Centre international d études supérieures en sciences agronomiques Montpellier

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1 Délivré par le Centre international d études supérieures en sciences agronomiques Montpellier Préparée au sein de l école doctorale : Economie et Gestion de Montpellier ED 231 Laboratoire : UMR 1110 MOISA Spécialité : Sciences de Gestion Présentée par Brinda RAMASAWMY Intérêt du travail institutionnel dans les dynamiques de filières agricoles Le cas de l île Maurice Soutenue le 27 Février 2014 devant le jury composé de M. Karim Messeghem, Professeur, Universite de Montpellier 1 Examinateur/Président du Jury M. Bernard Leca, Professeur, Université Paris - Dauphine Rapporteur M. Didier Chabaud, Professeur, Université d Avignon et des Pays de Vaucluse Rapporteur M. Jean Louis Rastoin, Professeur Emérites, Montpellier SupAgro Examinateur M. Ronan Le Velly, Maître de conférences, Montpellier SupAgro Examinateur Mme. Fatiha Fort, Professeur, Montpellier SupAgro Directrice de thèse

2 A mes parents, Permal et Meenachee, avec vos 50 ans et plus de vie commune, vous représentez les piliers institutionnels de ma vie règles, valeurs, cultures et traditions A Mirish et Sanjay A mes fidèles amis à quatre pattes (Brownie, Cookie, Maisha, Smoky et Sizzlar) A mes ancêtres dravidiens du Sud de l Inde, qui m ont transmis la force mentale et la sagesse des kshatriya (guerriers), ce qui fait de moi ce que je suis aujourd hui i

3 Un jour, l âne d un fermier tomba dans un puits. L animal gémissait pitoyablement pendant des heures, et le fermier se demandait quoi faire. Finalement, il décida que l animal était trop vieux et que le puits devait disparaître de toute façon, et qu il n était donc pas rentable de récupérer l âne. Il invita tous ses voisins à venir et l aider. Tous se saisissent d une pelle et commencent à enterrer le puits. Au début, l âne réalisa ce qui se produisait et se mit à crier terriblement. Puis, au bout de quelques secondes, à la stupéfaction de chacun, il se tut. Quelques pelletées plus tard, le fermier regarda finalement dans le fond du puits fut très étonné de ce qu il vit. Avec chaque pelletée de terre qui tombait sur lui, l âne faisait quelque chose de stupéfiant. Il se secouait pour enlever la terre de son dos et montait dessus. Pendant que les voisins du fermier continuaient à pelleter sur l animal, il se secouait et montait dessus... Bientôt, à la grande surprise de chacun, l âne sortit hors du puits et se mit à trotter! La vie peut parfois essayer de nous engloutir de toutes sortes de problèmes. La solution pour s en sortir et d avancer. Chacun de nos ennuis est une pierre qui permet de progresser. Nous pouvons sortir des puits les plus profonds en nous souvenant de cette histoire. Une thèse de doctorat étant aussi un parcours initiatique en philosophie, je me suis laissée guider par cette fable philosophique durant ces cinq années de thèse : pendant mes moments de doutes, pendant mes moments de faiblesses, pendant que j essayais de réconcilier vie personnelle, vie professionnelle et vie de thésarde A toutes les femmes du monde entier qui ont le courage de leurs convictions et qui se battent malgré l adversité. Je vous salue bien bas ii

4 REMERCIEMENTS Tout commença lors d une conférence que j avais organisée à l université de Maurice en J y rencontrai Fatiha Fort pour la première fois, et de cette rencontre naquit l idée d une thèse qui débuta fin En premier lieu, je tiens à remercier Jean Louis Rastoin, et Fatiha Fort d avoir cru en moi et d avoir soutenu ma candidature comme doctorante au sein de l Unité Mixte de Recherche Marchés, Organisations, Institutions, et Stratégies d Acteurs (l UMR MOISA) à Montpellier SupAgro. Je les remercie pour leurs critiques constructives tout au long de ce travail. Un merci particulier à Fatiha qui a assuré la direction de cette thèse à partir de la deuxième année en 2009, pour m avoir soutenu et m avoir fait avancer dans mes réflexions et dans la valorisation des résultats. Je remercie les membres du jury, les rapporteurs M. Bernard Leca et M. Didier Chabaud ainsi que les examinateurs, M. Jean Louis Rastoin et M. Karim Messeghem d avoir accepté de participer à l évaluation de ce travail. Je remercie également les membres de mon comité de thèse pour leurs conseils avisés sur l avancement de la thèse : Denis Loeillet et Ludovic Temple (CIRAD), Johny Egg (INRA Montpellier), et Leïla Temri (Montpellier SupAgro). A l île Maurice, je souhaite remercier mon employeur, l université de Maurice, pour m avoir autorisé à m investir pendant cinq ans dans ce travail de thèse. Un grand merci à l Ambassade de France à l île Maurice en partenariat avec l état mauricien pour le financement de la thèse à travers le Ministère des Affaires Etrangères Française. Je remercie aussi toutes les personnes enquêtées sur le terrain à l ile Maurice pour avoir pris de leur temps afin de répondre à mes questions : les membres des institutions publiques (un merci particulier aux personnels de l Agricultural Research and Extension Unit (AREU) qui ont accepté de me recevoir plusieurs fois et ont facilité les enquêtes auprès des acteurs de la filière légumes frais); les membres des institutions agricoles privées (en particulier Jean Cyril Monty, Jocelyn Kwok, Gopal Pillay, Raïfa Bundhun) ; les centrales d achat des supermarchés ; les membres et bureau d association de producteurs de légumes ; les mandataires dans les marchés de gros ; et enfin les producteurs (sucriers et maraîchers) pour leur accueil toujours chaleureux et leur confiance. Je remercie le personnel de l EGIDE à Montpellier, l organisme qui a géré ma bourse de thèse en France, pour leur accueil et leur soutien, en particulier les personnes qui se sont chargées de mon dossier : Catherine, Tiphaine et Florian. L expérience doctorale c est aussi un partage quotidien autant sur le plan humain que sur le plan professionnel. Je remercie ainsi les membres du personnel administratifs et scientifiques de l UMR MOISA ainsi que de l UMR voisine, LAMETA de m avoir toujours accueilli avec le sourire. Un grand merci à mes amis doctorants et ex doctorants iii

5 REMERCIEMENTS Marianne, Fanny, Elodie, Manuel, Iciar et Romina pour tout ce que l on a partagé. Merci à l équipe REGAAL, notamment Selma Tozanli, Paule Moustier et Foued Cheriet pour leurs apports à mes réflexions théoriques et empiriques. Je remercie l équipe administrative du bâtiment 26, Cédric (toujours présent pour un dépannage informatique express), Christian, Michael, Naïma, Saloua (pour avoir partagé des séances de danse orientale et des fou rires), sans oublier Christophe ( Ninou ) du personnel d entretien des bureaux pour ses mots d encouragements quotidiens. Un grand merci aussi à toute l équipe du centre de documentation, Pierre Bartoli (Caroline, Jean-Walter, Isabelle, Laurent et Gabrielle) pour leur accueil et leur efficacité. Le parcours d une thèse ne peut se faire sans le soutien des proches- amis et familles. Merci à mes amis : Mala, et Shane, Ile Maurice ; Roberto, Université de Hambourg ; et Nicolas Balas, Université Montpellier 1- pour leurs encouragements en tant que chercheurs et académiciens. Merci à Kurt, mon guru spirituel et mon indicateur de zenitude. Merci à ma famille : Mes parents (pour leur soutien indéfectible ; pour avoir cru en moi et m avoir toujours encouragé dans mes études depuis ma petite enfance) ; mes frères (Umesha et Menon), beaux-frères, belles-sœurs, ma petite sœur, Anouchka ; mes cousins; ma famille d accueil en France (Margaret et Jean à Marseille ; Maligai et Gérard à Paris ; Vikash et Vaishali à Paris, et Christine, Marc, Alex, Olivier et Anouk à Montpellier) ; et tous les autres qui ont fait de mon séjour à Montpellier une expérience de vie inoubliable (Daniel de la Résidence SupAgro; et Soraya pour ses bons petits plats Malgache). Merci à toutes les personnes suivantes pour la relecture attentive du manuscrit : Fatiha, Sanjay, et Reena. Un grand merci à mon époux, Sanjay, pour son soutien, son amour, sa confiance, et son apport inestimable dans la révision et la mise en page de mon document de thèse. En dernier lieu, je remercie mon fils, Mirish, qui a été à mes côtés tout au long de cette thèse, et qui m a continuellement motivé du haut de ses 9 ans. J espère en retour avoir pu institutionnaliser en lui les valeurs du travail bien fait et la motivation de toujours aller jusqu au bout de ses rêves. A toutes ces personnes et à celles et ceux que j ai pu involontairement oublier, ce serait un C R I M E de ne pas dire..m E R C I! Brinda Décembre 2013 iv

6 SOMMAIRE INTRODUCTION GENERALE... 1 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1 : LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 1 : Les premières perspectives institutionnalistes SECTION 2 : Le néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles SECTION 3 : La sociologie néo-institutionnelle et le concept d entrepreneur institutionnel SECTION 4 : Le travail institutionnel dans les études organisationnelles SECTION 5: Le néo-institutionnalisme et l analyse de filières agricoles SECTION 6 : Proposition d un modèle conceptuel CONCLUSION DU CHAPITRE CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES SECTION 1 : La genèse du secteur agricole mauricien SECTION 2 : Le succès de la filière canne à sucre SECTION 3 : Notre champ organisationnel-la filière légumes CONCLUSION DU CHAPITRE CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE SECTION 1 : Terrain exploratoire du champ organisationnel : Résultats et apports SECTION 2 : Elaboration des propositions de recherche CONCLUSION DU CHAPITRE CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE SECTION 1 : Positionnement épistémologique et design de la recherche SECTION 2: Sélections des études de cas et collecte des données SECTION 3 : Analyse des données des études de cas SECTION 4 : Critères de fiabilité et validité de la recherche CONCLUSION DU CHAPITRE CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS SECTION 1 : Méso analyse du champ organisationnel SECTION 2 : Micro-analyse des logiques institutionnelles au niveau des acteurs SECTION 3 : Identification des types et formes de travail institutionnel SECTION 4 : Les résultats des études de cas CONCLUSION DU CHAPITRE CHAPITRE 6 : DISCUSSION SECTION 1 : Les déterminants et les conséquences du travail institutionnel SECTION 2 : La validation des propositions de recherche CONCLUSION DE LA DISCUSSION CONCLUSION GENERALE v

7 SOMMAIRE REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES LISTE DES TABLEAUX INSERES DANS LE TEXTE LISTE DES FIGURES INSEREES DANS LE TEXTE LISTE DES ABREVIATIONS TABLE DES MATIERES ANNEXES vi

8 INTRODUCTION GENERALE

9 INTRODUCTION GENERALE INTRODUCTION GENERALE Le sucre représente une denrée importante dans les transactions agricoles internationales: La production mondiale de sucre, d après l organisation internationale du sucre (ISO 1 ), en valeur brute pour la campagne 2012/2013, était de l ordre de 183,8 millions de tonnes avec une consommation mondiale de 170,1 millions de tonnes (FranceAgriMer, 2012). Les estimations de production pour la campagne 2013/2014 sont prévues à la baisse avec une production mondiale de 180,8 millions de tonnes, et une consommation mondiale à la hausse qui devrait s élever à 176,3 millions de tonnes (FranceAgriMer, 2013). Le marché mondial du sucre est approvisionné par les principaux pays producteurs et exportateurs, à hauteur d environ 80% de sucre de canne (le Brésil, l Inde, la Thaïlande et l Australie) et 20% de sucre de betterave (la France, l Allemagne, et l Ex-URSS). L économie mondiale du sucre s est longtemps caractérisée par un degré élevé d intervention gouvernementale aussi bien sur les marchés intérieurs qu au niveau international. Ainsi, la formation des prix du sucre sur le marché mondial a fortement été influencée par les régimes spéciaux et les arrangements préférentiels. Le groupe des états d Afrique, des Caraïbes, et du Pacifique (ACP), bénéficiaires du protocole sucre (issu de la convention de Lomé de 1975 à 1999 suivi de l Accord de Cotonou en 2000), a ainsi eu droit à un quota à l exportation à un prix préférentiel fixe dérivé des cours de soutien payés aux producteurs betteraviers européens. Ce régime préférentiel européen a assuré aux états ACP, pendant près de quarante ans, des prix supérieurs au cours mondial du sucre, et des systèmes de quotas protégeant les pays exportateurs ACP de la concurrence internationale. Cependant l avancée de la mondialisation et de la libéralisation du commerce international a entraîné dans son sillage la nécessité de réformer les règles internationales du commerce des biens et des services. C est ainsi que l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 2 ), mis en œuvre en 1948 pour favoriser le libre-échange entre les pays membres, va déboucher en 1995 sur la création de l organisation Mondiale du Commerce (OMC), dont la tâche est la réforme des échanges mondiaux suite aux négociations du cycle d Uruguay. En 1 ISO : International Sugar Organization 2 GATT : General Agreement on Tariff and Trade 1

10 INTRODUCTION GENERALE parallèle, un accord particulier, sur les échanges de produits agricoles, obligera les pays membres de l OMC à faciliter l accès de leur marché intérieur et à réduire les aides gouvernementales au secteur agricole. Suite aux changements explicités ci-dessus, des accords, tels que l OCM sucre (Organisation Commune du Marché) mis en place en 1968 par l Union Européenne (UE) dans le cadre de sa politique agricole commune, deviennent incompatibles avec les règlements de l OMC. C est ainsi que les grands pays producteurs sucriers tels que le Brésil, la Thaïlande et l Australie dénoncent l OCM sucre auprès de l OMC pour contraindre l UE à mettre fin aux subventions à ses producteurs betteraviers, et au protocole sucre qui bénéficie aux producteurs de sucre de canne appartenant au groupe ACP. De ce fait la réforme du protocole sucre entre l UE et les états ACP est amorcée en 2006 pour prendre fin en Les producteurs ACP de sucre de canne subissent ainsi une baisse du prix subventionné du sucre de 36%. En contrepartie, l UE met cependant en place des mesures d accompagnement financières pour aider les pays producteurs ACP à réformer leur filière sucrière. La perte des tarifs préférentiels de l Union Européenne est un choc exogène qui force les pays ACP à remettre en question leur secteur agricole. L application des règlements de l OMC pour la libéralisation du commerce international, n a fait que renforcer les barrières à l exportation surtout pour les petits états insulaires en développement (PEID) 3 qui n ont pas suffisamment de ressources face aux gros pays exportateurs agricoles. Dans un souci d améliorer la productivité de leurs secteurs agricoles, ces pays doivent rendre les systèmes de productions agricoles plus efficaces et baisser les coûts de production, et aussi envisager des diversifications agricoles dans d autres activités plus rémunératrices. Parmi les petits états insulaires dans le groupe ACP, l île Maurice (Maurice, désormais) a joué un rôle important car elle était le principal exportateur de sucre, avec 43 pour cent des exportations totales (Wohlgenant, 1999). Cependant après la réforme du protocole sucre par l UE, les quotas d exportation de sucre des pays ACP, ont été revu et au fil des années 3 Désignation officielle des Nations Unies qui regroupent actuellement 39 petits États insulaires et 12 petits territoires insulaires selon trois zones géographiques : les Caraïbes, le Pacifique et la région dites AIMS pour Afrique, Océan Indien, Méditerranée et mer de Chine méridionale 2

11 INTRODUCTION GENERALE Maurice s est retrouvé avec 23% du quota ACP en et 18% en (EuropeanCommission, 2013). La filière sucre est étroitement associée à l histoire de Maurice, et constitue un des piliers économiques du pays. La filière sucre mauricienne, longtemps bénéficiaire du protectionnisme européen, se retrouve ainsi menacée par la mondialisation avec un manque à gagner de 782 millions d euros pour la période 2006 à 2015 (MOAF, 2006). Au vu de l importance des conséquences que représente la réforme du protocole sucre ACP- UE pour l agriculture et l économie de Maurice, nous nous sommes intéressées à ce contexte, que nous préciserons dans la section suivante, pour construire notre objet de recherche. I-1 Le contexte de la recherche Maurice est un petit état insulaire avec peu de ressources en termes de terres agricoles pour pouvoir concurrencer des grands pays producteurs de sucre tels que l Australie ou le Brésil. Maurice est même comparée par Grégoire et Théry (2007) au «petit poucet» face à «l ogre» (le Brésil) dans sa lutte pour négocier une place sur le marché international du sucre. La réforme du protocole sucre, un choc exogène pour les producteurs sucriers mauriciens, a remis en question les objectifs de la filière canne à sucre mauricienne, et a engendré une profonde restructuration de cette filière avec de nombreux projets de diversification agricoles et non agricoles. Une des stratégies de diversification de certains gros producteurs sucriers, acteurs clés de cette filière, est la production intensive et hautement mécanisée de légumes pour le marché mauricien, ce qui entraîne en conséquence des changements importants dans la filière locale des légumes. Le constat de départ est que la réforme du protocole sucre ACP-EU a des effets directs sur la filière canne à sucre, et indirects sur la filière légumes. Historiquement, ce sont deux filières qui opèrent chacune dans un cadre institutionnel différent forgé à travers les décennies par les acteurs avec des règles d appartenance et de conduite, des valeurs et des croyances, et des normes propres à chaque filière. Ces deux filières ont certes des liens historiques et une certaine perméabilité mais fonctionnent de manières très distinctes avec des produits et des marchés différents. Cependant quand la filière légumes est investie par des nouveaux entrants 3

12 INTRODUCTION GENERALE de la filière canne à sucre avec de nouvelles techniques de production et de nouveaux circuits de distribution, il y a une remise en question des pratiques, des règles, des normes, et des valeurs de la filière légumes autant par les nouveaux entrants que par la réaction des acteurs en place. Inscrits dans ce contexte, nous nous intéressons surtout à comprendre de quelle façon les acteurs qui décident d investir une autre filière peuvent agir sur les institutions existantes, et comment dans ce processus de changement institutionnel il y a un déclenchement en parallèle de réactions stratégiques institutionnelles individuelles ou collectives parmi les acteurs en place. En effet, les changements observés ne concernent pas uniquement des aspects économiques et stratégiques des acteurs de la filière mais affectent profondément le mode de fonctionnement des institutions de la filière légumes. Pour comprendre comment les acteurs peuvent influencer le cadre institutionnel dans lequel ils évoluent, nous avons utilisé comme grille de lecture l application de la théorie néoinstitutionnelle dans les études organisationnelles, et plus particulièrement le courant de la sociologie néo-institutionnelle pour construire notre cadre de référence théorique comme décrit dans la section suivante. I-2 Le cadre de référence théorique de la recherche Les travaux utilisant les premières perspectives institutionnelles dans la sociologie ont été très présents depuis la fin du 19 e siècle débutant avec les travaux d Herbert Spencer qui avancent que la société est un système organique qui évolue dans le temps en s adaptant à son contexte ou environnement grâce à ses «organes» qui sont structurés comme des sous-systèmes institutionnels (Scott, 2008). D après Campbell (2004) «Les institutions sont constituées de règles formelles et informelles, de mécanismes de surveillance et d application, et de cadres de références qui définissent le contexte où les individus, les organisations, les états entres autres opèrent et interagissent.» Les institutions sont aussi conceptualisées comme un construit social qui 4

13 INTRODUCTION GENERALE forme les préférences et détermine ce que les acteurs peuvent définir comme actions légitimes (Berger et Luckmann, 1967). Une fois les institutions créées, elles servent à canaliser et à réguler les conflits et de ce fait donnent une forme de stabilité à la société. Les institutions peuvent être très stables, mais cependant elles peuvent aussi changer radicalement ou de façon incrémentale. Les institutions sont typiquement conceptualisées comme «les règles du jeu» (North, 1990). Ainsi des chocs exogènes sur les institutions introduisent des changements dans les règles formelles et informelles qui affectent les acteurs/organisations, aussi appelés «les joueurs» (North, 1990). Les chocs exogènes à un niveau macro peuvent aussi remettre en cause les institutions d un secteur (niveau méso) et forcer les acteurs qui y évoluent à faire des choix stratégiques (Peng, 2003). La littérature nous indique que «le néo-institutionnalisme dans l analyse organisationnelle se distingue par son caractère sociologique.» (DiMaggio et Powell, 1991). Il y a ainsi un rejet du modèle de l acteur rationnel, l accent mis sur les institutions comme variables indépendantes, l utilisation d explications culturelles et cognitives, et l utilisation d unités d analyse supraindividuelles. Nous avons ainsi utilisé la sociologie néo-institutionnelle comme grille de lecture pour comprendre le processus du changement institutionnel qui s opère dans la filière légumes à Maurice, et les effets sur les acteurs/organisations y opérant. Le courant de la sociologie néo-institutionnelle s est imposé à partir de la fin des années 1970 comme l un des courants majeurs pour étudier les relations inter organisationnelles. Portée par des auteurs qui ont étudié les processus de légitimation (Meyer et Rowan, 1977); les comportements d imitations inter organisationnels (DiMaggio et Powell, 1983); et la diffusion des pratiques parmi les organisations (Tolbert et Zucker, 1983), la sociologie néo institutionnelle (SNI), dans les années 1980, a fait du mimétisme inter organisationnel son objet d analyse et son explication de la plupart des comportements inter organisationnels (Leca, 2006). En prenant la perspective des chercheurs institutionnalistes au sein des études organisationnelles, qui se sont orientés vers les aspects normatifs et cognitifs des institutions (Meyer et Rowan, 1977, Zucker, 1977, DiMaggio et Powell, 1983, Tolbert et Zucker, 1983), nous constatons que l accent est mis sur les causes de l institutionnalisation dans les organisations, et les mécanismes qui aident les organisations à acquérir une légitimité en se 5

14 INTRODUCTION GENERALE conformant aux normes et aux exigences de l environnement institutionnel. Ces travaux ont montré les comportements stables et répétitifs des organisations pour se conformer à des activités légitimées des organisations même en présence de pressions institutionnelles externes (DiMaggio et Powell, 1983, Tolbert et Zucker, 1983, Oliver, 1988). Cet accent sur le processus de légitimation, de conformité des organisations à leur environnement institutionnel, et de stabilité a mis de côté les recherches sur les facteurs qui poussent les organisations à défier, rejeter ou abandonner les pratiques institutionnalisées (Oliver, 1992). C est ainsi qu Oliver (1992) définit le processus de désinstitutionalisation comme la délégitimation d une pratique établie face aux défis que doivent affronter les organisations, ou face à l incapacité des organisations à reproduire des actions légitimes ou prises pour acquises. Les antécédents de la désinstitutionalisation sont, pour Oliver (1992), des pressions politiques, fonctionnelles et sociales qui affectent à la fois les organisations à un niveau micro, et l environnement institutionnel où évoluent les organisations à un niveau méso. Les changements qui affectent l environnement institutionnel peuvent être de nature exogène, comme l arrivée de nouveaux entrants avec leur propres logiques institutionnelles (Scott et al., 2000, Thornton, 2004), ou de nature endogène, comme les disparités entre l environnement macro et micro en réaction à des changements au niveau local (Sewell, 1992, Dacin et al., 2002). Une des limites de la SNI étant l absence d une théorie de l action autant au niveau des acteurs individuels que des organisations, cette limite est adressée vers la fin des années 1980 par des auteurs tels que DiMaggio (1988); Holm (1995); Fligstein (1997); Rao (1998) ; Beckert (1999); Garud et al.(2002); Maguire et al. (2004), pour expliquer le processus de changement institutionnel causé par des facteurs endogènes au champ organisationnel. Cela donne lieu à une approche étendue de la SNI (Hoffman et Ventresca, 2002) qui réintègre l action stratégique pour rendre compte des capacités des acteurs à agir sur leur environnement institutionnel. Toutefois en réintroduisant l acteur dans le cadre néo-institutionnaliste, les auteurs se sont vus confrontés au paradoxe de l agent encastré comme formulé par Holm (1995) : «Comment les agents peuvent-ils changer des institutions si leurs actions, leurs intentions et leur rationalité sont toutes conditionnées précisément par ces institutions qu ils veulent changer?» Pour répondre à ce paradoxe, les auteurs de la SNI étendue ont suggéré deux réponses. La première réponse est celle de Beckert (1999) qui parle du désencastrement de l acteur de son 6

15 INTRODUCTION GENERALE environnement institutionnel «en prenant du recul» pour réduire les pressions institutionnelles et redonner à l acteur des choix stratégiques. La deuxième réponse se fonde sur la notion de logique institutionnelle (Friedland et Alford, 1991). Les logiques institutionnelles incluent des présuppositions, des croyances et des règles qui aident les acteurs à s organiser et à donner un sens à la réalité sociale (Friedland et Alford, 1991, Thornton et Ocasio, 1999). La présence de logiques institutionnelles contradictoires ou complémentaires dans l environnement institutionnel crée des incohérences et des tensions et constitue aussi une source de choix stratégiques pour les acteurs (Friedland et Alford, 1991). Cette diversité de références institutionnelles peut aussi aider les acteurs à s inspirer de pratiques dans d autres champs organisationnels pour changer les règles du jeu (Seo et Creed, 2002). Ces deux réponses au paradoxe de l agent encastré permettent d envisager un changement institutionnel de nature endogène provoqué par des acteurs agissant comme des entrepreneurs institutionnels. Le thème de l entrepreneuriat institutionnel a donné lieu à de nombreux travaux depuis la fin des années Nous nous intéressons particulièrement aux apports de ce cadre conceptuel car il permet une micro-analyse au niveau du champ organisationnel, comme celui de la filière légumes qui nous intéresse dans cette recherche. L entrepreneur institutionnel est défini comme un acteur qui crée ou transpose des pratiques, des croyances ou des modèles et fait en sorte que les autres acteurs adhèrent à ces nouvelles pratiques et les acceptent comme des normes (Fligstein, 1997, Zimmerman et Ziet, 2002). Le but des entrepreneurs institutionnels est d instaurer ou de changer les règles du jeu. Ils interviennent principalement dans des champs organisationnels émergents où il y a le développement d une nouvelle activité, et les entrepreneurs institutionnels fixent les règles du jeu et légitiment l activité auprès des parties prenantes (Aldrich et Fiol, 1994, Zimmerman et Ziet, 2002). Ils interviennent aussi dans des champs en crise lorsque les institutions en place ne peuvent faire face aux nouvelles exigences technologiques, légales, économiques ou sociales (Fligstein, 1997). Avec le concept de l entrepreneur institutionnel, le changement institutionnel peut être considéré comme un but stratégique, le champ organisationnel comme une arène sociale et politique et un espace d action stratégique pour les acteurs qui y évoluent (Leca, 2006). Cependant de récentes études ont critiqué le concept de l entrepreneur institutionnel. Weik, (2011) évoque un biais individualiste et managérial envers les institutions avec des entrepreneurs institutionnels qui «créent ou détruisent des institutions de la même façon et 7

16 INTRODUCTION GENERALE pour les mêmes raisons qu ils fondent des entreprises.» D autres critiques ont aussi noté le fait que l entrepreneur institutionnel est perçu comme un acteur héroïque alors que très peu d attention est portée dans la littérature aux efforts collectifs de tous les acteurs, aux échecs, et aux interdépendances (Lawrence et Suddaby, 2006). Ainsi Lawrence et Suddaby (2006) introduisent le concept du travail institutionnel qui permet de remettre en perspective les efforts collectifs de tous les acteurs qui évoluent dans un champ organisationnel pour créer, déstabiliser ou maintenir les règles institutionnelles. L approche du travail institutionnel permet ainsi de dépasser la vision de l entrepreneur institutionnel et de rendre compte des activités multiples des différents acteurs vis-à-vis des institutions. En poursuivant leurs travaux, Lawrence, Suddaby et Leca (2009b) invitent à délimiter plus précisément les contours de l approche du travail institutionnel à travers les notions de pratique, d intentionnalité, et de l effort associé au travail des acteurs. Ces auteurs appellent aussi les chercheurs à se concentrer sur les activités des acteurs impliqués dans le travail institutionnel plutôt que sur les résultats. Lawrence et Suddaby (2006) distinguent trois grands types de travail institutionnel : la création, le maintien et la déstabilisation institutionnelle. En premier lieu, la création institutionnelle en se basant sur la notion de l entrepreneuriat institutionnel a reçu le plus d attention de la part des chercheurs en organisations. Ce type de travail institutionnel correspond à la mise en place et à la légitimation de nouvelles règles institutionnelles, de nouvelles pratiques et de nouveaux standards. En second lieu, les acteurs en place dans un champ organisationnel doivent, sous certaines conditions, déployer des efforts considérables pour maintenir les institutions face aux nouveaux entrants dans les organisations ou dans le champ organisationnel ; face aux changements technologiques ou démographiques ; ou face à l évolution du champ organisationnel dans des directions nouvelles et inattendues (Lawrence et Suddaby, 2006). En dernier lieu, la déstabilisation des institutions nous ramène aux acteurs, qui souhaitant un changement dans les institutions existantes, doivent convaincre les autres acteurs du champ organisationnel de se détourner de ces institutions. Il peut y avoir par exemple, «une remise en cause des croyances, et des fondements moraux et coercitifs des institutions» (Ben Slimane et Leca, 2010). Les institutions peuvent être déstabilisées) par l action individuelle ou collective des acteurs si leurs intérêts ne se trouvent pas dans les arrangements institutionnels existants (DiMaggio, 1991). 8

17 INTRODUCTION GENERALE Les apports des travaux sur les logiques institutionnelles, l entrepreneuriat institutionnel et le travail institutionnel nous servent ainsi de cadre de référence théorique pour analyser et comprendre les conséquences d un choc exogène sur les stratégies institutionnelles des acteurs d un secteur d activité qui, dans notre recherche, peuvent être soit les nouveaux entrants sucriers ou les acteurs «traditionnels» (en place) de la filière légumes à Maurice. Ainsi, l objet de notre recherche est de traiter de l apport du travail institutionnel et de ses conséquences sur les institutions d une filière agricole. Cette problématique peut être décomposée en trois questions de recherche principales : Quels sont les facteurs qui déterminent le choix du type de travail institutionnel? Quelles sont les conditions objectives et subjectives qui permettent aux acteurs (nouveaux entrants ou en place) d agir sur les logiques institutionnelles existantes dans un champ organisationnel? Quelles sont les différentes formes de travail institutionnel qui sont utilisées pour créer, maintenir, ou déstabiliser des institutions? La thèse défendue dans ce travail de recherche est que le travail institutionnel offre une perspective sociologique intéressante pour étudier les acteurs d une filière, ce qui ajoute une autre dimension en permettant une micro-analyse des dynamiques de filières agricoles. Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons choisi une démarche de recherche abductive basée sur des allers retours entre la théorie et le terrain que nous présentons dans la section suivante. I-3 La démarche méthodologique de la recherche La revue de la littérature de la SNI nous permet de construire des grilles de lecture que nous adapterons à notre champ d investigation. 9

18 INTRODUCTION GENERALE Une étude exploratoire de notre champ de recherche, la filière légumes, nous permettra de mieux identifier les acteurs clés, nouveaux entrants et acteurs en place, et d affiner notre problématique générale. Nous nous intéresserons ensuite à ces acteurs clés pour comprendre leurs actions et réactions face aux changements dans leur champ organisationnel, déclenchés par l arrivée des nouveaux entrants. Nous préciserons ensuite les propositions de recherche et mettrons en place une méthodologie adaptée pour tester la validité de nos propositions de recherche. Notre recherche utilisera principalement des méthodes qualitatives (analyse de discours et entretiens avec les acteurs et études de cas). I-4 Intérêts de cette recherche Sur le plan académique, notre recherche propose d utiliser la SNI pour analyser les comportements stratégiques dans une filière agricole. Il s agit là d une originalité majeure car les nombreux travaux qui concernent le secteur agricole ont généralement mobilisé l économie néo-institutionnelle pour les analyses de filière, ou les analyse de chaîne de valeur et l économie néo-institutionnelle. Notre ambition est de montrer que l utilisation de la perspective institutionnelle dans une analyse de filière, à travers la sociologie néoinstitutionnelle étendue, apportera des éclairages plus larges sur les aspects sociologiques et humains des comportements des acteurs/organisations. Sur le plan managérial, notre recherche apportera des éléments de réflexion et d action pour les professionnels (sucriers et de la filière légumes) et surtout pour l orientation des politiques publiques de soutien. La perspective institutionnelle au sein des études organisationnelles permet aux praticiens de comprendre que les institutions ne sont pas stables, et que les acteurs/organisations peuvent agir intentionnellement de façon individuelle ou collective, pour les changer en fonction de leurs intérêts. 10

19 INTRODUCTION GENERALE I-5 Plan de la thèse Afin de répondre à notre problématique de recherche, cette thèse s articule autour de deux parties : la première partie présentera l ancrage théorique, le contexte de la recherche, et les propositions de recherche ; et la deuxième partie abordera la démarche méthodologique ; l analyse des résultats et la discussion des résultats. La première partie, divisée en trois chapitres, justifiera le cadre conceptuel retenu et contextualisera la problématique. Le chapitre 1 présentera les apports de la sociologie néoinstitutionnelle en soulignant les concepts clés qui en font sa richesse : les institutions, le champ organisationnel, les logiques institutionnelles, la communauté d acteurs, le changement institutionnel, les conditions favorisant l émergence d entrepreneurs institutionnels et le travail institutionnel. Les apports du cadre théorique nous permettront d élaborer un modèle conceptuel. Le chapitre 2 exposera le contexte de la recherche et présentera les deux filières canne à sucre et légumes à Maurice. Nous examinerons le cadre institutionnel de chacune des deux filières en mettant l accent sur les pratiques institutionnalisées existantes. Nous analyserons ensuite les évolutions dans les deux filières en termes de chocs exogènes et endogènes. Le chapitre 3 exposera l étude exploratoire et ses apports à la formulation des propositions de recherche. La deuxième partie présentera en premier lieu notre posture épistémologique, et justifiera le design de la recherche ; et en deuxième lieu présentera les résultats et la discussion. Le chapitre 4 présentera une revue de littérature autour des méthodologies qualitatives. Il définira aussi le cadre d analyse choisi pour répondre à notre problématique, ainsi que la stratégie de recherche et le protocole de l étude empirique. Le chapitre 5 exposera les résultats empiriques de nos enquêtes qualitatives et le test de nos propositions de recherche. Le chapitre 6 portera sur les discussions des résultats à la lumière de la littérature et des développements empiriques observés. Enfin la conclusion générale présentera une synthèse des principaux résultats obtenus dans le cadre de notre recherche, et identifiera les apports, les limites et les prolongements de la recherche. 11

20 INTRODUCTION GENERALE La figure 1.0 présente la structure générale de la thèse. Introduction Générale Première partie: L ancrage théorique et la contextualisation du problème Deuxième partie: Méthodologie et Résultats Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la Chapitre 3 : recherche : Les propositions de Les filières canne à recherche sucre et légumes mauriciennes Adduction Chapitre 4: Méthodologie de recherche Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de cas Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière Chapitre 6 : Discussion Conclusion Générale Figure1 1.0 : Structure générale de la thèse 12

21 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Chapitre 3 : Les propositions de recherche Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière

22 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Cette première partie de la thèse construit notre objet de recherche, qui porte sur les interactions entre institutions et acteurs, et que nous proposons d investir à l île Maurice. Le choix de l île Maurice comme cadre d étude se justifie par le fait que le cas d un petit état insulaire faisant face à une restructuration de ses filières agricoles du à des changements à un niveau macro économique et global, n est pas un cas isolé mais le cas d autres pays du Sud. La première partie de la thèse est divisée en trois chapitres : Le chapitre 1 mobilisera le référentiel théorique suite aux questions de recherches définies dans l introduction générale. Le cadre théorique mobilisé sera la sociologie néo institutionnelle étendue et ses concepts clés tels que les logiques institutionnelles, et le travail institutionnel qui nous permettront de mieux comprendre la relation récursive entre les institutions et les acteurs/organisations, de conceptualiser notre problématique et d avancer un modèle conceptuel. Le chapitre 2 contextualisera la problématique générale et donnera tout d abord une description des filières sucre et légumes par rapport à leurs cadres institutionnels respectifs, et l organisation des filières. L importance du protocole sucre pour la filière sucre sera ensuite souligné ainsi que les conséquences directes et indirectes de sa réforme pour les filières sucre et légumes respectivement. L objectif de ce chapitre sera de donner les éléments qui ont structuré les environnements institutionnels des deux filières pour pouvoir expliquer le travail institutionnel des acteurs concernés. Le chapitre 3 présentera les apports du terrain exploratoire. Ce terrain exploratoire permettra de mieux cerner la problématique de terrain et de l affiner pour formuler les propositions de recherche. 14

23 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Chapitre 3 : Les propositions de recherche Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière

24 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Chapitre 1 : Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Introduction Dans ce chapitre nous allons construire notre cadre de référence théorique en utilisant les apports conceptuels de la sociologie néo-institutionnelle (SNI), dans les études organisationnelles, ce qui nous permettra de conduire une analyse de filière avec une perspective néo-institutionnelle. Il nous a semblé pertinent de comprendre tout d abord brièvement comment la perspective institutionnaliste a été incluse dans les travaux en économie, mais aussi dans d autres disciplines telles que la sociologie. Nous verrons ensuite de manière plus approfondie la relation entre la théorie institutionnelle et les études organisationnelles jusqu à l émergence de nouvelles approches institutionnelles dans les années Nous nous intéresserons à une de ces approches en particulier, la sociologie néoinstitutionnelle étendue Nous utiliserons les concepts clés de cette approche pour construire un modèle conceptuel qui nous permettra de mettre en relation les éléments qui sont déterminants dans le processus de changement institutionnel au niveau de notre filière à être analysée. Ce chapitre a deux objectifs principaux : premièrement justifier le choix conceptuel de la SNI dans une analyse de filière ; et deuxièmement utiliser les fondements de la SNI pour répondre à notre problématique et formuler nos propositions de recherche théorique. Pour atteindre le premier objectif nous essayerons de souligner comment la SNI peut nous aider à mieux cerner de quelle façon les acteurs d une filière agissent sur les institutions. La réflexivité des acteurs et le travail institutionnel qu ils entreprennent dans une filière pour agir sur les institutions peut être appréhendé d un point de vue sociologique. Ainsi la SNI peut nous aider à répondre à notre problématique qui est de comprendre comment les acteurs peuvent agir pour causer un changement institutionnel et quels sont les facteurs explicatifs qui permettent aux acteurs d agir dans un sens ou dans un autre. 16

25 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 1 : Les premières perspectives institutionnalistes Cette section nous permettra de comprendre le cheminement de la perspective institutionnaliste dans la littérature et plus spécifiquement dans deux disciplines majeures, l économie et la sociologie. Nous verrons ensuite comment la théorie institutionnelle s est associée à la théorie des organisations de par les travaux de chercheurs sur les dimensions non-rationnelles des organisations. 1.1 Les premières perspectives institutionnalistes en économie et sociologie Bien que la littérature nous renvoie aux premières perspectives institutionnelles dans des disciplines telles que l économie, la science politique et la sociologie, nous nous intéressons plus particulièrement aux disciplines de l économie et de la sociologie car ces deux disciplines ont fortement influencé par la suite les nouvelles approches institutionnelles avancées par les sociologues et les chercheurs organisationnels (Scott, 2008) Les premières perspectives institutionnelles en économie Les plus anciens arguments institutionnels, dans la discipline de l économie, trouvent leurs origines en Allemagne et en Autriche vers la fin du 19 e siècle à travers le Methodenstreit, le fameux débat entre la méthode scientifique et les sciences sociales (Chavance, 2007 ; Scott, 2008). Ce débat, mené par Gustave Schmoller de l école historique Allemande de 1900 à 1904 contre le principal défenseur de l économie classique, Carl Menger, a pour but de contester l homo oeconomicus et les hypothèses simplistes dans l économie néoclassique, pour promouvoir des modèles beaucoup plus réalistes qui intègrent le comportement humain (Scott, 2008). L école historique Allemande avance que les processus économiques opèrent dans un cadre social façonné par des forces culturelles et historiques. Les idées de l école historique de Schmoller sont reprises au début du 20 e siècle par trois économistes institutionnalistes américains influents: Thorstein Veblen, John Commons et Westley Mitchell. Ces trois chercheurs, bien qu ayant certains points de vues divergents, sont très 17

26 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES critiques envers les modèles économiques conventionnels pour leurs hypothèses qui ne correspondent pas à la réalité, et le peu d attention portée aux effets des évolutions historiques dans la théorie économique. Selon Scott (2008), Veblen suggère que le comportement humain dans ses relations de groupe est fortement influencé par les habitudes et les conventions ; Commons, lui, suggère l utilisation de la transaction, au lieu du choix individuel, comme une unité d analyse économique plus appropriée tout en insistant sur les règles de conduite (les institutions) qui délimitent la poursuite des objectifs des individus et des organisations ; et Mitchell est le pionnier dans la collecte de données empiriques pour illustrer les principes économiques qui selon lui doivent être basées sur des faits et non pas sur des théories abstraites et déductives. Les travaux de ces trois économistes institutionnalistes ont servi à élaborer des disciplines telles que l économie du travail, les relations industrielles, et l économie industrielle Les premières perspectives institutionnelles en sociologie Les travaux utilisant les premières perspectives institutionnelles dans la sociologie ont été très présents depuis la fin du 19 e siècle débutant avec les travaux d Herbert Spencer qui avancent que la société est un système organique qui évolue dans le temps en s adaptant à son contexte ou environnement grâce à ses «organes» qui sont structurés comme des sous-systèmes institutionnels (Scott, 2008). Bien que l analogie à la biologie de Spencer ne soit pas conservée par les sociologues des générations futures, la centralité des institutions comme un aspect d étude sociologique important est reconnue. Ainsi Kingsley Davis en 1949 définit les institutions comme «une série de folklores, de mœurs et de lois entrelacés et construits autour d une ou plusieurs fonctions.». Selon Scott (2008) les textes majeur(e)s en sociologie depuis au moins un siècle ont mis l accent sur l importance de systèmes normatifs qui gouvernent les différentes sphères de la société. L importance des institutions se retrouve aussi dans les travaux de Cooley (1956) sur l interdépendance des individus et des institutions. Hughes (1936), donnant suite au modèle de Cooley, identifie les éléments essentiels des institutions comme une séries de mœurs et/ou de règles formelles, qui ne peuvent être accomplies que par des personnes agissant de façon collective et avec des capacités complémentaires. Cependant en dépit de tous ces travaux, la sociologie des organisations ne donne pas suffisamment d attention à la perspective institutionnelle durant la période 1920 à 1970 (Scott, 2008). 18

27 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES En retraçant l analyse institutionnelle associée à la sociologie dans la tradition européenne, on retrouve en premier lieu la contribution de Karl Marx, dont le travail durant les premières décennies de la révolution industrielle, met l accent sur la construction sociale de la réalité. Deux autres figures majeures sont le sociologue français, Emile Durkheim et l allemand Max Weber. Durkheim (1895) définit les faits sociaux comme «( ) des manières d agir, de penser et de sentir, extérieures aux individus, et qui sont douées d un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s imposent à eux». Pour Durkheim (1895), les individus subissent à leurs insu des pressions externes qui régissent leurs comportements dans une société. Selon Durkheim, les institutions sont les produits d activités conjointes et associatives qui permettent «d instituer» en dehors de l être humain, des façons, initialement subjectives, d agir et de juger (Alexander, 1983). De son côté, les écrits de Max Weber, juriste, sociologue, économiste, historien et philosophe allemand, qualifié d «homme d une érudition encyclopédique» par Aim (2010), ne mentionnent pas explicitement le concept d «institution», mais avancent comment les règles culturelles définissent les structures et comportements sociales (Scott, 2008). Weber développe aussi une nouvelle discipline, la sociologie économique en adoptant les arguments institutionnalistes de l approche historique et comparative associée à l économie, tout en étant d accord avec Carl Menger sur l utilisation des modèles théoriques pour généraliser à partir de systèmes historiques spécifiques. Ce faisant, Weber développe le concept d idéaux-types qui sont produits à partir de l abstraction d évènements ou de faits spécifiques et concrets, et qui peuvent guider et instruire les chercheurs dans des études comparatives pour aider à mieux comprendre le monde réel. Le sociologue français Pierre Bourdieu (1971, 1973) combine les arguments de Marx et de Durkheim en analysant le pouvoir de certains groupes à imposer leurs connaissances et leurs conceptions de la réalité aux autres. Les travaux de Bourdieu ont influencé les chercheurs en organisation des années 1980, en particulier sa conception de l arène sociale, qui est reprise par DiMaggio et Powell (1983) dans leur définition du champ organisationnel pour mieux situer le lieu des processus institutionnels qui façonnent les organisations. 19

28 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Cette revue de littérature sur les premières perspectives institutionnelles dans les sciences sociales démontre que les institutions ont été identifiées et analysées très tôt par les chercheurs en sciences sociales. Cependant d un autre côté, les études organisationnelles ne trouvent leurs origines que durant la période de 1937 à 1947 (March,1965). La section suivante est une revue de littérature sur les travaux reliant les études organisationnelles à la théorie institutionnelle jusqu à l émergence des nouvelles approches institutionnelles (ou néoinstitutionnelles) vers la fin des années La rencontre entre la théorie institutionnelle et les études organisationnelles Les recherches reliant les études organisationnelles et les arguments institutionnels ont commencé au début des années En se basant sur les travaux de Max Weber sur la bureaucratie et ses conséquences sur le comportement des organisations, des chercheurs comme Robert Merton et Philip Selznick de l université de Columbia ont conduit de nombreuses recherches qui ont servi à établir la base des études organisationnelles. Selznick (1948), influencé par les travaux de Merton (1936) sur les conséquences imprévues de l action intentionnelle et sur d autres travaux de Merton sur la bureaucratie, a été une figure de proue de l analyse institutionnelle des organisations. Dans son papier de 1948 sur les fondations de la théorie des organisations, Selznick insiste sur l importance de comprendre les dimensions non-rationnelles des organisations. Pour cet auteur, les organisations ne sont pas seulement des structures mécanistes mises sur pied pour parvenir à des objectifs précis, mais surtout des systèmes organiques et adaptatifs qui sont affectés par les caractéristiques sociales de leurs participants et de l environnement institutionnel où ils opèrent (Selznick, 1948). Dans son livre sur le leadership dans l administration, Selznick (1957) nous décrit l institutionnalisation comme un processus qui affecte une organisation sur la durée et qui reflète l histoire distincte de l organisation, et la façon dont elle s est adaptée à son environnement. Pour Selznick (1957), l institutionnalisation est une façon pour l organisation «d insuffler des valeurs bien au-delà des besoins purement techniques de l organisation». Un des étudiants de Selznick, Arthur Stinchcombe (1968) ajoute la notion de pouvoir et d action 20

29 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES agentique 4 en définissant l institution comme «une structure dans laquelle les personnes, possédant le pouvoir, s engagent par rapport à des valeurs ou des intérêts.» Les travaux de Merton, Selznick et Stinchcombe ont ainsi posé les fondations d un modèle institutionnel (Scott, 2008). Talcott Parsons est un autre auteur majeur reliant l institutionnalisme aux organisations. Les travaux de Parsons (1956a, 1956b) mettent l accent sur la «structure» des organisations qu il décrit en utilisant deux perspectives : la perspective culturelle-institutionnelle qui utilise les valeurs et leurs institutionnalisations, et la perspective du rôle des participants des organisations. Parsons examine la relation entre les organisations et leur environnement en avançant que les organisations se légitiment par rapport aux structures normatives élargies qui prévalent dans les sociétés (Parsons, 1956a). Deux autres auteurs, Herbert Simon et James March, de l école de Carnegie, ont aussi fortement contribué à l avancement de la théorie institutionnelle. Herbert Simon, économiste et chercheur américain, a été le premier à parler de la rationalité limitée des individus. Simon rencontre les limites de la rationalité dans son étude de 1945 sur la prise de décision dans une administration, et formule le concept de rationalité limitée en 1957 par opposition à la rationalité parfaite du modèle économique classique (Quinet, 1994). Pour Simon et March, les valeurs, les cadres cognitifs, les règles et les routines conduisent les individus à se comporter de façon rationnelle (Scott, 2008). Ainsi selon Simon (1997) «l individu rationnel est, et doit être, un individu organisé et institutionnalisé». Cette section nous a permis d établir les liens entre la théorie institutionnelle et les études organisationnelles. Nous avons survolé les travaux théoriques et empiriques des auteurs clés qui ont permis à l institutionnalisme de trouver sa place dans l étude des organisations, de même que les concepts importants qui ont aidé à façonner la tournure et l importance de l institutionnalisme pour les autres chercheurs. 4 Nous traduisons le terme agency dans la littérature anglo-américaine en empruntant la traduction d action agentique de Ben Slimane (BEN SLIMANE, K Les Stratégies Discursives de Légitimation du Changement Institutionnel: Le Cas du MPEG4 dans la Télévision Numérique de Terre en France. Lille: Lille Economie et Management.). A noter que le terme acteur a remplacé celui de l agent dans certains courants théoriques à partir des années 1980 pour une position de refus du déterminisme et pour aussi expliquer que l acteur puisse agir sur son cadre institutionnel. 21

30 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 2 : Le néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles Vers la fin des années 1970, la théorie institutionnelle connaît un renouveau dans les sciences sociales, et est précédée du qualificatif néo dans les travaux contemporains (DiMaggio et Powell, 1991). Cette résurgence de la perspective institutionnelle donne lieu à de nombreux néo-institutionnalismes dans des domaines divers et variés tels que l économie, la théorie des organisations, la science politique, la théorie des choix publics, l histoire et la sociologie. Audelà de leurs divergences, ces différentes approches néo-institutionnelles concordent sur quelques points: le rejet d une conception atomistique des processus sociaux (DiMaggio et Powell, 1991) ; l importance des dispositifs institutionnels (DiMaggio et Powell, 1991; Rizza, 2008); l importance des institutions pour définir un comportement homogène des individus; et finalement les institutions vues comme le produit de l interaction humaine (Rizza, 2008). Dans cette section, nous examinerons brièvement la perspective du néo-institutionnalisme dans deux disciplines, l économie, et la sociologie des organisations. Nous voyons ensuite comment la perspective néo institutionnelle est associée à l étude des organisations avec un fort biais sociologique. 1.3 Les fondations de la théorie néo institutionnelle Le néo-institutionnalisme est selon DiMaggio et Powell (1991) «( ) une tentative pour proposer des réponses nouvelles à de vieilles questions concernant la façon dont les choix sociaux sont façonnés, médiatisés, canalisés par des dispositifs institutionnels». Dans le monde économique, le fait de concevoir les institutions comme «la simple somme de caractéristiques individuelles» (DiMaggio et Powell, 1991), et d accorder peu d attention au contexte social et à la stabilité des institutions, a eu un coût social élevé. Au sein des études organisationnelles, la perspective institutionnelle permet de mieux rendre compte, à travers des modèles alternatifs, de la réalité organisationnelle découlant des études empiriques (DiMaggio et Powell, 1991). 22

31 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Le néo institutionnalisme dans la discipline de l économie Le néo-institutionnalisme en économie se nourrit de plusieurs contributions, selon Langlois (1986), telles que les travaux de Simon (1997) sur la rationalité limitée, l analyse des coûts de transactions et des droits de propriétés, inspirée des travaux de Coase (1937), les travaux de Hayek (1948) de l école Autrichienne moderne, les travaux de Schumpeter (1935) sur l innovation, et la théorie évolutionniste développée par Nelson et Winter (1982). Une branche très étudiée de l économie néo institutionnelle, l économie des coûts de transactions, concernée par les règles et systèmes de gouvernance, s est développée autour des travaux de Ronald Coase (1937). La grande idée de Coase (1937) est de poser la question sur la nature de la firme et son importance, de voir au-delà de la boîte noire qui représente la firme dans l économie néoclassique, et d introduire de façon explicite les coûts de transactions dans l analyse économique. Son idée est reprise bien plus tard et développée par Williamson (1975). Stigler (1989) reprend une autre idée de Coase, tirée de son papier de 1960 sur les problèmes des coûts sociaux, et la formule comme le théorème de Coase. La nouvelle économie institutionnelle (NEI) est aussi reprise par des historiens de l économie (North, 1981); des spécialistes du droit et de l économie (Posner, 1981), des théoriciens des jeux (Schotter, 1981) et des économistes des organisations (Alchian et Demsetz, 1972; Nelson et Winter, 1982; Grossman et Hart, 1987). Comme avancée par Williamson (1985), la nouvelle économie institutionnelle se différencie de l économie néoclassique par rapport aux hypothèses standards et postule que l individu a une rationalité limitée qui est la conséquence d une asymétrie d information et d une capacité mentale limitée à utiliser les données. A cause des incertitudes et des risques dans son environnement, l individu perçoit des coûts de transactions dans l acquisition d information dans le cadre de ses activités. De plus l individu peut faire preuve d opportunisme en fonction des situations. Les travaux de Williamson se concentrent sur les effets des différentes formes de gouvernance sur les coûts de transactions, et considèrent donc les organisations comme des formes institutionnelles qui prennent en considération ce qu il appelle les «conditions environnantes» telles que les droits de propriétés, les lois, les normes et les conventions (Scott, 2008). Cependant d autres économistes tels que Douglass North (1990) considèrent les 23

32 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES institutions comme les «règles du jeu» et les organisations comme «les joueurs» qui emploient des stratégies pour gagner Le néo institutionnalisme dans la sociologie des organisations Les sociologues se sont basés sur différentes théories pour constituer les approches néo institutionnelles à la sociologie des organisations telles que la théorie cognitive, la théorie de la culture, la phénoménologie et l ethnométhodologie (Scott, 2008). La théorie cognitive reconnaît la participation active des individus dans la perception, l interprétation et la construction de sens de la réalité. La théorie de la culture avance que la connaissance s acquiert dans un contexte social (Scott, 2008) et que la culture se compose de structures de sens socialement construites (Geertz, 1973). Des travaux récents ont avancé que la culture peut participer au changement. Swidler (1986) parle du rôle de la culture pour maintenir la continuité dans un contexte stable, mais qui agit aussi comme une boîte à outil dans laquelle puisent les acteurs pour définir leurs lignes d action lors des périodes de changement. La phénoménologie, une branche de la psychologie, est utilisée par les chercheurs en études organisationnelles pour expliquer le comportement des individus en mettant l accent sur les cadres cognitifs et culturels qui permettent une définition collective d une situation et des stratégies d actions partagées (DiMaggio et Powell, 1991). Dans ce sens, les données telles que le discours, les rituels, les connaissances codifiées, et les artefacts culturels (Wuthnow, 1987) aident à analyser plus facilement les différents types de comportements. L ethnométhodologie (Garfinkel, 1974) se réfère à l utilisation du bon sens développé par les acteurs pour définir leur comportements dans une arène sociale. Les travaux dans ce domaine analysent les comportements d acteurs dans leurs milieux de travail pour comprendre comment ils donnent un sens commun à leurs comportements et actions. Les travaux et les idées des sociologues organisationnelles, comme décrit ci-dessus ont servi de base pour initier la théorie néo institutionnelle en sociologie, mais ces travaux n émergent en études organisationnelles que dans les années 1970 comme décrit dans la section suivante. 24

33 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Le néo institutionnalisme dans l analyse organisationnelle D après Scott (2008), l utilisation de la théorie institutionnelle, dans les études organisationnelles, est tout simplement une évolution et une continuation de la révolution intellectuelle qui commence dans le milieu des années 1960 et qui introduit la théorie des systèmes ouverts dans les études organisationnelles. Au départ, c est l environnement technique de l organisation qui prime car ce dernier est considéré comme un système de production qui transforme les intrants en extrants. Ce n est que plus tard au milieu des années 1970 que les chercheurs s intéressent aux forces sociales et culturelles- l environnement institutionnel- dans lesquelles évoluent les organisations. Ainsi, Silverman (1971) introduit les arguments néo institutionnels dans la sociologie des organisations en proposant une théorie de l action de l organisation, pour démontrer que les perspectives des fonctionnalistes tels que Parsons et Selznick sont trop centrées sur le caractère stable des institutions. Pour Silverman (1971), l environnement, dans lequel opèrent les organisations, n est pas seulement un réservoir d intrants et d extrants, mais constitue aussi une source de connaissances et d interprétation pour les participants dans les organisations. Dans la même ligne de pensée, le sociologue français, Pierre Bourdieu, lui, emploie le concept de «champ social» en référence aux arènes sociales régies par des valeurs et des approches distinctes. Bourdieu utilise aussi le concept «d habitus» qui se réfère à l internalisation par les acteurs d expériences passées et des perceptions, et de leurs utilisations pour structurer leurs comportements en fonction des situations (Bourdieu, 1971). Vers la fin des années 1970, deux articles majeurs réussissent à introduire la perspective néoinstitutionnelle dans l étude sociologique des organisations : Meyer et Rowan (1977) et Zucker (1977) en se basant essentiellement sur les travaux de Durkheim, et de Berger et Luckmann, donnent ainsi naissance à la sociologie néo-institutionnelle dans les études organisationnelles comme décrites plus en détail dans la section suivante. 25

34 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES 1.4 La sociologie néo institutionnelle (SNI) dans les études organisationnelles La champ théorique de la sociologie néo institutionnelle (désormais SNI) dans les études organisationnelles trouve ses fondations à la fin des années 1970, plus précisément de 1977 à 1983 à travers la publication de plusieurs papiers fondateurs tels que ceux de Meyer et Rowan, 1977 ; Zucker, 1977 ; Zucker, 1987 ; DiMaggio et Powell, 1983 ; et Tolbert et Zucker, L approche néo institutionnelle émerge par opposition au vieil institutionnalisme de Selznick et de ses collègues bien que les deux approches rejettent les modèles traditionnels de rationalité illimitée, et la perspective que les choix des organisations sont contraints par leur culture et leur environnement (Powell et DiMaggio, 1991). Les deux approches divergent sur plusieurs aspects : le vieil institutionnalisme considère l organisation comme l institution, et a une perspective plus politique et localisée de l environnement organisationnel ; tandis que le nouvel institutionnalisme a une vue plus holiste de l environnement organisationnel et rejette l aspect fonctionnaliste des organisations, en analysant les effets des influences inter organisationnelles, de la conformité, et de la culture sur les organisations (Powell et DiMaggio, 1991) Les travaux des auteurs néo-institutionnalistes cités plus haut se distinguent de la théorie de la contingence structurelle en ayant premièrement des perspectives plus larges de l environnement qui va au-delà des aspects techniques et économiques pour inclure des dimensions symbolique et culturelles. En second lieu, la structure organisationnelle est perçue de façon symbolique comme reflétant les caractéristiques de l environnement au-delà des préoccupations d efficacité de l organisation. Dans les sections suivantes, nous examinons en détail la richesse des apports de la sociologie néo-institutionnelle dans les études organisationnelles à travers les concepts clés tels que l institution, les règles institutionnelles, le champ organisationnel, l isomorphisme, et la légitimité. Nous voyons ensuite comment la SNI a évolué au début des années 1990 pour répondre à des critiques sur sa perspective déterministe des institutions sur les organisations en développant l approche de l entrepreneuriat institutionnel. Une décennie et demie plus 26

35 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES tard, des critiques sur cette dernière approche ont donné lieu à une approche étendue, celle du travail institutionnel. Nous utiliserons les apports des deux dernières approches, l entrepreneuriat institutionnel et le travail institutionnel issus d une sociologie néoinstitutionnelle étendue, pour construire notre modèle conceptuel et l adapter à une analyse de filière agricole La notion d institution dans la sociologie néo-institutionnelle Comme nous l avons vu précédemment, la notion d institution a longtemps été le pilier de la théorie sociologique avec des auteurs tels que Parsons, 1951, Selznick, 1949, 1957, mais elle a pris de l importance dans les études sur les organisations dans les travaux de recherches de Meyer et Rowan, 1977; Zucker, 1977, 1983 ; DiMaggio et Powell 1983; Powell et DiMaggio, 1991, entre autres. La littérature nous offre plusieurs définitions du concept d institution. Nous reprenons celle de Scott (2008) qui nous semble la plus complète : «les institutions sont constituées d éléments régulateurs, normatifs, et culturels-cognitifs, qui associés à des activités et ressources, donnent une stabilité et un sens à la vie sociale». La définition de Scott fait suite aux travaux de DiMaggio et Powell (1983) qui font la distinction entre les institutions coercitives, mimétiques et normatives. Scott (2008) poursuit ces travaux et distingue ainsi trois types d éléments qui soulignent l ordre institutionnel : les éléments coercitifs (régulateurs), les éléments normatifs, et les éléments culturels-cognitifs. D après Hoffman (1997), les trois éléments (ou piliers) des institutions forment un continuum du «conscient à l inconscient, de ce qui est régi par la loi à ce qui est pris pour acquis». Scott (2008) décrit, dans le tableau 1.0 suivant, les différences entre les trois éléments pour nous permettre de mieux appréhender leur contribution individuelle aux institutions. Dans un contexte idéal, ces trois éléments pourraient être interdépendants et se renforcer mutuellement pour contribuer à constituer une structure sociale très puissante. 27

36 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Tableau1 1.0 : Les trois piliers des institutions Piliers Régulateur Normatif Culturel-cognitif Moyen pour respecter les piliers Opportunisme Obligation sociale Pris pour acquis Compréhension partagée Base pour établir l ordre Lois Attentes contraignantes Schéma de comportement Mécanismes Coercition Normes Mimétisme Logique Instrumentale Pertinence Orthodoxie Indicateurs Lois Certification Croyances communes Règles Accréditation Logiques d actions Sanctions communes Isomorphisme Impact Peur, culpabilité/ Honte/honneur Certitude/Confusion l innocence Base de légitimation Sanctionné légalement Gouverné par la morale Compréhensible Reconnue Soutien culturel Source : Adapté de (Scott, 2008) Le pilier régulateur est un élément très étudié des institutions surtout par les économistes néo institutionnels (Williamson, 1985) et les historiens économistes (North, 1990). L institution coercitive impose les règles, les sanctions et le contrôle sur les activités et les comportements des organisations. Cette forme de régulation est importante pour rendre l institution viable, et ce rôle de régulateur peut être joué par une tierce partie, représentée par l état, par exemple. Plusieurs travaux ont étudié le pilier régulateur des institutions: North et Thomas (1973) analysent comment l institution des droits de propriétés s est développée dans le monde occidental du 15 e au 17 e siècle ; Williamson (1975, 1985, 1991) développe son cadre conceptuel de marchés et de hiérarchies pour explique l émergence de différents types de formes organisationnelles pour réduire les coûts de transactions économiques au niveau des entreprises. 28

37 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Le pilier normatif est aussi un objet d étude de certains chercheurs, et se rapporte aux normes qui sont nécessaires mais pas obligatoires, et qui orientent les acteurs dans leurs prises de décisions. L accent est sur les normes aussi bien que sur les valeurs. Scott (2008) définit les valeurs comme «une conception de ce qui est préférable ou désirable, associé à la mise sur pied de standards qui sont utilisés comme unités de comparaisons avec les structures et comportements» ; et les normes comme «des spécifications de la façon de procéder ; les normes donnent une légitimité aux moyens mis en œuvre pour atteindre des objectifs» (DiMaggio et Powell, 1991). L orientation de la recherche sur le pilier normatif doit beaucoup aux travaux de Durkheim (1895) qui privilégie l importance des institutions pour répondre aux problèmes de vie collective. D autres chercheurs comme March et Olsen (1989), suivant les travaux de Durkheim, ont établi une différence entre la logique instrumentale (régulatrice) et la logique de la conformité (normative). Les normes internalisées par les acteurs ou imposées de l extérieur, aident à mieux comprendre les phénomènes sociaux, politiques et économiques (Rizza, 2008). Parmi les travaux qui ont étudié le pilier normatif des institutions, nous retrouvons entres autres ceux de Selznick (1949) qui analysent les façons dont les exigences procédurales sont insufflées de valeurs dans la Tennessee Valley Authority ; Roy (1952) et Burawoy (1979) qui analysent l institutionnalisation des cadres normatifs de production parmi les ouvriers d un atelier d usinage ; et Brunsson et Jacobson (2000) qui analysent la construction de standards par des associations professionnelles et des organisations non-gouvernementales au niveau international. Le pilier culturel-cognitif est la principale caractéristique distinctive de la SNI dans les études organisationnelles (Scott, 2008). L utilisation du terme culturel-cognitif par Scott (2008) se réfère aux processus internes d interprétation (cognitif) qui sont formés par les structures culturelles externes. La conceptualisation des cultures varie car les croyances divergent (DiMaggio, 1997). Les acteurs se conforment au pilier culturel-cognitif parce que les routines sont prises pour acquises comme des modes de comportements acceptés, et que d autres formes de comportements seraient inconcevables (Scott, 2008). L institution cognitive est basée sur le fait que les institutions sont construites au fil du temps, ancrées sur les expériences passées des acteurs qui reproduisent des comportements admissibles par tous. L institution constitue aussi un élément culturel qui donne un sens aux actions des organisations. Quelques travaux qui examinent le pilier culturel-cognitif des institutions 29

38 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES incluent entres autres : Meyer (1994) qui examine le processus culturel qui favorise l émergence de formes organisationnelles dans divers contextes ; Dobbin (1994) qui analyse les divers systèmes de croyances culturelles qui ont façonné les politiques sociaux derrière la construction des systèmes ferroviaires aux Etats unis, en Angleterre, et en France ; Deephouse (1996) et Hoffman (1997) qui utilisent l analyse de discours et autres formes d analyses de contenus, au niveau du champ organisationnel pour évaluer la construction de sens dans les banques et l environnement corporatiste. Les trois types piliers institutionnels donnent chacun un motif différent pour légitimer les actions des acteurs-organisations, par exemple, en offrant une base légale, une autorisation morale, ou un soutien culturel-cognitif. Suchman (1995) définit la légitimité comme «une perception généralisée ou une supposition que les actions des entités sont désirables, correctes, ou appropriées dans un système construits de normes, valeurs, croyances et définitions.». Les théoriciens de la dépendance aux ressources comme Pfeffer et Salancik (1978) renforcent la dimension évaluative de la légitimité bien qu ils soulignent aussi l importance de la dimension culturelle. Les néo institutionnels, eux mettent l accent sur la dimension cognitive bien plus que sur la dimension évaluative. La définition de Suchman tente ainsi de réconcilier les deux perspectives. D après Scott (2003), la légitimité est «symbolique» et est un signe visible aux observateurs externes de l organisation. Suchman (1995) distingue trois formes principales de légitimité : la légitimité pragmatique, morale, ou cognitive. La légitimité pragmatique est basée sur les intérêts calculateurs d une organisation par rapport à son «audience proche» Suchman (1995). La légitimité morale se réfère aux normes, croyances, valeurs et règles du champ organisationnel où opère l organisation et qui confèrent une «évaluation normative positive à l organisation et à ses activités» Suchman (1995). La légitimité cognitive se réfère à une construction partagée de sens par les acteurs du champ organisationnel en prenant pour acquis certaines pratiques. Ce type de légitimité se fait par l échange d information et le partage des représentations par les acteurs. 30

39 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Zimmerman et Ziet (2002) offrent une analyse intéressante de la légitimité par rapport aux nouveaux acteurs d un champ organisationnel. Selon ces deux auteurs précités, la légitimité est un «jugement social de ce qui est approprié, acceptable et désirable». Mais le plus important c est que la légitimité est une ressource en soi qui permet à l acteur d avoir accès à d autres ressources lui donnant la possibilité d opérer dans le CO et de survivre. Zimmerman et Ziet (2002) proposent une typologie de stratégies, qui permettent aux acteurs en place ou nouveaux dans un CO de manipuler leur niveau de légitimité, incluant la conformité, la sélection, la manipulation et la création. Le pilier régulateur légitime les organisations qui ont été établies légalement et qui opèrent en conformité avec les lois qui prévalent. Les organisations internalisent les normes et le pilier normatif est donc une conception morale pour déterminer la légitimité. La façon dont les organisations se comportent face à une situation donnée les légitiment du point de vue du pilier culturel-cognitif (Scott, 2008). Dans des systèmes sociaux stables, les trois piliers institutionnels peuvent être alignés et offrent à ce moment, de par leurs forces combinées, des pratiques stables (Scott, 2008). En dehors de ces trois éléments constituants, l institution peut être formelle ou informelle. Le tableau 1.1 de Trouinard (2004) montre qu il y a une complémentarité entre les deux types d institutions, et souligne le caractère dynamique des types d institutions : des institutions formelles deviennent, au fil du temps, informelles de par leur intériorisation par les acteurs concernés. Cela nous ramène à la «construction sociale» des institutions selon Berger et Luckmann (1967) où les pratiques des individus se conforment à des règles et des sanctions formelles et ces pratiques deviennent graduellement des habitudes et des routines et représentent la «réalité sociale». Il arrive aussi que des institutions informelles deviennent formelles comme dans le cas où les institutions émergent d un consensus socialement construit de façon informelle au départ. 31

40 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Tableau2 1.1 : Types d institutions : Formelles et informelles Institution Formelle Structurelle Représentation de l institution Structures formelles organisées autour de règles de fonctionnement formalisées Moteurs de l action La contrainte et le contrôle individuelle Sanction légale Risque de sanction provenant Nature de la sanction d instances officielles Source : (Trouinard, 2004) Institution Informelle Cognitive Structures informelles représentées par des coutumes, des règles et pratiques totalement intériorisées L habitude, les règles et les valeurs partagées Sanction morale Risque de rejet, d expulsion de la part de la communauté d acteurs L unité d analyse des organisations avec une perspective néo-institutionnelle se situe au niveau du champ où opère les organisations. La compréhension du concept du champ organisationnel est donc primordiale comme décrite dans la section suivante L unité d analyse de la SNI : Le champ organisationnel Dans les premiers travaux sur la SNI, l unité centrale d analyse est définie de différentes façons: la sphère institutionnelle (Fligstein, 1990) ; le champ institutionnel (Meyer et Rowan, 1977; DiMaggio et Powell, 1991) ; le secteur sociétal (Scott et Meyer, 1991) ; l environnement institutionnel (Powell, 1991), et l ordre sociale au niveau local (Fligstein, 2001). Ce n est que plus tard que le terme de champ organisationnel (désormais CO) est accepté par l ensemble des chercheurs comme l unité centrale d analyse (Scott et Meyer, 1991). Le sociologue Pierre Bourdieu (1971) a contribué à l emploi du concept de champ organisationnel. Dans sa conception du CO, Bourdieu utilise l analogie au jeu, et conçoit le CO comme une arène sociale conflictuelle où les joueurs ont pour but de promouvoir leurs 32

41 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES intérêts, et où certains peuvent à un moment donné imposer leurs «règles du jeu» (voir North, 1990) sur les autres. DiMaggio et Powell (1983) définit le champ organisationnel comme «les organisations, qui collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les fournisseurs clés, les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de règlementation, et toutes autres organisations produisant des produits et services similaires». Cette définition est fondamentale dans l utilisation de ce niveau d analyse dans la SNI car elle permet de prendre en considération la totalité des acteurs qui sont pertinents à l analyse. Cependant, Hoffman (1999) dans son étude sur les industries chimiques et pétrolières des Etats Unis face à la question de l environnement, avance que le champ organisationnel peut être aussi formé par un collectif d organisations regroupées autour d une même problématique; et que l appartenance au champ peut se rapporter à une période définit dépendant de l émergence, de la croissance et du déclin de la problématique. Le champ organisationnel est aussi un niveau d analyse intermédiaire entre les organisations et la société, et de ce fait devient instrumental dans la dissémination et la reproduction des pratiques socialement construites (Scott, 2008). L utilité du concept de champ organisationnel comme niveau d analyse réside dans le fait que ce concept regroupe un éventail diversifié d acteurs et d organisations travaillant dans un domaine spécifique; met l accent, pas seulement sur les organisations de producteurs, mais aussi sur tous les autres acteurs (concurrents, clients, intermédiaires, organismes de financement et de régulation entres autres); et la prise en considération des autres organisations qui ont les mêmes caractéristiques et qui se concurrencent pour les mêmes ressources (Scott, 2008). Ainsi selon Fligstein (2001) l analyse au niveau du CO permet «une théorisation à un niveau méso». En choisissant un produit ou un marché comme un champ organisationnel, ceci permet, en plus des processus de concurrences qui font l objet d analyse économiques classiques, d inclure une multitude d acteurs qui interagissent avec les organisations et produisent des relations sociales inter organisationnelles qui permettent la survie de tous les participants (Fligstein, 2001). Le champ organisationnel a plusieurs composants clés parmi lesquels les systèmes relationnels, les systèmes culturels-cognitifs, les archétypes organisationnels, et les répertoires 33

42 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES d action collective (Scott, 2008). Parmi les systèmes relationnels, le sous-système de gouvernance est composé d acteurs publics et privés qui utilisent des moyens de natures régulatrices ou normatives pour exercer un contrôle sur les activités et les acteurs du CO. Les systèmes culturels-cognitifs des CO ont pris de l importance avec le travail de Friedland et Alford (1991) sur les logiques institutionnelles. Ces derniers définissent la logique institutionnelle comme «un ensemble de pratiques matérielles et de constructions symbolique qui constituent les principes d organisation et qui sont disponibles aux acteurs individuels et les organisations pour élaborer». L idée principale derrière les logiques institutionnelles est que dans les sociétés développées, il y a des cadres de références multiples qui sont différenciés dans des secteurs tels que l économie, la politique, la religion etc. Les organisations qui fonctionnent à un niveau méso sont donc confrontées à des logiques multiples et souvent contradictoires (Scott, 2008). Les archétypes organisationnels définit, par Greenwood et Hinings (1993), comme «un ensemble de structures et de systèmes qui incarnent de façon constante un seul schéma d interprétation» constituent des modèles de formes organisationnelles, présents dans le CO, pour les acteurs individuels et les organisations. En dernier lieu, un autre composant des CO, les répertoires d actions collectives, constituent les options disponibles pour les acteurs pour formuler leurs stratégies. Cependant ces répertoires sont liés par des règles, des normes, des croyances propres au champ organisationnel. Il est intéressant de noter que les concepts d archétypes organisationnels et de répertoires d action collective aident à mieux comprendre comment les modèles culturels-cognitifs agissent en promouvant et contraignant l action sociale à la fois. Ainsi, les formes organisationnelles fournissent des modèles aux acteurs pour formuler leurs stratégies ou procédures, et à la fois contraignent les acteurs à ne pas se tourner vers d autres formes alternatives, mais aussi donnent un soutien essentiel aux acteurs en termes d acceptabilité et de légitimité (Scott, 2008). Ayant défini les principaux composants des institutions, et le niveau d analyse de la perspective institutionnelle dans les études organisationnelles, nous nous intéressons maintenant à comprendre dans les sections suivantes comment les organisations se conforment à leur environnement institutionnel (isomorphisme) ou réagissent face aux pressions institutionnelles en s engageant dans un processus de changement institutionnel. 34

43 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES De l isomorphisme institutionnel au changement institutionnel Scott (2008) note trois différentes perspectives de la relation entre les organisations et les institutions : premièrement celle de North (1990) qui utilise une analogie au jeu pour avancer que les institutions fournissent les règles du jeu, tandis que les organisations sont les joueurs ; deuxièmement, celle de Williamson (Williamson, 1975, 1985) qui considère que les organisations et leurs structures et procédures sont des institutions régulatrices qui exercent une gouvernance sur les systèmes de production et influencent les coûts de transaction ; et troisièmement, les sociologues qui, utilisant les aspects culturels-cognitifs des institutions, font la distinction entre les organisations et leurs environnements institutionnels en mettant l accent sur les liens entre les processus opérant au niveau de la société et la structure et l opération d organisations individuelles. Nous utilisons la perspective des sociologues dans notre recherche pour analyser la relation entre les acteurs/organisations et leur environnement institutionnel. De ce fait nous voyons comment les acteurs/organisations sont en quête de légitimité en devenant isomorphes avec leur environnement institutionnel à travers des pressions de nature régulatrice, normative, ou culturelle-cognitive ; mais aussi comment des chocs exogènes ou endogènes au champ organisationnel peuvent causer un changement institutionnel et ainsi affecter la relation entre les acteurs et leur environnement Isomorphisme institutionnel Pour les sociologues néo-institutionnalistes, la légitimité des organisations se situe au niveau des aspects structurels et procéduraux des organisations. Ainsi Meyer et Rowan (1977) avancent que «Indépendamment de leur efficience au niveau de la production, les organisations qui opèrent dans des environnements institutionnels très élaborés et qui arrivent à devenir isomorphes avec ces environnements, deviennent légitimes et ont accès aux ressources dont ils ont besoin pour survivre». De ce fait, il y a isomorphisme institutionnel lorsque des organisations, qui se trouvent dans le même champ organisationnel, se conforment aux règles institutionnelles et présentent ainsi des caractéristiques similaires ou des similitudes structurelles (Dacin, 1997). L isomorphisme institutionnel favorise le succès et la survie des organisations. Il permet aux organisations d éviter un questionnement de leurs conduites. Les organisations isomorphiques deviennent légitimes, et utilisent cette légitimité 35

44 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES pour renforcer leurs assises et assurer leur survie (Meyer et Rowan, 1977). En résumé, les organisations sont sous l influence des normes culturelles et sociétales qui sont déterminantes comme facteurs de sélection. Ces normes institutionnelles motivent les organisations à adopter des pratiques socialement acceptables, influencent les goûts et les préférences, et délimitent les frontières des activités économiques. L isomorphisme des organisations est un aspect très largement étudié dans la théorie des organisations (voir DiMaggio et Powell, 1983; Oliver, 1988 ; D'Aunno et al., 1991 ; Haveman, 1993 ; Slack et Hinings, 1994 ; Dacin, 1997 ; Deephouse, 1999, Davis et al., 2000). Cependant il y a divergence d opinion par rapport aux facteurs qui poussent les organisations à se ressembler. DiMaggio et Powell (1983) et Powell (1991) mettent l accent sur l'isomorphisme institutionnel qui analyse la possibilité de convergence de comportement entre les structures associatives, privées et publiques. Ils observent trois facteurs de convergence d'isomorphisme: (1) l'isomorphisme normatif : la professionnalisation de la main d'œuvre, via la standardisation des réseaux éducatifs et des critères de recrutement ; (2) l'isomorphisme mimétique : dans un contexte d'incertitude et de rationalité limitée, les organisations ont tendance à s'imiter les unes les autres (Haveman, 1993) ; et (3) l'isomorphisme coercitif : la pression exercée par l'état, notamment via les financements publics, peut à terme imposer certains comportements, favorisant ainsi la prise en compte de normes communes. D un autre côté, Oliver (1988) a étudié les effets de trois déterminants de l isomorphisme des organisations, l écologie des populations, l institutionnalisation, et le choix stratégique, et a conclu à l importance du choix stratégique comme facteur déterminant dans la diversité aux niveaux des organisations sur une période de temps donnée. Deephouse (1999) propose une théorie d équilibre stratégique qui permet aux organisations d être à la fois compétitives en se démarquant des autres, et d être aussi similaires aux autres organisations pour être légitimes dans leur environnement institutionnel. En somme, Scott (2008) avance que les organisations individuels qui ont des activités et des formes organisationnelles culturellement acceptable, qui reçoivent un soutien des autorités normatifs, et qui ont l approbation des autorités légales ont plus de chance de survie que d autres organisations qui n ont pas les mêmes attributs. 36

45 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Cependant, plus récemment, le débat sur la structuration des organisations (qui limite les choix et les possibilités des acteurs), et la capacité d agence des acteurs-organisations (qui favorise les actions et choix indépendants) (DiMaggio, 1988), remet en question la stabilité ou l isomorphisme des organisations dans un champ organisationnel, et pousse à analyser les facteurs qui peuvent inciter les organisations à remettre en cause, rejeter ou abandonner des pratiques institutionnalisées (Oliver, 1992). La remise en question de l isomorphisme des organisations a donné lieu à de nombreux travaux sur le changement institutionnel et les facteurs qui peuvent causer une désinstitutionalisation Changement institutionnel Pour comprendre le processus de changement institutionnel (ou déstructuration), nous nous référons au concept de structuration de Giddens (1984) qui avance que les structures sociales existent et se maintiennent par un processus récursif des activités qui les produisent et les reproduisent. DiMaggio et Powell (1983) utilisent le concept de structuration de Giddens d une façon plus étroite en la reliant au degré et à la nature des interactions entre les organisations au niveau du champ organisationnel. Le niveau de structuration des organisations dans un champ organisationnel est mesuré par des indicateurs tels que le degré d interaction entre les organisations, l émergence de structures inter organisationnelles de domination et d alliance, l accord sur les logiques institutionnelles qui guident les activités du champ, le degré d isomorphisme des formes structurelles par rapport aux organisations qui utilisent un répertoire limité d archétypes et d activités collectives ; et aussi une délimitation très claire des frontières du champ. En effet, la structuration est un processus qui selon Greenwood et al. (2002) «décrit le processus de maturité graduelle et de spécification des rôles, des comportements, et des interactions des communautés d organisations». Cependant les frontières des champs et les comportements ne sont pas fixes indéfiniment mais sont sujets à des conflits (Holm, 1995, Scott et al., 2000) capables de causer une déstructuration. Pour comprendre ce qui peut causer une désinstitutionalisation des pratiques d un champ organisationnel, il nous semble important d abord de cerner le processus 37

46 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES d institutionnalisation dont le produit final est l institution. Selon Scott (2008), il y a trois différentes conceptions des mécanismes qui soulignent le processus d institutionnalisation des systèmes sociaux. En premier lieu, les économistes institutionnels tels que North (1990) se concentrent sur le rôle des incitations comme une force de motivation pour encourager l institutionnalisation basée sur le principe des rendements croissants. En deuxième lieu, les travaux de certains chercheurs tels que Selznick (1948), ancrés sur le pilier normatif des institutions, et qui prônent l institutionnalisation basée sur le nombre croissant d engagements de la part des acteurs par rapport aux normes et aux valeurs. En troisième lieu, les travaux des chercheurs, tels que Berger et Luckmann (1967), ancrés sur le pilier culturel-cognitif qui prônent l institutionnalisation basée sur l objectification croissante des valeurs partagées par les acteurs. Nous trouvons l analyse du processus d institutionnalisation par Berger et Luckmann (1967) particulièrement intéressante pour comprendre la construction collective des systèmes de connaissances. Ces deux auteurs, en se basant sur la tradition philosophique de la phénoménologie, décompose le processus d institutionnalisation en trois phases : l externalisation, l objectivation et l internalisation. La première phase, l externalisation, concerne la production, dans une interaction sociale, de symboles dont la signification est partagée par tous les participants ; la deuxième phase, est l objectivation, pendant laquelle les symboles produits deviennent une réalité perçue par tous les participants ; et la troisième phase, l internalisation, les symboles objectivés sont rendus à la conscience collective pendant le processus de socialisation. Les institutions sont stables mais sont aussi exposées à des changements exogènes ou endogènes. Les changements exogènes peuvent être dus à des déstabilisations dans des systèmes connexes ou plus larges qui encouragent le questionnement des règles et normes existantes, causant un changement institutionnel. Bush (1987) définit le changement institutionnel comme une altération des systèmes de valeur du champ organisationnel. Il fait la distinction entre les valeurs de type cérémonial (normes qui motivent le choix des privilèges, le statut des organisations, et les relations de pouvoir entre les acteurs) et celles de type instrumentale (normes qui motivent le choix des outils et compétences pour aider dans le processus décisionnaire des organisations). 38

47 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Il y a divergence d opinion sur le processus du changement institutionnel. Tandis que certains néo-institutionnalistes organisationnels suggèrent que le changement institutionnel suit un équilibre ponctué, d autres avancent que le changement institutionnel suit un modèle d évolution dans le sens écologique. C'est-à-dire, les pratiques diffusées dans le CO sont guidées par une concurrence sélective qui favorise les organisations qui arrivent à s intégrer au mieux dans leur niche écologique (leur champ organisationnel). Les concepts de dépendance au sentier et de diffusion sont centraux pour les institutionnalistes organisationnels, mais ces concepts sont critiqués (Hirsch et Lounsbury, 1997) car ils insistent trop sur l importance de la structuration dans le CO, et donnent peu d importance aux rôles des acteurs-organisations dans le processus du changement institutionnel (Campbell, 2004). Nous décrivons ci-dessous les différentes étapes du processus de changement institutionnel en nous basant sur le modèle avancé par Greenwood et al. (2002) (figure 1.1) qui décrit le processus de déstructuration d arrangements institutionnels établis causant un changement non-isomorphique. Le modèle théorique 1 nous servira de base, et sera enrichi au fur et à mesure de la revue de littérature pour construire notre modèle conceptuel final (voir section 1.6). 39

48 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Secousses Crises sociales, ruptures technologiques, changement de régulation (Greenwood et al, 2002) Pressions politiques et fonctionelles, Inertie ou entropie organisationelle (Oliver, 1992) ETAPE 1 Désinstitutionalisation Pertubation du champ organisationnel par: (a) l arrivée des nouveaux acteurs (b) la montée en puissance d acteurs existants ou d entrepreneurs institutionnels ETAPE 2 Préinstitutionalisation Innovations Nouvelles pratiques adoptées de façon indépendante au sein des organisations ETAPE 3 Théorisation Mise en evidence d une faiblesse au sein du CO Proposition d une solution plus appropriée que la pratique existante Légitimation de la nouvelle pratique ETAPE 4 Diffusion Diffusion de la nouvelle pratique à l ensemble des acteurs du champ organisationnel ETAPE 5 Réinstitutionalisation La pratique devient un mode de conduite légitime parmi les acteurs Figure2 1.1: Modèle Théorique 1: Le changement institutionnel Source : l auteur d après (Greenwood et al., 2002) 40

49 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Etape 1 : La désinstitutionalisation La première étape se réfère à une secousse qui cause une désinstitutionalisation des arrangements institutionnels existants. Plusieurs études ont considéré les facteurs qui peuvent déclencher un changement institutionnel, tels que les pressions de nature sociale, politique, fonctionnelle, technologique, ou régulatrice (Oliver, 1992 ; Greenwood et al., 2002), la libéralisation des économies et la globalisation (Stern et Reardon, 2002 ; Zhao et al., 2006; Aulakh et Kotabe, 2008), et plus récemment le rôle des entrepreneurs institutionnels (DiMaggio, 1988 ; Beckert, 1999; Delacour, 2007, Battilana et al., 2009) entre autres. Nous trouvons dans cette étape du changement institutionnel, le concept de désinstitutionalisation défini par Oliver (1992) comme «le processus à travers lequel la légitimité d une pratique organisationnelle établie ou institutionnalisée se trouve érodée». D après Oliver, les antécédents de la désinstitutionalisation sont des pressions fonctionnelles, politiques et sociales en sus des pressions organisationnelles d inertie et d entropie. Ces pressions mènent à la dissolution ou le rejet des institutions et s achèvent par la désinstitutionalisation. Les pressions fonctionnelles concernent des problèmes dans le niveau de performance ou la valeur utilitaire des pratiques institutionnalisées. Ces pressions peuvent être reliées à des changements dans l environnement institutionnel tels qu une compétition pour des ressources (Thornton, 2002; Lounsbury, 2002; Lee et Pennings, 2002; Kraatz et Moore, 2002). Les pressions de nature politique concernent la remise en question de la légitimité des arrangements institutionnels existants, résultant de changements dans les intérêts et la distribution du pouvoir qui soutiennent ces pratiques. Ces pressions politiques peuvent être en réaction à des crises de performance, des changements dans l environnement institutionnel, ou à d autres facteurs qui provoquent une remise en question de la légitimité des pratiques institutionnelles (Holm, 1995 ; Greenwood et al., 2002; Townley, 2002). Les pressions sociales, comme des croyances hétérogènes ou discordantes suite à une fusion entre organisations venant de différents champs organisationnels, par exemple, ou des changements dans les lois ou dans les attentes sociales, peuvent aussi causer un changement institutionnel (Zilber, 2002). D autres changements exogènes peuvent être dus aux nouveaux entrants qui arrivent avec leurs logiques institutionnelles et colonisent les champs organisationnels stables existants 41

50 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES (Scott et al., 2000; Thornton, 2004, Ramasawmy et Fort, 2010). Delacour et Leca (2011) évoquent, par exemple, des pressions institutionnelles normatives et mimétiques (DiMaggio et Powell, 1983) provenant de l action collective des acteurs du CO, et qui contribuent à désinstitutionnaliser le salon des Beaux-arts à Paris. Les sources de changements endogènes incluent les disparités entre l environnement macro et micro en réaction à des changements au niveau local ; ou de mauvaises performances par rapport aux prévisions (Sewell, 1992 ; Dacin et al., 2002). Il est intéressant de noter que les comportements organisationnels institutionnalisés qui sont généralement adoptés pour des raisons sociales bien plus que pour leur efficience économique ou technique, ne sont pas à l abri d un rejet par les acteurs concernés si cela va à l encontre de leurs intérêts économiques ou d un point de vue technique. Etape 2 : La préinstitutionalisation Durant cette étape, les organisations innovent indépendamment les unes des autres en cherchant des solutions techniques aux problèmes perçus dans leurs activités. Etape 3 : La théorisation L étape de la théorisation implique le développement et la spécification de catégories abstraites, et l élaboration d explications causes-effets (Greenwood et al., 2002), permettant ainsi de simplifier les nouvelles pratiques proposées, et d expliquer les résultats escomptés. D après Tolbert et Zucker (1996), l étape de la théorisation implique deux activités majeures: premièrement, la spécification d une importante lacune au niveau des organisations pour laquelle la nouvelle pratique proposée est une solution; et deuxièmement, une justification de l innovation, et l alignement de cette innovation avec les normes prévalentes, ce qui lui donne une légitimité morale. 42

51 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Etape 4 : La diffusion La diffusion de la nouvelle pratique auprès des organisations se fait à travers de nombreux mécanismes, le but étant d objectiver la pratique pour qu il y ait un consensus parmi les participants. Etape 5 : La réinstitutionalisation La nouvelle pratique est entièrement institutionnalisée quand la densité d adoption fournit une légitimité cognitive à cette pratique, et que les idées deviennent prises pour acquis comme l arrangement institutionnel le plus approprié (Greenwood et al., 2002). Les études sur le changement institutionnel dans les années 1980 sont particulièrement centrées sur les changements isomorphiques convergents, et les chercheurs ont beaucoup plus étudié les effets de contextes institutionnels particuliers sur des entreprises (Tolbert et Zucker, 1983; Meyer et al., 1988). Le premier récit de changement institutionnel conflictuel se trouve dans les travaux de DiMaggio (1991) où il relie les concepts institutionnels au concept de structuration de Giddens (1984). L idée principale est que les structures donnent un contexte pour l action mais sont à leur tour reproduites ou changées par les choix des «acteurs bien informés, résolus, et réfléchis» (Scott, 2008). Dès le milieu des années 1970, Anthony Giddens (1981) insiste sur la «dualité» des structures qui sont «à la fois le médium et le vecteur des pratiques qui constituent les systèmes sociaux». Cela donne lieu à la théorie de la structuration de Giddens qui implique que la notion de structure est celle d un processus et se réfère donc à quelque chose de dynamique (Sewell, 1992). Les structures contraignent et permettent à la fois l action humaine (Giddens, 1976). Pour rendre compte de cette action humaine, les différents auteurs s y réfèrent comme l action agentique que Sewell (1992) définit comme «la capacité de l acteur à réinterpréter et à mobiliser un éventail de ressources en termes de schémas culturels autres que les schémas qui constituaient les ressources au départ». Ce dernier observe que tous les êtres humains sont capables d action agentique, c est à dire d avoir des désirs, de les transformer en intentions, et 43

52 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES d agir de façon créative. Nous nous intéressons dans la section suivante au rôle des acteurs dans le changement institutionnel Le rôle des acteurs-organisations dans le changement institutionnel Une des grandes critiques de la théorie néo-institutionnelle se rapporte à l accent mis sur l aspect homogène des organisations dans un CO et la persistance de normes institutionnalisées, et surtout l abstraction faite du rôle des acteurs-organisations dans la poursuite de leurs intérêts (DiMaggio, 1988). Dans les premiers travaux sur l environnement institutionnel, les effets institutionnels sont déterministes ou ont une perspective top-down. Cela suppose que les organisations qui réussissent, se conforment à leurs environnements institutionnels et adoptent des comportements isomorphiques. Cependant, cette généralité sur l homogénéité et la passivité des organisations est subséquemment modifiée pour reconnaître que des pressions homogénéisatrices sont certainement présentes mais dans des champs organisationnels délimités (DiMaggio et Powell, 1983). Plusieurs études empiriques du milieu des années 1980 illustrent le fait que «les champs organisationnels sont fragmentés et conflictuels, et contiennent des besoins et des prescriptions concurrentiels» Scott (2008). A partir des exemples empiriques, les chercheurs commencent à reconnaître l importance du choix et de l action parmi les acteurs d un champ organisationnel. Dans son papier fondateur de 1988 sur l importance des intérêts et de l action dans la théorie institutionnel, DiMaggio fait un plaidoyer pour un réexamen du processus d institutionnalisation en argumentant que «l institutionnalisation est le produit des efforts politiques des acteurs». DiMaggio (1991) illustre ses arguments en étudiant le champ des musées d art aux Etats Unis, et conclut que les professionnels stimulent le changement au niveau du CO pour construire un nouveau champ avec une nouvelle structure et une nouvelle mission pour les musées. Oliver (1991) renforce le concept d action agentique dans les contextes institutionnels en combinant les arguments de la théorie institutionnelle et de la théorie de la dépendance aux ressources. Cela lui permet de proposer différentes réactions stratégiques des organisations 44

53 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES individuelles face aux pressions institutionnelles. D après Oliver, bien que la réaction la plus probable soit la conformité, d autres réactions incluent le compromis, l évitement, la défiance, et la manipulation. Oliver a aussi identifié dans la littérature les avantages que confère le conformisme aux acteurs d un point de vue institutionnel. Ces avantages incluent entres autres «plus de prestige, et de stabilité, ou légitimité, ou soutien social, ou soutien interne et externe, ou accès aux ressources, ou attractivité pour de nouvelles ressources humaines, ou conformité aux besoins administratifs, ou légitimité auprès de la profession, et /ou invulnérabilité face aux questions». D un autre côté, la perspective de dépendance aux ressources met en avant les avantages de la non-conformité comme la capacité à prendre des décisions autonomes, la capacité à faire face et à s adapter aux situations contingentes, la capacité à altérer ou contrôler son environnement par rapport aux objectifs de son entreprise. Scott (2008) ajoute un élément collectif aux stratégies individuelles proposées par Oliver en avançant que les réactions concertées de plusieurs organisations ont aussi le potentiel de redéfinir les règles et les logiques institutionnelles opérant dans le champ organisationnel. D autres travaux prennent en considération les acteurs qui donnent une signification et insufflent la vie aux institutions (Colomy, 1998; Beckert, 1999 ; Kostova et Roth, 2002; Lawrence et al., 2002; Townley, 2002 ; Zilber, 2002 ; Dorado, 2005). Le concept de la capacité d action agentique est défini par Emirbayer et Mische (1998) comme un engagement des acteurs construit dans le temps en utilisant leur créativité, leur expérience, et leur jugement pour résoudre des problèmes de leur champ organisationnel. Le changement institutionnel de source endogène, est en réaction à la capacité d action agentique, requiert une mobilisation de ressources, et dépend des opportunités disponibles dans le CO. Dorado (2005) propose aussi trois profils de changement institutionnel : l entrepreneuriat institutionnel, l approche convergente (partaking), et l approche collaborative (convening) 5. Ces trois profils opèrent dans un CO conditionné par des opportunités opaques, transparentes ou floues. 5 Traduction de l auteur 45

54 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES L entrepreneuriat institutionnel (voir section 1.5.1) se réfère à des acteurs organisés qui utilisent le lobbying pour mobiliser leurs ressources et le soutien des autres acteurs pour satisfaire leurs intérêts. Ces types d acteurs cherchent un soutien auprès d acteurs subsidiaires (les protecteurs) dans le but de s unir pour acquérir le soutien et l acceptation des autres acteurs qui sont parties prenantes du champ organisationnel. D après Dorado (2005), les entrepreneurs institutionnels sont plus aptes à introduire des changements innovants dans des champs organisationnels qui sont transparents en termes d opportunités (Garud et al., 2002). Cependant, la position sociale des entrepreneurs peut aussi leur permettre d identifier des opportunités même dans des champs organisationnels qui sont opaques ou flous. L approche convergente est une approche collective qui se réfère aux actions et interactions parmi les acteurs indépendants du champ organisationnel sans un but préalablement défini, mais qui finissent par s accumuler au fil du temps pour déboucher sur une pratique dominante qui cause éventuellement dans le temps un changement institutionnel. L approche convergente ne requiert pas l identification d opportunités, et selon Dorado (2005), peut se produire donc dans n importe quel champ organisationnel peu importe la perception des opportunités présentes. Leblebici et al. (1991) ont analysé les cycles de changement institutionnel dans l industrie de la radio commerciale aux Etats Unis, et ont identifié comment la convergence des actions indépendantes des acteurs dans le champ de la radio a causé un changement institutionnel dans un champ où les opportunités sont transparentes. L approche collaborative se réfère à une collaboration entre les acteurs qui après avoir identifié un problème social complexe dans le CO, mettent leurs ressources en commun pour affronter le problème qui est d un intérêt collectif. Lawrence et al. (2002) ont, par exemple, étudié le changement institutionnel apporté par une organisation non gouvernementale (ONG) internationale pour combattre la malnutrition infantile en créant une proto-institution qui accélère le processus de changement institutionnel. Le tableau 1.2 présente les trois profils de changement institutionnel proposés par Dorado (2005) 46

55 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Tableau3 1.2: Profils de changements institutionnels Profil Mobilisation des ressources Type d action Perception des acteurs des opportunités dans le champ organisationnel Entrepreneuriat Lobbying Stratégique Opaque, transparente, floue institutionnel Routine Opaque, transparente, floue Convergent Accumulation Cohérent Transparente, floue Stratégique Transparente Collaboratif Mises en commun Stratégique Floue Source : (Dorado, 2005) En utilisant le modèle théorique 1 sur le processus du changement institutionnel (Figure 1.1) d après Greenwood et al. (2002) et les différents profils et les déterminants du changement institutionnels de Dorado (2005), nous construisons le modèle théorique 2 (Figure 1.2). Ce deuxième modèle théorique nous permet d appréhender le changement institutionnel en analysant les déterminants (que nous développerons dans la section 3) qui affectent le type d action agentique qui se met en place dans un champ organisationnel. Cette section nous a permis d avoir un aperçu de la contribution des auteurs fondateurs de la SNI dans la promotion des concepts tels que l institution, le champ organisationnel, l isomorphisme, les logiques institutionnelles, et le changement institutionnel. Cependant, ce qui nous intéresse le plus c est l importance qu on prit les acteurs/organisations dans la sociologie néo-institutionnelle et plus spécifiquement le concept d entrepreneur institutionnel que nous examinerons en plus de détails dans la section suivante. 47

56 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Déterminants du changement institutionnel Caractéristiques du champ organisationnel Degré d hétérogénéité Degré d institutionalisation Position sociale des acteurs Orientation temporelle des acteurs (présent, passé, futur) Secousses exogènes ou endogènes au champ Organisationnel Perception des acteurs des opportunités dans le champ organisationnel (transparentes, opaques, floues) Type d action agentique (stratégique, cohérent, routine) Mobilisation des ressources: Convergent; Collaboratif; Entrepreneuriat Profils du changement institutionnel Réinstitutionalisation Diffusion Théorisation Désinstitutionalisation Préinstitutionalisation Processus du changement institutionnel Figure3 1.2 : Modèle théorique 2: Déterminants du processus de changement institutionnel Source: L auteur d après (Greenwood et al., 2002) et (Dorado, 2005) 48

57 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 3 : La sociologie néo-institutionnelle et le concept d entrepreneur institutionnel Dans cette section, nous nous intéresserons en particulier au profil de l entrepreneuriat institutionnel car ce concept a donné lieu à de nombreux travaux empiriques. Nous verrons les conditions qui favorisent l émergence d entrepreneurs institutionnels dans un champ organisationnel et le processus de l entrepreneuriat institutionnel. Nous aborderons ensuite les différents types de stratégies institutionnelles utilisées par les acteurs pour agir sur les institutions et nous terminerons sur les critiques sur l entrepreneur institutionnel par rapport à l emphase des chercheurs aux dépens des autres acteurs du champ organisationnel. 1.5 La sociologie néo-institutionnelle étendue dans les études organisationnelles La théorie néo-institutionnelle, dans l étude des organisations, a longtemps mis à l écart le comportement intéressé des acteurs-organisations car les règles sont considérées pour acquises par les acteurs. Les travaux sur l entrepreneuriat institutionnel visent à construire une théorie de l action, car le manque d emphase sur l action volontaire des acteurs est une des plus grandes faiblesses de la théorie néo-institutionnelle «courante» (DiMaggio et Powell, 1991 ; Hirsch et Lounsbury, 1997 ; Desreumaux, 2004). Les récentes études sur l entrepreneuriat institutionnel ont pour objectif la réintroduction de l action agentique dans l analyse institutionnaliste, et donnent lieu, selon Hoffman et Ventresca (2002) au «néoinstitutionnalisme étendu». Cette section passe en revue la richesse des travaux sur l entrepreneur institutionnel, ainsi que ses apports et ses limites L entrepreneur institutionnel De la perspective de la sociologie néo institutionnelle, l entrepreneur institutionnel (EI, ciaprès), qui peut aussi bien être un individu, ou un groupe d individus (Fligstein, 1997 ; Maguire et al., 2004, Delacour, 2007, Bourcieu et al., 2010) ou une organisation ou un groupe d organisations (Garud et al., 2002 ; Maguire et al., 2004 ; Greenwood et Suddaby, 49

58 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES 2006), se saisit des opportunités qui lui permettent de s adapter de façon stratégique à son environnement (Suchman, 1995) et ainsi favoriser le processus d institutionnalisation de pratiques alternatives (Lawrence et Suddaby, 2006). Le terme entrepreneur institutionnel apparaît pour la première fois dans le papier fondateur de DiMaggio (1988), terme qu il emprunte à Eisendtadt (1980), où il définit les entrepreneurs institutionnels comme «des acteurs organisés qui ont suffisamment de ressources et qui trouvent dans ces ressources une opportunité pour réaliser des intérêts qui ont une forte valeur pour eux». Les entrepreneurs institutionnels sont des acteurs ayant des intérêts spécifiques dans certaines structures institutionnelles, et qui sont aux commandes de ressources qui peuvent être utilisées pour influencer les règles institutionnalisées existantes ou pour créer de nouvelles institutions malgré des pressions pour maintenir les normes institutionnelles existantes (DiMaggio, 1988; Garud et al., 2007). Ces acteurs créent des normes cognitives, des modèles d activités économiques, des types de comportement qui correspondent à leurs intérêts, et qui visent à les établir comme standards et légitimes vis à vis d autres acteurs (Zimmerman et Ziet, 2002) Le profil de l entrepreneur institutionnel Battilana et al. (2009) postulent que les entrepreneurs institutionnels sont des agents qui favorisent le changement, mais qu ils doivent remplir deux conditions pour être classés comme entrepreneur institutionnel: (1) être à l initiative de changements qui divergent des normes institutionnalisées, et (2) participer activement à l implémentation de ces changements. Les acteurs qui initient des changements divergents, qui se démarquent du modèle institutionnalisé, peuvent donc être considérés comme des entrepreneurs institutionnels (Greenwood et Hinings, 1996; D'Aunno et al., 2000; Battilana, 2007). Ce modèle institutionnalisé est souvent appelé la logique institutionnelle (Thornton, 2002 ; 2004 ; Suddaby et Greenwood, 2005) et se réfère à un champ organisationnel qui reflète la vision partagée des objectifs des acteurs concernés. De plus, la participation active des acteurs, qui consiste à mobiliser les ressources nécessaires aux changements divergents, est une condition importante pour qu ils soient considérés comme des entrepreneurs institutionnels. Les acteurs qui ont pu introduire une nouvelle pratique divergente dans une organisation ou dans le CO mais n ont pas pu convaincre les autres acteurs de l adopter sont toujours considérés comme des entrepreneurs institutionnels. 50

59 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Brechet et al. (2009) nous offrent une construction théorique de «la figure de l entrepreneur» et décrivent quatre profils de l entrepreneur : l entrepreneur visionnaire, l entrepreneur expert, l entrepreneur relationnel et l entrepreneur institutionnel. Pour ces auteurs, l action entrepreneuriale est à la fois «fondamentalement individuelle et fondamentalement collective». L entrepreneur, porteur d un projet, ne peut développer celui-ci sans interagir avec d autres acteurs et il agit donc dans un collectif. Le projet entrepreneurial s appuie aussi sur «une personne ou des groupes de personnes qui joueront un rôle moteur, catalyseur ou fédérateur». Ces auteurs rejoignent Sewell (1992) qui parle de la capacité d action agentique comme à la fois individuelle et collective dans le sens que «la transposition des schémas et la remobilisation des ressources durant l action agentique, sont toujours des formes de communication avec les autres». Pour Brechet et al. (2009), l entrepreneur institutionnel n est pas un entrepreneur ordinaire mais «un acteur conscient, visionnaire, expert de ses dossiers et animé d un vrai projet de modifier les règles qui prévalent dans un champ organisationnel et qui le structurent dans la longue durée». Notre entrepreneur institutionnel est souvent comparé à l entrepreneur Schumpetérien qui est un innovateur et un agent du changement. L innovation est étroitement associée à l entrepreneuriat depuis les travaux de Schumpeter (1935) qui mentionnent le processus de la «destruction créative». Les mots clés associés à l entrepreneur institutionnel sont la motivation, l intentionnalité, la poursuite des opportunités, et la quête de légitimité. L entrepreneur institutionnel est motivé à provoquer des changements divergents dans les pratiques institutionnalisées. La définition de DiMaggio (1988) de l entrepreneur institutionnel parle de la notion d intérêt. Cependant, au-delà de la notion d intérêt personnel comme mentionnée par Lawrence et al. (2005), les travaux sur l EI qui ont suivi ont montré que les EIs n ont pas nécessairement un comportement intéressé (Fligstein, 2001), mais qu ils peuvent aussi être motivés par une idéologie (Rao, 1998); des problèmes à résoudre (Leblebici et al., 1991), des objectifs sociétaux ou environnementaux (Buhr, 2012; Arroyo, 2012) entres autres. Cependant certaines études démontrent aussi que certains EI ont des intérêts d ordre matériel (Greenwood et al., 2002). 51

60 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES L entrepreneur institutionnel agit de façon intentionnelle ou non-intentionnelle. Certains EIs utilisent des stratégies institutionnelles délibérées pour agir sur les institutions tandis que des EIs émergents peuvent, de par leurs actions combinées à d autres intentions, changer les structures institutionnelles. Les nombreuses exemples empiriques sur les EIs suggèrent toutefois que les intentions des EIs sont dans la plupart des cas délibérées (Leca et al., 2006). L entrepreneur institutionnel est aussi en quête d opportunités dans le CO. D après Schumpeter (1935), les entrepreneurs identifient des opportunités que d autres acteurs ne voient pas et inventent des nouvelles technologies et des concepts qui donnent lieu à de nouvelles activités économiques. Selon Drucker (1985) les entreprises innovantes doivent contrôler sept sources de changement car ces sources donnent lieu à des opportunités: (1) l inattendu- le succès ou l échec inattendu, (2) l incongruité- comment est le monde et comment il devrait être, (3) un besoin de processus- trouver une meilleure façon de faire quelque chose, (4) l imprévu- des changements imprévus dans l industrie ou le marché, (5) la démographie- changement dans la population, (6) changement de perception, d humeur, de sens, et (7) nouvelles connaissances. Eckhardt et Shane (2003), en se basant sur les travaux de Venkataraman (1997), définissent l opportunité entrepreneuriale comme «les situations où les nouveaux produits, services, matières premières, marchés et méthodes d organisations peuvent être introduits à travers la formation de relations de cause à effet». Plus récemment, Chabaud et Messeghem (2010) mettent l accent sur le paradigme d opportunité comme un paradigme intégrateur des différentes approches théoriques à travers le champ de l entrepreneuriat. En dernier lieu, la quête de légitimité est un autre aspect du processus entrepreneurial, et permet à l entrepreneur d utiliser ses capacités managériales pour exploiter les opportunités identifiées dans le champ organisationnel. Lawrence (1999) avance que les acteurs doivent se poser les questions suivantes pour maintenir leur légitimité dans un champ organisationnel : «Où pouvons-nous aller?», et «Que pouvons-nous faire?». La première question se rapporte à ce que Lawrence appelle les règles d adhésion et les barrières institutionnelles qui délimitent l entrée dans un champ organisationnel. Les règles d adhésion aident à organiser les «interactions, les structures de pouvoir, et l information partagée parmi les acteurs engagés dans une activité commune» Lawrence (1999). La seconde question se réfère aux 52

61 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES standards de pratiques dans un champ organisationnel. Ces standards, d après Lawrence (1999) «fournissent des guides, des normes, et des prescriptions légales se rapportant à comment ces pratiques peuvent être effectuées dans un contexte institutionnel donné». Ce concept d entrepreneurs institutionnels foisonne dans la littérature et trouve de nombreux exemples empiriques qui démontrent le rôle significatif des professionnels qui sont là pour apporter des changements dans les champs organisationnels pour promouvoir leurs propres intérêts. Le type de changement institutionnel apporté par les EIs varie dans les différents travaux sur le sujet, dépendant du niveau d analyse qu il soit au niveau du CO, au niveau de l organisation, ou au niveau de l individu. Ainsi, Fligstein (1997) décrit les compétences de Jacques Delors en tant qu acteur stratégique pour faire avancer le traité de Maastricht; Rao et al. (2000) parlent des mouvements sociaux qui créent de nouvelles formes organisationnelles; Greenwood et al. (2002) analysent l apport des associations professionnelles de comptables au Canada dans la théorisation du changement institutionnel; Maguire et al. (2004) observent le rôle des entrepreneurs institutionnels dans un champ émergent au Canada, le traitement du VIH/SIDA; Trouinard (2004) analyse l arrivée de nouveaux entrants dans le champ de la presse quotidienne de Paris; Rao et al. (2005) analysent les implications des chefs cuisiniers de la gastronomie française (cuisine classique) qui empruntent des éléments d un autre champ organisationnel (la nouvelle cuisine) et provoquent un changement institutionnel; Mutch (2007) analyse la contribution de Sir Andrew Barclay Walker dans le transfert des pratiques prises pour acquis pour promouvoir les brasseries Peter Walker & Son en Ecosse; Svejenova et al. (2007) illustrent le cas exceptionnel de Ferran Adrià, chef cuisinier et entrepreneur institutionnel à Barcelone, un acteur majeur de la nouvelle cuisine Espagnole; Ben Slimane (2007) analyse le rôle des stratégies discursives de l entrepreneur institutionnel pour promouvoir une nouvelle technologie, la MPEG4, dans la diffusion des émissions de télévision; Delacour (2007) analyse les stratégies de légitimation de deux types d entrepreneurs institutionnels (individuel et organisation) par rapport à l institutionnalisation du tableau interactif dans le champ de l éducation nationale française; Bourcieu et al. (2010) parlent des entrepreneurs institutionnels de la filière vitivinicole française qui valorisent leurs produits pour accéder aux marchés nationaux et internationaux; Ramasawmy et Fort (2011) parlent de l émergence d entrepreneurs institutionnels dans la filière légumes à l île Maurice face à l arrivée de nouveaux entrants. Buhr (2012) parle du rôle d un collectif d entrepreneurs 53

62 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES institutionnels qui ont réussi à inclure le secteur de l aviation dans le programme de l Union Européenne de contrôle d émissions de carbone. Major et Cruz (2013) s intéressent à comment un acteur central et dominant dans un champ organisationnel, le ministère de la santé Portugaise, a pu agir comme un entrepreneur institutionnel pour réorganiser le secteur de la santé en utilisant des logiques institutionnelles venant d autres pays. Koene et Ansari (2013) présentent le cas des entrepreneurs institutionnels Pays Bas qui soutiennent une nouvelle forme organisationnelle, le travail temporaire. L entrepreneuriat institutionnel peut être considéré comme une pression endogène dans le champ organisationnel aboutissant à un changement institutionnel. Barley et Tolbert (1997) avancent qu un changement institutionnel est possible quand les acteurs participent de façon volontaire et que les conditions du champ organisationnel facilitent l acquisition des ressources et donnent une base rationnelle pour questionner les comportements existants. Cependant une des plus grandes barrières à l introduction de l action dans la théorie institutionnelle est le paradoxe de l encastrement des acteurs (embedded agency) (Holm, 1995; Seo et Creed, 2002) qui se réfère à la question suivante : «comment est-ce que les acteurs -individuels ou organisations- peuvent innover si leur croyances et actions sont déterminées par le champ organisationnel qu ils veulent changer?» (Battilana, 2006b). Ce paradoxe révèle la tension qui existe entre le déterminisme institutionnelle et la capacité des acteurs à faire des choix. Archer (1982) parle de l amalgame existant entre la structure et l action. En réponse, Barley et Tolbert (1997) proposent une approche diachronique au changement institutionnel pour réconcilier l action agentique et les pressions institutionnelles. Les travaux sur l entrepreneur institutionnel essayent de résoudre ce paradoxe de l acteur encastré, en mettant l accent sur la capacité de certains acteurs, les entrepreneurs institutionnels, à se désencastrer des arrangements institutionnels existants pour créer de nouvelles institutions ou changer celles existantes (Beckert, 1999). Pour ce faire, certaines conditions favorables à l émergence des EI sont décrites dans la littérature, que nous examinons dans la section suivante. 54

63 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Les conditions qui favorisent l émergence d entrepreneurs institutionnels Nous nous référons au travail de Battilana (2006b) qui, en se basant sur une revue des travaux sur l entrepreneuriat institutionnel publiés dans des revues à comité de lecture, a codifié les conditions favorisant l émergence des EI qui se retrouvent en deux catégories majeures : les conditions se rapportant au niveau du champ organisationnel, et les conditions se rapportant au niveau des organisations/individus Les conditions favorisant l entrepreneuriat institutionnel au niveau du champ organisationnel Battilana (2006b) identifie trois différents types de conditions au niveau du champ organisationnel favorisant l entrepreneuriat institutionnel. Le premier type de condition se réfère à des secousses sur le CO telles que des chocs externes, des crises sociales (Fligstein, 2001) ; des crises de marché (Holm, 1995) ; la libéralisation du commerce internationale (Zhao et al., 2006) ; une introduction de nouvelles technologies, ou un changement de régulation entre autres (Greenwood et al., 2002). D autres secousses peuvent inclure un manque de ressources qui résulte en une migration des acteurs dans d autres CO, où ils peuvent opérer comme des entrepreneurs institutionnels en introduisant des pratiques divergentes aux modèles institutionnalisés (Durand et McGuire, 2005). Le deuxième type de condition est en rapport à des problèmes aigus au niveau du champ qui peuvent encourager les acteurs des différentes organisations à collaborer en tant qu entrepreneurs institutionnels (Philipps et al., 2000). Le troisième type de condition correspond aux caractéristiques du champ organisationnel. En particulier les chercheurs se sont penchés sur deux caractéristiques du CO qui affectent l action agentique et favorisent l entrepreneuriat institutionnel : le degré d hétérogénéité des arrangements institutionnels dans le CO (Oliver, 1991 ; Sewell, 1992 ; Whittington, 1992 ; D'Aunno et al., 2000 ; Seo et Creed, 2002), et le degré d institutionnalisation des 55

64 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES arrangements institutionnels dans le CO (Zucker, 1977; Oliver, 1991 ; Tolbert et Zucker, 1996). Ainsi, en ce qui concerne la première caractéristique du CO, si les arrangements institutionnels sont contradictoires et donc hétérogènes, cela peut déclencher une réaction des acteurs envers les normes institutionnelles et causer un changement divergent. Le degré d hétérogénéité des arrangements institutionnels dans un CO, aussi appelé le degré de multiplicité des référents institutionnels (Oliver, 1991, Sewell, 1992, Whittington, 1992, Seo et Creed, 2002) peut se définir comme le degré d ouverture du champ aux idées pratiquées et aux ressources dans d autres champs (Greenwood et Hinings, 1996, Whittington, 1992 ; Seo et Creed, 2002). Plus un champ est ouvert, plus il y a des référents ou logiques institutionnelles hétérogènes (par exemple des règles ambiguës et contradictoires) qui peuvent donner lieu à des tensions qui favorisent l action agentique. Les champs qui sont très fermés s exposent moins aux multiples référents institutionnels et cela donne peu de possibilités pour faciliter l action créative; tandis que les champs qui sont trop ouverts donnent lieu à des incertitudes et contraignent les acteurs à adopter des comportements qui ont un sens (Beckert, 1999 ; Seo et Creed, 2002). Le degré d hétérogénéité des arrangements institutionnels dans un CO influence aussi le processus de mobilisation des ressources adopté par les acteurs (Dorado, 2005). La deuxième caractéristique du CO, le degré d institutionnalisation des arrangements institutionnels, influence aussi l action agentique et définit les effets déterministes, contraignants et permissifs des institutions sur les acteurs (Zucker, 1987; Barley et Tolbert, 1997). Le degré d institutionnalisation d un champ organisationnel peut se caractériser par une incertitude extrême (institutionnalisation minimale), une institutionnalisation modérée, ou une institutionnalisation extrême (Beckert, 1999; Dorado, 2005). Les acteurs adoptent des comportements à sens ou routiniers dans des champs avec institutionnalisation minimale ; tandis que dans les champs très institutionnalisés, les comportements sont pris pour acquis de telle façon que les acteurs ne les questionnent pas. Le changement s accumule imperceptiblement dans le temps. Cependant, il y a débat parmi les chercheurs sur l impact qu a le degré d institutionnalisation sur l entrepreneuriat institutionnel. Ainsi, selon Beckert (1999), un CO fortement institutionnalisé peut déclencher des actions stratégiques et ainsi favoriser l entrepreneuriat institutionnel. Se basant sur le modèle de Beckert (1999), Dorado (2005) propose que l EI se manifeste dans un CO modérément institutionnalisé. D autres 56

65 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES chercheurs ont un avis différent, et avancent que le niveau d incertitude dans un CO très peu structuré ou peu institutionnalisé est source d opportunités pour des actions stratégiques de la part des acteurs (Tolbert et Zucker, 1996 ; DiMaggio, 1988 ; Fligstein, 1997). Ainsi Fligstein (1997) propose qu un CO qui n est pas structuré, offre de grandes opportunité d action stratégiques. Il est intéressant de noter que la majorité des études empiriques sur l EI ont décrit des CO émergents qui sont peu structurés et qui ont ainsi un niveau d incertitude élevé (Garud et al., 2002 ; Zimmerman et Ziet, 2002 ; Maguire et al., 2004) Les chercheurs institutionnels se rejoignent sur le fait que le changement institutionnel répond à la volonté et à la capacité créative des acteurs (capacité d action agentique), à un besoin de ressources, et dépend des opportunités présentes dans l environnement. Pour Dorado (2005), «les opportunités surviennent quand les individus les imaginent et persuadent les autres de les adopter». En se basant sur les deux caractéristiques du CO décrit ci-dessus, Dorado (2005) a développé une typologie qui a pour objectif de déterminer les caractéristiques des CO qui favorisent la quête d opportunités des EI. Dorado (2005) décrit des champs fortement institutionnalisés et très peu ouverts aux autres champs, comme opaques par rapport aux opportunités ; des champs modérément institutionnalisés qui ont des arrangements institutionnels hétérogènes, comme transparents, et qui offrent ainsi beaucoup d opportunités pour les actions stratégiques ; et des champs très peu institutionnalisés qui ont des arrangements institutionnels hétérogènes, comme flous, car les acteurs doivent œuvrer dans un environnement très incertain Les conditions favorisant l entrepreneuriat institutionnel au niveau des organisations Les différents travaux sur l EI ont aussi souligné le rôle facilitateur des caractéristiques organisationnelles (Leblebici et al., 1991) et des caractéristiques individuelles des acteurs (Fligstein, 1997, 2001 ; Maguire et al., 2004 ; Battilana, 2006a, 2006b; 2007; 2009; 2011). La plupart des études se concentrent sur une caractéristique des organisations/acteurs: La position sociale (périphérique, centre, aux interstices) de l organisation/de l acteur individuel dans le champ organisationnel, ou dans son environnement institutionnel. 57

66 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES De récentes études (Delbridge et Edwards, 2008; Powell et Colyvas, 2008) ont aussi montré que les actions de certains acteurs dans le CO peuvent générer des conditions dans le CO, qui peuvent être exploitées par les entrepreneurs institutionnels pour précipiter le changement divergent. Cependant, bien que les conditions, qu elles soient exogènes ou provenant des autres acteurs du champ, favorisant l émergence d entrepreneurs institutionnels dans le CO existent, tous les acteurs encastrés dans le CO ne vont pas se saisir des opportunités disponibles et agir en tant qu entrepreneurs institutionnels. Battilana et al. (2009) suggèrent que des caractéristiques spécifiques et individuelles des acteurs sont aussi importantes. Ainsi, Battilana et al. (2009) et Battilana (2011), en se basant sur les travaux de Fligstein (1997; 2001) et Maguire et al. (2004), se concentrent sur les conditions au niveau des individus qui favorisent l entrepreneuriat institutionnel que nous développons dans la section suivante Les caractéristiques spécifiques et individuelles des acteurs favorisant l entrepreneuriat institutionnel Fligstein (1997; 2001) démontre que les EIs sont des acteurs ayant des compétences sociales qui leur permettent de comprendre et d être proches des situations des autres acteurs du CO. Cela facilite ainsi la coopération des autres acteurs. Une étude de Maguire et al. (2004) démontre le rôle important de la position des acteurs par rapport au sujet dominant du CO, comme dans cet exemple, la connaissance du VIH/SIDA. Ainsi les acteurs qui sont reconnus par rapport à leur position formelle et aussi par rapport à leurs identités socialement construites et légitimées sont plus aptes à obtenir le soutien et la collaboration des parties prenantes et ainsi mobiliser les ressources nécessaires à l aboutissement de leur projet. Emibayer et Mische (1998) postulent que la capacité des acteurs à transformer leur champ organisationnel, est en fonction de leur orientation temporelle. Les acteurs peuvent soit s orienter vers le passé en utilisant les expériences vécues, ou bien être orientés dans le présent et émettre des jugements pratiques en fonction des demandes émergentes; ou encore être orientés vers le futur en imaginant des scénarios et trajectoires possibles. Les orientations passées, présentes et futures sont simultanément présentes mais une de ces orientations 58

67 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES prédomine, et c est ce qui amène Dorado (2005) à formuler trois types d action agentique: la routine, quand le passé prédomine (Giddens, 1984), la cohérence (sensemaking) quand le présent prédomine (Weick, 1995), et la stratégie (DiMaggio, 1988) quand le futur est dominant. Buhr (2012) parle des conditions temporelles qui favorisent l entrepreneuriat institutionnel avec l inclusion du secteur de l aviation dans le programme de l Union Européenne sur les émissions de carbone. Battilana et al. (2009) proposent aussi que les caractéristiques individuelles des acteurs comme les facteurs démographiques et psychologiques sont importants comme facteurs pouvant aider à faire émerger des entrepreneurs institutionnels Le processus de l entrepreneuriat institutionnel Le processus de l entrepreneuriat institutionnel est décrit par différents auteurs comme un processus politique et culturelle de nature complexe (DiMaggio, 1988; Fligstein, 1997). En utilisant le modèle théorique 2 (Figure 1.2), nous construisons le modèle théorique 3 (Figure 1.3) en nous basant sur le travail de Battilana et al. (2009) pour comprendre le processus favorisant l émergence des entrepreneurs institutionnels. Ce modèle propose trois ensembles d activités qui sont impliquées dans l implémentation d un changement divergent par l entrepreneur institutionnel dans un CO: (1) Développer une vision (les entrepreneurs institutionnels doivent proposer une vision du changement prévu et exposer et partager cette vision avec les autres acteurs du CO) ; (2) Mobiliser les autres acteurs (les alliés) (acquérir le soutien des autres acteurs pour l acceptation des nouvelles pratiques institutionnelles ; et (3) Motiver les alliés pour atteindre et maintenir la vision du changement (concerne l éventuel adoption des nouvelles pratiques, et l institutionnalisation de ces pratiques). Il est à noter que les conditions et caractéristiques du CO, la position sociale des acteurs ainsi que le contexte où ils opèrent influencent la mobilisation des ressources et ainsi tout le processus de l entrepreneuriat institutionnel. 59

68 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Mobilisation des ressources Les entrepreneurs institutionnels puissent de leurs propres acquis pour mobiliser des ressources. Ces acquis incluent leur légitimité déjà acquises de par leurs expériences et actions passées ; leur autorité formelle ; leur position dans le CO ; et leur accès aux ressources rares. Les ressources mobilisées peuvent être, selon Leca et al. (2008), tangibles ou intangibles. Les ressources tangibles essentiellement financières sont utiles afin d éviter les sanctions des opposants au changement divergent proposé (Greenwood et al., 2002) d une part; et d autre part créer une coalition avec d autres acteurs (Garud et al., 2002). Les ressources intangibles incluent la position sociale (ou le capital social) ; la légitimité, et l autorité formelle. La position ou le capital social des EIs, défini par Coleman (1988), comme la position de l acteur dans un réseau de relations sociales qui lui donne accès à l information et au support politique ; et la capacité de l acteur à puiser de ce capital social pour influencer les actions des autres acteurs. L entrepreneur institutionnel, dépendant de sa position dans le CO peut aussi influencer les autres acteurs. Ainsi, selon Phillips et al. (2004), un EI central au CO a plus de chance de diffuser et faire accepter ses idées. La légitimité déjà établie et l identité de l EI joue en sa faveur pour la diffusion de son projet. L autorité formelle est le droit reconnu de certains acteurs à prendre des décisions dans le CO (Phillips et al., 2000). Cette autorité formelle est très utile pour les EI dans le cadrage (framing) (Benford et Snow, 2000) de leurs discours pour mobiliser des alliés à leurs projets. 60

69 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Contexte de l entrepreneuriat institutionnel Caractéristiques du champ organisationnel Degré d hétérogénéité Degré d institutionalisation Position sociale des acteurs Orientation temporelle des acteurs (futur) Mobilisation des ressources: stratégies discursives Secousses exogènes ou endogènes au champ organisationnel Perception des acteurs des opportunités dans le champ organisationnel (transparentes, opaques, floues) Type d action agentique: stratégique Création d une vision divergente Mobilisation des alliés Processus de l entrepreneuriat institutionnel Réinstitutionalisation Diffusion Théorisation Préinstitutionalisation Désinstitutionalisation Processus du changement institutionnel Figure4 1.3: Modèle théorique 3: Le processus de l entrepreneuriat institutionnel Source: L auteur d après (Greenwood et al., 2002; Dorado, 2005; Battilana et al,. 2009) 61

70 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Les stratégies institutionnelles Un conflit apparaît dans les premiers travaux sur la théorie néo-institutionnelle, essentiellement issu des travaux de Meyer et Rowan (1977) et concerne l opposition entre les exigences institutionnelles et la performance efficiente des organisations comme imposée par les marchés compétitifs. Cette opposition est renforcée par DiMaggio et Powell (1983) qui avancent que les pressions institutionnelles rendent les entreprises similaires sans pour autant «les rendre plus efficientes». De plus, cette position fut soulignée par des recherches antérieures de chercheurs institutionnels qui se sont concentrés sur des organismes publiques et à but non lucratif. Pour pallier le danger de classifier la théorie néo-institutionnelle comme une théorie qui étudie les organisations qui sont protégées des forces concurrentielles, de nombreux chercheurs au début des années 1990 ont posé le principe que les processus institutionnels fournissent les règles et les normes qui gouvernent la concurrence, et que les aspects culturels des institutions donnent les éléments qui favorisent les actions stratégiques (Powell, 1991). Cela nous conduit au concept de stratégie institutionnelle. Le modèle présenté dans la figure 1.3 nous donne les conditions d émergence de l entrepreneur institutionnel qui agit en stratège en saisissant les opportunités présentes dans le champ organisationnel. Qu en est-il des choix stratégiques des acteurs? Il est entendu que l entrepreneur institutionnel se qualifie comme tel en proposant une vision d un changement qui diverge des normes institutionnalisées. Nous nous intéressons donc aux formes que peuvent prendre les choix stratégiques des entrepreneurs institutionnels. Pour Beckert (1999), le choix stratégique a une place importante dans le champ organisationnel et il le définit comme «une poursuite planifiée du profit basée sur une évaluation rationnelle des moyens disponibles et des conditions favorisant les stratégies». Beckert (1999) se basant sur les travaux de Schumpeter (1935) fait la différence entre les managers qui se conforment aux normes institutionnelles et agissent sur les routines et les entrepreneurs qui eux réagissent d une façon créative en trouvant d autres opportunités. Dans son modèle cyclique de changement institutionnel (figure 1.4), Beckert suggère que l action stratégique est possible dans les CO ayant au moins un niveau modéré de 62

71 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES développement institutionnel. Ce niveau de développement permet des calculs stratégiques et motive le changement à travers des processus entrepreneuriaux. Si le changement a pu être introduit dans le CO, cela crée une désinstitutionalisation et des incertitudes. Cela résulte en une adoption de nouvelles pratiques, et une réduction des incertitudes. Une fois la stabilité de CO retrouvée, les conditions favorisant l entrepreneuriat et les actions stratégiques sont présentes de nouveaux. Création d opportunités stratégiques Institutions Création de l encastrement Entrepreneur Manager Destruction des institutions Incertitudes Nécessité de créer la stabilité Figure5 1.4 : Un modèle dynamique des intérêts et des institutions Source : (Beckert, 1999) Dorado (2005) ajoute deux scénarios additionnels au modèle de Beckert: l incertitude extrême, et l institutionnalisation extrême. Dans des situations d extrêmes incertitudes, les acteurs peuvent se baser sur les comportements ou des routines familières utilisées dans le passé. Dans des CO extrêmement institutionnalisés, les comportements sont tenus pour acquis et le potentiel de changement est très faible. Cependant, les petites variations entre les acteurs dans leurs utilisations des normes institutionnelles peuvent s accumuler sur le temps et créer un changement. 63

72 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES D après Lawrence (1999), les ressources requises pour les stratégies institutionnelles sont différentes de celles requises pour les stratégies concurrentielles. D un côté, la stratégie institutionnelle se base sur la capacité de pouvoir définir entièrement, soutenir, et défendre la légitimité ou la désirabilité de certaines pratiques ou de formes organisationnelles. De l autre côté, la stratégie concurrentielle se base sur des pratiques existantes et légitimées, ou utilise des règles sociales existantes. Les stratégies institutionnelles peuvent être intentionnelles (délibérées) ou émergentes (fortuites). Les stratégies institutionnelles peuvent stabiliser des formes ou des pratiques existantes à travers l institutionnalisation (Slack et Hinings, 1994) ou la désinstitutionalisation (Oliver, 1992). D après Lawrence (1999), les stratégies concurrentielles sont en réaction au contexte économique, social et technologique d une industrie. D un autre côté, les acteurs utilisent les stratégies institutionnelles pour changer la nature de la concurrence dans leur industrie soit en changeant les règles d adhésion ou les standards de pratique. Les stratégies institutionnelles délibérées peuvent ainsi améliorer la position concurrentielle d une entreprise. Oliver (1991) propose des réponses stratégiques aux processus institutionnels (tableau 1.3). 64

73 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Tableau4 1.3: Réactions stratégiques aux processus institutionnels Stratégies Tactiques Exemples Adhésion Suivre des normes invisibles, et tenues pour Accord acquises Mimétisme Imiter des modèles institutionnels Obéissance Obéir aux règles et accepter les normes Equilibrage Trouver un équilibre entre les attentes de différents acteurs et les attentes internes de l organisation Pacification Essayer d accommoder les différents éléments Compromis institutionnels en gardant une adhésion minime aux attentes institutionnelles Négociation Négocier avec les parties prenantes du champ organisationnel Camouflage Camoufler les non conformités aux éléments institutionnels derrière une façade d adhésion Découplage Découpler les activités internes de l organisation Evitement avec les contacts externes avec le champ organisationnel Fuite Changer les buts, objectifs ou même délocaliser les activités pour éviter l adhérence Ignorer Ignorer les normes et valeurs Défiance Remettre en question les règles et normes Défiance institutionnels Attaquer Utiliser une stratégie agressive de rejet de l organisation des pressions institutionnelles Co-opétition Avoir des partenariats stratégiques pour mobiliser le soutien d autres acteurs du champ organisationnel Manipulation Influence Influencer les croyances et essayer de changer les règles institutionnelles Contrôle Utiliser le pouvoir et la domination sur les sources de pressions institutionnelles Source : (Oliver, 1991) 65

74 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Les stratégies discursives sont une autre façon d agir sur l environnement institutionnel. Les entrepreneurs institutionnels peuvent utiliser le discours ou sa construction pour influencer leur champ organisationnel (Lawrence et Suddaby, 2006). La littérature sur l entrepreneuriat institutionnel regorge d exemples d utilisation de stratégies discursives par les EIs (Fligstein, 1997 ; Rao, 1998 ; Rao et al., 2000 ; Seo et Creed, 2002 ; Maguire et al., 2004 ; Ben Slimane, 2007). Selon Ben Slimane (2007), les stratégies discursives sont utilisées par les EIs pour mettre «[ ] la production de textes, de discours au service de leurs velléités de façonnement des règles du jeu de leurs environnements». Ainsi, les EIs mobilisent des ressources symboliques, la plus importante étant les discours, pour construire des cadres de connaissances et d interprétation correspondant au concept de cadrage mentionné plus haut. Les stratégies rhétoriques (Suddaby et Greenwood, 2005) qui se réfèrent à l utilisation de symboles pour persuader les autres de changer leurs attitudes, valeurs et croyances (Cheney et al., 2004) sont aussi des moyens d agir sur les institutions La mobilisation des alliés Le plus grand défi des entrepreneurs institutionnels est de pouvoir partager leur vision du changement divergent avec les autres acteurs, et d en faire des alliés pour soutenir l implémentation du changement. Pour ce faire, il est impératif de dissocier les acteurs, qui sont mobilisés, de leur encastrement institutionnel. Les entrepreneurs institutionnels font aussi face à une opposition des acteurs, les défenseurs des normes institutionnalisées (DiMaggio, 1988), et qui se sentent menacés par les changements divergents qui attaquent leurs privilèges organisationnels établis ainsi que leur position sociale dans le CO. Dorado (2005) propose trois profils de changement institutionnel (voir section ) : l approche de l entrepreneuriat institutionnel où la mobilisation des ressources se fait à travers le processus de lobbying (leveraging) auprès des autres acteurs ; l approche convergente (partaking) où l entrepreneuriat institutionnel est une action collective des acteurs qui émerge de l action individuelle et indépendante de plusieurs acteurs et qui converge vers le même objectif ; et l approche collaborative (convening) où les EIs essayent de convaincre les parties prenantes à mettre leurs ressources en commun pour cibler un problème d intérêt commun. 66

75 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Les critiques du concept de l entrepreneur institutionnel Selon Weik (2011), bien que le concept de l entrepreneur institutionnel ait été utile à plusieurs niveaux tels que la réintroduction de la capacité d action agentique dans la sociologie institutionnelle; l explication du changement institutionnel de façon endogène; et l apport du rôle du pouvoir et de la politique dans le changement institutionnel, ce concept a été utilisé pour «tirer trop de wagons, et de ce fait, a perdu sa signification». En se basant sur une revue des publications sur le sujet de l entrepreneuriat institutionnel de 1999 à 2007, Weik (2011) formule les deux critiques suivantes sur ce concept: un biais gestionnaireindividualiste, et un amalgame des concepts de la pratique et de l action. La première critique selon Weik (2011) est fondée sur le fait que les entrepreneurs institutionnels agissent de façon individuelle, et ont une approche managériale envers les institutions, en «créant ou détruisant des institutions de la même façon et pour les mêmes raisons que pour la création d entreprises». Ce biais soulève plusieurs problèmes. Premièrement, il introduit une perspective fonctionnaliste dans la théorie institutionnelle, et fait l impasse sur les interactions entre la structure et l action. Deuxièmement, il y a un détournement de l attention vers les entrepreneurs héroïques en oubliant «les efforts collectifs des acteurs, les échecs, les tentatives répétées, les boucles rétroactifs, et toutes les interdépendances qui font la richesse de l histoire des institutions.» Weik (2011). Troisièmement, il y a amalgame entre pratique et action dans le sens que les institutions sont des séries de pratiques au lieu de séquences d actions individuelles. Ainsi, un entrepreneur institutionnel ne peut prétendre par une seule action individuelle créer, détruire ou maintenir une pratique car une pratique est constituée de plusieurs actions. De ce fait, l entrepreneur institutionnel a besoin de l aide collective d autres acteurs pour établir une nouvelle pratique. C est ainsi que Czarniawska (2009) argumente que le terme d entrepreneur institutionnel par rapport à un entrepreneur individuel est un oxymore. L approche de l entrepreneur institutionnel est aussi très critiquée car elle réintroduit le volontarisme de la théorie des choix rationnels que les chercheurs des premiers travaux sur la sociologie néo institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977; DiMaggio et Powell, 1983) voulaient absolument éviter. Pour résoudre ce problème d amalgame entre la structure et l action, Leca et Naccache (2006) suggèrent le recours à l épistémologie réaliste critique qui permet de 67

76 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES rendre compte du caractère ontologique des actions agentiques et des structures. Ainsi les logiques institutionnelles sont définies comme les principes du jeu (Leca et Naccache, 2006) tandis que les institutions sont les règles du jeu (North, 1990). Le caractère ontologique des logiques institutionnelles est mis en avant et elles sont conceptualisées comme exogène aux acteurs (Friedland et Alford, 1991). Dépendant de la spécificité du contexte et des actions agentiques, les institutions sont les résultats de la façon dont «les acteurs transposent ces logiques institutionnelles à travers des scripts, règles, et normes précises ( )» (Leca et Naccache, 2006). Ainsi cette approche permet de proposer «une approche des relations entre agents et institutions ne privilégiant aucun des deux niveaux.» (Leca, 2006). Une autre critique de la littérature néo institutionnelle sur l entrepreneuriat institutionnel est sa focalisation sur un type d acteur, l entrepreneur institutionnel, considéré comme un «Deus ex machina», ou un entrepreneur héroïque ce qui tend à occulter l importance des autres acteurs dans les processus institutionnels. Cette focalisation ne prend pas en considération le caractère collectif du changement institutionnel (Ben Slimane et Leca, 2010). Cette ligne de pensée rejoint celle d Aldrich et Ruef (2006) qui définissent le concept d entrepreneurs institutionnels comme des individus ou des organisations qui participent à la création de nouvelles organisations ou de nouvelles industries ou activités qui requiert la maîtrise de nouvelles technologies, la création de nouvelles formes et routines organisationnelles, la création de nouveaux marchés et de chaînes de distribution, et l obtention d une légitimité au niveau légal, normatif et cognitif. Cette définition implique forcément que l action de l entrepreneur institutionnel ne peut être le cas d un acteur isolé, mais désigne des rôles et des fonctions divers distribués parmi de nombreux acteurs. Cette section nous a permis de comprendre les apports des travaux sur l entrepreneur institutionnel à la SNI, ses limites, et l évolution du concept vers le concept de travail institutionnel pour inclure l effort collectif des autres acteurs importants dans le champ organisationnel. Ainsi, les critiques sur le concept de l entrepreneur institutionnel nous amènent aux travaux de Lawrence et Suddaby (2006) sur le concept de travail institutionnel, qui est une avancée théorique significative de la sociologie néo-institutionnelle et que nous décrivons dans la section suivante. 68

77 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 4 : Le travail institutionnel dans les études organisationnelles Cette section introduira le récent concept de travail institutionnel qui prend en considération le travail collectif des acteurs dans un champ organisationnel en opposition à la sur accentuation sur un seul type d acteur, l entrepreneur institutionnel. Nous verrons aussi les différents types de travail institutionnel ainsi que les formes que le travail institutionnel peut prendre en fonction des conditions dans le champ organisationnel Le travail institutionnel Le travail institutionnel est une des formes de travail que l on retrouve dans la théorie de l organisation et du management. Selon une étude réalisée par Phillips et Lawrence (2012), l accent sur le travail dans la théorie de l organisation et du management a pris de l ampleur dans les années 2000 et ces auteurs répertorient dans les différents travaux publiés, quinze formes de travail telles que le travail émotionnel, le travail identitaire, le travail sur les valeurs, le travail discursive, le travail institutionnel entres autres. Toutes ces formes de travail se rapportent aux efforts déployés par les acteurs pour influencer l aspect social et symbolique du contexte où ils évoluent. Selon Lawrence et al. (2011), le travail institutionnel «décrit les pratiques des acteurs collectifs et individuels visant à créer, maintenir, ou détruire des institutions». La relation récursive entre les institutions et l action comme décrite par Barley et Tolbert (1997), et Philips et al. (2004) nous semble très utile pour expliquer les récents travaux menant à l approche du travail institutionnel, et pour ce faire, nous reprenons le schéma (figure 1.5) proposé par Lawrence et al. (2009b). 69

78 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES 1 INSTITUTIONS ACTIONS 2 Figure6 1.5 : Relation récursive entre les institutions et l action Source : (Lawrence et al., 2009b) Les travaux utilisant les concepts du néo-institutionnalisme dans les études organisationnelles ont mis l accent sur les effets culturels des institutions sur les pratiques et structures organisationnels (Meyer et Rowan, 1977; Hinings et Greenwood, 1988), et les chercheurs ont subséquemment expliqué l isomorphisme des organisations (DiMaggio et Powell, 1983; Tolbert et Zucker, 1983). Les approches traditionnelles de néo-institutionnalisme se sont focalisées sur les processus à travers lesquels les institutions influencent l action agentique (voir flèche 1 sur figure 1.5). Pour répondre aux critiques des chercheurs sur le rôle limité de l action agentique dans les travaux de la sociologie néo-institutionnel, les recherches qui ont suivi ont étudié l entrepreneuriat institutionnel et ont décrit les processus à travers lesquels les acteurs affectent les arrangements institutionnels (voir flèche 2 sur figure 1.5). Cependant suite à la sur accentuation du rôle des entrepreneurs institutionnels, vus comme des acteurs «puissants et héroïques qui sont capables de changer les institutions de façon drastique» (Lawrence et al., 2009b), d autres chercheurs ont proposé une approche plus complète de l action agentique sur les institutions toujours dans le sens de la flèche 2. Ainsi les récents travaux sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence et al., 2009a ; Lawrence et al., 2013) veulent établir une vision plus large de la relation entre l action agentique et les institutions, et éviter de «décrire les acteurs comme dépendants des 70

79 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES influences culturelles des arrangements institutionnelles, ou comme des entrepreneurs institutionnels hyper musclés». Ainsi, Lawrence et Suddaby (2006) définissent le travail institutionnel comme «l action intentionnelle des acteurs ou des organisations visant à créer, maintenir, ou déstabiliser des institutions». Cette définition selon Lawrence et al. (2013) met l accent sur trois dimensions importantes : les acteurs institutionnels sont «réfléchis, axés sur les objectifs et capables» ; les actions des acteurs au centre des dynamiques institutionnelles ; et la mise en commun de la structure, de l action agentique et de leurs interactions. Dans leur vision étendue du travail institutionnel, Lawrence et al. (2009b) proposent une approche du travail institutionnel qui analyse de façon plus précise et approfondie le comportement des différents acteurs dans les processus institutionnels. Cette vision prend en considération la multiplicité d action agentique sur les processus institutionnels (Section ), et les notions de travail et de pratique (Section ) qui doivent aider à développer une approche théorique du travail institutionnel en pleine gestation (Ben Slimane et Leca, 2010) L action agentique : Des activités multiples sur les processus institutionnels L approche du travail institutionnel permet de dépasser la vision de l entrepreneur institutionnel et de rendre compte des activités multiples des différents acteurs vis-à-vis des institutions. L étude du travail institutionnel a comme point de départ le concept de travail qui selon Lawrence et al. (2011) se rapporte aux efforts des acteurs individuels et collectifs pour «suivre, consolider, démolir, bricoler, transformer, or créer de nouvelles institutions parmi lesquelles ces acteurs vivent, travaillent, se divertissent, et qui leurs donnent un rôle à jouer, des relations à nouer, des ressources et des routines de fonctionnement.» Lawrence et Suddaby (2006) distinguent trois grands types de travail institutionnel : la création, le maintien et la déstabilisation institutionnelle. 71

80 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES La création institutionnelle a reçu le plus d attention de la part des chercheurs en organisations en se basant sur la notion de l entrepreneuriat institutionnel. Ce type de travail institutionnel correspond à la mise en place et à la légitimation de nouvelles règles institutionnelles, de nouvelles pratiques et de nouveaux standards. Cependant les travaux se sont surtout concentrés sur les caractéristiques et les conditions qui favorisent l émergence d entrepreneurs institutionnels (Lawrence et Suddaby, 2006). Les acteurs impliqués essayent de mobiliser le soutien des parties prenantes en constituant des réseaux d acteurs susceptibles de soutenir leur diffusion. Lawrence et Suddaby (2006) ont identifié neufs ensembles de pratiques (Tableau 1.4), divisés en trois types de travail institutionnel créatif (le travail politique, le travail normatif, et le travail cognitif) qu utilisent les acteurs pour légitimer une nouvelle pratique et aider à la formation de nouvelles formes organisationnelles. 72

81 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Tableau5 1.4 : Les pratiques permettant la création d institutions Nature du travail Pratique institutionnel Travail de nature Plaider en faveur du politique projet Définir Motiver Travail de nature Construire des normative identités Changer les associations normatives Construire des réseaux d acteurs Travail de nature Mimétisme cognitive Développer et théorisation des relations Formation Source : (Lawrence et Suddaby, 2006) Définition Mobilisation de supports politiques et régulateurs à travers des techniques directes et délibérées de persuasion sociale Construction de systèmes de règles conférant un statut ou une identité, définissant les frontières, ou créant des statuts hiérarchiques dans un champ Création de règles de structure à l origine des droits de propriétés Construction de la relation entre un acteur et le champ dans lequel il opère, ce qui définit son identité Redéfinition des relations entre des ensembles de pratiques et les fondations morales et culturelles de ces pratiques Connections inter organisationnelles à travers desquelles des pratiques deviennent sanctionnées par les règles normatives et qui constituent les nouvelles références à respecter (proto-institutions) Utilisation de pratiques, technologies et règles existantes considérées comme «allant de soi» Développement et spécification de catégories abstraites, et élaboration de chaînes de cause à effet Formation des acteurs aux compétences et connaissances nécessaires pour soutenir la nouvelle institution Le second type de travail institutionnel, le maintien institutionnel, n a pas reçu beaucoup d attention dans la littérature. Lawrence et Suddaby (2006) identifient six types de travail institutionnel correspondant au maintien des institutions (Tableau 1.5). Les trois premiers types : création de règles pour soutenir les institutions, maintenir l ordre à travers le contrôle, et dissuader peuvent être classés dans la catégorie de l adhérence aux systèmes de règles 73

82 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES institutionnelles. Les trois autres types de travail institutionnel: valoriser et diaboliser, création de mythes, et encastrer et rendre routinier peuvent être classés dans la catégorie de la reproduction de systèmes de normes et de croyances existantes. Les acteurs en place dans un champ organisationnel doivent, sous certaines conditions, déployer des efforts considérables pour maintenir les institutions face aux nouveaux entrants dans les organisations ou dans le champ organisationnel ; face aux changements technologiques ou démographiques ; ou face à l évolution du champ organisationnel dans des directions nouvelles et inattendues (Lawrence et Suddaby, 2006). Tableau6 1.5: Les pratiques permettant le maintien d institutions Nature du Pratique travail institutionnel Travail de Créer des règles pour nature soutenir les institutions régulateur Maintenir l ordre par le contrôle Dissuader Travail de Valoriser et diaboliser nature normative Création de mythes Encastrer et rendre routinier Source : (Lawrence et Suddaby, 2006) Définition Création d autorité ou de nouvelles fonctions pour perpétuer des routines institutionnelles ou assurer la survie des institutions (ex. à travers la taxation) Utiliser les fonctions d audit, de surveillance et de contrôle pour assurer le respect des institutions Utiliser la dissuasion pour encourager une obéissance des règles Donner au public des images très valorisantes des acteurs qui respectent les normes ou des images très négatives de ceux qui ne les respectent pas Créer des mythes et des légendes autour des fondations des institutions Créer des routines et pratiques organisationnelles quotidiennes qui inculquent les fondations normatives des institutions aux participants 74

83 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Le troisième type de travail institutionnel, la déstabilisation des institutions, nous ramène aux acteurs qui, souhaitant un changement dans les institutions existantes, doivent convaincre les autres acteurs du CO de se détourner de ces institutions. Il peut y avoir par exemple, «une remise en cause des croyances, et des fondements moraux et coercitifs des institutions» (Ben Slimane et Leca, 2010). Les institutions peuvent être déstabilisées par l action individuelle ou collective des acteurs si leurs intérêts ne se trouvent pas dans les arrangements institutionnels existants (DiMaggio, 1991). Bien que la création de nouvelles institutions se base sur la déstabilisation des anciennes, Oliver (1992), à travers sa description du processus de désinstitutionalisation avec ses propres antécédents, et Lawrence et Suddaby (2006) argumentent que la déstabilisation des institutions est un travail institutionnel distinct de celui de la création des institutions. Le tableau 1.6 présente trois pratiques de nature régulatrice qui visent à déstabiliser les institutions : Déconnecter les sanctions et récompenses des pratiques ; dissocier les pratiques de leurs fondements moraux ; et remettre en question les présupposées et les croyances. Tableau7 1.6: Les pratiques permettant la déstabilisation des d institutions Nature du Pratique travail institutionnel Travail de Déconnecter les sanctions nature et récompenses des régulatrice pratiques Dissocier les pratiques de leurs fondements moraux Remettre en question les présupposées et les croyances Source : (Lawrence et Suddaby, 2006) Définition Déconnecter les sanctions et les récompenses des pratiques, technologies ou règles à travers un changement légal Utiliser des pratiques qui remettent en question indirectement et graduellement les fondations morales des institutions Encourager de nouvelles pratiques innovantes et réduire les risques perçus de l innovation et de la différentiation Ces trois grands types de travail institutionnel (créer, maintenir ou déstabiliser) et toutes les stratégies qui y sont associées nous permettent de mieux comprendre les processus 75

84 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES institutionnels. Il est important de préciser que les mêmes acteurs peuvent à différents moments créer, maintenir ou déstabiliser les institutions, mais que toutes les actions agentiques ne peuvent être considérées comme des formes de travail institutionnel (Ben Slimane et Leca, 2010). Lawrence et al. (2009b) invitent à délimiter plus précisément les contours de l approche du travail institutionnel à travers les notions de pratique, d intentionnalité, et de l effort associé au travail des acteurs La notion de l intentionnalité et de l effort La compréhension du concept de travail institutionnel est liée à deux éléments très importants: l intentionnalité et l effort. Leca et al. (2006) définissent l intentionnalité des entrepreneurs institutionnels comme «la volonté de changer l institution existante à travers le résultat de leurs actions». Lawrence et al. (2009b) appellent à se concentrer sur les activités des acteurs impliqués dans le travail institutionnel plutôt que sur les résultats. Les questions posées sont ainsi «Pourquoi, comment, quand, et où les acteurs travaillent à la création d institutions, par exemple.». Ces auteurs soulignent aussi le fait de considérer le travail institutionnel comme des pratiques concrètes utilisées par les acteurs par rapport aux institutions. Cette perspective analytique permet d étudier aussi bien les cas de succès, les cas d échec, les actions pour contrecarrer le travail institutionnel, et ainsi se départir de la vision héroïque et toujours vainqueur de l entrepreneur institutionnel (Lawrence et al., 2009b). La notion d intentionnalité des acteurs est importante aussi pour Lawrence et al. (2009b) en reliant les processus de schématisation, de contextualisation, et de construction d hypothèses qu utilisent les acteurs pour faire le lien entre leurs actions et leurs situations. Nous nous basons dans cette étude sur les travaux d Emirbayer et Mische (1998) pour comprendre le lien entre l intentionnalité des acteurs et les institutions. Selon ces deux auteurs précités, l action agentique a une dimension temporelle, c est à dire, elle est composée de trois éléments : l itération, la projection dans le futur, et l action pratiqueévaluatrice. L itération, tournée vers le passé, correspond aux actions des acteurs qui se basent sur des schémas de pensées et d actions vécues dans le passé, et qu ils réutilisent de façon routinière. Cela permet ainsi de maintenir les institutions, les interactions et les 76

85 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES identités des acteurs dans le temps. La projection dans le futur implique une action créative, en relation aux «espoirs, craintes et désirs pour le futur des acteurs» (Emirbayer et Mische, 1998), mais aussi «consciente et stratégique» (Lawrence et al., 2011) afin de changer les institutions. Finalement, l intentionnalité peut être aussi de nature pratique, et implique la capacité des acteurs «à porter des jugements normatifs et pratiques sur des possibilités d actions en réaction à des demandes émergentes, des dilemmes, et des ambigüités des situations présentes» (Emirbayer et Mische, 1998). En dernier lieu, en se basant sur les trois piliers institutionnels de Scott (2008), Lawrence et al. (2009b) avancent que le travail institutionnel implique l effort cognitif des acteurs pour se désencastrer des routines et pratiques institutionnalisées. Au niveau des institutions soutenues par des piliers régulateurs et normatifs, les acteurs doivent faire l effort de se distancer des routines allant de soi, et aussi effectuer un travail politique ou social pour convaincre les autres acteurs de la création, du maintien ou de la déstabilisation des institutions. La littérature récente sur le travail institutionnel s est focalisée sur comment émerge le travail institutionnel, qui est impliqué dans le travail institutionnel, et qu est-ce qui constitue le travail institutionnel. Dans le premier cas (comment émerge le travail institutionnel), bien que la majorité des travaux sur la création d institutions ait pris comme exemple l entrepreneur institutionnel comme décrit dans la section , il y a eu des exceptions récentes qui ont utilisées la perspective du travail institutionnel en étudiant aussi bien la création de nouvelles institutions que le maintien des institutions existantes. Ainsi, Ziestma et Lawrence (2010) abordent le travail institutionnel dans le champ organisationnel de l industrie forestière côtière de la Colombie-Britannique et observent deux formes de travail institutionnel, le travail sur les délimitations des champs et le travail sur les pratiques institutionnelles ; Gawer et Phillips (2013) identifient deux formes de travail institutionnel externes (le travail sur les pratiques institutionnelles et le travail sur la légitimité) à une organisation, Intel Corporation, pour influencer le champ organisationnel où il opère et ainsi changer la logique institutionnelle existante. Dans le deuxième cas (qui est impliqué dans le travail institutionnel), nous retrouvons quelques exemples dans la littérature de professionnels engagés dans le travail institutionnel. 77

86 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Ainsi, Suddaby et Viale (2011) décrivent quatre façons à travers lesquelles des professionnels reconfigurent des institutions et des champs organisationnels ; Lefsrud et Suddaby (2012) utilisent l exemple historique de la ruée vers l or en Californie pour illustrer le rôle des professionnels dans la reconfiguration du champ organisationnel; Currie et al. (2012) illustrent le cas d une certaine élite professionnelle, les médecins spécialisés dans le secteur de la santé Britannique, qui s organisent pour répondre à la menace de l introduction de nouveaux rôles dans leur champ organisationnel. Or d autres études considèrent le rôle d autres types d acteurs qui ne sont pas nécessairement des professionnels mais qui sont tout de même engagés dans un travail institutionnel. Ainsi Dorado (2013) utilisant la méthode de la théorie enracinée démontre l engagement d individus et de groupes sociaux dans l avancement de la micro-finance en Bolivie. Dans le troisième cas (qu est-ce qui constitue le travail institutionnel), l accent des différents travaux se trouve sur la relation entre le travail institutionnel et l action agentique. Ainsi, Battilana et D Aunno (2009) observent dans leur recherche que le type de travail institutionnel (création, maintien ou déstabilisation) dépend de la dimension que peut prendre l action agentique, c'est-à-dire, l habitude, la projection dans le futur, ou l évaluation pratique de la situation. Zundel, Holt et Cornelissen (2012) poussent l exploration de la relation entre le travail institutionnel et l action agentique en étudiant le travail institutionnel qui se met en place dans une émission de télévision The Wire aux Etats-Unis ; et ils démontrent que le travail institutionnel est influencé par des cycles régénératives ou dégénératives d influence qui favorisent ou limitent les actions agentiques. Cette section nous a permis de mettre en perspective le concept de travail institutionnel qui nous aide à comprendre que les acteurs dans un champ organisationnel ne peuvent agir individuellement sur les institutions et que le type de travail institutionnel qui se met en place peut prendre différentes formes. 78

87 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 5: Le néo-institutionnalisme et l analyse de filières agricoles Dans cette section nous présenterons l innovation majeure de cette thèse: l utilisation de la sociologie néo-institutionnelle étendue dans l analyse des dynamiques de filières agricoles. Nous verrons en premier lieu comment l analyse de filière a évolué dans le temps et les différentes méthodes utilisées. Nous introduirons ensuite la perspective néo-institutionnelle dans l analyse de filière en justifiant notre démarche. 1.6 La sociologie néo-institutionnelle étendue et l analyse de filières agricoles Nous postulons que les apports conceptuels de la sociologie néo-institutionnelle étendue peuvent contribuer à l analyse des filières agricoles dans une perspective analytique et méthodologique. Pour ce faire, nous présentons tout d abord brièvement l évolution dans les approches qui ont été utilisées dans les analyses de filières agricoles pour enfin justifier le choix de la sociologie néo-institutionnelle étendue et notamment les concepts de travail institutionnel et de logiques institutionnelles L analyse des filières agricoles: L approche filière francophone : Méthodes et évolution L analyse de filière ou l approche filière n est qu une des méthodes utilisées pour analyser les chaînes de valeur. Dans cette section nous mettons en perspective l approche filière francophone par rapport aux autres méthodes d analyse, nous précisons ses raccordements théoriques, et enfin nous justifions la pertinence d une perspective néo-institutionnelle dans l approche filière. Différentes méthodologies ont été développées pour analyser les chaînes de valeur globale. Elles font partie de l abondante littérature traitant d une manière générale des chaînes de valeur. Dans les paragraphes suivants, nous repérons les approches les plus pertinentes de cette littérature. 79

88 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES La chaîne de valeur de Porter Le concept de chaîne de valeur trouve ses origines dans les travaux de Porter (1985) dans son livre sur l avantage concurrentielle. Selon Porter (1985), la chaîne de valeur décrit l ensemble des activités nécessaires pour concevoir un produit ou un service, le gérer à travers différentes phases de production, à sa distribution aux consommateurs finaux, puis à sa destruction après utilisation. L analyse de la chaîne de valeur décrit les activités internes et externes à une entreprise, et les relie à une analyse de la position concurrentielle de l entreprise. Selon Porter, une entreprise a un avantage concurrentiel dépendant de la façon dont elle gère ses activités et les liens entre ses activités. L intérêt de cette approche est de décomposer l activité de l entreprise en séquences d opérations élémentaires et d identifier les sources d avantages concurrentiels potentiels. Ces principales sources d avantages concurrentiels apparaissent en comparant la chaîne de valeur de l entreprise avec les chaînes de valeur des concurrents, lorsque cela est possible La chaîne globale de valeur Selon globalvaluechains.org 6 (2009), la chaîne globale de valeur décrit la panoplie complète des activités mises en œuvre par les entreprises et les employés pour mener un produit de sa conception à son utilisation finale et même au-delà. Cela inclut les activités telles que la conception, la production, la commercialisation, la distribution et le service au consommateur final. Ces activités peuvent se rapporter à une entreprise ou à plusieurs entreprises. Le concept de chaine de valeur globale était initialement utilisé pour analyser l impact de la mondialisation sur le secteur industriel. Au fil du temps, le concept a évolué pour analyser l intégration économique des chaines internationales de production (Tallec et Bockel, 2005). 6 Le site web de globalvaluechains.org est l interface utilisée par un réseau de chercheurs sur les chaînes globales de valeur pour diffuser et disséminer les dernières publications et résultats de recherches sur la CGV. Cette initiative a débuté en 2000 avec l apport de chercheurs tels que Gary Gereffi (Centre sur la mondialisation, la gouvernance et la compétitivité, Université de Duke, Etats Unis) ; John Humphrey (Institut pour le développement, Université de Sussex, Royaume Uni) ; et Timothy Sturgeon (Centre sur la performance industrielle, Institut de Technologie de Massachusetts). Cette initiative est maintenant aussi soutenue par les Fondations Rockfeller et Alfred P. Sloan. 80

89 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES L approche de la chaine globale de valeur met en évidence un maillon dominant qui pilote le reste de la chaine. Ce maillon stratégique selon Tallec et Bockel (2005) correspond «à une firme dirigeante qui définit et impose plus ou moins fortement aux autres acteurs de la chaîne les conditions de production et de mise à niveau, en termes de prix, de quantité et de qualité.» Dépendant de la localisation du maillon stratégique dans la chaine de valeur, cette dernière peut être ainsi pilotée par l aval par les acheteurs ou par l amont par les producteurs L approche filière Selon Raikes et al. (2000), la littérature francophone sur les analyses de filières agricoles indique que l approche filière francophone a débuté dans les années 1960 avec des études sur l agriculture contractuelle et l intégration verticale dans le secteur agricole français. Cette approche est ensuite utilisée dans les pays en voie de développement (ex-colonies françaises) qui sont dépendants d une ou plusieurs commodités agricoles telles que le café, le cacao, le coton ou le sucre. L approche par filière est appropriée dans le cas de ces ex-colonies car leur secteur agricole se focalise sur très peu de commodités. Terpend (1997) définit l analyse économique par filière comme «une analyse de l organisation, à la fois sur un plan linéaire et complémentaire, du système économique d un produit ou d un groupe de produits; c est la succession d actions menées par des acteurs pour produire, transformer, vendre et consommer un produit. Ce produit peut être indifféremment agricole, industriel, artistique, informatique, etc.». L approche filière a été largement utilisée dans le secteur agricole et agroalimentaire, comme le justifie Montigaud (1992) à trois niveaux : Premièrement le besoin pour l état ou une entreprise de comprendre tout ce qui entoure la production surtout dans un marché de plus en plus globalisé ; deuxièmement, l approche filière vient combler les manquements des approches micro et macroéconomiques ; et troisièmement, cette approche adresse le besoin de pluridisciplinarité dans la compréhension du fonctionnement du système agroalimentaire. La notion de filière, nous rappelle Montigaud (1992), est en fait une méthode d analyse et non un outil de la théorie économique. Il propose quatre phases successives d analyse : description de la structure interne de chaque filière ; analyse du champ stratégique de la grande distribution ; superposition de la grande distribution avec les filières ; et étude des 81

90 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES conséquences de cette confrontation sur chaque filière. La filière est considérée dans un premier temps comme une structure fermée. Le but est de caractériser des structures formant partie de la filière telles que des entreprises qui sont classifiées en sous-systèmes. Les relations entre ces entreprises et les sous-systèmes et entre le système sont aussi étudiées. Puis les relations permanentes et réciproques entre les entreprises clés et les structures sociotechnico-économiques de leur environnement sont étudiées pour dégager les stratégies les plus importantes. L approche filière permet ainsi de mieux comprendre les stratégies des acteurs, les mécanismes de structuration des prix et de coordination des acteurs, d identifier et de caractériser les contraintes au commerce d un produit, et d orienter l action des politiques publiques et des institutions. Elle permet d avoir une vision sur l activité commerciale dans sa globalité et de préciser les interdépendances entre les différentes composantes de la filière (Wade et al., 2004). Selon Rastoin (2007), il est possible d utiliser deux approches complémentaires dans l analyse de filière : premièrement l approche amont-aval, de la matière première jusqu au consommateur final ou vers d autres entreprises ; et deuxièmement, l approche aval-amont, du marché vers la matière première. Le support méthodologique de l étude de filières selon Montigaud (1992) «utilise conjointement et successivement des approches en termes de systèmes, d économie industrielle et de management.». Ainsi Rastoin (2007) présente un aperçu des méthodes d analyse des filières agricoles qui ont été mobilisées depuis la création du concept de filière. Les travaux se basant sur l analyse de filière en France ont commencé au début des années 1960 avec la modélisation des filières agricoles en utilisant la comptabilité nationale (Bencharif et Rastoin, 2007). Ces méthodes sont ensuite complétées par les travaux des planificateurs tels que Chervel (1987). Les premières analyses, pratiquées par des économistes des services de planification s intéressent à la formation des valeurs ajoutées, aux niveaux relatifs des prix, aux échanges extérieurs aux filières (import-export), entres autres. Les économistes industriels ont ensuite appliqué les méthodes telles que le paradigme SCP (Structure, Comportement, Performances), puis l analyse concurrentielle de Porter (1993) et stratégique de Chevalier (1995). Ainsi, le modèle SCP est utilisé pour examiner le comportement des firmes industrielles et mesurer leurs performances en partant de la structure des marchés. Il est intéressant de noter ici que le modèle SCP est controversé car il part d un courant structuraliste qui accentue le caractère déterministe des structures sur 82

91 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES les choix stratégiques des acteurs, à l instar du caractère déterministe des premiers travaux utilisant la sociologie néo-institutionnelle. La théorie de l avantage concurrentiel de Porter va ensuite être utilisée surtout en transposant le concept de chaîne de valeur à la filière. Ainsi cette approche considère la répartition de la valeur du produit, observée au stade du consommateur, entre les différents partenaires de la filière analysée. D autres travaux ont recours à des théories économiques telles que la micro-économie néoclassique, et surtout l économie néo institutionnelle pour étudier les formes de coordination dans les filières agroalimentaires (Ménard, 2000). Cela a donné lieu à plusieurs travaux tels Codron et al. (1998) sur les relations entre fournisseurs et distributeurs dans la grande distribution alimentaire; utilisation de la théorie des coûts de transaction pour analyser les modes de coordination des acteurs dans deux filières AOC (Barjolle et Chappuis, 2000), ou l analyse des stratégies de qualités dans les filières vinicoles (Rousset, 2004). Vers les années 2000, l approche par la chaîne globale de valeurs (CGV) est utilisée pour apporter une dimension pluridisciplinaire à l étude des filières et étudier la gouvernance des filières et les modes de coordination des acteurs. Cette approche, qui s inspire de l économie industrielle, de l économie évolutionniste et de la sociologie des organisations, s articule autour de quatre dimensions principales : une structure input-output, un espace géographique, un système de gouvernance, et un contexte socio-institutionnel. Bencharif et Rastoin (2007) soulignent les raccordements théoriques liés aux quatre dimensions de la CGV. Selon ces auteurs, la structure input-output peut être analysée à travers la comptabilité de branche, la méthode des effets et les bilans de produits; la structure géographique décrite par les structures de marché; le contexte socio-institutionnel étudié à partir de l économie néo-institutionnelle et de l économie politique; et le système de gouvernance qui emprunte aux sciences de gestion, à la théorie des coûts de transaction, à la sociologie des organisations et aux sciences politiques. L approche CGV trouve des applications empiriques dans plusieurs filières comme les services (Rabach et Kim, 1994), les produits illégaux (cocaïne) (Wilson et Zambrano, 1994), les chaussures (Schmitz, 1999), l automobile (Kaplinsky et Morris, 2001;Humphrey, 2003) et l habillement (Gereffi et Memedovic, 2003; Gereffi, 1999; Palpacuer et al., 2005; Palpacuer, 2006). Les filières agricoles ont aussi été étudiées en utilisant l approche CGV telles que les 83

92 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES fleurs coupées (Hughes, 2000; Wijinands, 2005; Mather, 2008 ; Pedrozo, 2010), le blé (Bencharif et Rastoin, 2007), les fruits et légumes frais (Reynolds, 1994; Dolan et Humphrey, 2004; Bijman, 2006; Mather, 2008; Walter et Ruffier, 2007 ; Tozanli et El Hadad, 2007), l agroalimentaire (Palpacuer et Tozanli, 2008) entres autres. Cependant la dimension socio-institutionnelle de l approche CGV se base essentiellement sur l économie néo-institutionnelle pour aborder les règles, les normes et les aspects politiques des filières. Bien qu il y ait eu aussi une mobilisation de la sociologie des organisations pour permettre de mieux comprendre l offre et la structuration des acteurs dans les filières agroalimentaires, comme par exemple l application de Bréchet et Schieb-Bienfait (2005) sur la filière des produits biologiques, nous avançons que la sociologie néo-institutionnelle étendue a été très peu mobilisée pour analyser les changements qui se produisent au niveau d un champ organisationnel dans les filières agricoles et agroalimentaires. On ne retrouve dans la littérature francophone et dans le secteur agroalimentaire qu un travail sur les entrepreneurs institutionnels du vin en France par Bourcieu et al. (2010). Il y a cependant d autres travaux francophones, européennes, et anglo-américaines qui empruntent le cadre théorique de la SNI mais pas dans une perspective d analyse de filière : la mobilisation contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) pour une agriculture durable (Brulé, 2009) ; une méso analyse de la grande distribution agroalimentaire en Europe (Bager, 1997) ; et les marques de distributeurs du terroir et la légitimité (Beylier et al., 2010). La section suivante introduit la perspective institutionnelle dans l analyse de filières agricoles. Notre travail de recherche utilise donc une approche originale pour une analyse à deux différents niveaux de filières agricoles : une méso analyse du champ organisationnel représenté par la filière agricole et des interactions des différents acteurs principaux ; et une micro-analyse du travail institutionnel de chaque acteur de la filière. Sous cet angle, la sociologie néo-institutionnelle nous offre un champ théorique intéressant dans la mesure où elle appréhende le fonctionnement des secteurs d activités qui s organisent autour d institutions héritées du passé et des règles de conduite et d appartenances spécifiques. D autre part, les tenants de ce courant mettent en avant un cadre d analyse original pour intégrer la diversité des acteurs, à travers le concept de champ organisationnel. 84

93 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES La perspective institutionnelle dans l analyse de filières agricoles La notion d une filière agroindustrielle peut être schématisée selon la figure 1.6. Nous avons rajouté une dimension institutionnelle pour rappeler que la filière opère dans un cadre institutionnel qui influence le comportement des acteurs et qui est aussi influencé par les acteurs. Etat, Accords Internationaux Flux de produits Niveau Macro AMONT Matières premières Environnement institutionnel (formel et informel) Chaîne de valeur Flux monétaires Cœur de filière (Transformation industrielle) Canaux de distribution Marchés «amont» (Fournisseurs) Flux d informations Marchés «aval» (Clients) Niveau Méso Marché pertinent (Produits substituables) AVAL Figure7 1.6: Modèle théorique 3: Schématisation du concept de filière Source : l auteur d après (Rastoin, 2007) 85

94 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Le tableau 1.7 résume les approches théoriques et méthodologiques utilisées dans l analyse de filière d après Bencharif et Rastoin (2007). Nous y avons rajouté l utilisation de notre cadre conceptuel. Tableau8 1.7: Typologie de la recherche en analyse de filière appliquée à l agroalimentaire Types de travaux Bases théoriques et méthodologiques Date Agribusiness et complexe agroindustriel Analyse input/output, économie industrielle 1957 Structure des marchés Micro-économie néo-classique 1980 Coordination des acteurs Economie néo-institutionnelle, Théorie des coûts de transactions 1990 Dynamique et prospective Théorie des systèmes et analyse stratégique 1995 Chaîne globale de valeur Approche multidisciplinaire (économie, gestion, sociologie) 2000 Changement institutionnel Sociologie néo-institutionnelle, entrepreneuriat institutionnel, logique institutionnelle, travail institutionnel 2013 Source : L auteur adapté de (Bencharif et Rastoin, 2007) La pertinence de l utilisation de la sociologie néo-institutionnelle étendue dans une analyse de filière agricole réside à quatre niveaux : Premièrement, l unité d analyse de l approche filière (la filière de production d un produit) et l unité d analyse de la SNI (le champ organisationnel) ont des similarités. Ainsi si nous comparons la définition de Tallec et Bockel (2005) sur la filière de 86

95 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES production 7 et la définition de DiMaggio et Powell (1983) sur le champ organisationnel 8 nous observons que l accent est mis sur les agents et organisations qui opèrent dans un marché pour un même produit. Le niveau d analyse est mésoéconomique dans les deux cas. Selon Fligstein (2001), les champs organisationnels sont des arènes où interagissent les acteurs en place, qui bénéficient des arrangements existants, et les contestataires, qui eux ont pour objectif de changer les règles pour satisfaire leurs propres intérêts. Ainsi, en assimilant une filière de production à un champ organisationnel, nous nous trouvons en mesure d utiliser les éléments d une analyse institutionnelle sociologique tels le niveau de structuration de la filière, les conditions au niveau de la filière entres autres pour comprendre les facteurs qui peuvent favoriser une déstructuration de la filière de production. Deuxièmement, l utilisation de la SNI étendue dans une analyse de filière permet de compléter cette analyse par une dimension sociologique et institutionnelle. Ainsi selon Tallec et Bockel (2005), dans une analyse de filière classique, il y a tout d abord une analyse institutionnelle (identification des flux et des acteurs qui opèrent dans la filière de production et analyse des nœuds de décisions et de collaboration entre les acteurs); une analyse comparative (analyse des aspects concurrentielles dans des filières connexes telles que les marges et les stratégies des acteurs); une analyse fonctionnelle (identification des contraintes en amont et en aval de la filière), et une analyse économique (utilisation d outils de modélisation). Nous avançons que la SNI étendue peut renforcer l analyse institutionnelle des filières en mettant l accent sur l aspect sociologique des interactions entre les acteurs et les piliers institutionnels. La SNI se base sur les racines théoriques empruntées à des domaines divers chers aux 7 «l ensemble des agents (ou fractions d agent) économiques qui contribuent directement à la production, puis à la transformation et à l acheminement jusqu au marché de réalisation d un même produit agricole (ou d élevage)». (TALLEC, F. & BOCKEL, L L'approche Filière. Analyse Fonctionnelle et Identification des Flux. In: FAO (ed.) EASYPol. Rome: Food and Agriculture Organization.) 8 «les organisations, qui collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les fournisseurs clés, les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de règlementation, et toutes autres organisations produisant des produits et services similaires». (DIMAGGIO, P. J. & POWELL, W. W The Iron cage revisited: Institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields. American Sociological Review, 48, ) 87

96 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES sociologues tels que la phénoménologie, l ethnométhodologie et la psychologie cognitive. La pertinence du SNI se situe dans ses idées autour des structures institutionnelles cognitives et normatives prises pour acquises et qui soit contraignent les acteurs ou les soutiennent dans leurs actions. Ainsi, la perspective de la sociologie néo-institutionnelle dans une analyse de filière nous permet de souligner l importance des institutions dans le fonctionnement des acteurs individuels et des organisations dans la filière. Troisièmement, la SNI nous permet de ramener l analyse au niveau micro pour comprendre les stratégies institutionnelles des acteurs d une filière à travers les concepts de l entrepreneur institutionnel et du travail institutionnel. En utilisant les apports des travaux sur l entrepreneuriat institutionnel, nous arrivons à comprendre quels sont les facteurs qui peuvent amener des entrepreneurs institutionnels à émerger dans une filière de production ; et quelles peuvent être les stratégies institutionnelles utilisées par les acteurs pour mener à bien leurs projets. De plus, il est aussi intéressant de comprendre les actions collectives des différents acteurs vis à vis des institutions soit pour la création, le maintien ou la déstabilisation institutionnelle. Quatrièmement, l utilisation de la SNI étendue donne la possibilité d analyser les effets d un choc exogène à la filière en sus des changements endogènes, et les répercussions sur les comportements stratégiques des acteurs et de déterminer si le processus de changement institutionnel a été enclenché dans la filière. Dans cette section, nous avons explicité comment l utilisation de la perspective néoinstitutionnaliste dans une analyse de filière agricole peut nous apporter des éléments de compréhension par rapport au travail institutionnel effectué par les acteurs/organisations sur les institutions. 88

97 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES SECTION 6 : Proposition d un modèle conceptuel Dans cette section, nous allons élaborer un modèle conceptuel, utilisant la perspective néoinstitutionnelle dans l analyse de filières agricoles, basé sur les différents modèles théoriques conçus dans les sections précédentes de ce chapitre. Notre modèle conceptuel utilise comme grille de lecture un croisement de la littérature sur les logiques institutionnelles et la littérature sur le travail institutionnel Proposition d un modèle conceptuel utilisant la perspective néoinstitutionnelle dans l analyse de filières agricoles En utilisant les différents modèles théoriques (Figures 1.1, 1.2, 1.3, et 1.6) qui nous ont semblé pertinents tout au long de notre revue de littérature, nous proposons un modèle conceptuel (Figure 1.7) qui synthétise notre apport théorique de l utilisation de la perspective néo-institutionnelle dans l analyse de filières agricoles. La première partie de ce modèle conceptuel représente la schématisation d une filière de production avec un accent mis sur deux éléments importants de la filière : les acteurs (individuels et les organisations) et la relation dans les deux sens (flèche 1 et 2) qui existent entre eux et les piliers institutionnels (régulateurs, normatifs et culturel-cognitifs). Pour les besoins de notre étude, nous nous focalisons sur l influence des acteurs de la filière sur les piliers institutionnels (flèche 2). Nous développons cette influence dans la deuxième partie du modèle en essayant de comprendre l apport des caractéristiques des acteurs et du champ organisationnel sur l intentionnalité des acteurs d entreprendre un ou plusieurs types de travail institutionnel (création, maintien ou destruction des institutions). Suite à ce travail institutionnel, les acteurs mobilisent de façons stratégiques des ressources pour légitimer leurs actions. Ces actions peuvent ou pas déboucher sur un changement institutionnel qui affectera la filière et ses acteurs. La filière étant dynamique, le même processus recommencera dès qu un ou plusieurs acteurs décident de s engager dans un travail institutionnel. 89

98 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Les logiques institutionnelles de la filière Acteurs clés d une filière (individuels et organisations) Les caractéristiques du champ organisationnel Les caractéristiques des acteurs Type d action agentique Créer des institutions (Entrepreneuriat institutionnel) Les stratégies de légitimation des acteurs 1 2 Institutions Intentionnalité des acteurs Type de travail institutionnel Maintenir des institutions Formes de travail institutionnel Mobilisation des ressources Pilier Régulateur Pilier Normatif Pilier Culturelcognitif Déstabiliser des institutions Champ organisationnel de la filière (niveau méso) Processus du changement institutionnel Figure8 1.7: Proposition d un modèle conceptuel de l utilisation de la perspective néoinstitutionnelle dans l analyse de filière Source: l auteur Notre revue de littérature autour du champ théorique de la sociologie néo-institutionnelle nous a permis d identifier les faiblesses de la SNI qui ont abouti à l inclusion des recherches sur l entrepreneuriat institutionnel. Cependant les critiques sur la notion de l entrepreneur institutionnel ont subséquemment donné lieu à l approche par le travail institutionnel qui permet de prendre en considération tous les précédents travaux mais en rendant compte de la multiplicité d actions agentiques dans un champ organisationnel. De plus, nous utilisons un autre pan de la littérature néo-institutionnelle qui a évolué autour du concept de logique institutionnelle définit par Thornton et Ocasio (2008) comme les symboles culturels et les pratiques matériels, incluant les hypothèses, les valeurs, et les croyances socialement et historiquement construits, et qui sont utilisés par les individus et les organisations pour donner un sens à leurs activités quotidiennes, les aider à organiser leur temps, et à reproduire leurs expériences. La perspective des logiques institutionnelles est une meta théorie pour analyser les interrelations entre les institutions, les individus et les organisations dans des systèmes sociaux. 90

99 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Nous allons utiliser cette grille de lecture dans le secteur agricole pour une analyse de filière agricole. Ainsi pour comprendre le changement ou le maintien institutionnel qui peut avoir lieu dans une filière, nous allons utiliser les apports du travail institutionnel et les relier à la nature des interactions entre les organisations au niveau du champ organisationnel. Le niveau de structuration des organisations dans un champ organisationnel est mesuré par des indicateurs tels que le degré d interaction entre les organisations, l émergence de structures inter organisationnelles de domination et d alliance, l accord sur les logiques institutionnelles qui guident les activités du champ, le degré d isomorphisme des formes structurelles par rapport aux organisations qui utilisent un répertoire limité d archétypes et d activités collectives ; et aussi une délimitation très clair des frontières du champ. En effet, la structuration est un processus qui selon Greenwood et al. (2002) «décrit le processus de maturité graduelle et de spécification des rôles, des comportements, et des interactions des communautés d organisations». Cependant les frontières des champs et les comportements ne sont pas fixes indéfiniment mais sont sujets à des conflits (Holm, 1995, Scott et al., 2000) qui peuvent causer une déstructuration. Notre cadre de référence conceptuel se base donc sur les récentes recherches sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence et al., 2009a, Lawrence et al., 2013) et sera utilisé pour répondre à notre question suivante : «Sous quelles conditions les acteurs d une filière agricole mettent en œuvre différents types (et formes) de travail institutionnel pour modifier les logiques institutionnelles existantes de la filière?» Cette question de recherche utilise une variable dépendante, le type de travail institutionnel, la création, le maintien ou la déstabilisation des institutions qui donne lieu à différents formes de travail institutionnel (travail identitaire, travail sur les valeurs, travail culturel etc.). A travers cette problématique, nous essayons de déterminer quels sont les facteurs explicatifs du choix du type de travail institutionnel par les nouveaux acteurs d un champ organisationnel, et ensuite d analyser les stratégies institutionnelles utilisées par les acteurs en place, exprimées sous différentes formes de travail institutionnel, face aux nouvelles logiques institutionnelles. Le schéma présenté dans la figure 1.8 synthétise les relations entre notre 91

100 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES variable dépendante représentant le choix du type de travail institutionnel et les variables indépendantes. Variables indépendantes Facteurs explicatives Variable dépendante Choix du type de travail institutionnel Créer Maintenir Destabiliser Processus de changement institutionnel Déterminants du travail institutionnel Type de Travail institutionnel Conséquences du travail Institutionnel Figure9 1.8: Schématisation des variables dépendantes et indépendantes de la question de recherche Dans cette section, nous avons ainsi proposé un cadre conceptuel qui met en relation les caractéristiques du CO (degré d institutionnalisation et l hétérogénéité des logiques institutionnelles) et des acteurs (l orientation et la position sociale) et le type de travail institutionnel (création, maintien ou destruction). Ce modèle doit maintenant être appliqué aux filières agricoles de l Ile Maurice et en particulier les filières sucre et légumes qui ont subit un choc exogène. Le chapitre 2 présentera les caractéristiques de ces 2 CO qui nous serviront de terrain d application de notre modèle et nous aidera à développer nos propositions de recherche. 92

101 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 1: LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE NEO INSTITUTIONNELLE A L ANALYSE DE FILIERES AGRICOLES Conclusion du chapitre 1 Ce chapitre nous a permis de passer en revue l évolution de l utilisation de la théorie néoinstitutionnelle dans les études organisationnelles de la fin des années 1970 avec les travaux de Meyer et Rowan (1977) aux récentes études sur le travail institutionnel (Lawrence et Suddaby; 2006 ; Lawrence et al., 2009b ; Lawrence et al., 2013). Les premiers travaux des années 1980 mettent l accent sur le phénomène de mimétisme à travers lequel les organisations adoptent des comportements similaires dans leur champ organisationnel pour devenir isomorphes et ainsi se légitimer. En considérant que les institutions subissent des pressions et changent, les travaux qui suivent se concentrent sur le changement institutionnel en décrivant essentiellement des chocs exogènes qui défient les institutions. Suite au plaidoyer de DiMaggio (1988) pour rendre compte de l action agentique dans l analyse institutionnelle, les chercheurs se sont concentrés sur les sources endogènes de changement institutionnel et notamment le rôle des acteurs. DiMaggio (1988) introduit ainsi le concept d entrepreneur institutionnel, en se basant sur les travaux de Eisenstadt (1980 ) pour décrire le rôle des acteurs et de leurs actions dans la création, diffusion et stabilisation des institutions. L article de DiMaggio inspire de nombreux travaux sur l entrepreneuriat institutionnel de 1990 à Cependant, Holm (1995) soulève le paradoxe de l acteur encastré qui relève de la tension qui existe entre les structures institutionnelles de nature déterministes et l action agentique. Des critiques sur le caractère héroïque de l entrepreneur institutionnel et l oubli du rôle des autres acteurs poussent certains chercheurs à développer l approche du travail institutionnel. Le travail institutionnel entend ainsi prendre en considération le rôle agentique de tous les acteurs d un champ organisationnel dans le processus de création, de maintien, ou de déstabilisation des institutions. Cette revue de littérature sur la sociologie néo institutionnelle et ses nouvelles approches en études des organisations, nous donne une grille de lecture et un référentiel théorique basés sur le travail institutionnel, tout en gardant la richesse des travaux sur l entrepreneuriat institutionnel sans tomber dans sa démesure. Ce cadre de référence théorique nous permet de proposer un modèle conceptuel. Pour nous permettre de relier ce modèle conceptuel à un contexte empirique, nous décrivons le contexte de notre recherche dans le prochain chapitre 93

102 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Chapitre 3 : Les propositions de recherche Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière

103 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Introduction La République de Maurice (désormais Maurice), est un état insulaire situé dans l ouest de l'océan indien, et comprend l île principale, Maurice, et les îles avoisinantes tels que Rodrigues, Agalega, St Brandon, Tromelin et des petits îlots. Maurice a été successivement colonisée par les hollandais, les français et les britanniques avant d acquérir son indépendance le 12 mars 1968, et le statut de république, le 12 mars Maurice compte approximativement 1,3 millions d habitants de cultures et d origines divers à ce jour. La surface totale de la république mauricienne est de 2045 km 2, avec une zone économique exclusive de 1,9 million km 2. Les îles Maurice et Rodrigues comptent 1969 kilomètres carrés ( hectares). En se référant à l histoire de Maurice, la forte dépendance de ce pays sur la culture commerciale de la canne à sucre est presque tricentenaire. Cette monoculture a contribué au développement économique du pays en lui permettant d investir dans d autres piliers de l économie tels que le secteur manufacturier (notamment les usines de textile), le secteur du tourisme, et plus récemment le secteur des services financiers. Cela explique pourquoi la réforme du protocole sucre entre l UE et les pays ACP en 2006, a causé une pression exogène forte sur la filière sucre avec pour conséquence une restructuration de cette filière. Une filière voisine, la filière légumes a subi à son tour une pression indirecte avec l entrée de nouveaux acteurs venant de la filière sucre. Ce chapitre a pour objectif de décrire la structure et le fonctionnement de la filière canne à sucre et de la filière légumes pour que l on puisse bien saisir les enjeux de chaque filière. Nous décrirons ensuite le choc exogène, causé par la réforme du protocole sucre, avec des conséquences directes sur la filière sucre et indirectes sur la filière légumes. 95

104 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES SECTION 1 : La genèse du secteur agricole mauricien Cette première section a pour objectif de préciser les conditions naturelles et historiques qui ont aidé à façonner le secteur agricole mauricien. Nous verrons ce que les différentes périodes de colonisation de Maurice ont apporté au développement des filières agricoles et l emphase sur la filière canne à sucre pendant les quatre décennies qui ont suivi l indépendance de Maurice. 2.1 Le contexte économique de la république de Maurice : Un bref profil D après l African Economic Outlook (AEO, 2011), la République de Maurice a mis l accent sur la diversification des quatre piliers de son économie- le sucre, le textile, le tourisme et les services financiers pour pallier les chocs, accroitre sa productivité et sa compétitivité, et encourager la croissance économique et la création d emplois. Le Produit Intérieur Brut (PIB) est passé de 3,1 % en 2009 à 4,1 % en 2010, et le pays a pu maintenir une croissance économique malgré les défis au niveau local et international. Le taux d inflation est passé de 2,5 % à 2,9% de 2009 à En 2010, les arrivées touristiques étaient estimées à personnes équivalentes à des revenues de l ordre de MUR 10,6 milliards. Le secteur primaire (essentiellement le secteur agricole) a connu une baisse de croissance (-2,5%) en 2010 à comparer à une baisse de 8,7% en Le secteur secondaire a aussi connu une légère baisse de croissance (-2,9%) en 2010 contre -3% en Le secteur tertiaire lui a connu un taux de croissance de +4,8% en 2010 contre +2,8% en Les principaux partenaires commerciaux de Maurice restent la France et la Grande Bretagne. Cependant Maurice a aussi de nouveaux alliés économiques tels que l Inde et la Chine pour le commerce et l investissement. D autres partenaires émergents sont la Malaisie, Singapour et les Emirats Arabes Unis. 96

105 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES 2.2 Le secteur agricole mauricien : historique et bilan Cette section présente l apport de l histoire au développement du secteur agricole mauricien. Nous pensons que comprendre les étapes qui ont menées à la formation de différentes filières de production agricoles depuis la colonisation de l ile est importante car cela nous renseigne sur la formation des institutions qui structurent les filières et les actions des acteurs qui y opèrent Des colonies à l indépendance en 1968 L île Maurice, nommée Mauritius par les hollandais lors de la prise de possession de l île en 1598, a connu ses premiers actes d agriculture en 1639 après l installation des hollandais en 1638 à travers la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Le développement de la culture de la canne à sucre à Maurice est étroitement lié à l histoire du pays et de son peuplement. Les premières tiges de canne à sucre furent introduites à Maurice en novembre 1639 de Java, de même que des semences, des fruits, et des animaux. La production de sucre n étant pas viable à l époque, l accent était mise sur la production de l arrack, l ancêtre du rhum, produit de la fermentation de la canne à sucre. Ce n est que vers la fin du 17 e siècle que les hollandais se tournèrent vers la production du sucre roux et raffiné en utilisant des esclaves africains comme main d œuvre. Les hollandais ont aussi introduit d autres cultures tels que les cultures vivrières, le maïs, la patate douce, le riz, le blé, le tabac, l indigo, la vigne, les légumes, l ananas et d autres fruits (Manrakhan, 1997). Cependant les hollandais durent abandonner Maurice en 1710 à cause de problèmes tels que les dégâts causés aux productions agricoles par les cyclones, les sècheresses et les rats. Les français prirent possession de l île Maurice en 1715 et la renommèrent l Isle de France. Les premiers colons français arrivèrent en 1721, mais l île commença à prospérer économiquement à partir de 1735 avec l arrivée de Mahé de Labourdonnais, administrateur employé par la Compagnie Française des Indes Orientales. Sous l administration de Labourdonnais, Maurice devint un centre majeur en termes d activités commerciales, maritimes et militaires. Le tableau 2.0 présente les cultures agricoles vers le milieu du 18 e siècle jusqu au début du 19 e siècle. 97

106 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Tableau9 2.0: Cultures agricoles sous l'occupation française de Maurice Cultures agricoles (Tonnes) Période Milieu des Milieu des Vers la fin des Début des années 1760 années 1770 années 1780 années 1800 Clous de girofles * Café * * Coton * Graines * Indigo * * 1 35 Mais Pas disponible Manioc Pas disponible Pas disponible 7500 Pas disponible Riz Pas disponible Sucre Pas disponible Blé Pas disponible Clé : * - pas de production Source : (Manrakhan, 1997) L Isle de France fut capturée par les anglais en 1810, officiellement cédée par la France en 1814, et sera rebaptisée Maurice. Le gouverneur anglais, Sir Robert Farquhar joua un rôle important dans la promotion de la culture de la canne à sucre en demandant au parlement britannique la baisse de la taxe de sortie sur le sucre mauricien en Plusieurs facteurs à ce moment contribuent au développement de l industrie sucrière mauricienne : la baisse sur la taxe de sortie pour le sucre exporté, la compensation de 2,1 millions de livre sterlings accordée aux producteurs sucriers pour la libération des esclaves, l arrivée des travailleurs indiens sous contrat dans les champs de canne, ainsi que des progrès techniques au niveau des champs et des usines sucrières. Vers les années 1830, il y avait hectares sous culture de canne à sucre avec une production annuelle de tonnes de sucre. Avec l affranchissement des esclaves en 1835 et l arrivée des travailleurs indiens, l industrie sucrière connut une expansion à partir de La superficie sous canne à sucre passa à hectares et la production sucrière tourna 98

107 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES autour de à tonnes par an. La Station Agronomique, un centre de recherche agricole, fut mis sur pied en Au début du 20 e siècle, le nombre d usines sucrières en opération fut réduit de 303 en 1863 à 80 en 1903, et un tiers des superficies sous canne à sucre appartenaient aux petits producteurs d origine indienne. Maurice bénéficia aussi d un marché garanti et de prix élevés grâce au système impérial britannique pour l exportation du sucre sur le Royaume Uni. L accord international sur le sucre devint opératoire en 1953 et permit à Maurice de bénéficier de prix et de marchés garantis. En 1960, une commission présidée par le professeur J.E Meade (Prix Nobel d Economie en 1977) travailla sur la structure économique et sociale de Maurice et conclut, par rapport au secteur agricole, qu il fallait réduire l expansion de l industrie sucrière, et augmenter la production de cultures vivrières, légumes, et production animale. Trois ans plus tard, une deuxième commission sur l industrie sucrière mauricienne, présidée par le Dr T Balogh de l université d Oxford, émit des avis contraires au rapport Meade. Le rapport Balogh recommanda la contribution et la collaboration de l industrie sucrière pour la diversification de l économie mauricienne. Les recommandations du rapport Meade furent cependant implémentées avec l objectif principal de réduire les importations et créer l emploi à Maurice. Après l indépendance de Maurice en 1968, le pays connut une nouvelle phase d industrialisation avec la création de la zone franche manufacturière en Ainsi commença la diversification massive de l économie mauricienne en utilisant les revenues de l industrie sucrière De l indépendance en 1968 à nos jours Au début des années 1970, la répartition des terres à Maurice était à prédominance agricole (48,3%) sur les hectares de terres disponible (Figure 2.0). 99

108 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Début des années 1970 Forêts et paturages 35% Production Agricole 48% canne à sucre 45% Réservoirs et routes 3% Zones de construction 14% Figure10 2.0: Répartition des terres au début des années 1970 Source : (Manrakhan, 1997) Autres cultures 1% thé 2% Vers le milieu des années 70, il y a eu une transition marquée dans l économie du pays, d une prédominance agricole à une économie basée sur l industrie, le secteur des services et le tourisme. Bien que l importance du secteur agricole ait connu une baisse au fil du temps, ce secteur a quand même retenu une place importante dans l économie du pays surtout par rapport à la filière sucre. La contribution de secteur agricole au PIB est ainsi passée en 40 ans de 23 % en 1970 (Manrakhan, 1997, p6) à 3,8 % en 2010 (Figure 2.1). Ce déclin est essentiellement dû à la baisse de production agricole au niveau de la canne à sucre, des cultures vivrières et de la production animale. En parallèle, d autres piliers de l économie, tel que le secteur des services, notamment le secteur financier et l hôtellerie ont pris une importance grandissante. D après la Chambre de Commerce et d Industrie de Maurice (MCCI, 2011), il y a eu une baisse de 4,6 % en termes de valeur ajoutée du secteur agricole de 10,8 à 10,3 milliards de roupies en 2010, bien que l industrie sucrière se soit tournée vers la production de sucre raffiné à haute valeur ajoutée. 100

109 % de la totalité des importations Contribution au PIB (%) PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Année Secteur Agricole (%) Industrie (%) Secteur des Services (%) Figure : Contribution du secteur agricole au PIB de 1980 à 2010 Source : (CSO, 2010) Maurice, avec 1,3 millions d habitants, consomme autour de tonnes par an de produits alimentaires sous diverses formes-matières premières, produits frais, surgelés, transformés, etc. Le pays ne produit que 27% de cette consommation. En 2010, les importations de produits alimentaires (produits de consommation et animaux vivants) se sont chiffrées à 24 millions de roupies ce qui représentent 17,7 % de la totalité des importations du pays (Figure 2.2) ,7 % 14,8 % 12,6 % Importation de Produits Alimentaires et Animaux vivants Figure : Importation de produits alimentaires et animaux vivants Source : (CSO, 2010) 101

110 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Le secteur non-sucre Le secteur agricole mauricien est arbitrairement divisé en deux grandes catégories : le secteur sucre et le secteur non-sucre (littéralement, toutes les productions agricoles (végétales et animales) autre que la production de la canne à sucre). La description du secteur sucre sera reprise en détail dans la section 2.3. Nous nous attarderons ici à décrire dans les grandes lignes le secteur non-sucre, avant de détailler la filière qui nous intéresse dans ce secteur, notamment la filière des légumes, dans la section 2.4. Le secteur non sucre de l agriculture mauricienne est divisé en deux grandes catégories (Tableau 2.1) : les activités primaires (horticulture, élevage et aquaculture), et les activités secondaires de transformation (l agro-industrie). Les activités sont classées par ordre d importance par rapport à leur contribution au secteur non-sucre. Les caractéristiques du secteur non-sucre sont les suivantes : Une grande partie du secteur est constituée de production de produits frais (légumes, fruits) consommés sans transformation. L aviculture (notamment le poulet de table) représente la part la plus importante de la production animale de Maurice avec une intégration verticale de la production des poussins jusqu à la transformation de la volaille pour le marché domestique. Le secteur de l agro-industrie est aussi constitué d un nombre restreint d entreprises engagées dans la production de produits de base tels que la farine de blé, l huile comestible, les produits laitiers frais, les provendes (aliments pour animaux) ; la margarine entres autres. Cependant il y a une dépendance forte sur les matières premières importées. Il y a en parallèle de nombreuses petites entreprises semi-industrielles ou artisanales utilisant dans la plupart des cas des intrants locaux. 102

111 Moindre importance Moyenne importance Grande Importance PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Tableau : Structure du secteur agricole non-sucre Activités Primaires Activités Secondaires (Transformation) Semiindustrielle Horticulture Elevage Aquaculture Industrielle Artisanale Légumes Avicole Conserverie de thon Minoterie Provenderie Raffinerie d huile Volaille Fleurs Fruits Porcin Produits laitiers Fruits et légumes Pâtes/nouilles Bovin Pisciculture Ovin Crustacés Caprin Source : Adapté de (Humbert, 2003) Boulangerie Pâtisserie Confiserie Fruits et légumes Pâtes/ Nouilles Produits laitiers Fruits et légumes Pâtes/ Nouilles Produits laitiers Boulangerie Pâtisserie 103

112 Tonnes % PIB PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Les indicateurs du secteur non-sucre La figure 2.3 montre l importance grandissante du secteur non-sucre par rapport au secteur sucre à partir de Annonce par l'ue de la réforme du protocole sucre Fin du protocole sucre Sucre Non Sucre Figure : Contribution du secteur non-sucre au PIB de Source : (CSO, 2010) Ce graphique nous démontre la baisse de la contribution de l industrie sucrière à partir des années 2000 tournant autour de 3% pendant quelques années pour continuer à baisser à partir de 2006 et arriver à 1,1 % en En parallèle, le secteur non-sucre a connu une légère plus grande contribution au PIB à partir de 2007 pour tourner autour de 2,5%. Le graphique suivant (Figure 2.4) illustre l évolution de la production totale de produits agricoles non sucre à Maurice de 1970 à 2000, en faisant la différence entre produits primaires et produits secondaires (transformés) Produits primaires 150 Produits transformés Figure14 2.4: Evolution de la production de produits primaires et transformés de Source :(Humbert, 2003) 104

113 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Il ressort de ce graphique que la production totale du secteur non sucre a doublé sur la période 1970 à Cependant c est l agro-industrie qui a contribué à cette croissance Les politiques de diversification agricoles mauricienne du secteur non-sucre: de l indépendance à 2008 En 1968/69, Maurice, jeune pays indépendant, adopte des mesures pour sortir de l austérité : les priorités sont axées sur le développement du secteur agricole, le tourisme et le secteur manufacturier. Avec une coupe record de tonnes de sucre en 1973, le pays a connu une période de prospérité de 1973 à Les investissements furent concentrés en priorité sur le secteur manufacturier et le secteur du tourisme, négligeant le secteur agricole. En dix ans depuis l indépendance, le pays se retrouva dans l austérité avec à la clé une dévaluation de la roupie mauricienne en Malgré l accent sur le secteur sucrier, il y eut à travers les années de grandes orientations politiques (Tableau 2.2) au niveau national pour développer le secteur non-sucre. Tableau11 2.2: Les principales initiatives des politiques publiques dans le secteur non-sucre de 1970 à 2008 Année Principales initiatives des politiques publiques 1974 National Foodcrop Production Committee 1979 National Agricultural Production Conference 1980 High Powered Committee 1983 White Paper on Agricultural Diversification 1988 Sugar Industry Efficiency Act 2003 Non Sugar Sector Strategic Plan Strategic Options for Crop Diversification and Livestock A Sustainable Diversified Agri-Food Sector Strategy for Mauritius Food Security Fund Committee Strategic Plan

114 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Les politiques agricoles mauriciennes de diversification peuvent être catégorisées en quatre décennies distinctes : Les années 1970, 1980, 1990, et 2000 Première décennie: Les années 1970 Vers le milieu des années 1970; les acteurs clés du secteur agricole mauricien se rendirent compte qu il fallait à tout prix diversifier la production agricole pour réduire la dépendance sur l importation due à l inflation grandissante dans le monde et les conséquences de la flambée du prix du pétrole sur l économie mauricienne. Une première stratégie de diversification agricole vit le jour en 1974 et dura jusqu à Un comité national sur les cultures vivrières (National Foodcrop Committee) fut établi la même année. Ce comité recommanda une politique de substitution à l importation pour atteindre l autosuffisance pour certaines commodités agricoles pour réduire la dépendance de Maurice des importations de produits alimentaires. En 1979, une conférence nationale sur la production agricole (National Agricultural Production Conference) fut tenue avec pour objectif de donner un nouveau départ à la diversification agricole. Pendant cette décennie, on peut aussi noter les mesures incitatives et les changements dans la structure du secteur agricole suivants : Promotion des cultures vivrières en entrelignes dans les champs de canne, dans les terres de rotation de la canne à sucre, et dans les potagers permanents 9. L institut de recherche sur l industrie sucrière (MSIRI) s intéresse aux cultures vivrières telles que la pomme de terre, la pomme d amour entres autres. 9 Un potager permanent d après la loi sur l efficience de l industrie sucrière (SIE Act, 1988), se réfère à un terrain consacré pendant au moins 8 années à la production de cultures horticoles ; ou une serre hydroponique ; ou à la production de champignon ; ou encore à l aquaculture. 106

115 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Diversification dans l élevage pour produire de la viande bovine et du lait. Lancement de l élevage de crevettes géantes d eau douce (Macrobrachium rosenbergii) appelées communément camaron à Maurice. Mise sur pied de l Office des Marchés (Agricultural Marketing Board-AMB) comme recommandé par les rapports Meade et Balogh Mise sur pied d une organisation publique ayant autorité dans le domaine de la production de viande, la Mauritius Meat Authority Deuxième décennie: Les années 1980 En Mai 1980, la chambre d Agriculture (Mauritius Chamber of Agriculture-MCA désormais), en réaction à la demande des politiques publiques de diversifier le secteur agricole, invita les producteurs agricoles à produire davantage de sucre et de cultures vivrières mais non au détriment de l industrie sucrière. Début septembre 1980, deux journées de réflexions sur les moyens de promouvoir la diversification agricole eurent lieu avec de nombreux experts du secteur agricole mauricien. L accent fut mis sur la production de riz grâce à un fonds d aide de l UE, ce qui aida à transformer environ 100 hectares en riziculture. A l issue de ces journées de réflexion, le plan de 1980 sur la diversification agricole fut présenté et un comité avec des pouvoirs élargies (High Powered Committee) et présidé par le ministre de l agriculture de l époque fut instauré pour veiller à la bonne mise en œuvre de ce plan. Le plan de diversification agricole de 1980 identifia les contraintes à une augmentation de la production alimentaire telles que la disponibilité de terres agricoles ; le manque d irrigation dans les zones de cultures ; disponibilité de la main d œuvre ; les facilités de crédits ; la politique fiscale ; la politique des prix ; l absence d un système d assurance des récoltes ; la commercialisation et le stockage des produits ; et l appui de la recherche agricole. 107

116 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES En prenant en considération ces contraintes, le plan de diversification agricole de 1980 prévoyait les stratégies suivantes : Production de riz sur une base de projets-pilotes gérés en activités commerciales. Les producteurs de légumes ainsi que ceux des établissements sucriers sont concernés. La priorité est axée sur l irrigation des plaines du Nord et de l ouest de Maurice Doubler la production de mais pour passer à 8000 tonnes par an en Subsides accordés à l AMB pour l importation des semences de maïs. Production animale (viande bovine, cerf, mouton et porc) Production laitière En 1983, le ministère de l agriculture publia un livre blanc sur la diversification agricole (White Paper on Agricultural Diversification) avec pour objectif de relancer la production horticole et animale et de consolider la politique de substitution à l importation. En 1984, les politiques publiques encouragèrent le développement de l agro-industrie et l exportation des produits à haute valeur ajoutée. En 1988, une nouvelle loi fut promulguée concernant l efficience au niveau de l industrie sucrière (Sugar Industry Efficiency Act) avec pour but d encourager les établissements sucriers à louer davantage de terres pour la production vivrière. Des amendements furent apportés à cette loi en 2001 et puis en 2007 pour répondre aux exigences de l industrie sucrière. Les initiatives et les mesures incitatives de cette décennie sont les suivantes : Allocation d un certificat de développement au secteur agricole non-sucre 108

117 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES De nombreuses mesures incitatives telles que des subventions, des prêts à taux d intérêts préférentiels ; des subventions sur les intrants ; des exonérations des droits de douane sur l importation d équipements agricoles entres autres. Contrôle de l AMB sur les importations de produits agricoles, et offre des prix et un marché garantis pour certaines productions locales stratégiques telles que la pomme de terre, l oignon, l ail, le maïs et l arachide De nombreuses mesures incitatives pour promouvoir l agro-industrie La libéralisation des exportations de fruits et de légumes Etablissement d un organisme parapublic, le conseil sur la recherche agro-alimentaire (Food and Agricultural Research Council- FARC) en 1985 pour coordonner uniquement la recherche et la vulgarisation des techniques dans le secteur agricole non sucre En faisant un premier bilan de la période de 1970 à 1990, on note que Maurice a pu atteindre l autosuffisance dans la pomme de terre de 1985 à 1987 ; il y eut aussi une augmentation dans la production de maïs jusqu à 40% des besoins du pays à l époque. Cependant ces deux décennies de diversification connurent un succès mitigé à cause des raisons suivantes (Jugernauth, 2008) : La politique des autorités mauriciennes était claire et visait l autosuffisance alimentaire et la substitution des importations. Les établissements sucriers avaient participé en utilisant des cultures interlignes avec la canne à sucre, ou dans des terres en rotation. Ces établissements étaient rassurés par les travaux de la MSIRI démontrant que les cultures de diversification n avaient pas d effets néfastes sur la production de la canne à sucre. 109

118 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Le gouvernement mauricien introduisit de nombreuses mesures telles que les subsides aux producteurs, les facilités de stockage et d écoulement des produits, et des prix garanties par l Office des Marchés (l Agricultural Marketing Board) pour encourager les producteurs à augmenter leurs productions et à s intéresser à d autres cultures sans avoir besoin d investir dans la commercialisation des produits. Soutien technique de la production agricole par des organismes de recherche tel que l industrie mauricienne de recherche sur l industrie sucrière (MSIRI) ; les services publics de recherche agricole ; l expertise étrangère ; ainsi que les fonds d aide internationale ont aussi contribué à la promotion de la production agricole locale. Cependant malgré tous les efforts des politiques publiques, de nombreuses productions agricoles (riz, maïs, arachide) durent être abandonnées face aux sérieuses difficultés durant leur phase de développement. Les raisons de ces échecs sont décrites brièvement ci-dessous : La production de riz commença avec des projets pilotes vers la fin des années Ces projets échouèrent parce que les variétés de riz avaient un faible rendement car pas adaptées aux conditions locales ; les conditions locales (cyclones et sècheresses) rendait la culture de riz très fragile ; et les importations de riz coûtaient moins cher (MUR 3500/tonne) à comparer par rapport au coût de production (MUR 10000/tonne). En 1983, le gouvernement voulait atteindre l autosuffisance dans la production du maïs en encourageant la production entre lignes dans les champs de canne à sucre et les plantations à pleins champs. L accent fut donc mis sur la recherche variétale et les techniques de production. Les autorités mauriciennes encouragèrent les producteurs de maïs en offrant un prix garanti, et en finançant, à travers le fonds de développement européen, la construction de trois centres de séchage pour la transformation du maïs destiné aux usines de fabrication d aliments pour animaux. Cependant la production de maïs commença à baisser à partir de 1986 de 6000 tonnes en 1985 pour arriver à 300 tonnes 10 ans plus tard. Cette baisse est essentiellement due au prix garanti qui est resté à MUR 4240 de 1986 à 1988 (pour atteindre un pic de MUR 5000/tonne en 1989) et qui ne permettait pas de couvrir les coûts de production. De plus le prix du 110

119 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES maïs importé passa de MUR 3350/tonne en 1985 à MUR 2000/tonne en 1988, ce qui rendait la production locale moins économique. D autres facteurs ayant causé le déclin de la production de maïs inclus l incidence de la culture entreligne du mais sur le rendement de la canne à sucre ; les effets désastreux des cyclones, et le manque d irrigation. Troisième décennie: Les années 1990 Les principaux évènements par rapport à la diversification du secteur non sucre de cette décennie sont les suivants ; Etablissement d une unité de recherche et de vulgarisation agricole parapublique, l Agricultural Research and Extension Unit (AREU) pour s occuper de la recherche et de la vulgarisation agricole dans le secteur non sucre uniquement. Libéralisation des cultures telles que la pomme de terre et l oignon Libéralisation du secteur de l élevage Retrait de l Etat au niveau des subventions agricoles et des produits contrôlés Cette troisième décennie de diversification agricole ( ) n a pas connu de succès et les cultures visées ont surtout régressé à l exception des légumes qui n étaient pas dans le plan. Les raisons de l échec de cette diversification sont les suivantes : Changement de politiques publiques- pas de politique de substitution à l importation mais accent sur les cultures rentables. Disparition des subsides mais maintient des prix garantis sur la pomme de terre et l oignon. Augmentation des coûts de production due à l augmentation du prix de la main d œuvre et des intrants (fertilisants et produits phyto sanitaires). 111

120 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Quatrième décennie : Les années 2000 La quatrième décennie de diversification agricole démarre avec en 2001 un rapport de la Chambre d Agriculture sur la nouvelle orientation stratégique de l agro-entrepreneuriat à Maurice (New Strategic Orientation for the Agribusiness Sector in Mauritius). Ce rapport avait pour but de revisiter l approche traditionnelle utilisée dans les précédentes décennies pour diversifier le secteur agricole non sucre. Les stratégies proposées étaient centrées sur une approche plus réaliste des objectifs de production, l accent sur la valeur ajoutée aux produits primaires, et la coopération régionale dans le secteur agricole. Les propositions de la Chambre d Agriculture ainsi que les contributions d autres professionnels dans le secteur permirent à l AREU de publier en 2003 le plan stratégique du secteur non sucre (Non Sugar Sector Strategic Plan-NSSSP ). Le NSSSP avait pour ambition de moderniser la production agricole non sucre en utilisant de nouvelles technologies telles que la biotechnologie ; de faire de Maurice un pôle d excellence régional dans trois domaines : l agro-industrie, l utilisation de la biotechnologie dans les secteurs agricole, et la recherche et formation agricole. En Avril 2006 se tint un forum sur l agro-entrepreneuriat avec les professionnels du secteur agricole mauricien. L objectif de ce forum était de faire un état des lieux et d explorer de nouvelles opportunités telles que l exportation. A l issu de ce forum, l accent fut mis sur la recherche de nouvelles technologies, l innovation, l entrepreneuriat et les normes sanitaires. En 2007, l AREU publia les options stratégiques pour la diversification horticole et animale (Strategic Options for Crop Diversification and Livestock ). Ce plan s appuya sur le NSSSP et formula de nouvelles stratégies prenant en considération les enjeux tels que la restructuration de l industrie sucrière, la politique de sécurité alimentaire du pays, de même que les projections d augmentation de nombre de touristes dans les années à venir. Les objectifs définis dans le plan de 2007 sont entres autres d augmenter la production agricole et alimentaire d une façon durable et compétitive : en utilisant des méthodes de production innovantes; en commercialisant des nouveaux produits à valeur ajoutée; et en dénichant de 112

121 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES nouveaux marchés. Le plan se concentra sur l identification d opportunités, l aptitude des terres à la production ; les objectifs de production, les besoins en capital ; et tous les mesures incitatives pour encourager la production agricole pour les produits agricoles clés, et les nouveaux produits. En 2008, la crise alimentaire mondiale causée par la flambée des prix des denrées alimentaires, a mis en exergue la dépendance de Maurice de l importation des produits alimentaires. Trois experts locaux du secteur agricole, notamment le directeur de l Agricultural Research and Extension Unit (AREU), le responsable de la diversification agricole de la Chambre d Agriculture (MCA), et le responsable des cultures vivrières de l institut de la recherche sur l industrie sucrière (MSIRI) ont accordé une entrevue à un quotidien mauricien, et ont fait le constat suivant de l impact de la crise alimentaire mondiale de 2008 sur Maurice (Jugernauth, 2008) : Il y a un grand besoin de diversification agricole et d augmenter l autosuffisance dans certains aliments tels que la pomme de terre, l oignon, le maïs, et le lait pour réduire les dépenses liées à l importation de ces produits. Le maïs est une céréale importée comptant pour plus de 80% dans le coût de production du poulet produit industriellement à Maurice. De plus la forte demande mondiale pour la fabrication de biocarburant tel que l éthanol et l augmentation des coûts de fret fait qu il est important de considérer la production locale de maïs sur les terres disponibles. Il faut aussi revoir les productions où il y autosuffisance en production telles que la tomate locale (communément appelée, pomme d amour), le piment et l ananas car les importations des produits dérivés de la tomate (ketchup, sauces et jus de tomates) sont énormes. Les principaux obstacles se trouvent dans le manque de terres agricoles pour les cultures à exploiter; les maladies; les frais de stockage; et les longues périodes de rotations des terres. 113

122 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Il y a un grand potentiel régional d exploitation des terres disponibles dans des pays tels que Madagascar et le Mozambique. Cependant la production agricole soutenue par les entrepreneurs mauriciens n a pas vraiment décollé à cause de nombreuses contraintes : Administration lourde : la juridiction des terres tombe sous la tutelle de plusieurs ministères malgaches ce qui rend les démarches administratives très pesantes pour les entrepreneurs étrangers ; le manque d infrastructure (réseaux routiers, port avec des moyens modernes) pour accéder aux régions agricoles et pour acheminer les produits destinés à l exportation ; un secteur agricole malgache peu structuré : peu d exploitation à un niveau industriel ; peu de facilité de financement pour développer des entreprises agricoles ; pratiques culturales au niveau des champs peu avancées. Cette crise alimentaire de 2008 a remis en question la stratégie de sécurité alimentaire de Maurice. Historiquement, Maurice s est basé indirectement sur son secteur agricole pour assurer des produits alimentaires à la population, en utilisant les revenus du secteur sucrier. De plus les habitudes alimentaires des mauriciens ont évolué avec beaucoup plus d accent sur les produits transformés, et une exigence accrue sur la qualité, et les produits de marques. Dans cette optique, le gouvernement s attela à relever les nombreux défis pour promouvoir une politique de sécurité alimentaire et publia en 2008, un autre plan stratégique pour une vision durable d un secteur agricole diversifié (A Sustainable Diversified Agri-Food Sector Strategy for Mauritius ). La vision des autorités publiques était de restructurer sur une période de 7 ans le secteur agricole mauricien avec les stratégies suivantes : Adopter des systèmes de production diversifiés et multifonctionnels pour assurer une production alimentaire stable ; et améliorer les habitudes alimentaires et la santé des mauriciens. Moderniser le secteur et le rendre compétitif; durable économiquement, socialement et respectueux de l environnement. Rendre le secteur flexible et à l écoute des consommateurs 114

123 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES En Juin 2008, le gouvernement mauricien vota un budget de MUR 1 milliard pour constituer un fonds de sécurité alimentaire. Un comité, le Food Security Fund Committee (FSF), fut constitué pour gérer ce fonds. Ce comité publia un rapport en 2008 en spécifiant les actions prioritaires pour promouvoir la production alimentaire locale. Une autre priorité du FSF est de rendre autonomes les petits producteurs et encourager leur participation active et leur implication dans des projets de développement agricole. LA FSF veut promouvoir une nouvelle classe d entrepreneurs parmi les producteurs agricoles. La FSF a développé les indicateurs suivants pour atteindre ses objectifs (FSF, 2008) : Augmenter le volume de production des cultures prioritaires (pomme de terre, oignon, pomme d amour, fruits, maïs, féculents) Maintenir l autosuffisance au niveau du poulet de table et des légumes frais Introduire des cultures protéagineuses (soja) Libérer des terres pour la production de cultures vivrières Encourager le regroupement des petits producteurs Augmenter l autosuffisance dans les produits suivants : lait frais, la viande de bœuf, de mouton, de porc et de chèvre Sensibiliser la population sur de bonnes habitudes alimentaires Augmenter la production de poissons Atténuer les contraintes des petits producteurs à commercialiser leurs produits 115

124 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Encourager la coopération régionale pour certains produits tels que la pomme de terre, le maïs, le riz, l oignon et les grains secs Un résumé de ces quatre décennies diversification agricole, de 1970 à 2010 nous amène au constat suivant : La première décennie ( ) a été une période de lancement de grandes idées pour développer le secteur agricole, non-sucre, avec une politique d autosuffisance et de substitution à l importation avec un fort appui des politiques publiques. La deuxième décennie ( ) a été une période de consolidation projets précédents avec de nouveaux objectifs tels que l exportation des produits locaux. La troisième décennie ( ) a vu une rationalisation des perspectives de diversification basée sur les expériences du passé. Du coté des politiques publiques, il y a eu une libéralisation de la production agricole, et un désengagement de l Etat et de ses institutions. La quatrième décennie ( ) qui nous ramène à des préoccupations actuelles, a vu une remise en question des politiques de diversification dans le non sucre surtout vers le milieu de la décennie avec la réforme annoncée du protocole sucre menant à la restructuration de l industrie sucrière, et la crise alimentaire mondiale de Nous voyons qu à travers ces quarante années de volonté de diversifier le secteur agricole mauricien, il n y a eu que très peu de succès à l exception de l autosuffisance atteinte pour les légumes frais, le poulet de table, et les œufs. En ce qui concerne les exportations agricoles, elles sont limitées aux fleurs coupées telles que l anthurium, et à de petits volumes de fruits tropicaux, ananas et litchi. Les raisons principales qui expliquent ce peu de succès sont les nombreuses contraintes auxquelles doivent faire face les petits états insulaires en développement (PEID), tels que Maurice: un marché domestique restreint ; la distance géographique avec les marchés rémunérateurs (coût excessif de fret) ; usages concurrentiels pour les ressources foncières et 116

125 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES les ressources naturelles (exemple eau) par divers secteurs de l économie ; des conditions agronomiques (maladies, ravageurs, et climatiques (cyclones, sècheresses, inondation) défavorables ; et la faible gamme de cultures qui soient économiquement viables. Cette section nous a montré que le secteur agricole mauricien s est concentré pendant de nombreuses décennies sur le secteur de l industrie sucrière et ne s est intéressé à la diversification agricole que vers les années Nous avons vu une succession de politiques publiques visant à diversifier le secteur agricole et cela montre le travail institutionnel qui s est joué au niveau des différentes parties prenantes et qui a abouti à des décisions pas nécessairement positives pour le secteur agricole. Ceci nous amène au succès qu a connu la culture de la canne à sucre à Maurice et que nous développerons dans la section suivante. 117

126 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES SECTION 2 : Le succès de la filière canne à sucre Dans cette section nous allons décrire la filière canne à sucre à travers sa structure, ses produits et ses acteurs principaux. Nous aborderons ensuite le protocole sucre, accord signé entre l UE et les pays ACP exportateurs de sucre pour comprendre son importance dans le développement de la filière CAS, et finalement nous verrons comment la filière CAS a du réagir suite à la réforme du protocole sucre. 2.3 La filière canne à sucre Une filière est caractérisée par des conditions de production, des acteurs et des moyens de coordination Description de la filière Question de nomenclature Au niveau du secteur agricole mauricien, on se réfère au terme industrie sucrière jusqu en 2006, année où on a procédé à une profonde restructuration de ce secteur qui l a transformé en industrie cannière en référence à l utilisation et la valorisation de la canne à sucre et ses sous-produits. Nous avons décidé de nous référer dans ce travail à la filière canne à sucre (désormais filière CAS dans le texte) pour trois raisons principales: premièrement pour la différencier du sucre provenant de la betterave; deuxièmement pour une question de nomenclature car le terme industrie se réfère au secteur secondaire tandis qu à notre avis le terme filière correspondant au CO de notre terrain est plus englobant de tous les acteurs qui participent à la production, à la transformation, et à la commercialisation du produit sans oublier les structures d appui ; et troisièmement pour pouvoir la comparer sans équivoque à la filière légumes Les aspects agro-climatiques et techniques Le secteur agricole à l ile Maurice est divisé en trois zones agro-écologiques dépendant du niveau de pluviométrie et du types de sols: les zones surhumides (2400 mm de pluie/année), 118

127 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES les zones humides ( mm de pluie/année), et les zones sub humides (1200 mm de pluie/année). La canne à sucre est une culture pérenne, plantée en plein champ, et les premières plantes qui sont récoltées sont appelées les cannes vierges. Après la récolte, les racines laissées dans le sol se régénèrent et forment la deuxième repousse. Il y a environ 6 à 8 repousses avant que le champ soit labouré (soit 6 à 8 ans de production), et replanté après une période de jachère de 7 mois. La période de croissance de la canne à sucre dure de Novembre à Juin ; la période de maturation de Juillet à Octobre. Il a deux saisons : la Grande Saison qui se réfère à un cycle de culture avec une récolte en Septembre-Novembre et une replantation en Mars. La canne vierge est récoltée 16 à 17 mois plus tard ; et la Petite Saison avec une récolte précoce en Juin-Aout, et la canne vierge est récoltée 12 mois plus tard. La culture de la canne à sucre dispose de technologies modernes développées par des années de recherche par la MSIRI (voir section ). Les problèmes majeurs de la production de la canne à sucre demeurent les aléas climatiques tels que la sècheresse ou les fortes pluviométries Les produits de la filière CAS La canne à sucre est cultivée pour le sucrose contenu dans ses tiges et qui est extrait et transformé en sucre. Le produit principal est le sucre avec un fort accent sur le sucre brut (80%) destiné aux raffineries et les sucres spéciaux (20%) à forte valeur ajoutée tels que le muscovado, la demerara qui sont reconnus pour leurs ingrédients naturels et leurs qualités organoleptiques et destinés à la consommation directe sur les marchés d exportation. Les sous-produits obtenus après transformation industrielle sont : tonnes de mélasse utilisées localement pour la fabrication d alcool comestible et l alimentation des animaux ; et tonnes sont disponibles pour l exportation ou la production de biocarburant (éthanol). 119

128 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES La bagasse (fibre de canne à sucre après transformation) utilisée comme combustible dans les chaudières des usines sucrières. Ce combustible naturel a rendu les usines sucrières autosuffisantes en termes de demande énergétique. Au départ, la totalité de l électricité et les vapeurs générées par la combustion de la bagasse étaient utilisées pour la production du sucre. En 1957, avec l avènement de chaudières plus efficientes, les usines sucrières commencèrent à vendre de l électricité à l organisme public qui gère la fourniture d électricité pour Maurice, la Central Electricity Board (CEB). Au fil des années, 7 usines sucrières vendent de l électricité issu de la combustion de la bagasse au CEB (représentant 18% de la demande énergétique de Maurice) ; et 3 centrales thermiques furent installées, opérant indépendamment des usines sucrières, et utilisant aussi bien de la bagasse provenant des usines sucrières et aussi du charbon pour produire de l électricité qu elles revendent à la CEB (45% de la demande énergétique de Maurice) Les acteurs de la filière CAS L industrie sucrière mauricienne reconnaît essentiellement trois grandes catégories de partenaires: le secteur corporatiste (usiniers et propriétés sucrières) ; les petits producteurs ; et les employés. Cependant dans notre utilisation du concept de filière nous ajoutons les autres acteurs tels que les structures d appui, et l état mauricien. Grace aux efforts de l état mauricien, les bénéfices découlant du protocole sucre ont été partagés parmi les producteurs et employés de ce secteur. Ainsi, les petits et moyens producteurs ont droit à 78% du prix de vente du sucre et à la totalité de la mélasse, issus du broyage des cannes à sucre provenant de leurs champs. Ils ont aussi droit à MUR 0,1 pour chaque kilo Watt Heure (kwh) d électricité généré de la bagasse. Les employés ont aussi droit à un emploi permanent bien que cette activité soit saisonnière. La plupart des petits producteurs et les employés de l industrie sucrière, ainsi qu un bon nombre d employés à la retraite sont actionnaires d un fond d investissement qui détient 20% des actions des usines sucrières et 10-20% des centrales thermiques. La production de la canne à sucre est essentiellement commerciale, et les producteurs sont catégorisés en 4 groupes distincts : 120

129 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES 1. Les producteurs-usiniers, les propriétés sucrières représentant 70% de la production 2. Les moyens et grands producteurs représentant 5% de la production 3. Les petits producteurs, environ et cultivant 4 hectares, représentent 23 % de la production 4. Les métayers représentant 2% de la production. Le tableau 2.3 montre la distribution des différentes catégories de producteurs par rapport à la superficie cultivée. Tableau : Distribution des producteurs de canne à sucre en fonction de la superficie cultivée Superficie (Hectares) Nombre de producteurs % de la production totale 0-0, ,6 0,5 1, ,1 1,0 2, ,1 2,0 5, ,6 5,0 10, ,9 10,0 25, ,7 25,0 50,0 20 0,7 50 plus 68 71,4 Source : (MAAS, 2006) Comme le démontre le tableau 2.3, la filière canne à sucre est très concentrée au niveau des gros producteurs avec plus de 70% de la production provenant de ces producteurs ayant 50 hectares et plus de superficie cultivée La production La figure 2.5 nous indique les superficies récoltées pour les différentes catégories de producteurs sur la période de 1975 à Il est à noter qu à partir de 2002, il y a eu une baisse dans les récoltes pour les usiniers et propriétés sucrières due au plan de restructuration 121

130 Superficie récoltée (Hectares) PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES de la filière canne à sucre et la centralisation des activités de transformation dans les usines résultant en un certain nombre d usines qui ont fermé leurs portes Usiniers/Propriétés sucrières Métayers Producteurs Propriétaires 2 per. Mov. Avg. (Usiniers/Propriétés sucrières) Année Figure15 2.5: Superficie sous canne à sucre pour diverses catégories de producteurs de 1975 à 2009 Source : (CSO, 2010) Les usiniers/propriétés sucrières représentent les six dernières propriétés sucrières possédant des usines pour la transformation de la canne à sucre. Les métayers sont les producteurs qui louent à bail des terrains appartenant aux propriétés sucrières, et les producteurs propriétaires sont ceux qui possèdent les terres qu ils cultivent. Tous les producteurs de canne à sucre de Maurice doivent envoyer leurs récoltes aux usiniers dans leur région respective pour la transformation en sucre. 122

131 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Le nombre d usines est passé d un pic de 303 en 1863 (Manrakhan, 1997) à 6 usines en 2010 (Figure 2.6) Figure16 2.6: Nombre d usines sucrières en opération de 1789 à 2010 La figure 2.7 donne une indication de la production de sucre de 1980 à A noter une baisse importante en 1999 dû à une période de sécheresse en Fin du protocole sucre Tonnes de sucre Figure : Production de sucre de 1980 à 2010 Source : (CSO, 2010) 123

132 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Les structures d appui à la filière CAS Il y a de nombreuses organisations qui œuvrent pour soutenir la filière CAS (Tableau 2.4) Tableau : Les organisations au service de la filière CAS Organisation Fonctions Source de financement Mauritius Sugar Authority (MSA) Mauritius Sugar Industry Research Institute (MSIRI) Cane Planters and Millers Arbitration and Control Board Sugar Planters Mechanical Pool Corporation (SPMPC) Farmers Service Corporation (FSC) Mauritius Sugar Terminal Corporation (MSTC) Sugar Industry Labour Welfare Fund (SILWF) Formulation de politique et de stratégies pour la filière Recherche, développement, et vulgarisation Tests sur la canne à sucre envoyée aux usines; contrôle sur les poids; et arbitrage de différends entre producteurs et usiniers Fourniture des équipements et machines pour la préparation des terres des petits producteurs Service de vulgarisation Stockage et manipulation du sucre brut destiné à l exportation Bien-être social et facilités de loisirs pour les petits producteurs et de leurs familles Mauritius Sugar Syndicate (MSS) Commercialisation du sucre Sugar Insurance Fund Board (SIFB) Bagged Sugar Storage and Distribution Company (BSSDC) Irrigation Authority Assurance des récoltes Stockage, manipulation du sucre en sac pour l exportation et le marché local Implémentation et contrôle des projets d irrigation pour les petits producteurs Cess 10 Cess Cess 63% venant du cess 37% de la location des équipements /machines 80% venant du cess 20% de l état mauricien Cess 20% venant du cess 80% de la vente du sucre Fonds provenant de la vente du sucre Prime d assurance Financé par la Mauritius Sugar Syndicate L état mauricien pour les dépenses récurrentes ; et les fonds d aide bilatérales pour les dépenses d investissement 10 Le cess est une taxe prélevée sur les revenus du sucre exporté pour financer certaines organisations au service de la filière CAS 124

133 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Le protocole sucre : Entre grandeur, décadence et renouveau Le protocole sucre entre les pays ACP et l UE prit fin officiellement le 30 septembre On peut retracer l histoire du protocole sucre jusqu en 1919 avec le Imperial Preference System, qui est un droit de douane préférentiel pour le sucre venant des colonies de l empire britannique. En 1951, le Commonwealth Sugar Agreement fut signé entre le gouvernement britannique et Maurice pour fournir en sucre le Royaume Uni. La coopération ACP- Europe remonte à la signature du Traité de Rome en 1957 et prend forme à travers les deux conventions de Yaoundé en 1963 et 1969, les quatre conventions de Lomé (1975, 1979, 1984, et 1989), et enfin, la convention de Cotonou en C est à travers l adhésion du Royaume Uni à la Communauté Economique Européenne et la convention de Lomé I en 1975 que naquit le protocole sucre. Ce dernier donna à Maurice un quota garanti de tonnes de sucre à un prix équivalent de celui du marché européen pour une durée indéterminée. Avec le protocole sucre, Maurice, grâce à ses revenus importants provenant du secteur sucre, put se diversifier dans les secteurs de textiles et du tourisme. Dans les années 1990, les changements géopolitiques et un nouvel ordre économique mondial changèrent la donne. Cette période est aussi marquée par la création de l OMC en Ces changements bouleversent les relations EU-ACP. La commission européenne (CE) fait comprendre aux pays ACP qu elle est en contravention avec les règles de l OMC en accordant des préférences commerciales aux ACP. Afin de protéger son marché intérieur et de maintenir la marge préférentielle des pays ACP, l UE demande une dérogation à l OMC qui fut obtenue en 1995, et reconduite de 2001 à Le coup de grâce au protocole sucre est donné par le panel constitué du Brésil, de la Thaïlande et de l Australie en pour dénoncer le régime sucrier européen. L UE perd cette affaire et se voit obligée de réformer son régime sucrier en baissant les prix d une totalité de 36% sur quatre ans, et en coupant les quotas internes jusqu en septembre Le 125

134 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES régime sucrier de l UE et le protocole sucre étant étroitement liés, les répercussions sont énormes pour les pays ACP, malgré les mesures d accompagnement proposées par l UE. Avec la fin du protocole sucre, les exportations de sucre vers l Europe furent encadrées par un nouvel accord commercial, l Accord de Partenariat Economique (APE). Cet accord prévoit des quotas régionaux à l inverse des quotas nationaux sous le protocole sucre. Ainsi, Maurice s est jointe au Zimbabwe dans la région de l Afrique Orientale et Australe (Eastern and Southern Africa) et obtenu un quota d environ tonnes de sucre sur la période 2009 à 2011, et tonnes de 2011 à La fin du protocole sucre est considérée par la filière CAS comme le début d une ère pour la filière avec de nombreux projets déjà implémentés et de nouveaux défis à relever Les politiques publiques des colonies à nos jours La réforme de la filière CAS a débuté en 1859, mais a pris de l essor à partir de 1984 avec une stratégie nationale de l Etat pour développer ce secteur. En 1988, une étude sur l efficience de l industrie sucrière fut effectuée et permit de faire adopter une loi appelée la Sugar Industry Efficiency Act (SIE). Un programme de développement de la bagasse comme source d électricité fut instauré en En 1994, un arrangement fut parvenu entre le gouvernement et les producteurs sucriers : l état mauricien accepta d abolir la taxe de sortie à l exportation sur le sucre et les usiniers acceptèrent de démocratiser les usines en vendant 20% des actions des usines aux employés et aux producteurs à travers un fond d investissement, la Sugar Investment Trust (SIT). En 1997, il y eut une étude sur la centralisation des usines sucrières (Blue Print on Centralisation of Sugar Milling Operations in Mauritius). A l issue de ce rapport, trois usines furent fermées jusqu en 2000; un accord commercial fut signé entre l état et les usiniers concernant l achat d électricité provenant de la bagasse auprès des usines sucrières pendant la période où les usines transforment la canne à sucre ; et auprès de centrales thermiques 126

135 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES fonctionnant pendant toute l année et utilisant aussi bien la bagasse que le charbon pour produire l électricité. Pendant la période 1996 à 2000, le problème d irrigation dans les plaines du nord de Maurice fut résolu avec la construction d un barrage ; et la réhabilitation de canaux et de réservoirs. En 2001, l état mauricien publia un rapport stratégique sur le secteur sucre (Sugar Sector Strategic Plan ). Ce plan stratégique revisita la loi SIE. Les points importants du plan étaient : l implémentation du plan de retraite volontaire (Voluntary Retirement Scheme- VRS) d environ employés du secteur ; la fermeture de trois usines sucrières ; et la signature d un accord pour l achat d une nouvelle centrale thermique. Cependant le coût du VRS endetta la filière sucre considérablement. En 2005, l état mauricien publia un plan stratégique intérimaire et demanda à un cabinet de consultant étranger de viser ce plan. Après cette étude, deux plans d actions furent soumis au gouvernement mauricien : le plan d action accéléré et le plan de route de l industrie sucrière mauricienne pour le 21 e siècle. Ces deux rapports furent soumis à la commission européenne lors des négociations pour les mesures d accompagnement de l UE suite à la réforme du régime sucrier. En avril 2006, l état mauricien publia un nouveau plan stratégique et actionnable pour la période 2006 à 2015 (Multi Annual Adaptation Strategy Action Plan , MAAS). Le MAAS a été le fruit d un dialogue entre tous les partenaires de la filière CAS pour trouver un consensus et pour que chaque acteur concerné s approprie les stratégies énoncées dans le plan. Ce plan est une réaction des autorités mauriciennes et des acteurs clés de la filière CAS à l annonce de la réforme du régime sucrier européen qui a résulté en une baisse de 36% du prix du sucre vendu sur le marché de l UE. Les stratégies du MAAS sont élaborées dans la section Il est à noter que le MAAS fut élaboré en 2006 dans un contexte économique difficile pour Maurice ayant à faire face à un déficit budgétaire très important ; et à l érosion des préférences dans le secteur sucre et textiles (démantèlement des accords multi fibres). 127

136 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES La filière canne à sucre post-réforme protocole sucre Pourquoi la canne à sucre a-t-elle été une culture à succès? A ce stade de la description de la filière CAS, il est important de se poser la question suivante : pourquoi la culture de la canne à sucre est presque tricentenaire à Maurice? Qu estce qui a fait le succès de cette filière? Pourquoi continue-t-elle de perdurer malgré la réforme du protocole sucre? Les raisons sont multiples : 1. La canne à sucre est plus qu une culture de rente, elle a en effet un rôle multifonctionnel qui s étend aux sphères économiques, sociales, énergétiques et environnementales. Rôle économique: Les rentes provenant de l exportation du sucre sont de l ordre d US $ 300 million par année. Ces revenus permettent le développement d autres secteurs de l économie mauricienne ; et aident à la stratégie de sécurité alimentaire en contribuant à la facture des importations alimentaires à la hauteur de 65%. Rôle socio-économique : Quelques personnes sont employées directement dans la filière CAS. Au moins personnes dans les régions rurales sont impliquées directement ou indirectement dans la filière. Cela a permis d éviter l exode rural vers les villes et réduire le problème d urbanisation dans un pays où la densité de la population est élevée, 650 personnes par km 2. Rôle énergétique : L utilisation de la bagasse comme combustible a contribué à la demande énergétique de Maurice. Rôle environnemental : La canne à sucre est connue pour être un bon capteur de dioxyde de carbone dans l atmosphère, ce qui rend cette culture en ligne avec le protocole de Kyoto, dont Maurice est un pays signataire. La culture de la canne à sucre utilise un minimum d intrants chimiques (fort accent sur le contrôle biologique des ravageurs). Cette culture pérenne aide à 128

137 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES la conservation des sols en évitant l érosion. Ceci a des effets positifs indirects sur d autres secteurs d activités tels que la pèche, et le tourisme. La culture de la canne à sucre a aussi des effets esthétiques qui sont importants pour l industrie touristique. 2. La résistance de la culture de la canne à sucre aux forts vents cycloniques, aux pestes et aux maladies a fait de cette culture commerciale une des plus rentables à long terme. Il est bon de rappeler que plusieurs autres cultures ont été essayées depuis le début de la colonisation de Maurice mais que plusieurs ont été abandonnées après de coûteux projets de recherche et d essais de terrain car non-viables économiquement ou peu résistants aux conditions agro-climatiques du pays. 3. Le marché d exportation a été assuré par des accords commerciaux préférentiels, assurant ainsi des revenus stables aux producteurs. 4. Cet environnement stable a permis des investissements substantiels dans la recherche, la technologie et les gains d efficience pour la filière CAS. 5. Les revenus dérivés de la filière CAS ont permis à Maurice de diversifier son économie (secteur manufacturier, tourisme et services). Comme le montre la figure 2.8, le sucre a eu d importantes contributions au PIB de Maurice bien que cette contribution ait baissé au fil des années, comme nous l avons montré dans le précédent chapitre. 129

138 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Figure18 2.8: Contribution de la filière sucre au PIB La filière CAS a aussi adopté une politique double de diversification : dans le secteur sucre (utilisation optimale des sous-produits ; production de sucres spéciaux ; utilisation optimale des interlignes des champs de canne à sucre et des terres en rotation pour la production de légumes) et hors sucre (investissement dans l immobilier, l hôtellerie) Qu a fait la filière CAS face à la menace de la réforme du protocole sucre? Vu l importance de la filière CAS dans le paysage mauricien, les acteurs clés de la filière aussi bien que le gouvernement mauricien ont réagi bien en amont de la réforme du protocole sucre ; et pris les mesures nécessaires pour la survie de la filière. Ces mesures ont pris la forme d un plan stratégique pour la filière CAS, le Multi Annual Adaptation Strategy (MAAS) et sont brièvement décrites ci-dessous : La transformation de la filière CAS en un pôle de développement avec pour objectif de passer de la production du sucre brut à la production de différents types de sucres : brut, spéciaux, et raffiné ; d optimiser le potentiel de la filière dans sa contribution à la 130

139 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES production d électricité pour Maurice ; et la production de biocarburant, l éthanol de la mélasse. La mise sur pied d un secteur compétitif, viable et durable. La réduction de la dépendance de Maurice sur l importation d huile lourde pour sa production d électricité. Le soutien à la filière CAS pour encourager son apport multifonctionnel à Maurice tant sur le plan économique, environnemental et social Quid de la diversification agricole de la filière CAS? Le déclic est venu de l industrie sucrière qui ayant bénéficié de bons revenus à travers la culture de la canne à sucre pendant de nombreuses années, y a consacré les meilleures ressources, et a considéré les sous-produits de la canne à sucre et les autres cultures agricoles comme concurrentiels à la production du sucre brut. Avec l érosion des préférences commerciales, l industrie sucrière a du relativiser l importance de la canne à sucre. Avec les nombreux échecs au fil des décennies par rapport aux autres cultures agricoles (voir section ), la filière CAS a continué à utiliser les interlignes et les terres en rotation pour les cultures autre que la canne à sucre. De plus, l accent est surtout mis sur la production de légumes car les différents projets et essais ont démontré la non-viabilité économique de produire à grande échelle des cultures telles que le riz, le maïs, le blé et certains fruits. La révision de la loi SIE en 2001 a permis d augmenter les cultures vivrières en donnant accès aux terres de rotation aux petits producteurs pour la production de légumes. Les propriétés sucrières se sont concentrées sur des cultures mécanisables telles que la pomme de terre, la carotte, et la pomme d amour. Le MAAS prévoit que dans l optique d augmenter les cultures vivrières à Maurice, des superficies additionnelles de terres sous canne à sucre seront libérées. 131

140 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES La figure 2.9 montre la baisse dans les superficies de terres sous canne, une baisse qui coïncide avec l annonce de la réforme du protocole sucre. Figure19 2.9: Superficie sous canne à sucre de 1980 à 2010 Source : (MCA, 2010) Comme le démontre la figure 2.10, la superficie sous production agricole est passée de 46% à 43%, les 3% de moins représentant les terres sous canne à sucre qui ont été abandonnées ou reconverties pour des activités non-agricoles (CSO, 2010). Cela est dû à la centralisation des usines et utilisation d une partie des terres pour compenser les employés qui ont pris leur retraite volontaire. Zones de construction 20% Routes 2% 1995 Plantation de canne à sucre 41% Zones de construction 25% Champ de cannes abandonnés 3% 2005 Plantation de canne à sucre 39% Réservoirs et lacs 1% Forets et paturages 31% Plantation de thé 2% Autres activités agricoles 3% Routes 2% Réservoirs et lacs 2% Forets et paturages 25% Plantation de thé 0% Autres activités agricoles 4% Figure : L utilisation des terres à Maurice entre 1995 et 2005 Source : (MOE, 2006) 132

141 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Le danger est surtout du côté des petits producteurs de canne à sucre qui n y voient plus une entreprise rentable et qui préfèrent soit laisser les champs à l abandon ou bien convertir les terres dans d autres secteurs d activités. Bien que la contribution de la filière CAS aux produits agricoles diminue au fil des années, de 50% en 2006 à 31,5% en 2010 (Figure 2.11), cette filière a encore un bel avenir de par son importance comme décrite dans les sections précédentes. Figure : Contribution de la filière CAS au secteur agricole de 2006 à 2010 en % Source : (CSO, 2010) Cette section décrit la filière canne à sucre comme une filière très structurée avec un encadrement au niveau de l état mauricien aussi bien qu au niveau du secteur privé. Cette filière s est construite au fil des décennies et les principaux acteurs, les gros et les petits producteurs sucriers, œuvrent dans un cadre technique très sophistiqué, développé par de longues années de recherche tant au niveau des techniques de production au champ, qu au niveau de la transformation de la canne à sucre dans les usines sucrières. Le protocole sucre entre l UE et les pays ACP a permis à cette filière de se développer et d atteindre des hauts niveaux de performance. Cependant la réforme du protocole sucre a tout remis en question, et a forcé les acteurs de la filière à considérer la diversification des produits de la filière comme une option rentable et durable pour la filière, et une façon de se reconstruire autrement. 133

142 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES SECTION 3 : Notre champ organisationnel-la filière légumes Cette section présentera les principales caractéristiques de la filière légumes, ses produits et acteurs principaux ainsi que ses nombreux défis. 2.4 La filière légumes La filière légumes est une filière commerciale relativement récente par rapport à la filière canne à sucre. La production de légumes pour le marché a augmenté avec la diversification des différents secteurs d activités non agricoles et le besoin d approvisionner les habitants en légumes frais Description de la filière Question de définition Il nous faut une fois de plus bien expliciter le choix du terme filière légumes car dans le contexte mauricien il y a une différence entre les légumes frais appelés aussi cultures vivrières pour lesquelles le pays est autosuffisant, et les légumes tels que l oignon, l ail et la pomme de terre qui sont importés pendant certaines périodes de l année et qui sont stockés en chambre froides. Nous avons donc choisi de nous référer au terme légumes qui englobent les produits qui constituent le CO de notre recherche Production Les plantations de légumes se font à travers Maurice dans les zones arides comme dans les zones humides. Une grande partie de la production (40%) se fait par des producteurs à temps plein tandis que le reste se fait par des producteurs qui sont employés dans d autres secteurs d activités et qui cultivent des légumes à temps partiel. La production des légumes frais se fait essentiellement par de petits producteurs (moins de 0, 25 hectares) avec très peu d exploitations dépassant les 5 hectares. 134

143 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES La production de légumes augmente continuellement de 1980 à Une baisse est notée pendant la période 1986 à 1988 suivie d une nouvelle croissance dans la production de tonnes en 1989 à tonnes en Figure : Superficie sous culture et production de légumes de 1980 à 2009 Cette augmentation est attribuée aux plus grandes superficies sous culture, et aussi une amélioration des techniques de production (Figure 2.12) 135

144 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES En 2001, la production de légumes était à tonnes représentant une croissance moyenne de 5% sur la période de 1995 à Les prix des légumes sont saisonniers, avec des pics de février à avril Les produits Les légumes qui ont une grande importance à l île Maurice comprennent : la pomme de terre, l oignon, la tomate (pomme d amour), la carotte entres autres. La pomme de terre : Production : tonnes Demande : tonnes Importation : tonnes (exclusivement de l Inde) Objectif de l état : Produire localement tonnes en 2011 Produire 5000 tonnes dans la région Pour produire les tonnes de pomme de terre, il faudrait 250 hectares de terres additionnelles. Il faudrait aussi des capacités de stockage de froid pour environ 6000 tonnes de pomme de terre pour les besoins hors saison. Ces capacités de stockage existent à l AMB. L oignon: Production : 6000 tonnes (1600 tonnes variétés locales et 4400 variétés à haut rendement) Les propriétés sucrières contribuent 30% à la production locale et la différence vient des petits planteurs. Demande : tonnes Importation : tonnes (exclusivement de l inde) Objectif de l état : Produire localement tonnes en 2011 Produire 4000 tonnes dans la région 136

145 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Pour produire les tonnes d oignon, il faudrait 190 hectares de terres additionnelles en Il faudra aussi mettre sur pied 4 unités de fumage de 500 tonnes chacune. Légumes frais (autres que pomme de terre et oignon) 171 hectares ont été identifiés pour augmenter la production de légumes frais (autre que la pomme de terre et l oignon) de 3500 tonnes pour la consommation locale. Cependant, étant déjà autosuffisant en légumes frais pour la consommation finale, il est important de bien planifier la plantation des légumes pour ne pas déstabiliser le marché par une surproduction. Tomate (ou pomme d amour) La production annuelle de la tomate est de 14, 700 tonnes sur une superficie de 935 hectares. Le prix de la tomate varie de MUR 13 le kg à MRU 105 le kg dépendant de la disponibilité du produit sur le marché. Il est estimé que la production de la tomate doit grimper à tonnes en 2015 pour répondre aux besoins de la population et du secteur du tourisme. Crucifères: Chou et Chou-fleur Parmi les crucifères les plus communs produits localement, nous retrouvons le chou, le choufleur et le brocoli. La consommation par tête d habitant tourne autour de 4 à 5 kg pour le chou et de 2 à 3 kg pour le chou-fleur ; tandis que la production totale 6000 tonnes pour les deux légumes. Maurice est auto-suffisant en ce qui concerne le chou et le chou-fleur. Cependant, il est prévu d augmenter la superficie sous production de ces deux légumes par 90 hectares pour fournir le secteur touristique. Carotte La consommation par tête d habitant de carotte est en moyenne de 4 kg avec une demande tournant autour de 4300 tonnes par année. La carotte est consommée sous différentes formes, frais, surgelées, sous forme de jus, ou en boîte. Environ 3 à 4 tonnes de carottes transformées 137

146 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES sont importées annuellement. Il est estimé qu il faudrait 350 hectares de terres pour viser une production de 5610 tonnes de carottes en Maïs Le maïs, utilisé pour la consommation humaine et comme aliment dans les productions animales, est cultivé soit en plein champ, soit dans les interlignes de la canne à sucre. A partir de 1986, les superficies sous maïs se sont réduites à cause du maïs importé qui coûte moins cher. Autour de tonnes de maïs en grains sont importées de l Argentine à un coût de MUR 386 millions. Ces dernières années, la production de maïs a décliné en moyenne par 350 tonnes localement, et est limitée aux épis de maïs destinés au marché local Les acteurs de la filière légumes Les acteurs principaux de la filière légumes sont au niveau de la production: les petits, moyens et gros producteurs (incluant ceux de la filière CAS qui cultive les légumes en interlignes); au niveau de la distribution, les grossistes et les mandataires (marché de gros), et les détaillants (grande distribution). Au niveau des structures d appui il y de nombreuses organisations publiques et privés qui apportent un soutien technique et administratif aux producteurs (Voir section ) Les structures d appui au secteur agricole La filière légumes est composée d une diversité d acteurs qui donnent un soutien technique ou d ordre professionnelle aux producteurs et/ou aux distributeurs de légumes. Ces acteurs proviennent d organisations publiques (recherche, vulgarisation) et d organisations privées, (fournisseurs d intrants, association de producteurs). Les détails sur leurs objectifs et activités sont fournis dans les tableaux 2.5, 2.6 et 2.7 en Annexe

147 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Les structures de commercialisation 60% des tonnes de fruits et légumes frais produites annuellement passent à travers les marchés de gros. Il y a une grande dépendance des petits producteurs par rapport aux intermédiaires (grossistes et mandataires). Ces petits producteurs perçoivent en moyenne un revenu qui représente 30-40% du prix final de revente. En vue de ces problèmes sus mentionnés, le gouvernement a décidé de mettre sur pied un marché de gros national en appliquant les normes d hygiène nécessaires tout en réduisant le gaspillage en encourant la manipulation adéquate des produits frais périssables. Ce marché sera placé sous l autorité de l AMB Les défis de la filière légumes Les défis et les contraintes auxquels doit faire face la filière légumes sont nombreux et se trouvent au niveau de la production, de la commercialisation, et des structures d appui. Au niveau de la production, les contraintes sont les suivantes : Difficultés à moderniser les techniques de production pour faire face aux exigences du marché domestique. Les coûts élevés des intrants, essentiellement la main d œuvre et les fertilisants/pesticides Peu de mécanisation et de facilités d irrigation Très peu de planification nationale de la production ce qui donne lieu à des périodes de surabondance ou de pénuries. Abandon des terres sous production ou perte de la main d œuvre pour d autres secteurs plus rémunérateurs. Echec dans les diverses tentatives de regroupement des petits producteurs ce qui empêche la mise en place de projets communs de mécanisation et d irrigation 139

148 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Résistance des petits producteurs aux changements (difficulté à adopter des moyens de gestion modernes de la production) Au niveau de la commercialisation, il y a très peu de liens formels entre les producteurs et les distributeurs. Au niveau des structures d appui, il y a un manque de coordination et de vulgarisation de l information qui ne permet pas de répondre de manière efficiente aux attentes et besoins des acteurs de la filière légumes. 2.5 La problématique générale La description de la filière CAS et de la filière légumes nous donne un aperçu du fonctionnement des deux filières, et des contraintes et défis auxquels elles doivent faire face toutes les deux. Nous notons l implication de l Etat dans la filière CAS compte tenu de son importance économique pour Maurice. Nous notons aussi les réactions des politiques publiques pour garantir une politique de sécurité alimentaire pour le pays. Mais ce qui nous intéresse c est comment la réforme du protocole sucre a été un choc exogène indirect pour la filière légumes de par l entrée sur le marché des légumes de gros producteurs et distributeurs issus de la filière CAS. Notre problématique générale découle de ce constat. La libéralisation économique des marchés protégés peut être un des facteurs exogènes conduisant à un changement institutionnel (Zhao et al., 2006, Aulakh et Kotabe, 2008). Des pressions venant des organismes tels que l OMC, la Banque Mondiale, et le Fonds Monétaire Internationale ont poussé à la libéralisation des économies des pays en voie de développement (PVD) et leur intégration dans l économie globale. Il y a eu des transformations au niveau des organisations pour que ces dernières puissent s adapter à un nouvel environnement compétitif. Dans le contexte de notre recherche, des pressions de l OMC sur l UE pour abolir les prix préférentiels accordés aux pays ACP ont forcé des pays comme Maurice à réorganiser le secteur sucre pour mieux s adapter à un environnement global compétitif. La baisse du prix du sucre de 36% par rapport au prix préférentiel du protocole sucre a automatiquement engendré des baisses de revenus pour les producteurs sucriers. Certains petits producteurs 140

149 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES sucriers, qui sont en activité à temps partiel, ont abandonné leur terre sous production de canne à sucre ou se sont tournés vers des développements fonciers, ne trouvant plus la production sucrière rentable. Les gros producteurs sucriers n étaient pas trop encastrés (Newman, 2000) dans leur environnement institutionnel passé, et ont pu s en défaire pour s adapter aux nouvelles règles du jeu. Le secteur sucre a eu quelques années pour se préparer à la fin du protocole sucre et a aussi bénéficié des mesures d accompagnement en terme de fonds d aide de l UE pour financer des projets de diversification en sous-produits de la canne (production de sucres spéciaux, production de biocarburant, et centrale thermique à partir de la bagasse etc.) mais aussi diversification dans la production horticole (fruits, légumes et ornementaux). Les aides financières de l UE ont ainsi permis aux sucriers d épierrer les terrains marginaux pour permettre la mécanisation des terres difficiles et l installation de systèmes d irrigation sophistiqués. Cela a favorisé la mise en place de productions horticoles de grande envergure. Les sucriers ont visé dans un premier temps la production de produits frais non périssables tels que la pomme de terre et l oignon pour répondre à un manque de ces produits sur le marché mauricien à certaines périodes de l année, et aussi pour bénéficier des mesures incitatives mises en place par l état pour promouvoir la production de ces légumes. Inscrit dans ce contexte, notre travail a pour objectif de comprendre le travail institutionnel des acteurs de la filière sucre qui ont investi la filière légumes avec leurs logiques institutionnelles, et les effets sur le cadre institutionnel de la filière qui a été envahie, ainsi que le travail institutionnel des acteurs en place. Cette section nous a permis d observer que la filière des légumes est très peu structurée malgré un encadrement technique de haut niveau par un organisme public de recherche et de vulgarisation. C est une filière qui connaît un vieillissement des producteurs avec une relève pas toujours assurée, et une production qui est restée fortement traditionnelle surtout au niveau des petits producteurs. Nous avons pu à la fin de cette section, affiner notre problématique générale par rapport au contexte de notre travail de recherche. 141

150 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 2 : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE : LES FILIERES CANNE A SUCRE ET LEGUMES MAURICIENNES Conclusion du chapitre 2 Ce chapitre nous a permis de bien cerner les enjeux des filières CAS et légumes. Au départ ce sont deux filières qui ont certes des liens historiques et une certaine perméabilité mais elles opèrent chacune dans un cadre institutionnel différent. Nous avons vu que le niveau de structuration de la filière CAS est élevé, et qu elle a une grande capacité à s adapter à des chocs externes. Cela est du à un soutien très fort de l état mauricien à l industrie sucrière qui était jusqu à récemment l un des piliers majeurs de l économie mauricienne. La réforme du protocole sucre entre les pays ACP et l UE a remis en question la filière CAS. Cependant grâce aux mesures d accompagnement de l UE, les acteurs principaux (usiniers-producteurs et gros producteurs sucriers) de la filière CAS ont pu diversifier cette filière vers d autres produits à valeur ajoutée tels que l énergie, les sucres spéciaux, le biodiesel entres autres. Une partie des terres sous canne à sucre a été utilisée pour la culture de légumes. Ainsi nous avons observé l émergence de nouveaux entrants dans la filière légumes avec des technologies modernes de production, des ressources conséquentes en termes de capitaux, de main d œuvre et de terres. Ces nouveaux entrants ont apporté des changements dans la filière légumes. En revanche et malgré des efforts de l état depuis les années 1970s en faveur de la diversification agricole hors sucre, le secteur non-sucre incluant la filière légumes, est relativement peu développé, et fait face à de nombreux défis qui ralentissent sa modernisation. Au niveau de la production, les techniques utilisées pour la plupart des petits et moyens producteurs sont traditionnelles ; au niveau de la commercialisation, il y a très peu de liens formels entre les producteurs et les distributeurs, et au niveau des structures d appui, il y a un manque de coordination qui ne permet pas de répondre de manière efficiente aux attentes et besoins des acteurs de la filière légumes. Pour nous aider à mieux appréhender les changements intervenus dans la filière légumes, nous avons entreprit un terrain exploratoire dont nous présenterons les résultats dans le prochain chapitre. Les apports du terrain exploratoire nous aideront à développer nos propositions de recherche. 142

151 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Chapitre 3 : Les propositions de recherche Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière

152 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Chapitre 3 : Les propositions de recherche Introduction Notre revue de littérature autour de la sociologie néo-institutionnelle dans les études organisationnelles nous oriente vers deux niveaux d analyse : premièrement une méso-analyse au niveau du champ organisationnel d une filière de production, et deuxièmement une microanalyse pour comprendre le travail institutionnel qui se fait au niveau des acteurs individuels ou organisationnels de cette filière. Basé sur les éléments de la littérature sur la SNI et les données secondaires sur notre champ organisationnel, la filière légumes, nous avons pu élaborer une problématique générale et des questions de recherche plus précises. Cependant, il nous a semblé pertinent avant de nous lancer dans une étude empirique poussée, d avoir quelques données de terrain exploratoire pour nous aider à mieux formuler nos propositions de recherche. Ce chapitre est divisé en deux sections : la première section présentera la démarche de notre terrain exploratoire, les résultats que nous avons obtenus et l apport de ces résultats à notre compréhension de notre champ organisationnel, la filière légumes ; et la deuxième section présentera nos propositions de recherche basées conjointement sur notre revue de littérature et les apports de notre terrain exploratoire. 144

153 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE SECTION 1 : Terrain exploratoire du champ organisationnel : Résultats et apports Cette section présentera la démarche de notre terrain exploratoire par rapport à la méthodologie utilisée, et les sources de données. Nous décrirons ensuite les principaux résultats relatifs aux principaux acteurs de la filière légumes, la structure de la filière, les piliers institutionnels qui existent dans cette filière. Nous terminerons cette section en précisant les apports du terrain exploratoire à une meilleure compréhension de notre champ organisationnel ce qui nous permettra de formuler nos propositions de recherche. 3.1 Présentation de l étude exploratoire En se basant sur ce cadre théorique et notre problématique, nous décidons d effectuer un terrain exploratoire pour nous permettre de mieux appréhender les enjeux de la filière légumes face à l arrivée des nouveaux entrants venant de la filière sucre : Méthodologie de l étude exploratoire Nous avons donc conduit des enquêtes exploratoires avec un guide d entretien organisé autour de trois grands thèmes : Identification des rôles et fonctions des acteurs principaux de la filière légumes ; identification des piliers institutionnels de la filière ; Identification des principaux nouveaux entrants et leurs rôles et fonctions dans la filière légumes. La structure du guide d entretien est donnée en Annexe 2. Nous avons tout d abord contacté l organisme public responsable de la vulgarisation de la recherche sur la canne à sucre auprès des petits producteurs sucriers, la Farmers Services Corporation (FSC). Notre démarche était basée sur la compréhension de l impact qu à eu la réforme du protocole sucre au niveau des petits producteurs de la filière sucre. Suite à cet entretien, nous avons établi que les petits producteurs de la filière sucre n étaient pas directement affectés par la réforme du protocole sucre étant donné que la majorité d entre eux sont des producteurs à temps partiel, et ils ne dépendent pas directement des revenus provenant de la culture de la canne à sucre. 145

154 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Nous avons donc été orientés vers les gros producteurs sucriers et essentiellement les usiniersproducteurs qui sont directement concernés par cette réforme. Pour identifier les acteurs principaux de la filière sucre qui se sont diversifiés dans la filière légumes, nous avons contacté la division de vulgarisation des recherches sucrières pour les gros producteurs sucriers et usiniers-producteurs, de l organisme de recherche sucrière, la MSIRI. Nous avons ainsi pu identifier à l issue de cette entretien deux acteurs principaux qui sont des nouveaux entrants dans la filière légumes : un usinier-producteur qui s est diversifié dans les légumes à grande échelle ; et un regroupement de quatre usiniers-producteurs qui se sont associés pour la production et transformation des légumes. Nous avons ensuite contacté l organisme public de recherche et de vulgarisation auprès des producteurs agricoles (non-sucre), l AREU, avec pour objectif de cerner les principaux acteurs de la filière légumes. Nous avons ainsi identifié des acteurs au niveau de la production (5 petits producteurs, 2 gros producteurs, et 2 associations de producteurs) ; au niveau du circuit de distribution des légumes (3 mandataires, 2 grossistes, 2 détaillants, 2 entreprises de distribution, 2 hypermarchés), et finalement au niveau de la consommation de légumes (2 hôtels de luxe, 1 agro-industrie). Nous présenterons ci-dessous les principaux résultats qui ressortent de cette étude exploratoire et nous les complèterons par des données secondaires sur la filière légumes Les résultats de l étude exploratoire La filière légumes (FL) a deux domaines principaux d activités: la production en amont de la filière et le circuit de distribution en aval. Les acteurs, autres que les producteurs et distributeurs, qui ont un rôle important dans ce champ organisationnel inclut les associations de producteurs, les organismes publics de recherche agricole, et les clients principaux tels que la grande distribution et les hôtels. Figure 3.0 illustre la FL comme un champ organisationnel avec des acteurs ayant un but commun, la production, distribution et vente de légumes comme une activité économique. 146

155 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Niveau macro-économique Association de consommateurs Organismes régulateur Organismes public Niveau méso économique Fournisseurs d intrants Domaine de Production A Domaine de Distribution Fournisseurs d intrants Figure : La filière légumes mauricienne Le domaine de production consiste de petits, moyens et gros producteurs, tandis que le domaine de la distribution inclut les grossistes, mandataires, et détaillants. L intersection entre ces deux domaines (A) représente les acteurs qui sont impliqués dans les deux types d activités. Au bout de la chaîne nous retrouvons les clients (consommateurs mauriciens et hôtels de luxe) Les autres acteurs importants au niveau macroéconomique sont les organismes publics (l état, les organismes de recherche, les organismes régulateur), et les associations de consommateur Les acteurs économiques de la filière légumes Les principaux acteurs économiques de la filière légumes sont les producteurs de légumes en place, les grossistes, les mandataires, les détaillants et les clients tels que les hôtels de luxe et la grande distribution. Suite à un entretien avec un agro-industriel, il se trouve que les agroindustries en activité dans la transformation de légumes, dépendent à 99% des matières premières importées, et l agro-industrie n a donc pas été considérée ici comme un acteur clé dans la filière légumes. Nous donnons ci-dessous une brève description de ces acteurs : 147

156 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Les producteurs peuvent être catégorisés en petit exploitant (moins de 0,42 hectares), moyen exploitant (de 0,42 à 5 hectares), à gros exploitant (plus de 5 hectares). La majorité de ces producteurs produisent en plein champ, et leurs exploitations sont très peu mécanisées. Les petits et moyens exploitants sont pour la plupart propriétaires de leur terrain, tandis que les gros exploitants louent une partie de leur terrain auprès de particuliers, d usiniers-producteurs de la filière sucre, ou louent des terrains à bail appartenant à l état. Les grossistes-particuliers sont pour la plupart des négociants (ou marchands) qui agissent à un niveau individuel et vont négocier l achat des légumes directement aux champs. Ils forment un maillon important dans la filière car ils représentent le lien entre le petit et moyen producteur et le mandataire, et permettent de compenser le manque de logistique au niveau de la production. Il y a cependant l émergence de nouveaux types de grossistes qui ont formé des sociétés de distribution. Ils ont investi dans des stations de conditionnements, des chambres froides, et des véhicules réfrigérés, et s approvisionnent directement auprès des producteurs ou à travers les marchés de gros. Ils importent aussi certains légumes non disponibles sur le marché local. Ces grossistes acheminent leurs produits de qualité essentiellement vers les hôtels de luxe. Les mandataires sont des agents privés qui officient dans les marchés de gros. Leur rôle est essentiellement de vendre, pour le compte des producteurs, les légumes aux enchères deux fois par semaine. Ils agissent donc au nom du producteur et perçoivent une commission de 10% sur le prix final de vente. Les mandataires ont aussi un rôle social très important car ils assurent une disponibilité de liquidités aux producteurs pour financer l achat d intrants. Ce même service est étendu aux grossistes qui achètent les légumes dans les marchés de gros. Les mandataires représentent ainsi un maillon fort de la filière car 80% des légumes transitent à travers les marchés de gros. Les détaillants se trouvent être l avant dernier maillon de la filière avant les consommateurs qui achètent dans les foires et marchés urbains et ruraux. Ces détaillants achètent essentiellement les légumes auprès de mandataires, quoique certains détaillants soient euxmêmes des petits producteurs qui viennent vendre directement leurs légumes dans les foires et marchés. 148

157 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Il faut noter à ce stade que les mandataires et grossistes-particulier peuvent avoir plusieurs fonctions. En effet, les filières de distribution autrefois cloisonnées se sont complexifiées et, aujourd hui, il n est pas rare de voir une même entreprise assurer plusieurs fonctions (production, importation, expédition, vente au détail). Ces fonctions de distribution ont un coût, financé par une marge. Les hôtels de luxe à l île Maurice, qui ont une importance capitale dans l industrie locale de tourisme haut de gamme, ont un besoin journalier en produits de qualité. Les chefs cuisiniers dans les chaînes d hôtel font appel à des centrales d achat avec un cahier des charges et des exigences bien précis, et préfèrent avoir affaire à des grossistes spécialisés dans la vente aux hôtels qu acheter directement aux producteurs pour des raisons de qualité et de régularité. Le secteur de la grande distribution (GD) à l île Maurice est composé de trois hypermarchés internationaux, et de plusieurs chaînes de supermarchés locales. La GD s est lancé dans la promotion des légumes il y a une dizaine d années. Elle vise une clientèle de professionnels qui n a pas le temps de fréquenter les foires et marchés traditionnels, et proposent aussi des produits en découpe, frais et emballés. Nous terminons cette partie sur les acteurs clés de la FL en nous tournant vers les consommateurs mauriciens qui sont les derniers maillons de la filière et représentent quand même le plus gros marché pour les légumes non transformés. Les habitudes alimentaires mauriciennes associées aux différentes cultures et religions présentes dans l île, donnent une importance particulière aux légumes tout au long de l année, et bien que l emphase ne soit pas sur des produits de qualité (le prix étant un facteur déterminant), il y a donc une forte demande locale pour les légumes et dans les marchés de proximité Structure de la filière légumes Les légumes qui ont une grande importance à l île Maurice comprennent entres autres la pomme de terre, l oignon, la tomate (nom local : pomme d amour), la carotte, et les cucurbitacées. La filière légumes garde une structure composite, c est à dire, qu il y a une coexistence de plusieurs systèmes de production et différents types de producteurs, de même 149

158 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE que différents types de commercialisation et de vente au détail, et diverses modes de régulation de la filière. En se basant sur la catégorisation de Codron (1994) nous avons identifié trois types de circuits de production : Les circuits courts : Dans ce type de circuit, nous avons le producteur vendeur qui commercialise directement ses légumes soit au consommateur (vente à la ferme ; vente au bord des champs) ; soit en livraisons aux clients tels que des détaillants (en direct ou sur marché de gros) ou des restaurateurs (en direct) en particulier pour des légumes fragiles ; ou soit sur des marchés de détails. Les circuits de marché physique (ou circuits longs) : Ces circuits sont constitués de négociants ou grossistes (particuliers ou sociétés) spécialisés en légumes qui s approvisionnent auprès des producteurs aux champs et acheminent les produits par les marchés de gros et débouchent sur les marchés de détails urbains (supermarchés, hypermarchés) et les boutiques spécialisées. Il y aussi les producteurs expéditeurs qui envoient leurs légumes directement au marché de gros pour la vente à travers les mandataires. Il est à noter que l accès aux marchés urbains et ruraux est réglementé par les autorités locales. Les détaillants détiennent un permis qui les autorise à vendre les produits sur les étals. Cependant, les producteurs qui vendent leurs légumes à travers le marché de gros ne sont pas enregistrés auprès d une autorité régulatrice. Les circuits intégrés hors marchés: Ces circuits sont souvent associés à des productions de légumes en plein champ ou sous serres et des stations de conditionnement connexes gérées par des sociétés de distribution en amont et qui approvisionnent des supermarchés et/ou des hôtels de luxe. La filière légumes dans le contexte mauricien pourrait donc être représentée schématiquement comme dans la Figure 3.1. Ce schéma permet de repérer les flux des produits des producteurs aux consommateurs. 150

159 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Niveau de la production Vente au Gros Vente au détail Détaillants marchés (31%) Producteurs légumes (moins de 0,42ha) 50% camionneurs Marchés de gros Détaillants foires (31%) Boutiques, marchands ambulants (9%) Autres restaurants, hôtels et supermarchés (11%) Producteurs légumes (plus de 0,42ha) Producteurs contractuels 60 85% 10 25% 19% Grossistes Hôtels et restaurants (43%) Supermarchés (23%) Contractuels (25%) Detaillants boutiques (6%) Contractuels ferme animale (3%) Usiniers- Producteurs 5-15% Assembleur Détaillants marchés Détaillants foires Boutiques Supermarchés Légendes Légumes transportés par les assembleurs Légumes transportés par les camionneurs Producteurs expédient produits aux marchés de gros et aux grossistes Figure : Principaux canaux de distribution pour les légumes provenant des producteurs Source : Adapté de (Pareanen,2008) traditionnels de légumes et des gros producteurs sucrier La majorité des producteurs traditionnels vendent leurs légumes à travers les trois principaux marchés de gros (Vacoas, Port-Louis et Flacq). 70% des producteurs qui vendent aux marchés de gros sont des petits et moyens producteurs (49% ont moins de 0.42 hectares et 21% cultivent plus de 0.42 hectares). 16% des fournisseurs des marchés de gros sont des contractuels, et 14% des usiniers-producteurs. A noter que 65% des petits et moyens producteurs reçoivent des facilités de crédits des mandataires. Cela a un impact sur la relation de pouvoir entre le mandataire et le producteur. 151

160 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Les piliers institutionnels de la filière légumes En nous servant du tableau de Scott (2008) qui définit les trois piliers des institutions (voir section 1.4.1) et le tableau de Trouinard (2004) qui différencie entre les institutions formelles et informelles, nous avons utilisé les données secondaires sur la filière légumes et les données primaires de notre terrain exploratoire pour identifier les indicateurs dans la filière qui se réfère aux trois piliers institutionnels comme présenté dans le tableau 3.1. Tableau14 3.1: Les trois piliers institutionnels de la filière légumes Pilier Indicateur Type d institution (formel/ informel) Régulateur Lois Formel Normatif Culturelcognitif Normes/ standards Logiques institutionnelles Formel Informel 152 Exemples Dangerous Chemical Control Act 2004 : régule l utilisation de pesticides The Genetically Modified Organisms Act 2004: régule l importation et l utilisation de produits génétiquement modifiés. Food Act 1998 : production de produits alimentaires Sugar Industry Efficiency Act 2001: conversion des terres à but non-agricole Location des interlignes de canne à sucre, ou champ en rotation pour culture de légumes Mauritius Agricultural Marketing Act 1964 : Subsides sur les semences de pomme de terre Critères de qualité pour l achat de pomme de terre et d oignon par l AMB Cahier de charge pour l achat de légumes par les hôtels de luxe Acteur(s) directement concerné(s) dans la filière légumes Producteurs Fournisseurs d intrants Producteurs Fournisseurs d intrants Producteurs, distributeurs Producteurs en place et nouveaux (sucriers) Producteurs Distributeurs Producteurs Distributeurs Producteurs Distributeurs Informel Données non disponibles Producteurs en place Nouveaux producteurs Distributeurs en place Nouveaux distributeurs

161 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Le tableau 3.1 nous donne un aperçu global des piliers institutionnels qui existent dans la filière légumes Les apports de l étude exploratoire L étude exploratoire de la filière légumes à l île Maurice nous a permis de mieux cerner les enjeux de cette filière par rapport aux effets indirects de la réforme du protocole sucre; et d identifier les agents économiques clés de la filière des légumes. La filière légumes souffre de nombreuses faiblesses: manque de vision d'ensemble des réseaux d'acheminement des produits par les agents économiques ce qui ne permet pas à ces derniers de comprendre le fonctionnement du système ; un bon nombre de petits producteurs utilisent des pratiques culturales traditionnelles et sont réticents aux nouvelles techniques de production. La filière légumes est peu structurée en amont au niveau des producteurs, et ce sont les intermédiaires qui se sont organisés pour s'approprier des parts de marché importants auprès des hôtels et de la grande distribution. Les mandataires qui officient dans les marchés de gros ont officiellement un rôle de médiateur entre le producteur et l acheteur. Mais dans la pratique, l importance des mandataires est tout autre. Ils contrôlent le flux de légumes qui transitent à travers les marchés de gros, et ils offrent des facilités de crédits aux producteurs et aussi aux acheteurs dans les marchés de gros. Cependant en contrepartie, il y a un manque de transparence dans la fixation des prix de vente. Ce qui devait être au départ une enchère pour trouver le meilleur prix pour le producteur devient vite une négociation entre le mandataire et l acheteur potentiel. Le producteur qui, faute de temps, n est souvent pas physiquement présent au marché de gros prend le risque de recevoir un prix pour son produit qui ne reflète pas nécessairement le prix de vente. Plusieurs acteurs économiques de la filière légumes sont d accord pour dire que l infrastructure et le fonctionnement des marchés de gros sont dépassés. Mais les alternatives sont contraignantes pour la majorité des producteurs comme la vente directe au champ aux grossistes (ce genre de circuit est ponctuel et dépend du volume de produit sur le marché ; les grossistes ne s intéressant aux ventes directes qu en cas de pénurie) ; ou les ventes directes 153

162 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE aux supermarchés ou à des compagnies de distribution (circuits qui demeurent inaccessibles pour les producteurs individuels qui ne peuvent assumer les frais de transports, ainsi que le cahier des charges généralement associés à ces circuits de distributions). Cependant la vente à travers le marché de gros reste prédominante, malgré les contraintes de ce système qui est dépassé tant au niveau des infrastructures qu au niveau de l efficience. Il ressort de cette analyse que les producteurs traditionnels de légumes sont encastrés dans un système de production archaïque et désuet, et qu ils subissent les contraintes et les diktats de certains agents économiques tels que les mandataires. Ces mandataires sont en quelque sorte le maillon stratégique de la filière légumes car au moins 80% des légumes transitent par les marchés de gros faute d une structure ou d un circuit de distribution plus efficient. La majorité des producteurs traditionnels de légumes font aussi face à des limites cognitives de leur environnement institutionnel (Yami, 2003) et ne réalisent pas directement l impact que peut avoir l arrivée des usiniers-producteurs à long terme sur le marché des légumes. Ce qui fait qu ils ne sont pas réactifs ou proactifs face aux nouveaux entrants dans la filière. Les producteurs sucriers, quant à eux, ont dû faire face à une désinstitutionalisation du secteur sucre car les principes du jeu (les logiques institutionnelles) ont changé. Pour s adapter, les usiniers-producteurs et les gros producteurs sucriers se sont transformés en entrepreneurs et opportunistes pour se diversifier dans la production horticole. Nous nous rapportons aux travaux empiriques de DiMaggio (1991), Fligstein (1997) ; Kondra et Hinings (1998), Greenwood et al. (2002), Battilana (2006b), Battilana et al. (2009) qui montrent le rôle significatif des professionnels qui sont là pour apporter des changements dans les champs institutionnels pour promouvoir leurs propres intérêts. De ce fait on peut dire que les usiniersproducteurs et les gros producteurs sucriers ayant subi un changement institutionnel dans le secteur sucre ont à leur tour causé un choc exogène à la filière légumes. En entrant dans la filière légumes, ces producteurs sucriers ont choisi une stratégie de réseau (Peng, 2003) pour se mettre en place. De ce fait, ils entrent en concurrence frontale avec les producteurs traditionnels de légumes en utilisant les infrastructures existantes telles que les marchés de gros, et aussi en utilisant les réseaux et relations tels que les grossistes-particuliers qui préfèrent dans une certaine mesure s approvisionner auprès d un seul gros producteur sucrier qu auprès de plusieurs petits et moyens producteurs (traditionnels) pour minimiser leurs coûts 154

163 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE de transactions. D autres gros producteurs sucriers ont choisi une stratégie collective confédérée (Astley et Fombrun, 1983), et se sont constitués en groupe d affaires en se basant sur leurs ressources et capacités communes (Guillen, 2000) telles que la terre et les capitaux pour entrer dans la filière légumes plus rapidement et efficacement. Cependant, notre étude exploratoire a fait aussi ressortir qu il y a certains acteurs économiques traditionnels de légumes qui sont avant-gardistes et ont des stratégies institutionnelles pour mieux rentabiliser leur production. Certains se sont regroupés pour bénéficier d une technologie de production commune ; d autres pour faciliter les achats d intrants auprès des agro fournisseurs, et d autres encore ont formé des compagnies de distribution qui court-circuitent les traditionnels marchés de gros en s approvisionnant directement auprès des producteurs aux champs. Ces formes de stratégies institutionnelles collectives sont des signes tangibles des effets d une stratégie d adaptation de certains acteurs face aux nouvelles règles du jeu, et qui mènent inéluctablement à une restructuration de la filière. L étude exploratoire nous a apporté des éléments nouveaux qui complètent notre compréhension de la filière légumes. Elle nous a permis d affiner notre problématique générale et de reformuler notre question de recherche de façon plus précise, associé à notre cadre conceptuel développé dans le premier chapitre, comme suit : Quels sont les types et formes de travail institutionnel qui sont menés par les nouveaux acteurs de la filière légumes pour modifier les logiques institutionnelles existantes de la filière ; et quels sont les types et formes de travail institutionnel qui sont utilisés par les acteurs en place de la filière légumes face à la possibilité de nouvelles logiques institutionnelles? Cette question s intéresse aux institutions, au changement institutionnel, aux logiques institutionnelles, et au travail institutionnel. Notre cadre théorique initial nous permet à la fois d examiner l ensemble de la filière légumes dans une perspective méso, et à la fois de comprendre le travail institutionnel qui se fait au niveau des acteurs individuels et organisationnels avec une perspective micro. 155

164 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Cependant à ce stade de notre recherche, les apports des données secondaires et de l étude exploratoire ne sont pas suffisants pour nous apporter un éclairage sur plusieurs dimensions de la filière légumes. Nous nous posons les questions suivantes : 1) Est-ce que les acteurs en place et nouveaux du CO légumes sont légitimes par rapport aux piliers régulateurs, normatifs et culturel-cognitif? 2) Pouvons nous identifier les logiques institutionnelles qui déterminent le pilier culturel-cognitif du CO légumes? 3) Est-ce que ces logiques institutionnelles sont homogènes ou hétérogènes? 4) Quel est le degré d institutionnalisation de ces logiques institutionnelles dans la filière légumes? 5) Quel est le degré de structuration de la filière légumes, c'est-à-dire, son degré d ouverture aux logiques institutionnelles externes? 6) Quelles sont les caractéristiques des acteurs qui influencent leur travail institutionnel? Cette section nous a permis d avoir une idée plus précise de notre contexte empirique en nous donnant des éléments de réponse à nos questions de recherche à travers les apports de notre terrain exploratoire. Cependant plusieurs autres questions ont été soulevées, et pour nous permettre de répondre à ces questions nous formulerons, dans la prochaine section, des propositions de recherche basées sur des conjectures issues de notre terrain exploratoire. 156

165 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE SECTION 2 : Elaboration des propositions de recherche Cette section a pour objectif d expliciter les apports de notre terrain exploratoire à travers les conjectures que nous formulerons et qui nous permettront de préciser nos propositions de recherche. 3.2 Apports du terrain exploratoire à la formulation des propositions de recherche Ayant abordé notre terrain exploratoire avec des concepts issus de notre revue de la littérature sur la SNI, nous avons avancé des conjectures basées sur nos observations du terrain et à travers les entretiens avec les acteurs de notre champ organisationnel. Nous exposons ces conjectures ci-dessous Conjectures Notre terrain exploratoire et notre cadre conceptuel nous ont permis d avancer les conjectures suivantes : Les effets de l arrivée des nouveaux acteurs dans la filière légumes? L étude exploratoire nous a permis d observer les effets directs de la réforme du protocole sucre sur la filière sucre et les effets indirects sur la filière légumes (Tableau 3.2) suite à la réforme du protocole sucre : 157

166 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Tableau : Effets directs et indirects des nouveaux entrants dans la filière légumes Effets directs sur la filière sucre Effets indirects sur la filière légumes Venant d une filière très structurée, beaucoup de petits producteurs de sucre opérant à temps partiel dans la filière sucre, avec la baisse du prix du sucre, ont soit abandonné leur culture soit se sont diversifiés dans des activités nonagricoles. Les gros producteurs sucriers, ayant des actifs spécifiques très importants, ont utilisé leurs ressources (terre, capitaux) pour se diversifier dans les légumes et ont saisi les opportunités dans le champ institutionnel de par les mesures incitatives de l état, ainsi que l aide financière de l UE. Les usiniers-producteurs et les gros producteurs sucriers utilisent les infrastructures et circuits de distribution existants (tels que les grossistes) dans la filière légumes pour acheminer leurs produits essentiellement aux marchés de gros. Les intermédiaires tels que les grossistes qui achètent des légumes directement aux champs trouvent plus d avantages à acheter en gros avec les gros producteurs sucriers, car cela réduit leurs coûts de transaction. Les producteurs traditionnels de légumes bénéficient d aides financières de l état pour des projets communs qui permettent l augmentation des volumes de production. Certains producteurs réagissent et se regroupent, et utilisent donc une stratégie collective de mise en commun de leurs ressources pour moderniser leurs techniques de production et/ou améliorer les circuits de distribution. Les producteurs traditionnels de légumes en place font face à certaines contraintes telles qu un coût de production très élevé, accès difficile au crédit; peu de moyen pour la mécanisation. Il y a donc très peu d investissement dans la productivité et la qualité par 158

167 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE manque de moyens et cela rend l accès difficile aux marchés de niches (GD, hôtels). Cependant, les mesures incitatives de l état mauricien, suite à la crise alimentaire mondiale de 2008, ont créé des opportunités pour certains producteurs traditionnels avant-gardistes qui ont adopté des stratégies collectives en se regroupant en association de producteurs pour investir dans l amélioration de la valeur ajoutée en proposant des légumes prédécoupés en barquette pour les supermarchés. D autres ont mis leurs ressources en commun pour profiter d outils de mécanisation qui améliorent la productivité de leurs activités agricoles. D autres encore se sont lancés dans des compagnies de distribution avec des stations de conditionnements et jouent le rôle de grossistes auprès des producteurs de légumes, et approvisionnent ainsi les hôtels de luxe. Ces observations nous amènent à la première et à la deuxième conjecture: La première conjecture: nous supposons que les conditions du champ organisationnel de la filière légumes telles que son degré d ouverture et son hétérogénéité induisent les conditions nécessaires à différents types de travail institutionnel parmi les nouveaux acteurs et les acteurs en place dans la filière. La deuxième conjecture: Nous supposons que certaines caractéristiques des acteurs (nouveau et en place) telles que leur orientation temporelle et leur position sociale favorisent le choix du type de travail institutionnel. Nous nous intéressons maintenant aux usiniers-producteurs et gros producteurs sucriers comme nouveaux agents économiques dans la filière légumes. D après le plan stratégique pour l industrie sucrière mauricienne, en 2009, il y avait hectares de terre sous canne à sucre, avec une prévision de hectares pour La diversification des terres sous canne à sucre s est orientée vers la production de légumes, fruits, ornementaux, et production animale. Les fruits et légumes suivants sont produits : pomme de terre, oignon, giraumon, carotte, pomme d amour, litchi, mangue, papaye, banane, ananas. Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers se sont tournés en priorité vers la culture des non-périssables telle que la pomme de terre, les carottes, la courge pour répondre à un 159

168 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE besoin sur le marché. Ils ont investi massivement dans l épierrage des champs pour pouvoir mécaniser la production et la récolte. Il y a eu aussi des investissements conséquents dans des infrastructures telles que les stations de traitements post-récoltes et les chambres froides pour favoriser le stockage des produits en surplus et profiter ainsi des meilleurs prix sur le marché. Certains usiniers-producteurs se sont réunis en groupe stratégique pour produire de la pomme de terre et aussi investir dans une usine de conditionnement et de transformation en frites surgelés. Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers vendent essentiellement aux grossistes directement aux champs. Mais dans le futur ils ont prévu une stratégie de vente axée sur les marchés de niche tels que les hôtels de luxe. Ces nouveaux acteurs de la filière ont introduit de nouvelles méthodes de production et de nouvelles formes de coordination avec d un côté des relations privilégiées avec des acteurs traditionnels de la filière (grossistes) et de l autre côté par l organisation de la production sous formes de groupe d affaires introduisant des innovations en matière de production et de transformation. La troisième conjecture est donc la suivante : nous supposons que les nouveaux arrivants dans la filière légumes ont entrepris un travail institutionnel pour changer les logiques institutionnelles existantes. Nous avançons donc, que le champ institutionnel de la filière légumes a subi des changements au niveau des logiques institutionnelles existantes Les propositions de recherche Notre grille de lecture basée sur un croisement de la littérature sur les entrepreneurs institutionnels, la littérature sur le travail institutionnel et la littérature sur les logiques institutionnelles, et les résultats du terrain exploratoire et les conjectures, les données secondaires empiriques sont utilisées pour développer nos propositions de recherche. 160

169 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Le choix du type de travail institutionnel adopté par un acteur dans un champ organisationnel dépend de plusieurs facteurs. Si le choix de l acteur se porte sur la création ou la déstabilisation des institutions, cela nous ramène aux travaux sur l entrepreneuriat institutionnel qui proposent des conditions objectives des champs organisationnels, aussi bien que des caractéristiques personnelles des acteurs qui favorisent leurs projets. Si le choix de l acteur se porte sur le maintien des institutions pour préserver ses acquis, nous retrouvons les stratégies discursives des acteurs pour préserver leurs acquis (Ben Slimane, 2007; Maguire et Hardy, 2009) ou maintenir leur légitimité et la légitimité des arrangements institutionnels existants face à des alternatifs (Trank et Washington, 2009). D après Newman (2000), les entreprises qui sont trop encastrées dans leur environnement institutionnel du passé auront plus de mal à se transformer et à s adapter aux nouvelles règles du jeu. Ce n est pas le cas des gros producteurs sucriers car suite au choc exogène causé par la réforme du protocole sucre, une des stratégies d adaptation des gros producteurs sucriers a été la diversification dans la production de légumes. Les producteurs sucriers ont choisi initialement une stratégie de réseaux pour s intégrer dans la filière légumes en utilisant les infrastructures déjà présentes comme les marchés de gros et les services proposés par les intermédiaires tels que les grossistes. Il est possible de supposer qu au fil du temps, les producteurs sucriers se démarqueront des producteurs traditionnels de légumes en adoptant une stratégie basée sur les ressources, les compétences et les capacités. Nous nous intéressons à tester si l arrivée des producteurs sucriers dans le champ institutionnel de la filière des légumes est un choc exogène qui a changé les règles institutionnelles. Les conditions du champ institutionnel qui favorisent le travail institutionnel se rapportent premièrement au degré d ouverture du champ aux logiques institutionnelles ce qui provoque des tensions et favorisent l action stratégique, et deuxièmement au niveau du degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles du champ Proposition P1 La première proposition de recherche (P1) concerne les conditions objectives d un champ organisationnel qui favorisent la recherche d opportunités pour les acteurs en place ainsi que 161

170 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE pour les acteurs externes au champ. Ces conditions sont objectives car elles ne peuvent être influencées par les acteurs mais servent de point de départ pour déclencher le processus de changement institutionnel. Ainsi nous retrouvons dans la littérature les conditions au niveau des champs organisationnels tels que les chocs exogènes, les situations de crises (Greenwood et al., 2002, Fligstein, 1997, Holm, 1995). Des ressources rares peuvent aussi pousser des acteurs à migrer dans d autres champs (Durand et McGuire, 2005). Les caractéristiques des champs organisationnels tels que le degré d hétérogénéité et le degré d institutionnalisation des pratiques institutionnels (Dorado, 2005) influencent le processus de changement institutionnel. La première proposition de recherche (P1) peut être reformulée ainsi : P1 : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques du champ organisationnel Cependant comme le champ organisationnel a plusieurs composants clés parmi lesquels les systèmes relationnels, les systèmes culturels-cognitifs, les archétypes organisationnels, et les répertoires d action collective (Scott, 2008), nous nous concentrons sur les systèmes culturelscognitifs sous la forme des logiques institutionnelles pour établir leur degré d hétérogénéité et d institutionnalisation. Ainsi, la proposition H1 peut être décomposée en deux sous-propositions P1a et P1b pour mieux cerner deux caractéristiques importantes du champ organisationnel : le degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles et le degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles P1a: Le type de travail institutionnel dépend du degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles dans le champ organisationnel P1b: Le type de travail institutionnel dépend du degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles dans le champ organisationnel 162

171 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Des entretiens qualitatifs auprès d association de producteurs, et auprès de producteurs qui opèrent seuls nous aiderons à vérifier cette deuxième proposition de recherche. La filière légumes est une filière où les organisations et individus sont très encastrés et qui perpétue les mêmes types d organisations depuis plusieurs décennies. Il y a cependant du renouveau avec l émergence d un nouveau genre d entrepreneurs qui veulent changer les normes et mythes institutionnels et venir avec de nouvelles idées et techniques de production et de distribution des légumes. Ce sont des entrepreneurs institutionnels qui veulent dévier de la norme institutionnelle et imposer leurs propres standards et intérêts tout en légitimant leurs actions et leur appartenance au champ institutionnel Proposition P2 La deuxième proposition de recherche (P2) concerne les caractéristiques subjectives des acteurs individuels ou organisationnels et peut être formulée ainsi : P2 : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques des acteurs individuels ou organisationnels La proposition P2 peut être décomposée en deux sous-propositions P2a et P2b pour mieux cerner deux caractéristiques subjectives des acteurs individuels ou organisationnels : leur orientation temporelle et leur position sociale dans le champ organisationnel où ils sont en activité. P2a: Le type de travail institutionnel dépend de l orientation temporelle des acteurs individuels ou organisationnels. P2b: Le type de travail institutionnel dépend de la position sociale des acteurs individuels ou organisationnels. En premier lieu, l orientation temporelle des acteurs influence leur intentionnalité par rapport au type de travail institutionnel qu ils entreprennent. L intentionnalité est une dimension 163

172 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE cognitive qui permet de qualifier de travail institutionnel, les actions ou pratiques des acteurs. Emirbayer et Mische (1998) définissent trois formes d intentionnalité basées sur l orientation temporelle des acteurs. Ainsi une forme d intentionnalité tournée vers le passé permet aux acteurs de se baser sur leurs expériences et de sélectionner, et d utiliser des schémas de pensées et d actions allant de soi. Une deuxième forme d intentionnalité se base sur le moment présent, et s appuie sur «la contextualisation de l expérience sociale», ce qui implique une délibération individuelle ou collective sur les exigences des situations normatives. Une troisième forme d intentionnalité est orientée vers le futur et les acteurs font des hypothèses sur les stratégies possibles aux situations problématiques. Lawrence et al., (2009b) postulent que la schématisation (passé), la contextualisation (présent) et la construction d hypothèses aident les acteurs à relier leurs actions à leurs situations. En deuxième lieu, la position sociale des acteurs individuels ou organisationnels peut jouer un rôle dans le changement divergent des normes institutionnelles en influençant la perception des conditions présentes dans le CO. Sewell (1992) argumente que la capacité d action agentique est déterminée par une multitude de schémas culturels et de ressources qui sont dus au milieu social où évolue l acteur. Il y a cependant des variations dans les études car certains parlent d organisations avec une position sociale faible qui ont plus de chances de provoquer des changements divergents (Garud et al., 2002; Haveman et Rao, 1997; Hirsch, 1986) ; tandis que d autres chercheurs parlent d organisations avec une position sociale élevée qui sont plus aptes à provoquer des changements (Greenwood et Suddaby, 2006;Greenwood et al., 2002). Battilana et al.,(2009) postulent que ces variances sont dues aux différences dans les conditions des CO, c est à dire le degré de hétérogénéité et d institutionnalisation (Dorado, 2005); et aussi au type de changement divergent qui est causé (Battilana, 2007). Leblebici et al. (1991) démontrent, à travers une étude du champ de diffusion des ondes radiophoniques aux Etats Unis, que la plupart des nouvelles pratiques sont introduites par des acteurs périphériques du champ. Les acteurs puissants du CO, pour protéger leurs intérêts dans les pratiques institutionnalisées, se servent de leurs ressources pour «maintenir le statu quo ou favoriser les pratiques introduites qui confirment les pratiques déjà établies». Garud et al. (2002) illustrent le rôle de Sun Microsystèmes, en tant qu organisation à la périphérie du CO, dans la diffusion de la plateforme Java pour contrer la domination de Microsoft, acteur centrale du CO. Munnir et Phillips (2005) décrivent le rôle de Kodak comme acteur 164

173 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE périphérique du champ de la photographie qui réussit à dominer le champ et les professionnels de la photographie, avec l introduction de la pellicule. Rao et al. (2000) décrivent la formation de nouvelles formes organisationnelles dans les interstices entre différents champs organisationnels Proposition P3 Finalement la troisième proposition de recherche (P3) se rapporte au changement institutionnel dans la filière sucre qui a provoqué un travail institutionnel dans la filière des légumes et a changé les logiques institutionnelles existantes. P3 : Les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs (nouveaux et en place) de la filière légumes ont changé les logiques institutionnelles existantes Nous proposons de tester cette proposition de recherche en nous référant aux sources de donnes secondaires et primaires dans le but d identifier les logiques institutionnelles présentes avant et après l arrivée des nouveaux entrants dans la FL. Notre objectif est d identifier s il y a eu de nouvelles logiques institutionnelles et dans quelles mesures ces nouvelles logiques ont pu être légitimées dans le champ organisationnel à travers les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs nouveaux et en place. Cette section est une étape décisive dans notre travail de recherche car elle décrit l élaboration de nos propositions de recherche qui s appuient aussi bien sur notre cadre conceptuel que sur les apports de notre terrain exploratoire. Nous avons ainsi pu formuler trois propositions de recherche qui nous aide à cerner à la fois le niveau méso et le niveau micro de notre champ organisationnel. 165

174 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CHAPITRE 3 : LES PROPOSITIONS DE RECHERCHE Conclusion du chapitre 3 Notre étude exploratoire a permis premièrement d affiner notre compréhension de la structure de la filière légumes et d identifier les différences de vision, et deuxièmement d appréhender du point de vue des acteurs de la filière légumes, les effets perçus de l arrivée des nouveaux entrants de la filière sucre dans la filière légumes. Nous avons ainsi observé que les producteurs traditionnels de légumes en place font face à certaines contraintes telles qu un coût de production très élevé, accès difficile au crédit; et peu de moyen pour la mécanisation. Ces contraintes freinent la modernisation de la filière au niveau des petits producteurs. Les usiniers-producteurs/gros producteurs sucriers se sont tournés en priorité vers la culture des non-périssables pour répondre à un besoin sur le marché. Ils ont investi massivement dans des techniques modernes de production pour favoriser le stockage des produits en surplus et profiter ainsi des meilleurs prix sur le marché. Notre travail de recherche est donc motivé par la compréhension du travail institutionnel entreprit par les nouveaux acteurs (sucriers) dans la filière légumes pour réussir leurs activités, et le travail institutionnel des acteurs en place en réaction aux nouveaux entrants. A la fin de ce chapitre, basé sur les résultats de notre étude exploratoire, de notre cadre théorique, et de nos données secondaires, nous avons pu formuler trois propositions de recherche qui permettent de cerner l action agentique à travers le travail institutionnel. La première proposition, P1, identifie les conditions objectives du champ organisationnel qui favorise un type de travail institutionnel soit la création, le maintien ou la déstabilisation des institutions. La deuxième proposition P2, s intéresse aux caractéristiques subjectives des acteurs qui influencent le type de travail institutionnel ; et la troisième proposition vise à établir si l arrivée des nouveaux entrants de la filière sucre dans la filière légumes ont changé les logiques institutionnelles existantes. Pour nous permettre de relier ces propositions de recherche à notre contexte empirique, nous décrivons la méthodologie de notre recherche dans le prochain chapitre. 166

175 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME Chapitre 1: Les apports de la sociologie néo institutionnelle à l analyse de filières agricoles Chapitre 2 : Le contexte de la recherche : Les filières canne à sucre et légumes mauriciennes Chapitre 3 : Les propositions de recherche Conclusion de la partie théorique et contextuelle Résumé d un cadre d analyse de l apport des logiques institutionnelles et du travail institutionnel dans une analyse de filière

176 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE Au travers de ces trois chapitres nous avons vu émerger des concepts et des observations que nous considérons comme utiles et importants dans le cadre de ce travail de recherche. Dans le chapitre 1, nous avons développé notre connaissance de la littérature sur la sociologie néo-institutionnelle (SNI). Nous avons tout d abord explore l évolution de cette littérature jusqu à son utilisation dans les études organisationnelles. Cela a permis de faire émerger des concepts clés comme le champ organisationnel, les logiques institutionnelles, et l entrepreneuriat institutionnel. Cependant les critiques sur l entrepreneuriat institutionnel ont donne lieu a un autre concept, le travail institutionnel, qui prend en considération le travail entreprit par tous les acteurs d un champ organisationnel soit pour créer, maintenir ou déstabiliser les institutions d un champ organisationnel en utilisant leurs logiques institutionnelles dominantes. Ces concepts ont servi à élaborer un modèle conceptuel reliant les logiques institutionnelles au travail institutionnel en prenant en considération les déterminants du travail institutionnel, c'est-à-dire les caractéristiques du champ organisationnel et les caractéristiques des acteurs. Dans le chapitre 2, nous avons présenté le contexte de notre recherche, c'est-à-dire, une description de notre champ organisationnel, la filière légumes, ses politiques publiques au fil de son histoire, et les échecs de sa diversification. Nous avons aussi décrit une filière voisine, la filière canne a sucre, très structurée et bien organisée au niveau de tous les acteurs, et qui avec la reforme du protocole sucre entre les pays ACP et l UE, a du se diversifier dans d autres activités agricoles et non-agricoles pour assurer sa survie et celle de ses acteurs principaux, les producteurs de canne a sucre. Nous nous sommes ainsi focalisées sur la diversification des producteurs sucriers dans la production de légumes à grande échelle. Ces producteurs sucriers ont leurs logiques institutionnelles issus des 168

177 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE institutions de la filière canne à sucre, et ils ont investit un champ organisationnel avec des acteurs ayant eux aussi leurs propres logiques institutionnelles. Notre objectif est donc de comprendre quel est le type de travail institutionnel qui se met en place au niveau des nouveaux entrants dans la filière légumes et au niveau des acteurs en place et quels sont les déterminants qui favorisent un type de travail institutionnel ou un autre. Dans le chapitre 3, nous nous sommes basées sur notre cadre théorique initial et sur notre contexte issu des données secondaires, pour mener un terrain exploratoire avec pour objectif de mieux cerner les enjeux du terrain. Notre terrain exploratoire nous a permis d identifier les acteurs principaux de notre champ organisationnel au niveau de la production et du circuit de distribution, et aussi d identifier les principaux acteurs de la filière sucre qui ont provoqué des changements dans la filière légumes. Nous avons ainsi proposé un cadre d analyse ci-dessous (Figure 3.2). Caractéristiques du champ organisationnel Les principaux acteurs (logiques institutionnelles en place et nouvelles) Degré d hétérogénéité Degré d institutionnalisation Orientation temporelle Position sociale P1a P1b P2a P2b Types de travail institutionnel (créer, maintenir, déstabiliser) P3 Changement institutionnel Figure : Cadre d analyse 169

178 PREMIERE PARTIE: L ANCRAGE THEORIQUE ET LA CONTEXTUALISATION DU PROBLEME CONCLUSION DE LA PARTIE THEORIQUE ET CONTEXTUELLE Ce cadre d analyse nous a permis de dériver trois propositions et leurs sous-propositions de recherche. Proposition 1 (P1): Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques du champ organisationnel P1a: Le type de travail institutionnel dépend du degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles dans le champ organisationnel P1b: Le type de travail institutionnel dépend du degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles dans le champ organisationnel Proposition 2 (P2) : Le type de travail institutionnel dépend des caractéristiques des acteurs individuels ou organisationnels P2a: Le type de travail institutionnel dépend de l orientation temporelle des acteurs individuels ou organisationnels. P2b: Le type de travail institutionnel dépend de la position sociale des acteurs individuels ou organisationnels. Proposition 3 (P3): Les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs (nouveaux et en place) de la filière légumes ont changé les logiques institutionnelles existantes 170

179 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS DEUXIEME PARTIE: MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS Chapitre 4: Méthodologie de recherche Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de cas Chapitre 6 : Discussion

180 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS Cette deuxième partie de la thèse développe la partie méthodologique de ce travail de recherche, présente les résultats et les analyses des données de terrain et articulent ces analyses avec un retour à la littérature. La deuxième partie de la thèse est divisée en trois chapitres : Le chapitre 4 présentera notre positionnement épistémologique dans ce travail de recherche, et précisera le design de la recherche et la méthodologie mise en œuvre pour la sélection des acteurs et la sélection des études de cas pour la collecte de données sur le terrain. Nous décrirons ensuite les outils d analyse de nos données primaires et secondaires avant de terminer sur les critères de fiabilité et de validité de cette recherche. Le chapitre 5 exposera les résultats de notre étude de terrain à deux niveaux : premièrement au niveau méso de la filière légumes en insistant sur les caractéristiques du champ organisationnel et plus spécifiquement un de ces composants, les logiques institutionnelles. Nous décrirons les conditions objectives du champ organisationnel en termes du degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles et de leur degré d institutionnalisation auprès des acteurs principaux de la filière. Nous ferons ensuite le lien entre les logiques institutionnelles et le travail institutionnel entreprit par les acteurs en place et nouveaux à travers une analyse de nos études de cas. Le chapitre 6 articulera les liens entre nos résultats et la littérature mobilisée et nous permettra de tester nos propositions de recherche. 172

181 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE DEUXIEME PARTIE: MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS Chapitre 4: Méthodologie de recherche Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de cas Chapitre 6 : Discussion

182 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Chapitre 4 : Méthodologie de recherche Introduction Ce chapitre a pour objectif d exposer notre méthodologie de recherche. Nous montrerons notre cheminement épistémologique qui nous a permis de situer notre recherche dans les différents paradigmes existants. Nous expliciterons le design de la recherche qui démontrera les différentes étapes depuis le constat de départ jusqu à l analyse de données. Nous nous intéresserons ensuite à la méthodologie des études de cas pour expliciter notre sélection des cas dans le champ organisationnel. L analyse des données, étant une étape cruciale, nous aborderons ainsi les méthodes d analyses quantitatives que nous avons utilisées pour donner un sens à nos données empiriques. Finalement, nous ferons ressortir de quelle façon nous avons assuré la validité interne et externe de notre travail de recherche ainsi que la fiabilité des données recueillies. Ce chapitre est divisé en quatre sections. La première section présentera notre positionnement épistémologique ainsi que le design de la recherche. La deuxième section explicitera la sélection de cas dans la filière légumes. La troisième section décrira le mode de collecte et d analyse des données primaires. Dans la dernière section, nous discuterons des critères de fiabilité et de validité de la recherche. 174

183 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE SECTION 1 : Positionnement épistémologique et design de la recherche Le chercheur dans sa démarche de recherche est guidé par un filet ou un ensemble de prises de position appelé paradigme ou cadres épistémologiques. «L'épistémologie a pour objet l'étude des sciences. Elle s'interroge sur ce qu'est la science en discutant de la nature, de la méthode et de la valeur de la connaissance. Tout travail de recherche repose, en effet, sur une certaine vision du monde, utilise une méthode, propose des résultats visant à prédire, prescrire, comprendre, construire ou expliquer.» (Perret et Séville, 2003). La recherche en sciences de gestion ne fait pas exception et s appuie sur le principe d accumulation des connaissances mais aussi sur la construction scientifique d un design de recherche. Nous présenterons dans cette section le cadre épistémologique utilisé pour mener notre investigation et nos choix méthodologiques 4.1 Les cadres épistémologiques Un chercheur doit pouvoir selon Perret et Séville (2003) interroger sa démarche de recherche à travers trois questions principales : Quelle est la nature de la connaissance produite? Le chercheur s interroge donc sur l indépendance du sujet et de l objet de recherche. Est-ce que la réalité est objective? Est-ce que la réalité est une interprétation du chercheur? Ou bien est-ce que cette réalité est construite par le chercheur? Giordano (2003) fait la distinction entre le terme «ontologie» désignant la façon dont la réalité est envisagée, et le terme «épistémologie» qui spécifie la nature du lien entre le chercheur (le sujet) et son objet de recherche. Il s agit donc par rapport à la question principale de s interroger sur l ontologie du chercheur (la nature de la réalité ), c'està-dire, sa vision du monde social, et la nature du lien sujet/objet (épistémologie). Comment la connaissance scientifique est-elle produite? 175

184 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Ici, le chercheur doit expliciter le cheminement de production de la connaissance scientifique : est-elle produite par un processus d explication, d interprétation ou de construction? Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance? Est-ce que la connaissance a une valeur scientifique ou non? Quels sont les critères qui permettent de valider la connaissance produite? Le but d une recherche est de répondre à la question qui y est posée, de trouver des éléments de solution au problème soulevé, et de faire avancer les connaissances sur un sujet donné. L approche que privilégiera le chercheur pour arriver à ses fins dépend du paradigme auquel il adhère. Au sein du champ des sciences de l administration, plusieurs paradigmes coexistent. Ces paradigmes se situent le long d un continuum allant d une vue objective de la réalité à une vue plus subjective de cette même réalité. Le chercheur se trouve dans les trois grands paradigmes épistémologiques usuellement identifiés comme les principaux repères épistémologiques en sciences de l'organisation : le paradigme positiviste, le paradigme interprétativiste et le paradigme constructiviste Le paradigme positiviste et l approche hypothético-déductive Le paradigme positiviste tire ses origines des sciences de la nature. L être humain y est considéré comme un organisme vivant répondant à des lois de la nature, au même titre que les plantes ou les insectes. Ce paradigme est celui qui jouit de la faveur du plus grand nombre de chercheurs en sciences de l administration, bien que plus récemment sa suprématie ait été sérieusement contestée. Selon ce paradigme, la nature des organisations est objective : il n existe qu une seule réalité concrète, indépendante de toute opinion, qui attend d être découverte et explorée. La société et les organisations peuvent être vues comme des structures formées de composantes observables et mesurables, ayant des relations déterminées et prévisibles entre elles. Les êtres humains ne sont qu un produit des forces externes de l environnement auxquelles ils sont exposés, c est-à-dire que leurs actions sont dictées par des 176

185 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE lois générales de cet environnement. Le défi consiste donc à découvrir ces lois générales, ces relations prévisibles. L approche privilégiée par les tenants de ce paradigme est l approche hypothético-déductive. Cette approche va du général vers le particulier, c est-à dire que le chercheur formule une question de recherche en s inspirant d une théorie de portée générale, émet des hypothèses concernant une situation particulière et teste ces hypothèses afin de les infirmer ou confirmer et ainsi supporter ou ajouter à la théorie initiale. La connaissance produite par les positivistes est objective et ne dépend pas du contexte dans la mesure où elle correspond à la mise à jour de lois, d une réalité immuable, extérieure à l individu et indépendante du contexte d interactions des acteurs Le paradigme constructiviste et l approche holistico-inductive Ce paradigme est à l autre pôle du continuum des paradigmes car ici les individus construisent leur propre réalité du monde qui les entoure. Il n y a donc pas une seule réalité, mais plusieurs réalités fondamentalement subjectives, en ce sens que la réalité dépend de la manière dont un individu interprète une situation ou un phénomène donné. Sous ce paradigme, le défi du chercheur est donc de réussir à percevoir un phénomène selon le point de vue des sujets observés et d essayer d y découvrir des formes communes de compréhension. Pour ce faire, l approche holistico-inductive est favorisée. À l opposé de l approche déductive, l approche inductive va du particulier vers le général. Selon cette approche, le chercheur tente initialement de faire complètement abstraction de la théorie existante pour aborder le phénomène particulier qu il a choisi d étudier avec le moins d idées préconçues possible. Une question générale de recherche peut être formulée, mais elle ne doit pas restreindre ou entraver la collecte d informations. Le chercheur recueille sur le terrain auprès des acteurs concernés des descriptions, impressions ou explications des événements qu ils vivent. De ces témoignages il tente de dégager des schèmes communs d interprétation qui expliqueraient certains comportements. C est ainsi qu éventuellement émergent du terrain les éléments d une théorie quelquefois qualifiée de particulière. 177

186 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Cette théorie est susceptible d acquérir une portée plus générale si le processus de recherche est poursuivi sur d autres terrains et dépasse ainsi le cadre du phénomène particulier initialement étudié Le paradigme interprétativiste Alors que le positivisme veut expliquer la réalité, le paradigme interprétativiste cherche avant tout à la comprendre. Le projet interprétativiste passe par la compréhension du sens que les acteurs donnent à la réalité et place ainsi ces derniers au coeur du dispositif. Apporter des interprétations aux comportements nécessite de «retrouver les significations locales que les acteurs en donnent» (Perret et Séville, 2003), c est-à-dire des significations situées dans un contexte spatio-temporel. La prise en compte du contexte par le chercheur est dès lors fondamentale. L interprétativisme est focalisé sur l autonomie de l acteur et sur sa capacité à modifier les événements. Les recherches interprétativistes utilisent des données empiriques relatives aux personnes intégrant le cadre de référence de l acteur pour représenter les situations ainsi que des données théoriques pluridisciplinaires (Wacheux, 1996). Les chercheurs s intéressent alors aux phénomènes en situation ou aux événements singuliers (caractère idiographique) et cherchent à «se mettre à la place de l autre» pour percevoir ce qu il ressent (caractère d empathie). Les principales réponses apportées par chacun de ces trois paradigmes sont résumées dans le tableau 4.1 ci-dessous. 178

187 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Tableau : Positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste Les paradigmes Positivisme Interprétativisme Constructivisme Les questions épistémologiques Quel est le statut de la connaissance Quelle est la nature de la réalité? (ontologie) Hypothèse réaliste Il existe une essence propre à l objet de la connaissance La réalité est une donnée objective. Hypothèse relativiste L essence de l objet ne peut être atteinte (interprétativisme ou constructivisme modéré) ou n existe pas (constructivisme radical) La réalité est interprétée par des sujets connaissants. La réalité est construite par des sujets connaissants. Quelle est la nature du lien chercheur/objet? (épistémologie) Comment la connaissance est-elle produite? Quel est le chemin de la connaissance? Le processus de construction de connaissances Quelle est la valeur de la connaissance produite? Les critères de validité Indépendance du chercheur et de l objet. Le chercheur observe la réalité. La découverte La recherche est formulée en termes de «pour quelles causes» Explication Fondé sur la découverte de régularités et de causalités Vérifiabilité Confirmabilité Réfutabilité Dépendance du chercheur et de l objet (empathie) Empathie entre le chercheur et son objet de recherche. Le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font ; qui eux-mêmes interprètent l objet de recherche. L interprétation La recherche est formulée en termes de «pour quelles motivations des acteurs» Compréhension Fondé sur la compréhension empathique des représentations d acteurs Idiographie Empathie Source : adapté de (Perret et Séville, 2003) et (Giordano, Il y a une coconstruction de la réalité de par l interaction chercheur/objet Dépendance du chercheur et de l objet (interaction) Le chercheur, en interaction avec les acteurs, co-construit des interprétations et/ou des projets. La construction La recherche est formulée en termes de «pour quelles finalités» Construction Fondé sur la conception d un phénomène/projet Adéquation Enseignabilité 179

188 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE 4.2 Le positionnement épistémologique et la démarche de la recherche Selon Giordano (2003), le chercheur se doit de «définir l articulation ontologie/épistémologie/méthodologie pour argumenter sur la cohérence de son dispositif et permettre l évaluation de sa recherche». Dans le cadre de la présente recherche, pour déterminer notre positionnement ontologique/épistémologique nous essayons de répondre aux trois questions suivantes (Perret et Séville, 2003) : (1) Quelle est la nature de la connaissance produite? Notre question de recherche nous amène à comprendre et interpréter le travail institutionnel des acteurs de la filière légumes face à un changement institutionnel. Notre ontologie est une interprétation de la réalité des acteurs dans la filière légumes. Notre objectif n est pas de construire une réalité mais de la comprendre, donc nous nous départons du paradigme constructiviste. De plus cette réalité est subjective car il y a une dépendance entre l objet et le chercheur de par l appartenance du chercheur à la région, et les liens professionnels qui peuvent exister avec certains acteurs. La nature de la connaissance produite se rapproche plus du paradigme interprétativiste. (2) Comment la connaissance scientifique est-elle créée? Le paradigme interprétativiste domine notre démarche de recherche. Dans un premier temps, nous interprétons les observations empiriques du terrain exploratoire pour en tirer des conjectures, et pouvoir formuler les propositions de recherche. Dans un deuxième temps, nous intervenons auprès des acteurs pour comprendre les facteurs qui motivent le choix du travail institutionnel. En dernier lieu, nous essayons de comprendre comment les différents types de travail institutionnel entrepris par les acteurs ont changé les logiques institutionnelles de la filière légumes. La logique de compréhension et l empathie avec les acteurs nous ramènent toujours au paradigme interprétativiste. 180

189 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE (3) Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance? La filière légumes frais à l île Maurice a sa propre dynamique, sa propre histoire, ses propres acteurs, son environnement institutionnel, sa technologie etc. Notre recherche a donc un caractère idiographique dans le sens où l on étudie le cas particulier de la filière légumes frais à l île Maurice. Il y a interdépendance entre l objet et le chercheur qui prouve le caractère empathique de la recherche. Nous essayons aussi de valider la connaissance établie à partir des données du terrain à partir de sa reproductibilité. Sous cet angle, notre positionnement épistémologique se rapporte donc aux éléments du paradigme interprétativiste. Notre recherche se base donc sur une posture interprétativiste qui nous semble la plus appropriée dans l étude d une région particulière. La finalité des sciences de gestion la distingue d autres sciences. Au-delà de la construction ou du test d une théorie, les sciences de gestion visent à créer des connaissances opérationnelles, actionnables et concrètement utilisables par le praticien. Une recherche en gestion se caractérise ainsi conjointement par la pertinence des approches théoriques mobilisées, la validité et la scientificité de la méthodologie mise en œuvre et sa capacité à préconiser l action managériale. Notre démarche de recherche est une démarche hybride qui favorise les allers-retours entre les observations empiriques et les connaissances théoriques. Cette démarche suppose l utilisation différée des trois démarches, déductive, inductive et abductive, selon l étape de la recherche. La démarche déductive consiste à élaborer une ou plusieurs hypothèses et à les tester ensuite sur le terrain. La démarche inductive passe par l observation d un cas particulier à la généralisation. Tandis que la démarche abductive consiste à observer, tirer des conjectures et en discuter. Le chercheur en management utilise plus une démarche abductive qu inductive car le but n est pas de produire des lois universelles. Nous avons dans un premier temps utilisé une démarche abductive en faisant un travail de documentation empirique sur la filière sucre et légumes frais à l ile Maurice, et en faisant une première enquête exploratoire auprès des acteurs stratégiques des deux filières. Ce constat nous a permis d affiner notre problématique. Dans un deuxième temps, toujours dans la 181

190 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE logique de la démarche abductive, la structure de notre terrain a guidé nos choix théoriques et nous a permis d avancer des propositions de recherche basées sur les conjectures identifiées. Dans un troisième temps, nous allons utiliser la démarche déductive pour tester nos propositions de recherche. La mobilisation d une démarche abductive présente l intérêt majeur d ajuster régulièrement la problématique de la recherche au terrain. Ces allers-retours permettent d éviter une distorsion trop grande entre les construits théoriques et la réalité observée. En effet, l étude empirique présente presque toujours des spécificités, ou des phénomènes non planifiés ex-ante, qui viennent troubler la démarche initialement prévue. La démarche abductive permet, dans une certaine mesure, d intégrer ces phénomènes non identifiés et d assurer plus avant la cohérence entre la conceptualisation et le terrain. 4.3 Le design de la recherche Notre positionnement épistémologique et notre mode de raisonnement nous donnent un guide général qui nous permet de définir l objectif de la recherche. Nous avons opté pour une approche à dominante qualitative pour privilégier les données issues de situations naturelles et aider à prendre en considération le point de vues des acteurs eux-mêmes (Silverman, 1993). En nous inspirant du fait que le cheminement d une recherche qualitative n est pas linéaire et est fait d allers et retours constants et de récursivités (Giordano, 2003), nous avons construit le design de la recherche que nous développons dans la section suivante Le design de la recherche et méthodologie mise en œuvre Le design de la recherche et la méthodologie mise en œuvre tout au long de la rechercher est décrite chronologiquement dans la figure 4.1. (1) Constat Notre recherche démarre par un constat : La réforme du protocole sucre entre l UE et les pays ACP est un choc exogène pour la filière sucre mauricienne. Nous constatons une diversification des activités agricoles des gros producteurs sucriers vers le secteur horticole. Nous constatons aussi que l arrivee des nouveaux entrants dans la filière legumes a causé un choc exogène dans cette filière. 182

191 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Constat La réforme du protocole sucre entre l UE et les pays ACP est un choc exogène pour la filière sucre mauricienne. Nous constatons une diversification des activités agricoles des gros producteurs sucriers vers le secteur horticole. Nous constatons aussi que l arrivee des nouveaux entrants dans la filière legumes a causé un choc exogène dans cette filière. Question de départ Qu est-ce que les nouveaux acteurs apportent à la filière légumes et comment réagissent les acteurs en place? Revue de littérature Propositions de recherche Données Secondaires et Etude Exploratoire (Entretiens semi-directifs) Conjectures Trois éléments importants emergent de notre étude exploratoire : (1) comment le choc exogéne (arrivée des nouveaux entrants) dans la filière legumes a changé les logiques institutionnelles, (2) le travail institutionnel qui se met en place au niveau des nouveaux acteurs et des acteurs en place (3) les conditions de la filière qui influencent le type de travail institutionnel Démarche Abductive Cadre théorique et Formulation de la problématique générale Cadre théorique pluriel: sociologie néo institutionnelle dans l étude des organisations; le travail institutionnel, les logiques institutionnelles Problématique générale: Quels sont les types de travail institutionnel qui sont utilisés parmi les nouveaux acteurs de la filière légumes pour modifier les logiques institutionnelles existantes de la filière ; et quels sont les types de travail institutionnel qui sont utilisés par les acteurs en place de la filière légumes face à la possibilité de nouvelles logiques institutionnelles? Démarche Hybride Etude de cas unique et enchâssé La filière légumes et ses différents acteurs Analyse de données et Résultats Discussion Conclusion, apports et perspectives Démarche déductive Figure : Design de la recherche 183

192 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE (2) Question de départ Le constat nous mène à la question de départ : Qu est-ce que les nouveaux acteurs apportent à la filière légumes et comment réagissent les acteurs en place? (3) Revue de littérature Notre incursion dans la littérature a été un très long parcours fait d allers-retours avec les données de terrain avant que l on se stabilise dans un champ théorique particulier, la sociologie néo-institutionnelle, et qu émergent les concepts clés tels que le travail institutionnel et les logiques institutionnelles qui ont aidé à établir le cadre théorique et le modèle conceptuel de notre recherche. (4) Données secondaires et étude exploratoire Au départ, après une brève revue de littérature, nous avons réalisé une étude exploratoire de la filière légumes à Maurice afin de déterminer si la réforme du protocole sucre qui a affecté la filière canne à sucre avait des conséquences sur les acteurs de la filière légumes, et quelles étaient leurs réactions. Pour nous aider dans cette tâche, nous avons aussi collecté en parallèle des données secondaires sur la filière canne à sucre et la filière légumes. L apport des données secondaires et de l étude exploratoire nous ont permis de formuler des conjectures, et aussi d identifier les différents acteurs en place de la filière légumes et les nouveaux acteurs venant de la filière canne à sucre. (5) Conjectures Trois éléments importants ont emergé de notre étude exploratoire : (1) comment le choc exogéne (arrivée des nouveaux entrants) dans la filière legumes a changé les logiques institutionnelles, (2) le travail institutionnel qui se met en place au niveau des nouveaux acteurs et des acteurs en place (3) les conditions de la filière légumes qui influencent le type de travail institutionnel. 184

193 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE (6) Propositions de recherche Nous avons construit des propositions de recherche qui ont été enrichies au fur et à mesure de nos allers-retours. (7) Cadre théorique et formulation de la problématique générale Ces conjectures nous ont permis de reconsidérer notre problématique initiale et de consolider notre cadre théorique. (8) Etudes de cas La filière légumes est considérée comme notre cas d étude. Nous explicitons notre choix de l étude de cas et notre sélection des unités d analyse dans la section 2 de ce chapitre. (9) Analyse de données et résultats Notre démarche de recherche étant une démarche hybride variant l abduction et l induction, l analyse des données a été constituée de nombreux allers-retours entre observations empiriques et grille de lecture théorique ce qui nous à permis de reconsidérer notre cadre théorique et notre problématique. Le mode d analyse des données est détaillé dans la section 3. Les résultats de nos études de cas nous ont permis de valider nos propositions de recherche. (10) Discussion Nos résultats nous ont permis de conclure cette recherche en mettant l accent sur les apports théoriques, managériales et les perspectives de recherche. Cette section a permis de clarifier notre positionnement épistémologique et de guider le lecteur par rapport à la démarche méthodologique de notre travail de recherche. 185

194 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE SECTION 2: Sélections des études de cas et collecte des données La posture épistémologique choisie et le design de la recherche nous amène à faire des allers/retours entre le terrain et la littérature. Dans cette section nous présenterons la démarche méthodologique par rapport à nos études de cas ainsi que les sources de nos données secondaires et primaires. 4.4 Sélection du cas et des sous-unités L étude de cas, selon Yin (1994) est une «recherche empirique qui étudie un phénomène contemporain dans un contexte réel surtout quand les frontières entre le phénomène et le contexte n apparaissent pas clairement, et qui mobilisent des sources empiriques multiples». Cette méthode est particulièrement adaptée pour répondre à des questions de recherche de type «comment? ou «pourquoi?» concernant des phénomènes sur lesquels le chercheur a peu ou pas de contrôle. Avant de s engager dans une étude de cas, il est important de bien choisir le design et le type d étude de cas par rapport à la problématique et les objectifs du chercheur. Yin (1994) identifie quatre types de design d étude de cas : L étude holistique du cas particulier (Type 1) ; l étude intégrée ou contextualisée du cas particulier (Type 2) ; l étude multicas holistique (Type 3) ; et l étude multicas intégrée ou contextualisée (Type 4). De plus, il y a plusieurs types d études de cas tels qu identifiés par Yin (1994), des cas à visée descriptive ou explicative ; par Stake (1995), des cas intrinsèque, instrumentale et collective ; et Merriam (1988), des cas à visée descriptive, interprétative, évaluative, ethnographique, historique, psychologique ou sociologique. Nous avons choisi le design d étude de cas du Type 2, c'est-à-dire l étude intégrée du cas particulier car cela nous donne la possibilité d étudier les sous-unités d analyse (les acteurs individuels et organisationnels) de notre cas (la filière légumes). De plus l étude de cas interprétative nous a semblé la plus appropriée car elle permet de décrire de façon détaillée le cas et d utiliser les données recueillies pour soutenir ou réfuter nos postulats théoriques. L usage d une certaine réflexivité est indispensable lorsque l on a des connaissances endogènes du milieu d étude. En ayant toujours à l esprit, lors des différentes étapes de notre analyse, la relation qui nous unit à l objet d étude, on est en mesure de faire de cette familiarité un atout pour la recherche. 186

195 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE 4.5 Collecte des données des études de cas Les sources de données pour la méthode de l étude de cas peuvent être multiples. Yin (1994) identifie six sources de données majeures : les archives, les entretiens, les observations directes, les observations participantes, et les objets physiques. Pour notre recherche, nous avons choisi d utiliser les archives à travers la recherche documentaire, et les entretiens semidirectifs La recherche documentaire Notre recherche documentaire se situe à deux niveaux : théorique (avec une revue de la littérature scientifique pour établir notre cadre théorique), et empirique/statistique (documents publiques et internes) pour dresser un constat de la filière légumes à l ile Maurice Les entretiens semi-directifs La formulation de notre problématique autour de la filière légumes avec l arrivée des nouveaux entrants, la pertinence des réactions des acteurs en place, et l émergence de nouveaux types d acteurs nous invitent à l analyse aussi bien d un ensemble d individus en interaction (association de producteurs, coopératives etc.) qu à l analyse d individus (nouveaux entrants, producteurs non-regroupés et opérant seuls, nouveaux types d acteurs). Les entretiens semi-directifs avec guide d entretien se prêtent bien à ce type d analyse. La méthodologie de l étude de cas implique un choix essentiel pour la validité de la recherche: le nombre d entretiens. La décision du nombre d entretiens découle de l équilibre entre les objectifs de la recherche, la saturation théorique et la faisabilité en termes de durée. L objectif de notre recherche ne nécessite pas la confirmation d hypothèses sur une large population théorique mais davantage la mise en relief d éléments de compréhension du phénomène étudié (Wacheux, 1996). La saturation théorique, soit «le moment à partir duquel l apprentissage incrémentiel est minime, les chercheurs observant des phénomènes déjà constatés» (Hlady-Rispal, 2002) guide également le nombre de cas de l échantillon. La saturation traduit la rencontre par le chercheur de résultats similaires dans des cas différents. Une fois cette saturation atteinte, l intérêt de mener des entretiens supplémentaires est limité. Enfin, le nombre d entretiens doit être cohérent avec la durée d un travail doctoral. 187

196 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Collecte de données La collecte des données répond au principe de triangulation des données, fondatrice de la validité de construit d une recherche (Hlady-Rispal, 2002). Nos données proviennent de trois sources différentes : Les données secondaires publiques (rapports techniques des institutions agricoles publiques; les études publiées) ; les données secondaires privées (documents internes, plan stratégique de l entreprise), et les données primaires des entretiens semi-directif auprès des acteurs stratégiques de la filière légumes. Les données primaires ont été collectées auprès des sous-unités de notre cas, les acteurs de la filière légumes (Tableau 2.3), en utilisant des guides d entretien semi-directifs (Annexe 2). Tableau : Entretiens qualitatifs Type d acteur Taille de l entreprise Niveau d analyse Nombres d entretiens (*) Usiniers producteurs Gros Organisation 6 (Plus de 400 hectares) Producteurs sucriers Gros (Plus de 50 hectares) Organisation 1 Producteurs traditionnels Petit (moins de 0,25 8 de légumes frais opérant hectares) Individuel en individuel Moyen (0,25 à 5 hectares) 3 Gros (Plus de 5 hectares) 3 Associations de Gros (plus de 100 Organisation 6 producteurs membres) Grossistes particulier Petit (moins de 10 Individuel 2 Grossistes entreprise employés) Gros (Plus de 10 Organisation 3 employés) Mandataires Gros (Plus de 10 Individuel 4 employés) Les clients de la FL Gros (hypermarchés) Organisation 3 (La GD) Les clients de la FL Gros (plus de 4 étoiles) Organisation 3 (Hôtels de luxe) Les institutions (publics Pas applicable Organisation 11 et prives) TOTAL 53 (*) En se basant sur le principe de saturation théorique. Cette section a explicité le design de notre étude de cas, l étude intégrée du cas particulier car cela nous donne la possibilité d étudier les sous-unités d analyse (les acteurs individuels et organisationnels) de notre cas (la filière légumes). Nous avons aussi donné des détails sur le nombre de cas dans les sous-unités d analyse. 188

197 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE SECTION 3 : Analyse des données des études de cas Cette section explicitera les méthodes qualitatives d analyse de données que nous avons utilisées. Ainsi dans un premier temps nous nous intéresserons à une analyse thématique des entretiens pour identifier les logiques institutionnelles ainsi que le travail institutionnel des acteurs de notre champ organisationnel. Dans un deuxième temps, nous expliquerons le choix de l analyse qualitative comparée pour analyser l utilisation des logiques institutionnelles auprès des différents acteurs. 4.6 Codage ouvert, de premier niveau Notre démarche exploratoire dans la filière légumes nous oriente vers une analyse thématique (Tableau 4.3) car nous avons un corpus important, à faible lisibilité et non homogène. Tableau : Les facteurs de choix d un type d analyse de données textuelles Cadre Méthodologique Implication du chercheur Axe temporel Analyses Lexicales - exploratoire - modèle - Faible - instantané - longitudinal Analyses Linguistiques Analyses Cognitives Analyses Thématiques - exploratoire - exploratoire - exploratoire - Forte - Faible - modèle - Forte - Forte - instantané - instantané - instantané - longitudinal Objet d analyse - un groupe - un individu - une situation - un projet Taille du corpus - importante - limitée - limitée - importante Lisibilité Corpus - forte - forte - faible - faible Homogénéité Corpus - faible - forte - forte - faible Structuration langage - faible - faible - forte Moment de l analyse statistique Source : (Fallery et Rodhain, 2007) - découverte ex-ante - contrôle ex-post - ex-ante - ex-post - ex-post 189

198 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Une analyse de contenu consiste à lire un corpus, fragment par fragment, pour en définir le contenu en le codant selon des catégories qui peuvent être construites et améliorées au cours de la lecture. Dans un premier temps les significations des textes sont catégorisées dans une grille d analyse, et dans un deuxième temps intervient l analyse statistique sur les éléments de la grille d analyse : fréquence d apparition, variation selon les interlocuteurs, selon les contextes, interdépendance entre les éléments du modèle. Le logiciel NVivo 10 a été utilisé pour coder les données, et nous avons retenu les unités d analyse constituées de phrases et de paragraphes La décontextualisation par le codage des thèmes Le codage a été réalisé de manière émergente. Il s agit d un codage ouvert consistant à nommer et catégoriser les phénomènes grâce à un examen approfondi des données. Cela correspond à la phase de décontextualisation des données qui consiste à sortir de son contexte un extrait du texte, afin de le rendre sémantiquement indépendant : cette étape de codage, entièrement libre et le plus souvent manuelle, permet de stocker les informations, de les qualifier et de les organiser (Fallery et Rodhain, 2007) La recontextualisation par les matrices et modèles Recontextualiser consiste dans NVivo à regrouper les nœuds pour en faire un tout intelligible et porteur de sens. La première fonctionnalité offerte permet de faire une relecture assistée du corpus : recherche textuelle sur un mot ou une expression (avec création possible d un nouveau nœud pour chaque recherche), recherche des co-occurrences en croisant un attribut et un nœud, ou recherche matricielle avec intersection, union, négation, différence, matrice d intersection, matrice de différence. La figure 4.2 montre un exemple de codage par nœuds et la figure 4.3 un exemple de fréquences des mots dans les entretiens. 190

199 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Figure : Codage par nœuds Figure : Fréquence des mots 191

200 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE 4.7 Analyse qualitative comparée Nous avons utilisé la méthode de l analyse qualitative comparée (Qualitative Comparative Analysis, QCA) de Ragin (1987) pour comprendre l articulation des logiques institutionnelles au niveau des acteurs car nous avons un faible nombre de cas. La QCA est une méthode d analyse qualitative systématique des cas étudiés qui s appuie sur l algèbre booléenne. Les différentes étapes de la QCA sont comme suit. Le chercheur choisit en premier lieu la variable dépendante à étudier et cette variable booléenne prend deux valeurs (1 ou 0) selon la présence (1) ou l absence (0) du phénomène à étudier. En deuxième lieu, le chercheur, en se basant sur sa connaissance des cas et du terrain, choisit les variables indépendantes les plus pertinentes pour expliquer le phénomène, et dichotomise ces variables en utilisant les valeurs (0 ou 1) correspondent, par exemple, à la présence /absence d une condition. En troisième lieu, le chercheur utilise un logiciel pour produire un tableau de vérité en fonction du nombre de variables indépendantes. Le chercheur peut ensuite chercher le modèle explicatif du phénomène en utilisant l algèbre booléenne et obtient un résultat qui représente l explication la plus parcimonieuse. Mais le cas échéant, la QCA identifie aussi les différents scénarios causals expliquant le phénomène étudié. L intérêt de l algèbre booléenne est de permettre le traitement de nombreux cas de façon rigoureuse. La QCA selon Ragin (1987) pousse le chercheur à être à la fois analytique car il lui permet de modéliser le cas sous forme de variables, et holiste car il tient compte des combinaisons de variables, considérées comme un tout. Cette section nous a permis d expliquer comment nous avons procédé à l analyse de nos données primaires et secondaires à travers deux méthodologies, l analyse thématique et l analyse qualitative comparée. 192

201 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE SECTION 4 : Critères de fiabilité et validité de la recherche La fiabilité selon Grawitz (1990) réside «dans la concordance d observations faites avec les mêmes instruments par des opérateurs différents sur les mêmes sujets». Sa détermination est problématique en recherche qualitative puisque le principal instrument de mesure est le chercheur lui-même. La question de la fiabilité demande de l attention à deux niveaux : lors de la collecte des données et lors de l analyse des données. Dans cette section, nous mettrons l emphase sur la fiabilité de notre travail de recherche, ainsi que sur sa validité interne et externe. 4.8 La fiabilité ou la fidélité de la recherche En premier lieu, les compétences et la préparation du chercheur pour l entretien ne sont pas identiques. Même si les questions sont standardisées, les réponses obtenues par deux chercheurs peuvent être différentes. Ensuite, les interviewés peuvent ne pas donner exactement les mêmes réponses selon leur interlocuteur. Enfin, la relation constituée entre un interviewé et un intervieweur est à chaque fois unique. Ces biais ont été considérés et combattus avec la plus grande fermeté possible, par l adoption d une démarche aussi rigoureuse que possible tant dans la collecte que dans l analyse des données. Weber (1990) propose trois sous-critères pour mesurer la fiabilité de l analyse : La stabilité : il s agit de vérifier si on obtient les mêmes résultats lorsque les données sont codées par le même codeur à plusieurs reprises. La précision : cette dimension se réfère à la comparaison entre le codage et une norme. Elle est rarement prise en compte. La reproductibilité : le chercheur compare les résultats lorsque les mêmes données sont codées par des personnes différentes. Cela implique l utilisation d un protocole de codage commun et l estimation de la fiabilité inter-codeur. Puisque l objectif principal est de vérifier jusqu à quel degré deux applications de la même mesure, dans les mêmes conditions, produisent un résultat identique (Hlady-Rispal, 2002), le 193

202 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE choix a été fait dans la présente recherche de procéder à une double-analyse effectuée par un autre chercheur (Hirschman, 1986). A cette fin, le cheminement adopté a été celui recommandé par Yin (1994) : un protocole de recherche a été élaboré, permettant de retracer la démarche de recherche et d analyse. Ce document, ainsi que le récit d un de nos interviewés, ont été présentés à un autre chercheur, connaissant la méthode d analyse utilisée. Après avoir défini l unité d analyse, un échantillon de texte a été codé indépendamment par les deux codeurs. A la suite de ce double codage, la fiabilité inter codeurs a été analysée. Le taux de fiabilité a pu être calculé (section 4.8.1), puisque l échantillon de texte codé comportait plus de 100 unités codées, nombre à partir duquel le codage d unités supplémentaires a peu d impact sur les estimations des taux d accord Calcul de la fiabilité du codage Indice de fiabilité = (2 x N) / (I+J) N = nombre d unités de codage communes aux deux analyses concernées I = nombre d unités de codage utilisées par l analyste A J = nombre d unités de codage utilisées par l analyste B Si un indice égal à 1 est exceptionnel, les auteurs pensent que des indices de l ordre de 0,70-0,80 traduisent un assez fort recouvrement entre les deux analyses. Selon ce calcul qui est le plus adapté pour un codage par proposition, le travail effectué dans le cadre de la présente recherche a conduit à un indice de 0,65, qui illustre un recouvrement élevé entre les deux codages. 4.9 La validité de la recherche La validité d une recherche peut être appréhendée de par sa validité théorique, sa validité interne ainsi que sa validité externe. 194

203 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE La validité théorique ou du construit Le construit est la représentation abstraite d un phénomène que l on cherche à appréhender. Par conséquent, la validité du construit renvoie à la question suivante : le construit créé par le chercheur correspond-il au phénomène étudié? Autrement dit, elle vise à valider l établissement de mesures opérationnelles correctes pour les concepts et paradigmes théoriques étudiés (Hlady-Rispal, 2002). Selon Yin (1994), le fait d utiliser plusieurs sources d informations augmentera la richesse de la méthode utilisée puisqu il permettra d asseoir les résultats sur la convergence des informations. La présente recherche se base sur une principale source de données : celle des entretiens avec les différents acteurs de la filière légumes. Cette source de données a été complétée par plusieurs autres sources La validité interne La validité interne renvoie à la crédibilité et à l authenticité interne des résultats générés. Lors de la retranscription des interviews, les critères suggérés par la littérature sur la vraisemblance, l adéquation, la plausibilité et l authenticité (Miles et Huberman, 2003) ont été intégrés Validité externe La validité externe interroge sur le caractère «généralisable», c est-à-dire «transférable» des résultats. Dans une logique quantitative, elle vise à connaître la probabilité pour que les résultats observés dans un échantillon soient également présents dans la population-mère, source de l échantillon. Cela est de peu d utilité pour les études qualitatives. La validité externe d une recherche qualitative se mesure essentiellement à l aune de la démarche même de la recherche. Selon Thiétart et al. (1999) «seul le chercheur est réellement en mesure de dire (...) comment il entend dépasser les spécificités locales de chaque cas pour généraliser les résultats à un univers plus vaste». Pour ces auteurs, deux 195

204 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE éléments ont une incidence directe sur la validité externe de la recherche : la manière de choisir le terrain d étude et la manière d analyser les données collectées. Pour empêcher l influence des biais dans la présente étude, une attention particulière a été portée, lors de la mise en place de l étude terrain, à la détermination de l échantillon, à la maîtrise du contexte d environnement et à celle de la période de l étude. Cette section a donné des éclaircissements sur les critères de fiabilité et de validité de notre travail de recherche. Nous avons ainsi établit un indice de fiabilité de 0,65 entre deux codeurs indépendants ce qui indique un assez fort recouvrement. Nous avons aussi démontré de quelle façon nous avons assuré aussi bien la validité interne que la validité externe de notre recherche. 196

205 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE Conclusion du chapitre 4 Ce chapitre a précisé et justifié le positionnement épistémologique de la présente recherche et le cheminement méthodologique retenu. Notre recherche se base sur le paradigme interprétativiste et une démarche de recherche abductive avec des allers et retours constants à la littérature. Cette démarche nous a permis d enrichir ce travail de recherche en affinant constamment notre problématique et notre cadre théorique jusqu à ce qu on ait pu mobiliser la littérature approprié et le cadre d analyse adéquat pour formuler nos propositions de recherche. Nous avons ensuite précisé le design de la recherche et explicité la sélection des cas et la collecte de données. Nous avons aussi décrit l analyse de nos données par la méthode de l analyse thématique et la méthode de l analyse qualitative comparative pour comparer nos études de cas. L analyse de contenu des discours des acteurs enquêtés nous a permis d identifier les logiques institutionnelles auxquelles ils adhèrent, tandis que l analyse qualitative comparative nous a donné la possibilité d analyser chaque logique institutionnelle à travers les variables indépendantes et de préciser les conditions qui favorisent l adoption d une logique institutionnelle. Finalement nous avons précisé la fiabilité et la validité interne et externe de nos résultats à travers différents moyens tels que triangulation, saturation des données et retour à la littérature. Nous avons aussi essayé d être critiques envers notre propre travail pour assurer sa fiabilité et sa validité et nous espérons y être arrivées. 197

206 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS DEUXIEME PARTIE: MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS Chapitre 4: Méthodologie de recherche Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de cas Chapitre 6 : Discussion

207 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Chapitre 5 : Les résultats des enquêtes et études de cas Introduction Ce travail de recherche a pour objectif d analyser les répercussions de l entrée des producteurs sucriers dans la filière légumes en utilisant une perspective néo-institutionnelle. Cette angle d approche nous semble pertinent car elle nous permet d analyser notre champ organisationnel, la filière légumes, et de tester nos propositions de recherche à deux niveaux : en premier lieu au niveau méso pour caractériser le CO en termes de son degré d hétérogénéité et d homogénéité par rapport aux logiques institutionnelles ; et en deuxième lieu au niveau micro pour analyser le travail institutionnel qui se met en place chez l acteur individuel ou organisationnel, en place ou nouveau, pour créer de nouvelles logiques institutionnelles, maintenir ou déstabiliser les logiques institutionnelles existantes. Pour cela nous avons mené des enquêtes de terrain auprès des principaux acteurs en place et nouveaux de la filière légumes. Ce chapitre est consacré à la présentation des résultats de nos enquêtes de terrain et de nos études de cas. Nous présenterons dans une première section les résultats au niveau méso liés aux caractéristiques du champ organisationnel et des principaux acteurs de la filière légumes. Dans la seconde section, nous exposerons les résultats au niveau micro pour chacun des cas étudiés tout au long de la filière notamment dans le domaine de la production et dans le domaine de la distribution. Dans la troisième section, nous procéderons au test des propositions de recherche. 199

208 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS SECTION 1 : Méso analyse du champ organisationnel Nous rappelons qu un champ organisationnel comporte plusieurs éléments constitutifs qui permet de le caractériser (Scott, 2008). Nous avons choisi de nous focaliser sur un de ces composants, les systèmes culturels-cognitifs, et plus spécifiquement les logiques institutionnelles, qui ont pris de l importance avec les travaux de Friedland et Alford (1991), Thornton et Ocasio (2008) et plus récemment Thornton et al. (2012), pour caractériser notre champ organisationnel en termes des différents types de logiques institutionnelles, et du degré d hétérogénéité et d institutionnalisation de ces logiques institutionnelles dans le champ organisationnel. Cette section présentera dans un premier temps les logiques institutionnelles qui ont émergé des analyses de contenu des enquêtes auprès des acteurs de la filière légumes, et qui sous tendent le comportement de ces acteurs. Dans un deuxième temps, nous analyserons le degré d hétérogénéité et d institutionnalisation (ou de structuration) de notre champ organisationnel 5.1 : Les caractéristiques du champ organisationnel de la filière légumes Pour rappel, nous avons délimité la frontière du champ organisationnel de la filière légumes en fonction des deux critères ci-dessous : Le premier critère se rapporte à la définition d un champ organisationnel comme celle proposée par DiMaggio et Powell (1983), «les organisations, qui collectivement, constituent une zone reconnue de vie institutionnelle : les fournisseurs clés, les demandeurs de ressources et de produits, les organismes de règlementation, et toutes autres organisations produisant des produits et services similaires». Le deuxième critère s articule autour des types d activités regroupées autour d un produit ou d un service (Fligstein, 2001). Ainsi basé sur ces deux critères, nous avons défini les contours de notre champ organisationnel autour d un produit, les légumes destinés au marché local mauricien, et autour des acteurs individuels et organisationnels qui sont reconnus et légitimes dans le CO et qui ont des activités reliées soit à la production ou à la distribution de légumes. De la même façon, nous avons utilisé les mêmes concepts pour considérer la filière canne à sucre comme un champ organisationnel, voisin de notre champ organisationnel à l étude (la filière légumes). Plus spécifiquement nous nous sommes intéressées à identifier et caractériser les acteurs principaux de la filière CAS qui sont des nouveaux entrants dans la filière 200

209 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS légumes, et ce qu ils ont emmené dans la filière légumes en terme de nouvelles logiques institutionnelles ainsi que le travail institutionnel qu ils ont entreprit pour agir sur les logiques institutionnelles existantes dans la filière légumes. Les principaux acteurs de notre champ organisationnels sont décrits comme suit et nous allons expliciter nos résultats en fonction de ces acteurs : Premièrement les acteurs en place (les petits producteurs de légumes (PP), les moyens producteurs de légumes (MP), les gros producteurs de légumes (GP), les fournisseurs d intrants (FI), les mandataires (M), les grossistes-particulier (G-P), et les grossistes-moyenne entreprise (G-ME) ; et deuxièmement les nouveaux acteurs (les usiniersproducteurs/producteurs sucriers (PS), et les grossistes-grande entreprise (G-GE) Les logiques institutionnelles de la filière légumes En nous basant sur la définition de Thornton et Ocasio (2008) qui considère que les logiques institutionnelle sont les symboles culturels et les pratiques matériels, incluant les hypothèses, les valeurs, et les croyances socialement et historiquement construits, et qui sont utilisés par les individus et les organisations pour donner un sens à leur activités quotidiennes, les aider à organiser leur temps, et à reproduire leurs expériences, nous avons utilisé la démarche de recherche abductive et inductive avec des allers-retours entre la littérature et le terrain pour identifier les logiques institutionnelles qui caractérisent la filière légumes. Nous avons divisé la filière légumes en deux domaines qui sont toutefois perméables car il y a des acteurs qui se retrouvent dans les deux domaines. Le premier domaine concerne la production de légumes et le deuxième, le circuit de distribution. Nous utilisons les données secondaires et les données primaires issues des enquêtes de terrain pour construire la base de données. En utilisant la méthode de codage ouvert de données décrit dans le chapitre 4, nous élaborons des thèmes et des dimensions agrégées comme décrit dans la figure

210 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Concepts 1e Niveau Les petits producteurs ne modernisent pas leurs techniques de production et investissent leurs profits dans les besoins de la famille Le métier de mandataire et de grossiste-particulier se perpétue de père en fils Thèmes 2e Niveau La famille est la priorité des petits producteurs de légumes Maintien d une dynastie très rentable Dimensions agrégées Logique Familiale Les petits producteurs gardent précieusement le contrôle sur leur ressource principale, leur terre Les petits et moyens producteurs gardent jalousement les techniques et les informations sur leur production Refus d une gestion commune des terres Secret sur l information et privatisation sur la connaissance Logique individualiste Les associations de producteurs ne fonctionnent pas, et les projets de regroupement sont souvent des échecs Refus de la collectivité Les mandataires contrôlent les trois marchés de gros et contrôle le prix et la quantité de légumes transitant par les marchés de gros Les grossistes-particulier ont établit des liens privilégiés avec les détaillants de la GD et les hôtels de luxe Fixation des prix et des quantités de légumes Barrière à l entrée pour les nouveaux venus dans le circuit de distribution et nombre limité d acteurs Logique de cartellisation Regroupement de moyens producteurs avec des liens familiaux pour la transformation de légumes Les gros producteurs investissent dans des stations de post-récoltes, tri, et emballage de légumes Transformation des légumes en produits secondaires destinés à la GD Innovation en terme d emballage et de qualité Logique entrepreneuriale Les moyens et gros producteurs de légumes adoptent des nouvelles techniques de production, et innovent par rapport aux matières premières Modernisation de la production Les moyens et gros producteurs investissent dans des nouveaux produits Mimétisme par rapport aux nouveaux entrants dans la production Logique de marché Les grossistes-particuliers cherchent de nouveaux circuits de distribution Compétition avec les sociétés de distribution Figure : Analyse thématique des discours Identification des logiques institutionnelles 202

211 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Cette analyse des discours des différents acteurs concernés dans la filière, nous a permis d identifier trois types de logiques institutionnelles, inhérentes à la filière légumes (logique familiale, la logique individualiste, la logique de cartellisation), et qui conditionnent le jeu des acteurs en place dans les deux domaines de la production et de la distribution, et deux logiques institutionnelles (la logique entrepreneuriale, et la logique de marché) qui ont pris de l importance dans la filière auprès de certains acteurs en place. Le tableau 5.1 ci-dessous nous montre les différentes logiques institutionnelles et les acteurs en place qui adhèrent à ces logiques avant et après l arrivée des nouveaux entrants dans la filière. Nous observons que les petits et moyens producteurs de légumes adoptent aussi bien la logique familiale que la logique individualiste. La logique de cartellisation est essentiellement adoptée par les mandataires et les grossistes-particuliers ; et les gros producteurs de légumes, les fournisseurs d intrants et les grossistes-moyenne entreprise adoptent les logiques entrepreneuriale et marché. Les nouveaux entrants dans la filière légumes, les usiniersproducteurs/gros producteurs sucriers et les grossistes-grande entreprises adoptent eux la logique entrepreneuriale et marché. 203

212 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Les logiques institutionnelles de la filière légumes Logique familiale Petits et moyens producteurs de légumes Les acteurs en place avant l arrivée des nouveaux entrants Logique individualiste Petits et moyens producteurs de légumes Dirigeants d association de producteur Les acteurs en place et les nouveaux entrants Petits et moyens producteurs de légumes Petits et moyens producteurs de légumes Dirigeants d association de producteur Logique de cartellisation Mandataires Mandataires Logique entrepreneuriale Gros producteurs de légumes Fournisseurs d intrants Grossistesparticuliers Grossistesmoyenne entreprise Moyens producteurs de légumes Gros producteurs de légumes Grossistesparticuliers Usiniersproducteurs/gros producteurs sucriers Grossistesmoyenne entreprise Grossistes-grande entreprise Logique de marché Gros producteurs de légumes Fournisseurs d intrants Grossistesmoyenne entreprise Moyens producteurs de légumes Les mandataires Gros producteurs de légumes Grossistesparticuliers Usiniersproducteurs/ gros producteurs sucriers Grossistesmoyenne entreprise Grossistesgrande entreprise 204

213 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS A ce stade de notre analyse de données, notre perspective méso de la filière, ne nous permet pas d expliquer comment les acteurs utilisent les logiques institutionnelles, et si elles sont complémentaires ou conflictuelles. Nous proposons de répondre à ces questions dans la section 2 de ce chapitre en adoptant une perspective micro analytique au niveau des acteurs. Mais avant cela nous proposons de caractériser les logiques institutionnelles identifiées par rapport à leur degré d hétérogénéité et d institutionnalisation dans notre champ organisationnel Le degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles du CO L indicateur utilisé pour déterminer le degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles est le nombre de logiques institutionnelles qui structure les actions des différents acteurs. C est donc un continuum en partant de extrêmement homogène à extrêmement hétérogène en passant par moyennent homogène et moyennement hétérogène comme décrit dans la figure 5.2. Extrêmement homogène Moyennement homogène Moyennement hétérogène Extrêmement hétérogène (Une logique dominante) (Deux logiques complémentaires ou conflictuelles) (Trois logiques conflictuelles) (Plus de trois logiques conflictuelles) Figure : Continuum du degré d hétérogénéité des logiques institutionnelles Parmi nos cinq logiques institutionnelles identifiées, la logique familiale et la logique individualiste sont complémentaires ; et la logique de marché et la logique entrepreneuriale sont aussi complémentaires. Une combinaison d autres logiques est conflictuelle. En nous basant sur ce continuum décrit dans la figure 5.2, nous observons qu avec plus de trois logiques institutionnelles conflictuelles, nous avons un CO très hétérogène. 205

214 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Le degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles du CO Nous essayons dans cette section d établir le degré d institutionnalisation des logiques institutionnelles de la filière légumes. Pour y arriver nous nous référons au concept de structuration de Giddens (1984), et plus particulièrement au sens de DiMaggio et Powell (1983) qui décrivent quelques indicateurs utilisés pour comprendre à quel point un CO est structuré: le degré d interaction entre les organisations, l émergence de structures inter organisationnelles de domination et d alliance, l accord sur les logiques institutionnelles qui guident les activités du champ, le degré d isomorphisme des formes structurelles par rapport aux organisations qui utilisent un répertoire limité d archétypes et d activités collectives; et une délimitation très clair des frontières du champ Le degré d interaction entre les acteurs Pour pouvoir caractériser les interactions de nature professionnelle entre les différents acteurs de la production et de la distribution de la filière légumes, nous avons construit une échelle de valeur comme décrit dans la figure 5.3. A une extrémité de cette échelle, nous avons le scénario de «Pas d interaction» avec une valeur de 0, et à l autre extrémité, le scénario «très régulier» avec une valeur de 1. Entre les deux extrémités nous avons des interactions «rare» (valeur 0,25), «occasionnel» (valeur 0,5) et régulier (valeur 0,75). Pas d interaction Rare Occasionnel Régulier Très régulier Figure : Continuum du degré d interaction entre les acteurs Nous avons utilisé le continuum de degré d interaction des acteurs (Figure 5.3) pour construire le tableau 5.2 et nous mettons en évidence les relations où il y a de fortes interactions. 206

215 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Degré d interaction entre les acteurs de la filière légumes PP MP GP FI PS M G-P G-ME G-GE PP 0,25 0,25 0,25 0,75 0 0,25 0,75 0,5 0 MP 0,25 0,5 0, 1 0, ,5 0 GP 0,25 0 0,25 1 0, ,75 0 FI 0, ,75 1 0,75 0, PS 0 0,5 0,75 1 0, M 0, ,75 1 0,75 1 0,75 0 G-P 0, , , G-ME 0,5 0,5 0, ,75 0 0,25 0 G-GE ,25 PP : Petit producteur ; MP : Moyen producteur ; GP : Gros producteur ; FI : Fournisseur d intrants ; PS : Producteur sucrier ; M : Mandataire ; G-P : Grossiste-particulier ; G-ME/ Grossiste-Moyenne Entreprise ; G-GE : Grossiste-Grande entreprise Les interactions les plus fréquentes pour les petits producteurs de légumes sont en amont de la production avec les fournisseurs d intrants et en aval avec les grossistes particulier pour la distribution de légumes car ces petits producteurs sont dépendants des fournisseurs d intrants pour les intrants agricoles, et des grossistes-particuliers pour l acheminement de leurs légumes dans les circuits de distribution. Le moyen producteur de légumes interagit le plus régulièrement avec le fournisseur d intrants pour l achat des ses intrants pour la production de légumes, et avec le mandataire et le grossiste-particulier pour la distribution de ses légumes. Le gros producteur de légumes a des interactions, au niveau de la production, très régulières avec les fournisseurs d intrants, et régulières avec les producteurs sucriers pour la location des terres pendant l entrecoupe de la canne à sucre. Au niveau de la distribution des légumes, le gros producteur de légumes interagit très régulièrement avec les mandataires, et les grossistes-particuliers et régulièrement avec les grossistes-moyenne entreprises. Le fournisseur d intrants, étant un acteur clé dans la production des légumes, interagit régulièrement à très régulièrement avec toutes les catégories d acteurs de la production, et régulièrement avec les mandataires et grossistes-particulier qui peuvent aussi être des producteurs. 207

216 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Il est intéressant de noter que le mandataire a des interactions avec tous les acteurs principaux de la filière légumes à l exception du grossiste-grande entreprise, ce qui démontre l importance de cet acteur dans la filière. Le grossiste-particulier a des interactions très régulières avec le petit, moyen et gros producteur ainsi que le producteur sucrier, mais aucunes interactions avec le grossistemoyenne entreprise et grande entreprise car ceux-ci expédient leurs légumes directement chez leurs clients. Au niveau du circuit de distribution traditionnel, le grossiste-particulier interagit très régulièrement avec le mandataire. Le grossiste-moyenne entreprise a des interactions très régulières avec le producteur sucrier, et régulières avec le mandataire pour s approvisionner en légumes. Il a aussi des contacts occasionnels avec les petits, moyens et gros producteurs de légumes pour l achat de légumes au champ. L usinier-producteur/ producteur sucrier, comme nouvel entrant dans la filière légumes, a des interactions avec tous les principaux acteurs de la production et de la distribution à l exception du petit producteur de légumes. Les échanges les plus régulières se font en amont avec les fournisseurs d intrants, et en aval avec les mandataires, les grossistes-particuliers, et les grossistes-grande entreprises. Les interactions avec les moyens et gros producteurs de légumes sont essentiellement pour la location des terres. Le grossiste-grande entreprise, nouvel entrant dans la filière légumes, est le seul acteur qui n a pas d interaction avec les autres acteurs en place du CO. Il interagit très régulièrement avec les usiniers-producteurs sucriers qui l approvisionnent en légumes Les structures de domination ou d alliance Une des logiques institutionnelles observées dans la filière légumes est la logique de cartellisation qui se rapporte à l existence de relations de domination au niveau du circuit de distribution chez les mandataires et les grossistes-particuliers. 208

217 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Le degré d isomorphisme des acteurs en place Les logiques institutionnelles exercent des pressions isomorphiques sur les acteurs en place de la filière légumes et offrent un contexte institutionnel pour que les acteurs puissent définir leurs stratégies concurrentielles (Lawrence, 1999). Les pressions normatives, coercitives et mimétiques identifiées auprès des acteurs enquêtés, et à travers les données secondaires sont résumées dans le tableau 5.3. Tableau21 5.3: Pressions normatives, coercitives et mimétiques sur les acteurs principaux de la filière légumes Types d acteur Isomorphisme normatif Isomorphisme coercitif Les fournisseurs Il y a des règles d adhésion L environnement d intrants parmi les professionnels régulateur exerce un dans la fourniture contrôle très rigoureux d intrants, et ces règles sur l importation de agissent comme des produits chimiques barrières à l entrée. agricoles. Petits Producteurs Bien qu étant membres d associations de producteurs, les petits producteurs opèrent individuellement et souvent de façon isolée. Moyens/gros producteurs Les nouveaux entrants gros producteurs sucriers Les gros producteurs sucriers, venant d un champ institutionnel très fermé, ont des règles d adhésion très fortes qui sont des barrières à l entrée. Les organismes régulateurs imposent des bonnes pratiques agricoles aux producteurs, à travers des prescriptions légales (ex. types et volumes d intrants chimiques). 209 Isomorphisme mimétique Il y a très peu de grands fournisseurs d intrants. Les petits fournisseurs adoptent un comportement mimétique. Les gros fournisseurs favorisent la demande en produits chimiques agricole ainsi que les autres matières premières venant des gros producteurs sucriers, nouveaux entrants dans la filière légumes Les petites superficies sous cultures et le manqué de moyens (financiers et main d œuvre) impose un comportement mimétique. Les moyens et gros producteurs ayant accès aux ressources financières ont tendance à imiter les pratiques agricoles des meneurs dans la filière légumes tels que la mécanisation de certaines étapes de production, l utilisation de nouvelles matières premières (semences, bio pesticides etc.) Il n y a que 6 gros producteurs sucriers dans la filière sucre, et la diversification de avec succès de certains dans la production de légumes induit un comportement mimétique chez les moyens et gros producteurs de légumes en place.

218 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau 5.3 : Pressions normatives, coercitives et mimétiques sur les acteurs principaux de la filière légumes (suite) Types d acteur Isomorphisme normatif Isomorphisme coercitif Mandataires Il y a très peu de mandataires pour les trois marchés de gros et ils ont un grand contrôle sur la chaîne de distribution, et une forte barrière à l entrée. Grossistes- Il y a très peu de Particuliers grossistes-particuliers et ils ont un grand contrôle sur la chaîne de distribution, et une forte barrière à l entrée. Grossistes- Les entreprises sont Moyenne soumises aux règles Entreprises d opération imposées par l état. Grossistes-Grande Entreprises Il existe très peu de grandes entreprises de distribution de légumes frais, et ils sont surtout concernés par les normes de qualité pour la mise en marché des légumes. Isomorphisme mimétique Nous notons un isomorphisme mimétique au niveau des petits et moyens producteurs de légumes et un isomorphisme coercitive et normative par rapport aux lois régulant la filière légumes et les normes et standards du marché respectivement L accord sur les logiques institutionnelles Les figures 5.2 et 5.3 montrent l accord des principaux acteurs de la filière légumes sur les logiques institutionnelles existantes de la filière. Les pourcentages ont été calculés en fonction du degré d adhésion des acteurs appartenant à chaque catégorie respective à une ou plusieurs logiques institutionnelles. Nous avons présenté la situation avant l arrivée des nouveaux entrants dans la filière (figure 5.2) et après l arrivée des nouveaux entrants (Figure 5.3) 210

219 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Accord entre les acteurs (en place) sur les logiques institutionnelles Logique de marché (GP, FI G-ME) 25% 25% Logique familiale (PP, MP, M, G-P) Logique entrepreneuriale (GP, FI, G-ME) 13% Logique de cartellisation (M, G-P) 12% Logique individualiste (PP, MP, M, G-P) 25% PP-Petit producteur MP-Moyen Producteur GP-Gros producteur FI-Fournisseur d'intrants M-Mandataire G-P-Grossiste particulier G-ME- Grossiste-Moyenne entreprise Figure : Accord des acteurs en place de la filière légumes sur les logiques institutionnelles existantes Avant l arrivée des nouveaux entrants dans la filière légumes, deux catégories d acteurs s accordaient sur deux logiques institutionnelles de façon égale (25%), les logiques familiales et individualistes, deux autres catégories d acteurs (mandataires et grossistes-particuliers s accordaient sur la logique de cartellisation (12%) ; et les autres acteurs principaux, les gros producteurs de légumes, les fournisseurs d intrants et les grossistes-moyenne entreprise adoptaient une logique de marché (25%) et aussi une logique entrepreneuriale (13%). Logique de marché (MP, GP, PS, FI, M, G-P, G-ME, G-GE) 28% Accord entre les acteurs (en place et nouveaux) sur les logiques institutionnelles Logique familiale (PP, MP, GP, M, G-P) 18% Logique entrepreneuriale (GP, PS, FI, M, G-P, G-ME, G- GE) 25% Logique individualiste (PP, MP, M, G-P) 18% Logique de cartellisation (M, G-P) 11% PP-Petit producteur MP-Moyen Producteur GP-Gros producteur PS-Producteur sucrier FI-Fournisseur d'intrants M-Mandataire G-P-Grossiste particulier G-ME- Grossiste-Moyenne entreprise G-GE-Grossiste-Grosse entreprise Figure : Accord des acteurs en place et nouveaux de la filière légumes sur les logiques institutionnelles existantes et nouvelles 211

220 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS En nous basant sur la figure 5.3, nous voyons qu il y a eu des changements sur l accord sur les logiques institutionnelles avec l arrivée des nouveaux entrants. Il y a eu beaucoup plus d acteurs (28%) qui s accordent sur la logique de marché à l exception du petit producteur de légumes. La logique entrepreneuriale a aussi été adoptée par plus d acteurs (25%) à l exception des petits et moyens producteurs de légumes. En ce qui concerne la logique de cartellisation, elle est concentrée (11%) au niveau des mandataires, et des grossistesparticuliers. La logique individualiste est présente parmi un groupe restreint (18%) incluant les petits et moyens producteurs, les mandataires et les grossistes-particuliers. En nous basant sur les résultats des différents indicateurs du niveau de structuration de la filière légumes, nous construisons le tableau 5.4. Tableau : Score des différents indicateurs de structuration de la filière légumes Score Indicateurs Degré d interaction entre les acteurs Les structures de domination/alliance Degré d isomorphisme des acteurs en place Accord sur les logiques institutionnelles Peu élevé Score =0,5 Il y a une structure d alliance (cartel) entre les mandataires et les grossistes-particulier Cela concerne surtout les petits et moyens producteurs de légumes Il y a plusieurs logiques institutionnelles qui causent des conflits parmi les acteurs Elevé Score =0,75 Mais les interactions sont concentrées entre quelques acteurs Total score 0,75 0,5 0,5 0,5 Score Moyen 0,56 En nous basant sur une échelle de 0 à 1, avec un niveau du CO peu structurée (valeur 0), un niveau moyennement structurée (valeur 0,5) et un niveau très structuré (valeur 1), nous concluons que la filière légumes a un niveau de structuration légèrement au dessus de la moyenne avec un score moyen de 0,56. En nous référant aux analyses des données sur le degré d hétérogénéité et d institutionnalisation des logiques institutionnelles dans la filière légumes, nous concluons qu avec des logiques institutionnelles très hétérogènes et un champ organisationnel 212

221 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS moyennement structurée ou institutionnalisée, ceci offre un terrain propice pour des changements institutionnels (Oliver, 1991, Sewell, 1992, Whittington, 1992, Seo et Creed, 2002). Dans cette première section, nous avons mené une analyse méso de notre champ organisationnel, la filière légumes, ce qui nous a permis de : premièrement identifier les logiques institutionnelles de la filière, et deuxièmement de caractériser le degré d hétérogénéité des logiques identifiées, et troisièmement, d analyser le degré de structuration ou d institutionnalisation de notre champ organisationnel. Ces résultats se rapportent à une dimension importante de notre modèle conceptuel à savoir les caractéristiques objectives de notre champ organisationnel, ce qui nous permettra éventuellement de vérifier notre première proposition de recherche sur le lien entre le type de travail institutionnel et les caractéristiques du champ organisationnel. Nous examinons dans la section suivante, une autre dimension de notre modèle conceptuel, les caractéristiques des acteurs de notre CO. Pour ce faire, nous analyserons nos données en utilisant la perspective des acteurs d un point de vue micro. 213

222 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS SECTION 2 : Micro-analyse des logiques institutionnelles au niveau des acteurs Dans cette section, nous analyserons chaque logique institutionnelle identifiée dans notre champ organisationnel au niveau des acteurs du champ pour nous aider à comprendre les conditions qui poussent un acteur à adopter une logique au dépend d une autre. Pour nous aider dans cette analyse, nous avons mobilisé la méthode comparative 11 ou l analyse qualitative comparée développé par Ragin (1987) que nous avons décrit dans le chapitre 4. Cette méthode d analyse a été surtout utilisé dans les sciences politiques et en sociologie mais a quand même été utilisée en sciences de gestion dans des travaux empiriques (Chanson et al., 2005). 5.2 Analyse qualitative comparative des logiques institutionnelles par rapport aux acteurs La logique familiale La logique familiale a été considérée dans de nombreux travaux (voir Miller et al., 2011 ; Greenwood et al., 2010). Ainsi d après Berrone et al. (2010) la richesse socio-émotionnelle, c'est-à-dire le fait d utiliser l entreprise et ses ressources pour offrir des bénéfices émotionnels et sociaux à la famille, est importante dans les entreprises familiales. Cette richesse socioémotionnelle peut prendre plusieurs formes telles que la possibilité d offrir une carrière professionnelle aux membres de la famille et une sécurité financière à la génération présente et future. La logique familiale est très présente parmi les petits et moyens producteurs de légumes. Nous l avons souvent retrouvé dans le discours des personnes enquêtées sur le terrain comme en témoignent les verbatim ci-dessous : 11 Qualitative Comparative Method 214

223 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS «Nous étions douze enfants. Au départ je n étais pas intéressé par la production. J ai pris un l emploi au ministère de la santé. Je travaille au champ le matin et le soir je suis au bureau. Cela m a permit de financer l éducation de mes enfants.» Entretien avec un petit producteur de légumes, Novembre 2010 «J ai deux bons garçons qui ont bien étudié. J ai aussi mon épouse qui m aide au champ Non, mes enfants ne s intéressent pas à la production de légumes. J ai préféré avec l argent de mes récoltes, investir dans leur éducation formelle, et ils se sont spécialisés dans des domaines autres que l agriculture. Donc, moi je continue ma petite production jusqu à la fin de mes jours. Cependant, je leur ai dit que mon vœu le plus cher est qu ils conservent mon terrain et continue la production de légumes après ma mort. Je ne veux pas qu ils vendent mon terrain car ils doivent apprécier le fait que cette terre les a nourrit et a servi à les éduquer.» Entretien avec un producteur moyen de légumes, Novembre 2010 Sachant que, pour les agriculteurs mauriciens des régions rurales et périurbaines, la production agricole est étroitement imbriquée dans la vie sociale (Pareanen, 2008), nous postulons que la logique familiale se situe entre la logique de subsistance et la logique de marché. Pour nous aider à comprendre les conditions qui favorisent l adoption de la logique familiale, nous utilisons trois facteurs propres à la logique de subsistance (Bonnal, 1997) et qui nous semblent aussi applicables à la logique familiale : le risque et l'incertitude liés aux activités agricoles qui poussent les producteurs à privilégier une logique de minimisation du risque et des incertitudes agro-climatiques et économiques; la dépendance sur les facilités offerts par l Etat et ses représentants pour des aides techniques et financières; et la dépendance vis-à-vis du circuit de distribution à travers les mandataires et/ou grossistes. Ces trois facteurs déterminent le comportement du producteur et nous nous servons de l analyse qualitative comparée pour comprendre quels sont les catégories de producteurs les plus concernés par cette logique familiale. Nous avons mobilisé trois variables (conditions) pour tenter 215

224 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS d expliquer comment la logique familiale se construit dans le discours des acteurs et ainsi pouvoir comparer les différentes unités d analyse pour les acteurs principaux de la filière légumes : (1) le contrôle des risques dans les activités agricoles, (2) la dépendance sur l Etat, et (3) la dépendance vis-à-vis des mandataires/grossistes. Nous construisons un tableau (tableau 5.5) avec les données primaires issues des enquêtes de terrain. Dans ce tableau, nous avons voulu comparer les cas des petits et moyens producteurs qui adhèrent à la logique familiale et les cas des gros producteurs de légumes et des usiniersproducteurs/gros producteurs sucriers pour qui la logique familiale est absente des discours. Tableau : Données brutes (trois conditions) CAS CONTRISQ DEPETAT DEPMAR LOGIQUE Nombre de (%) (%) (%) FAMILIALE cas Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Les variables indépendantes : CONTRISQ représente la condition de contrôle de risques dans les activités agricoles. DEPETAT représente la condition de la dépendance de l acteur sur les facilités offertes par l Etat. DEPMAR représente la condition de la dépendance de l acteur sur les autres acteurs qui opèrent dans le circuit de distribution, mandataires et/ou grossistes. La variable dépendante : LOGIQUE FAMILIALE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur de 1 pour indiquer sa présence. Nous avons ensuite transformé ces données brutes en données dichotomiques pour pouvoir les utiliser dans l analyse qualitative comparée. 216

225 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Ainsi, CONTRISQ prend la valeur de 0 si le contrôle des risques dépasse les 50% car c est considéré comme un contrôle élevé ; et la valeur de 1 pour moins de 50% de contrôle des risques. DEPETAT prend la valeur de 1 si la dépendance sur les services de l Etat dépasse les 30%, et la valeur de 0 si la dépendance est moins de 30%. DEPMAR prend la valeur de 1 si la dépendance sur les mandataires et/ou grossistes est plus de 50% et la valeur de 0 si la dépendance est moins de 50%. Nous construisons le tableau 5.6 avec les données dichotomiques. Tableau : Données dichotomiques (trois conditions) CAS CONTRISQ DEPETAT DEPMAR LOGIQUE FAMILIALE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Ce tableau est ensuite inséré dans un logiciel informatique pour construire le tableau de vérité (tableau 5.7). Tableau : Tableau de vérité- Logique familiale CAS CONTRISQ DEPETAT DEPMAR Petit producteur, Moyen Producteur LOGIQUE FAMILIALE Gros producteur Producteur sucrier Le tableau de vérité nous permet de transformer les quatre cas en trois configurations. Il y a une configuration où la logique familiale est observée (cas des petits et moyens producteurs). Les deux autres configurations (gros producteurs et producteurs sucrier) démontrent une absence de logique familiale comme observé dans le diagramme de Venn (Figure 5.6). 217

226 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Figure : Diagramme de Venn-Logique familiale En adoptant la notation de l algèbre booléenne, une combinaison causale est proposée pour la conséquence de logique familiale. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule minimale de cette combinaison: CONTRISQ(1)*DEPETAT(1)*DEPMAR(1)= LOGIQUE FAMILIALE (1) Cette formule descriptive se lit comme suit : Un faible contrôle sur les risques agricoles ET une grande dépendance des services de l Etat ET une grande dépendance sur les acteurs de la distribution sont des conditions qui favorisent l adoption de la logique familiale. Ce sont les petits et moyens producteurs qui se retrouvent dans ce cas. Par ailleurs, la formule minimale booléenne dans les cas où la logique familiale n est pas observée, s énonce comme suit : CONTRISQ(0)*DEPMAR(1) = LOGIQUE FAMILIALE (0) 218

227 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS La logique familiale est absente quand il y a un contrôle élevé des risques agricoles ET une dépendance par rapport aux acteurs de la distribution, le cas des gros producteurs sucriers et des gros producteurs en place de la filière légumes La logique de marché La logique de marché a émergé des discours de tous les acteurs de la filière mais prend une dimension plus importante pour certains acteurs tels que les moyens et gros producteurs de légumes, les gros producteurs sucriers, les mandataires, les grossistes en place et les nouveaux. Cette logique, selon Thornton (2001) inclut entres autres des pratiques telles que la compétition pour les ressources, l augmentation des profits de l entreprise, la construction d une position concurrentielle, et la mise en place des circuits de commercialisation. Selon Garrow (2013), cette logique de marché consiste aussi à se conformer aux standards de qualité sur le marché, à être efficient et à avoir une stratégie par rapport aux prix des produits. Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisé quatre variables indépendantes pour analyser la présence ou l absence de la logique de marché (variable dépendante) parmi les acteurs de la filière. Nous construisons le tableau 5.8 avec les données dichotomiques car les variables indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont basées sur une perception du comportement et des actions des acteurs. Nous avons comparé les différents acteurs en place et nouveau de notre CO par rapport à l absence ou la présence de la logique de marché. 219

228 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Données dichotomiques (quatre conditions) CAS PRODQUAL STRADIFF COMPRES EFFC 220 LOGIQUE DE MARCHE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Mandataire Grossiste-Particulier Grossiste-Moyen Entreprise Grossiste-Grande Entreprise Les variables indépendantes : PRODQUAL représente les pratiques adoptées par les acteurs (production ou distribution) pour promouvoir la qualité de leurs produits par rapport aux standards de qualité du marché. Les pratiques qui visent une bonne qualité des produits ont une valeur de 1, et une absence de pratiques visant la qualité, une valeur de 0. STRADIFF représente les pratiques adoptées par les acteurs (production ou distribution) pour différencier leurs produits par rapport aux concurrents pour se construire une position concurrentielle sur le marché. Les pratiques qui visent une différenciation des produits ont une valeur de 1, et une absence de différentiation de produits (commodités brutes), une valeur de 0. COMPRES représente l attitude compétitive des acteurs pour acquérir des ressources telles que le capital, les terres cultivables et la main d œuvre. Une attitude compétitive pour les ressources a une valeur de 1, et une absence d attitude compétitive, une valeur de 0. EFFC représente les pratiques qui visent l efficience de l entreprise vis-à-vis de la maîtrise des coûts de production, la maximisation des profits, et la recherche du meilleur moyen de commercialisation des produits. Des pratiques efficientes ont une valeur de 1 et des pratiques inefficientes, une valeur de 0. La variable dépendante : LOGIQUE DE MARCHE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur de 1 pour indiquer sa présence.

229 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Tableau de vérité- Logique de marché CAS PRODQUAL STRADIFF COMPRES EFFC LOGIQUE DE MARCHE Petit producteur Moyen producteur, Grossiste-particulier Gros Producteur Producteur sucrier, Grossistemoyenne entreprise, Grossiste-grande entreprise Mandataire Le tableau de vérité nous permet de transformer les huit cas en cinq configurations. Il y a quatre configurations où la logique de marché est observée et une seule configuration où la logique de marché est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.7). Figure : Diagramme de Venn-Logique de marché 221

230 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS En adoptant la notation de l algèbre booléenne, trois combinaisons causales sont proposées pour la conséquence de la logique de marché. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule minimale de ces trois combinaisons : PRODQUAL(0)*COMPRES(1)*EFFC(1) + STRADIFF(1)*COMPRES(1)*EFFC(1) + PRODQUAL(0)*STRADIFF(1)*COMPRES(1) = LOGIQUE DE MARCHE (1) Cette formule descriptive se lit comme suit: Des produits de faible qualités ET une compétition pour les ressources ET de l efficience dans la production (le cas des Producteurs Moyens, Grossiste-particulier et Gros Producteurs) OU une stratégie de différentiation des produits ET une compétition pour les ressources ET de l efficience dans la production (Gros Producteurs, Producteurs sucrier, Grossistes-moyenne entreprise, Grossistes-grande entreprise) OU des produits de faibles qualités ET une stratégie de différentiation des produits ET une compétition pour les ressources (Gros Producteurs et Mandataires) sont des conditions favorisant la logique de marché. La formule minimale booléenne dans les cas où la logique de marché n est pas observée, s énonce comme suit : PRODQUAL(0)*STRADIFF(0)*COMPRES(0)*EFFC(0) = LOGIQUE DE MARCHE (0) La logique de marché n est pas observée quand il y a une absence de produits de qualité répondants aux normes du marché ET pas de stratégie de différentiation des produits ET pas de compétition pour les ressources ET pas d efficience dans la production. Ce cas est observé essentiellement chez les petits producteurs de légumes. Notre analyse nous permet de conclure qu une compétition pour les ressources (financières, accès à la terre, main d œuvre, et technologie) est une condition nécessaire mais pas suffisante pour expliquer l articulation de la logique de marché chez les acteurs de la filière légumes. Nécessaire parce que cette condition se retrouve dans les trois combinaisons causales, mais pas suffisante parce qu elle se combine avec d autres conditions telles qu une faible qualité 222

231 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS des produits, une stratégie de différentiation des légumes, et une efficience au niveau de la production et de la distribution des légumes La logique individualiste La logique individualiste a émergé dans les discours des petits et moyens producteurs, et des dirigeants d association de producteurs. Le discours de fournisseurs d intrants et des institutions publiques et privée qui côtoient ces acteurs précités confirme la présence de la logique individualiste. Cette logique est en opposition de la logique d action collective (voir Astley et Fombrun, 1983). Nous notons que bien que les petits et moyens producteurs fonctionnent comme membre d associations de producteurs pour assurer leur légitimité, leur comportement est individualiste quand il s agit de la gestion de leur entreprise. Nous observons aussi que les dirigeants d associations de producteurs ont aussi bien des intérêts collectifs que personnels. En nous basant sur le continuum de Le Roy et Guillotreau (2002) nous arrivons à identifier des formes de comportements individuels tels que le secret de l information, la privatisation des connaissances, la défiance mutuelle, l opportunisme et la flexibilité. Nous décrivons brièvement ces formes de comportements individualistes cidessous en donnant des exemples de verbatim de nos acteurs. Le secret de l information se rapporte à la dissimulation de l information acquise pour satisfaire ses intérêts personnels. «Cependant un des gros soucis auquel nous faisons face, c est l accès aux données des gros producteurs sucriers concernant leurs cultures vivrières. Ces derniers opèrent comme des entreprises à grande échelle et pour eux ces données sont de nature privée car il y a concurrence dans le secteur. Mais d un autre côté les producteurs sucriers ont accès aux données des producteurs en place car ces données sont accessibles sur un site web public.» Entretien avec le directeur d un organisme de recherche agricole, Octobre 2010 La privatisation de la connaissance, c est ne pas partager les connaissances acquises à travers les institutions de recherche, les fournisseurs d intrants, ou son propre réseau professionnel. «Ecoutez, moi en tant que fournisseur d intrants agricoles, je côtoie plusieurs producteurs. Il arrive qu un producteur achète un pesticide et me demande de ne pas dire à son voisin 223

232 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS producteur ce qu il a utilisé. Il peut même aller jusqu à détruire l emballage du pesticide pour ne pas laisser de trace par rapport aux intrants qu il utilise dans sa production! C est pour vous illustrer à quel point certains producteurs peuvent être individualistes.» Entretien avec un fournisseur d intrant, Novembre 2010 La défiance mutuelle c est faire fi des règles et des normes du champ organisationnel et produire selon sa propre logique. «Les producteurs tiennent à leurs terrains individuels. Ils ne veulent pas enlever les frontières car ils ont peur de perdre un peu de terre. Moi, je pense qu ils utilisent toutes sortes de prétextes pour s accrocher à leurs terres. Chacun travaille pour soi et c est souvent lié à la culture des producteurs ici.» Entretien avec un petit producteur, Novembre 2010 Un comportement opportuniste est relié à l utilisation du réseau social et professionnel pour percevoir les opportunités dans la filière. «D après moi, il faudrait que les producteurs collaborent ce qui n est pas le cas actuellement. Avez-vous vu le nombre d associations de producteurs qui ne fonctionnent pas? Une association peut être composée de quatre à cinq personnes qui ne travaillent que pour leurs intérêts personnels et pas pour la collectivité.» Entretien avec un fournisseur d intrant, Nov 2010 Un comportement flexible c est changer de culture de production ou d activité professionnelle en fonction des opportunités présentes. «Je suis un mandataire, mais aussi un grossiste-particulier, et je m approvisionne chez le nouveau gros producteur sucrier qui produit des légumes à grande échelle. Pour moi, ce nouvel entrant dans la filière légumes est une opportunité.» Entretien avec un mandataire, Octobre 2010 Nous utilisons ces formes de comportement comme des variables indépendantes pour analyser la présence ou absence de la logique individualiste (variable dépendante) parmi les acteurs de 224

233 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS la filière. Nous construisons le tableau 5.10 avec les données dichotomiques car les variables indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont basées sur une perception du comportement des acteurs. Tableau : Données dichotomiques (quatre conditions) CAS INF CONN DEFMUT OPP FLEX LOGIQUE INDIVIDUALISTE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Fournisseur d intrants Mandataire Grossiste Particulier Grossiste-Moyen Entreprise Grossiste-Grande Entreprise Les variables indépendantes : INF représente le comportement de l acteur vis-à-vis d une information ayant trait à son domaine d activité professionnelle. Un comportement qui vise à cacher des informations a une valeur de 1, et un comportement d échange d information, une valeur de 0. CONN représente le comportement de l acteur par rapport à une privatisation des connaissances techniques (valeur 1) ou une publicité des connaissances (valeur 0) DEF représente le comportement de l acteur par rapport à une défiance mutuelle vis-àvis des autres acteurs de la filière (valeur 1) ou une confiance mutuelle (valeur 0) OPP représente le comportement opportuniste de l acteur (valeur 1) ou bien son engagement dans la filière (valeur 0) 225

234 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS FLEX représente la flexibilité professionnelle et personnelle de l acteur de par son comportement individualiste (valeur 1) ou bien son inertie dans la filière (valeur 0) La variable dépendante : LOGIQUE INDIVIDUALISTE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur de 1 pour indiquer sa présence. Tableau Tableau de vérité- Logique individualiste CAS INF CONN DEFMUT OPP FLEX LOGIQUE INDIVIDUALISTE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Fournisseur d intrants Mandataire Grossiste-particulier Grossiste-moyenne entreprise Grossiste-Grande Entreprise Le tableau de vérité (tableau 5.11) nous permet de transformer les dix cas en six configurations. Il y a trois configurations où la logique individualiste est observée et trois autres configurations où la logique individualiste est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.6). 226

235 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Figure : Diagramme de Venn-Logique individualiste En adoptant la notation de l algèbre booléenne, deux combinaisons causales sont proposées pour la conséquence de logique individualiste. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule minimale de ces deux combinaisons : INF(1)*CONN(1)*DEF(1)*OPP(1) + INF(1)*DEF(1)*OPP(1)*FLEX(0) = LOGIQUE INDIVIDUALISTE (1) Cette formule descriptive se lit comme suit: Le secret de l information ET une privatisation des connaissances ET une défiance mutuelle ET un comportement opportuniste OU le secret de l information ET une défiance mutuelle ET un comportement opportuniste ET moins de flexibilité dans les activités agricoles favorisent l adoption de la logique individualiste. C est le cas des petits producteurs, moyens producteurs, mandataires, grossistes-particuliers, grossistes-moyenne entreprise. 227

236 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS La formule minimale booléenne dans les cas où la logique individualiste n est pas observée, s énonce comme suit : CONN(0)*DEF(0)*OPP(1)*FLEX(1) + INF(1)*CONN(0)*DEF(0)*OPP(1) = LOGIQUE INDIVIDUALISTE (0) La logique individualiste est absente quand il y a une flexibilité dans les activités agricoles ET un comportement opportuniste ET un partage des connaissances techniques ET une confiance mutuelle entre acteurs OU le secret de l information entre les acteurs ET un partage des connaissances ET une confiance mutuelle ET une attitude opportuniste. Notre analyse nous permet donc de conclure que le secret de l information, la défiance mutuelle et un comportement opportuniste sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour expliquer l adoption de la logique individualiste. Nécessaires car elles sont présentes dans les deux combinaisons causales, mais pas suffisantes car elles se combinent d'une part avec la privatisation des connaissances et d autre part avec une inertie qui est plus associée à un comportement collectif qu individualiste La logique de cartellisation Nous observons une logique de cartellisation, en opposition d une logique de marché libre, essentiellement dans le circuit de distribution de légumes au niveau des différents acteurs. Premièrement, les mandataires, chargés de la vente des légumes pour les petits producteurs contre une commission, utilisent une logique de cartellisation qui leur permet de contrôler l expédition des légumes vers le marché de gros, tout en offrant des privilèges en termes de facilités de crédit aux producteurs et grossistes pour fidéliser les échanges. De plus ces mêmes mandataires utilisent une logique familiale favorisée par l état, dans le sens que quand leur mandat arrive à expiration, l appel d offre des autorités publiques concernées donne priorité aux enfants ou aux héritiers directs des mandataires pour continuer l entreprise familiale. En deuxième lieu, les grossistes-particuliers qui achètent les légumes en gros des mandataires ont eux aussi une logique de cartellisation car leurs activités sont concentrées 228

237 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS parmi quelques grossistes qui contrôlent ce marché en utilisant leur réseau et leurs ressources matérielles (essentiellement financières). Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisés quatre variables indépendantes pour analyser la présence ou absence de la logique de cartellisation (variable dépendante) parmi les acteurs du circuit de distribution de la filière légumes. Nous construisons un tableau (tableau 5.12) avec les données primaires issues des enquêtes de terrain. Tableau : Données brutes (quatre conditions) CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE CARTELLISATION Mandataire oui oui oui 30 1 Grossiste-Particulier oui oui oui Grossiste-Moyen non non non 10 0 Entreprise Grossiste-Grande Entreprise oui oui non 5 0 Les variables indépendantes : FIXPRI représente une des conditions qui indique la présence de pratiques caractéristiques des cartels, c'est-à-dire la fixation des prix. Dans notre cas, cela à trait au truquage des offres lors des appels d offres pour le meilleur prix dans le marché de gros par une connivence entre le mandataire et le grossiste. FIXQUAN représente une deuxième condition qui indique la présence de pratiques caractéristiques des cartels, c'est-à-dire la fixation des quantités. Dans notre cas, les mandataires contrôlent la majorité (80%) des légumes dans le circuit de distribution. BARRENT représente les barrières à l entrée qui existent aussi bien pour l exercice des fonctions d un mandataire, et aussi pour avoir des parts de marchés comme grossiste. NOMFIRM représente le nombre d entreprises pour chaque catégorie d acteurs. Comme observé dans le tableau 5.10, il y a peu d entreprises pour chaque catégorie 229

238 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS qui confirme une autre condition de la présence de cartels, c'est-à-dire, peu d entreprises qui dominent un marché. La variable dépendante : LOGIQUE DE CARTELLISATION prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur de 1 pour indiquer sa présence. Nous construisons le tableau 5.13 avec les données dichotomiques pour les quatre variables. Tableau : Données dichotomiques (quatre conditions) CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE CARTELLISATION Mandataire Grossiste-Particulier Grossiste-Moyen Entreprise Grossiste-Grande Entreprise Les variables indépendantes : FIXPRI a une valeur de 1 dans les cas où les prix des légumes sont fixés par les acteurs, et une valeur de 0 dans les cas où le prix des légumes sont déterminés par le marché. FIXQUAN a une valeur de 1 dans les cas où les mandataires/grossistes contrôlent la quantité de légumes qui transitent dans le circuit de distribution, et une valeur de 0 dans les cas où la quantité de légumes dépend de l offre et de la demande. BARRENT a une valeur de 1 dans les cas où les mandataires/grossistes contrôlent les entrées de nouveaux acteurs dans leur milieu professionnel, et une valeur de 0 dans les cas où il n y a pas de barrières à l entrée. NOMFIRM a une valeur de 1 dans les cas où il y a peu d entreprises pour un marché, et une valeur de 0 dans les cas où il y a beaucoup d entreprises. 230

239 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Tableau de vérité- Logique de cartellisation CAS FIXPRI FIXQUAN BARRENT NOMFIRM LOGIQUE DE CARTELLISATION Mandataire, grossiste-particulier Grossiste-Moyen Entreprise Grossiste-Grande Entreprise Le tableau de vérité nous permet de transformer les quatre cas en trois configurations. Il y a deux configurations où la logique de cartellisation est observée et une configuration où la logique de cartellisation est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.7). Figure : Diagramme de Venn-Logique de cartellisation 231

240 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS En adoptant la notation de l algèbre booléenne, une combinaison causale est proposée pour la conséquence de logique de cartellisation. L'algèbre booléenne permet d'énoncer une formule minimale de cette combinaison : FIXPRI(1)*FIXQUAN(1)*NOMFIRM(1) = LOGIQUE DE CARTELLISATION (1) Cette formule descriptive se lit comme suit: Une fixation des prix des légumes ET une fixation des quantités de légumes ET un nombre restreint d entreprises opérant dans la distribution sont des conditions qui favorisent une logique de cartellisation. La formule minimale booléenne dans les cas où la logique de cartellisation n est pas observée, s énonce comme suit : FIXPRI(0)*FIXQUAN(0)*BARRENT(0)*NOMFIRM(1) = LOGIQUE DE CARTELLISATION (0) La logique de cartellisation est absente quand les prix des légumes ET la quantité de légumes sur le marché sont déterminés par la loi de l offre et de la demande ET quand il n y a pas de barrières à l entrée ET même si il ya un petit nombre d entreprises dans ce secteur d activité. Notre analyse nous permet donc de conclure que la fixation des prix et des quantités de légumes qui transitent dans le circuit de distribution et le nombre restreint d entreprises sont des conditions nécessaires et suffisantes à l articulation d une logique de cartellisation car elles se réfèrent à une unique combinaison causale La logique entrepreneuriale La logique entrepreneuriale est centrée autour des activités d acteurs individuels ou organisationnels qui utilisent cette logique pour gérer leurs échanges avec les autres acteurs avec pour objectif d assurer la viabilité à long terme de leurs entreprises. Ses échanges peuvent être routiniers mais quelquefois elles peuvent prendre des formes innovantes ou créatives (Spedale et Watson, 2013). Selon Schumpeter (1935), il y a cinq types d innovations : les nouveaux produits/services, les nouveaux procédés techniques, les nouvelles sources de matières premières, les nouvelles formes d organisation de production 232

241 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS industrielle, et les nouveaux marchés. De plus l attitude de l entrepreneur envers les risques associés (Drucker, 1985) à son secteur d activité est aussi un indicateur de la logique entrepreneuriale. Nous avons noté plusieurs types d innovation dans les discours des différents acteurs de la filière légumes. Pour corroborer ces observations faites ci-dessus, nous avons utilisés six variables indépendantes pour analyser la présence ou absence de la logique entrepreneuriale (variable dépendante) parmi les acteurs de la filière. Nous construisons le tableau 5.15 avec les données dichotomiques car les variables indépendantes ne sont pas directement quantifiables mais sont basés sur une perception du comportement des acteurs. Tableau : Données dichotomiques (six conditions) CAS INNOV PROD INNOV TECH INNOV MP INNOV ORG INNOV MAR ATTD RISQ LOGIQUE ENTRE- PRENEURIALE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur Producteur sucrier Fournisseur d intrants Mandataire Grossiste-Particulier Grossiste-Moyen Entreprise Grossiste-Grande Entreprise Les variables indépendantes : INNOVPROD représente les pratiques de l acteur reliées à la mise sur le marché de nouveaux produits ou services. Cette variable prend la valeur de 1 pour des produits/services innovants, et la valeur de 0 pour l absence de produits/services innovants. 233

242 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS INNOVTECH représente les pratiques de l acteur reliées à l utilisation de nouveaux procédés ou de nouvelles techniques qui améliorent soit la production ou la distribution des produits/services. Cette variable prend la valeur de 1 pour l utilisation de nouvelles techniques, et la valeur de 0 pour l utilisation des méthodes traditionnelles. INNOVMP représente l utilisation de nouvelles matières premières qui améliore la production des légumes. Cette variable prend la valeur de 1 pour l utilisation de nouvelles matières premières, et la valeur de 0 pour l utilisation des matières premières traditionnelles. INNOVORG représente la mise sur pied de nouvelles formes organisationnelles. Cette variable prend la valeur de 1 pour la mise sur pied de nouvelles formes organisationnelles, et la valeur de 0 pour des formes organisationnelles traditionnelles. INNOVMAR représente la recherche de nouveaux marchés pour les produits/services. Cette variable prend la valeur de 1 pour la mise en vente des produits/services dans des nouveaux marchés, et la valeur de 0 pour l utilisation des circuits traditionnels de distribution. ATTDRISQ représente l attitude des acteurs envers les risques associés à la production et/ou distribution des légumes. Cette variable prend la valeur de 1 pour une attitude entrepreneuriale envers les risques, et la valeur de 0 pour un refus des risques. La variable dépendante : LOGIQUE ENTREPRENEURIALE prend la valeur de 0 pour indiquer son absence et la valeur de 1 pour indiquer sa présence. Le tableau de vérité (tableau 5.16) nous permet de transformer les neuf cas en six configurations. Il y a quatre configurations où la logique entrepreneuriale est observée et deux autres configurations où la logique entrepreneuriale est absente comme illustrée dans le diagramme de Venn (Figure 5.8). 234

243 DEUXIEME PARTIE: METHODOLOGIE ET RESULTATS CHAPITRE 5 : LES RESULTATS DES ENQUETES ET ETUDES DE CAS Tableau : Tableau de vérité-logique entrepreneuriale CAS INNOV PROD INNOV TECH INNOV MP INNOV ORG INNOV MAR ATTD RISQ LOGIQUE ENTRE- PRENEURIALE Petit producteur Moyen producteur Gros producteur, producteur sucrier, Fournisseur d intrants, Grossiste- Moyenne Entreprise Mandataire, Grossiste-Particulier Mandataire, Grossiste-Particulier Grossiste-Grande Entreprise Figure : Diagramme de Venn-Logique entrepreneuriale 235

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