Chapitre 9 Convergences d une suite de fonctions 9.1 Introduction et rappels Que veut-on dire quand on dit qu un signal est petit ou que la différence de deux signaux est petite? Cette notion dépend de ce que l on mesure. A chaque type de mesure correspond une notion mathématique différente. Si l intrument de mesure est sans inertie et réagit immédiatement à des sollicitations passagères alors on utilisera la convergence ponctuelle ou la convergence uniforme sur un intervalle de temps. Si l intrument de mesure a une certaine inertie, il peut être insensible à une impulsion mais mesurer une valeur moyenne. Mathématiquement, il faut alors utiliser la convergence en moyenne que l on appelle aussi convergence au sens de la norme dans L 1 (IR) ou dans L 1 (0, T ) Très souvent on mesure des énergies ou des puissances. La notion mathématiques correspondante est alors la convergence au sens de la norme dans L 2 (IR) ou dans L 2 (0, T ). Tout d abord voici quelques notions élémentaires concernant la convergence des suites et des séries de nombres réels. Définition 9.1 Convergence d une suite de nombres réels La suite de terme général u n converge si et seulement si u n tend vers une limite finie l lorsque l entier n tend vers + Exemple 9.1 La suite u n = n sin π n n sin π n π. n n converge vers π, car pour n grand on a 69
70 Mathématiques du signal Exemple 9.2 Nature de la suite géométrique u n = a n si a > 1 elle diverge, si a < 1 elle converge vers 0, si a = 1, converge pour a = 1 et diverge pour a = 1. Définition 9.2 Convergence d une série de nombres réels La série de terme général u n, désignée par le symbole u n, converge si et seulement si la suite des sommes partielles S n = k=n Exemple 9.3 L étude de la série géométrique k=0 n N n N u k converge. a n = 1 + a + a 2 + a 3 +... + a n +... passe par l étude de la suite des sommes partielles. Tout repose sur l identité remarquable suivante (1 + a + a 2 + a 3 +... + a n )(1 a) = 1 a n+1 Si a = 1, il est clair que la série diverge car S n = n et tend donc vers +. Si a 1, alors S n = 1 an+1, et d après l exemple précédent : 1 a - si a > 1, a n diverge et donc la suite S n diverge, - si a < 1 dans ce cas a n 0,, et donc la série converge vers 1 1 a. Proposition 9.1 Une condition nécessaire de convergence d une série est que son terme général tende vers 0. Démonstration. Si la série converge alors la somme partielle S n l, mais on a aussi S n 1 l, or S n S n 1 = u n et S n S n 1 l l = 0, donc le terme général u n doit tendre vers 0 pour que la série converge. Mais il ne suffit pas que u n 0 pour que la série on montre que la série n=1 1 n α 1 et converge pour α > 1. n N diverge et plus généralement u n converge, par exemple n=1 1 n α diverge pour Nous allons pésenter cinq notions de convergence pour les suites de fonctions. La plupart ont le défaut de ne pas commuter avec l intégration : c est à dire que l intégrale de la limite n est pas toujours la limite de l intégrale.
Convergences d une suite de fonctions 71 9.2 Convergence ponctuelle ou simple Soit {f n } une suite de fonctions définies sur un intervalle [a, b] à valeurs dans IR ou C. Définition 9.3 Si pour chaque t appartenant à [a, b], la suite de nombres réels f n (t) tend vers une limite finie lorsque l entier n tend vers + et si on note f(t) cette limite, on définit ainsi une fonction f. On dit alors que la suite de fonctions f n converge simplement (ou ponctuellement ) vers f. Exemple 1 : Soit la suite de fonctions f n (t) = sin(t + 1 n ). Pour t réel fixé, on a f n (t) = sin(t + 1 ) sin(t). n La suite de fonctions f n converge simplement vers la fonction f, définie par f(t) = sin(t). On note f n f. Exemple 2 : Soit la suite de fonctions g n (t) = exp( t 2 /n). Pour t réel fixé, et n tendant vers + la suite g n (t) = exp( t 2 /n) converge vers 1. Soit la fonction constante g(t) = 1 sur IR. La suite de fonctions g n converge simplement vers g sur IR. Exemple 3 : Soit la suite h n (t) = exp( n t 2 ). Pour t fixé et n tendant vers +, la quantié n t 2 peut tendre vers + si t 2 et elle vaut 0 si t = 2. Donc : pour t 2, exp( n t 2 ) tend vers 0 pour t = 2, exp(0) = 1. La suite de fonctions h n converge simplement vers la fonction h définie par { 0 pour t 2 h(t) = 1 pour t = 2 Exemple 4 : Soit ϕ n (t) = arctan(nt). Pour t fixé et n tendant vers +, la quantié nt peut tendre vers +, 0, -, selon les valeurs de t. On a alors : ϕ n (t) π pour t > 0 2 0 pour t = 0 π pour t < 0 2 La suite de fonction ϕ n converge simplement vers la fonction π 2 sgn(t) (sgn(t) se lit signe de t ).
72 Mathématiques du signal Exemple 5 : Soit ϕ n(t) = n. 1+(nt) 2 Pour t fixé et n tendant vers +, la quantié (nt) 2 peut tendre vers + ou vers 0. n pour t 0, tend donc 0, 1+(nt) 2 pour t = 0, ϕ n(0) = n, donc ϕ n(0) n a pas de limite finie. La suite de fonctions ϕ n ne converge pas simplement sur IR, il y a un problème en t = 0. Exemple 6 : Soit ψ n (t) = n 2 t exp( n t ). Pour t fixé et n tendant vers +, la quantié n t peut tendre vers +. si t 0 et vaut 0 si t = 0. Donc : pour t 0, d après le théorème des croissances comparées, X 2 exp( X) 0, donc ψ n (t) 0 pour t = 0, on a ψ n (0) = 0 0 X + La suite de fonctions ψ n converge simplement vers la fonction ψ identiquement nulle, on note ψ n 0. Remarque 9.1 La continuité des fonctions f n n entraine pas forcément la continuité de la fonction limite. Remarque 9.2 L intégrale de la limite f n est pas forcément égale à la limite des intégrales lim f I n(t) dt ( ) lim f I n(t) dt On peut le vérifier en intégrant sur IR + la suite de fonctions ψ n du dernier exemple. En effet on a : 0 n 2 t exp( n t ).dt = Or ψ(t).dt = 0, donc lim ψ 0 I n(t) dt I 0 u exp( u).du = [ u exp( u)] 0 + exp( u).du = 1 ( ) lim ψ n(t) Existe-il une notion de convergence de suites de fonctions qui permette d assurer que : que la fonction limite f est continue sur l intervalle I si toutes les fonctions f n le sont. que la permutation entre limite et intégrale est correcte. Cette notion existe, c est la notion de convergence uniforme sur un intervalle. 0 dt.
Convergences d une suite de fonctions 73 9.3 Convergence uniforme sur un intervalle Si lorsque n tend vers +, l écart maximal entre la fonction f n et la fonction f sur l intervalle [a, b] tend vers 0, on dit qu il y a convergence uniforme sur l intervalle [a, b]. Définition 9.4 Soit {f n } une suite de fonctions définies sur un intervalle [a, b] et soit f une fonction également définie sur [a, b]. Soit m n la borne supérieure de la différence entre la fonction f n et la fonction f sur l intervalle [a, b] : m n = sup f n (t) f(t) t [a,b] La suite de fonctions {f n } converge uniformément vers f sur l intervalle [a, b] si et seulement si la suite de réels m n tend vers 0 lorsque l entier n tend vers +. La convergence uniforme entraine forcément la convergence simple. Exemple 1 : Calculons m n = sup sin(t + 1 ) sin(t) n. t IR sin(t + 1 n ) sin(t) = 2 sin( 1 2n ) cos(t + 1 2n ) 2 sin( 1 2n ) 1 n Donc 0 < m n 1 donc la convergence de sin(t + 1 ) vers sin(t) est uniforme sur n n IR. Théorème 9.1 Si toutes les fonctions f n sont continues sur [a, b] et si la suite {f n } converge uniformément vers f sur l intervalle [a, b] alors la fonction f est continue sur [a, b]. On peut donc être sûr, par exemple, que la convergence de la suite de fonctions h n vers la fonction h n est pas uniforme sur IR. Et, en effet m n = h n (t) h(t) = 1, m n ne tend pas vers 0 lorsque l entier n tend vers + sup t IR Théorème 9.2 Si la suite {f n } converge uniformément vers f sur l intervalle [a, b] alors la suite de primitives F n (x) = x f a n(t) dt converge pour tout x [a, b] et on a : x x ( ) x lim f n (t) dt = lim f n(t) dt = f(t) dt a a Et de plus la convergence est uniforme sur l intervalle [a, b] si c est un intervalle fermé borné. On peut vérifier que la suite de fonctions ψ n ne converge pas uniformément vers la fonction ψ sur IR. a
74 Mathématiques du signal 9.4 Convergence presque partout sur un intervalle Soit {f n } une suite de fonctions définies sur un intervalle [a, b]. Définition 9.5 Si la suite f n (t) converge vers f(t) sur l intervalle [a, b] sauf pour un ensemble de valeurs de t de mesure nulle alors on dit que la suite {f n } converge presque partout sur [a, b] vers la fonction f et on note : f n pp f. Exemple 3 : La suite h n (t) = exp( n t 2 ) converge presque partout vers la fonction identiquement nulle sur IR (pourtant h n (2) = 1 0). Exemple 5 : La suite ϕ n(t) = fonction identiquement nulle sur IR convergence ponctuelle en t = 0). converge presque partout vers la (cependant ϕ n(0) = n, il n y a pas n 1+(nt) 2 9.5 Convergence en moyenne ou dans L 1 (a, b) Définition 9.6 La suite de fonctions {f n } converge vers f en moyenne ou dans L 1 (a, b) ssi - pour tout n les fonctions f n sont dans L 1 (a, b), - si f est aussi dans L 1 (a, b) - et si de plus f n f L 1 (a,b) 0. On note alors : L f 1 (a,b) n Remarque 9.3 Attention, on peut avoir f n f L 1 (a,b) fonctions f n et f soient dans L 1 (a, b). du n f 0 sans que les Exemple 3 : On a h n L 1 (IR) = + exp( n t 2 ) dt = + exp( u ) = 2/n qui est borné donc h n L 1 (IR). Comme h = pp 0 on a aussi h L 1 (IR). Enfin h n h L 1 (IR) = 2/n 0. Donc h L 1 (IR) n h. Exemple 5 : On a ϕ n L 1 (IR) = + ϕ n(t) dt = + ϕ n(t) dt = π qui est borné donc ϕ n L 1 (IR). Comme ϕ pp = 0 on a aussi ϕ L 1 (IR). Enfin ϕ n ϕ L 1 (IR) = π qui ne tend pas vers 0. Donc la suite {ϕ n} ne converge pas en moyenne sur IR ou encore elle ne converge pas au sens de la norme L 1 (IR).
Convergences d une suite de fonctions 75 9.6 Convergence en moyenne quadratique ou dans L 2 (I) Définition 9.7 La suite de fonctions {f n } converge vers f en moyenne quadratique ou dans L 2 (a, b) ssi - pour tout n les fonctions f n sont dans L 2 (a, b), - si f est aussi dans L 2 (a, b) - et si de plus f n f L 2 (a,b) 0. On note alors : L f 2 (a,b) n On dit aussi, en électronique, que les signaux f n convergent au sens de l énergie vers le signal f. f 9.7 Comparaison des différentes notions de convergence On a bien sûr les implications suivantes : cv uniforme = cv simple = cv presque partout Par contre il n y a pas d implication entre la convergence presque partout et les convergences en moyenne et moyenne quadratique. Cependant lorsque ces différentes limites existent, il y a une relation entre elles. Théorème 9.3 Si la suite de fonction f n converge au sens de L 2 (a, b) et converge aussi presque partout sur [a,b], alors les deux fonctions limites obtenues sont égales presque partout. C est à dire que : } L f 2 (a,b) n pp f n g h = g pp = h En pratique, cela signifie que l on cherchera d abord une limite au sens de la convergence simple ou sinon au sens de la convergence presque partout. Si on note f la limte presque partout, on étudira ensuite si la norme f n f L 2 (a,b) tend vers 0 avec n + et si f n et f sont bien des fonctions de l espace L 2 (a, b).
76 Mathématiques du signal On s intéressera plus à la convergence au sens de L 2 (a, b) qu à la convergence au sens de L 1 (a, b) car la notion d énergie est plus importante physiquement que la notion de convergence en moyenne. Mais ces différentes notions de convergence ne sont pas satisfaisantes car elles ne permettent pas de prendre en compte de façon cohérente la convergence d une suite de fonctions porte nπ(nt), en effet cette suite converge ponctuellement vers 0 sauf au point t = 0 et cependant l intégrale sur IR reste constamment égale à 1. Seule la notion de convergence au sens des distribution, qui sera introduite plus tard, va permettre de traiter le cas des suites d impulsions approchées de façon satisfaisante.