Le prix du carburant et le développement de l usage de la voiture particulière en Algérie

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1 Le prix du carburant et le développement de l usage de la voiture particulière en Algérie 1. INTRODUCTION Par : Farès Boubakour, Professeur des Universités Ahmed Youssouf Amrane, doctorant Laboratoire de la Management Transport Logistique ( LMTL ) Faculté des sciences économiques et de gestion. Université de Batna (Algérie) L Algérie a connu au cours de ces dernières années un développement important des taux de motorisation et de celui de l usage de la voiture particulière. Le parc de véhicules est en croissance rapide. Les toutes dernières statistiques montrent que le parc a atteint 7,3 millions de véhicules. Actuellement, le taux de motorisation est d une voiture pour 5 habitants, alors qu il était d une voiture pour dix habitants en l an Le phénomène d'encombrement et de congestion se fait de plus en plus sentir dans les grandes et moyennes agglomérations. Et, les Algériens achètent de plus en plus de voitures. Il existe de nombreux facteurs qui expliquent cet engouement pour la voiture en Algérie. A la base, il y a l augmentation de niveaux de vie, favorisée par l envolée des prix du pétrole et par la croissance économique ; l urbanisation et l étalement urbain 1 ; les dysfonctionnements des transports collectifs. En plus de ces facteurs, il y a aussi d autres facteurs historiques et socio- culturels qui, à notre sens, exacerbent cette tendance lourde. La voiture, en plus d être un outil pour solutionner ses problèmes de mobilité, elle est considérée dans l esprit de la majorité des gens, comme un signe, un synonyme de réussite sociale 2. Les algériens préfèrent aussi et enfin ne pas voyager en famille en transport collectif, etc.). Des travaux que nous avons menés ont démontré l existence de ces facteurs 3. Ceci dit, il y a fondamentalement un facteur purement économique qui encourage aussi l accès et l usage de la voiture en Algérie : le carburant très bon marché. Le prix du carburant en Algérie est considéré parmi les plus «compétitifs» au monde. En Algérie, le prix du carburant représente en moyenne 20% des prix appliqués en Europe et environ le tiers des prix dans les pays voisins (Marco et Tunisie). A l'échelle mondiale, pour ce qui concerne l essence super, l Algérie occupe la huitième position en termes de prix le moins cher. Pour le Gazole, elle est au cinquième rang mondial 4. A titre d exemple, le prix du litre de Diesel est de 13 DA (Soit environ 13 centimes d Euro) et l essence sans plomb est de 23 centimes d Euro. 1 Favorisé par la voiture aussi. 2 Ce qui est commun à l ensemble des pays en voie de développement. 3 Cf. Farès Boubakour : Développement de l usage de la voiture particulière en Algérie : quel arbitrage avec le transport collectif? Cas de la ville de Batna. Actes de colloque CODATU XIV. Buenos Aires (Argentine) Lien : Développement de l'usage de la voiture particulière en... - CODATU 4 German Technical Cooperation(GTZ), The 2012/13 International Fuel Prices report, The 2012/13 edition, Germany, April 2013,P:05-06,disponible sur : «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 1

2 L Algérie exporte du pétrole brut. Les capacités locales de raffinage n étant pas importantes, elle importe une partie de ses besoins. Du coup, les prix des carburants se trouvent subventionnés. L'Algérie a importé durant le premier semestre ,4 millions de tonnes parmi les différents types de carburant et de dérivés pétroliers 5. En 2012, la quantité totale de diesel importé a été de de 3 millions de tonnes, contre 2,3 millions de tonnes en 2011 et 1,3 million de tonnes en Cette tendance a fait dire à certains que l Algérie va devenir un grand importateur de carburants. Sur un autre plan, cet écart de prix de carburant entre l Algérie et ses voisins favorise le commerce illégal et la contrebande frontaliers. Selon un déclaration officielle, 25 % de la production nationale de carburant est exporté illégalement dans les pays voisins 7. Considérant le prix des carburant bon marché en Algérie, nous pensons qu il existe là un effet levier très important pour rationaliser l usage de la voiture particulière et pouvoir encourager le transfert modal vers des modes qui préservent l environnement. Autour de cette question, nous avons menée une étude en La problématique a été de savoir quelle serait la réaction des automobilistes face à une augmentation éventuelle des prix des carburants en Algérie? Et dans quelle mesure? L échantillon se composait de 146 personnes. L objectif a été de dégager une tendance générale significative sans véritablement prétendre représenter toute l Algérie. L étude se proposait en fait de tenter d apporter des réponses aux questions suivantes : Quelle réalité d usage de la voiture particulière pour l algérien? Comment utilise-il la voiture particulière compte tenu des prix actuels du carburant? Quelle sera la réaction de l algérien en terme d usage de la VP dans le cas la hausse des prix du carburant au niveau des prix dans les pays voisins? 2. DEVELOPPEMENT DE L USAGE DE LA VOITURE PARTICULIÈRE EN ALGÉRIE : L Algérie a connu au cours de ces dernières années une véritable explosion du taux de motorisation. Le parc a quasiment doublé en une douzaine d années. Les statistiques de 2012 donnent un nombre de véhicules, tous genres confondus, qui s élève à 7,3 millions d unités contre 2,7 millions en (Source: Centre National de Prévention et de Sécurité Routières, Alger). 5 Abdel Hafiz Swalili, Journal Elkhabar, disponible sur : Vu le : 07/08/ Myriama Mokdahi Citant le site : Vu le : 07/08/ Algérie Presse Service, disponible sur: Vu le 31/08/2013 «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 2

3 Tableau N 01: Evolution des taux de motorisation en Algérie. Période : Source: Tableau établi sur la base des statistiques du centre national de prévention et de sécurité routières. Alger La figure ci-dessous montre qu une forte progression a été enregistrée à partir de l année Il est évident que l amélioration du niveau de vie des algériens de ces dernières années a eu un impact direct sur l accroissement des taux de motorisation. Dans ce contexte favorable, les concessions automobiles ont fleuri et les ventes on été dopées par le crédit automobile. Et, les Algériens se sont rapidement équipés de voitures. A noter que la procédure d'achat à crédit a fait l'objet d'un gel en 2009 et l instauration d une nouvelle taxe sur l achat de voiture neuve importée. «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 3

4 Figure N 01: Courbe représentant l évolution des taux de motorisation (voiture particulière pour 1000 habitants en Algérie durant la période : Source: Figure établie sur la base des résultats du tableau N 01. En dépit du gel du crédit automobile et de la taxe sur les véhicules neufs, la tendance n a pas été freinée. Avant le gel et l instauration de la taxe, l Algérie importait entre et véhicules/an. En 2011, un nouveau pic a été enregistré. Ce pic est à expliquer à travers les augmentations importantes de salaires qu ont connues tous les secteurs d activité avec un effet rétroactif depuis janvier Du coup, de nombreux Algériens disposaient d arriérés importants pouvant financer facilement l achat d une voiture. Tous les concessionnaires automobiles sont dépassés et les commandes sont en souffrance à tel point que les voitures récemment achetées sont revendues sur le marché d occasion, paradoxalement, à des prix équivalents voire même parfois supérieurs au prix d une voiture neuve pour certains modèles 8! Aujourd hui, on parle de véhicules importés en 2013 (au mois de décembre, avant même la fin de l année). En matière de déplacements motorisés, une tendance lourde à l usage de la voiture particulière est bien là et elle se renforce. En Algérie, tout le monde aspire à l achat d une voiture particulière et ce, compte tenu d un certain nombre de facteurs : - coût d exploitation de la voiture qui est relativement bas (carburant notamment), comme annoncé plus haut ; - ouverture de concessions d automobiles partout dans le pays avec un marketing agressif ; - tendance à la baisse des prix des véhicules neufs ; - croissance de la mobilité et dysfonctionnements observés dans les transports collectifs ; - et enfin, l existence de certaines considérations historiques, culturelles et sociologiques. 8 Situation observée durant le mois de septembre et d octobre «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 4

5 Concernant ces dernières considérations que nous avons qualifiées d historiques, culturelles et sociologiques, nous pensons qu il y a effectivement des aspects plutôt qualitatifs qui doivent être pris en compte et qui pousseraient, à notre sens, les Algériens à vouloir accéder à la voiture particulière. Tout d abord, aux yeux des populations des pays en voie de développement, la société de consommation est un modèle envié et la voiture en est l un des symboles les plus forts. Dans l esprit d une majorité de personnes, la possession de la voiture est synonyme de réussite sociale. Ensuite, en Algérie, la voiture a toujours été très convoitée, un peu plus que dans les autres pays du Maghreb peut-être car il faudrait tenir compte de certains faits historiques. Durant de longues décennies, l importation des voitures était monopolisée par une société nationale appelée Sonacome. Aucune concession d automobile n existait en ces temps-là. Et il fallait patienter auprès de la société Sonacome plusieurs années pour pouvoir avoir sa voiture. Les voitures importées par Sonacome étaient, selon le quota du moment, de la même marque et quasiment le même modèle. L avantage est que les voitures importées par la Sonacome étaient vendues à des prix très intéressants. Le problème est que la quantité importée était toujours insuffisante. Du coup, l acheteur ayant acquis sa voiture auprès de la Sonacome devait accorder une attention particulière à son bien. La voiture est pour certains une forme de capital, car on pouvait la revendre facilement et pour beaucoup plus cher que le prix d achat après même plusieurs années d utilisation! Aujourd hui, avec toutes les concessions présentes dans les villes algériennes, la voiture est là, on peut choisir, acheter sur place ; et on a l impression finalement que les Algériens ont aujourd hui une revanche à prendre sur l Histoire! Enfin, sur un plan connexe, pour des considérations socioculturelles, les Algériens évitent de voyager en famille en taxi collectif ou en bus. Ainsi, si l on continue encore à utiliser le taxi collectif en urbain comme en interurbain en Algérie, ce n est évidemment pas pour des considérations écologiques, c est uniquement pour raisons économiques pures relevant notamment du coût d accès à la voiture individuelle qui reste encore élevé pour certains. Compte tenu de l ensemble des facteurs développés précédemment, il y a fort à parier qu il y aura dans les prochaines années, en Algérie, une tendance lourde en matière d usage de la voiture particulière qu il faudrait anticiper et tenter, d ores et déjà, d infléchir. Dans le même ordre d idée, eu égard à la situation des transports urbains issue de la libéralisation mais aussi compte tenu des enjeux en termes de développement durable à relever (y compris sur le plan de la lutte contre le développement de l usage de la voiture particulière), les pouvoirs publics algériens ont mis en place une nouvelle politique basée sur une modernisation du système de transport urbain en vue d offrir un transport collectif de qualité. En matière de transports urbains, en plus de la mise en exploitation du métro d Alger, il y a lieu de citer les autres projets de tramways. Au départ, il était question du lancement d une dizaine de projets de tramways dans les plus grandes agglomérations du pays, mais au dernier trimestre de 2011, il a été décidé de rajouter de nouvelles études de faisabilité de projets de tramways pour d autres agglomérations. Il y a 19 projets au total aujourd hui dont celui d Alger, d Oran et de Constantine, qui sont fonctionnels, les autres sont cours de réalisation à divers niveaux d avancement en termes de procédures d appel d offre de réalisation ou d études de faisabilité. «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 5

6 3. LES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE L ECHANTILLON : Nous avons mené une enquête pour tenter d'analyser l'impact que pourrait avoir le carburant bon marché sur l encouragement de l usage de la voiture particulière. L impact est au fond évident. Notre objectif a été celui de connaître le point de vue d un échantillon de personnes autour de la question du prix du carburant et de leur prise de conscience de la faiblesse des prix en Algérie par rapport aux autres pays. S ils savaient que les prix des carburants sont subventionnés ou non et dans quelle proportion. Un deuxième élément que l on visait est celui de vouloir connaître la réaction possible des utilisateurs si le prix du carburant venait à être augmenté. Quel en serait l impact sur l usage habituel de la voiture. Nous avons également posé la question de connaitre les dispositions à payer en terme de prix de carburant. L échantillon a été composé de 146 personnes. Elles ont été toutes interrogées directement. Rappelons que l objectif global a été de tenter de dégager une tendance générale significative sans véritablement prétendre représenter Il s agit là, de notre point de vue, d une première tentative en Algérie et qu aucun travail antérieur sur cet aspect n a jamais été mené. Le tableau suivant montre les principales caractéristiques de l échantillon. Genre 82% sexe masculin et 18 % sexe féminin. Age 2% moins de 18 ans ; 68 % entre 18 et 35 ans ; 27 % entre 36 et 65 ans ; 3% plus de 65 ans. Niveau instruction 6% niveau primaire ou inférieur ; 45 % niveau secondaire ou moyen (collège) ; 49 % niveau universitaire. Occupation 3 % sans emploi ; 29% employés ; 41% Indépendants/ Commerçants; 6% Retraités ; 21 % étudiants. Revenu 23% moins de DA ; 21% entre et DA ; 39% entre et DA ; 17% plus de DA Résidence 60% centre de ville ; 34% périurbain ; 6% en campagne. Situation familiale 47% sont célibataires. Motorisation 70.5% ont la voiture particulière et 29.5% n'ont pas de voiture particulière. 4. RESULTATS DE L ENQUETE : 4.1. Premièrement: Au plan de la connaissance des niveaux de prix du carburant. a) 71,9 %, considèrent que les prix actuels du carburant sont faibles (abordables). b) 87,0 % déclarent savoir que le prix du carburant en Algérie est plus bas que les pays voisins. 13,0 % ne le savaient pas. c) 87,0 % ne savaient pas que l'algérie importe du carburant afin de couvrir la demande locale. (Certains en étaient stupéfaits). «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 6

7 d) 50 % environ ont déclaré qu ils avaient connaissance que les prix des carburants en Algérie sont subventionné (dans le sens que le prix en Algérien est inférieur au prix de référence sur le marché international) Deuxièmement : Au plan des prix actuels du carburant et leur relation en termes d'attractivité de la voiture particulière. a) 74,4 % de ceux qui ne possèdent pas de voiture ( 29,5 % de l échantillon) considèrent que les prix actuels du carburant les encourage à acheter une voiture. Selon eux, le prix est accessible (compatible avec leurs pouvoir d'achat, ont-ils dit). b) 79,6 % de ceux qui ont déjà une voiture, considèrent que le prix actuel du carburant contribue à accroître «l'attractivité» de la voiture. Ils déclarent utiliser leur voiture dans tous les types de déplacements sans faire véritablement attention au carburant Troisièmement: Au plan de la réaction en termes d usage de la VP dans le cas d augmentation des prix du carburant (à hauteur des prix dans les pays voisins). Par rapport à l hypothèse d une augmentation des prix du carburant en Algérie au niveau des prix dans les pays voisins ( à raison de 80 DA pour l essence super), nous avons obtenu les résultats suivants : a) 71,8 % de ceux qui possèdent une voiture déclarent qu ils vont réduire massivement l usage de la voiture et utiliser leur véhicule uniquement pour les «besoins essentiels». 12,6 %, déclarent abandonner définitivement leur voiture pour aller vers le transport public. 15,5 %, continueront à utiliser leurs voitures comme ils le faisaient avant. b) 42,7 % de ceux qui possèdent une voiture déclarent qu ils n utiliseraient leur voiture qu en zone urbaine (consommation accrue de carburant) et la réserver pour l interurbain (longs trajets). c) 79,1 % qui n ont pas encore de voiture renonceraient à acheter une voiture particulière. d) En ce qui concerne les dispositions à payer et tenant compte des différentes catégories de revenus de personnes possédant une voiture, 38,8 % sont disposés à payer entre 40 et 60 DA le litre de carburant. Et, 20,4% sont disposés à payer, quant à eux, entre 60 et 80 DA le litre. 5. CONCLUSION : L enquête réalisée montre l existence d une importante disposition à payer le carburant plus cher. Elle montre aussi que les automobilistes auront tendance à rationaliser davantage l usage qu ils font de leur voiture jusque là. En termes de politique à mener, en vue d encourager la mise en place d une stratégie de mobilité durable, l'augmentation des prix de carburant en Algérie pourrait être vu comme un puissant levier à utiliser. «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 7

8 BIBLIOGRAPHIE : 1- Abdel Hafiz Swalili, Journal Elkhabar, disponible sur : 2- Ahmed youssouf Amrane : «L impact de subventionnent du prix de carburant sur le développement de l usage de la voiture particulière en Algérie». Mémoire de master d économie des transports et logistique. Faculté des sciences économiques. Université Hadj Lakhdar -Batna (Algérie), Octobre Algérie Presse Service, disponible sur: 4- Farès Boubakour : Développement de l usage de la voiture particulière en Algérie : quel arbitrage avec le transport collectif? Cas de la ville de Batna. Actes de colloque CODATU XIV. Buenos Aires (Argentine) Lien : Développement de l'usage de la voiture particulière en... - CODATU. 5- Farès Boubakour et Lila Guettaf : "Sur certains aspects structurels en transport urbain en Algérie : la nécessité d aller vers des transports durables". Revue Vies des villes N 12. Alger, juillet Farès Boubakour : "Le transport artisanal : le cas de la ville de Batna (Algérie) : Evolution et perspectives". Paru page 61 à 77 dans l'ouvrage "le transport artisanal dans les villes méditerranéennes". Sous la coordination scientifique de Xavier Godard. Les collections de l'inrets, Paris, German Technical Cooperation(GTZ), The 2012/13 International Fuel Prices report, The 2012/13 edition, Germany, April 2013,P:05-06,disponible sur : 8- Myriama Mokdahi Citant le site : «Congrès ATEC ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» Page 8