Comment déterminer la hauteur du théâtre gallo-romain d Alésia : Une méthode venant du génie civil

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1 Comment déterminer la hauteur du théâtre gallo-romain d Alésia : Une méthode venant du génie civil Résumé La géométrie du théâtre gallo-romain d Alésia est relativement bien connue en plan. Les gradins sont soutenus par un massif de blocs de calcaire, qui lui-même est contenu à l intérieur d un mur semicirculaire, le mur périmétral. Quelle était la pente des gradins? Comment peut-on restituer le volume du théâtre en hauteur? Les méthodes traditionnelles de l archéologie ne permettent pas de proposer de réponse franche, car les vestiges du monument qui nous sont parvenus sont trop lacunaires. Par contre, les méthodes du génie civil se basent sur d autres éléments qui peuvent encore être observés in situ et fournissent de ce fait un ordre de grandeur plus précis de la hauteur du monument. Ce document suit la présentation orale qui a eu lieu le 19 octobre 2008 à Alise-Sainte-Reine et présente de manière intuitive comment déterminer la hauteur du théâtre d Alésia. Page 1 / 10

2 Figure 1. À gauche : Vue aérienne du théâtre d Alésia lors des fouilles de l été Remarquez le mur semicirculaire entourant le monument («mur périmétral») ainsi que le massif de blocs supportant les gradins (cavea). Archéodunum SA A droite : Coupe schématique à travers le mur périmétral et le sommet des gradins. A. Lugrin Page 2 / 10

3 Alésia : Nature du problème Le théâtre gallo-romain d Alésia a été fortement arasé au cours des siècles. Seule la base des murs a été conservée. Le mur périmétral semi-circulaire servait à contenir le massif de fondation des gradins, formé d un amoncellement de blocs calcaires (Figure 2). Figure 2. Vue du massif de fondation des gradins. (Archéodunum SA) Dans les années 1930, toute la partie sud (orientation sur la Figure 3) du massif de blocs calcaires a été déblayée. Aucun indice ne permet à l heure actuelle de déterminer de façon univoque la pente des gradins. C est pourquoi diverses approches ont été menées par la société fouillant le théâtre afin de reconstituer le volume du théâtre. La méthode décrite ci-après provient du génie civil. Figure 3. Reconstitution du théâtre par A. Olivier. La pente des gradins est formée par le massif de blocs calcaires de la figure précédente. (Spectacula II, 1992) Page 3 / 10

4 Génie civil Construction nouvelles De façon sommaire, l ingénieur civil dimensionne des ouvrages pour garantir leur aptitude au service (déformations) et leur sécurité structurale (ruine). Les ouvrages sont soit des ponts, des barrages, des bâtiments, des murs de soutènement, des routes, etc. Le dimensionnement consiste à placer suffisamment de matière dans ces ouvrages pour que, dans des situations normales, les déformations restent suffisamment faibles, et que l ouvrage ne soit pas ruiné dans toutes les situations imaginables qui peuvent se présenter durant la vie de l ouvrage. Par exemple, une passerelle pour piétons (Figure 4) pourra être plus élancée qu un pont où doivent passer des camions (Figure 5). Un mur de soutènement de faible hauteur aura une épaisseur plus faible qu un mur de soutènement de grande hauteur. Figure 4. Passerelle destinée aux piétons. ( Figure 5. Pont routier. ( Page 4 / 10

5 Le génie civil appliqué à l archéologie Dans le cas de constructions nouvelles, l ingénieur détermine la qualité et la résistance des matériaux qu il désire employer. Ces propriétés sont bien connues et au besoin vérifiées au moyen d essais. Dans le cas des constructions existantes, les propriétés des matériaux ont pu être modifiées au fil des années, par altération ou par consolidation. Des essais peuvent être réalisés afin de déterminer ces propriétés ; cependant, ces résultats sont à considérer avec précautions. Ensuite, le niveau de sécurité des ouvrages antiques est inconnu : les ouvrages pouvaient aussi bien être près de la rupture, qu être surdimensionnés. Dans le cas du théâtre gallo-romain d Alésia, les calculs effectués prennent appui sur plusieurs hypothèses de qualité des matériaux. Les résultats fournissent alors une valeur approchée de la hauteur maximale définie juste avant rupture de l édifice. On notera que la précision des résultats est de l ordre de ±20%. Malgré la forte incertitude qui réside encore dans ces estimations, ces dernières permettent de donner une nouvelle borne à la plage de valeurs fournies par d autres méthodes archéologiques (comparaison avec des édifices semblables, limites de pentes dues à la facilité de circulation, au confort de vue ou d audition, géométrie des volées d escaliers et des accès, etc.). Mécanisme de rupture Afin de déterminer la hauteur du mur du théâtre d Alésia, il est possible de calculer la hauteur maximale qu il peut avoir sans se rompre. Poussée horizontale d un sol et stabilité d un mur soumis à cette poussée La Figure 6 montre le basculement d un mur suite à de fortes précipitations. C est ce mode de rupture qui est déterminant dans le cas du théâtre d Alésia, par rapport à une rupture par glissement ou gonflement à mi-hauteur. Figure 6. Basculement d un mur en maçonnerie suite à une augmentation de la poussée du terrain lors de fortes pluies. A. Lugrin Page 5 / 10

6 Une expérience permet de montrer ce mécanisme (Figure 7). Un bac est rempli de sable ; au milieu du bac, un morceau de carton représente un mur de soutènement. En venant déblayer un des côtés du mur de soutènement, l opérateur augmente progressivement la hauteur de ce mur. A une certaine hauteur, le mur bascule et un prisme de sable se forme à l arrière de la paroi : c est la rupture du mur. Suivant le type de sol, l étendue de ce prisme est plus au moins étendu. Le sol génère une poussée horizontale contre le mur. Plusieurs méthodes d équilibre permettent de déterminer la grandeur de cette force agissant sur le mur. Figure 7. Mécanisme de rupture d'une paroi par basculement due à la poussée du sol encaissé. (Garin & Fogarasi-Szabo, 2006) Page 6 / 10

7 Une fois calculée, la poussée des blocs calcaires est alors appliquée contre le mur périmétral (Figure 8). Figure 8. Schéma de principe du mécanisme de rupture du mur périmétral. A. Lugrin, 2006 Le mur est modélisé comme corps solide, sur lequel agit la poussée horizontale du sol H, le frottement sol-mur V, et le poids G du mur. La poussée dépend de la hauteur h du mur, de la pente β des gradins, ainsi que de la densité du massif encaissé. On peut énoncer les quelques règles suivantes : Plus la hauteur du mur est grande, plus la poussée est grande ; Plus la pente des gradins est forte, plus la poussée diminue ; Plus la hauteur du mur est grande, plus la pente des gradins est forte ; Plus le mur est large, plus le mur est haut, plus son poids est important. Dans le cas d Alésia, la valeur à rechercher est la hauteur, et tous les autres paramètres en découlent. La hauteur cherchée est trouvée en posant que tous les effets stabilisants (poids G et largeur b du mur, poussée verticale V) sont équivalents aux effets déstabilisants (poussée horizontale H). Une expérience de pensée permet de comprendre le mécanisme des effets stabilisants et déstabilisants, représentée à la Figure 9. Page 7 / 10

8 G H h b Figure 9. Expérience pratique du basculement d une chaise à empattement b, de poids G, soumise à une poussée horizontale H à la hauteur h. A. Lugrin Imaginons une chaise solide avec un empattement b, correspondant à la largeur du mur, sur laquelle est assise une personne avec un poids G, correspondant au poids du mur. Une autre personne pousse sur le dossier de la chaise avec une force H située à une hauteur h correspondant à la poussée horizontale du sol. On observe alors les résultats suivants : Plus G est grand, plus la chaise est difficile à faire basculer ; Plus b est grand, plus la chaise est difficile à faire basculer : un banc dans le sens de la longueur a un empattement bien plus grand qu une chaise, le faire basculer de la même façon que la chaise nécessite un bien plus grande force horizontale H ; Plus H est grand, plus la chaise bascule facilement ; Plus h est grand, plus la chaise bascule facilement. On constate donc que G et b sont des éléments stabilisants, alors que h et H sont déstabilisants. L augmentation du poids du mur par l augmentation de sa hauteur ne compense pas l augmentation de la poussée du sol. Page 8 / 10

9 On peut appliquer ces résultats par analogie au mur périmétral du théâtre. Ces résultats une fois intégrés dans des relations quantitatives, il est possible de déterminer la hauteur maximale du théâtre d Alésia. Un élément non négligeable est la qualité du sol de fondation sous le mur de soutènement. En cas de sol dur, le mur basculera à son point le plus extrême, tout comme la chaise bascule sur ses pieds avant. Si le sol est mou, le mur basculera sur un point situé plus en arrière à l intérieur du mur ; c est-à-dire que l empattement b est réduit, ce qui réduit la stabilité. Dans la partie nord du théâtre, les fondations sont posées sur des marnes, roches argileuses sensibles à l eau. Sèches, les marnes se comportent comme un sol dur, alors que saturées par la pluie elles deviennent molles. Paramètres nécessaires Certains paramètres ont été développés plus haut. Par exemple, la largeur du mur est un élément bien connu, puisqu elle peut être observée sur place (Figure 10). C est le facteur le plus important pour la stabilité du mur. Figure 10. Vue de l état actuel (mai 2006) des murs du théâtre d Alésia. (P. Lestuzzi) La présence ou non de contreforts est un paramètre très important, car les contreforts ont pour rôle d augmenter la largeur b du mur (ou l empattement de la chaise). La poussée horizontale du sol, qui est le deuxième facteur le plus influent dans la stabilité du mur, est nettement plus difficile à cerner. Page 9 / 10

10 Ensuite, la densité de la maçonnerie, qui permet de déterminer le poids du mur, varie dans une fourchette très restreinte de valeurs. La courbure du mur augmente légèrement sa stabilité. Ce surcroît de résistance est commandé par la qualité de la maçonnerie : plus le mortier est bon, plus l effet de la courbure est important. Un autre paramètre très important est la saturation en eau du massif de fondation des gradins. Dans le cas d un massif de fondation en terre ou en sable, matériaux pouvant facilement être saturés en eau, et au cas où ce massif n est ni drainé, ni protégé de la saturation par une couverture étanche, la poussée du massif saturé est beaucoup plus grande que la poussée du massif sec. À Alésia, le remblai est en blocs de calcaires : les eaux de pluies sont drainées à l intérieur du massif, et il ne se produit pas d augmentation de la poussée du remblai en cas de pluie. Synthèse des résultats Sans contreforts, la hauteur maximale du théâtre se situe à environ 6 m. Ce résultat est valable pour une zone sans influence du chaînage entre les murs frontaux et le mur périmétral, c est-à-dire entre 5 et 10 m de cet angle. Avec des contreforts, les murs peuvent atteindre une hauteur de 15 m. Les conditions de ces résultats sont exposées dans les projets de semestres cités dans les références (Lugrin, 2006 et Lugrin, 2007). Références Garin & Fogarasi-Szabo, 2006 : Stéphane GARIN et Flavius FOGARASI-SZABO, Laboratoire GC LMR : Instabilité de fouilles : renard hydraulique, paroi butée et encastrée - Projet de semestre ; Ecublens : EPFL, Lugrin, 2006 : Armand LUGRIN, Fouilles archéologiques du Théâtre d Alésia : Etude structurale Projet de semestre; Ecublens : EPFL, Lugrin, 2007 : Armand LUGRIN, Influence de la courbure sur la stabilité d un mur de théâtre gallo-romain en remblai Projet de semestre; Ecublens : EPFL, Rossi, 2005 : Frédéric ROSSI et al., Théâtre d Alésia Rapport d activité 2005 ; Gollion : Archeodunum SA, Spectacula II, 1992 : Spectacula-II : Le théâtre antique et ses spectacles, Actes du colloque tenu au Musée Archéologique Henri Prades de Lattes les 27, 28, 29 et 30 avril 1989 ; Lattes : Musée Archéologique Henri Prades, Ingénieur civil diplômé de l'école polytechnique fédérale de Lausanne Page 10 / 10