les PME-PMI C est dans ce contexte que Aleteya* est sollicité pour concevoir et écrire le document mais il pose une condition : le droit d être critique et de pointer les limites de l expérience. Pas question pour lui de se transformer en agence de publicité! Sa demande est immédiatement acceptée. Autorisation de critiquer, donc. Mais, rapidement, il comprend qu il ne faudra compter que sur lui-même pour la critique. Salariés, sous-préfet, élus du territoire, institutions, clients et même, concurrents : tous sont unanimes pour saluer Batisol et Michel Droin. Pas l ombre d une réserve au cours des entretiens! C est, donc, d une expérience réussie qu il faut témoigner. Dans ce contexte, l avertissement s impose comme évidence: ceci n est pas un publi-reportage. C est, donc, d une expérience réussie Finalement, la diversité s e pilote comme un ballon... A l occasion, Michel Droin, le dirigeant de Batisol, vous proposera peut-être de faire un tour en montgolfière. La montgolfière constitue une des passions qui le mènent dans de nombreux championnats en France ou à l étranger. D ailleurs, le logo de Batisol une montgolfière survolant des carreaux en damier - montre à l envie que passion professionnelle et passion personnelle peuvent être conciliées. L analogie entre la pratique de la montgolfière et la politique de diversité de Batisol n est pas fortuite. Pour élever le ballon dans les airs, il faut chauffer pour faire monter la température intérieure, de même que la pression. Pour descendre, il faut actionner une soupape qui permet de libérer de l air chaud. C est de la bonne gestion de ces deux actions opposées que le vol du ballon s équilibre. Finalement, la diversité se pilote comme un ballon. Le fait de libérer ou de mettre la pression sur les représentations et les préjugés racistes ou sexistes permet à l entreprise de trouver son équilibre. Pour contrôler sa croissance, la mise en œuvre d une gestion équitable des compétences permet de stabiliser les approches et de faire de chaque salarié un acteur de la lutte contre les discriminations. Il est parfois difficile de prévoir où peut vous conduire la montgolfière. Il est donc nécessaire pour le pilote du ballon d avoir des «partenaires» au sol qui assurent la base arrière. Au long de son action de prévention et de lutte contre les discriminations, Batisol a également trouvé des partenaires, notamment l Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances, la direction départementale du travail ou Sunergeia. qu il faut témoigner. *Cabinet conseil en diversité

De nom propre, il en est rapidement question quand on interroge Michel Droin sur sa vision des choses: «à l école primaire, j ai eu un instituteur, Mohamed Chenouf. C était un bonhomme un peu rond, sympathique et captivant. Il nous disait qu il était arabe et qu il parlait arabe. En 1961, arrivé tout droit d Algérie, il était sûrement un cas unique pour Une question comme un nom propre une école publique dans cette région du Dauphiné. Cet homme, pour qui j ai toujours conservé un grand respect, a été le point de départ de quelque chose, une façon différente de regarder le monde.» Pourtant, Michel Droin n a rien du bon élève. Rebelle, un peu flemmard, il passe d un établissement à l autre, mobilisant ici une grève pour améliorer l ordinaire de la cantine, s occupant là-bas du foyer socioculturel du lycée. Sa scolarité se termine en fin de seconde, à Valence sur cette remarque du proviseur : «l enseignement qui lui est nécessaire n est pas dispensé dans cet établissement». Si ça ne s apprend pas au lycée, alors, où? Le travail s impose, précoce et dur, dans l agriculture. Après quelques mois, une autre rencontre, un autre nom propre. Monsieur Grandjean est éleveur et tondeur de mouton. Un homme comme Mohamed Chenouf, l instituteur, qui fait confiance et transmet ses connaissances. Michel se spécialise dans la tonte, Quand on évoque la diversité à Batisol, on associe immédiatement Michel Droin. L homme et l entreprise finissent par former une seule entité. Chacun affirme que c est lui, en personne, qui porte cet engagement de non-discrimination et de diversité dans sa PME. des cheveux longs et des rencontres avec les éleveurs dans les exploitations. On est payé à la pièce mais les revenus sont bons... surtout après avoir fini second au championnat de France de la tonte de mouton. Cette rémunération à la pièce, Michel saura s en souvenir puisqu il s interdit, par la suite, de payer ses carreleurs au rendement. «Sans Michel, jamais nous n aurions mené ces Nous sommes en 1977. Vient l heure du service national. La perspective de la coupe actions, affirme Françoise Garbet, assistante de direc- rase n emballe pas Michel qui opte pour une coopération dans une ferme d état tunisienne. tion, Il est vraiment à l origine de tout cela.» Ces 18 mois sont décisifs : «on arrive là bas avec ses convictions, elles s affrontent avec Wittgenstein écrit qu au commencement de tou- celles des autres et on essaye de se transformer.» Une rencontre importante : une femme, te chose, il y a le courage. Le courage, certainement, Frédérique Yana, originaire de Châtellerault, venue visiter des amis en Tunisie. Au retour de mais aussi la conviction intime d être dans la justesse. coopération, Michel partage la vie de cette femme et rejoint, en 1981, Solidéal l entreprise Ici comme ailleurs, la question de la diversité se ren- de son beau-père, Guy Yana. contre souvent comme un nom propre. s installe à son compte et sillonne la France pour proposer ses services. C est l époque Michel Droin devant les bureaux de Batisol, le 2 octobre 2007 Cet homme a été le point de départ de quelque chose... Mohamed Chenouf, instituteur de Michel Droin en 1961

Sur le carreau dans le carreau Pour Michel Droin, l aventure commence vraiment ici : «Mon beau-père était un juif pied noir né en Tunisie. Il s est formé sur le tas au bâtiment. Quand je l ai rencontré, il traversait une passe difficile en raison de la récession du bâtiment. Ses calculs de prix de revient étaient défectueux et il perdait régulièrement de l argent.» L entreprise dépose le bilan en 1983 et Michel obtient du tribunal de commerce la poursuite de l activité au travers de la société Batisol, qu il créé en 1984 avec trois collègues. Le redémarrage est difficile : perte de confiance des clients, échecs aux appels d offres... Le carnet de commandes est trop faible et des licenciements s imposent, Batisol est en passe de perdre son pari. 1989, Batisol refait surface grâce à la confiance de deux fournisseurs qui acceptent des délais de paiement. 1993, les comptes s équilibrent. L image de l entreprise s améliore et avec elle la notoriété de Michel Droin. Dans les années qui suivent, les sollicitations se font nombreuses pour assurer des mandats syndicaux professionnels dans la fédération du bâtiment. Un nouveau défi Une expérience modélisable En 2000, l entreprise est devenue prospère. A présent, les outils existent pour rationaliser la production : logiciel de devis, calcul de rentabilité, processus de réponses aux appels d offres. De nouvelles difficultés pointent à l horizon : comment répondre à la demande alors que la pénurie de main d œuvre et le vieillissement des ouvriers conduit Batisol à une mort lente? De plus, lors de recours aux intérimaires, un racisme latent dégrade le climat social. Ces ouvriers souvent d origine étrangère ne sont pas toujours considérés comme il conviendrait. Les chefs d équipes les jugent trop lent ou incompétent sans toujours apporter la preuve de leur dire. Une seule réponse pour Michel Droin : ne pas reculer et ouvrir les recrutements. Aux habitants de la Plaine d Ozon, par exemple, un quartier de Châtellerault à forte proportion d immigrés. Mais également aux femmes, aux jeunes... Ouvrir les recrutements, certes, mais aussi former, qualifier, professionnaliser pour ne rien perdre de la qualité reconnue à Batisol. 10 11

E t a p e 1 Une démarche globale Diversifier les recrutements pour faire face aux pénuries de main d œuvre Les questions En 2000, quand Batisol s engage dans la lutte contre les discriminations, les méthodologies étaient encore à construire. C est donc de manière assez empirique que Michel Droin s est engagé avec pour conviction que la prévention des discriminations pouvait palier efficacement ses difficultés de recrutement. - Quels sont les critères pertinents de recrutements? - Quelles procédures valorisent le potentiel des candidats plutôt que les acquis scolaires? - Comment faire évoluer les représentations des salariés de Batisol pour une meilleure intégration des nouveaux? En cours de route, Michel Droin a essuyé quelques échecs Certains salariés ont résisté à cette nouvelle manière d envisager le management de l entreprise Quelques personnes recrutées n ont pas réussi à s intégrer Mais, rétrospectivement, une étape après l autre, la conduite du changement s est révélée comme un pari réussi. Les réponses - Pour les ouvriers, le recrutement s opère par un temps de mise en pratique sur les chantiers. Ainsi, les chefs d équipe participent au recrutement en mesurant le potentiel de chaque candidat «sur pièces». - Pour les agents de maîtrise, le processus est davantage formalisé avec des entretiens et des tests de compétences. - Un travail spécifique est mis en place avec l AFPA et les intermédiaires de l emploi du territoire pour inciter les candidats potentiels à postuler. - Les nouveaux salariés sont recrutés en CDI afin de leur permettre de stabiliser leur situation personnelle. - Les intérimaires sont intégrés dans l entreprise quand les marchés le permettent. «Les mentalités ont changé. La nouvelle génération arrive à trouver chez l autre ce qui est professionnel. Chacun fait selon ses capacités. Le point de faiblesse pour les femmes ne porte que sur les aspects de manutention. J ai démontré que je pouvais faire le même travail qu un homme et gagner mon salaire.» Caroline Laparra, conductrice de travaux. 12 13

Saadâ Guendaz, métreuse chargée d études «Avant, je ne travaillais pas, à chaque fois que je cherchais du travail, je ne trouvais pas. Et pourtant je savais qu il y avait du travail, des possibilités. C est Batisol qui est venu nous chercher après une formation d un mois.» Hamid Badaoui, solier moquettiste. «Je suis entrée dans l entreprise le 1er septembre 2005. C est la seule entreprise qui m ait embauchée. Je suis en France depuis 6 ans et j ai fait mes études en Algérie. J ai un diplôme d état d ingénieur en génie civil qui est reconnu bac+5 en France. Auparavant, j ai cherché 3 ans sans trouver. J ai compris que c est parce que je suis une femme. Chez un topographe notamment, ma candidature n a pas été retenue et on a retenu un jeune homme. Je cumulais tous les défauts : je suis femme, arabe, étrangère, je n ai pas fait mes études en France. Batisol m a montré que j avais ma place et que l on avait besoin de moi.» Les questions E t a p e 2 Favoriser l intégration des nouveaux salariés - Comment vaincre les résistances des salariés déjà en poste devant de nouveaux collègues «atypiques» dans l entreprise? - Comment intégrer et professionnaliser les nouveaux salariés? - Comment palier à la non-maîtrise de la langue de certains salariés? Les limites Batisol n est pas une entreprise d insertion même si elle développe une politique ambitieuse dans ce domaine. L intégration de salariés, parfois loin de l emploi, peut créer des tensions dans les équipes en raison de la charge de travail supplémentaire qu elle demande à chacun. Chaque individu est porteur de représentations et de stéréotypes, notamment sur les rôles dévolus aux femmes et aux hommes. Ces représentations sont parfois très ancrées et demandent du temps pour évoluer. Or, une femme, par exemple, doit pouvoir prendre sa place rapidement, notamment quand elle a un rôle d encadrement, sans être mise à l épreuve pendant des mois. Les réponses - Une formation sur les discriminations est assurée par Monsieur Khalid Hamdani*, spécialiste de ces questions, pour l ensemble des salariés, y compris les intérimaires. - Agir sur les représentations par la preuve, notamment en matière de discrimination sexiste. - Un tutorat des nouveaux salariés par les anciens. Il est possible, parallèlement aux actions de lutte contre les discriminations de prévoir des actions en faveur de l intégration, notamment : - L aménagement de temps de formation à la langue française pour les salariés étrangers. Sébastien Cottier, solier-moquettiste. Une fois les recrutements diversifiés, il est nécessaire de faciliter l intégration dans l entreprise en veillant à développer la compétence de l ensemble des salariés avec une vigilance particulière pour les nouveaux intégrés. «Batisol est ouvert aux français et aux étrangers. C est bien. Il faudrait que d autres entreprises prennent l exemple. Travailler avec les femmes c est bien : on trouve peut-être plus de compréhension.» 14 * Membre du Haut Conseil à l Intégration 15

Manuk Sarkisian carreleur. Alain Viault, magasinier et responsable logistique. «Au début, je ne parlais pas français, j ai appris petit à petit au travail. Ici on peut suivre des stages et des formations, c est bien, on apprend des choses et on peut évoluer.» «La formation était très utile pour utiliser les bons mots, qualifier la discrimination et ne plus se voiler la face. Après la formation : il y a peu d écho, mais beaucoup de personnes y ont été sensibles. Tout le monde était convié même les intérimaires.» Les limites Par définition, une entreprise de bâtiment travaille sur des chantiers extérieurs. Dans ce contexte, il est parfois plus complexe de créer un collectif autour de valeurs communes. Dans la mesure où la non-discrimination est portée par Michel Droin comme un cadre «nonnégociable», il a parfois été nécessaire de passer en force, en imposant notamment une formation commune à l ensemble des salariés. «Faire un CDI pour un salarié qui est arménien et ne parle pas encore français, c est une prise de risque. Nous avons aménagé son temps de travail et il s est engagé à apprendre notre langue en deux ans. Recruter et intégrer sont les deux premières étapes mais les ruptures d égalité de traitement doivent être également prévenues dans la gestion du personnel. Françoise Garbet, assistante de direction. Les questions E t a p e 3 être un manager attentif à la responsabilité sociale, pérenniser la démarche - Comment s assurer que l investissement sur de nouvelles compétences soit prolongé dans le temps? - Comment résoudre les problèmes de racisme entre salariés au moment de l intégration de ressources intérimaires? - Comment créer un climat social favorable à l entreprise et à sa productivité? - Comment proposer des parcours stimulants et évolutifs au sein de l entreprise? Les réponses - De bonnes conditions salariales en termes de rémunération et d avantages professionnels (26 jours de RTT, entretien des vêtements professionnels, restauration dans des établissements référencés sans avancer les frais, véhicules de fonction ). - Des possibilités d évolution vers des fonctions d encadrement d équipes ou de promotion salariale qui prennent en compte les compétences. - Un plan de participation des salariés aux résultats de l entreprise. «Batisol est une entreprise en évolution. Elle nous aide, nous aussi, à évoluer. Rentré comme simple carreleur, je suis maintenant chef d équipe. L évolution est liée à la compétence» Dominique Loulier, chef d équipe carreleur. La formation des salariés de Batisol a été financée dans le cadre 16 du Pic EQUAL ACCEES Europe avec le soutien du Fond Social Européen 17

Les limites Au sein de Batisol, les pratiques RH ne sont pas réellement formalisées : pas d entretien «Au fond, nous annuel, pas de compte rendu de recrutement, pas de réunion des chefs d équipe. Chacun sommes, nous aussi, est centré sur la technique et la réalisation des chantiers. Cette absence de formalisme permet d engager rapidement les changements sans une structure lourde. Elle présente, néanmoins, le risque de fragiliser la prévention des discriminations en la faisant reposer sur la bonne volonté plutôt que sur des procédures et des outils stables. L engagement de Batisol suscite, localement, de l intérêt. Les sollicitations sont de plus en plus nombreuses. Marie-Ange Epin, secrétaire. sous les projecteurs. On profite de la notoriété. Tous ces articles donnent une bonne image de notre société.» «J ai été médiatisée par Batisol. Je l ai bien vécu car j étais fière d être un exemple pour d autres personnes. La télévision, les articles de journaux, les photos, les journalistes : cela donne des idées aux autres entreprises.» Saadâ Guendaz, métreuse chargée d études. E t a p e 4 Faire connaître l engagement de Batisol en faveur de la diversité «C est excellent pour notre image. Cela prouve que l on avance. Nous sommes perçus comme une entreprise très dynamique. Nous décrochons de nouveaux clients et des marchés publics.» Françoise Garbet, assistante de direction. Les questions - Comment faire connaître l engagement de Batisol afin d en faire un avantage concurrentiel et attirer les compétences? - Comment communiquer sur la diversité sans être confondu avec une entreprise d insertion? - Comment donner un sentiment de fierté aux salariés en valorisant l innovation sociale de l entreprise? Les réponses - Répondre aux sollicitations de la presse locale et des médias professionnels. - Participer aux colloques et séminaires organisés par les institutions. - Porter la diversité au sein des fédérations professionnelles du bâtiment et dans les instances patronales. Les limites La médiatisation de Batisol s opère souvent au travers de Michel Droin. Il peut y avoir un risque à cette focalisation sur le chef d entreprise. En effet, est-ce que les autres PME pourront mettre en œuvre des actions de prévention des discriminations si elles n ont pas un «Michel Droin» sous la main? Est-ce que Batisol poursuivra ces actions le jour où Michel Droin ne sera plus dirigeant de l entreprise? A mesure que la communication s intensifie autour de Batisol, il est nécessaire de l articuler avec les initiatives du territoire. C est aussi un moyen de ne plus faire dépendre l engagement du seul chef d entreprise mais, plus largement, d un réseau de partenaires. 18 19

E t a p e 5 Un travail en équipe construire des partenariats actifs sur le territoire «Je suis convaincu qu un travail comme celui que mène aujourd hui Batisol ne sera possible que sur des années. Il faut beaucoup de temps pour convaincre. Monsieur Droin est très sollicité et j y contribue. Nous avons la chance d avoir sur notre territoire une entreprise exemplaire qui mène une politique d ouverture totale.» Monsieur Curé, sous-préfet de Châtellerault. «Batisol est pour nous un levier très utile. Nous démontrons que les institutions publiques et le monde économique peuvent travailler ensemble, avec des objectifs communs et des méthodes partagées». Bruno Sulli, directeur régional de l ACSE * Les questions - Comment renforcer l identification de Batisol comme une entreprise locale, ouverte aux habitants du territoire? - Comment mieux travailler avec les institutions en charge de la lutte contre les discriminations? - Comment structurer les partenariats avec le Service Public de l Emploi et les organismes de formation du territoire? Les réponses - Associer les institutions, notamment l Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances, à toutes les étapes du processus. - Intégrer le PDD (Partenariat de développement) d un projet européen porté par Sunergeia qui œuvre sur le châtelleraudais. Les limites Les actions de partenariat nécessitent une certaine disponibilité et du temps passé à nouer des relations. Cet engagement à l externe n est pas toujours bien ressenti à l intérieur de l entreprise car il mobilise son dirigeant et l empêche, parfois, d être très présent sur le terrain. Comme nous l indiquions précédemment, Batisol travaille au cœur de son territoire, en partenariat avec des acteurs locaux. Parmi eux, Sunergeia déploie une action reconnue en faveur de la non-discrimination. Le rapprochement s est fait autour du projet européen ACCEES Europe auquel s associe Batisol. Le projet ACCEES Europe «Agir à Châtellerault contre l exclusion et pour l égalité socioprofessionnelle», dont Sunergeia est l animateur, souhaite favoriser l égalité de traitement et l insertion socioprofessionnelle des populations issues de l immigration sur le bassin châtelleraudais. Sunergeia travaille avec d autres partenaires : AFPA Nord-Vienne, Centre de vie sociale des Renardières, ADECCO, Batisol Plus, Snecma Services. Les partenaires financiers de ce projet sont : le FSE, la Région Poitou-Charentes, le Conseil Général et la préfecture de la Vienne, la Communauté d agglomération du pays châtelleraudais, l ACSE. La principale innovation de cette action est l implication des employeurs qui s inscrit dans une approche globale de la question de la discrimination raciale sur le territoire : comment faire évoluer les politiques de recrutement dans le respect de l égalité des chances en créant une synergie entre tous les acteurs - élus, intermédiaires de l emploi, entreprises et personnes potentiellement discriminées? Un partenariat transnational est développé avec des organismes de quatre états de l Union : Royaume Uni, Espagne, Lituanie et Allemagne. Dans ce cadre, Sunergeia a développé un outil de formation pour les entreprises basé sur un DVD d autoévaluation et d apprentissage sur la gestion de la diversité, pour les managers des entreprises. Cette formation intègre plusieurs modules : autodiagnostic interactif du processus RH protection du risque juridique, législation française et jurisprudence outils pratiques d objectivation du processus RH témoignage d employeurs issus de différents secteurs d activités qui expliquent les bénéfices liés à la promotion de la diversité promotion et gestion de la diversité ainsi que la diversification du sourcing. 20 21 *Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances

Lakhal Belahouel, intérimaire Sarah Métais, carreleuse Caroline Laparra, conductrice de travaux. Jean-Orlando Dos Santos, aide métreur Laurent Meunier, Anita Maillard, soliers moquettistes Rabah Elmir, carreleur. Alain Viault, magasinier et responsable logistique. Sébastien Cottier, solier moquettiste Dominique Loulier, carreleur Michaël Nunes, carreleur Michaël Descharles, carreleur Céline Tranchant, secrétaire comptable 22 23

Histoire & histoires... 1997 Lutte contre les discriminations 1947 1961-1963 Lutte contre les discriminations Signature du traité de Rome. Article 119 : «Chaque état membre assure l application du principe de l égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins pour un même travail» Michel Droin Signature du traité d Amsterdam. Article 13 : «Sans préjudice des autres dispositions du présent traité [ ] le Conseil, statuant à l unanimité sur proposition de la commission et après consultation du parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l origine ethniques, la religion ou les convictions, un handicap, l âge ou l orientation sexuelle.» Michel Droin Mandats syndicaux professionnels dans la Fédération Française du Bâtiment. 1963 1973 1977 1981 1983 1984 1989-1993 Monsieur Mohammed Chenouf est l instituteur de l école primaire. Entreprise Création de Solidéal. Michel Droin Fin de scolarité. Tondeur de mouton à son compte. Lutte contre les discriminations La Cour Européenne de Justice affirme dans l arrêt Defrenne/Sabena que l article 119 créé un droit individuel pour toutes les femmes en Europe Michel Droin Coopération en Tunisie dans une ferme d Etat. Michel Droin Rejoint l entreprise de son beau-père Lutte contre les discriminations Edith Cresson, maire de Châtellerault deviendra premier ministre en 1991. Entreprise Dépôt de bilan de Solidéal. Entreprise Poursuite de l activité initiale et développement du marché carrelage. Michel Droin Création de Batisol, en association avec trois collègues. Entreprise 1999 Entreprise Batisol met en œuvre les 35 heures avant même qu elles ne soient votées par le Parlement français. Michel Droin présente à 300 chefs d entreprise son dispositif d aménagement du temps de travail. 2000 Lutte contre les discriminations Publication des directives européennes RACE et Emploi. Elles prévoient le financement de projets européens de lutte contre les discriminations. Entreprise Vieillissement des ouvriers et pénurie de main-d œuvre. Batisol peine à répondre à la demande. 2001 Lutte contre les discriminations Vote le 16 novembre 2001 de la loi créant le délit de discrimination directe et indirecte. Entreprise Batisol s engage dans une action en faveur de la diversité et contre les discriminations, en ouvrant ses recrutements. 2005 Entreprise Batisol rejoint le partenariat du projet EQUAL ACCEES Europe, porté par Sunergeia. L ensemble des salariés de Batisol participe à une formation pour prévenir les discriminations, avec le soutien de l ACSE. L Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances organise les premières L entreprise refait surface et renoue avec les bénéfices. assises régionales de la Lutte contre les Discriminations en Poitou-Charentes. Arrivée de Loïc Chatillon, son beau-fils avec l objectif de prendre la succession de l entreprise. 24 25 2006 Michel Droin présente son action au cours des Assises Régionales de la lutte contre les discriminations. De nombreux articles sont consacrés à l expérience de Batisol. Entreprise

Que dit la loi?

Les mots pour le dire Discrimination La loi pour comprendre Par discrimination, on entend «toute différence de traitement illégale, fondée sur des critères interdits». Il reste possible de faire des différences, notamment en matière de recrutement, mais à la condition que ces différences soit autorisées (comme la formation, les savoir-faire, la compétence ). Ainsi, discriminer au motif du genre, de l origine réelle ou supposée, du patronyme constitue un délit. On distingue deux formes de discrimination : Directe : dans ce cas, l acte discriminatoire est intentionnel, délibéré. Exemple : «pas de femmes pour ce poste.» Indirecte : dans ce cas, la discrimination provient d un critère neutre en apparence qui discrimine une catégorie particulière. Exemple : réserver la mutuelle de l entreprise aux seuls salariés en CDI. Dès l origine, la non-discrimination est au cœur du projet européen. Déjà, le traité de Rome prévoit la libre circulation des travailleurs entre les pays signataires mais aussi une rémunération égale, à poste égal, des hommes et des femmes. Au fil du temps, la non-discrimination est devenue le principe supérieur de l ordre juridique européen. Cela signifie que lorsque des droits sont en concurrence, c est toujours la non-discrimination qui doit l emporter. Ainsi, la constitution française, les lois et les traités internationaux, garantissent au chef d entreprise une liberté de recrutement. Mais ce droit à choisir ne peut pas être en contradiction avec le principe de non-discrimination. Il en va de même pour toutes les libertés et droits garantis (liberté d expression, droit de propriété, droit d entreprendre ). égalité de traitement discrimination positive Par égalité de traitement, on entend les Par discrimination positive, on entend une politiques et les actions qui visent à assurer un mesure de rattrapage temporaire qui vise à pallier traitement égal à toutes les catégories dans une une inégalité constatée. Autorisée par les directives situation comparable. Elle se traduit, notamment, européennes, la discrimination positive est très encadrée. En France, la discrimination positive concer- par des critères de recrutement qui ne dépendent pas des candidats mais du poste à pourvoir. ne les territoires plutôt que les personnes (Zones Franches Urbaines, par exemple). Diversité Par diversité, on veut signifier que la société française est composée de femmes et d hommes avec des origines, des âges, des croyances différentes. Ces différences constituent une valeur positive et il est nécessaire pour l entreprise d être à l image de la société. La Charte de la Diversité, signée par 1600 entreprises, manifeste cet engagement de promotion de la diversité. Depuis 1997, c est l article 13 du traité d Amsterdam qui définit le rôle de l Union Européenne en matière de discrimination : «Sans préjudice des autres dispositions du présent traité [ ] le Conseil, statuant à l unanimité sur proposition de la commission et après consultation du Parlement Européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l âge ou l orientation sexuelle.» Les 27 pays de l Union Européenne mettent tous en œuvre les directives RACE et EM- PLOI adoptées en 2000. Ainsi, chaque pays membre dispose d une législation sanctionnant les discriminations directes et indirectes. Les approches sont sensiblement différentes d un pays européen à l autre. Les uns privilégient la sanction, d autres la promotion de la diversité ou des politiques de quotas mais le cadre juridique est commun. 28 29

1 2 3 Le raisonnement juridique En France, discriminer est un délit en raison de la loi n 2001-1066 du 16 novembre 2001. Le raisonnement juridique est simple à comprendre. Pour qu il y ait discrimination, trois conditions doivent être cumulées : Une différence de traitement dans une situation comparable Le raisonnement est toujours comparatif : on regardera pour un même poste si les critères de recrutement sont identiques pour tous les candidats. Un des trois champs d application de la loi L accès au droit. La fourniture d un bien ou d un service. La vie professionnelle. Attention, la vie professionnelle est entendue de manière très large dans la loi du 16 novembre 2001. Elle concerne le recrutement, la rémunération, la qualification, l accès à la formation, le licenciement Un des dix-sept critères interdits l origine réelle ou supposée, le patronyme, le genre, l âge, l apparence physique, l orientation sexuelle, le handicap, l état de santé, l engagement syndical, les opinions politiques, les croyances religieuses, les mœurs, l état de grossesse, le patrimoine génétique Les sanctions encourues Les personnes physiques comme les personnes morales peuvent être sanctionnées pour discrimination. Pour les personnes physiques : 3 ans de prison et 45 000 euros d amendes (articles 225-2 et 225-4 du code pénal). 5 ans et 75 000 euros d amendes lorsque le refus d accès ou de fourniture d un bien ou d un service a été commis dans un lieu accueillant du public. Peines complémentaires éventuelles (interdiction du droit d éligibilité pour 5 ans, affichage et diffusion de la décision ) Pour les personnes morales : 225 000 euros d amende. 375 000 euros en cas de refus discriminatoire de fournir un bien ou un service dans un lieu accueillant du public ou aux fins d en interdire l accès. Des peines complémentaires sont également prévues (placement sous surveillance judiciaire, interdiction d exercice de l activité professionnelle) L aménagement de la charge de la preuve La loi du 16 novembre prend en compte une jurisprudence issue de l Europe. Elle prévoit, au civil, l aménagement de la charge de la preuve. Cela signifie que, devant le conseil des prud hommes, le salarié devra présenter des éléments laissant supposer une discrimination directe ou indirecte. Ensuite, ce sera à l employeur de prouver qu il n a pas discriminé ou que sa différence de traitement est justifiée par des critères objectifs. L aménagement de la charge de la preuve a de nombreuses conséquences pour l entreprise, en l obligeant notamment à garder une trace écrite de ses recrutements, des critères qui ont décidé une augmentation de salaire ou un changement de poste Des compétences étendues pour l Inspection du Travail La loi du 16 novembre 2001 renforce les compétences de l Inspection du Travail qui peut exiger tous les documents lui permettant d apprécier une situation discriminatoire (annonce de recrutement, trame d entretiens, dossier individuel, entretien individuel d évaluation ). 30 31

La HALDE Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité Créée le 30 décembre 2004, la HALDE est un nouvel acteur de la prévention et de la lutte contre les discriminations. Elle dispose de nombreux moyens : Enquête sur les situations discriminatoires qui lui sont signalées ou dont elle se saisit. Médiation entre les parties qui le souhaitent. Transaction financière avec l auteur de discrimination. Promotion de l égalité et en particulier des bonnes pratiques. Tous les ans, la HALDE publie un rapport annuel accessible sur Internet. Par sa forme et ses exemples, ce rapport est un document très pédagogique. S engager en faveur de la diversité Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l égalité 11, rue Saint-Georges - 75009 Paris Tél : 08 1000 5000 www.halde.fr L ACSE Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances L ACSE a été créée par la loi de cohésion sociale. Reprenant les missions et les équipes du FASILD, elle a pour rôle de favoriser les actions de cohésion sociale et notamment l intégration des populations immigrées ou supposées telles. En charge de la lutte contre les discriminations, l ACSE a une action territorialisée puisqu elle s appuie sur des directions régionales dont on peut trouver les coordonnées sur le site Internet de l agence. Agence Nationale POUR LA Cohésion Sociale Et l Egalité des Chances 209, rue de Bercy - 75585 Paris cedex 12 Tél : 01 40 02 77 11 www.lacse.fr 32

E t a p e 1 Se poser quelques questions C h e f s d e n t r e p r i s e Comment engager l action? La politique de non-discrimination de Batisol s affirme comme une réussite humaine et économique qui méritait ce récit. Aujourd hui, l enjeu est de faire connaître cette expérience mais aussi de susciter le désir d agir dans les PME. Les politiques de diversité ne sont pas la seule question des grandes entreprises. En tant que chef d entreprise, si vous n envisagez pas de mettre en place un diagnostic sur la diversité (les diagnostics sont toutefois recommandés car ils permettent d avoir un regard extérieur), vous pouvez vous poser des questions en lien avec le développement de vos activités : Quels sont mes atouts, mes points faibles, mes valeurs? Est-ce que l entreprise rencontre des difficultés dans son recrutement, y a-t-il une pénurie de main d œuvre dans les métiers qui sont les siens? Qui sont mes clients et où sont les nouveaux marchés? Mes salariés sont-ils diversifiés, mon entreprise reflète-t-elle la diversité de son environnement sans restrictions liées notamment, à l âge, au sexe ou à l origine? Suis-je réellement bien informé sur les lois d égalité et de non discrimination et est-ce que je perçois ces lois comme une opportunité ou une contrainte? Alors, comment engager l action? Par où commencer? Il n y a pas de recette magique! Chaque entrée est valable en fonction du contexte de votre propre entreprise. E t a p e 2 s engager Votre engagement en faveur de la diversité une fois pris, doit être communiqué à tous vos salariés. Si vous voulez réussir le changement, vous ne pouvez le faire seul. Vous pouvez aussi le communiquer à vos clients, fournisseurs, prestataires, partenaires et votre environnement institutionnel et politique. Vous gagnez ainsi en réputation et vous attirez de nouveaux marchés/clients. 34 35

E t a p e 3 E t a p e 4 Recruter La phase de recrutement présente des risques de discrimination car elle est encore trop souvent basée sur des valeurs personnelles, des représentations subjectives et sur l intuition. Il est pourtant possible d améliorer rapidement ses démarches, procédures et outils de recrutement. Définir un profil de poste et définir les compétences et expériences indispensables à la tenue du poste. Au moment de la définition des critères de pré-requis, s assurer d éviter toute discrimination directe ou indirecte par des critères sans rapport avec les compétences indispensables et nécessaires. Se former et former ses salariés à la prévention des discriminations Il existe un dispositif public de formation destiné aux entreprises. Le coût pédagogique est pris en charge. Renseignez vous auprès de la Direction régionale de l Agence nationale pour la cohésion sociale et l égalité des chances (ACSE) Vous pouvez aussi contacter le Centre pour l égalité et la diversité de Sunergeia qui propose des formations et un accompagnement personnalisé pour les entreprises désireuses de s inscrire dans cette démarche sur le département de la Vienne, au 05 49 20 37 88. Choisir des modalités de recrutement et éviter d avoir recours au bouche à oreille. Vous pouvez accéder à de multiples sources : ANPE, APEC, cabinet, agence de travail temporaire, presse, sites Web... Il importe alors de préciser que vous respectez l égalité de traitement. Vous éviterez ainsi que l on vous envoie des candidats homogènes par anticipation négative de votre part. Ainsi, pour exemple, sur un poste réputé plutôt masculin ou féminin vous indiquerez chaque fois que ce poste convient autant aux femmes qu aux hommes. Présélectionner les candidatures en étant attentif à n introduire aucun des 17 critères interdits par la loi. Préparer les entretiens de recrutement en vous appuyant sur un protocole d entretien qui assure une égalité effective entre les candidats. Vous veillerez à ce que ce protocole et la grille qui l accompagne, outre les questions et situations professionnelles à poser, prévoient notamment le même temps d entretien pour chaque candidat. Une liste de questions prohibées comme l orientation sexuelle, les convictions religieuses ou politiques peut vous permettre de rester vigilant. Toutes ces phases du recrutement peuvent contribuer à une meilleure adéquation entre les besoins de votre entreprise, les compétences nécessaires à l occupation du poste et les compétences du candidat. Vous pouvez aussi, grâce au climat social de votre entreprise,fidéliser vos salariés et développer la créativité de votre entreprise. Comme l entreprise BATISOL, vous pouvez vous former et former vos salariés à la prévention des discriminations. Outre le fait que vous vous prémunissez d éventuels conflits ou risques juridiques, vous augmentez aussi votre capacité à intégrer de nouvelles personnes et à remédier à d éventuelles pénuries. Vous en profitez pour générer plus de cohésion dans l entreprise en partageant des valeurs de droit et d éthique. 36 37

Entretiens et rédaction Aleteya Mise en page et illustration Mapie & MBA Impression Megatop