«Crucifixion», œuvre du XVII ème siècle, classé Monument Historique en 1974, propriété de la commune de Châteaufort actuellement en dépôt aux

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1 «Crucifixion», œuvre du XVII ème siècle, classé Monument Historique en 1974, propriété de la commune de Châteaufort actuellement en dépôt aux archives départementales d Eure et Loir. 1

2 LA «CRUCIFIXION» DE CHÂTEAUFORT Église Saint-Christophe de Châteaufort en 1903 :on aperçoit le tableau derrière l autel La rumeur, qu aucune archive disponible ne conteste ni ne confirme, voudrait qu une famille versaillaise ait fait don d un tableau, attribué à Annibale Carracci dit Carrache ( ), à la paroisse de Châteaufort au moment de la Révolution Française. Le tableau, de grande taille (3,50 mètres sur 2,60 mètres et dont le cadre le porte à plus de 4 mètres de hauteur), représente une crucifixion. Au pied de la croix, sont figurés debout, la Vierge et Saint-Jean et à genoux, Marie-Madeleine, au loin, un paysage dominé par deux tours fortifiées. Il fut placé derrière l autel de l église Saint-Christophe de Châteaufort jusqu au début du XX ème siècle. La toile, endommagée par la foudre, est alors démontée de son châssis et celui-ci, détruit. La peinture, fortement obscurcie par des années exposées à la suie des cierges, est entreposée, roulée sur elle-même, dans une salle de l école religieuse du prieuré. Elle y reste jusqu en L inventaire communal de fait état d une éventuelle attribution à Annibale Carracci sans qu il y eut véritablement expertise. Mais la présence du tableau dans l inventaire de Châteaufort signifie qu elle appartient bien à la commune. 1 A.D.Y., 1 V

3 Le tableau quitte Châteaufort En 1973, le chanoine Beaudoing, curé de Châteaufort, croyant que la toile était la propriété de l association diocésaine, veut l échanger contre une toile plus adaptée à l église. Il semble qu il se soit adressé au directeur des archives départementales des Yvelines, également conservateur des antiquités et objets d art du département. Celui-ci s aperçoit, en consultant l inventaire de 1906, du réel propriétaire de la toile. Compte tenu de son état, il l envoie au ministère de la Culture où elle est examinée par l inspecteur général des Monuments Historiques et un expert du Louvre. Commence alors un échange de lettres entre Châteaufort et le ministère de la Culture qui durera jusqu à l été Pour l inspecteur général des Monuments Historiques, «la vieille attribution» du tableau à Carrache, fréquente pour des œuvres du XVII ème siècle, est improbable. Il penche plutôt pour une œuvre méridionale de l entourage du peintre Tournier qui a travaillé à Narbonne au XVII ème siècle. Il présente l affaire au maire de Châteaufort comme de peu d intérêt pour la commune et même onéreuse car l état de cette toile sans valeur demande une sérieuse restauration dont il doute que les finances communales soient prêtes à en supporter le coût. L inspecteur général propose donc un dépôt réciproque, un échange de tableaux sans transfert de propriété : la «Crucifixion» irait à Chartres et Châteaufort recevrait une «Pentecôte» plus petite et en parfaite état. Il conclut sur un argument assez convaincant si Châteaufort n est pas d accord, on lui renvoie la toile avec la facture du transport et celle d une consolidation d urgence! Le ministère de la Culture n attend pas la réponse et fait procéder à la restauration et au classement du tableau comme Monument Historique, le 11 février Le dépôt réciproque des tableaux À vrai dire, le maire de Châteaufort comme les conseillers municipaux (à l exception de monsieur Bourreau) semblent complètement indifférents au sort du tableau. Par deux fois, l inspecteur général des Monuments Historiques réclame avec insistance une réponse à sa proposition du début de l année. En mai, le maire demande enfin l avis du chanoine Beaudoing qui accepte l échange. Le 21 juin 1974, Châteaufort donne son accord officiel et la «Pentecôte» arrive à l église Saint-Christophe. Pendant ce temps, la toile de la «Crucifixion» a été restaurée par monsieur Malesset à Paris pour une somme avoisinant les francs de l époque, réglés par le ministère de la Culture. Le département d Eure et Loir, quant à lui, engage de lourdes dépenses pour remettre en état la chapelle de l ancien séminaire Saint-Charles qui va accueillir le tableau de Châteaufort. Le résultat des deux entreprises est superbe : le tableau retrouve sa clarté et ses couleurs d origine, la chapelle est le lieu parfait pour la mise en valeur de la toile. Il est prévu que l officialisation de l échange se fasse par un échange de lettres entre la commune de Châteaufort et les archives départementales d Eure et Loir qui occupent l ancien séminaire et sont les dépositaires du tableau de la «Crucifixion». Châteaufort demande en outre qu une plaque sur chaque tableau rappelle la propriété de l objet. Le 25 3

4 octobre 1975, le conseil municipal de Châteaufort prend une délibération formalisant l échange. Le temps passe sans nouvelle d Eure et Loir. Monsieur Bourreau, sensible au devenir du tableau, est élu maire. Il saisit le préfet pour que les archives départementales d Eure et Loir régularisent la situation. Le directeur des archives envoie la lettre demandée le 30 novembre Chapelle de l ancien séminaire Saint-Charles à Chartres 4

5 Châteaufort veut ramener le tableau dans les Yvelines Le maire de Châteaufort voudrait faire connaître le tableau à ses administrés. En juillet 1980, il demande à Chartres des photographies afin de les publier dans le bulletin municipal. Quatre ans plus tard, monsieur Bourreau, qui ne se résigne pas au départ de la toile, entame des démarches pour récupérer le tableau. La «Pentecôte» n a jamais plu aux castelfortains le tableau ne manque pas de qualités mais il faut admettre que les traits de la vierge sont assez ingrats. Et la «Crucifixion» n est pas aisément visible, il faut se rendre à Chartres, aux heures d ouverture des archives départementales Il admet que l église de Châteaufort n est plus en mesure d accueillir la toile mais demande qu elle revienne au moins dans les Yvelines, aux archives départementales. Malgré les appuis recherchés auprès d élus locaux d une certaine stature, sa démarche se heurte à une opposition vive du directeur des archives départementales d Eure et Loir et à un faible empressement de celui des Yvelines. Leurs arguments ne sont pas infondés. «Pentecôte» en dépôt à l église Saint-Christophe de Châteaufort À Chartres, on estime que le tableau est remarquablement exposé dans une chapelle ouverte au public aux heures d ouverture des archives mais également chaque dimanche, pendant l office de onze heures. En outre, Châteaufort devrait rembourser les frais importants que le département a engagé pour la restauration de la chapelle. À Versailles, on fait remarquer que si les archives de Chartres sont logées dans un ancien séminaire, celles des Yvelines le sont dans d anciennes écuries, inadaptées pour recevoir correctement un tel tableau. Le directeur des archives yvelinoises propose au maire de Châteaufort de faire établir une reproduction photographique sur toile à des dimensions moindres que l original mais satisfaisantes pour prendre place dans l église de Châteaufort. L idée séduit monsieur Bourreau qui va désormais déployer son énergie pour obtenir une reproduction. Le projet n aboutit pas et le tableau tombe dans l oubli après

6 2003 : Où se trouve la «Crucifixion»? Il y a un an, des paroissiens partent à la recherche du tableau dans le but d en rapporter une simple photographie qui serait exposée aux journées du Patrimoine, consacrées, en 2003, au patrimoine religieux. Cherchant un peu à l aventure et sans renseignement précis un tableau dans une chapelle, ils n en trouvent pas trace à Chartres. La chapelle qu ils ont vue est dépourvue de tableau. On les oriente vers un ancien séminaire dans la basse ville, aujourd hui maison de retraite pour des religieux mais il n y a pas de chapelle. Un religieux restaurait autrefois des peintures mais il est décédé et personne ne se souvient d une «Crucifixion» Mise au courant fin janvier 2003, l auteur de ces lignes informe le maire de Châteaufort afin de faire une demande auprès des archives départementales d Eure et Loir. La réponse du directeur, légitimement agacé, ne tarde pas : la «Crucifixion» n a pas bougé de son emplacement depuis son arrivée en Eure et Loir! Pourtant, nos «limiers» sont formels : ils ont bien vu la chapelle, ils reconnaissent le tapis et le mobilier qui figurent sur la photographie de 1980 mais de tableau, point. Les lieux où se trouve la chapelle qu ils ont visitée est aujourd hui le musée des Beaux Arts Or le musée est dans l ancien évêché de Chartres. Les archives départementales, elles, sont bien dans l ancien séminaire mais sur la ville haute. Cela fait beaucoup «d anciens» et pas assez de chapelle. L auteur de ces lignes suppute un regrettable quiproquo et part pour Chartres. Une rapide visite au musée des Beaux Arts éclaircit l affaire : oui, il y a bien deux séminaires à Chartres, oui, il y a bien deux chapelles identiques à Chartres. Le personnel du musée m explique en outre que le mobilier religieux avait été prêté à la chapelle de l ancien séminaire Saint-Charles tant qu elle a été consacrée mais depuis qu il n y a plus d office, le mobilier est revenu dans celle du musée. Nos «limiers» avaient bien tout reconnu et rien trouvé. Une plus longue visite au directeur des archives d Eure et Loir clarifie définitivement l affaire. Celui-ci m indique que les deux chapelles, celle de l évêché (musée des Beaux Arts) et celle du séminaire Saint-Charles (Archives Départementales), les deux bâtiments étant d ailleurs proches, ont été construites à la même époque par le même architecte. Quant au second séminaire, aujourd hui maison de retraite, ce fut le séminaire reconstitué dans la basse ville après l expulsion des religieux de Saint-Charles au moment de la séparation de l église et de l Etat. L avenir de la «Crucifixion» La chapelle des archives sert aujourd hui de salle de travail à des services logés très à l étroit dans des locaux vétustes et inadaptés. Elle renferme toujours l imposant et très beau tableau de la «Crucifixion» même si la restauration d autrefois laisse percer quelques altérations. Avec la participation de la conservatrice des antiquités et objets d art d Eure et Loir, nous évoquons l auteur du tableau. Elle est aussi formelle que jadis, l inspecteur général des Monuments Historiques : l attribution à Carrache est exclue, des détails sont impossibles comme le fichu à carreaux de Marie-Madeleine mais c est une peinture de la même époque, de très bonne facture et qui méritait son classement. 6

7 Le directeur des archives, consultant la base de données du ministère de la Culture, fait ressortir quelques fantaisies et une découverte. Une fiche concerne la «Pentecôte», date le tableau de la fin du XVI ème siècle mais sans auteur connu et le situe dans l église de Châteaufort, ce qui est exact. Par contre, deux fiches sont consacrées à la «Crucifixion» : l une la situe encore aujourd hui, «au prieuré de bénédictions Saint-Christophe, actuellement église paroissiale» et note la traditionnelle attribution à Carrache tout en estimant l œuvre comme plutôt franco-allemande (!?) ; l autre la localise bien à Chartres, indique qu elle est peinte «à la manière de» Annibale Carracci et parle de l échange de tableaux avec Châteaufort, tout en soulignant que la «Pentecôte» aurait elle-même été déplacée en Un regard sur le dossier de la «Pentecôte» nous apprend, au grand amusement du directeur des archives, que le tableau que son prédécesseur a échangé avec Châteaufort «sans transfert de propriété», au moyen de lettres officielles, n appartenait pas aux archives départementales mais avait préalablement été mis en dépôt par le musée des Beaux Arts, véritable propriétaire! Plus sérieusement, le directeur des archives d Eure et Loir m informe que la municipalité de Châteaufort aura peut-être bientôt à faire face au retour de la «Crucifixion». Comme les Yvelines, l Eure et Loir va se doter dans deux ans de locaux modernes et conçus tout spécialement pour ses archives. Elles quitteront donc l ancien séminaire Saint-Charles et ne pourront plus être le gardien du tableau de Châteaufort. Que deviendront les lieux? Rien n est arrêté, plusieurs administrations sont pressenties mais au préalable, une très sérieuse remise en état des locaux est nécessaire. Cela implique pour la «Crucifixion», si elle n est pas déposée, une période d abandon suivie d une période de travaux : deux situations néfastes à sa conservation. L église de Châteaufort ne peut plus accueillir le tableau, son ancien emplacement est occupé par le nouvel orgue. Le problème rencontré par monsieur Bourreau se pose à nouveau. Seul un édifice religieux ou un musée semble convenir à l accueil d une telle toile et la commission d Art Sacré comme le service des antiquités et objets d art des Yvelines pourront utilement être consultés. * * * Le directeur des archives départementales d Eure et Loir eut l amabilité quelques semaines plus tard de nous faire parvenir un cliché en couleur de la «Crucifixion» pris par ses services. Mobilisant ses différentes compétences, le Groupe Historique étudia alors la possibilité de réaliser une reproduction agrandie sur toile à un coût supportable pour la commune de Châteaufort (un grand merci à notre photographe) : le vœu de monsieur Bourreau faire connaître l œuvre aux castelfortains sera réalisé. En définitive, ce qui devait être une simple visite à un tableau relégué dans un département voisin aura eu le mérite de poser assez tôt la question de l avenir de la «Crucifixion» et d alerter son légitime propriétaire, la commune de Châteaufort. Elle aura également permis au Groupe Historique de Toussus-le-Noble de ramener une trace du patrimoine castelfortain sur son lieu d origine. Conserver dans la mesure du possible et promouvoir le patrimoine local n est-il pas un des objets de ses statuts? Geneviève Sandras-Dextreit Bulletin n 8, année