L ANALYSE DES TÂCHES VARIÉES : UNE DÉMARCHE CENTRÉE SUR LE TRAVAIL PLUS QUE SUR LE FACTEUR DE RISQUE

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1 L ANALYSE DES TÂCHES VARIÉES : UNE DÉMARCHE CENTRÉE SUR LE TRAVAIL PLUS QUE SUR LE FACTEUR DE RISQUE ST-VINCENT, MARIE; CHICOINE, DENISE; TELLIER, CHANTAL Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec (IRSST), 505, boul. de Maisonneuve Ouest, Montréal (Québec) H3A 3C2 RÉSUMÉ Le but de la communication est de présenter un guide pratique destiné à l analyse des tâches variées. La démarche, qui comporte six étapes, est participative et doit être dirigée par un ergonome ou un préventeur. C est une démarche complète dont la finalité est la transformation du travail. Deux particularités de la démarche sont spécifiques aux tâches variées. La première étape vise à donner un portrait global des différentes facettes du travail, de ses sources de variations et des difficultés rencontrées par des observations et des entretiens conçus à cet effet. La troisième étape, qui est l étape diagnostique, se démarque des méthodes plus classiques centrées sur l identification de facteurs de risque. La méthode utilisée est un questionnement critique animé par un ergonome à partir de séquences vidéo du travail analysé. L ergonome amène les membres du groupe ergo, ou du comité du poste, à discuter les différentes opérations réalisées et leurs sources de variations afin de mieux comprendre les problèmes rencontrés et leurs déterminants. Il s agit donc d une démarche originale qui n est pas centrée sur l identification du risque mais bien sur une compréhension plus globale du travail et de ses difficultés. INTRODUCTION Les TMS liés au travail répétitif sont bien documentés. Différents outils ont été développés pour aider les ergonomes, les praticiens et les gens de l entreprise à analyser et à améliorer les tâches répétitives (ex. RULA, McAtamney et Corlett, 1993 ou REBA, McAtamney et Hignett, 1995). Les tâches variées, comme certaines tâches de manutention, sont aussi à l origine de douleurs et de TMS. Toutefois, il existe peu d outils pour analyser ces tâches, les outils existants étant souvent trop complexes pour les acteurs de l entreprise et même pour les praticiens (ex, méthode PATH, Buchholz,1996). Au contraire des tâches répétitives, les tâches variées sont généralement à cycles longs et impliquent souvent un ensemble de tâches à accomplir. Elles comportent un nombre important d opérations de travail qui ne sont pas toujours organisées en un cycle bien défini. Ces tâches peuvent impliquer

2 divers aménagements physiques et un environnement technique (outils et machines) variable. En raison notamment des sources de variations qu elles comportent, les tâches variées sont complexes à analyser. Il est souvent long et difficile de se faire une bonne représentation de l ensemble de la situation de travail. Une visite sur le terrain aide à se faire une bonne représentation d une tâche répétitive, ce qui est loin d être le cas pour une tâche variée. Par ailleurs, l interprétation des facteurs de risque est également très complexe. On sait que les conséquences d un facteur de risque varient selon sa fréquence, son amplitude et sa durée. Ces paramètres sont beaucoup plus faciles à évaluer dans le cas d une tâche répétitive. Ainsi, si l on observe une flexion marquée de l épaule, dans une tâche dont le cycle est de 30 sec, on peut conclure sans trop se tromper qu il s agit là d un risque significatif. L interprétation est plus ardue pour les tâches variées car l estimation des paramètres fréquence et durée est très fastidieuse. Ainsi, si l on observe une flexion marquée de l épaule, il sera beaucoup plus difficile de savoir s il s agit ou non d un facteur de risque significatif. Ainsi toute démarche qui porte sur l analyse des tâches variées doit tenir compte de ces deux sources de difficulté : se faire une bonne représentation des différentes facettes de la tâche et de ses sources de variations; l incertitude quant à l interprétation de la sévérité des facteurs de risque observés. Comme les tâches variées sont fréquentes en entreprise et qu elles sont source de TMS, et comme il existe peu d outils et de démarches qui leur sont dédiés, nous avons développé une démarche d analyse des tâches variées pour les ergonomes, les spécialistes de l entreprise et les préventeurs. Cette démarche, dans la foulée de recherches sur le travail répétitif, a été développée et validée dans le cadre d une recherche en ergonomie participative, réalisée dans deux entreprises manufacturières (St-Vincent et coll., 2002). Par la suite, elle a été vulgarisée et présentée dans un guide pratique, destiné aux spécialistes de l entreprise et aux préventeurs (Chicoine et coll., 2006). Le but de cette communication est de présenter les principes sous-jacents à cette démarche de même que les particularités du guide. Le guide pour les tâches variées constitue en fait un complément à un premier guide développé pour le travail répétitif. Pour deux raisons, ce premier guide n était pas adapté à l analyse des tâches variées. D abord, il y avait une étape d identification des facteurs de risque. Il fallait découper le cycle de travail en actions (qui se limitaient à un geste assez rudimentaire) et

3 pour chaque action identifier les postures contraignantes, les exigences de force, le statisme, les problèmes de préhension ou avec les outils et statuer sur la présence de vibrations ou d autres problèmes. Une telle démarche n est pas appropriée pour les tâches variées. D une part, comme il a été mentionné précédemment, la sévérité du risque est difficile à interpréter et d autre part, un découpage en actions fines est inapproprié car le cycle est beaucoup trop long. Par ailleurs, le questionnaire initial développé pour le travail répétitif ne convenait pas aux tâches variées. Pour le travail répétitif, on questionnait sur les douleurs, les difficultés dans le travail et les sources de variations mais on ne faisait pas décrire les grandes opérations du travail car cette l étape du questionnaire s accompagnait d observations qui permettaient de comprendre les grandes étapes du travail. Dans le cas des tâches variées, il faut obligatoirement questionner le travailleur pour guider les premières observations, le questionnaire est nécessaire pour donner une idée du travail de ses sources de variations et de ses difficultés. Le questionnaire initial, en plus de documenter les douleurs ressenties, doit faire décrire au travailleur les grandes opérations réalisées, les conditions dans lesquelles elles sont faites (lieu physique, outil, équipement) de même que les difficultés associées. PRINCIPES SOUS-JACENTS À LA DÉMARCHE La démarche se distingue des check-list centrés sur la seule identification des facteurs de risque. Il s agit d une démarche complète qui se termine par l implantation et le suivi de transformations à des situations de travail. La démarche comporte 6 étapes qui seront décrites à la section suivante. Deux modes d intervention sont possibles, selon le contexte de l entreprise: le mode «groupe ergo» ou le mode «comité du poste». Dans le premier cas, un groupe est constitué et, accompagné par un ergonome, les participants procèdent aux six étapes de la démarche. Le groupe ergo est constitué de deux à trois opérateurs, d un superviseur et au moins d un spécialiste technique. Lors de l analyse d un poste en particulier, un ou deux travailleurs du poste de même que le superviseur se joignent au groupe. Dans le second cas, l ergonome réalise seul les premières étapes de la démarche et met sur pied un comité du poste pour procéder à l étape de l identification des problèmes et de la recherche de solutions. Le comité du poste est constitué de quelques opérateurs du poste en question, du superviseur, d un spécialiste technique et de représentants du comité SST de l usine. Il s agit donc d une démarche participative qu il est possible d adapter au contexte de l entreprise.

4 La grande originalité de la démarche c est qu elle ne repose pas sur une étape systématique d identification des facteurs de risque, En effet, en raison des difficultés liées à l interprétation des facteurs de risque liés aux tâches variées, nous avons choisi d amener les participants à une compréhension plus globale du travail et des difficultés qu il comporte de même qu aux causes de ces difficultés. UNE DÉMARCHE EN SIX ÉTAPES La première étape vise à se faire une bonne représentation du travail et de ses sources de variations et à préparer les observations filmées. Cela est réalisé par des entretiens auprès de quelques travailleurs du poste et du superviseur. Lors de ces entretiens, on demande aux travailleurs de décrire leurs douleurs/malaises et les caractéristiques du travail qui leur sont associées. On demande par ailleurs de décrire les différentes opérations réalisées, le lieu où elles sont réalisées de même que les équipements, outils, utilisés. Pour chaque opération, on demande aux travailleurs de nous expliquer les difficultés rencontrées. Comme il a été dit, il est essentiel pour les tâches variées de faire décrire les grandes étapes du travail car des observations préliminaires ne permettent pas de capter l ensemble du travail, alors que pour les tâches répétitives une première observation donne une bonne idée des grandes étapes du travail. La synthèse des entretiens permet d avoir un aperçu du travail, de ses sources de variations et des difficultés qu il comporte. Il est alors possible de choisir les conditions d exécution du travail qui feront l objet d observations filmées. Il est recommandé de cibler des séquences qui permettent d avoir une bonne idée du travail et de prendre en compte les conditions les plus difficiles. La deuxième étape est donc la planification et la réalisation des observations filmées. Les deux premières étapes peuvent être réalisées par les participants d un groupe ergo avec l aide d un ergonome ou par l ergonome seul. L étape qui suit, la troisième étape, doit toujours se réaliser en groupe sous la gouverne d un ergonome. À cette étape, on visionne les vidéos et, en se basant sur les étapes précédentes, l objectif est de comprendre les opérations de travail réalisées, les sources de variations dans le travail et les difficultés qu il comporte. Il faut aussi arriver à cerner les éléments de la situation de travail qui sont à l origine des difficultés. La méthode utilisée est une discussion structurée, dirigée par l ergonome. Par son questionnement, il amène les participants à comprendre les opérations réalisées et les difficultés qu elles comportent. Les échanges

5 servent également à cerner les causes des difficultés identifiées. Au terme de cette étape, on connaît les opérations réalisées, les difficultés qui leur sont associées et les causes possibles de ces difficultés. Bien sûr, durant l exercice, les participants auront aussi identifié les risques de TMS et les risques à la sécurité. Cette stratégie, basée sur la compréhension globale du travail plutôt que sur l identification des facteurs de risque, est particulièrement bien adaptée aux tâches variées. Tel que mentionné, pour ces tâches, il est difficile d interpréter le risque et, au contraire des tâches répétitives, les tâches variées se prêtent moins bien en un découpage des différents gestes (actions) avec identification des risques associés. Notons qu il aurait été imaginable d utiliser une telle stratégie globale également pour les tâches répétitives, même si dans ce cas l approche par facteur de risque convient également. Les trois dernières étapes sont les étapes classiques de priorisation des problèmes, de recherche, d implantation et de suivi des solutions. Pour la recherche de solutions, qui a été longuement décrite dans un guide précédent (St-Vincent et coll., 1998), l on procède en groupe, en commençant par un exercice de remue-méninges. Des pistes de solutions émergent, dont on cherche à évaluer les impacts par un questionnement critique. On passe ainsi au crible les idées de solutions quant aux critères suivants : efficacité de la solution à régler les problèmes identifiés, faisabilité de la solution au plan technique et économique, impacts possibles sur les différentes facettes du travail. Les solutions retenues sont ensuite détaillées, des spécifications sont précisées à l aide de simulations et d essais sur le terrain. L analyse de la situation de travail est complétée par l étape de l implantation des solutions et du suivi. Il s agit alors d informer et de former les travailleurs adéquatement et de procéder à la mise en place des solutions. On recommande alors de tester et d affiner les transformations à l aide de prototypes. Une démarche est aussi proposée pour le suivi, où l on demande de rencontrer des travailleurs du poste et de leur faire remplir un court questionnaire afin de voir si les transformations ont amélioré, inchangé ou empiré les problèmes à régler. CONCEPTION ET LIMITES DU GUIDE Le guide comporte trois chapitres. Le premier chapitre traite du contexte d utilisation de la démarche. Ainsi, on recommande un «groupe ergo» dans le cas où l entreprise a plusieurs situations à analyser, veut investir du temps et aimerait que de l expertise en ergonomie se crée au sein de l entreprise. À

6 l inverse, le «comité du poste» sera recommandé dans le cas d une intervention plus ponctuelle que l on veut plus rapide. Le deuxième chapitre est consacré à la présentation des six étapes de la démarche. Chaque étape est présentée selon le même pattern : on expose les buts poursuivis, on développe le plan d action à mettre en œuvre et on propose des savoir-faire pratiques pour les usagers, dont des outils concrets d analyse. Le guide est abondamment illustré et accompagné d exemples concrets de situations de travail. Diagnostic Étape 3 Identification des problèmes et de leurs causes Buts poursuivis Plan d action Savoir-faire 1. Préparer l analyse des observations vidéo 2. Identifier les principaux problèmes Présenter les résultats des premières étapes Rappeler des notions utiles à l analyse des vidéos Procéder à une discussion structurée à partir des observations vidéo (Exemple) Site Internet IRSST et ASPME Type de problèmes Principaux facteurs de risque de TMS Remplir la fiche-synthèse de l analyse Outil Fiche-synthèse de l analyse Section «identification des problèmes» Figure I. Principes de conception du guide Le dernier chapitre guide les utilisateurs dans la réalisation d un bilan de l Intervention afin d en tracer les forces et les faiblesses dans le but d améliorer les interventions futures. Le guide s adresse aux ergonomes responsables de l analyse du travail. Il peut aussi être utile aux intervenants des entreprises et du réseau, de même qu aux décideurs qui s engageront dans une intervention. Ce guide a comblé un besoin dans le réseau de la santé-sécurité, il a été le document le plus téléchargé du site Web de l IRSST en 2006.

7 Le guide comporte bien sûr certaines limites; nous mentionnons les deux principales. Il s agit d une démarche assez longue qui demande un bon investissement des acteurs de l entreprise et la démarche repose beaucoup sur des données de perception de nature subjectives. RÉFÉRENCES Buchholz B., Paquet V., Punnett L., Lee D. and Moir S. (1996). PATH : A work sampling-based approach to ergonomic job analysis for construction and non-repetitive work. Applied Ergonomics, vol. 27, no 3, pp Chicoine D., Tellier C., ST-Vincent M. (2006). Le travail à tâches variées : une démarche d analyse ergonomique pour la prévention des TMS, IRSST, RG-457, 60 p. McAtamney L. and Hignett S., (1995). REBA A rapid entire body assessment method for investigating work related musculoskeletal disorders, in Proceedings of the 31 st Annual Conference of the Ergonomics Society of Australia, V. Blewett (ed.). McAtamney L. and Corlett E.N. (1993). RULA: a survey method for the investigation of work-related upper limb disorders. Applied Ergonomics, vol. 24, pp ST-Vincent M., Chicoine D., Simoneau S. (1998). Les groupes Ergo : un outil pour prévenir les LATR. Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail secteur fabrication de produits en métal et de produits électriques. Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, 95 p. ST-Vincent M., Tellier C., Chicoine D., Laberge M., Lortie M., Fernandez J. (2002). Comparaison de l implantation d une démarche d ergonomie participative et d outils d analyse du travail destinés aux tâches variées dans deux entreprises au contexte différent, IRSST, R-306, 161 p.