Une amitié en Dieu : une édition critique de la correspondance de la mère Angélique de Saint-Jean à Angélique Angran de Fontpertuis

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1 UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE 3 : Littératures françaises et comparée Laboratoire de recherche : CELLF 17 e -18 e NATIONAL UNIVERSITY OF IRELAND, MAYNOOTH FACULTY OF ARTS, CELTIC STUDIES AND PHILOSOPHY Department of French, School of Modern Languages, Literatures and Cultures T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE et DE NUI MAYNOOTH Discipline/Spécialité : Littérature française Présentée et soutenue par : Julie FINNERTY le 8 décembre 2012 Une amitié en Dieu : une édition critique de la correspondance de la mère Angélique de Saint-Jean à Angélique Angran de Fontpertuis SOUS LA DIRECTION DE : M me Ruth WHELAN (NUI Maynooth) et M. Gérard FERREYROLLES (Université Paris-Sorbonne) JURY : M me Ruth WHELAN Professeur, National University of Ireland, Maynooth M. Christian BELIN Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier 3 (Président du jury) M. Gérard FERREYROLLES Professeur, Université Paris-Sorbonne M. Richard PARISH Professeur, St Catherine s College, Oxford 1

2 Julie FINNERTY Position de thèse Angélique Arnauld d Andilly naquit dans l une des plus illustres familles du XVII e siècle. Le nom d Arnauld sera lié à jamais avec le monastère de Port-Royal, grâce aux trois abbesses, les mères Angélique, Agnès et Angélique de Saint-Jean, et aussi grâce aux hommes qui fréquentèrent le monastère, notamment le théologien, Antoine Arnauld, le traducteur et confesseur, Louis-Isaac Le Maistre de Sacy, cousin germain d Angélique de Saint-Jean, et le père de celle-ci, Robert Arnauld d Andilly. Née le 28 novembre 1624, la jeune Angélique Arnauld d Andilly entre au monastère de Port-Royal de Paris en tant que pensionnaire en 1630, à l âge de six ans. Elle passera sa vie derrière la clôture monastique de Port-Royal, exception faite des allers-retours entre Paris et la maison des Champs, et les dix mois qu elle passera en captivité au couvent des Annonciades de 1664 à , au plus fort de la persécution de Port-Royal. La mère Angélique de Saint-Jean était la dernière abbesse Arnauld de Port-Royal ( ) et une femme aux dons intellectuels extraordinaires : un «prodige» 2, selon une autre grande épistolaire du XVII e siècle, M me de Sévigné. Bien que la valeur de sa correspondance de 933 lettres soit reconnue, celle-ci n a pas encore été publiée. Il existe une édition manuscrite, incomplète, qui date du XIX e siècle 3 ; je propose ici une édition critique complète des lettres écrites d Angélique de Saint-Jean à Angélique Angran de Fontpertuis, veuve et amie fidèle du monastère et de la famille Arnauld. Cette édition rendra accessible une correspondance «méconnue 4», d une valeur historique, culturelle et littéraire. L ampleur de la correspondance (358 lettres autographes et une copie) nous fournit un aperçu de la profondeur de l amitié entre les deux femmes, amitié qui fut entretenue et maintenue par 1. Voir notamment la Relation de captivité d Angélique de Saint-Jean, rédigée en 1665 après qu elle ait rejoint Port-Royal des Champs. Cette relation fut publiée en 1711, après sa mort ; l édition de Louis Cognet (Paris, Gallimard, 1954) fut récemment rééditée (Paris, La Table Ronde, 2005). 2. Lettre du 29 novembre 1679 de M me de Sévigné à M me de Grignan, dans M me de Sévigné, Correspondance, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléaide», 1974, t. II, p Édition préparée par Rachel Gillet ( ), bibliothécaire à la Bibliothèque de Port-Royal. Son édition manuscrite de cette correspondance y est conservée aujourd hui (côte LT ms.). 4. Selon le titre de l article de Yoshimi Asahina : «Une correspondance méconnue : la mère Angélique de Saint- Jean et la mort» dans Chroniques de Port-Royal, n 34, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1985, p

3 voie épistolaire, en dépit des murailles qui les séparaient. Ainsi que des notes informatives amples, je fournis également en annexes un glossaire des termes du XVII e siècle, une table de concordance entre mon édition de la correspondance et l édition manuscrite de Rachel Gillet, des généalogies des familles Arnauld et Fontpertuis, des notices biographiques de toute personne mentionnée dans les lettres, une chronologie, un index de noms propres et un index biblique. Ce travail fait partie d un projet plus large : rendre accessible à un public plus ample l édition critique de la correspondance intégrale de la mère Angélique de Saint-Jean. Mon édition critique est précédée d une introduction à cette correspondance remarquable. J introduis brièvement la vie de la mère Angélique de Saint-Jean et les sources de la correspondance avant de passer à une étude plus approfondie des lettres. Ma thèse est de montrer que ce qui semble être une amitié épistolaire, une amitié entre femmes, et une amitié spirituelle, est avant tout une amitié et donc une correspondance qui existe dans la présence d un tiers : Dieu. J examine tout d abord la pratique de la lettre chez Angélique de Saint-Jean, dont la correspondance traverse le silence et la clôture monastiques pour, selon l expression de l époque, «entretenir» son amie qui se trouve dans le monde. Ma première partie examinera l amitié épistolaire des deux femmes, de la naissance de la correspondance à la matérialité de la lettre et la voix épistolaire de la mère Angélique de Saint-Jean. J examinerai aussi les conditions de rédaction de l épistolaire : le rythme épistolaire est dicté par la poste aux lettres et l acheminement de la lettre ; il est surtout dicté par un autre rythme, celui de la vie monastique. La notion de la lettre privée et la présence de la censure dans la lettre d Angélique de Saint-Jean nous renseignent sur la relation entre des correspondants ; il est également utile de considérer la fonction de la lettre afin de définir les raisons pour lesquelles les amies s écrivent. Par exemple, elles échangent des nouvelles, des commissions, et des conseils pratiques. Cependant, une autre fonction primordiale de cette correspondance est de rendre l absent présent et d entretenir une amitié par lettres. Enfin, l avis d Angélique de 3

4 Saint-Jean sur sa vie épistolaire nous permet de mieux comprendre sa pratique de la lettre : l abbesse parle parfois de son écriture (qu elle définit comme du «griffonnage») et de sa lettre. Ma deuxième partie portera sur le thème de l amitié dans les lettres : celles-ci servent d écran sur laquelle l attachement des deux femmes est projetée. La correspondance leur permet d échanger notamment au sujet de la culture, ce qui nous donne un aperçu précieux d une relation exceptionnelle entre deux femmes intelligentes et éduquées. Elles font partie du réseau épistolaire plus large du monastère, comprenant notamment d autres religieuses comme la sœur Madeleine de Saint-Christine Briquet et Catherine-Françoise de Bretagne d Avaugour, dite M lle de Vertus, ainsi que des amis de Port-Royal dont Louis-Isaac Le Maistre de Sacy, et Antoine Arnauld, en exil aux Pays-Bas espagnols à partir de Cette amitié est bien sûr une amitié chrétienne et spirituelle, et j examinerai le rôle de la lettre dans la création et le maintien des ces liens d amitié. Par ailleurs, Angélique de Saint-Jean assume souvent le rôle de directrice spirituelle, rôle auquel elle est de plus en plus habituée grâce à ses autres expériences épistolaires et à son expérience comme abbesse de Port-Royal. Toutefois, nous verrons que cette direction spirituelle entre les deux femmes est parfois réciproque, ce qui indique la profondeur de confiance et de tendresse qu elles se portent. Je regarderai également la lettre de consolation d Angélique de Saint-Jean à M me de Fontpertuis, dont il existe plusieurs exemples qui trouvent leur place dans la tradition de la lettre de consolation de l antiquité. J étudie dans ma dernière partie le rôle de Dieu dans cette correspondance. Je commencerai en regardant l utilisation de la parole de Dieu par l épistolaire. La parole biblique est omniprésente : il y a des citations en latin et en français, des allusions et des réminiscences. Angélique de Saint-Jean se sert de cette parole biblique pour encourager sa correspondante dans un façonnement de soi, comparable à la relation entre sage et apprenti 4

5 dans le Stoïcisme. Je regarde ensuite ses conseils pour vivre une vie chrétienne, dont la retraite est une partie fondamentale. En effet, Mme de Fontpertuis se trouve devant un dilemme, puisque même dans son état de viduité, elle n est pas libre de quitter la vie mondaine. Elle a la responsabilité des affaires de son défunt mari, et elle est chargée de l éducation de son fils unique, Louis. Ce dilemme, devant le désir de retraite et l obligation de rester dans le monde est reflété maintes fois sous la plume d Angélique de Saint-Jean. Cependant, l abbesse encourage son amie de profiter de sa présence dans le monde pour faire de la charité ; quant à son désir de retraite, elle reconnaît les peines de sa destinataire, mais renvoie toujours à la volonté de Dieu pour expliquer sa situation. La Providence est un thème qui revient sans cesse dans ces lettres, et pour Angélique de Saint-Jean, elle explique tout : des visites faites, différées ou annulées de sa correspondante au monastère à la persécution des religieuses, de la disgrâce mondaine à la maladie, voire la mort. Ce dernier thème rôde toujours près de la plume de l abbesse, étant donné la situation de Port-Royal des Champs dans la vallée marécageuse de Chevreuse, ainsi que la santé fragile de Mme de Fontpertuis, que celle-ci ne cesse d aggraver dans le désir de mener une vie plus austère. Toutefois, la mort est aussi présente, non comme menace, mais comme récompense, puisque les deux femmes partagent le point de vue que la vie temporelle n est que «misères» : elles se consacrent à bien vivre, mais surtout à bien mourir. Un aspect de cette préparation à la mort est l Imitatio Christi, lorsqu elles partagent les souffrances du Christ martyr, ce qui ne peut que contribuer à une récompense céleste. Je démontre dans cette dernière partie que l amitié épistolaire entre l abbesse de Port-Royal et sa correspondante correspond à l amitié préconisée par saint Augustin, qui ne recommande d avoir des amis qu en Dieu. Cette correspondance entre la clôture et le monde n aurait pu ni exister ni se maintenir sans la reconnaissance réciproque de la définition augustinienne de l amitié, car la lettre se rédige et 5

6 se lit toujours dans la présence de Dieu, une évidence attestée par la croix marquée en haut des lettres et les thèmes qui reviennent sans cesse concernant la vie chrétienne et spirituelle. 6