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1 Carrefours l innovation de agronomique 2011 Systèmes durables de production et de transformation agricoles aux Antilles et en Guyane

2 Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière Dorel M. 1, Tixier P. 1, Dural D. 2, Zanoletti S. 3 1 : CIRAD, UPR 26 Systèmes de culture bananiers, plantains et ananas 2 : Institut Technique Tropical (IT²) 3 : Union des Groupements de Producteurs de Bananes des Antilles, Bois Rouge, Ducos Correspondance : marc.dorel@cirad.fr Résumé Les producteurs de banane antillais sont engagés en partenariat avec l Institut Technique Tropical et le CIRAD dans une démarche de réduction de l emploi des intrants chimiques. Les innovations accompagnant cette démarche reposent principalement sur des techniques alternatives à la lutte chimique pour le contrôle des nématodes phyto-parasites et du charançon du bananier. Ces techniques font appel à l intégration dans le système de culture de plantes de service afin de restaurer des mécanismes de régulation biologique des bio-agresseurs, à un contrôle de l assainissement des parcelles par des tests biologiques, à l utilisation de matériel végétal sain (vitroplants) pour la replantation des bananeraies et à la mise en place de pièges attractifs à phéromones pour la capture du charançon du bananier. Ces techniques sont intégrés dans des prototypes de systèmes de culture mis au point et testés en milieu réel dans le cadre d une démarche de conception et d évaluation participative impliquant les producteurs, les services techniques et la recherche. Mots clés : Banane, nématode, charançon, plante de service, piégeage, système de culture Abstract: Alternative practices to chemical inputs in banana production Banana growers in French West Indies are committed with IT² (Institut Technique Tropical) and CIRAD to reduce the use of pesticides. To this end, technical innovations are developed as alternative to pesticides, targeting the control of plant-parasitic nematodes and banana weevils. In this paper, we present the most promising innovations to control plant-parasitic nematodes and banana weevils. These innovations are based on the use of cover crops to restore ecological services and enhance biological control of pests. Innovative practices also rely on the verification of the effectiveness of field sanitation and on the use of pheromone mass trapping of banana weevils. All these techniques are integrated in prototypes of cropping systems and evaluated with a participative approach associating growers, technical services, and research institutes, formerly, Sustainable Banana Plan. Keywords: Banana, nematode, weevil, cover crop, mass trapping, cropping system Introduction Les producteurs de banane des Antilles françaises se sont engagés depuis plusieurs années dans une démarche de réduction de l utilisation des intrants chimiques en mettant en œuvre des innovations issues des dernières avancées de la recherche. Nous présentons ici les innovations les plus prometteuses en termes de réduction des pesticides utilisés pour le contrôle des nématodes phytoparasites et du charançon du bananier. Ces innovations sont le fruit de recherches participatives conduites dans le cadre du Plan Banane Durable qui réunit l Institut Technique Tropical, le CIRAD et l Union des Producteurs de banane des Antilles.

3 M. Dorel et al. I - L intégration de plantes de service dans les systèmes de culture bananiers L agronomie et l écologie sont deux disciplines scientifiques qui se sont longtemps ignorées. Les processus écologiques se déroulant au sein du champ cultivé sont les principaux leviers pour concevoir une agriculture performante et respectueuse de l environnement (Rosset et Altieri, 1997). Il est donc nécessaire de mobiliser des concepts, des méthodes et des outils issus de l écologie pour étudier, comprendre et manipuler ces processus. Parmi les processus mobilisés pour concevoir une agriculture durable, les interactions entre communautés permettant de contrôler les bioagresseurs et de renforcer les différentes composantes de la fertilité des sols sont centrales. Le double enjeu de production et de préservation de l environnement est particulièrement prégnant dans le cas de la culture de la banane aux Antilles Françaises. Afin de développer ces systèmes de culture, il s agit de comprendre les mécanismes écologiques à mobiliser, identifier des moyens pour les manipuler et les optimiser, et enfin les assembler dans des systèmes de culture adaptés aux différents types d agriculture et aux conditions de sol et de climat. L intégration dans le système de culture de plantes capables de fournir certains services écosystémiques est un moyen pour limiter le recours aux intrants chimiques tout en maintenant la productivité de la bananeraie (Moonen et Bàrberi, 2008). Divers services peuvent être attendus de l intégration de plantes de service dans l agro-système. Les services écosystémiques Le contrôle des phytoparasites Les plantes de services peuvent permettre le contrôle des phytoparasites à travers certaines de leurs propriétés. Le statut d hôte vis-à-vis des parasites inféodés au bananier est tout d abord une propriété d intérêt majeur pour une plante de service. En effet, la culture d une plante non-hôte en phase d interculture permet d empêcher la multiplication des phyto-parasites inféodés au bananier. Une plante de service peut également contribuer à contrôler les phyto-parasites par la libération de substances biocides (effets allélopathiques, Bais et al., 2006). Enfin, les restitutions organiques des plantes de service contribuent, en augmentant la diversité des ressources primaires pour la chaîne trophique, à augmenter la diversité des organismes vivants et à favoriser le développement de certains organismes régulant les phytoparasites. Le contrôle de la flore adventice Le contrôle de la flore adventice des bananeraies peut s effectuer sans herbicide par la mise en place de plantes de couverture qui empêchent la croissance des adventices en interceptant la lumière ou qui produisent des substances chimiques inhibant la germination et la croissance des adventices (effet allélopathique, Doré et al., 2004). La création de porosité et entretien de la structure du sol Une structure du sol stable et favorable à l installation des racines du bananier peut être obtenue par une plante de service sans travail du sol par l action directe de ses racines sur le sol ou indirectement par les ressources et les habitats pour les ingénieurs (vers de terre, fourmis, lombrics,..) du sol qu elle constitue. Le recyclage des éléments nutritifs L intégration de légumineuses dans le système de culture permet par la fixation d N2 atmosphérique d augmenter le stock d azote biodisponible. L utilisation de plantes de service à enracinement profond permet de capturer des nutriments inaccessibles pour le bananier et de les restituer en surface après dégradation des litières. Ces deux actions contribuent à limiter les besoins en engrais 2 Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11

4 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière Une collection d une centaine de plantes de service caractérisées par leurs traits fonctionnels a été constituée en Martinique et en Guadeloupe dans le cadre d un projet en partenariat UGPBAN-IT 2 - CIRAD. Elle constitue la base technique principale pour la conception de systèmes de culture innovants à bas niveau d intrants chimiques. Quels traits fonctionnels mesure-t-on? Les traits mesurés sont des caractères simples et faciles à mesurer en rapport avec les services attendus (Violle et al., 2009) (Figure 1). Figure 1. Traits fonctionnels et services éco-systémiques associés Comment utilise-t-on les traits fonctionnels pour la conception de système de culture innovants? Les producteurs n ont pas tous les mêmes objectifs en termes de réductions des intrants et n attendent pas les mêmes services de la part des plantes. D autre part, la plante «miracle» apportant dans toutes les conditions une combinaison de tous les services n existe pas. La conception de systèmes de culture performants à bas niveau d intrants chimique passe par une combinaison dans l espace et dans le temps de différentes plantes de service. Cette combinaison est déterminée en fonction des traits des plantes. Une base de données des traits fonctionnels constituent l outil de base pour sélectionner les plantes de service adaptées à la stratégie de chaque type d exploitation et pour définir l arrangement spatio-temporel des plantes dans l agro système. L utilisation de plantes de service pour le contrôle des nématodes phytoparasites La stratégie de contrôle des nématodes phytoparasites par des plantes de services repose sur (i) la mise en place de plantes non-hôte en phase d interculture (ii) la restauration des régulations biologiques au sein de l agrosystème (Côte et al., 2009). Innovations Agronomiques 16 (2011),

5 M. Dorel et al. Le contrôle des nématodes phytoparasites du bananier par la mise en place de plantes non-hôte en phase d interculture. Après destruction de l ancienne bananeraie, l installation d une plante non-hôte en phase d interculture permet de supprimer les ressources et des habitats pour nématodes phytoparasites inféodés au bananier et provoque ainsi leur disparition (Chabrier et Queneherve, 2003). Le statut d hôte des plantes de service est évalué par le taux de multiplication par la plante à tester d un inoculum initial de nématodes phyto-parasites (Tableau 1). Tableau 1 : Taux de multiplication du nématode phytoparasite du bananier Radopholus similis par diverses les plantes de service Taux de multiplication > 10 Taux de multiplication 1 à 10 Taux de multiplication < 1. Niébés (5 espèces). Sarrazin. Sorgho (3 espèces). Arachis P.. Dolichos L.. Macroptilium atr.. Macroptilium l.. Maïs. Mil (3 espèces). Niébés (1 espèce). Sésame. Sesbania ser.. Stylosanthes guianensis. Brachiaria decumbens. Cajanus cajan. Cynodon dactylon. Paspalum notatum. Crotalaires (4 espèces). Giricidia sepium. Pueraria phas.. Ricin. Riz (5 espèces). Sésame (2 espèces). Tagetes Parmi les plantes sélectionnées pour leur capacité à réduire la multiplication des nématodes phytoparasites, les Crotalaires apparaissent comme un genre particulièrement intéressant pour effectuer un assainissement nématologique du sol en phase d interculture en raison leurs effets bénéfiques sur la fertilité des sols liés notamment à leur aptitude à fixer l azote atmosphérique (Photo 1). Photo 1. Couvert de Crotalaires en phase d inter-culture du bananier. Jean-Michel Risède, CIRAD, France. 4 Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11

6 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière L assainissement vis-à-vis des nématodes phytoparasites obtenu grâce à l implantation d une plante de service en phase d interculture est évalué par des tests biologiques en pots réalisés au laboratoire de nématologie. Ces tests sont un outil d aide à la décision qui est utilisé pour évaluer l avancement du processus d assainissement nématologique avant de replanter une nouvelle bananeraie. Le principe de base est de capturer et de multiplier les populations de nématodes résiduelles présentes dans des échantillons du sol de la parcelle à tester en utilisant des plants issus de culture in vitro d une variété de bananier sensible aux nématodes. Après deux mois de croissance en pot, le système racinaire de chaque plant de bananier est analysé afin de déterminer le pourcentage de plants infestés par les nématodes Une fois la disparition des nématodes phytoparasites constatée, la replantation de bananiers sur la parcelle peut être programmée. Il est cependant essentiel pour valoriser le potentiel du sol assaini, de planter un matériel végétal sain. Il est avéré que les souches et les rejets de bananiers utilisés pour la replantation des parcelles ont longtemps été la source majeure de dissémination des nématodes entre les parcelles, les exploitations, les pays et les continents. Aujourd hui, les plants de bananiers issus de culture in vitro constituent une opportunité pour mettre en place des plants sains (Photo 2). Cependant, l absence de nématodes dans ce type de matériel végétal doit périodiquement être contrôlée. L eau utilisée dans les pépinières pendant les phases de sevrage et d endurcissement des plants issus de culture in vitro doit également régulièrement être contrôlée afin de vérifier qu elle n est pas contaminée par les nématodes. Les nématodes peuvent être transportés par les eaux de rivière et introduits dans les pépinières lors du pompage de ces eaux. Il est donc nécessaire d équiper les installations de pompage de filtres pour éviter la contamination de l eau d irrigation Photo 2. Plants de bananiers sains issus de culture in vitro (Crédit : Jean-Michel Risède, CIRAD, France). L effet de plantes de services sur la régulation biologique des nématodes phyto-parasites Nous avons étudié un dispositif expérimental composé de six traitements comprenant un traitement avec le sol maintenu nu par l application d herbicide et de cinq traitements comprenant une couverture spontanée botaniquement variée (mélange de graminées) et quatre espèces de couverture : Paspalum notatum, Neonotonia wightii, Pueraria phaseoloides, Stylosanthes guyanensis. Chaque placette de 75 m² a été répétée trois fois. La bananeraie et les plantes de couvertures étaient plantées depuis deux ans au moment des mesures. Sur chaque placette, nous avons mesuré l abondance des nématodes libres du sol (appartenant aux groupes des phytophages, prédateurs, omnivores et détritivores) et les nématodes phytoparasites des racines de bananiers. Nous avons mesuré plus de nématodes prédateurs dans le sol pour les traitements avec plantes de couverture que pour le traitement avec le sol nu (Figure 1). Les nématodes prédateurs étaient plus abondants pour les couvertures de Neonotonia wightii, Pueraria phaseoloides et Stylosanthes guyanensis. De manière similaire, nous avons mesuré plus de nématodes omnivores dans les traitements avec plantes de couverture que dans le traitement avec du sol nu. Par contre, ce sont la Innovations Agronomiques 16 (2011),

7 M. Dorel et al. couverture spontanée et la plante de couverture Paspalum notatum qui ont permis le développement des populations les plus importantes de nématodes omnivores. Nous avons mesuré plus de nématodes phytoparasites dans les traitements avec les plantes de couverture Pueraria phaseoloides et Stylosanthes guyanensis que dans le traitement avec le sol nu. Inversement, nous avons mesuré moins de nématodes phytoparasites dans les traitements avec la couverture spontanée et la plante de couverture Paspalum notatum que dans le traitement avec le sol nu. Il n y a pas eu de différence entre le traitement sol nu et le traitement avec la plante de couverture Neonotonia wightii. Abondance (n. pour 100g de sol) Nématodes prédateurs Sol nu SC PN NW PP SG Figure 1. Abondance (moyenne ± erreur standard) des nématodes prédateurs, omnivores et des nématodes phytophages (ravageurs) dans des traitements sans plantes de couverture (sol nu) et avec plantes de couvertures (SC : couverture spontanée, PN : Paspalum notatum, NW : Neonotonia wightii, PP : Pueraria phaseoloides, SG : Stylosanthes guyanensis). (Crédit : Djibril Djigal, CIRAD). 500 Nématodes omnivores Abondance (n. pour 100g de sol) Sol nu SC PN NW PP SG 100 Nématodes phytoparasites Abondance (n. pour 100g de racines) Sol nu SC PN NW PP SG Ces résultats nous montrent que l ajout d une plante de couverture enrichit le milieu et permet de soutenir un réseau trophique plus abondant (prédateurs et omnivores). Par contre, l effet sur la régulation des nématodes phytoparasites dépend de l espèce de la plante de couverture. En effet, la meilleure régulation a été obtenue pour la couverture spontanée et pour la plante de couverture Paspalum notatum. Nous pouvons supposer que la régulation ne dépend pas seulement de l augmentation de l abondance des nématodes prédateurs mais aussi de la structuration globale du réseau trophique, avec notamment un rôle important pour les nématodes omnivores. Nos résultats suggèrent que les plantes de la famille des graminées sont plus favorables à la régulation des 6 Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11

8 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière nématodes phytoparasites que celles de la famille des légumineuses. Le rapport carbone/azote des tissus des plantes de couverture est peut-être un facteur qui explique cette différence (ce rapport est plus élevé pour les graminées). II Alternative à la lutte chimique pour le contrôle du charançon du bananier Le contrôle du charançon du bananier par l agencement spatio-temporel des agrosystèmes La lutte contre le charançon du bananier Cosmopolites sordidus est possible en modifiant l aménagement spatio-temporel des agrosystèmes et en déployant de manière optimisée des pièges d interception utilisant des phéromones. Pour cela, il est important de réfléchir à la disposition des parcelles cultivées, et de prendre en compte les espaces non cultivés. Le charançon du bananier est un insecte ayant une faible fécondité (quelques œufs pondus par semaine par femelle (Koppenhofer, 1993)), mais ayant une grande longévité (plus de deux ans (Froggatt, 1925)). Le charançon du bananier est d'instinct grégaire avec un mode de vie nocturne et essentiellement fouisseur. Sa dispersion se fait principalement par la marche et semble limitée et lente. Bien que l adulte dispose d ailes fonctionnelles, il a été quasiment jamais observé en vol (Lemaire, 1996). La mise en jachère des parcelles infestées est une étape clé de la gestion des populations de charançons. En effet, la destruction des bananiers entraîne une baisse de la ressource pour les charançons, entraînant à son tour un déplacement massif des charançons adultes (Figure 2). Ces déplacements se mesurent avec des pics de capture sur les parcelles en jachère entre 10 et 20 semaines après la mise en jachère (Rhino et al., 2010). Charançon capturé / semaine / ha C. sordidus caught per ha Banana fallow Fig 2a Weeks after begining of mass-trapping Semaines après la mise en jachère Figure 2. Dynamique des captures de charançon sur une parcelle mise en jachère (d après Rhino et al., 2010). Afin de mieux comprendre les mécanismes de colonisation des parcelles saines par les jachères, nous avons utilisé des micro-marqueurs RFID (Radio Frequency IDentification) permettant de suivre de manière individuelle les charançons (Vinatier et al., 2010). Des marqueurs ont été fixés à chaque insecte (Photo 3) qui peut ainsi être localisé quotidiennement, même s il est enfoui dans le sol ou caché dans les résidus végétaux. Il est ainsi possible de déterminer des trajectoires d'individus dans un paysage hétérogène (Figure 3). Ces mesures ont permis de montrer que les charançons se déplacent Innovations Agronomiques 16 (2011),

9 M. Dorel et al. en moyenne de 30 cm par nuit, mais certains individus peuvent parcourir jusqu à 10 m. Ces nouvelles connaissances nous permettent d élaborer de nouvelles stratégies de lutte, basées notamment sur l organisation des parcelles dans le paysage et sur la gestion des résidus de culture à l'intérieur des parcelles. Ainsi, l utilisation de barrières de pièges phéromone entre les parcelles saines et les parcelles mises en jachère est un moyen efficace pour réduire les contaminations des parcelles saines. Photo 3. Charançon du bananier marqué avec une puce RFID (crédit : Fabrice Vinatier, CIRAD). Figure 3. Carte des trajectoires de charançon obtenue par radio-télémétrie RFID, montrant le déplacement privilégié des charançons dans un milieu hétérogène comprenant des bananiers (ronds verts foncés), des drains (gris) des plantes de couverture (vert clair). Les trajectoires de mâles et des femelles sont respectivement en bleu et en rouge, les points verts représentent les sites de lâché des charançons (Crédit : Fabrice Vinatier CIRAD) Nous avons développé un outil de simulation (modèle COSMOS) permettant de réaliser des simulations des dynamiques spatiales de l'insecte sur plusieurs cycles de culture en fonction des densités de plantation et de l'organisation spatiale des piégeages (Vinatier et al., 2009). Le modèle COSMOS a permis de tester l'effet du schéma de plantation et celui de la densité de piégeage sur la dynamique du 8 Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11

10 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière ravageur. Il s'avère que planter des bananiers en groupes plutôt que régulièrement sur les parcelles permet d'augmenter le temps nécessaire à la colonisation d'une parcelle, mais augmente le pourcentage de bananiers sévèrement attaqués. De plus, nos simulations montrent qu augmenter la densité de pièges au-delà de 16 pièges / ha ne permet pas d'améliorer le contrôle de la population. Régulations biologiques du charançon du bananier Nous avons mesuré l abondance des fourmis de l espèce Solenopsis geminata, prédateur potentiel du charançon et plus particulièrement du stade œuf, sur deux sites comprenant chacun deux traitements. Ces fourmis ont été capturées par des pièges disposés sur les parcelles. Un traitement avec le sol maintenu nu par des applications régulières d herbicides et un traitement avec la plante de couverture Brachiaria decumbens. Nous avons également mesuré le taux de prédation d œufs de charançons (provenant d un élevage réalisé au laboratoire) qui étaient déposés au niveau du collet des bananiers (reproduisant ainsi la ponte des femelles de charançons). Vingt bananiers par bloc ont été inoculés avec cinq œufs chacun. Le taux de prédation a été estimé une heure après le dépôt des œufs. Nous avons mesuré, de manière similaire pour les deux sites, une abondance plus importante des fourmis de l espèce S. geminata dans les parcelles avec la plante de couverture Brachiaria decumbens que dans les parcelles avec le sol nu. Il y avait plus de fourmis dans le site 1 que dans le site 2, mais l effet de la plante de couverture était de même ordre, avec cinq fois plus de fourmis dans le traitement avec plante de couverture (Figure 4). Le taux de prédation des œufs était plus important dans les parcelles avec plantes de couverture que dans le traitement avec du sol nu. Le taux de prédation des œufs était plus important dans le site 2 que dans le site 1, environ cinq fois plus grand pour le site 2 alors que l augmentation était d environ 1.3 pour le site 1. Ces résultats suggèrent que l ajout d une plante de couverture favorise l augmentation d abondance des prédateurs, en particulier les fourmis. Ceci est cohérent avec les observations d utilisation des plantes de couverture par la communauté des insectes de la litière (Duyck et al., 2011). L augmentation d abondance des prédateurs est liée à la consommation d une nouvelle ressource associée à la plante de couverture. Nous avons identifié les cicadelles comme nouvelle ressource potentielle favorisée par l ajout de B. decumbens. Les cicadelles sont des hémiptères produisant du miellat, qui représente un apport important de carbohydrates au régime alimentaire des fourmis et qui permet leur augmentation en abondance. Les cicadelles et les charançons partageant le même ennemi naturel, il semblerait qu il y ait une relation de compétition apparente entre ces deux espèces d herbivores. L hypothèse de la compétition apparente permet d expliquer l augmentation de la prédation du charançon, dans la mesure où le charançon constitue la proie préférée. En terme d applications, il pourrait être intéressant de faire varier la disponibilité en ressource (la plante de couverture), afin de soutenir une population de prédateurs plus importante lorsque la plante de couverture est présente, puis de supprimer les proies alternatives en supprimant la plante de couverture (ou du moins en réduisant sa biomasse) afin que les prédateurs concentrent leur prédation sur le ravageur. Innovations Agronomiques 16 (2011),

11 M. Dorel et al. Abondance Sol nu Plante de couverture Figure 4. Abondance des fourmis S. geminata et taux de prédation (%) des œufs de charançon (moyenne ± erreur standard) entre des parcelles avec et dans plantes de couvertures (Brachiaria decumbens) pour deux sites en Martinique (Crédit : Grégory Mollot, CIRAD). 0 Site 1 Site 2 80 Taux de prédation Site 1 Site 2 III - Conclusion et perspectives Les résultats présentés ici montrent que des alternatives à l utilisation des intrants chimiques en culture bananière existent et peuvent être mises en œuvre. Le contrôle de bio-agresseurs tels que les nématodes phyto-parasites où le charançon du bananier peut notamment être assuré en combinant (i) des mesures prophylactiques (matériel végétal sain), (ii) l utilisation de plantes de service pour l assainissement des parcelles en phase d inter-culture et pour la restauration de régulations biologiques et (ii) des techniques de piégeage. L utilisation de plantes de service permet d envisager également une limitation du recours aux herbicides et au travail du sol. Ces techniques alternatives à la lutte chimique sont intégrées dans des prototypes de système de culture innovants qui sont conçus et évalués en milieu réel avec la participation des producteurs et des services techniques. Références bibliographiques Bais H.P., Weir T.L., Perry L.G., Gilroy S., Vivanco J.M., The Role of Root Exudates in Rhizosphere Interactions with Plants and Other organisms. Annu. Rev. Plant Biol. 57, Chabrier C., Queneherve P., Control of the burrowing nematode (Radopholus similis Cobb) on banana: Impact of the banana field destruction method on the efficiency of the following fallow. Crop Protection 22, Côte F.X., Abadie C., Achard R., Cattan P., Chabrier C., Dorel M., De Bellaire L.D.L., Risède J.M., Salmon F., Tixier P., Integrated Pest Management Approaches Developed in the French West Indies to Reduce Pesticide Use in Banana Production Systems Acta Horticulturae 828, Innovations Agronomiques 16 (2011), 1-11

12 Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière Doré T., Sène M., Pellissier F., Gallet C Approche agronomique de l allélopathie. Cahiers Agriculture, 13, 3, Duyck P.F., Lavigne A., Vinatier F., Achard R., Okolle J.N., Tixier P., Addition of a new resource in agroecosystems: Do cover crops alter the trophic positions of generalist predators? Basic and Applied Ecology 12, Froggatt J.L., The banana weevil borer (Cosmopolites sordidus). Queensland Journal of Agriculture 24, 558. Koppenhofer A.M., Observations on egg-laying behaviour of the banana weevil, Cosmopolites sordidus (Germar). Entomologia Experimentalis et Applicata 68, Lemaire L., Les relations sémiochimiques chez le charançon du bananier Cosmopolites sordidus Germar (Coleoptera: Curculionidae) et la résistance de sa plante-hôte, le bananier, Académie du Languedoc. Université de Montpellier II, Montpellier, p. 269 pp. Moonen A.C., Bàrberi P., Functional biodiversity: An agroecosystem approach. Agriculture, Ecosystems and Environment 127, Rhino B., Dorel M., Tixier P., Risede J.M., Effect of fallows on population dynamics of Cosmopolites sordidus: toward integrated management of banana fields with pheromone mass trapping. Agricultural and Forest Entomology 12, Rosset P.M., Altieri M.A., Agroecology versus input substitution: a fundamental contradiction of sustainable agriculture. Society & Natural Resources 10, Vinatier F., Chailleux A., Duyck P.-F., Salmon F., Lescourret F., Tixier P., Radiotelemetry unravels movements of a walking insect species in heterogeneous environments. Animal Behaviour 80, Vinatier F., Tixier P., Le Page C., Duyck P.F., Lescourret F., COSMOS, a spatially explicit model to simulate the epidemiology of Cosmopolites sordidus in banana fields. Ecological Modelling 220, Violle C., Garnier E., Lecoeur J., Roumet C., Podeur C., Blanchard A., Navas M.L., Competition, traits and resource depletion in plant communities. Oecologia 160, Innovations Agronomiques 16 (2011),

13 Innovations Agronomiques 16 (2011), Exploration de la variabilité qualitative de la production bananière et des potentialités de transformation en vue d une diversification Bugaud C. 1, Fahrasmane L.², Daribo M.O. 1, Aurore G. 3, Chillet M. 4, Fils-Lycaon B. 2, Rinaldo D. 2 1 CIRAD, UMR QUALISUD, PRAM - BP Lamentin Cedex 2 Martinique - France 2 INRA UMR 1270 QUALITROP, Domaine Duclos Prise d eau F Petit-Bourg, France 3 Université des Antilles et de la Guyane, UMR QUALITROP, P.O. Box 250 F Pointe-à-Pitre, France 4 CIRAD, UMR QUALISUD, Universitade de Sao Paulo, Dpto dos Alimentos e Nutricao Experimental USP/FCF, Sao Paulo-SP, Brazil Correspondance : christophe.bugaud@cirad.fr Résumé Dans un objectif de contribuer à la diversification la production de la banane aux Antilles françaises, les équipes de recherche du CIRAD et de l INRA ont entrepris d explorer la variabilité qualitative des bananes dessert et à cuire et les potentialités d élaboration de produits transformés. La mise en évidence de liens entre les conditions de production (sol, climat) et les caractéristiques sensorielles et nutritionnelles ont conduit à l identification de la dénomination «banane de Montagne». Celle-ci se caractérise par une texture plus ferme, une pulpe plus jaune et présente des teneurs minérales plus faibles. L évaluation de la qualité au sein de la biodiversité variétale a montré que les variétés locales et les hybrides, issus du programme de création variétale du CIRAD, présentaient des caractéristiques organoleptiques et physico-chimiques leur permettant de se différencier de la variété standard, la Cavendish. Parmi les hybrides étudiés, certains ont présenté des aptitudes à la conservation similaires à celle de la Cavendish, leur conférant un potentiel de développement. Des pistes de recherche et développement ont été proposées dans la perspective d une diversification à travers la fabrication de produits transformés. Mots-clés : terroir, disponibilité variétale, transformation, caractéristiques sensorielles et nutritionnelles, aptitudes à la conservation Abstract: Exploration of bananas' quality variability in order to diversify marketed agricultural and agrofood products. With the aim to contribute to the diversification of banana production in the French West Indies, research teams from CIRAD and INRA have begun to explore variability in quality of dessert and cooking bananas and potentialities of processed products development. The identification of relationship between production conditions (soil, climate) and the sensory and nutritional characteristics led to the designation "Banane Montagne" as a quality sign for a specific production. It is characterized by a firmer texture, more yellow pulp and provides lower mineral content. Quality assessment of diversity among varieties showed that local varieties and the hybrids from the breeding program of CIRAD have specific taste and chemical characteristics that markedly differentiate themselves from the standard variety, the Cavendish. Among the hybrids studied some showed a storability similar to Cavendish, giving them a potential for development. Research projects are being developed on bananas as raw material in agrofood processes aiming to offer new processed and innovative products. Keywords: terroir, variety availibility, transformation, sensory and nutritional traits, storability

14 C. Bugaud et al. Introduction La production bananière est une des principales ressources économiques des Antilles françaises. Au niveau international, pour faire face à la forte concurrence commerciale d autres régions exportatrices, présentant des coûts de production 6 à 28 fois moins élevés, la banane antillaise doit pérenniser et fidéliser son marché en proposant de nouveaux produits. Ceci permettrait de différencier la banane des Antilles de ses concurrentes sur la base de la qualité et d exploiter des niches commerciales. Au niveau local, une offre diversifiée permettrait de réduire la dépendance alimentaire. Trois stratégies de diversification sont proposées par la profession et la recherche aux Antilles. La première stratégie propose une diversification par le terroir. Fort de la renommée et de l image que les signes de qualité (AOP, IGP, Montagne) représentent pour les consommateurs, les producteurs de banane aux Antilles françaises ont choisi d identifier une partie de leur production sous l appellation Montagne. Contrairement à l AOP ou l IGP, il n est pas nécessaire de prouver l existence de liens entre le produit et la zone de montagne. Cependant, la mise en évidence de ces liens est un moyen de consolider la légitimité de l appellation Montagne et de renforcer l image que la montagne véhicule auprès des consommateurs. La deuxième stratégie envisage une diversification par la disponibilité variétale. La production mondiale de banane vouée à l export s appuie sur une seule variété, la Cavendish, alors qu il existe plus de 200 variétés de banane comestible. Aux Antilles françaises, il existe une biodiversité de la banane dessert. Les variétés les plus connues sont la Gros Michel, la Frayssinette, la Figue Pomme, et la Figue Rose. Malgré un goût apprécié par les consommateurs, elles sont soit difficiles à produire de manière intensive (maladies, faible rendement), soit difficiles à exporter en raison d une mauvaise aptitude à la conservation. Pire, avec l arrivée de la maladie des Raies Noires qui touche les feuilles des bananiers, certaines de ces variétés vont progressivement disparaître. L innovation variétale est donc une voie privilégiée pour accroître la viabilité et la durabilité des productions agricoles. Celle proposée par le CIRAD sur les bananiers dessert vise à élargir la gamme de variétés qui allient résistance aux maladies et nouvelles caractéristiques de qualité. L évaluation du potentiel de chaque nouvelle variété qu elle soit issue du programme d innovation variétale ou de la biodiversité locale est nécessaire en vue de son adoption par les consommateurs et les opérateurs de la filière (producteurs, exportateurs, mûrisseurs, distributeurs). Etant donné les différents contextes de production (milieu, pratiques culturales), les différents marchés (régionaux ou voués à l export), le développement des cultivars les plus prometteurs exigera une meilleure connaissance des relations entre génotypes, facteurs de l environnement et pratiques culturales. Cette connaissance révèlerait les choix «génotype x milieu x conduite» les plus intéressants en terme de qualité gustative. La troisième stratégie de diversification s appuie sur la mise en œuvre de process technologiques. Les transformations de la banane en produits manufacturés constituent un domaine d exploration relativement vierge (moins de 1 % de la production de banane entre dans les circuits de transformation). Sa production, sa diversité variétale et sa disponibilité permanentes en font une matière première particulièrement intéressante pour des transformations. Aux Antilles, si les produits de la création variétale de banane sont une réalité aujourd hui qui donne vie à la banane d exportation, la transformation de la banane est une perspective qui n est prise en considération que depuis 2006 dans les programmes de l INRA Les usages domestiques divers et variés témoignent des nombreuses possibilités d utilisation de la banane verte et/ou mûre: légume sous diverses formes, frite, dessert, séchée, chips, punch, cocktails, confiture, Le développement commercial de tels produits transformés sera possible s il s appuie sur des arguments objectifs utilisables dans la communication avec la distribution et la consommation. La réussite de la diversification des produits antillais à travers ces 3 stratégies repose sur une évaluation objective de la qualité des fruits et de leurs aptitudes à la conservation et la transformation. Au cours des dix dernières années, les équipes du CIRAD et de l INRA aux Antilles françaises ont 14 Innovations Agronomiques 16 (2011), 13-23

15 Variabilité qualitative de la production bananière contribué à la valorisation de la qualité des produits antillais en caractérisant la variabilité qualitative des bananes dessert issus de la biodiversité existante ou de l innovation variétale, et soumises à des facteurs environnementaux et technologiques. Bien que les bananes dessert représentent localement l essentiel de la production, les bananes à cuire pourraient contribuer, au moins partiellement, à la diversification et à une moindre dépendance alimentaire. La diversification par le terroir La caractérisation de la banane de montagne a été entreprise en Martinique et Guadeloupe sur la Cavendish qui reste la variété la plus exportée. Caractéristiques sensorielles de la banane de Montagne Des analyses instrumentales ont permis de mettre en évidence des différences significatives de texture et de couleur entre la banane de montagne et celle de plaine (Bugaud et al., 2006 & 2007). La dureté de la peau, la fermeté des fruits et l intensité de la couleur jaune de la pulpe (mesurées de manière instrumentale), ont été plus élevées et ceci quelle que soit la saison (Tableau 1). Un test de dégustation réalisé à partir d un jury composé de 22 dégustateurs initiés a confirmé l existence de critères sensoriels propres à la montagne. En effet, sur les 6 origines présentées, dont une de montagne, 19 dégustateurs ont jugé la banane de montagne la plus ferme. Tableau 1 : Texture et couleur des fruits de plaine et de montagne Bugaud et al. (2006) (fruits au stade tigré) Bugaud et al. (2007) (fruits au stade jaune) Plaine (50 m) Montagne (280 m) Plaine (10-60 m) Montagne (340 m) Dureté de la peau (N) Fermeté du fruit (N/s) Couleur jaune (unité instrumentale : période pluvieuse, 2 : période sèche, N : newton, s : seconde Une relation positive a été mise en évidence entre la pluviométrie et la fermeté des fruits (Figure 1) (Bugaud et al., 2009a). Cette relation pourrait expliquer pourquoi les fruits produits pendant la saison sèche sont les moins fermes et à l opposé, ceux produits en altitude, où il pleut le plus, sont les plus fermes. Une relation négative a également été montrée entre la température moyenne journalière et la couleur jaune des fruits (Figure 1) (Bugaud et al., 2009a). Cette relation pourrait être à l origine de la couleur plus jaune de la pulpe des fruits d altitude et des fruits récoltés pendant les saisons les plus fraîches. Figure 1 : Relation entre les paramètres climatiques mesurés pendant la croissance des régimes et les caractéristiques de qualité des fruits évaluée à un stade mûr fermeté du fruit (N/s) 5 R = pluviométrie (mm/mois) couleur jaune de la pulpe (b*) R = température moyenne journalière ( C) Innovations Agronomiques 16 (2011),

16 C. Bugaud et al. L analyse de la composition en composés volatils sur des fruits issus de 2 cultivars de la Cavendish (Grande Naine et Robusta) et produits à différentes altitudes (90 et 500m) a fait ressortir des différences aromatiques entre les bananes de plaine et de montagne à un stade de maturité avancé (Figure 2) (Brat et al. 2004). Les bananes de montagne présentaient des teneurs en esters, aux arômes fruités, et en acides carboxyliques plus élevées. Des concentrations en acétate d isoamyl, arôme connu de la banane, de 40 à 100% supérieures dans les bananes de montagne ont été observées. Des tests de dégustation sur ces mêmes fruits ont confirmé les différences sensorielles entre les bananes produites à des altitudes différentes. cétones Bananes de plaine (100m) Figure 2 : Analyse en composantes principales des composés volatils de la banane Bananes de plaine Bananes de montagne Concentration en composés volatils Aldéhydes Fruits au stade mûr Acides Bananes de Montagne (500m) Fruits au stade très mûr Alcools esters Caractéristiques nutritionnelles de la banane de Montagne Les teneurs en magnésium, phosphore, calcium et fer ont été significativement plus faibles dans les bananes de montagne (Tableau 2) (Bugaud et al., 2009a). Ces différences pourraient être liées d une part à l impact positif de la température sur l absorption des nutriments par la plante (Turner et Lahav, 1985) et d autre part à la nature des sols : en altitude, les sols sont composés de cendres et de ponces dont la capacité d échange cationique est plus faible que sur les sols de plaine de type alluvionnaire ou vertisol (Delvaux, 1995). Tableau 2 : Teneur en minéraux des bananes dessert de plaine et de montagne Bugaud et al. (2006) (fruits au stade tigré) Bugaud et al. (2009a) (fruits au stade jaune) Plaine (50 m) Montagne (280 m) Plaine (10-60 m) Montagne (340 m) Magnésium (g/kg MS) Phosphore (g/kg MS) Calcium (g/kg MS) Fer (ppm) : période pluvieuse, 2 : période sèche, MS : matière sèche D après des travaux préliminaires, la teneur en polyphénols des peaux a été significativement plus élevée chez les bananes de plaine que celles de montagne (Tableau 3) (Chillet et al., 2006). En raison de l implication des polyphénols dans les mécanismes de brunissement, leur plus faible teneur dans les 16 Innovations Agronomiques 16 (2011), 13-23

17 Variabilité qualitative de la production bananière bananes de montagne pourrait leur conférer une meilleure aptitude à la résistance aux chocs et aux manipulations pendant les process post-récolte (transport, mûrissage, mise à l étalage). Tableau 3 : Teneur en polyphénols dans la peau de bananes dessert de plaine et de montagne au stade de récolte Banane de plaine Banane de montagne Douville Changy Saint Julien Neuf Château Matouba Teneur en polyphénols (mg d acide gallique /l) (30 m) (20 m) (15 m) (250 m) (600 m) La diversification par la disponibilité variétale Des travaux ont été entrepris sur la qualité de la banane à partir de variétés issues du patrimoine antillais et de l innovation variétale. Concernant l innovation, les hybrides, sélectionnés pour leur résistance aux maladies, s inscrivent bien dans une démarche de production agricole durable, utilisant moins d intrants chimiques. Les consommateurs sont sensibles à cette démarche et ces hybrides devraient trouver leur marché s ils présentent une bonne qualité organoleptique et nutritionnelle. Nos travaux se sont intéressés aux caractéristiques sensorielles et nutritionnelles, mais aussi à l aptitude à la conservation des fruits, critère essentiel au développement d une nouvelle variété. Caractéristiques sensorielles de la banane Encore récemment, la diversité sensorielle de la banane dessert était peu connue en raison de la lourdeur de la mise en place des analyses sensorielles qui nécessitent des jurys entraînés, de la nécessité de disposer d une large gamme de variétés et de maîtriser les conditions de récolte, de conservation et de mûrissement des fruits. Une vingtaine de variétés dont certaines cultivées aux Antilles (Cavendish, Gros Michel, Figue Pomme, Frayssinette, Figue Rose ), ainsi que des géniteurs utilisés dans les croisements et des hybrides issus du programme de création variétale du CIRAD ont été analysées par un jury de dégustateurs entraînés à un stade de maturité optimale. Une classification sensorielle de la banane dessert permettant de cerner les caractéristiques sensorielles majeures chez la banane dessert a été proposée (Figure 3) (Bugaud et al., 2011). Il est ressorti que les hybrides (noté Flhorban 9xx dans la Figure 3) présentaient des caractéristiques sensorielles différentes de celles de la Cavendish. Couplés à des tests consommateurs, ces résultats vont permettre de connaître les préférences des consommateurs (qui ne sont pas connues), et d aider les sélectionneurs dans la sélection de nouveaux hybrides représentatifs d une population ciblée. Innovations Agronomiques 16 (2011),

18 C. Bugaud et al. Flhorban 919 (AAA) acide Pisang Jari Buaya (AA) Pisang Lilin (AA) arôme chimique arôme boisée Yangambi km5 Prata Ana (AAB) (AAA) Axe 2 (20%) arôme fermenté Flhorban 916 (AAA) Texture fondante Flhorban 918 (AAA) Figue Rose (AAA) texture ferme Frayssinette Indonesia 110 (AA) Axe 1 (38%) (AA) Fougamou (ABB) texture arôme banane arôme hétérogène sucré herbacée Figue Pomme (AAB) Cavendish astringent Gros Michel (AAA) (AAA) texture collante Ney Poovan (AB) texture farineuse Figure 3 : Caractérisation de la diversité sensorielle de la banane dessert Les résultats ont montré que la saveur acide et la fermeté du fruit sont des critères majeurs de différenciation de la banane. Les autres critères sont les saveurs sucrée et astringente, et les arômes banane et chimique. Les premiers éléments indiquent que les perceptions «sucrée» et «acide» sont fortement pilotées par la concentration en acides organiques (essentiellement les acides citrique et malique) (Bugaud et al., 2010). La fermeté, elle, dépend à la fois du taux de matière sèche et du ph. L identification de déterminants physico-chimiques, notamment les sucres et acides organiques, de la qualité sensorielle de la banane dessert se poursuit. Ces déterminants, dont l analyse est instrumentale, pourront être intégrés plus facilement dans les stratégies de sélection que les critères sensoriels, nécessitant la mise en place de panels de dégustateurs. Nous avons montré, en comparant des bananes dessert et à cuire pour les déterminants physicochimiques de la qualité, qu à maturité, ces deux groupes ne diffèrent pas nettement par leurs teneurs en sucres totaux. En revanche, deux des variétés diploïdes à cuire, Sowmuk et Galéo, présentent des teneurs en saccharose pratiquement nulles à partir du stade mi-mûr, alors qu elles varient de 4 à 9 % du poids frais chez les diploïdes dessert et chez Plantain (Figure 4) (Fils-Lycaon et al., 2011). Les faibles teneurs en saccharose de Sowmuk et Galéo sont liées à des modifications du métabolisme des sucres, avec, notamment, une activité de l enzyme invertase acide, qui catalyse la transformation du saccharose en fructose et glucose, 6 fois plus élevée que dans les autres variétés. Les deux variétés à cuire pauvres en saccharose présentent un intérêt nutritionnel marqué, avec un indice glycémique réduit de 25 % par rapport aux autres génotypes. Elles pourraient donc être introduites, dans l alimentation, avec des effets bénéfiques, entre autres, chez les diabétiques. 18 Innovations Agronomiques 16 (2011), 13-23

19 Variabilité qualitative q de la production bananière Figure 4 : Teneurs en saccharose de trois variétés dessert ( IDN 110, Kirun, Grande Naine) et trois variétés à cuire (Galéo, French (groupe Plantain), Sowmuk).. 9 Saccharose (% poids frais) 6 3 IDN 110 Kirun Grande Naine Galéo Sowmuk French 0 Stade de maturation Une étude comparative des arômes libres et liés de trois variétés de d bananes cultivées aux Antilles (Cavendish, Frayssinette et Plantain) a montré des différences significatives entre ces 3 variétés (Aurore et al., 2011). Les 3 variétés étudiées contiennent des composés aromatiques liés à des sucres (aromes glycosylés). Ces arômes sont libérés, sous forme d aglycones, lors de laa mastication et/ou de la cuisson. Le profil aromatique des aglycones montre que la variété Plantain P semble être assez proche de celle de Frayssinette (Figure 5). Figure 5 : Profil aromatique (en aglycones) de 3 variétés de banane Innovations Agronomiques 16 (2011),

20 C. Bugaud et al. Caractéristiques nutritionnelles de la banane Les teneurs en minéraux ont été mesurées sur ces mêmes variétés. Les teneurs en potassium, magnésium, phosphore, calcium et chlore ont varié du simple au double d une variété à l autre (Tableau 4). Le potassium est le composé minéral majeur, suivi du chlore et du magnésium. Les teneurs en polyphénols totaux ont été mesurées dans la pulpe de fruits de Cavendish et d un hybride au cours de leur maturité (Bugaud et al., 2009b). Les teneurs observées dans la pulpe de l hybride (340 mg équivalent d acide gallique/100 MF) ont été trois fois plus importantes que dans celle de la Cavendish et restent supérieures à celles mesurées dans la majorité des bananes à cuire au stade mûr (Ngoh et al., 2008) et dans quelques fruits et légumes de climat tempéré (Brat et al., 2006). Tableau 4 : Variabilité de la composition minérale mesurée dans 20 variétés de bananes dessert Potassium (g/kg MS) Magnésium (g/kg MS) Phosphore (g/kg MS) Calcium (g/kg MS) Chlore (g/kg MS) Valeur moyenne Valeur minimale Variété concernée Fougamou (ABB) Flhorban 919 (AAA) Frayssinette (AA) Ney Poovan (AB) Fougamou (ABB) Valeur maximale Variété concernée Pisang Jari Buaya (AA) Pisang Jari Buaya (AA) Figue Pomme (AAB) Yangambi km5 (AAA) Flhorban 918 (AAA) Entre parenthèses après le nom de la variété: le groupe (A : acuminata, B : balbisiana) Aptitude à la conservation de la banane La connaissance des durées de vie de commercialisation et de consommation de nouvelles variétés de bananes est un préalable indispensable à leur adoption par les opérateurs de la filière (mûrisseurs, distributeurs) et leur mise sur le marché. Une méthode simple et objective basée sur l évaluation du dégrain (perte de fermeté au niveau du pédoncule du fruit) et des tests sensoriels d acceptabilité a permis de comparer 6 nouvelles variétés créées par le CIRAD au standard Cavendish (Figure 6) (Daribo et al., 2007). Figure 6 : Durée de vie commerciale et de consommation de nouvelles variétés de banane Cavendish Flhorban 916 Flhorban 918 Flhorban 919 Flhorban 920 Flhorban 924 Flhorban jours durée de vie de commercialisation durée de vie de consommation stade optimal de consommation 20 Innovations Agronomiques 16 (2011), 13-23

21 Variabilité qualitative de la production bananière Cette méthode propose également de déterminer le stade de maturité pour lequel l appréciation gustative du fruit est jugée optimale. En raison de ces caractéristiques comparables à celles de la Cavendish, l hybride Flhorban 925 offre un intérêt pour les sélectionneurs et les opérateurs de la filière. L hybride Flhorban 916 aux durées de vies courtes, serait destiné à des circuits de commercialisation spécifiques (où la gestion des stocks est tendue). L hybride Flhorban 918 est une variété à consommer tardivement et peut là également trouver un débouché spécifique. Une des limites essentielles à la commercialisation de la banane, tant pour le marché international que local, est sa sensibilité aux conditions de stockage et de transport en post-récolte. Le stockage au froid, utilisé à l export pour allonger la durée de vie post-récolte, provoque, chez certaines variétés, un brunissement du fruit. Il peut également être occasionné par des meurtrissures ou blessures lors du transport et des manipulations ou par des attaques de pathogènes en post-récolte. La sensibilité au brunissement constitue un défaut de qualité majeur du point de vue visuel et provoque généralement un rejet de la part du consommateur. La diversification par le développement de variétés autres que Cavendish, suppose que ces variétés soient peu sensibles au brunissement. Celui-ci est lié à l oxydation des polyphénols présents dans le fruit et dépend de divers facteurs, tels la teneur et la composition en polyphénols et les modifications de leur métabolisme (Rinaldo et al., 2010). Nos travaux en cours visent à caractériser des variétés de banane pour leur sensibilité au brunissement en réponse au froid ou aux meurtrissures, en étudiant leurs teneurs et leur composition en polyphénols ainsi que le métabolisme de ces composés. Nos premiers résultats indiquent une variabilité génétique marquée pour ces critères. Les conséquences sur les propriétés nutritionnelles des différentes variétés seront évaluées. La diversification par des process technologiques Des approches en unité expérimentale étudient la typologie de ce qui est faisable : des produits secs de qualité pour l alimentation humaine (farine de qualité), des boissons nouvelles sans alcool et fermentées, des produits de confort obtenus par la mise en œuvre de technologies innovantes. Des concepts, et des échantillons de ces approches permettent de montrer aux acteurs et aux décideurs ce qui est possible et d envisager en termes de produits ciblés. Des collaborations sont en cours ou en construction avec des entreprises. Produits existants issus de la transformation de la banane aux Antilles Il existe une production artisanale diffuse de farine, de chips, de banane séchée, des bananes légumes, prêtes à l emploi proposées par l entreprise «Légumes des Îles», un jus de banane élaboré par flash détente, protégé par un brevet (2003), qui n est pas encore exploité. La grande distribution propose du nectar et des boissons multi-fruit intégrant la banane, ainsi que de la confiture de banane produite localement. Une boisson fermentée, «moelleux de banane», produite depuis peu en Guadeloupe par le Domaine des Antilles est commercialisée sous la marque «Coteaux des Alizés». PHYTOBOKAZ, produit BANULINE, qui est un produit de confort à base de banane, est distribué dans le circuit des pharmacies. Ces productions ne consomment qu une faible part des disponibilités en matière première, banane. Il y a de la ressource pour lancer de nouvelles productions et amplifier l existant. Des pistes possibles de R & D pour la transformation de la banane Les études scientifiques sur la composition des bananes montrent un pool de métabolites secondaires ayant des propriétés favorables à la santé du tractus intestinal. Les usages en médecine traditionnelle Innovations Agronomiques 16 (2011),

22 C. Bugaud et al. montrent qu il existe des pratiques valorisant ces propriétés d intérêt santé. La diversification de la banane par la qualité permettra de faire bénéficier à la transformation d un choix de matière première plus ou moins adaptée à des objectifs précis de qualité, attendues par le consommateur. Tout autant que la pomme, la banane mûre peut être transformée en diverses boissons (jus, nectar, cocktail, pétillant, bière, eau-de-vie), vinaigre, purée, compote, En outre, la banane verte peut être envisagée comme ressource pour la production de snacks de différentes qualités, de légumes prêts à l emploi, mais aussi d une base glucidique à façonner (cf. pomme de terre) dont le pelage, que ce soit à l échelle domestique ou industrielle, constitue un facteur limitant sa consommation (Aurore et al.,2009). Des technologies innovantes de transformation des ressources végétales constituent des outils à appliquer à la banane pour l élaboration de produits de qualité, du fait de la préservation de molécules bioactives parfaitement identifiées. Les produits qui en seront issus devront bénéficier de tests quant à leurs propriétés particulières de bien-être pour le consommateur et leur accessibilité. Leur distribution pourra dans certains cas emprunter des circuits spécialisés, tel que Banuline, sur la base d arguments objectifs utilisés dans la communication avec la distribution et la consommation. Conclusions L exploration de la variabilité qualitative de la production bananière a permis de dégager des voies de diversification répondant à la fois aux attentes des opérateurs de la filière (producteurs, transporteurs, mûrisseurs, agrotransformateurs, distributeurs) et des consommateurs. L identification objective de liens entre le terroir et la qualité de la banane a conduit à l identification de la banane de Montagne des Antilles françaises en La banane Montagne est produite au-dessus de 250 m d altitude et doit respecter un cahier des charges relatif à une agriculture raisonnée. A ce jour, environ tonnes ont été commercialisées sur le territoire français (les aléas climatiques comme Dean en 2007 et Tomas en 2010 n ont pas permis à cette production de trouver un rythme de croisière). Ce label correspond réellement à la demande des consommateurs puisque la banane de montagne des Antilles Françaises a été reconnue Saveur de l année en 2006 et 2007 ( L évaluation de la qualité au sein de la biodiversité variétale, qu elle soit existante ou issue de l innovation variétale, a permis de prendre conscience de la diversité sensorielle et nutritionnelle présente aux Antilles Françaises. Certaines variétés locales (Figue Rose, Frayssinette) ou hybrides (Flhorban 920) ont fait l objet d un développement commercial sur des niches spécifiques. L expérience a montré qu au-delà de répondre aux attentes des consommateurs en termes de qualité sensorielle et nutritionnelle (notamment pour les bananes à cuire), l introduction réussie de nouvelles variétés introduites sur les marchés français ou européens ne sera possible que si elles supportent avant tout les contraintes liées à leur conservation au cours des process post-récolte. Il convient donc de poursuivre la caractérisation de ces variétés sur l ensemble de ces critères. Le choix de ces variétés devrait être déterminé en co-construction avec l ensemble des acteurs. Concernant l agrotransformation, le dynamisme des entrepreneurs et des décideurs est déterminant pour la réalisation de programmes de Recherche et de développement, amplifiant et diversifiant la valorisation de la production locale de banane, dont la diversification est le moyen d élargir l aptitude à diverses transformations. Références bibliographiques Aurore G., Parfait B., Fahrasmane L., Banana for food making. Trends in Food Science and Technology 20, Innovations Agronomiques 16 (2011), 13-23

23 Variabilité qualitative de la production bananière Aurore G., Ginies C., Ganou-Parfait B., Renard C.M.G.C., Fahrasmane L., Comparative study of free and glyconjugated volatile compounds of three banana cultivars from French West Indies: Cavendish, Frayssinette and Plantain. Food Chemistry 129, Brat P., Yahia A., Chillet M., Bugaud C., Bakry F., Reynes M., Brillouet J.M., Influence of cultivar and growth altitude on banana volatile compounds distribution. Fruits 59, Brat P., George S., Bellamy A., Du Chaffaut L., Scalbert A., Mennen L., Arnault N., Amiot M.J., Daily polyphenol intake in France from fruit and vegetables. Journal of Nutrition 136, Bugaud C., Chillet M., Beaute M.P., Dubois C., Physicochemical analysis of mountain bananas from the French West Indies. Scientia Horticulturae 108, 2, Bugaud C., Daribo M.O., Dubois C., Climatic conditions affect the texture and colour of Cavendish bananas (Grande Naine cultivar). Scientia Horticulturae 113, 3, Bugaud C., Daribo M.O., Beaute M.P., Telle N., Dubois C., 2009a. Relative importance of location and period of banana bunch growth in carbohydrate content and mineral composition of fruit. Fruits 64, Bugaud C., Alter P., Daribo M.O., Brillouet J.M., 2009b. Comparison of the physicochemical characteristics of a new triploid banana hybrid, FLHORBAN 920, and the Cavendish variety. Journal of the Science of Food and Agriculture 89, 3, Bugaud C., Deverge E., Daribo M.O., Ribeyre F., Fils-Lycaon B., Mbéguié-A-Mbéguié D., Sensory characterisation enabled the first classification of dessert banana. Journal of the Science of Food and Agriculture 91, Bugaud C., Deverge E., Daribo M.O., Fils-Lycaon B., Mbéguié-A-Mbéguié D., Chemical predictors of sweetness and sourness in banana. 28th International Horticultural Congress, Lisboa, Portugal, August Chillet M., Molia F., Hubert O., Bercion S., Variation of total polyphenols contain in bananas cultivated in different pedo-climatic conditions. In: F. Daayf, A. El Hadrami, L. Adam, G.M. Balance (Eds), Proceedings of the XXIII ICP, Winnipeg, p Daribo M.O., Paget B., Bugaud C., Simple methods to evaluate the saleable life and edible life of new varieties of banana. In: W.I. Lugo, W. Colon (Eds), Marketing Opportunities for Agriculture and Forestry Products in the Greater Caribbean A Challenge for the 21st Century. Proceedings of the 43 rd annual meeting Caribbean Food Crops Society, Caribbean Food Crops Society, San Juan, p Delvaux B., Soils. In: S. Gowen (Ed.), Bananas and plantains, Chapman and Hall, London, p Fils-Lycaon B., Julianus P., Chillet M., Galas C., Hubert H., Rinaldo D., Mbéguié-A-Mbéguié D., Acid Invertase as a Serious Candidate to Control the Balance Sucrose versus (Glucose + Fructose) of Banana Fruit during Ripening. Scientia Horticulturae 129, Ngoh Newilah G., Brat P., Tomekpe K., Alter P., Fokou E., Etoa F.X., Effect of ripening on total polyphenol contents of Musa hybrids and cultivars grown in Cameroon. Acta Horticulturae 879, Rinaldo D., Mbéguié-A-Mbéguié D., Fils-Lycaon B., Advances on polyphenols and their metabolism in sub-tropical and tropical fruits. Trends in food science and Technology 21, Turner D.W., Lahav E., Temperature influences nutrient absorption and uptake rates of bananas grown in controllet environments. Scientia Horticulturae 26, Innovations Agronomiques 16 (2011),

24 Innovations Agronomiques 16 (2011), De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques dans la filière banane Blazy J.-M. INRA, UR1321 ASTRO Agrosystèmes tropicaux, F Petit-Bourg (Guadeloupe), France Correspondance : jean-marc.blazy@antilles.inra.fr Résumé En Guadeloupe et en Martinique, la production bananière doit relever le défi de mieux conjuguer performances économiques et environnementales. Alors que différentes innovations agro-écologiques sont en cours de développement, nous avons évalué un panel d innovations et leurs conditions d adoption dans différents types d exploitation. Les enquêtes de terrain et les simulations réalisées montrent que les petites exploitations familiales de plaine devraient s orienter vers l introduction d une culture d ananas ou de la plante de service Brachiaria decumbens. Néanmoins certains freins liés aux faibles surfaces couplées à des contraintes de trésorerie peuvent limiter les adoptions. Pour lever ces contraintes, nous proposons la mise en place de dispositifs de soutien économique à la conversion. D une manière générale les systèmes innovants étudiés amènent à une substitution des pesticides par du travail. Dans le cas des cultures associées cette substitution se fait généralement au détriment du revenu des planteurs. En zone de montagne, les pratiques de jachère spontanée et d implantation de cultures intercalaires comme Canavalia ensiformis ou Impatiens sp semblent les plus indiquées. Pour les grandes exploitations, dont les performances économiques et environnementales sont déjà relativement élevées, le système de culture à base de Brachiaria decumbens semble le plus prometteur. Mots-clés : innovation, agro-écologie, évaluation, typologie d exploitation, consentement à l adoption, Antilles. Abstract: Innovation and adoption of new pratices in the banana sector. In Guadeloupe and Martinique, banana production is challenged to better combine economic and environmental performance. While different agro-ecological innovations are being developed, we evaluated a range of innovations and their conditions of adoption in different types of farm. Field surveys and simulations show that small family farms should rotate bananas fields with a culture of pineapple or a service crop like Brachiaria decumbens. Nevertheless, some obstacles related to small areas coupled with liquidity constraints may limit adoptions. To overcome these constraints, we propose the introduction of economic measures to support conversion. Generally, innovative systems studied lead to a substitution of pesticide use by more work. In the case of intercropping techniques, this substitution generally reduces income of farmers. In mountain areas, spontaneous fallow practices and implementation of intercropping with legume Canavalia ensiformis or Impatiens sp seem most appropriate. For large farms, whose economic and environmental performance are already relatively high, the cropping system based on the use of Brachiaria decumbens in fallow and then in intercropping seems the most promising option. Keywords: innovation, agro-ecology, assessment, farm typology, wilingness to adopt, French West Indies.

25 J.M. Blazy Introduction : des innovations nécessaires, mais pas toujours adoptées Aux Antilles françaises, la filière de production de banane pour l'export joue un rôle clé dans l'économie de ces petits territoires insulaires. Cette filière structurée fait en effet vivre 700 exploitations agricoles occupant une surface de ha pour une production agricole finale de tonnes de banane et 160 millions de chiffre d'affaire. Dans un contexte où le taux de chômage est élevé, la filière banane fournit un travail constant à 6000 personnes (UGPBAN, 2011). La production bananière doit néanmoins relever le défi de mieux conjuguer performances économiques et environnementales. Pour faire face à la libéralisation du marché, les planteurs se sont tournés vers des pratiques intensives qui ont eu pour conséquence le développement parasitaire. En monoculture bananière, le nématode endophytoparasite Radopholus similis et le charançon Cosmopolites sordidus sont en effet responsables d importantes pertes de production. Le développement de ces parasites provoque une fragilisation du système racinaire du bananier qui ne peut plus assurer correctement les fonctions de nutrition hydrominérale et d'ancrage mécanique du bananier dans le sol. Les pratiques intensives et la monoculture ont ainsi eu pour conséquence d'une part une baisse de la fertilité physique, biologique et chimique des sols, et d'autre part une contamination par les pesticides des écosystèmes terrestres et marins (Bonan et Prime., 2001 ; Clermont Dauphin et al., 2004 ; Bocquene et Franco, 2005 ; Cabidoche et al., 2009). Guadeloupe Martinique 100% 50% 0% A: 0 à 2.99 ha B: 3 à 4.99 ha C: 5 à 9.99 ha D: 10 ha et + 80% 60% 40% 20% 0% A: 0 à 2.99 ha B: 3 à 4.99 ha C: 5 à 9.99 ha D: 10 ha et + Pratique Rotations-Jachères Utilisation de Vitro-plants Pratique Rotations-Jachères Utilisation de Vitro-plants Figure 1 : Taux d adoption des pratiques de gestion intégrée du parasitisme tellurique. (Source : enquête INRA 2008). Pour améliorer la durabilité de la filière, des techniques alternatives d assainissement et de restauration de la fertilité ont été mises au point depuis le début des années Ainsi, différents travaux ont montré l intérêt d introduire des rotations de culture dans les systèmes bananiers, notamment pour maîtriser le parasitisme et ainsi pouvoir réduire l utilisation de pesticides (Clermont-Dauphin et al., 2004 ; Chabrier et Quénéhervé, 2003 ; Ternisien et Ganry, 1990). Malgré la mise en place de dispositifs de soutien à l'adoption des jachères, les niveaux d'adoption actuels apparaissent contrastés selon les types d'exploitation (Figure 1). Une différence du même ordre existe quant à l utilisation de vitro-plants, autre innovation susceptible d améliorer l état sanitaire des plantations. Ce constat montre que face aux innovations agronomiques, tous les agriculteurs ne sont pas égaux. Ceux-ci peuvent en effet se trouver dans des conditions d exploitation considérablement différentes tant d un point de vue biophysique que socio-économique (Blazy et al., 2009a). N ayant pas les mêmes contraintes et les mêmes objectifs, les planteurs ont ainsi différents intérêts et marges de manœuvre pour innover. Alors que la filière banane s est résolument engagée dans une démarche de renforcement de sa durabilité, en particuliers à travers le développement d innovations agro-écologiques comme le recours aux plantes de service et l innovation variétale, il apparaît nécessaire de s interroger sur les conditions d adoption de ces innovations. Les résultats présentés dans cet article ont pour but de répondre à cette préoccupation en évaluant 1) la diversité des exploitations bananières, 2) les impacts potentiels de l adoption des innovations et 3) les freins et facteurs d adoption par les agriculteurs. 26 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

26 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques Méthode : quelles innovations pour quels types de planteurs? La Figure 2 présente les différentes étapes de la démarche que nous avons adoptée. La finalité de la démarche est d identifier les profils d innovations agronomiques qui répondront le mieux aux besoins et aux attentes des différents types d agriculteurs. Pour ce faire, notre démarche se base sur des allersretours entre enquêtes de terrain et utilisation de modèles agronomiques et économiques. Diagnostic des exploitations bananières Sélection d innovations candidates Evaluation des impacts de l adoption des innovations Analyse des conditions d adoption des innovations Figure 2 : Démarche employée pour identifier les innovations ayant les meilleures chances d adoption. Diagnostic de la diversité des exploitations La première étape consiste en un diagnostic basé sur une enquête approfondie visant à caractériser i) l ossature technique des systèmes de culture bananiers actuellement pratiqués, ii) les performances agronomiques, économiques et environnementales associées et iii) le contexte biophysique et socioéconomique de l exploitation. Dans un processus de conception et d évaluation d innovations, une telle caractérisation de la diversité est nécessaire pour deux raisons. D une part, elle servira à mieux orienter le choix de systèmes innovants cohérents avec les problèmes et situations particulières de chaque type d exploitation. D autre part, elle permettra de renseigner les paramètres techniques, pédoclimatiques et économiques de description des exploitations qui seront utilisés au cours de la deuxième étape de la méthode pour l évaluation des systèmes par modélisation. Une gamme d innovations pour une agriculture plus écologique En alternative au contrôle chimique de la pression parasitaire et de la fertilité, plusieurs types d innovations agro-écologiques sont actuellement explorés par les organismes de recherche et l institut technique tropical (voir Figure 3). Parmi ces options, les plantes de service constituent une voie prometteuse (Blazy et al., 2009a ; Tixier et al., 2011 ; Dorel et al., 2011). Il s agit de plantes cultivées dans le cadre de rotations de cultures ou d associations culturales dans le but d apporter différents services au sol et au bananier tels que la régulation biologique des populations de parasites et la restauration de la fertilité. En rotation de culture ou sous la forme de jachère assainissante, une plante de service a pour but de casser le cycle de développement des parasites du bananier. Certaines plantes peuvent éventuellement apporter d autres services complémentaires, comme la fourniture d azote (ex : Crotalaria spectabilis), l amélioration de la structure du sol (ex : Brachiaria decumbens), la limitation de l érosion ou des services économiques comme la production de cultures de rentes ou fourragères (ex : ananas et Neonotonia wightii). En culture associée, la plante de service a pour principale fonction de limiter le développement de l enherbement tout en n étant pas compétitrice vis-à-vis du bananier pour les ressources hydrominérales. Les services complémentaires mentionnés ci-dessus peuvent également être fournis (ex : Canavalia ensiformis permet de fournir de l azote au bananier et de recycler les éléments minéraux profonds inaccessibles au bananier). Un autre grand type d options actuellement en cours de développement est l innovation variétale (Salmon et al, 2005 ; Quénéhervé et al., 2005). Les innovations introduites sont relatives à la tolérance Innovations Agronomiques 16 (2011),

27 J.M. Blazy aux ravageurs, en particulier les cercosporioses. Ces variétés peuvent présenter des caractéristiques morphologiques et phénologiques différentes de la variété Cavendish. Systèmes de cultures agro-écologiques Réduction de l usage des engrais et des pesticides Plantes de services Nouvelles variétés Cultures associées Jachères et rotations de culture Canavalia ensiformis Semis direct sur jachère de Brachiaria decumbens Variété hybride Intégration élevage Impatiens sp. Jachère spontanée Figure 3. Les types d innovations agro-écologiques actuellement développées et quelques exemples en image. Crédits photos : Jean-Marc Blazy (INRA), Frédéric Salmon (CIRAD), Maurice Mahieu (INRA) Pour chaque type d innovation, il existe un grand nombre de déclinaisons qui sont actuellement à l étude (IT2, 2010 ; Dorel et Tixier, 2011). Ces innovations permettent de réduire l usage de pesticides, mais elles s accompagnent de modifications profondes au sein des systèmes de culture et de l exploitation. Elles nécessitent des adaptations techniques au niveau des pratiques, de l organisation du travail et des investissements en apprentissage et en équipements spécifiques. Aujourd hui, ces innovations sont évaluées à travers des essais conduits dans les stations expérimentales des organismes de recherche et de l institut technique tropical. Afin d évaluer quels types d innovations seraient les plus indiqués pour chaque type d exploitation, nous proposons d en évaluer les impacts probables et les conditions d adoption au sein de la diversité des exploitations bananières de Martinique et de Guadeloupe. 28 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

28 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques Simulation des impacts potentiels de l adoption des innovations Pour évaluer les possibles conséquences agronomiques, environnementales et économiques de l adoption des systèmes de culture innovants, pour les différents types d exploitations, nous avons procédé par simulation. L avantage de cette approche, en comparaison des approches uniquement expérimentales, est qu elle permet d évaluer rapidement et à moindre coût un grand nombre de scénarios sur une base multi-critère. En utilisant les modèles SIMBA et BANAD, nous avons ainsi pu évaluer les conséquences sur le fonctionnement et les performances de 6 types d exploitations pour 18 prototypes de systèmes de culture combinant les options présentées ci-avant (Blazy, 2009b, 2010 ; Tixier et al., 2008). Le modèle de système de culture SIMBA permet de simuler les processus biophysiques en interaction avec la conduite technique des cultures et le modèle d exploitation BANAD permet de quantifier les flux d intrants et d extrants à l échelle de l exploitation en simulant le processus d adoption et de conduite de l exploitation (assolement, conduite technique et gestion de la main d œuvre). Les performances simulées sont relatives à la production, au niveau d utilisation de matières actives pesticides et à leurs impacts environnementaux, aux coûts de mise en œuvre de l innovation, au revenu net de l agriculteur, au délai de retour sur investissement et à la charge de travail. Les sorties du modèle peuvent être calculées à un pas de temps allant de la semaine à la dizaine d années (échelle de la transition d un système de culture à un autre), ce qui permet de visualiser l évolution dynamique des performances au cours de l adoption ou bien d analyser des sorties moyennées ou cumulées. Les modèles ont été paramétrés spécifiquement pour chaque type d exploitation, et calibrés et évalués globalement avec des données expérimentales. Evaluation des conditions d adoption par les agriculteurs Face à une innovation, les raisons de l adoption ou non d une innovation peuvent être multiples. Plusieurs synthèses ont été réalisées sur le sujet (Feder et Umali, 1993 ; Abadi Ghadim et Pannell, 1999 ; Marra et al., 2003). Ces études montrent que les décisions d'adoption des agriculteurs peuvent être influencées par deux types de déterminants : ceux relatifs aux caractéristiques individuelles des agriculteurs (marges de manœuvre, attitudes personnelles face au changement et au risque, accès au conseil, etc.) et ceux relatifs aux caractéristiques des innovations (traits techniques et performances associées). Afin d évaluer le potentiel d adoption des innovations actuellement développées dans la filière banane aux Antilles, nous avons réalisé une enquête de terrain auprès de 607 producteurs de banane de Guadeloupe et Martinique. Dans chaque île, l échantillonnage a été fait selon une stratification préalable de la population par zone géographique, à un taux de 80% de la population totale. L objectif de l enquête était d établir un état des lieux des pratiques et d évaluer les consentements à l adoption des agriculteurs. Pour ce faire, nous avons évalué ex-post (c'est-à-dire a posteriori) les raisons de l adoption ou nonadoption actuelle des pratiques de rotations et jachères et avons évalué ex-ante (c est à dire a priori) quelles seraient les chances d'adoption de différents prototypes de systèmes de cultures innovants. La finalité de l approche ex-ante est d identifier les caractéristiques des innovations et des exploitations qui peuvent significativement freiner ou motiver les décisions d adoption. Plusieurs expériences de choix ont été soumises à chaque agriculteur. Dans ces expériences, différentes innovations sont décrites par leurs caractéristiques techniques et leurs conséquences en terme agronomique, économique et environnemental, telles qu elles ont été évaluées par modélisation. Chaque planteur est amené à dire son consentement à l'adoption pour chacune des innovations. L information collectée sur la variabilité des choix est ensuite utilisée pour construire un modèle économétrique d adoption qui permet de relier les choix d'adoption aux caractéristiques des innovations et des agriculteurs. Les paramètres du modèle et leur significativité permettent d identifier les caractéristiques qui motivent ou au contraire freinent les agriculteurs dans leurs décisions d adoption. Innovations Agronomiques 16 (2011),

29 J.M. Blazy Résultats Un diagnostic divers selon les types d exploitation Le diagnostic établi permet de dégager trois types d exploitation (Tableau 1). On peut distinguer d un côté des exploitations familiales de petite taille (moyenne de 4 ha), localisées en plaine (altitude moyenne de 96 m) ou en altitude (312 m), et d un autre côté des exploitations de plus grande taille localisées principalement en plaine et en zone de piémont (moyenne de 40 ha de surface et 133 m d altitude). Ces dernières diffèrent des deux premières par la prévalence des pratiques de rotations culturales et d usage de vitro-plants. Ces techniques conduisent à des niveaux de rendement plus élevé (moyenne de 36 tonnes/ha/an) comparativement aux petites exploitations familiales (26 et 20 tonnes/ha/an). Si, en Guadeloupe, 67% des agriculteurs pratiquent une période de rotation ou de jachère, le niveau d'adoption des rotations est de 28% seulement en Martinique. Variables Unité Guadeloupe Martinique Exploitation familiale de plaine Grande exploitation de plaine Exploitation familiale d'altitude n=168 n=439 n=419 n=112 n=76 Surface ha Altitude m % surface mécanisable % 57% 67% 66% 69% 43% % utilisation vitro-plants % 59% 24% 20% 83% 39% % pratique rotations % 67% 28% 29% 70% 53% Usage de pesticides kg/ha/an Rendement ton/ha/an Main d'œuvre utilisée h/ha/an Revenu net /ha/an Tableau 1 : Typologie des exploitations bananières aux Antilles et niveaux de performances. Les niveaux d utilisation de pesticides varient peu entre exploitations, avec des moyennes proches de 13 kg de matière active par hectare et par an, principalement liées à l usage d herbicides et de fongicides. Les exploitations les plus rentables sont les grandes exploitations de plaine alors que la rentabilité est plus de deux fois inférieure en zone de montagne. Ceci peut s expliquer par de plus faibles niveaux de rendement mais également un besoin en main d œuvre plus important (0.84 unité de travail par hectare et par an contre 0.72 dans les grandes exploitations). Cette différence en terme d efficacité de la main d œuvre peut s expliquer par la possibilité de mécanisation de certaines opérations (permise par un relief moins accidenté et une pluviométrie plus faible), un meilleur niveau d équipement et des économies d échelle. Les exploitations familiales de plaine présente un bon niveau de rendement malgré une productivité moyenne et un besoin en main d œuvre élevé. Ceci peut s expliquer par le fait que l essentiel de la main d œuvre de ces exploitations est constitué par la famille et l entraide, ce qui contribue à abaisser nettement les coûts de main d oeuvre. Une analyse statistique et spatiale de ces résultats montre l importance des pratiques de gestion des replantations dans l élaboration des performances des exploitations (Chopin, 2011). Le diagnostic établi montre que la rentabilité économique est fortement dépendante de la productivité agronomique du système de culture, qui elle-même est fortement liée aux pratiques de gestion du parasitisme tellurique : jachère, destruction de la bananeraie par piqûre chimique et utilisation de vitro-plants. De même, les pratiques d effeuillage régulier et d haubanage systématique apparaissent déterminantes dans l élaboration du rendement. 30 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

30 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques Performances et conditions d adoption des innovations Rotations culturales à base de plantes de services Les résultats obtenus par simulation de l adoption des plantes de service en rotation confirment les observations de terrain : les systèmes de culture incluant une rotation assainissante conduisent à de meilleurs rendements agronomiques. Ces augmentations de productivité sont particulièrement importantes pour les exploitations familiales de plaine, puisque d après nos simulations, l introduction de culture de rotations dans ces exploitations permettrait d augmenter les rendements actuels de 8 à 15 tonnes/ha/an (Blazy et al., 2009b). Le gain en productivité est essentiellement fonction de la longueur de la rotation et de l effet de la rotation sur la fertilité chimique. Ainsi, parmi les plantes que nous avons testées, les meilleurs gains de rendement seraient obtenus à la suite d une jachère assainissante avec la plante de service Crotalaria juncea. A l échelle de l exploitation, il est intéressant de noter que cette augmentation des rendements agronomiques permet de considérablement augmenter le niveau de la production, et ce, malgré une moindre surface productive (voir Figure 4a). Néanmoins, le passage d une monoculture à un système de culture avec rotation, même s il conduit finalement à de meilleurs niveaux de revenus, va se traduire par une baisse du revenu les premières années après adoption (voir Figure 4b). On constate en effet une baisse transitoire après changement de système de culture. Cette baisse du revenu à l échelle de l exploitation, peux durer jusqu à 2.5 années, et peut être problématique pour de petites exploitations dont le revenu dépend essentiellement de la banane. Cette impossibilité de supporter une baisse transitoire du revenu peut être un des facteurs d explication du faible taux d adoption des rotations dans les plus petites exploitations. Il est à noter que la rotation avec ananas, permet de réduire la durée de la période transitoire ou le revenu baisse de 2.5 à 1.5 années, ce qui s explique par la vente des produits de la rotation. (a) (b) Figure 4. Simulations de l évolution de la productivité (a) et des flux de trésorerie (b) des petites exploitations familiales de plaine (4.2 ha) consécutivement à l adoption de différents types de rotations assainissantes. Blazy et al. (2011a) ont analysé les déterminants de l adoption des rotations. Cette analyse confirme que la spécialisation dans la banane et l impossibilité de supporter une baisse transitoire du revenu étaient des facteurs de non adoption des rotations. En Guadeloupe, les principaux facteurs d adoption sont relatifs au fait d être bien informé sur la pratique de rotations. La possibilité de récolter et d emballer la banane une fois par semaine, traduisant un seuil minimum de production, influence également positivement l adoption. Pour les exploitants n atteignant pas ce seuil de production, par manque de surface ou par suite de rendements trop bas, l adoption de la pratique de rotation peut être perçue comme contraignante car elle diminuerait - du moins transitoirement - la production globale de l exploitation par réduction des surfaces en banane productive, et par voie de conséquence l optimisation des frais post-récolte. La spécialisation dans la banane (qui traduit le fait que Innovations Agronomiques 16 (2011),

31 J.M. Blazy la plupart des terres de l exploitation sont allouées à cette culture) est également un frein à l adoption : les planteurs spécialisés dépendraient fortement de la production de banane, auraient a priori moins d expérience sur la pratique d autres cultures et souhaiteraient optimiser l usage d un appareil de production avant tout profilé pour la banane. Des contraintes de trésorerie peuvent freiner l adoption des rotations. En Martinique, les principaux freins à l adoption sont relatifs aux caractéristiques du parcellaire des exploitations. En effet, l exiguïté des surfaces et l impossibilité de mécaniser les parcelles sont des freins à l adoption très significatifs. Ces freins avaient été identifiés par Bonin et Cattan en Guadeloupe (2006). Un autre type de frein à l'adoption est relatif à l information et à l expérience antérieure en matière de rotations culturales. Type de rotation Guadeloupe Martinique Exploitation familiale de plaine Grande exploitation de plaine Exploitation familiale d'altitude Ananas 53% 16% 25% 21% 37% Crotalaria juncea 40% 38% 37% 44% 39% Brachiaria decumbens 57% 50% 48% 63% 57% Jachère contrôlée 60% 48% 50% 54% 57% Tableau 2. Consentement à l adoption de différents types de rotations culturales avec plantes de service au sein des systèmes de culture bananiers. Le Tableau 2 montre qu avec des niveaux compris entre 40 et 60%, le consentement des planteurs à adopter les plantes de service est moyen. Seul l ananas en Martinique, avec un niveau de consentement de seulement 16%, semble peu prometteur en l état. Ceci peut s expliquer par le fait que dans cette île, la filière ananas a subi une crise économique par manque de débouché industriel. En Guadeloupe, où la filière ananas s est orientée vers une vente en produit frais sur des circuits courts, cette culture recevrait un bien meilleur accueil. C est ainsi que pour les petites exploitations familiales de plaine de Guadeloupe, l ananas est la plante de service qui présente le meilleur potentiel avec un consentement à l adoption de 61%. L adoption de la rotation ananas serait favorisée par la possibilité de mécaniser les parcelles et la recherche d une diversification des productions. Dans les deux îles, la jachère avec Brachiaria decumbens et la jachère spontanée contrôlée sont les deux modes de rotation qui recevraient le meilleur accueil des planteurs. La plante de service Brachiaria decumbens semble présenter un fort potentiel pour les grandes exploitations de plaine. En zone de montagne où la mécanisation est plus difficile, la jachère spontanée semble être la meilleure option. Le consentement à adopter la jachère avec Crotalaria juncea vient en troisième position, autour de 40%. Les raisons de la non adoption des plantes de service sont multiples et parfois différenciées selon qu il s agit de la situation de la Guadeloupe ou de la Martinique. En premier lieu, des contraintes physiques et foncières peuvent être limitantes, en particulier en Martinique : l impossibilité de mécaniser le travail du sol, l exiguïté du parcellaire et le manque de maîtrise foncière peuvent freiner les décisions d adoptions. En deuxième lieu, le manque de ressources économiques, l impossibilité de supporter une baisse transitoire du revenu, le manque d information et l aversion au changement sont autant de freins (Blazy et al., 2011a). La maîtrise foncière et la présence d une activité d élevage sur l exploitation influencent positivement l adoption de la rotation avec la plante de service Brachiaria decumbens. Ceci peut s expliquer par le fait que cette culture peut servir à l affouragement des troupeaux, à la différence de la 32 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

32 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques jachère contrôlée chimiquement. La recherche d une diversification des productions semble rendre les agriculteurs plus enclins à adopter. En ce qui concerne les traits techniques des plantes de service, notre modèle d adoption montre que plus le niveau de technicité requis pour la gestion de la plante de service est élevé, plus la probabilité d adoption est affectée. En revanche, on observe que la possibilité de valoriser la plante de service en fourrage pour des productions animales peut en revanche motiver les planteurs à adopter. Introduction de plantes de service cultivées entre les rangs de bananiers L évaluation de trois plantes de service Canavalia ensiformis, Brachiaria decumbens et Impatiens sp montre qu aucune de ces trois espèces n a d effet fortement dépressif sur le rendement des bananeraies (Blazy et al., 2009b). En revanche, il est à noter que l introduction de ces plantes de service en substitution du désherbage chimique entraîne une hausse du besoin en main d œuvre (voir Tableau 3). Ces plantes nécessitent en effet des opérations spécifiques pour leur entretien (semis, fauche, désherbage manuel localisé), ce qui les rend plus coûteuses en travail qu un désherbage chimique. C est pour cette raison que l utilisation de ces plantes de service se traduit généralement par une érosion du revenu des planteurs, et ce, malgré le gain de productivité qu elles permettent (voir le cas des types d exploitations de plaine). Néanmoins, dans le cas de la plante de service Canavalia ensiformis, nos simulations montrent une augmentation substantielle de la rentabilité dans les exploitations d altitude. Ceci peut s expliquer par le fait que le faible niveau de productivité de ces exploitations peut être augmenté par la fourniture d azote de cette légumineuse. En Guadeloupe, le consentement à l adoption de cette plante de service est de 58% dans les exploitations d altitude ce qui en fait une culture candidate à l innovation dans ce contexte. En Martinique, le consentement est largement inférieur (16%), ce qui peut être expliqué par la hauteur de cette plante qui peut rendre le contrôle de la présence du trigonocéphale plus difficile. Ce dangereux serpent est en effet présent sur les flancs de la Montagne Pelée en Martinique et dans ce cas l introduction d une plante de couverture encombrante pourrait être perçue comme une gêne pour le travail au sein de la bananeraie. On constate d ailleurs que le consentement à l adoption des plantes de service en culture associée est d une manière générale inférieur en Martinique. L introduction d un couvert avec la graminée Brachiaria decumbens peut parfois entraîner une légère baisse de productivité. Cette plante peut donc être légèrement compétitrice avec le bananier vis-à-vis des ressources du sol. Sa croissance doit donc être régulée, en particulier lors des premiers cycles durant lesquels le couvert de bananier n est pas fermé, du fait de la pénétration de lumière dans les interrangs qui favorise le développement de la culture associée (Tixier et al., 2011). Cette plante présente néanmoins un potentiel intéressant pour les grandes exploitations mécanisables de plaine (consentement à l adoption autour de 50%). Avec un consentement à l adoption de plus de 80%, l Impatiens sp semble être une plante de service particulièrement intéressante en zone de montagne en Guadeloupe. Il est d ailleurs à noter que cette plante est naturellement présente dans les bananeraies pérennes d altitude du sud Basse-Terre. Cette plante est peu compétitrice et bien adaptée aux situations où l ombrage peut être important, ce qui est le cas dans les bananeraies bien établies. Du fait de sa croissance relativement limitée et de son mode de multiplication végétative, cette plante demande généralement un travail moindre comparativement aux autres plantes de service. Malgré les impacts parfois contrastés occasionnés par l introduction de plantes de service en association avec le bananier, cette innovation présente un potentiel d adoption important si elle est soutenue économiquement pour compenser les surcoûts liés à leur entretien (Blazy et al., in press). Des recherches complémentaires doivent être entreprises pour mieux valoriser la diversité des plantes Innovations Agronomiques 16 (2011),

33 J.M. Blazy de service actuellement à l étude dans les programmes de recherche et de développement, en particulier dans le but d identifier des espèces peu compétitrices et demandant peu d entretien. Canavalia ensiformis Brachiaria decumbens Impatiens sp Exploitation familiale de plaine Grande exploitation de plaine Rendement bananier (tonnes/ha/an) Charge en travail (jours/ha/an) Revenu net ( /ha/an) Consentement adoption Guadeloupe Consentement adoption Martinique Rendement bananier (tonnes/ha/an) Charge en travail (jours/ha/an) Revenu net ( /ha/an) Consentement adoption Guadeloupe Consentement adoption Martinique Rendement bananier (tonnes/ha/an) Charge en travail (jours/ha/an) % 48% 51% 32% 35% 62% % 46% 54% 35% 51% 54% Exploitation familiale d'altitude Revenu net ( /ha/an) Consentement adoption Guadeloupe Consentement adoption Martinique % 54% 81% 16% 53% 47% Tableau 3. Evaluation des impacts et consentement à l adoption de différentes plantes de service proposées en culture intercalaires. Variétés hybrides En ce qui concerne les nouvelles variétés de banane, les simulations réalisées montrent que leur tolérance aux ravageurs permet de réduire l usage de pesticides de 70% en moyenne (Blazy et al., 2009b). Malgré ces avantages considérables, ces variétés souffrent de plusieurs caractéristiques qui les pénalisent sur le plan économique. Ces bananiers sont en effet moins productifs du fait de régimes de plus petite taille (-40% en moyenne), et peuvent demander plus de travail pour la réalisation des opérations de soins au régime du fait de leur hauteur importante. Les programmes de sélection et d innovation variétale doivent donc s efforcer de trouver des variétés de plus petite taille et produisant de plus gros régimes. 34 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

34 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques Une analyse de sensibilité sur la variable de prix de vente des bananes montre que moyennant une augmentation du prix de vente de la banane, les systèmes de culture incluant ces nouvelles variétés peuvent être rentables (seuil de prix de 0.92 /kg pour être rentable pour tous les types d exploitations). Ce scénario peut sembler probable compte tenu des caractéristiques innovantes de ces bananes : nouveau goût, petit format et issue d une production à très bas niveau de pesticides. Il faudrait néanmoins évaluer le consentement des consommateurs à acheter ce nouveau produit et voir comment se comporte cette innovation au cours du circuit de commercialisation dans la filière, en particulier lors du transport. Conclusion : vers des systèmes de production intégrés à haute valeur économique et environnementale Dans cet article, nous avons présenté les résultats d une évaluation intégrée de quelques innovations agro-écologiques actuellement développées dans la filière banane des Antilles. En fonction du type d innovation et du type d exploitation où elles sont proposées, les impacts de l adoption sont parfois contrastés. Notre étude montre que les niveaux actuels de pratique de rotation peuvent et doivent être augmentés. En effet, 32% des planteurs guadeloupéens et 72% des martiniquais ne pratiquent actuellement pas de rotations et sont dans une logique de monoculture. Celle-ci conduit à des rendements significativement plus bas. Inversement, les planteurs qui pratiquent actuellement des rotations avec des plantes de service obtiennent de très bons rendements avec des niveaux d usage de pesticides très bas. Notons tout de même que ces derniers sont globalement bas, ce qui traduit bien les efforts actuels de la filière qui est dans une dynamique de réduction de l usage des pesticides. D une manière générale les systèmes innovants étudiés amènent à une substitution des intrants chimiques par du travail. Dans le cas des cultures associées, cette substitution se fait généralement au détriment du revenu des planteurs. Ceci peut s expliquer par le surcoût dû au rallongement des temps de travaux qu induit l adoption de cette innovation, surcoût qui n est pas compensé par les économies d herbicides. Néanmoins, moyennant la mise en place d un dispositif de soutien économique le différentiel de rentabilité pourrait être facilement compensé. Dans l état nous pouvons néanmoins formuler différentes recommandations d action pour favoriser le développement des innovations agronomiques dans la filière banane des Antilles. Concernant les petites exploitations familiales de plaine, leur productivité et donc leur rentabilité pourraient être largement augmentées par l introduction de rotations de culture dans les systèmes bananiers. Dans ces exploitations, la pratique de rotation avec ananas particulièrement en Guadeloupe où le potentiel d adoption est élevé ou l utilisation d une jachère assainissante avec Brachiaria decumbens s avère pertinente. En zone de montagne, la pratique de jachère spontanée semblerait plus indiquée du fait de la difficulté de mécanisation des travaux de replantation. Néanmoins, différents freins à l adoption de ces techniques existent. Pour lever ces contraintes, nous suggérons la mise en place d un dispositif de soutien à l adoption des rotations en culture bananière axé sur trois points. Premièrement, le soutien à l information, l appui technique et la formation des agriculteurs en matière de gestion des assolements et des rotations culturales pourraient favoriser l'adoption et la diffusion de ces pratiques. Deuxièmement, nous proposons la mise en place d'un soutien économique pour les exploitations ayant des marges de manœuvre réduites (trésorerie limitante, parcellaire difficilement mécanisable, faibles surfaces) sous la forme d une subvention à la conversion de la monoculture vers des systèmes de culture incluant des rotations assainissantes. Ce soutien pourrait lever les contraintes financières et le risque économique pesant sur les premières années post adoption en contrepartie d un test de la pratique de rotation sur tout ou partie de l exploitation. Enfin, encourager et favoriser la diversification des productions agricoles au sein des exploitations apparaît également comme un levier Innovations Agronomiques 16 (2011),

35 J.M. Blazy d action potentiel. En effet, la plupart des petites exploitations sont en recherche d une diversification de leur production, et cette recherche de cultures de diversification pourrait s effectuer dans le cadre de rotations culturales avec la banane, ce qui au final, permettrait également d'augmenter la productivité des systèmes de culture bananiers. D une manière générique, notre étude montre que le screening de plantes de service par la recherche agronomique doit inclure des critères de praticabilité des innovations. En effet, nous avons vu que les techniques nécessitant un important investissement en travail, en connaissances et en équipements spécifiques auront de faibles chances d adoption. Nos travaux montrent en revanche que la possibilité de valoriser les plantes de service sous la forme de fourrage peut être un facteur de consentement à l adoption. Sélectionner des plantes de service fourragères pourrait ainsi favoriser l adoption des rotations en système bananier, et ce d autant plus que l élevage est déjà présent dans 20% des exploitations bananières. Comme mentionné par Blazy et al. (2011b), l intégration des systèmes de culture bananiers avec des systèmes d élevage est une voie de recherche qui mériterait d être mieux explorée car offrant de nombreuses possibilités de synergies entre ces deux productions. Cependant, il convient dans un premier temps de traiter la question de l'exposition des animaux d élevage à la contamination par la chlordécone des terres agricoles polluées. Anticiper les freins à l adoption permet de décliner différemment les innovations en fonction de l hétérogénéité des milieux biophysiques et des ressources économiques des exploitations et ainsi de faire mieux converger les innovations agronomiques avec les attentes et contraintes particulières de chaque type d agriculteurs. Les recherches complémentaires qui sont en cours tant sur le développement de plantes de services que de nouvelles variétés tolérantes aux ravageurs, en intégrant cette hétérogénéité des situations agricoles, devraient permettre de proposer un plus large panel d innovations répondant mieux aux contraintes des agriculteurs (IT2, 2010 ; Dorel et Tixier, 2011). En combinant les différents leviers d action techniques en des systèmes de culture intégrés, on peut espérer que la filière banane aux Antilles atteigne un haut niveau de performance économique et environnementale. Références bibliographiques Abadi Ghadim A.K., Pannell D.J., A Conceptual Framework of Adoption of an Agricultural Innovation. Agricultural Economics 21, Blazy J-M., Ozier-Lafontaine H., Doré T., Thomas A., Wery J., A methodological framework that accounts for farm diversity in the prototyping of crop management systems. Application to bananabased systems in Guadeloupe. Agricultural Systems 101, Blazy J-M., Dorel M., Salmon F., Ozier-Lafontaine H., Wery J., Tixier P., 2009b. Model-based assessment of technological innovation in banana cropping systems contextualized by farm types in Guadeloupe. European Journal of Agronomy, vol. 31, Blazy J-M., Tixier P., Thomas A., Ozier-Lafontaine H., Salmon F., Wery J., BANAD: a farm model for ex ante assessment of agro-ecological innovations and its application to banana farms in Guadeloupe. Agricultural Systems 103, Blazy J-M, Causeret F., Diman J-L., 2011a. Conditions d adoption de plantes de services agroécologiques en rotation avec la banane aux Antilles. Communication orale et Proceedings du 48ème colloque de l ASRDLF, Schoelcher, Martinique, 6-8 juillet 2011, 18p. Blazy J-M, Tixier P., Fanchone A., 2011b. De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques de production dans la filière banane. Communication présentée au Salon International de l Agriculture dans le cadre de la rencontre INRA-CIRAD "Nouvelles pratiques à haute performance économique et environnementale en outre-mer". Paris, 25 février Blazy J-M, Carpentier A., Thomas A., in press. The Willingness to Adopt Agro-ecological Innovations: Application of Choice Modelling to Caribbean Banana Planters. Ecological Economics. 36 Innovations Agronomiques 16 (2011), 25-37

36 De l innovation à l adoption de nouvelles pratiques Bocquene G., Franco A., Pesticide Contamination of the Coastline of Martinique. Marine Pollution Bulletin 51, Bonan H., Prime J.L., Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe. Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Bonin M., Cattan P., Convergences and Differences between the Objectives of the Financial Support Facilities and those of the Farmers: The Case of Fallow Periods in Banana Production of Guadeloupe. Fruits 61, Cabidoche Y.-M., Achard R., Cattan P., Clermont-Dauphin C., Massat F., Sansoulet J., Longterm pollution by chlordecone of tropical volcanic soils in the French West Indies: A simple leaching model accounts for current residue. Environmental Pollution 157, Chabrier C., Queneherve P., Control of the burrowing nematode (Radopholus similis Cobb) on banana: impact of the banana field destruction method on the efficiency of the following fallow. Crop Protection, vol. 22, Chopin P., Etude des déterminants des performances des systèmes de culture bananiers en Guadeloupe et en Martinique. Mémoire de Fin d Etude de l Institut Polytechnique de Lasalle Beauvais réalisé au sein de l UR ASTRO, INRA Antilles Guyane, 60p + annexes. Clermont-Dauphin C., Cabidoche Y.M., Meynard J.M., Effects of intensive monocropping of bananas on properties of volcanic soils in the uplands of the French West Indies. Soil Use and Management, vol. 20, Dorel M., Tixier P., Dural D., Zanoletti S., Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière. Innovations Agronomiques 16, 1-11 Feder G., Umali D.L., The Adoption of Agricultural Innovations, A Review. Technological Forecasting and Social Change 43, IT2 (Institut Technique Tropical), Présentation de Ia Plateforme Systèmes de Culture innovants. Le Lamentin, 9 décembre Marra M., Pannell D.J., AbadiGhadim A., 2003.The Economics of Risk, Uncertainty and Learning in the Adoption of New Agricultural Technologies: Where Are We on the Learning Curve? Agricultural Systems 75, Quénéhervé P., Achard R., Salmon F., Chabrier C., 2005, Promising results and alternatives to nematicide and insectiside use in banana plantations from Martinique, XXXVII Annual Meeting of the Organization of Nematologists of Tropical America, Viña del Mar, Chili, 17-21/10/2005 / ONTA. Salmon F., Abadie C. Bugaud C., Chillet M., Dorel M., Jenny C., Risède J. M., Teycheney P.-Y., Cote F., 2005, Développement d une nouvelle variété de banane : la Flhorban 920, Communication au 41ème congrès de la Caribbean Food Crops Society (10-16 juillet 2005, Le Gosier, Guadeloupe). Ternisien É., Ganry J., Rotations culturales en culture bananière intensive. Fruits n spécial (1990), Tixier P., Malézieux E., Dorel M., Wery J SIMBA: a comprehensive model for evaluation andprototyping of banana-based cropping systems. Agricultural Systems, 97, Tixier P., Lavigne C., Alvarez S., Gauquiet A., Blanchard M., Ripoche A., Achard R Model evaluation of cover crops, application to eleven species for banana cropping systems. European Journal of Agronomy 34, UGPBAN, Innovations Agronomiques 16 (2011),

37 Innovations Agronomiques 16 (2011), Des innovations pour les enjeux multiples des productions vivrières et maraîchères des Antilles. Bussière F. 1, Cabidoche Y.M. 1, Pétro D. 1, Sierra J. 1, Cornet D. 2, Guyader S. 1, Ozier-Lafontaine H. 1, Tournebize R. 1, Arnau G. 3, Pavis C. 1 1 INRA UR 1321 ASTRO AgroSystèmes TROpicaux, F Petit-Bourg (Guadeloupe) France 2 CIRAD UMR AGAP, UR ASTRO, Domaine Duclos, F Petit-Bourg (Guadeloupe) France 3 CIRAD UMR AGAP, Roujol, F Petit-Bourg (Guadeloupe) France Correspondance : francois.bussiere@antilles.inra.fr Résumé Produire durablement en milieu tropical humide impose de nombreux challenges à l agriculture : il faut atténuer les contraintes liées aux sols et au climat, lutter contre la pression de maladies et ravageurs, répondre aux besoins nutritionnels des plantes tout en économisant les ressources du milieu et en limitant les intrants onéreux, le plus souvent mal adaptés et potentiellement polluants. L INRA a, dès le début des années 80, mis en place des recherches et proposé des innovations pour tenter d apporter des réponses spécifiques aux problèmes rencontrés au sein des milieux et des cultures tropicales. La transposition de résultats acquis ailleurs ayant montré ses limites, les réponses ont été élaborées grâce à la compréhension du fonctionnement des systèmes et ont consisté à orienter avec prudence le fonctionnement des sols par les amendements et la gestion de la matière organique, maintenir des conditions favorables à la nutrition et la protection des cultures par l utilisation de paillages et de plantes associées ou développer des procédés de lutte biologiques et de nouvelles variétés. Des innovations réalisées dans ces domaines pour les cultures vivrières et maraichères de Guadeloupe et Martinique sont présentées et discutées. Pour répondre aux nouveaux enjeux du développement agricole, le gain apporté par la capitalisation des connaissances apparaît clairement et plaide pour un meilleur partage entre les acteurs. Mots-clés : Paillages, Cultures associées, matière organique, résistances durables, offre variétale, gestion des ressources Abstract: Innovations for the multiple challenges of food and vegetable crop production in the Caribbean Sustainable agricultural production in the humid tropics leads to several challenges as limitation of soil and climate constraints, mitigation of diseases and pests impacts, improving sustainable access to resources avoiding potentially polluting and expensive inputs. From the beginning of the eighties INRA initiated researches programmes and proposed several specific answers to new challenges of tropical crops and environments. As simple technological transfers showed their limits in tropical conditions, specific knowledge was developed on soil liming, irrigation and organic matter management, plant nutrition and protection by mulches, intercropping as well as plant breeding and biological control. Several innovations designed for Guadeloupe and Martinique are presented and discussed. In order to answer more efficiently to present needs in agriculture a better organisation and communication between research, extension and farmers is needed Keywords: breeding, mulches, intercrops, organic matter, sustainable resistances, resources management

38 F. Bussière et al. Introduction Dans un contexte de fortes contraintes environnementales et sanitaires pour des espèces cultivées parfois mal connues car peu étudiées par la recherche, répondre aux attentes d une agriculture fortement diversifiée implique, pour la recherche agronomique, des choix et une stratégie adaptés. En effet, si l augmentation de la productivité reste une priorité en zone tropicale, l amélioration de l adaptation des cultures vivrières aux contraintes du milieu en est le corollaire indispensable. Apporter des réponses à moyen terme aux problèmes rencontrées par ces cultures nécessite le plus souvent des études spécifiques, la transposition de réponses venues d ailleurs ayant à plusieurs reprises montré ses limites. La recherche agronomique a progressivement évolué dans ce sens, passant de plus en plus souvent d une recherche de solutions dans l urgence à l organisation d une recherche pluridisciplinaire de fond sur l identification et la compréhension des mécanismes mis en jeu. L évaluation a priori des effets bénéfiques et des contraintes des environnements physique et biologique des Antilles sur les cultures vivrières et maraîchères, permet de situer les travaux réalisés et plaide pour le développement de recherches dont le champ d application dépasse le plus souvent les besoins d une filière au sens strict. Nous illustrons ces démarches et réalisations en évoquant dans un premier temps un certain nombre de travaux d amélioration variétale et de lutte contre les bioagresseurs pour la culture d igname et quelques autres espèces (tomate, patate douce, pomme de terre, ornementales). Dans un second temps sont illustrés les apports des recherches de périmètre plus large visant la maîtrise des risques et contraintes liées aux sols, et le développement de pratiques agroécologiques. Quelques rappels du contexte agricole des Antilles Le milieu tropical humide présente des conditions environnementales favorables au développement des communautés présentes dans les agrosystèmes : les cultures mais aussi les adventices et les populations de ravageurs ou de pathogènes. Ces conditions et l environnement naturel permettent le développement dans les parcelles agricoles ou à leur voisinage d une forte biodiversité qui est préjudiciable lorsqu elle héberge potentiellement vecteurs de maladies et ravageurs mais peut se révéler aussi porteuse de solutions de lutte biologique. Un milieu favorable au développement des plantes Les conditions d ensoleillement, de température et d humidité sont favorables au développement rapide des plantes (Figure 1a). Les précipitations sont très variables d une année à l autre (Figure 1b). Elles sont le plus souvent générées par des systèmes nuageux de taille réduite, et peuvent être localement de forte intensité et présenter de fortes variabilités spatiales sur des territoires restreints. a b Figure 1 : Variables climatiques mesurées entre 1965 et 2005, au Domaine Duclos de l INRA, à Petit-Bourg en Guadeloupe. a) Moyennes mensuelles de température de l air. Les barres verticales représentent 2 écarts-types. De haut en bas : température maximale, moyenne et amplitude journalière. b) Variabilité des précipitations mensuelles (Médiane, Premier et troisième quartile et valeurs extrêmes). La courbe représente la moyenne. 40 Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

39 Productions vivrières et maraîchères des Antilles Des sols aux propriétés contrastées Le sols tropicaux des Antilles possèdent des propriétés contrastées issues des interactions entre l'âge des activités volcaniques et le climat (Figure 2). Certains sont fertiles comme les vertisols, mais très argileux. Ils posent des problèmes de gestion de l eau et peuvent rapidement passer du manque à l excès d eau. Ces argiles, lorsqu elles sont bien pourvues en magnésium et sodium sont très dispersables, et par conséquent les sols qui les contiennent très susceptibles d'érosion superficielle. Les autres sols assurent une bonne circulation de l eau, ce qui dans les régimes pluviométriques intenses, peut provoquer le lessivage de minéraux. Leur acidité présente l'avantage d'assurer une bonne stabilité des agrégats, et une faible susceptibilité d'érosion superficielle. Certains ferralsols posent des problème de disponibilité des minéraux pour les plantes, voire de toxicité aluminique dans certaines situations. A ces propriétés de sol très différenciées se superposent les gradients de pluviométrie majoritairement liés au relief. La combinaison de ces deux facteurs définit une grande diversité de situations pédoclimatiques nécessitant des pratiques adaptées pour la production agricole. Figure 2 : Cartes schématiques des sols de la Guadeloupe et de la Martinique Vertisols Mg Na : fertiles, manque d eau, très érodibles. Vertisols Ca : fertiles, manque d eau, stables. Ferralsols : peu fertiles, risques de toxicité Al, drainants, stables. Nitisols : fertiles, érodibles si riches en smectite ou après labours. Andosols : très fertiles, rétention simultanée des anions (nitrates) et cations, drainants, très stables. Un milieu favorable aux bioagresseurs En milieu tropical, les variations climatiques annuelles étant faibles, il y a peu de réduction saisonnière de l activité biologique. Ces conditions, combinées à des températures et des taux d humidité de l air élevés, favorisent un développement continu des populations de bioagresseurs elles même plus diverses qu en milieu tempéré (Tableau 1). En plus de l impact direct de la pression parasitaire, ces conditions favorisent les successions rapides de générations et donc les évolutions par mutation et recombinaison des bactéries et champignons, les dotant d une forte capacité d adaptation aux évolutions du milieu, aux pesticides utilisés et aux gènes de résistances de leurs plantes-hôtes. Innovations Agronomiques 16 (2011),

40 F. Bussière et al. Tableau 1 : Comparaison du nombre de maladies recensées pour des cultures conduites en régions tempérées et tropicales (d après Swaminathan, 1986) Culture Zones tempérées Zones tropicales Riz Maïs Citron Tomate Haricot Une forte diversité des pratiques et des organisations Les travaux de diagnostics agronomiques et d enquêtes dans les exploitations agricoles ont mis en évidence la très grande diversité des modes de production quel que soit le niveau d encadrement des filières (Clermont-Dauphin et al ; Defèche, 2005 ; Blazy et al. 2009). Cette diversité rend difficile l identification des attentes prioritaires d acteurs n ayant pas la même logique ni les mêmes jeux de contraintes. Par conséquent, la mise au point d innovations tenant compte de cette diversité peut s avérer complexe et nécessite le plus souvent une étude des processus impliqués en amont. Améliorer les cultures et limiter l impact des pathogènes Les nouvelles variétés La recherche de nouvelles variétés a été initiée très tôt, dès 1965, visant d abord l augmentation de la productivité et de la qualité des produits, puis d autres objectifs comme une meilleure adaptation aux contraintes du milieu et la résistance aux maladies. Recherchées parmi les variétés existantes ou créées localement, ces nouvelles variétés ont été évaluées sur les domaines expérimentaux de l INRA puis chez des producteurs avant leur diffusion. Diversifier l offre et proposer de nouveaux produits Un travail important a été réalisé sur les trois espèces d igname les plus cultivées : l igname africaine (Dioscorea cayenensis-rotundata), la cousse-couche du bassin amazonien (D. trifida), l igname originaire du pacifique (D. alata). L évaluation des clones antillais et des échanges dans le cadre de réseaux entre pays africains et divers pays de la Caraïbe ont permis de sélectionner des variétés plus précoces et de créer de nouvelles variétés de D. cayenensis-rotundata (Degras 1986). De nouvelles variétés de D. trifida ont été créées à partir des variétés de Guadeloupe et Martinique. Leur productivité augmentée initialement de 50 % et la meilleure forme des tubercules (INRA 5-20) étaient prometteuses avant que le développement de maladies virales n apparaisse comme un problème majeur pour cette espèce. Enfin des efforts de recherche ont particulièrement porté sur D. alata. Une partie de ces créations a concerné la diversification de l offre variétale et nous évoquerons plus loin les créations variétales orientées vers la lutte contre les pathogènes. La création de variétés pour cette espèce a nécessité un travail important en amont pour résoudre les problèmes de floraison ou de stérilité. En amont de la création variétale nous avons dû aussi investir dans l optimisation des techniques de culture in vitro (Arnolin et Degras, 1984, Vaillant et al., 2005) et l acquisition de connaissances génétiques sur les polyploïdes (Arnau et al ; 2010). Enfin il faut signaler que la recherche de nouvelles variétés a récemment été motivée par les nouvelles attentes en terme de qualité gustative et diététique des aliments pour une nouvelle offre variétale, comme celle de la patate douce peu sucrée (pomme-patate). 42 Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

41 Productions vivrières et maraîchères des Antilles Répondre aux contraintes du mllieu Dans notre contexte, la capacité d adaptation à la chaleur a fait l objet de recherche pour différentes espèces. Cela a conduit à la création de la variété de tomate Caraïbo. Par ailleurs des variétés de pommes de terre capables de tubériser dans les conditions des Antilles ont été évaluées et identifiées. De plus, la diversification de l offre variétale d igname s est accompagnée, pour les cultivars de D. alata les plus adaptés, de la conception d un ensemble d innovations permettant la culture sur de grandes surface : mise au point d une billonneuse-planteuse, assurant la mise en place de parcelles avec un nombre d interventions mécaniques réduites, culture sans tuteur, récolte mécanique, plans de fertilisation, réduction de la taille des semenceaux et optimisation de la densité de plantation. L ensemble des innovations sur les ignames a été synthétisé en 2003 dans un «Manuel du planteur» coédité avec les chambres d agriculture de Guadeloupe et Martinique. Sécuriser les ressources biologiques pour répondre aux enjeux futurs. Pour diffuser et créer des variétés il faut pouvoir s appuyer sur des collections les plus diversifiées possibles. C est pourquoi la conservation des variétés existantes ou créées dans les programmes de recherche est une priorité pour l INRA et le CIRAD qui ont décidé de sécuriser la conservation de leurs ressources génétiques dans un centre de Ressources biologiques «plantes tropicale» en Guadeloupe et Martinique. Ce centre héberge en particulier la collection d ignames de l INRA. Pour d autres cultures maraîchères (tomates, poivron, melons), l INRA a contribué et participe toujours à des travaux d identification de résistances et de sélection variétales en collaboration avec les laboratoires INRA détenteurs de ces ressources génétiques. Des variétés de melons résistants aux pucerons et mouches blanches (Boissot et al., 2008 & 2010) ainsi que des tomates et poivrons résistants à différents pathogènes sont identifiées ou en cours de mise au point (Lafortune et al., 2005). La lutte contre les maladies et ravageurs Les maladies, qu elles soient endémiques ou émergentes, c est-à-dire récemment apparues du fait de l intensification des échanges entre pays tropicaux, font peser une menace permanente sur les cultures vivrières et maraîchères. La défense des cultures est d autant plus problématique dans le contexte antillais qu il n y avait pas, jusqu à récemment, d homologation de produits phytosanitaires pour certaines cultures dites «orphelines» telles que l igname. Ce contexte contraignant a par conséquent orienté très tôt les recherches vers le développement de pratiques compatibles avec cette situation d intrants limités en privilégiant l amélioration variétale, la lutte biologique ou le développement de techniques culturales réduisant indirectement l impact des maladies. Des résistances génétiques aux fortunes diverses La recherche de variétés résistantes est une réponse élégante à une contrainte sanitaire majeure d une culture. Afin de lutter contre l anthracnose, maladie de D. alata causée par un champignon (Colletotrichum gloeosporioides) pouvant entrainer des pertes très importante, on a recherché des variétés résistantes échangées dans le cadre de coopérations internationales jusqu en Depuis cette date, il est devenu plus difficile d introduire du matériel provenant de l étranger, du fait des contraintes liées aux conventions internationales sur les ressources génétiques. Actuellement des essais sont en cours par le CIRAD pour des variétés de D. alata introduites à partir du Vanuatu, et pour des hybrides créés à partir de ces variétés. Le champignon a progressivement contourné certaines des résistances de la plante-hôte (cas de la variété Tahiti). Parfois la résistance a été contournée rapidement, l exemple le plus significatif étant celui de la variété Plimbite introduite comme résistante dans les années 1980 et devenue sensible à l anthracnose dès 1989 (Tableau 2). Innovations Agronomiques 16 (2011),

42 F. Bussière et al. Tableau 2 : Principales variétés d ignames D.alata introduites ou créées par l INRA (d après Bonhomme 2006). Variété D. alata Origine Introduction Sensibilité à l anthracnose et contournement de résistances Belep N. Calédonie 1973 Oriental Trinidad 1980 Kinabayo Philippines 1980 Lupias N. Calédonie 1975 sensible Florido Porto-Rico tolérant Pacala Pacifique Sensible Tahiti/ An ba bon Pacifique (reste tolérant) Pyramide Inde Plimbite Haïti Boutou Créé INRA 2002 Quelques cas en 2007 Nécessité d une approche intégrant génétique, pathologie et agronomie Dès les premières introductions variétales, des recherches ont été initiées pour permettre la création, par des méthodes classiques, de nouvelles variétés de D. alata : recherche de déterminants de la fertilité et biologie florale (Ano et al., 2005). Face aux contournements des résistances à l anthracnose, la nécessité de rechercher des solutions plus durables a motivé le développement d un programme de recherche sur la caractérisation génétique des résistances nécessaire pour, à terme, cumuler différents gènes de résistance au sein de nouvelles variétés (Petro et al., 2011). Parallèlement, une meilleure connaissance du champignon responsable de la maladie et de sa diversité qui lui permet d infecter une large gamme de variétés a été nécessaire (Jacqua et al., 2008 ; Ripoche et al, 2008). Une collection des isolats de champignons de Guadeloupe et Martinique a été établie et a permis la mise au point de tests biologiques standardisés permettant d évaluer le degré de sensibilité des variétés (Onyeka et al., 2006a, b). Ces travaux sont poursuivis pour mieux caractériser les résistances des variétés existantes et choisir parmi les créations nouvelles les mieux armées pour les différents types de pathogènes auxquels elles seront confrontées. Afin d assurer la durabilité de leurs résistances, les nouvelles variétés devront être diffusées avec des recommandations de pratiques culturales facilitant l expression des résistances des plantes, réduisant la pression des pathogènes et ravageurs ou limitant leur diffusion. Une autre arme : la lutte biologique La lutte biologique vise la régulation des populations de parasites ou ravageurs des cultures par la compétition, la prédation ou le parasitisme du ravageur par des ennemis naturels. Ces procédés ont été particulièrement développés aux Antilles pour lutter contre des insectes ravageurs des cultures en utilisant des vers microscopiques, les nématodes, qui se développent à l intérieur des insectes. Les travaux dans ce domaine nécessitent la mise en œuvre de deux démarches : comprendre comment attirer ou piéger les insectes et ensuite identifier le parasite qui leur sera fatal. Ce type de recherche a démarré dès 1986, pour lutter contre le charançon du bananier (Chabrier et al. 2002). Cette technique permet maintenant de lutter aussi contre le charançon des agrumes. Les études sont en cours pour la patate douce (Denon et Mauléon, 2004) et initiées pour les dachines. Les sols des Antilles hébergeant une grande diversité de nématodes pouvant potentiellement parasiter les insectes, une prospection systématique a permis de créer un souchier et élaborer une base de donnée géoréférencée. 44 Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

43 Productions vivrières et maraîchères des Antilles Atténuer certaines contraintes du milieu concerne toutes les cultures Les contraintes imposées par l environnement physique et chimique affectent différentes espèces de plantes cultivées. Pour certaines de ces contraintes, des réponses génétiques évoquées plus haut restent possibles mais le plus souvent il faut étudier les processus mis en jeu dans les interactions plantes-environnement pour expliciter l impact de ces contraintes et développe les techniques permettant de les atténuer. De la maîtrise des contraintes des sols à l identification des terroirs Piloter entre manques et excès d eau L ouverture des premiers périmètres irrigués en Grande Terre (Guadeloupe) et l essor consécutif des cultures maraîchères ont vite révélé la nécessité de raisonner l irrigation et les risques liés à l utilisation d une ressource en eau mal maîtrisée. Dans le cas de l irrigation en Vertisols, les difficultés d appréciation des quantités d eau à apporter sont d autant plus marquées que les symptômes d excès d eau sont peu différents de ceux du manque d eau. Là encore le travail de recherche en amont, par l analyse détaillée des processus mise en jeu dans le sol, a permis de montrer que dans ces sols très argileux, tout stockage ou départ d eau se traduisait par un changement d épaisseur de la couche de sol concernée et que par conséquent la mesure de sa réserve hydrique pouvait être réalisée par un capteur enregistrant ses variations d épaisseur. Le capteur «Theresa» a ainsi été mis au point et permet de piloter l irrigation des sols argileux gonflants (Figure 3). Il permet de maintenir les apports d eau dans la gamme étroite permise par la capacité de rétention du sol (Cabidoche et Ozier- Lafontaine, 1995). Amendement calcique "durable" Paradoxe, l'amendement est par définition l'amélioration durable des propriétés du sol. Pour autant, s'agissant des sols acides tropicaux, un amendement calcique trop abondant si l on cherche par exemple à ramener le ph du sol à la neutralité devient préjudiciable en provoquant des déséquilibres de minéraux disponibles pour les plantes et en affectant la stabilité des agrégats du sol. Nous avons ainsi montré qu il était préférable, avec le chaulage, de se contenter de ramener la quantité d aluminium échangeable à un niveau supportable par les cultures envisagées. Pour atteindre une saturation aluminique acceptable, la remontée requise du ph est variable selon les sols (Figure 4a). Ces travaux ont permis d élaborer les règles de dosage et d épandage (Figure 4b) à la base de la subvention et des recommandations de mise en œuvre par les opérateurs (Cabidoche et Van Oort, 1990). Le calcul du chaulage ne requiert ici que deux mesures simples : le ph KCl et la teneur en carbone organique. L amendement durable n est donc pas celui qui relèvera le ph pendant la durée la plus longue, mais bien celui dont l effet, limité dans le temps à 4 ou 5 ans, maintiendra les sols légèrement acides, en contrôlant l'éventuelle toxicité aluminique et en maintenant les équilibres minéraux. Innovations Agronomiques 16 (2011),

44 F. Bussière et al. Figure 3 : Description du fonctionnement de la sonde THERESA pour le pilotage de l irrigation en Vertisol a Courbes majorantes des relations entre ph KCl et saturation aluminique dans les sols du Nord-Est de la Basse-Terre de Guadeloupe b Al Saturation / (Al+Sbases) aluminique échangeables 1 0,8 0,6 0,4 0,2 Ferralsols de hauts glacis ph0=3.7 Ferralsols de hautes terrasses ph0=3.55 Fluvisols de basses terrasses ph0= ,4 3,5 3,6 3,7 3,8 3,9 4 4,1 4,2 4,3 4,4 4,5 4,6 4,7 4,8 4,9 5 ph KCl Figure 4 : Utilisation d une relation caractéristique des sols établie en laboratoire pour raisonner le chaulage d un ferralsol de Guadeloupe a : Relations établies entre une variable mesurable en laboratoire (ph KCl) et le degré de saturation aluminique (toxique) dans le sol. Pour chaque sol, le ph à atteindre pour limiter la saturation aluminique à un niveau acceptable est différent (Le ph0, paramètre de chaque courbe, correspond à 100% de saturation). b : Abaque de chaulage des ferralsols de glacis de Guadeloupe, avec du calcaire corallien broyé (ressource locale) à solubilité lente. Pour cultiver de la tomate (saturation aluminique maximale admissible 0.1) sur un sol de ph KCl 4.0, on devra apporter 4t/ha d'amendement calcaire. 46 Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

45 Productions vivrières et maraîchères des Antilles Préserver la Matière Organique La décomposition de la matière organique est rapide dans les conditions tropicales et tout travail du sol ne fait que l accélérer, raccourcissant la longévité de la fraction la plus facile à décomposer. Ce constat confirme tout d abord que le travail du sol doit être le plus réduit possible afin d éviter une dégradation trop rapide de la matière organique. Il apparaît de plus comme indispensable de rechercher des solutions pour sauvegarder la matière organique existante et restituer de la matière organique au sol. Suite aux travaux conduits depuis de nombreuses années, les dynamiques des matières organiques dans les différents sols des Antilles sont maintenant bien évaluées. Pour la Guadeloupe, l ensemble de ces connaissances a été synthétisé et a permis le renseignement de MorGwanik, un calculateur de l évolution de la matière organique pour différentes cultures et les différents sols accessible sur internet (Sierra et Publicol, 2011) (Figure 5) : 2;&- (#< : 5;(#< ! Figure 5 : Calcul de l évolution de la matière organique du sol (%C) dans deux zones pédoclimatiques de Guadeloupe (présentées sur la carte de gauche) pour une succession de 3 années de culture de canne à sucre suivie de 2 années de culture d igname Par ailleurs, afin de répondre au double besoin d apport de matière organique et de valorisation/élimination des déchets, de nombreuses études ont été menées afin de caractériser la décomposition de la matière organique dans les sols et d évaluer les possibilités d utilisation de différentes source pouvant simultanément contribuer à la lutte contre la pollution et au recyclage de déchets, éminemment souhaitables dans notre contexte insulaire. Ces travaux ont abouti aux premières recommandations pour la réalisation de compost et les potentialités de plusieurs sources de matière organique ont été évaluées : déchet verts, cendres de bagasse, boues de stations d épuration. Pour peu que l on en respecte les dosages et modalités d apport toutes peuvent être utilisées dans l agriculture guadeloupéenne. L expertise acquise sur les sols tropicaux a depuis été mobilisée dans diverses expertises concernant les potentialités de l agriculture biologique en Martinique (François et al., 2005), l évaluation de la contamination des sols par la chlordécone (Cabidoche et al., 2006) ou la description de l IGP pour la production de melons de Guadeloupe. Innovations Agronomiques 16 (2011),

46 F. Bussière et al. Vers des pratiques assurant plusieurs services Maintenir une couverture inerte du sol Les paillages (ou «mulch») de différentes natures modifient les processus près de la surface du sol. Les effets les plus souvent admis sont la limitation du développement des mauvaises herbes, la conservation de l eau du sol, la limitation des contacts culture/sol, la modification de la dynamique thermique. Alors que l usage des paillages plastiques ou végétaux se développait dans le monde, nous avons évalué les potentialités de cette technique (Sinoquet et al., 1987). Si le film plastique offre un très bon potentiel pour limiter les adventices et conserver l eau du sol, les conditions climatiques des Antilles sont telles qu il génère des températures de plus de 50 C dans les premiers centimètres de sol. Ces conditions permettent d envisager l utilisation des films plastique pour la solarisation (élimination par la chaleur de certaines graines d adventices et pathogènes du sol) non sans effet négatif sur la faune utile. En maraîchage, il restera réservé aux cultures peu sensibles aux fortes températures (melon, ananas). Les cultures sensibles, comme l igname, peuvent subir des pertes importantes. Jusqu à 30 % de pertes sont observées en parcelles par échaudage des apex au moment de la levée. L autre technique de couverture fréquemment utilisée en agriculture tropicale est le paillage formé de résidus végétaux, typiquement aux Antilles, de feuilles de cannes. L INRA a mené une étude complète de ces paillages et montré toutes les potentialités de cette couverture pour la conservation de l eau, la réduction des températures du sol et la réduction des adventices (Bussière et Cellier, 1994). Alors que les feuilles de canne étaient quasi systématiquement brûlées lors de la récolte de canne en Guadeloupe, cette pratique est devenue beaucoup moins fréquente. Si les impacts de ces paillages sont maintenant bien connus, leur mise en oeuvre n est pas toujours aisée. Le premier frein vient de la disponibilité de la ressource : il n est généralement pas souhaitable ni efficace de soustraire des résidus de récolte à leur site d origine pour les appliquer sur une autre parcelle. Le second frein vient de la difficulté de manutention et transport du matériau lorsqu il n est pas produit sur ou à proximité du site d utilisation. Compte-tenu des défauts ou difficultés posées par les paillages plastiques ou de canne, nous avons recherché un matériau susceptible de combiner capacité de couverture et de biodégradation : le papier Kraft déjà disponible sous forme de rouleau pour la fabrication de cartons ondulés, semblait remplir le cahier des charges. Les premiers essais menés dès 2009 dans différents contextes en Guadeloupe sont encourageants : pour une même couverture de sol le niveau de maîtrise des adventices est proche de celui des films plastiques ; il ne provoque pas d échauffement important du sol et sa longévité est suffisante pour accompagner une saison de culture d igname (Tableau 3). Il se dégrade facilement lorsqu il est incorporé au sol et n apporte aucun élément toxique (test effectué sur les papiers pour l ensemble des provenances disponibles en Guadeloupe). En l état actuel de sa disponibilité en Guadeloupe, son coût reste compétitif par rapport aux autres techniques de paillage. Développer l usage de cette pratique nécessitera une réflexion et une adaptation des pratiques de préparation de sol, de conditionnement, de pose et de maintien du papier au sol. Tableau 3 : Performances des différents paillages pour un cycle d igname Kabusa cultivé en Nord Basse-Terre ; le bilan de temps de travail tient compte de la pose des paillages sur les billons et du sarclage manuel. Couverture sol Levée (%) Diminution adventices (%) Temps de travail (h/ha) Témoin > Paillage végétal > Paillage plastique < Paillage papier > Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

47 Productions vivrières et maraîchères des Antilles Associer des plantes L INRA des Antilles a commencé à travailler dès les années 90 sur les associations culturales, étudiant d abord les problèmes de compétition aérienne ou souterraine entre espèces (Sinoquet et Cruz, 1995, Ozier-Lafontaine et al., 1998), puis réalisant les premiers essais en parcelles agricoles. Ces études ont permis de comprendre les règles régissant les interactions entre les plantes : la compétition aérienne est quantifiable et maitrisable, la compétition souterraine dépend des zones d exploration racinaire de chaque espèce et de leur capacité à absorber préférentiellement l eau et les éléments nutritifs. Les intérêts des couverts associés pour la maîtrise des bioagresseurs a fait l objet de nombreuses études et les combinaisons d espèces, fortement dépendantes des pathosystèmes en jeu peuvent être multiples (Malézieux et al., 2009). Le choix des plantes à conduire en association peut donc être éclairé par ces travaux antérieurs. Un logiciel d aide au choix de plantes en fonction des services recherchés s appuyant sur les travaux de l INRA et la bibliographie est en cours d élaboration (SIMSERV). Plus récemment nous avons montré que le bénéfice que pouvait apporter une plante légumineuse aux plantes voisines ne se limitait pas seulement à la restitution des résidus lors de la sénescence et de la taille des parties aériennes mais devait aussi beaucoup à la sénescence racinaire consécutive à une taille. De plus, les transferts directs de l azote fixé par une légumineuse pérenne à ses voisines (rhizodéposition) peuvent représenter une proportion significative de l azote total consommé par ces plantes (Jalonen et al., 2009). Aux Antilles, la pratique d association de cultures ou de plantes de service existait dans les pratiques traditionnelles et se développe progressivement pour certaines cultures, par exemple dans les systèmes de culture bananiers ou pour l élevage avec des haies agroforestières en bordure de parcelle. Pour d autres cultures, comme l igname, si l on excepte le cas particulier des jardins créoles, les essais que nous avons réalisés confirment ce qui avait été observé en Afrique : les variétés d igname actuellement cultivées, handicapées par la faible efficacité de leur système racinaire, sont peu adaptées à la culture en association. Conclusion Les innovations proposées au monde agricole dans le domaine des cultures vivrières et maraîchères apparaissent comme fortement diversifiées par leur champ d utilisation : certaines concernent simplement une culture ou un couple culture/maladie, d autres ont des champs d application beaucoup plus vastes comme la gestion des ressources à l échelle d un territoire. Les durées qui ont été nécessaires à leur élaboration sont tout aussi variées : plus de 20 ans pour certaines ayant nécessité plusieurs études scientifiques en amont et seulement 2-3 années pour celles qui ont pu être testées rapidement sur la base de savoirs existants. Les délais imposés par le processus de recherche et de mise au point des innovations restent donc très variables et doivent faire l objet de discussions transparentes entre les acteurs. Les connaissances acquises depuis une vingtaine d années et capitalisées à l INRA nous permettent maintenant de répondre assez rapidement aux questionnements sur la nutrition des plantes ou leurs impacts environnementaux. Les réponses à apporter resteront d autant plus spécifiques que des processus biologiques concernant des systèmes encore peu connus sont impliqués. Dans ce cas, l anticipation du développement de travaux de recherche en amont joue un rôle primordial. Ces contraintes couplées à la nécessité de répondre aux multiples enjeux des agroécosystèmes plaident pour une concertation accrue des différents acteurs pour la définition, l élaboration et la mise en œuvre des innovations. Innovations Agronomiques 16 (2011),

48 F. Bussière et al. Références bibliographiques Ano G., Gélabale J., Marival P., L igname D. alata, la génétique et l anthracnose en guadeloupe, contribution de l INRA : passage de la collecte introduction à la création de variétés réistantes. Phytoma : la défense des végétaux. 584, Arnau G., Némorin A., Maledon E., Abraham K Revision of ploidy status of Dioscorea alata L. (Dioscoreaceae) by cytogenetic and microsatellite segregation analysis. Theoretical & Applied Genetics 118, Arnau G., Abraham K., Sheela M.N., Chaïr H., Sartie A., Asiedu R., Yams. In Root and Tuber Crops. Handbook of Plant Breeding Vol. 7. Bradshaw, J.E (Ed.) Arnolin R., Degras L., In vitro culture : results and prospects for food yams. In 6th Symposium of the International Society for Tropical Root Crops (ISTRC). International Potato center (CIP), Lima, Pérou. 6, 641. Blazy J-M., Ozier-Lafontaine H., Doré T., Thomas A., Wery J., A methodological framework that accounts for farm diversity in the prototyping of crop management systems. Application to bananabased systems in Guadeloupe. Agricultural Systems 101, Boissot N., Urbino C., Dintinger J., Pavis C., Vector and graft inoculations of Potato yellow mosaic virus reveal recessive resistance in Solanum pimpinellifolium. Annals of Applied Biology 152, Boissot N., Thomas S., Sauvion N., Marchal C., Pavis C., Dogimont C., Mapping and validation of QTLs for resistance to aphids and whiteflies in melon. Theoretical & Applied Genetics. 121, Bonhomme R., Recherches sur l Igname en Guadeloupe, Synthèse et inventaire bibliographique. Editions INRA, Centre Antilles Guyane, Petit-Bourg, France. 75 p. Bussière F., Cellier P., Modification of the soil temperature and water content regimes by a crop residue mulch Experiment and modelling. Agricultural and Forest Meteorology 68(1-2),1-28. Cabidoche Y.-M., van Oort F., Caractérisation d'unités cartographiques de sols par des lois de relations entre variables d'état. Cas des sols ferrallitiques de Guadeloupe. Résumé in : "2es Journées Nationales de l'etude des Sols", actes du colloque, Orléans, novembre Ed. AFES, Plaisir. Cabidoche Y.-M., Ozier-Lafontaine H Theresa.1. Matric Water Content Measurements through Thickness Variations in Vertisols. Agricultural Water Management 28 (2), Cabidoche Y.-M., Jannoyer M., Vanniere H., Conclusions du Groupe d Etude et de Prospective «Pollution par les organochlorés aux Antilles». Aspects agronomiques. APC INRA Antilles- Guyane et CIRAD-FLHOR Montpellier, 55p. +annexes. Chabrier C., Mauléon H., Quénéhervé P Combination of Steinernema carpocapsae (Weiser) and pheromone lure : a promising strategy for biological control of the banana black weevil Cosmopolites sordidus (Germar) on banana in Martinique. Nematology 4, Clermont-Dauphin C., Cabidoche Y.-M., Meynard J.-M., Effects of intensive mono-cropping of bananas on properties of volcanic soils in the uplands of the French West Indies. Soil Use and Management 20, Daudin D., Sierra J., Spatial and temporal variation of below-ground N transfer from a leguminous tree to an associated grass in an agroforestry system. Agriculture, Ecosystems and Environment 126, Defèche C., Diversité des pratiques agrotechniques des producteurs d igname en Guadeloupe INRA, UPROFIG (Union des Producteurs de la Filière Igname en Guadeloupe), SAFER (Société d Aménagement Foncier et d Etablissement Rural), Chambre d Agriculture de Guadeloupe, SUAD (Service d Utilité Agricole et de Diversification), Edition INRA Antilles-Guyane, UR ASTRO, Petit- Bourg, Guadeloupe. Degras L., L igname, plante à tubercule tropicale. Masonneuve et Larose, Agence de Coopération Culturelle et Technique, Paris, France, pp 408. Denon D., Mauléon H., The sweet potato weevil on Guadeloupe Cylas formicarius threatens crop survival. Phytoma : la Défense des Végétaux, Innovations Agronomiques 16 (2011), 39-51

49 Productions vivrières et maraîchères des Antilles François M., Moreau R., Sylvander B., Agriculture biologique en Martinique : quelles perspectives de développement? Editions IRD, Paris, (expertise collégiale) Paris, IRD, 379 p. Jacqua G., Salles, M., Poliphème F., Pallud M., Anthracnose de l'igname : trois données sur son épidémiologie aux Antilles - Comment le champignon responsable pénètre dans les plantes, comment il se disperse, et sur quelles plantes hôte on peut le trouver. Phytoma : la Défense des Végétaux 617, Jalonen R., Nygren P., Sierra J., Transfer of nitrogen from a tropical legume tree to an associated fodder grass via root exudation and common mycelial networks. Plant, Cell & Environment 32, Lafortune D., Béramis M., Daubèze A. M., Boissot, N., Palloix A., Partial resistance of pepper to bacterial wilt is oligogenetic and stable under tropical conditions. Plant Disease 8, Malézieux E.,Crozat Y., Dupraz C., Laurans M., Makowski D., Ozier-Lafontaine H., Rapidel B., de Tourdonnet S.,Valantin-Morison M., Mixing plant species in cropping systems: concepts, tools and models. A review. Agronomy for Sustainable Development 291, Onyeka T.J., Pétro D., Etienne S., Jacqua G., Ano G., Optimizing controlled environment assessment of levels of resistance to yam Anthracnose disease using tissue culture-derived whole plants. Journal of Phytopathology 154, Onyeka T. J., Pétro D., Ano G., Etienne S., Rubens S., Resistance in water yam (Dioscorea alata) cultivars in the French West Indies to anthracnose disease based on tissue culture-derived whole-plant assay. Plant Pathology 55, Ozier-Lafontaine H., Lafolie F., Bruckler L., Tournebize R., Mollier A., Modeling competition for water in intercrops: theory and comparison with field experiments. Plant and Soil 204, Petro D., Onyeka T. J., Etienne S., Rubens S., An intraspecific genetic map of water yam (Dioscorea alata L.) based on AFLP markers and QTL analysis for anthracnose resistance. Euphytica 179, Ripoche A., Jacqua G., Bussière F., Guyader S., Sierra G., Survival of Colletotrichum gloeosporioides (causal agent of yam anthracnose) on yam residues decomposing in soil. Applied Soil Ecology 38, Sinoquet H., Cruz P., Ecophysiology of tropical Intercropping. Editions INRA, PARIS, 484 p. Sinoquet H., Mignard E. Bonhomme R., Modélisation et potentialités du chauffage solaire des sols par paillage artificiel à la Guadeloupe. Agronomie 7-8, Sierra J., Publicol M., MorGwanik, un outil pour évaluer la gestion de la matière organique dans le sols de Guadeloupe. Colloque «Innovations et agriculture antillaise durable Antilles- 3-4 novembre 2011». Poster Swaminathan M.S., Building national and global food security system. In M.S. Swaminathan and S.K. Sinha (eds). Global Aspects of Food Production. Tycooly press, India, Vaillant V., Bade P., Constant C., Photoperiod affects the growth and development of yam plantlets obtained by in vitro propagation. Biologia Plantarum 49, Innovations Agronomiques 16 (2011),

50 Innovations Agronomiques 16 (2011), De la production fruitière intégrée à la gestion écologique des vergers aux Antilles Lavigne C. 1,2, Lesueur-Jannoyer M. 1,2, de Lacroix S. 3, Chauvet G. 3, Lavigne A. 4, Dufeal D. 4 1 CIRAD, Unité HortSys, Pôle de Recherche Agro-environnementale de la Martinique, Petit Morne, Lamentin, Martinique 2 CIRAD Unité HortSys, TA-B103 PS4, Boulevard de la Lironde, Montpellier 34398, France 3 SECI du Conseil Général, Val d Or, SAINTE ANNE, Martinique 4 FREDON, Route du Lycée Agricole, Croix Rivail, DUCOS, Martinique Correspondance : christian.lavigne@cirad.fr Résumé La forte anthropisation aux Antilles françaises, la pression des monocultures de banane et de canne à sucre, et l usage immodéré de pesticides, ont abouti à la pollution persistante d une partie importante des sols de la SAU ainsi que des eaux de rivière et des nappes phréatiques. Si, dans les dix dernières années, la recherche de moyens de lutte biologique contre les insectes a été prioritaire, la lutte contre les adventices continue d être un problème central pour les arboriculteurs qui ne peuvent pas financièrement substituer complètement les fauchages mécaniques à l utilisation fréquente d herbicides. Le Cirad porte maintenant ses efforts sur l introduction de plantes de couverture, graminées et légumineuses, dans des systèmes de culture innovants où les arbres fruitiers, le couvert herbacé et les animaux peuvent être associés de manière judicieuse pour une gestion écologique de la parcelle. Chacune des trois composantes est choisie pour apporter une meilleure durabilité au système. Mots-clés : Systèmes de culture agro-écologiques, cultures pérennes, association verger-pâturage, durabilité Abstract: From integrated fruit production to ecological orchards management in the French West Indies The strong human impact in the French Antilles, the pressure of monocultures of banana and sugar cane, and the overuse of pesticides, led to the persistent pollution of a large part of the UAA soils, of river water and groundwater. If, in the last ten years, the methods to controlling insects have been a priority, the ongoing fight against weeds remains a central problem for growers who cannot fully substitute, for economical reasons, the frequent use of herbicides by mechanical mowing techniques. CIRAD is now working on the introduction of cover crops, grasses and legumes, in innovative cropping systems in which the fruit trees, the cover crop and the animals may be associated wisely for an ecological management of the field. All three components are selected to provide durability to the system. Keywords : friendly cropping systems, perennial crops, association orchard-livestock, sustainability

51 C. Lavigne et al. Introduction Dans un milieu insulaire comme aux Antilles, à forte densité de population (380 habitants/km² à la Martinique), à PNB élevé ( euros/habitant) et à seulement ha de S.A.U., la pression de l agriculture sur l environnement est forte et se manifeste par une pollution importante des sols, des eaux de surface et des nappes (Ollagnier et Vittecoq, 2007). Le CIRAD s est attaché depuis une dizaine d années à réduire l impact environnemental des productions fruitières, en adoptant le concept de production intégrée : «un système de production économique de fruits de haute qualité donnant la priorité aux méthodes écologiquement plus sûres, minimisant les effets secondaires et l utilisation de produits agrochimiques, afin d améliorer la protection de l environnement et la santé humaine» (OILB, 1997). L utilisation de variétés adaptées aux conditions édapho-climatiques et de porte-greffe tolérants aux pressions parasitaires est une première étape. La mise au point de pratiques agronomiques permettant de répondre aux contraintes du marché pour un approvisionnement plus régulé en fruits de qualité est une deuxième étape. La troisième étape s attache à réduire l utilisation des herbicides par des pratiques agro-écologiques. Les conditions climatiques en milieu tropical humide (1250 à 5000 mm de pluie par an relativement bien répartie sur l année, des moyennes de 20 C le matin à 30 C en journée) sont favorables à la croissance des bio-agresseurs en général et des adventices en particulier. Si les problèmes de parasitisme et de ravageurs ont été jusqu ici au cœur des recherches en production fruitière intégrée, la gestion de l enherbement reste une difficulté centrale, résolue par l application d herbicides. La diminution des volumes d herbicides, qui constituent une part importante des pesticides appliqués, est un objectif important dans les systèmes de culture intensifs pérennes, comme les vergers. La présence de résidus d herbicides dans les cours d eau des zones à forte activité agricole est récurrente, en particulier le glyphosate et son métabolite l AMPA (acide amino-méthyl-phosphonique). De plus, la conduite des vergers sur sols nus est responsable de problèmes majeurs d érosion et de lessivage (Hipps et Samuelson, 1991). L intégration de l ensemble des résultats aboutit à des systèmes plus durables et plus diversifiés. Des espèces, des variétés de fruitiers et des pratiques adaptées aux conditions de l exploitation (sol et climat) Le choix de la culture à mettre en place dans une zone climatique donnée est évidemment fondamental, car il engage l exploitant pour de nombreuses années. Si les avocats ou les agrumes sont à placer sur sols filtrants ou en zone sèche irriguée, les ramboutans, les abricots des Antilles ou les fruits à pain sont à réserver aux zones plus humides. Les mangues ou les annones peuvent être produites dans des conditions plus difficiles (sans irrigation, sol lourd, ). Pour chaque espèce, les variétés peuvent avoir des tolérances très variables aux ravageurs, comme la goyave Beaumont, écartée de la liste des cultivars utilisés du fait de sa grande sensibilité au champignon Pestalothiopsis sp., ou comme les agrumes plus ou moins sensibles au virus de la Tristeza. Le greffage peut permettre de s affranchir de ces sensibilités. Le goyavier (Psidium guajava), greffé sur la coronille (Psidium friedrichthalianum), est rendu tolérant au nématode Meloidogyne mayaguensis (Marin et al., 2000). Les agrumes greffés sur Citrus volkameriana sont tolérants au Phytophthora. Le maracudja (Passiflora edulis f. flavicarpa) greffé sur pomme liane (P. laurifolia) confère une tolérance au complexe fongique de la pourriture du collet. La culture sur butte pour réduire les excès d humidité, une nutrition équilibrée, l utilisation de plantes pièges pour détourner les ravageurs et bien sûr l utilisation d auxiliaires sont d autres techniques qui peuvent être utilisées. 54 Innovations Agronomiques 16 (2011), 53-62

52 Production fruitière intégrée et gestion écologique La maîtrise de la taille du goyavier permet un étalement de la production et un écoulement plus régulier de la production vers les industries de transformation, tout en conservant des rendements élevés (Lavigne et al., 2007). Une sélection clonale participative de l abricot des Antilles (Mammea americana) a abouti à la mise à la disposition des agriculteurs d une dizaine de variétés de grande qualité organoleptique et commerciale : brix élevé, noyau non adhérent, arômes (Gervais et Lavigne, 2007). Cette espèce, originaire du bassin caribéen, est parfaitement adaptée au complexe sol/climat/ravageurs et à une culture écologique. Une production sans herbicide Au niveau économique, le contrôle des adventices est un des postes importants de dépenses en main d œuvre pour l agriculteur. L ensoleillement étant important et permanent sur une grande partie de la parcelle, et le rythme des interventions étant lié à la vitesse de croissance de l adventice la plus agressive, huit à dix interventions annuelles sont la règle. Par ailleurs, les vergers occupent généralement les zones les plus pentues et les moins mécanisables de l exploitation. Compte tenu de la topographie difficile des parcelles, deux options s offrent à l exploitant : - le fauchage à la débroussailleuse, trop coûteux. - le désherbage chimique, dommageable pour l environnement Une des alternatives les plus prometteuses pour réduire l application d herbicides ou les fauchages mécaniques consiste à associer une couverture vivante à une culture principale adaptée au climat (Firth et Wilson, 1995). Cette couverture vivante doit être facile à contrôler mécaniquement, suffisamment agressive pour supplanter les adventices, sans pour autant concurrencer la culture principale. Choisir une plante de couverture : une approche multicritère Le premier critère de sélection d une couverture vivante est sa capacité à recouvrir rapidement le sol afin de contrôler les adventices lors de son installation. Pour des systèmes de culture ayant une longévité importante tels que les vergers, la capacité de la couverture vivante à persister sur le long terme est également très importante. D autres critères sont également recherchés afin de rendre la plante de couverture compatible avec les impératifs techniques des agriculteurs. Les qualités attendues d une plante de couverture sont : compatibilité avec la circulation des véhicules et du personnel (hauteur, résistance au piétinement et au roulage), non volubile ou faiblement volubile, tolérance à la fauche ou à d autres formes de rabattage appétibilité en cas d association avec des animaux Afin de concevoir des systèmes de culture performants, la compétition pour l eau et les éléments minéraux entre les plantes de couverture et la culture principale doit être minimale pour ne pas affecter le rendement de la culture principale. Pour réduire ces compétitions, l utilisation de légumineuses fixatrices de l azote atmosphérique, ainsi que l adoption de modes de gestion qui permettent de limiter ces compétitions sont à privilégier. L évaluation du comportement d espèces choisies de légumineuses (Fabaceae) et de graminées (Poaceae) a donc été le point de départ d une sélection de plantes destinées à être associées à une culture de rente. L accent a été mis sur la mesure du taux de couverture du sol à court terme, sur la dynamique de croissance de l espèce et sa relation avec l évolution de la biomasse et sur les quantités d éléments minéraux mobilisés. Ces critères permettent d évaluer les traits fonctionnels recherchés. Innovations Agronomiques 16 (2011),

53 C. Lavigne et al. L évaluation multicritère des plantes de couverture est réalisée sur la base de mesures expérimentales. Une vingtaine de plantes de couverture (Tableau 1), indigènes (Fournet, 2002) ou introduites, ont été évaluées sur leur capacité à couvrir le sol, à maintenir cette couverture à moyen terme (9 mois) et à tolérer un entretien par fauchage. Cette évaluation a été réalisée sur sols brun rouille à halloysite. Les espèces concernées couvrent une large gamme de traits fonctionnels en relation avec leur fonction de couverture, permettant ainsi d acquérir des connaissances génériques sur la relation entre plante de couverture et arbre fruitier. Le recouvrement a été évalué en utilisant la notation sur l échelle CEB (Tableau 2) (Marnotte, 1984). Tableau 1 : Plantes de couverture évaluées pour une association avec des vergers Brachiaria decumbens, graminée fourragère couramment utilisée dans les pâturages de Martinique Paspalum notatum cv. Pensacola, graminée présente dans la flore martiniquaise, et utilisée pour la réalisation de pelouses Paspalum wettsteinii, graminée exogène Paspalum notatum cv. Common, graminée locale utilisée pour les gazons Urochloa mosambicensis cv. Saraji, graminée exogène Cynodon dactylon, graminée présente dans la flore martiniquaise, et utilisée pour la réalisation de pelouses Bothriochloa pertusa, graminée locale Axonopus affinis, graminée présente à la Martinique (gazon créole) Neonotonia wightii cv. Cooper, légumineuse exogène en cours d évaluation Stylosanthes hamata cv. Amiga, légumineuse appartenant à la flore locale Stylosanthes guianensis cv. Oxley, légumineuse utilisée pour les pâturages Stylosanthes capitata/macrocephala cv. Campo Grande, légumineuse, genre présent, espèce exogène Alysicarpus ovalifolius, légumineuse exogène, genre présent Pueraria phaseoloides cv. Common, légumineuse présente dans la flore locale et largement utilisée comme plante de couverture en zone tropicale, principalement en agroforesterie, sur plantations pérennes (hévéa, palmier ) Chamaecrista rotundifolia cv. Wynn, légumineuse exogène, utilisée pour améliorer les pâturages Macroptilium atropurpureum cv. Aztec présente dans la flore locale (Siratro) Macroptilium bracteatum, légumineuse, genre présent, espèce exogène Centrosema pascuorum cv. Bundey, légumineuse, genre présent, espèce exogène Aeschynomene americana cv. Lee, légumineuse, espèce présente Crotalaria juncea cv. IAC1, légumineuse, espèce présente Crotalaria spectabilis, légumineuse, espèce présente Dichondra repens, convolvulacée exogène ne nécessitant pas de tonte et supportant l ombrage 56 Innovations Agronomiques 16 (2011), 53-62

54 Production fruitière intégrée et gestion écologique Tableau 2 : Echelle CEB (Commission des Essais Biologiques) Note pourcentage de Abondance recouvrement 1 1 Espèce présente mais rare 2 7 Moins de 1 individu par m² 3 15 Au moins 1 individu par m² % de recouvrement % de recouvrement % de recouvrement 7 85 Fort recouvrement 8 93 Très peu de sol apparent Recouvrement total Hauteur du couvert Les caractéristiques requises pour l utilisation d une couverture vivante sont aussi d ordre pratique. Une importante hauteur de couvert est une caractéristique négative pour la circulation de la main d œuvre et des véhicules. Les exploitants estiment que la hauteur de la végétation doit être inférieure à cm pour permettre une bonne circulation dans la parcelle (Figure 1). Figure 1 : Hauteur de la strate herbacée après 3 mois. Repousse après une fauche En culture pérenne ou semi-pérenne, il est nécessaire de faucher périodiquement la couverture herbacée, avant certains actes techniques qui exigent que la parcelle soit facilement praticable, comme la récolte, par exemple. Cette strate herbacée doit donc être capable de se régénérer après une telle opération (Figure 2). Les espèces qui ne supportent pas l opération de fauche doivent être éliminées de la sélection. Innovations Agronomiques 16 (2011),

55 C. Lavigne et al. Figure 2 : Biomasse produite 1 mois après fauche (t/ha) Biomasse produite en fonction du taux de recouvrement Si l on associe la biomasse et le taux de recouvrement (Figure 3), on constate que les plantes de couverture les plus intéressantes pour les vergers sont celles qui présentent une vitesse de recouvrement rapide tout en gardant une biomasse faible, pour arriver à occuper le terrain avant les adventices sans gêner la culture principale. Figure 3 : Biomasse fraîche et taux de recouvrement à 10 semaines Efficacité du contrôle des adventices L évolution du nombre d espèces adventices présentes pendant la phase d installation de la plante de couverture, ainsi que la biomasse atteinte par ces adventices montrent l efficacité de la couverture herbacée. Neonotonia wightii (Soja pérenne) et Macroptilium atropurpureum (Siratro) montrent un bon contrôle des adventices (Figure 4), mais la volubilité de ces espèces doit être soigneusement évaluée, afin de s assurer de pouvoir maîtriser l envahissement des arbres par ces plantes de service sur le long terme. 58 Innovations Agronomiques 16 (2011), 53-62

56 Production fruitière intégrée et gestion écologique Cependant, les résultats de cette expérimentation doivent être examinés avec beaucoup de précaution, ils sont valables pour les conditions de mise en place : type de sol et nature des adventices présentes, densité de semis, période d installation. Les expérimentations devront être renouvelées pour chaque zone climatique. Figure 4 : Capacité de contrôle des adventices Compte tenu des exigences du cahier des charges et des caractéristiques de chacune des espèces évaluées, une seule espèce de plante de couverture ne sera pas en mesure de contrôler efficacement l enherbement des vergers. Pour y arriver, des associations et/ou des successions de plusieurs espèces herbacées sont à l étude. Associer verger et animaux sur la même parcelle : une approche complexe Le contrôle de la plante de couverture associée est ensuite une question qui doit être soulevée : le fauchage est la solution la plus simple, mais il devrait être réalisé à une fréquence plus faible que pour un couvert spontané (2 à 3 fois par an au lieu de 8 à 10). Une association avec des animaux en parcours libre qui consommeront la biomasse peut également être envisagée. Le choix des espèces animale et végétale associées devra être judicieux pour que les animaux n aient pas un effet négatif sur le verger. Les systèmes de culture associant vergers et animaux ont été évalués avec deux exemples : - annonacées et moutons (collaboration SECI, Station d Essai en Cultures Irriguées du Conseil Général de la Martinique) - goyaviers et volailles (collaboration FREDON, Fédération REgionale de Défense contre les Organismes Nuisibles) Dans ces expérimentations, la strate herbacée des vergers est constituée par la végétation spontanée. Innovations Agronomiques 16 (2011),

57 C. Lavigne et al. Intégration des ovins dans les vergers De telles associations sont connues en milieu tropical quand l espèce végétale ne peut pas subir de préjudice de l espèce animale : bovins ou ovins dans une parcelle adulte de cocotiers ou d hévéas, par exemple (Arope et al., 1985, Dalla Rosa, 1993). Quand les végétaux risquent d être consommés par les animaux, l association est plus difficile. Les arbres peuvent être protégés par des barrières physiques, mais ce système est coûteux et peu pratique. L association entre agrumes et ovins est étudiée à Cuba (Mazorra, 2006) en provoquant une aversion pour les feuilles d agrumes par du chlorure de lithium ou du sirop d ipécacuana. Nous avons choisi d associer des moutons à une culture qu ils ne consomment pas : les annonacées fruitières. Les moutons peuvent être associés à d autres cultures non appétibles comme les taros (Colocasia sp., Alocasia sp., Xanthosoma sp.). Les moutons ont été intégrés dans un verger d annonacées fruitières (Annona squamosa, A. reticulata et A. muricata) car ils ont une aversion naturelle pour les feuilles de ce genre botanique. La parcelle a été divisée en 5 placettes sur lesquelles les animaux sont transférés de semaine en semaine, de manière à laisser se régénérer le couvert herbacé Dans l association annones/moutons, un comptage de feuilles basses, accessibles aux moutons, a été effectué avant et après passage des animaux. Les moutons ne consomment pas les feuilles des trois espèces d annonacées du verger, mais peuvent casser les branches à leur portée en se frottant à la végétation (Figure 5). feuilles sur branches cassées 22 % feuilles consommées % Figure 5 : Pourcentage de feuilles consommées par les moutons pendant 1 semaine feuilles non affectées sur branches basses 78 % L introduction des animaux dans le verger ne devrait donc intervenir qu après une certaine maturité des arbres, estimée à 2 ans. Le contrôle de l enherbement par les animaux est efficace, mais les refus doivent tout de même être éliminés régulièrement à la débroussailleuse, 2 à 3 fois par an. Intégration des volailles dans les vergers Les volailles sont plus faciles à associer, cependant rares sont les exemples d associations aux Antilles, du fait de la spécialisation des producteurs. Cette spécialisation permet une meilleure maîtrise technique, mais ne favorise alors pas la diversification des entreprises agricoles, clé d un fonctionnement agro-écologique de l agro-système. Nous avons choisi d étudier un système associant un verger de goyaviers à un élevage combinant des oies et des poulets (Lavigne et al., 2011). Les volailles (oies et poulets) ne provoquent quant à elles aucun dommage aux goyaviers. La parcelle a été subdivisée en 3 placettes pour assurer une rotation hebdomadaire des animaux et reconstituer ainsi le couvert herbacé. 60 Innovations Agronomiques 16 (2011), 53-62

58 Production fruitière intégrée et gestion écologique Dans l association goyaviers/volailles, la biomasse de la strate herbacée et sa composition spécifique ont été suivies au cours du passage des animaux (Figure 6). Si les volailles diminuent bien la biomasse globale de la strate herbacée, on constate que le couvert herbacé ne se reconstitue pas avant le retour des animaux sur la parcelle au cycle suivant. Le temps de repos entre deux cycles de pâturage n est pas suffisant. On constate également que les volailles sélectionnent la flore qu elles consomment en favorisant l extension des cypéracées. La substitution du couvert végétal spontané par un pâturage dont la composition spécifique aura été choisie dans le but de nourrir les animaux permettrait de réduire la quantité des refus. Biomasse fraîche moyenne (g/m²) 1000 Cycle 1 Cycle 2 Cycle Fauche Fauche 30/8/10 19/9/10 9/10/10 29/10/10 18/11/10 8/12/10 28/12/10 Date Parcelles pâturées Parcelles témoins Figure 6 : Les volailles diminuent la biomasse herbacée sur les parcelles pâturées Discussion et conclusion Aux Antilles, le CIRAD a contribué à mettre à la disposition des producteurs de fruits un ensemble de techniques permettant de réduire l usage des pesticides et d améliorer de ce fait la durabilité des vergers. La priorité actuelle est la maîtrise de l enherbement sans utilisation d herbicides et le maintien d un couvert végétal. L objectif de nos expérimentations est en premier lieu de cribler des espèces susceptibles de constituer un couvert vivant, en association avec une culture permanente comme alternative à une conduite sur sol nu et à l utilisation d herbicides, techniques néfastes pour l environnement et la durabilité des systèmes de culture. Il s agit aussi de réduire la fréquence des opérations de fauche mécanique. Le contrôle des adventices semble difficile à réaliser avec une seule plante de couverture, car aucune espèce ne réunit les qualités demandées dans le cahier des charges. Des études d association entre plusieurs espèces, genres ou familles de plantes de couverture sont en cours. Cependant, d autres critères devront être pris en compte. Il s agit notamment de la capacité de repousse après fauche, de la résistance au piétinement et au roulage, et de la capacité de fixation symbiotique de l azote. Pour valider la sélection, il sera nécessaire d étudier les effets de l association sur le rendement de la culture principale et la qualité de sa production, en évaluant notamment la concurrence pour l eau et les éléments minéraux ou les effets allélopathiques de la couverture herbacée. De plus, les effets à long terme devront être évalués. Ces effets comprennent la modification Innovations Agronomiques 16 (2011),

59 C. Lavigne et al. du taux de matière organique du sol, le contrôle du parasitisme, la remontée d éléments prélevés en profondeur, et le maintien ou l amélioration de la structure physique du sol. Les associations entre vergers et animaux ont également l objectif d améliorer la durabilité et la rentabilité du système de culture. Un système de culture qui associe animaux et culture pérenne semble prometteur, si l on choisit judicieusement les espèces animale et végétale qui le constituent. Les modalités de l association, comme la charge animale ou la durée de séjour des animaux sur la parcelle, doivent être précisées pour chaque situation. Une combinaison entre toutes ces méthodes, à l échelle de l exploitation, devrait permettre une augmentation de la biodiversité et une réduction des apports d intrants, et favoriser la diversification des productions, qui apparait comme une voie d avenir pour les nombreuses exploitations agricoles de petite et moyenne superficie aux Antilles. Références bibliographiques Arope A.N., Tajudin I.B., Chong D.T., Sheep rearing under rubber. Planter 61, Dalla Rosa K.R., Cattle under coconuts: a practical Pacific tradition. Agroforestry for the Pacific Technologies. Paia, Hawaii, USA, Nitrogen Fixing Tree Association. Firth D.J., Wilson G.P.M., Preliminary evaluation of species for use as permanent ground cover in orchards on the north coast of New South Wales. Tropical Grasslands 29, Fournet J., Flore illustrée des phanérogames de Guadeloupe et de Martinique. CIRAD, Montpellier, France Gervais L., Lavigne C., Mamey (Mammea americana L.) in Martinique island: an inheritance to be developed. Fruits 62, Hipps N.A., Samuelson T.J., Effects of long-term herbicide use, irrigation and nitrogen fertiliser on soil fertility in an apple orchard. Journal of the Science of Food and Agriculture 55, Lavigne C., Pancarte C., Bertin Y., Ducelier D., Jannoyer M., Pruning guava (Psidium guajava cv. Beaumont): a friendly method for earlier production in Martinique. Poster Congrès Fruticultura Cuba septembre Lavigne A., Dumbardon-Martial E., Lavigne C., Les volailles pour un contrôle écologique des adventices dans les vergers. soumis pour publication Fruits. Marín M., Casassa A., Rincón A., Labarca J., Hernández Y., Gómez E., Viloria Z., Bracho B. y Martínez J., Comportamiento de tipos de guayabo (Psidium guajava L.), injertados sobre Psidium friedrichsthalianum Berg-Niedenzu. Rev. Fac. Agron. 17, Marnotte P., Influence des facteurs agroécologiques sur le développement des mauvaises herbes en climat tropical humide. 7ème Coll. Int. Ecol. Biol.et Syst. des Mauvaises Herbes, Paris, France, Mazorra C., Manejo de la selección del alimento para reducir el ramoneo de ovinos integrados a plantaciones de cítricos. Tesis Doctor en Ciencias Veterinarias. CIBA- UNICA- ICA. La Habana. 121 p OILB, Guidelines for integrated production of stone fruits in Europe. Bulletin OILB/SROP 20, Ollagnier S., Vittecoq B., Suivi de la qualité des eaux souterraines de Martinique, campagne de saison des pluies 2006 : Résultats et interprétation. BRGM/RP FR. 62 Innovations Agronomiques 16 (2011), 53-62

60 Innovations Agronomiques 16 (2011), Innovations biotechniques de la production de porcs en milieu tropical Renaudeau D. 1, Gourdine J.L. 1, Fleury J. 2, Archimède H. 1 1INRA, UR143 Unité de Recherches Zootechniques, Petit Bourg 2 INRA, UE1294 Plateforme Tropicale d Expérimentation sur l animal, Petit Bourg Correspondance : David.Renaudeau@antilles.inra.fr Résumé La filière porcine aux Antilles doit faire face à plusieurs défis dont celui de l augmentation de sa contribution à la consommation locale de viande. La production de porcs dans nos régions est soumise à des contraintes spécifiques locales (insularité et éloignement de l Union Européenne) et des contraintes communes aux autres régions tropicales (facteurs climatiques, disponibilité des ressources alimentaires, etc..). L augmentation de la productivité des élevages et la maîtrise des coûts de production sont des leviers importants pour le développement de l élevage de porcs aux Antilles. Les résultats des travaux menés par l INRA et ses partenaires peuvent être une source d innovations technologiques pour contribuer au développement d une production de porcs durable dans les régions tropicales et en particulier dans les départements français d Amérique. Parmi les principaux acquis, les solutions visant à réduire les coûts alimentaires, la production de rejets et les effets de l environnement climatique sont proposés en utilisant la voie alimentaire et la voie génétique. Mots-clés :Antilles, porc, nutrition, génétique, climat tropical Abstract:Biotechnical innovations for the pig industry in tropical areas. The pig industry in the French West Indies (FWI) is facing several challenges including the increase in its contribution to the local meat consumption. Pig production in FWI is limited by specific local constraints such as insularity and the distance from the European Union and constraints common to other tropical regions such as climatic factors, availability of food resources, etc... Increase in livestock productivity and control of production costs are key factors for the development of local pig production. Results from INRA and its partners are a source of innovations to contribute to the sustainable development of pig production in the tropics and especially in FWI. Solutions have been developed to reduce feed costs, production of manure and to limit the effects of climatic environment mainly through dietary and genetic strategies. Keywords: French West Indies, pig, nutrition, genetics, tropical climate Introduction Depuis 10 ans, la production mondiale de viande de porc a fortement augmenté (+18,3%) pour atteindre 106 millions de tonnes en 2009 soit 37% de la production totale de viande, devant la production de viande de volaille (92 millions de tonnes) et la production de viande de bœuf (66 millions de tonnes) (Source FAO, 2011). Cette forte évolution de la production de viande de porc est soutenue principalement par une forte croissance dans les pays en voie de développement (PED) souvent localisés dans les régions tropicales ou subtropicales. Cette évolution est essentiellement due à la croissance démographique, l urbanisation galopante, et l augmentation des revenus dans ces régions du globe. Actuellement, près de 40% de la viande de porc est produite dans les régions tropicales. On

61 D. Renaudeau et al. estime que ce chiffre pourrait avoisiner les 60% en 2020 (Delgado et al., 1999). Dans ces régions, une grande diversité d élevages coexiste avec un gradient allant de grandes structures spécialisées d élevage intensif ou industriel (ex: Brésil) à des élevages familiaux très extensifs (ex: Vietnam) avec des petites exploitations adaptées à la diversité des conditions naturelles, économiques et sociales. La plupart des études prospectives (Delgado et al., 1999; Steinfeld et al., 2006) concluent que la croissance future de la production porcine devrait s accompagner d une augmentation du degré d intensification des systèmes de production plus ou moins importante selon les régions. Compte tenu des contraintes économiques, climatiques, sanitaires, écologiques et sociales qui existent dans les régions tropicales, le développement de l élevage porcin ne peut pas être complètement assuré par une simple transposition des technologies utilisées avec succès dans les pays du Nord. L objectif de cet article est de décrire en quoi les résultats des travaux de recherche menés par l INRA et ses partenaires peuvent être une source d innovation technologique pour contribuer au développement d une production de porcs durable dans les régions tropicales et en particulier dans les départements français d Amérique. 1 - Caractéristiques de l élevage de porcs aux Antilles Aux Antilles, la production de viande de porc a une importance économique relativement importante. Elle représente environ 23 et 30% des productions animales totales respectivement en Guadeloupe et en Martinique devant la production de viande de volaille (20 et 22%) mais largement derrière la production de viande de bœuf (60 et à 65%) (Source AGRESTE Guadeloupe/Martinique, 2009 ; recensement 2008). La production de porcs aux Antilles présente la caractéristique d être «duale» avec d une part des petites exploitations (1-5 truies) où l élevage de porc n est pas l activité principale de l exploitation et des exploitations qualifiées de professionnelles avec un système de production se rapprochant des systèmes industriels européens. Les effectifs d animaux et le nombre d exploitations concernés par les deux types de production varient énormément selon les enquêtes (Zebus et al., 2005 ;Galan et al., 2008a&b; Agreste, 2010). En Guadeloupe, on peut estimer que 55% seulement des truies seraient détenues par environ 70 éleveurs plus ou moins spécialisés (+ 5 truies) et le plus souvent adhérents à des coopératives. Cette répartition serait sensiblement la même en Martinique (60% des truies pour 40 éleveurs). Ces dernières années, le volume de viande locale commercialisé par les coopératives tend à augmenter sous l effet d une meilleure structuration de l interprofession et d aides financières publiques importantes pour permettre le développement de l élevage organisé aux Antilles (via le financement de structures, aide à la fourniture d intrants, encadrement, etc..). Ce développement s est fait au détriment des petites exploitations familiales qui ne bénéficient généralement pas de cette politique d accompagnement alors qu elles représentent un poids économique et social non négligeable (Zebus et al.,2005). La production de porcs aux Antilles est pleinement concurrencée par les importations de viande congelée ou conservée sous vide en provenance de la métropole et du reste de l Europe. En 2009, le taux de couverture globale (production viande locale/importation) était d environ 31% en Guadeloupe et de 21% en Martinique (source ODEADOM 1 ). Ces chiffres sont sans doute sousestimés car ils prennent mal en compte les abattages non-contrôlés d animaux. Pour comparaison, ce taux de couverture est de plus de 50% à la Réunion. L objectif des acteurs des filières porcines locales est d augmenter fortement ce taux de couverture à 50% voire plus. L augmentation de la production de viande locale aux Antilles passe par une meilleure maitrise des coûts de production et par un développement raisonné de l élevage des porcs. Cette évolution ne doit pas se faire au détriment de la qualité de la viande et elle doit prendre en compte les contraintes environnementales fortes liées à l insularité de nos territoires. Par ailleurs, l amélioration de la structuration de la filière doit se poursuivre notamment en favorisant la coopération entre tous les 1 Office de Développement de l Economie Agricole d Outre Mer ( 64 Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

62 Production de porcs en milieu tropical acteurs de la production (organisés ou non), de la transformation et de la commercialisation (Ernatus, 2009). D un point de vue technique, les résultats des suivis d élevage montrent que la marge de progression reste très importante si l on compare les données GTTT (Gestion Technique des Troupeaux de Truies) des élevages suivis dans le cadre des réseaux de fermes de références DOM aux Antilles à celles de la Réunion ou de la métropole (Tableau 1). Tableau 1. Analyse comparative des performances technico-économiques aux Antilles, à la Réunion et en France métropolitaine. Guadeloupe Martinique Réunion Métropole Cheptel total, nb. de truies Données de la GTTT 2 Nb. d élevages suivis Nb. de truies en production 49,6 38,3 36,7 211,5 Productivité numérique 3 19,6 16,4 25,6 28,2 Cout de production, /kg carcasse 4 2,5 2,6 2,3 1,0 Prix de l aliment engraissement, /T Prix de vente, /kg carcasse 3,3 3,3 NC 1,3 1 Statistiques AGRESTE «Effectif animaux dans les DOM» 2 Gestion Techniques du Troupeau de truies. Source : Réseaux de fermes de références DOM, 2010 ( IFIP ( pour les résultats de la métropole. 3 Nombre de porcelets sevrés par truies productives et par an 4 Pour la Guadeloupe et la Martinique, il s agit (en l absence de chiffres fiables) d une estimation INRA. Pour la métropole, données IFIP Pour la Réunion, source : Coopérative des Producteurs de Porcs de la Réunion 5,6 Aliment vrac, Sources : Grands Moulins des Antilles, Martinique Nutrition Animale, Coopérative des Producteurs de Porcs de la Réunion, NC pour non communiqué. Ces chiffres moyens obtenus sur un nombre limité d élevages ne reflètent que partiellement la réalité et cachent une forte variabilité de performance entre les élevages. L augmentation du niveau technique des élevages passe d abord par l amélioration de l encadrement et de la formation des éleveurs et de leurs ouvriers. Ces formations doivent être adaptées à la diversité des modes d élevage des porcs répertoriés aux Antilles et doivent permettre de créer les conditions d une appropriation optimale des innovations que peuvent proposer la recherche et le développement. Des incitations «réglementaires» (limitation de la taille des élevages, gestion des rejets, etc. ) peuvent indirectement contribuer à améliorer le niveau technique des élevages. La Recherche, et notamment les résultats des travaux menés à l INRA, peut contribuer au développement de la production de porcs aux Antilles en proposant des innovations techniques adaptées au contexte local dans des domaines aussi divers que la réduction des coûts de production, la maitrise des rejets et leur traitement, et l adaptation des techniques d élevage et des animaux au climat tropical. 2 - Réduire les coûts alimentaires et limiter les rejets La maîtrise des coûts de production est cruciale pour le développement de la production de porcs aux Antilles. Cette maîtrise passe tout d abord par une amélioration de la productivité des truies (nombre de porcs engraissés/truie/an) qui est un enjeu fort en production porcine locale. Elle peut être obtenue notamment par l utilisation de bâtiments adaptés et une meilleure maîtrise de la conduite de la reproduction (détection des chaleurs, renouvellement et entretien des reproducteurs mâles et femelles, développement de l insémination artificielle, etc ). Une meilleure prise en compte des effets de l environnement climatique tropical peut également contribuer à augmenter les performances des porcs aux Antilles, et plus généralement dans les régions tropicales. La réduction des coûts alimentaires est également une piste pour une diminution du coût de production global car il représente en moyenne 60 à 70% du prix de revient de la viande de porc aux Antilles. Le critère «coût alimentaire» peut être Innovations Agronomiques 16 (2011),

63 D. Renaudeau et al. considéré comme une combinaison du coût de l aliment et de l efficacité alimentaire des animaux. D une part, la maîtrise et la sécurisation du coût de l aliment peuvent être envisagées en réduisant l utilisation dans les formules alimentaires des matières premières les plus onéreuses et/ou les plus sensibles à la volatilité des cours. L amélioration de l efficacité alimentaire (quantité d aliment pour produire un kg de croît) est possible via i) une amélioration de la formulation des aliments afin de mieux faire coïncider les apports nutritionnels avec les besoins de l animal selon son stade physiologique et ii) la sélection génétique. Les élevages hors-sol de porcs produisent des quantités importantes d effluents par unité de surface qui, lorsqu ils ne sont pas traités convenablement, peuvent être potentiellement polluants pour l environnement. Aux Antilles, de gros efforts doivent être réalisés pour mieux gérer les déjections porcines. Cette situation s explique principalement par une surface d épandage et/ou une capacité de stockage du lisier insuffisantes. La promotion de solutions de traitement des déjections de porc adaptées au contexte local est une des priorités à mettre en place pour le développement durable de l élevage de porcs aux Antilles. Des systèmes (séparateur de phase, bio fermenteurs, etc ) sont ou seront prochainement testés au centre INRA des Antilles et de la Guyane. L objectif de nos travaux est à terme de promouvoir une organisation à l échelle régionale basée sur le partage d outils collectifs de traitements. Ce type d organisation s adresserait aux agriculteurs qui ne peuvent pas valoriser les déjections au sein de leurs exploitations (par opposition aux systèmes polyculture-élevage ; Gourdine et al. 2011). Par ailleurs, la réduction des rejets est également une voie très intéressante pour réduire l impact environnemental des déjections de porcs sur l environnement. L amélioration de l efficacité alimentaire est un levier d action important pour réduire les rejets d éléments polluants (azote, phosphore ou métaux lourds) par les porcs. 2 1 Stratégies alimentaires Les aliments concentrés destinés aux porcs élevés aux Antilles contiennent de grandes quantités de céréales et de tourteaux de soja importés majoritairement d Europe. Les aides communautaires mises en place pour réduire les coûts liés à l éloignement des DOM 1 ne compensent pas totalement les frais de transport et de sur-stockage de ces matières premières. Ces surcoûts sont répercutés directement dans le prix de l aliment vendu aux éleveurs. D autres surcoûts inhérents à la taille du marché (faiblesse des volumes fabriqués/difficulté d avoir accès à des matières premières diversifiées et donc une moindre optimisation des coûts des formules alimentaires par rapport à la métropole) sont également des facteurs qui expliquent le prix élevé de l aliment pour bétail (Anonyme, 2009). La maîtrise des coûts alimentaires aux Antilles pourrait passer par l utilisation de matières premières importées moins onéreuses et ne rentrant pas ou peu en concurrence avec l alimentation humaine (notamment les céréales) et/ou la diminution de la part des matières premières importées au profit de produits disponibles localement. Un certain nombre de coproduits industriels des oléagineux et des céréales (tourteaux, sons, drèches) utilisables en alimentation animale sont maintenant disponibles en grande quantité sur le marché. Compte tenu de leur richesse en protéines, leur utilisation dans les formules alimentaires peut permettre de substituer une partie du tourteau de soja et réduire ainsi le coût de l aliment. Leur teneur en parois végétales, la présence éventuelle de mycotoxines, et l effet important du procédé de fabrication sur leur valeur nutritionnelle (notamment sur la teneur et digestibilité des acides aminés) peuvent constituer des freins pour une utilisation optimale dans l alimentation du porc. Cependant, le surcoût lié à l importation et au stockage d une plus grande diversité de matières premières doit être pris en compte dans le prix final de l aliment. 1 Régime spécifique d approvisionnement dans le cadre du Programme d Options Spécifiques à l Eloignement et à l Insularité (POSEI) 66 Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

64 Production de porcs en milieu tropical Tableau 2. Composition chimique et valeur énergétique du jus de canne à sucre et de la farine de banane comparativement au maïs. Jus de canne 1 Farine de banane 2 Maïs 3 Matière sèche (MS), % 19,3 87,0 86,4 Composition chimique, % MS Matières minérales 1,6 5,0 1,4 Protéines (N 6,25) 1,4 4,4 9,4 Sucres libres 81,6 2,1 1,9 Amidon _ 70,0 74,2 Valeurs énergétiques Energie digestible, MJ/kg MS 17,3 13,5 16,4 Energie métabolisable MJ/kg MS 17,2 13,2 16,0 % maïs D après Xande et al. (2010) 2 Farine de banane entière verte récoltée à 900 C/j d après Renaudeau et Marie Magdeleine (2010) pour la composition chimique et d après Le Dividich et al. (1978) et Pérez (1997) pour les valeurs énergétiques. 3 D après Noblet et al. (2003) L utilisation de matières premières produites localement peut aussi contribuer à réduire le coût alimentaire en diminuant l impact environnemental lié au transport des matières premières importées. Ces matières premières locales doivent cependant répondre aux contraintes de disponibilité et de qualité pour la fabrication industrielle d aliment. Si les régions tropicales possèdent une très grande variabilité de ressources locales valorisables par le porc, peu sont actuellement utilisables à l échelle industrielle. Des unités de production de 200 à 300 truies utilisant une alimentation à base de produits de la canne à sucre (jus ou mélasse) comme source d énergie ont été développées il y a une vingtaine d années avec succès dans la Caraïbe (Cuba, République Dominicaine) ou en Amérique Latine (Mexique) (Mena, 1987 ; Pérez, 1997). La rentabilité de ces systèmes demande à être réévaluée en fonction des contraintes économiques régionales actuelles. La canne à sucre présente l intérêt d avoir une conduite agronomique relativement simple et ayant peu d impact sur l environnement, d avoir un haut rendement à l hectare (60-70 t/ha aux Antilles, données de l année 2009 ; (Agreste, 2011)) et d être produite dans la plupart des régions tropicales. Le jus extrait des tiges a une valeur énergétique supérieure à celle du maïs (17,2 vs. 16,0 MJ EM/kg MS(Noblet et al., 2003; Xande et al., 2010)). Il peut donc constituer la principale source d énergie de la ration. Le jus de canne est composé essentiellement d eau, de sucres et de minéraux ce qui rend nécessaire la complémentation du régime avec une source de protéines pouvant éventuellement être riche en fibres (voir matières premières citées plus haut). La banane est la principale culture d exportation aux Antilles. Compte tenu des critères de qualité très stricts appliqués pour que la banane antillaise reste compétitive comparativement à la banane dollar, les écarts de triage constituent une partie non négligeable de la production qui n est pas exportée (environ 15%, soit T pour la Guadeloupe et la Martinique). La banane verte ou mûre constitue une bonne source d énergie pour le porc mais son ingestion par l animal est fortement limitée par sa forte teneur en eau (75 à 80 %). De plus, le problème de conservation de la banane fraîche est clairement un frein à son utilisation à grande échelle, sauf si l atelier de production est intégré au sein de l exploitation bananière (utilisation banane fraîche ou ensilage) (Gourdine et al., 2011). L utilisation de banane séchée transformée en farine pourrait être une alternative intéressante pour substituer une partie du maïs dans les aliments concentrés et offrir aux producteurs de banane antillais une voie de diversification de leur production. En considérant que l ensemble des écarts de triage puisse être séché, les Antilles pourraient produire environ 8000 T de farine de banane. Des études sont actuellement en cours dans le cadre d un contrat de recherche entre l INRA, les producteurs de banane de la Guadeloupe et les Grands Moulins des Antilles. Dans le contexte des Antilles, l utilisation des matières premières tropicales dans l industrie des aliments Innovations Agronomiques 16 (2011),

65 D. Renaudeau et al. composés est conditionnée à l amélioration des connaissances de leur valeur nutritionnelle (en fonction des modalités de récolte/traitement) et à la mise au point de nouveaux procédés technologiques permettant un traitement local de ces matières premières à un coût compétitif. D un point de vue économique, le prix d intérêt de ces matières premières locales devra être similaire voire inférieur à celui des matières premières importées pour pouvoir être intégrées dans les formulations des aliments industriels. En complément des approches «alimentaires» basées sur l utilisation de nouvelles matières premières, la réduction du coût alimentaire peut être obtenue en améliorant l efficacité de l utilisation des nutriments par l animal ce qui indirectement permet de réduire les rejets de polluants (azote, phosphore). Le développement de ces stratégies nécessite une très bonne connaissance à la fois de la valeur des aliments et des besoins des animaux. L émergence de ces stratégies d alimentation de précision est possible grâce au développement de tables de valeur des aliments (tables INRA-AFZ 2002, Evapig et des modèles de prédiction des besoins (InraPorc, Basés principalement sur des résultats obtenus à l INRA de Rennes, ces outils permettent à la fois d évaluer les conséquences d une stratégie nutritionnelle sur le coût alimentaire mais également sur les rejets des animaux (Dourmad et al., 2011). A titre d exemple, une approche peut consister à améliorer l'équilibre en acides aminés de la ration, ce qui permet de réduire sa teneur en protéines tout en apportant chacun des acides aminés indispensables en quantité suffisante pour répondre aux besoins protéiques de l animal. L utilisation des régimes à faible teneur en protéines a été testée aux Antilles en post sevrage, en engraissement et durant la lactation. Le tableau 3 résume les résultats obtenus chez le porc en croissance. Tableau 3. Conséquences de la réduction de la teneur en protéines de l aliment sur les performances des porcs Large White en croissance élevés en Guadeloupe 1 Régime Témoin (16,5% MAT) Expérimental (13,7% MAT) Différence 1 Acides aminés ajoutés 3 lys, thr lys, met, thr, trp Nb animaux _ Consommation d aliment, g/j NS Vitesse de croissance, g/j NS Indice de consommation, kg/kg 2,70 2,75 NS Taux de viande maigre, % 53,0 52,3 NS Rejets d azote, g/j % 1 Mesures réalisées à la plateforme tropicale d expérimentation sur l animal du centre INRA Antilles Guyane pour des porcs entre 45 et 100 kg de poids vif, avec le soutien financier de la société AjinomotoEurolysine (Renaudeau et al, données non publiées). 2 NS : les différences entre les deux régimes ne sont pas significatives (P > 0,05). 3 lys, met, thr, trp pour respectivement L-lysine HCL, D-L méthionine, L-thréonine, et L-tryptophane. 4 Estimations à partir d une teneur moyenne en protéines du gain de poids vif de 15,5 g/100 g de GMQ. Dans nos travaux, la réduction de 2,8% de la teneur en protéines n a pas de conséquences sur les performances en engraissement et sur la qualité de la carcasse mais elle entraîne une réduction de 25% des rejets d azote. Ces résultats confirment que la diminution de la teneur en protéines associée à une meilleure prise en compte des besoins en acides aminés est une solution efficace pour réduire les rejets des animaux (Dourmad et Henry, 1994). En pratique, une réduction de 2,6% de la teneur en protéines dans l aliment croissance unique commercialisé en Guadeloupe serait économiquement viable dans le contexte actuel des prix des matières premières 1 et pourrait ainsi contribuer à réduire 1 Estimation réalisée en se basant sur la composition de la formule porc unique de la gamme d aliments fabriquées par les Grands Moulins des Antilles (GMA) à base de maïs, tourteau de soja et d issues de blé (17,5% de protéines). Les prix de ces matières premières utilisés dans ce calcul correspondent aux prix moyens livrés à l usine pour les 3 premiers trimestres de l année 2011 (source GMA, septembre 2011). 68 Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

66 Production de porcs en milieu tropical significativement les rejets azotés des animaux. L utilisation d un aliment unique, qui est la conduite la plus fréquente aux Antilles, s accompagne cependant d un apport excessif de protéines en fin de croissance car au cours de cette période les besoins en acides aminés ont tendance à décliner. Cette stratégie de référence peut être améliorée en distribuant deux aliments à faible teneur en protéines pour les périodes de croissance (30-60 kg) et de finition (60-90 kg ; stratégie bi phase) ou en mélangeant progressivement deux aliments de composition différentes (correspondants aux besoins d un porc de 30 kg et de 90 kg) pour suivre au mieux l évolution des besoins au cours de la croissance et réduire ainsi au minimum le gaspillage de protéines (stratégie multi-phase). La simulation de l effet de ses stratégies à l aide du modèle INRAporc montre qu une alimentation bi phase ou multi-phase permet de réduire significativement le coût alimentaire (6-10%) et les rejets d azote (jusqu à 30%) (Dourmad et al., 2011). Il est important de noter que l utilisation de la stratégie multi-phase nécessite des équipements spécifiques (distribution automatisée de l aliment + trémie peseuse/mélangeuse) dont le coût n est pas pris en compte dans les simulations existantes. Une validation technico-économique de la stratégie multi-phase sera prochainement réalisée sur la plateforme tropicale d expérimentation sur l animal du centre INRA Antilles-Guyane. 2 2 Stratégies génétiques Les programmes de sélection génétique visant à améliorer l indice de consommation (quantité d aliment nécessaire pour faire 1 kg de croît) ou la consommation résiduelle (différence entre la consommation réelle et son estimation à partir des besoins d entretien et de croissance des animaux) permettent de réduire à la fois le coût alimentaire et les rejets. Nous pouvons citer par exemple, le programme de sélection divergente sur la consommation résiduelle chez les porcs réalisés à l INRA sur 7 générations (Gilbert et al., 2006). Tableau 4. Effet de la sélection sur la consommation résiduelle sur les performances des porcs en croissance élevés en Guadeloupe 1. CMJR+ CMJR- Différence 2 Nb. de porcs _ Consommation d aliment, g/j % Vitesse de croissance, g/j NS Indice de consommation, kg/kg 2,82 2,48-13% Rejets, g/j 3 Azote % Phosphore 6,2 3,8-39% 1 Mesures réalisées à la plateforme tropicale d expérimentation sur l animal du centre INRA Antilles Guyane pour des porcs entre 40 et 80 kg de poids vif (Résultats préliminaires ; Renaudeau et al. données non publiées) 2 NS : les différences entre les deux lignées ne sont pas significatives (P > 0,05). 3 Estimations à partir des coefficients de rétention moyens mesurés sur les CMJR+ et CMJR- parbarea et al. (2010) et en considérant une teneur en phosphore de 6 g/kg d aliment. Des animaux CMJR- (faible consommation résiduelle) et CMJR+ (forte consommation résiduelle) ont été importés en Guadeloupe pour en mesurer les performances dans nos conditions tropicales. La sélection sur la réduction de la consommation résiduelle aboutit à une réduction de l indice de consommation (-13%) sans conséquences sur les performances de croissance (Tableau 4). En pratique, cela représente une économie d environ 20% sur le coût alimentaire sur une phase classique d engraissement aux Antilles. La réduction des rejets d azote est une conséquence indirecte de la sélection sur une faible consommation résiduelle. En effet, cette sélection permet de réduire de 33% les rejets d azote et de 39% les rejets de phosphore (Tableau 4). L évaluation des conséquences de la sélection sur la consommation résiduelle sur des critères tels que les performances des truies Innovations Agronomiques 16 (2011),

67 D. Renaudeau et al. reproductives, la qualité de la viande ou les besoins des animaux est en cours 1 ce qui explique pourquoi, contrairement aux volailles, ce caractère n est pas encore introduit dans les schémas de sélection. 3 - Limiter les effets du climat tropical sur les performances des porcs Le développement de la production de porcs dans les régions tropicales s accompagne généralement de l importation d animaux sélectionnés pour leur performance de croissance et de reproduction en provenance d Europe ou d Amérique du Nord. L importation récente en Guadeloupe d une lignée sinoeuropéenne commerciale en est le parfait exemple. Si ce type d animaux présente un intérêt évident pour augmenter la productivité de l élevage, leurs performances dans un milieu tropical sont souvent décevantes par rapport à celles enregistrées dans les régions tempérées. Cette forte interaction entre la génétique et l environnement s explique fréquemment par le fait que le milieu tropical est très différent du milieu dans lequel les animaux ont été sélectionnés. Dans les régions tropicales, le climat est l un des principaux facteurs pouvant influencer les performances des animaux. L élévation de la température ambiante au-delà d un seuil de sensibilité variant selon le stade physiologique des animaux, se traduit directement par une réduction importante de l appétit et indirectement par une réduction des performances des animaux (Figure 1). En moyenne, la consommation d aliment chute lorsque la température ambiante dépasse 24 C pour des porcs de 45 kg et 20 C pour des truies en lactation (Renaudeau et al., 2010). Consommation d'aliment, g/j (-----) Température ambiante, C Vitesse de croissance, g/j (---) Figure 1. Influence de la température ambiante sur la consommation d aliment et la vitesse de croissance d un porc en croissance de 50 kg de poids vif (adapté de Renaudeau et al. 2010) En d autres termes, dans les conditions climatiques des Antilles, les truies en lactation et, dans une moindre mesure, les porcs en croissance, sont très fréquemment dans une situation de stress thermique. La forte humidité ambiante dans nos régions tropicales accentue les effets négatifs de la chaleur sur les performances des porcs. Ces dernières années, les travaux de l INRA et de ses partenaires ont contribué à mieux comprendre les effets du climat et à proposer des solutions pour améliorer les performances des animaux élevés au chaud. Pratiquement, des modifications dans la conduite d élevage et la sélection d animaux mieux adaptés à la chaleur sont les deux principaux leviers 1 Travaux réalisés dans le cadre d un projet ANR PigFeed (coordination : H. Gilbert) 70 Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

68 Production de porcs en milieu tropical d action pour limiter les effets de l environnement climatique sur la productivité des élevages des porcs dans les régions tropicales. 3 1 Modifications de la conduite d élevage La prise en compte des problèmes liés au climat doit se faire dès l implantation et la construction des bâtiments d élevage. Quelques règles simples doivent être respectées notamment pour optimiser la ventilation naturelle dans les bâtiments d élevage. Par exemple, il est généralement conseillé de raisonner l implantation d un bâtiment semi ouvert en fonction de l orientation des vents dominants et de concevoir une toiture (si possible isolée) suffisamment haute et équipée d un lanterneau pour faciliter la circulation de l air. Des équipements additionnels peuvent être ajoutés pour diminuer la température ambiante dans les bâtiments et/ou faciliter les pertes de chaleurs des animaux. Parmi ces dispositifs, les systèmes qui permettent de mouiller par intermittence des animaux (goutte à goutte, brumisation) sont considérés comme les plus efficaces dans nos conditions d élevage tropicales (Renaudeauet al., 2010). Les effets du climat sur les performances des porcs peuvent être accentués si l environnement sanitaire dans lequel les animaux sont élevés n est pas ou mal maîtrisé. Ainsi, nous avons montré qu une détérioration des conditions sanitaires (absence d une phase de nettoyage/désinfection entre deux bandes) a des conséquences significatives sur les performances de croissance des porcs élevés lors de la saison chaude aux Antilles (Figure 2) g/j -100 g/j Figure 2. Effet de la détérioration de l environnement sanitaire de l élevage sur les performances de croissance des porcs entre 35 et 70 kg de poids vif (24 porcs/traitement ; adapté de Renaudeau (2008). La modification de la conduite alimentaire est aussi une solution pour lutter contre les effets de la chaleur. La fréquence et l heure de la distribution d aliment doivent être raisonnées pour favoriser la prise alimentaire aux heures les plus fraîches de la journée. Compte tenu de l importance de l eau pour le métabolisme du porc notamment au chaud, il est nécessaire que les animaux aient accès à une eau de bonne qualité en quantité suffisante tout au long de la journée. Une restriction en eau entraîne le plus souvent une réduction de la consommation d aliment et une diminution des performances des porcs (Renaudeau et al., 2010). Les effets de la chaleur peuvent être en partie atténués via une modification de la composition de l aliment en compensant la réduction d énergie ingérée par l utilisation Innovations Agronomiques 16 (2011),

69 D. Renaudeau et al. d aliment plus concentrés (ajout de matières grasses) ou en formulant des régimes à faible extrachaleur (production de chaleur associée à l utilisation digestive et métabolique de l aliment). La réduction de l extra chaleur est généralement obtenue via une réduction de la teneur en protéines de l aliment. Les résultats disponibles dans la littérature montrent que l utilisation de ces solutions nutritionnelles a des effets limités sur les performances des porcs en croissance élevés au chaud (Renaudeau et al., 2008). En revanche, l utilisation de ce type d aliment permet d atténuer en partie les effets de la chaleur chez les truies en lactation en favorisant la consommation d énergie. Cette consommation accrue d énergie permet d augmenter la production de lait (aliments riches en lipides) ou de réduire la mobilisation des réserves corporelles de la truie (aliments à faible teneur en protéines) (Renaudeau et al., 2008). Pratiquement, le surcoût induit par l ajout de matières grasses ou la complémentation en acides aminés de synthèse dans les régimes à basse teneur en protéines peut rendre difficile l utilisation de tels aliments dans le contexte des Antilles où le coût alimentaire est déjà élevé. 3 2 Stratégies génétiques L amélioration du niveau de production des porcs au chaud pourrait être également obtenue via la sélection génétique d animaux adaptés au climat. L objectif des travaux menés actuellement à l INRA est à terme de fournir les outils pour rendre ce type de sélection possible. La sélection d animaux adaptés au chaud implique que les différences d aptitude à tolérer la chaleur aient une base génétique. L existence de différences d adaptation à la chaleur entre races (comparaison porc Créole/Large White) ou intra types génétiques semble confirmer cette hypothèse. Porcs en croissance Figure 3. Effet de la saison sur la consommation d énergie métabolisable (EM, exprimée en multiple des besoins d entretien) en fonction du type génétique et du stade physiologique (Renaudeau et al ; Gourdine et al. 2006). Par exemple, l effet de la saison sur la consommation d énergie est moins marqué chez les porcs Créole (CR) comparativement aux porcs LW et ce quel que soit le stade physiologique (Figure 3). Cette meilleure adaptation au climat tropical du porc CR est confirmée par les études physiologiques menées dans notre laboratoire. Par ailleurs, nos travaux montrent également que la température rectale (indicateur de l efficacité des mécanismes de thermorégulation) est un caractère moyennement héritable (Gourdine et al.,2007). Ce résultat suggère que la température rectale pourrait être utilisée comme un critère de sélection dans des schémas génétiques visant à améliorer l adaptation des porcs 72 Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

70 Production de porcs en milieu tropical à la chaleur. La sélection sur la réduction de la consommation résiduelle permet d obtenir des animaux énergétiquement plus efficaces (voir plus haut) qui, pour un même niveau de croissance, ont une production de chaleur significativement réduite (Barea et al., 2010). En théorie, les animaux à faible consommation résiduelle pourraient donc être bien adaptés à la chaleur. Cette hypothèse est en cours de validation dans notre station expérimentale. Les progrès récents en biologie moléculaire ont permis de produire des nouveaux outils (cartes génétiques, marqueurs moléculaires, etc..) qui aujourd hui ouvrent de nouvelles perspectives pour la sélection. Ces outils sont particulièrement intéressants pour les caractères (comme la tolérance à la chaleur) dont les phénotypes que l on peut mesurer sur les porcs prédisent assez mal la valeur génétique réelle des animaux (caractère difficile à mesurer avec précision, ayant une faible héritabilité, etc..). Actuellement, la recherche des zones du génome impliquées dans le déterminisme de l aptitude à tolérer la chaleur est en cours. Ces travaux visent à proposer à terme une sélection plus efficace assistée par marqueurs moléculaires. Ce travail a débuté en 2011 et repose sur un dispositif basé sur des croisements entre des porcs CR et LW. Conclusion Cet article montre à travers quelques illustrations comment des travaux réalisés à l INRA peuvent contribuer à produire des innovations pouvant participer au développement de la production de porcs aux Antilles et, plus généralement, dans les régions tropicales. Ces innovations ne sont pas des solutions «clés en main» et demandent à être adaptées aux différentes situations d élevage pour être réellement opérationnelles. La création récente d un institut technique devrait faciliter le transfert de ces innovations à tous les acteurs de la filière (y compris les petits éleveurs). Même si l augmentation de la productivité des élevages et la réduction des coûts de production restent des préoccupations majeures notamment aux Antilles, d autres questions comme la durabilité environnementale ou l acceptation sociale de la production de porcs deviennent le plus en plus importantes. Ces problématiques sont beaucoup plus complexes à étudier car elles demandent de prendre en compte beaucoup plus de critères et de facteurs. Sur ces sujets, nos travaux de recherche évoluent vers plus d interdisciplinarité, de démarches itératives et de co-construction avec l ensemble d acteurs de la filière. Références bibliographiques Agreste Guadeloupe: mémento régional 2 p. Agreste, La canne à sucre en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion. In Agreste Primeur, p. 4. Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire Anonyme, Etude des coûts d'approvisionnement en matières premières locales dans les DOM, de leur evolution et de leurs consequences sur les prix depuis le 1er janvier In (Ed. Bc Etude du CEROPA, cabinet Gressard Consultants, p. 7. ODEADOM. Barea R., Dubois S., Gilbert H., Sellier P., van Milgen J., Noblet J., Energy utilization in pigs selected for high and low residual feed intake. J. Anim Sci. 88, Delgado C., Rosegrant M., Steinfeld H., Siméon E., Courbois C., Livestock to 2020: The Next Food Revolution. Vision initiative food, agriculture, and the environment discussion Paper 28. In, pp International Food Policy Research Institute, Washington D.C. Dourmad J.Y., Henry Y., Influence de l'alimentation et des performances sur les rejets azotes des porcs.inraproductions Animales 7, Dourmad J.Y., Brossard L., van Milgen J., Noblet J., InraPorc, Evapig: des Modèles et des logiciels pour optimiser la nutrition des porcs et réduire les rejets. Innovations Agronomiques 12, Innovations Agronomiques 16 (2011),

71 D. Renaudeau et al. Ernatus H., Performance des entreprises dans une petite économie insulaire de la Caraïbe: cas de la Guadeloupe. Thèse de Doctaorat de sciences économiques. Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Galan F., Julien L., Duflot B., 2008a. Panorama des filières animales et typologie des systèmes d'exploitation avec élevage de Guadeloupe. In Programme "Réseaux de références" POSEI France, p. 63. Institut de l'élevage, IFIP, ITAVI, Chambre d'agriculture de Guadeloupe, IGUAVIE. Galan F., Traineau I., Julien L., Duflot B., 2008b. Panorama des filières animales et typologie des systèmes d'exploitation avec élevage de Martinique. In Programme "Réseaux de références" POSEI France, p. 63. Institut de l'élevage, IFIP, ITAVI, Chambre d'agriculture de Martinique. Gilbert H., Bidanel J.P., Gruand J., Caritez J.C., Billon Y., Guillouet P., Noblet J., Sellier P., Sélection divergente pour la consommation alimentaire résiduelle chez le porc en croissance : paramètres génétiques et réponses à la sélection. Journées de la Recherche Porcine 38, Gourdine J.L., Bidanel J.P., Noblet J., Renaudeau D., Effects of breed and season on performance of lactating sows in a tropical humid climate. Journal of Animal Science 84, Gourdine J.L., Bidanel J.P., Menendez-Buxadera A., Mandonnet N., Naves M., Renaudeau D., Estimation des paramètres génétiques de la température rectale chez la truie en lactation et relation avec les performances.journées de la Recherche Porcine 39, Gourdine J.-L., Renaudeau D., Xandé X., Régnier C., Anaïs C., Alexandre G., Archimède H., Systèmes de production valorisant des ressources locales en production porcine en milieu tropical. Innovations Agronomiques 16, Le Dividich J., Geoffroy F., Canope I., Chenost M., Utilisation des déchets de banane pour l'alimentation du bétail. Revue Mondiale de Zootechnie 20, Mena A., Sugar-cane juice as a substitute for cereal-based feeds for monogastric animals. World Animal Review 62, Noblet J., Bontems V., Tran G., Estimation de la valeur énergétque des aliments chez le porc. INRA Productions Animales 16, Pérez R., Feeding pigs in the tropics. FAO Animal Prodcution and Health Paper 132, Rome, 185 pages Renaudeau D., Effect of housing conditions (clean vs. dirty) on growth performance and feeding behavior in growing pigs in a tropical climate. Tropical Animal Health and Production 41, Renaudeau D., Giorgi M., Silou F., Weisbecker J.L., Effect of breed (lean or fat pigs) and sex on performance and feeding behaviour of group housed growing pigs in a tropical climate. Asian- Australasian Journal of Animal Sciences 19, Renaudeau D., Marie Magdeleine C., Evaluation de la compostion chimique des régimes de banane selmon leur stade de récolte en vue de l utilisation de la farinbe de banane dans l alimentation animale. Rapport de fin de contrat entre la SICA LPG et l INRA (document interne), 9 p Renaudeau D., Gourdine J.L., Silva B.A.N., Noblet J., Nutritional routes to attenuate heat stress in pigs. In Livestock and Global Climate Change, Hammamet, Tunisia, pp Renaudeau D., Collin A., Yahav S., de Basilio V., Gourdine J. L., Collier R.J., Adaptation to tropical climate and research strategies to alleviate heat stress in livestock production. Advances in Animal Biosciences 1, Renaudeau D., Gourdine J.L., St-Pierre N.R., A meta-analysis of the effect of high ambient temperature on growing-finishing pigs. Journal of Animal Science 89, Steinfeld H., Gerber P., Wassenaar T., Castel V., Rosales M., De Haan C., Livestock's long shadow. Environmental issues and options, FAO, Rome. 390p. Xande X., Regnier C., Archimede H., Bocage B., Noblet J., Renaudeau D., Nutritional values of sugarcane products in local Caribbean growing pigs. Animal 4, Zebus M.F., Alexandre G., Diman J.L., Paul J.L., Despois E., Phaeton E., Diversité des élevages porcins en Guadeloupe: première évaluation technico-économique. Journées de la Recherche Porcine 37, Innovations Agronomiques 16 (2011), 63-74

72 Innovations Agronomiques 16 (2011), Systèmes de production valorisant des ressources locales en production porcine en milieu tropical Gourdine J.-L. 1, Renaudeau D. 1, Xandé X. 2, Régnier C. 1, Anaïs C. 3, Alexandre G. 1, Archimède H. 1 1 : INRA, Unité de Recherches Zootechniques, UR143, Petit-Bourg, Guadeloupe 2 : EPLEFPA, Etablissement public local d enseignement et de formation professionnelle agricoles de la Guadeloupe, Baie-Mahault, Guadeloupe 3 : INRA, Plateforme Tropicale d Expérimentation Animale, UE2294, Petit-Bourg, Guadeloupe Correspondance : Jean-Luc.Gourdine@antilles.inra.fr Résumé La production porcine antillaise est assurée à la fois par des élevages spécialisés de type industriel et par des systèmes alternatifs dépendants fortement de la biodiversité disponible dans leur environnement. Ces derniers systèmes se caractérisent principalement par la présence de plusieurs productions (végétales et élevages) et ils sont des supports de l innovation, en matière de valorisation des ressources locales. Les travaux de l INRA et de ses partenaires sur l utilisation des ressources locales en production porcine peuvent contribuer au développement de la production en Martinique et en Guadeloupe. A partir des principaux acquis de l INRA sur la caractérisation des systèmes existants, de la valeur alimentaire des sources énergétiques (banane, canne-à-sucre, tubercules, racines) et des sources azotées (feuilles de tubercules et de racines, légumineuses), et la caractérisation du porc local, le porc Créole, des systèmes de production de porcs valorisant les ressources locales sont proposées. Mots-clés : ressources locales, biodiversité, porc, milieu tropical Abstract: Production systems valorizing local resources in pig production in tropical areas The pig production in the French West Indies is ensured by both types of farms: specialized industrial systems based on imported feed and breeds and alternative systems which are deeply dependent on biodiversity available in their environment. The latest systems are mainly characterized by the presence of several productions (vegetable and livestock) and they are carriers of innovation in valorization of local resources. The results from INRA and its partners on the use of local resources in pig production may contribute to the development of pig production in Martinique and Guadeloupe. Based on our knowledge of existing systems, nutritional value of energy sources (banana, sugar cane, tubers and roots) and nitrogen sources (leaves of root or tuber, legumes), and characterization of local pig breed, the Creole pig, we proposed some examples of pig production systems based on the utilization of local resources. Keywords: local resources, biodiversity, pig, tropical area Introduction Dans les régions tropicales comme les Départements Français d Amérique (DFA), la production porcine est assurée à la fois par des élevages que nous qualifierons de «spécialisés» de type industriel, reposant sur l utilisation d un nombre limité de races exotiques et d aliments importés, et par une grande diversité de petits élevages porcins appartenant à des systèmes agricoles mixtes où cultures et

73 J.L. Gourdine et al. élevages sont imbriqués (FAO, 2009). Ces petits élevages, que nous qualifierons de systèmes «alternatifs», sont des acteurs essentiels du développement rural, d un point de vue économique mais aussi social et culturel (Alexandre et al., 2010). Ils dépendent fortement de la biodiversité disponible dans leur environnement. Dans les régions tropicales, et singulièrement dans les DFA, il existe différentes ressources animales (FAO, 2007) et végétales (Preston, 2006), souvent peu exploitées. Par leur mise en valeur, notamment dans des ateliers de production porcine, ces ressources locales peuvent contribuer à l utilisation durable de la biodiversité. L objectif de cet article est de montrer sur la base des résultats des travaux de recherches menés par l INRA et ses partenaires, comment les ressources végétales et animales locales peuvent être valorisées dans des systèmes alternatifs de production de porcs. 1. Panorama des systèmes porcins valorisant les ressources locales dans les départements français d Outre-Mer Une diversité de systèmes de production Les DFA et plus généralement les régions tropicales, se caractérisent par une grande diversité de systèmes de production porcine. De ce fait, il est difficile de caractériser précisément les systèmes porcins valorisant les ressources locales. Néanmoins, on peut distinguer des caractères communs par opposition aux élevages porcins «spécialisés». Globalement, dans les systèmes utilisant les ressources locales, l atelier porcin est de petite taille (moins de 10 truies), et il ne constitue qu une des activités agricoles assurées par l exploitation agricole (EA), permettant d assurer un complément de revenu. Il convient de noter que contrairement aux élevages «spécialisés», le moteur principal de ces systèmes mixtes réside davantage dans l optimisation des productions végétales et animales présentes sur l EA, en améliorant les complémentarités entre les ressources végétales et les élevages (Dedieu et al., 2011), que dans l amélioration pure et simple des performances zootechniques. De ce fait, pour avoir une évaluation multicritère de ces types de systèmes de production porcine, il convient d évaluer l ensemble de l EA au lieu de se cantonner à un atelier en particulier. La Figure 1 illustre de manière schématique le fonctionnement d une exploitation agricole de type polyculture-élevage, où la partie végétale non commercialisée est valorisée par les animaux d élevage qui contribuent par leurs déjections à enrichir le sol et à réduire l apport d engrais. Des études de caractérisation des systèmes mixtes sont actuellement en cours dans le cadre d un partenariat INRA Lycée Agricole Chambre d Agriculture (Stark et al., 2010). Des enquêtes auprès des éleveurs en Guadeloupe ont montré que les élevages porcins correspondent à une diversité de type d éleveurs, de situations socio-économiques et d objectifs de production (Zébus et al., 2001 & 2005). Les systèmes porcins valorisant les ressources locales se différencient entre eux principalement par le nombre de truies et le système d alimentation (Tableau 1). Il faut souligner que la charge de travail et la valeur ajoutée présentées dans le Tableau 1 sont à relativiser en raison du faible nombre d élevages enquêtés. Comparés aux élevages de type industriel, ces systèmes sont détenus par des éleveurs non spécialisés qui s appuient sur la force de travail et les ressources de leur EA et de leur réseau de relations pour l approvisionnement en animaux (porcelets ou reproducteurs) et pour la commercialisation. En général, la conduite de la reproduction pour les naisseurs ou la gestion de l engraissement pour les engraisseurs sont programmées de manière à satisfaire au moins la demande de viande porcine aux alentours du mois de Juin et de Décembre. En comparaison aux porcheries «spécialisées», ces systèmes utilisent à la fois des races européennes comme le porc Large White, des races locales, comme le porc Créole ou des animaux croisés. Les performances zootechniques observées sont plus faibles que celles obtenues en système «spécialisé». Sur la base des données d enquête (Gourdine et 76 Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

74 Valorisation des ressources locales en production porcine al., 2010), le gain de poids moyen entre le sevrage et l abattage est environ entre 150 et 300 g/j. Les gains de poids moyen correspondants obtenus en systèmes «spécialisés» sont dans une fourchette de 400 à 700 g/j. Ces différences de production entre systèmes sont principalement liées à des logiques et objectifs de production différents. L une vise à produire en limitant les intrants par une optimisation globale de l EA dans laquelle l atelier porcin ne constitue qu un élément. L autre, le système «spécialisé», vise à une maximisation des performances des animaux. Figure 1 : Principe de fonctionnement d un système polyculture-élevage. Tableau 1 : Exemple de systèmes d élevages porcins identifiés en Guadeloupe, utilisant des ressources locales et comparaison avec l élevage spécialisé (adaptée de Zebus et al., 2005). Elevages spécialisés Elevages valorisant les ressources locales Elevage Elevage Engraisseur «banane «banane traditionnel produite» achetée» Nb exploitations enquêtées Nombre de truies 19 à 76 2 à 5 3 à 10 4 porcs/an Achats d aliments concentrés Elevé Moyen Faible Faible Alimentation locale Races Main d œuvre Valeur ajoutée Néant Européens 50 h / truie / an 480 /truie/an Bananes produites Européens ou croisés 160 h / truie / an 2740 /truie/an Bananes achetées Croisés 110 h / truie / an 1070 /truie/an Variées Croisés ou Créoles 125 h / 4 porcs/ an 152 /por c/an Au-delà des aspects économiques, les systèmes alternatifs contribuent au maintien de la biodiversité, de l agriculture familiale ou paysanne et de la valorisation des pratiques patrimoniales, support de l innovation. Par ailleurs, ces systèmes sont flexibles en raison de la multifonctionnalité des animaux Innovations Agronomiques 16 (2011),

75 J.L. Gourdine et al. (producteurs de viande, de fertilisants pour le sol, labour,..) et de la présence de plusieurs spéculations (Figure 1). Ces caractéristiques leur confèrent des qualités de résilience qui leur permettent d être moins sensible aux perturbations et de se pérenniser malgré des politiques de développement profitant davantage aux systèmes «spécialisées» (Alexandre et Mandonnet, 2011). Les demandes et les attentes de ces types d éleveurs vis-à-vis de la recherche sont nombreuses et diverses (Lebrun, 2009). Il peut s agir aussi bien des demandes d amélioration de la qualité de la carcasse ou de formulation de rations locales. Les ressources alimentaires utilisées Dans les systèmes utilisant des aliments locaux, les porcs sont principalement nourris avec les coproduits ou résidus de récolte non directement utilisés pour l alimentation humaine. Ce sont principalement les écarts de triage de banane, les résidus maraîchers, les fruits et la canne à sucre (Zebus et al., 2005 ; Gourdine et al., 2010). De fait, la composition de la ration à base de produits locaux n est pas constante. Elle est largement tributaire de la disponibilité, de la quantité et de la qualité des produits récoltés. Dans certains de ces systèmes, il peut donc avoir un caractère «saisonnier» de la ration. Ces aliments sont complémentés avec de l aliment de l agro-industrie (farine de riz ou aliments industriels complets) pour corriger les carences en protéines et en énergie. La part d aliment de l agroindustrie varie selon les capacités financières et les objectifs de production des éleveurs. Ainsi, la quantité de viande porcine produite dans ces élevages dépend de la qualité et de la quantité de nourriture fournie quotidiennement aux animaux et particulièrement de l investissement financier alloué à la complémentation alimentaire provenant de l agro-industrie. Dans les systèmes porcins antillais «spécialisés», l alimentation représente environ 60% des coûts de l entreprise (Ernatus, 2009). En revanche, la part de l alimentation commerciale étant moindre dans les systèmes alternatifs, les intrants pèsent moins sur la structure des coûts, contrairement à la maind œuvre (Tableau 1). Dans les élevages porcins «spécialisés», le besoin de recherche de solution pour réduire le coût alimentaire et l impact sur l environnement est important (Renaudeau et al., 2011). En revanche, dans les systèmes alternatifs, l enjeu majeur de l atelier d élevage est davantage dans l optimisation de l utilisation des ressources locales, permettant une réduction de la part des produits d importation dans l EA, tout en maintenant de bonnes performances zootechniques. Les travaux de recherche réalisés par l INRA permettent de proposer des sources d innovations permettant une meilleure valorisation des ressources locales, végétales et animales, en production porcine. 2. Potentialités des ressources végétales et animales locales Les ressources végétales locales Caractéristiques d une bonne ration alimentaire pour le porc Une ration journalière de qualité doit permettre de couvrir les besoins du porc en énergie (via les sources énergétiques), en protéines (via les sources azotées), en minéraux et vitamines pour que l animal se maintienne en vie (besoins d entretien) et pour assurer convenablement sa production (de lait pour la truie allaitante, de viande pour les porcs en croissance) ou sa capacité de reproduction (verrat et truie). De ce fait, une ressource alimentaire ne peut être appréciée qu au travers de sa complémentarité et des éventuelles interactions avec les autres ressources composant la ration. Caractéristiques des ressources végétales locales pour l alimentation porcine Il y a une diversité de ressources végétales disponibles dans les DFA, traditionnellement ou potentiellement valorisables par les porcs. On peut classer ces ressources en deux grandes familles, 78 Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

76 Valorisation des ressources locales en production porcine les sources énergétiques et les sources azotées. De nombreuses ressources fibreuses comme les légumineuses (ex. Leucanea vigna spp), les fourrages locaux (feuilles de manioc, de patate, de madère ou dachine, de murier Morus sp., de Trichanthera gigantea) sont disponibles en Guadeloupe et en Martinique. Ce sont potentiellement des sources azotées permettant de remplacer une partie du tourteau de soja, ou des farines de poisson dans l alimentation porcine (Regnier, 2011). Contrairement aux pois tropicaux, elles présentent l avantage de ne pas rentrer en compétition avec l alimentation humaine. En revanche, les feuilles et fourrages d arbres tropicaux ont l inconvénient de contenir de nombreux facteurs antinutritionnels (fibres insolubles et métabolites secondaires) qui réduisent fortement leur valeur alimentaire. L ingestion et la digestibilité de ces ressources s améliorent si un traitement technologique comme l ensilage ou le séchage est réalisé. Pour obtenir de bonnes performances de croissance comparables à celles obtenues avec des aliments commerciaux concentrés, les sources azotées locales comme les feuillages (feuilles de patate, de manioc ou de madère) ne suffisent pas. Il convient de complémenter avec un aliment concentré industriel qui permettra d apporter l énergie complémentaire et la protéine qui fait défaut. Par contre, les matières premières riches en énergie comme le jus de canne, la banane ou les racines de manioc ou tubercules de patates peuvent constituer la seule source d énergie de la ration, combinées avec une source de protéines de bonne qualité comme le tourteau de soja (Xandé, 2008 ; Regnier, 2011). En effet, en raison de son profil bien équilibré en acides aminés, le tourteau de soja est un complément en protéine idéal pour une bonne valorisation des ressources locales riches en énergie. En résumé, pour atteindre de bonnes performances avec une ration locale, tel qu un gain moyen de poids supérieur à 450 g /j, il est possible de substituer les sources énergétiques importées par les ressources locales, mais dans l état de nos connaissances, il est peu envisageable de remplacer totalement les sources azotées. De plus, le traitement technologique joue un rôle important en termes d amélioration de l ingestion de ces ressources locales mais il peut représenter un coût supplémentaire non négligeable. Tableau 2 : Exemple de rations à base de ressources locales étudiées à l INRA et performances observées chez des porcs engrais. Aliment de base Banane ensilée verte (Le Dividich et Canope, 1973) Banane ensilée mûre (Le Dividich et Canope, 1973) Banane verte (Le Dividich et Canope, 1973) Jus de canne + canne broyée (Xande et al., 2009b) Canne broyée (Xande et al., 2009b) Tubercule de patate broyé + farine de feuilles de patates (Regnier, 2011) Taux d incorporation de la ressource locale, % de sec Consommation moyenne journalière, kg/j Ressources locales, kg/j frais Totale, kg/j sec Type génétique et gamme de poids Gain moyen quotidien, g/j 47 3,9 1, ,3 2,0 Large White kg ,8 1, ,0 + 0,5 Créole 52 6,0 1, kg b 1,0 + 2, ,2 500 Innovations Agronomiques 16 (2011),

77 J.L. Gourdine et al. Les travaux sur l utilisation des ressources locales en alimentation porcine réalisés par l INRA (Tableau 2) ont porté principalement sur les produits frais, mais aussi sur leur conservation longue durée (plusieurs mois) en utilisant la technique du séchage (Regnier et al., 2010) ou de l ensilage (Le Dividich et Canope, 1973 ; Le Dividich et Geoffroy, 1973 ; Archimede et Garcia, 2008). Cependant, des informations sur la comparaison technico-économique et environnementale des performances des animaux entre l utilisation des aliments en frais, en sec ou ensilés manquent et sont indispensables. Du fait du réchauffement climatique et de l impératif de développer une agriculture durable, il devient important d apprécier l énergie consommée pour produire de la viande et son impact sur l environnement. Dans les systèmes porcins, une grande part de l énergie utilisée est consommée pour produire l aliment (pour la culture, la récolte, le transport et la transformation). A titre indicatif, en considérant la dépense énergétique liée au système alimentaire, avec un aliment commercial concentré de l agro-industrie, il faut consommer 14 MJ d énergie pour produire 1 kg de poids vif de porc Créole. La valeur correspondante dans un système alimentaire à base de jus de canne ou à base de banane est de moitié moins importante (respectivement 7 et de 8 MJ/kg de poids vif). Les races porcines locales Dans de nombreuses zones de la Caraïbe, d Amérique Centrale et d Amérique du Sud, les porcs d origine locale sont souvent appelés «Créoles», mais leur origine génétique est différente d un pays à l autre (Rinaldo et al., 2000). Le porc Créole de la Guadeloupe et de Martinique (Photo 1) est la résultante des croisements entre des porcs ibériques introduits lors de la colonisation européenne dès le XVI ème siècle et des porcs français (Lauvergne et Canope, 2000). Ces porcs espagnols ont été croisés au fil du temps avec diverses autres races importées, d abord avec les porcs Normands et Craonnais, et ensuite avec d autres races comme les races Large Black, Duroc, Large White, et Hampshire. Photo 1: Porcs Créoles en croissance élevés sur litière bagasse. En Guadeloupe, la population porcine Créole s élèverait à environ truies-mères (Rinaldo et al., 2003) et elle est en voie de disparition (FAO, 2007). En Martinique, à notre connaissance, la population porcine Créole a quasiment disparu. Le porc Créole est souvent dévalorisé du fait de sa productivité et son gain de poids moins élevés qu un porc amélioré. Le porc Créole élevé dans les systèmes alternatifs est souvent nourri avec une alimentation non équilibrée, à base de résidus agricoles (sous-alimentation qui est à l origine de la dénomination de «cochon planche» du porc Créole). Du fait de leurs plus faibles besoins d entretien qu un porc Large White (9,6 vs. 12,2 MJ/j en moyenne pour des porcs en croissance (Renaudeau et al., 2006)), les races locales sont moins exigeantes sur la valeur de la nourriture et sont plus aptes à valoriser les rations déséquilibrées. Néanmoins, en améliorant le système alimentaire, des progrès considérables peuvent être obtenus comme le suggèrent les différents travaux menés à l INRA (Canope et Raynaud, 1981 ; Renaudeau et al., 2003 ; Xandé, 2008 ; Regnier, 2011). En effet, dans de bonnes conditions alimentaires, il est capable d atteindre de bonnes performances (Tableau 3) relativement à un porc non sélectionné, avec des gains de poids entre le 80 Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

78 Valorisation des ressources locales en production porcine post-sevrage et l abattage de l ordre de 650 à 700 g/j, comparables aux races locales françaises comme le porc Gascon ou le porc Basque. Tableau 3 : Performances des porcs Créoles et des porcs Large White élevés en station expérimentale tropicale (INRA-PTEA) dans des conditions alimentaires non restrictives à base d aliment industriel concentré. Porc Créole Porc Large White Poids vif adulte des truies, kg Nombre de porcelets sevrés/truie productive/an 1 18,4 19,8 Nombre de porcelets sevrés par portée 1 7,6 8,4 Gain de poids, g/j² Indice de consommation² 3,2 2,6 Poids à l abattage, kg Age à l abattage, j Rendement de carcasse, % Taux de muscle, % 3 43,2 54,8 Poids carcasse, kg carcasse porc / kg de truie mère 4,5 4,6 1 Performances moyennes observées sur 47 truies Créoles et 207 truies Large White (Gourdine, 2006) 2 Performances de croissance observées sur 32 porcs Créoles entre 32 et 63 kg et sur 31 porcs Large White entre 45 et 94 kg (Renaudeau et al., 2003) 3 Performances de carcasse observées sur 32 porcs Créoles et sur 31 porcs Large White (Renaudeau et al., 2005) De nombreux travaux réalisés par le centre INRA des Antilles et de la Guyane ont permis de caractériser la qualité de la viande fraîche du porc Créole en comparaison du porc Large White (Deprès et al., 1992 ; Renaudeau et Mourot, 2007), ou la qualité de la viande fraîche ou transformée en jambon sec du porc Créole en comparant différents régimes alimentaires. Quels que soient les travaux, les indicateurs de qualité gustative du porc Créole (Tableau 4), à l image du porc ibérique, constituent un argument de poids pour le développement d un marché de niche. Tableau 4 : Qualité de la viande du porc Créole comparée au porc Large White (adapté de Renaudeau et al. (2005) et Xande et al. (2009a)). Porc Créole Porc Large White Qualité technologique Transformations (consistance) Conservation (oxydation) Qualité organoleptique: Flaveur Qualité nutritionnelle : profil en acides gras essentiels Le porc Créole est aussi bien connu pour sa tolérance à la chaleur. Cette meilleure adaptation aux conditions tropicales se caractérise en particulier par un seuil de sensibilité plus élevé à une brusque élévation de la température ambiante que pour le porc Large White (Renaudeau, 2005) et également une plus grande capacité à consommer de l aliment au cours des périodes les plus chaudes de la journée (Gourdine et al., 2006). Une expérimentation sur le déterminisme génétique de la tolérance à la Innovations Agronomiques 16 (2011),

79 J.L. Gourdine et al. chaleur chez le porc est en cours à l INRA. Ces recherches s appuient sur un dispositif expérimental utilisant à la fois des porcs Créoles et des porcs Large White. Plus généralement, le choix des animaux d élevage doit être en adéquation avec les systèmes d élevage en place. Le choix des races porcines à élever ne devrait pas seulement se baser sur des critères de productivité, mais aussi sur la qualité de la viande, la rusticité de l animal, la qualité maternelle de la truie ou le désir de maintenir la biodiversité, de préserver des caractères d'adaptation intéressants (Naves et al., 2011). 3. Optimiser le fonctionnement des systèmes de production porcine à base de ressources locales Les objectifs de production de l éleveur, et conjointement de son atelier porcin devraient être dimensionnés principalement selon la quantité de ressources locales disponibles sur son exploitation pour alimenter les animaux, sa capacité de travail, notamment pour la fabrication de la ration, et sa capacité financière pour l achat des intrants (complémentation énergétique et protéique, produits vétérinaires, technologies pour traiter les matières premières, animaux ). Pratiquement, la composition en matières premières de la ration formulée à la ferme n est pas constante, elle dépend de la disponibilité et de la quantité des ressources végétales disponibles à l instant considéré. Sans technique de longue conservation, pour avoir une ration locale en produits frais, de composition constante sur l année ou la période d engraissement, il faut utiliser des ressources locales disponibles en quantité sur toute l année ou sur toute la période d engraissement. C est le cas des ressources comme la canne à sucre, la banane, la patate ou le manioc. Par contre, ce n est pas le cas du fruit à pain, dont la quantité est variable avec deux à trois pic de production dans l année. Néanmoins, dans de nombreux systèmes, il existe des piliers culturaux, comme la canne à sucre (Gourdine et al., 2008) ou la banane (Fanchone et al., 2010), qui sont des banques d énergie pour les animaux. Les travaux réalisés à l INRA se sont notamment basés sur ces ressources pour proposer aux éleveurs des rations équilibrées à base de ressources locales. De ce fait, les études ont été conçues et réalisées de manière pragmatique, adaptées aux niveaux technologique et d intensification faible à moyen des EA telles qu elles existent dans les DFA. Les travaux ont porté principalement sur l utilisation des ressources en frais (banane), ou transformées par broyage (banane, canne à sucre, manioc), séchage (manioc, patate) ou ensilage (banane) (Figure 2). Les premiers travaux ont principalement porté sur la valeur alimentaire de ressources amylacées comme les racines (manioc) ou tubercules (patate, igname) et les performances des porcs nourris avec une ration à base de ces produits et d une complémentation en énergie et en protéines à base de tourteau de soja. Des travaux plus récents ont porté sur l utilisation de source énergétique comme la canne à sucre (Archimede et Garcia, 2008 ; Xandé, 2008), de la patate ou du manioc et sur les feuillages tropicaux comme complément en protéines (Regnier, 2011). Ces travaux ont permis dans un premier temps de caractériser la valeur alimentaire des ressources locales, dans un second temps de proposer des rations à base de produits locaux permettant de couvrir les besoins des animaux et finalement caractériser les performances des animaux nourris avec ces rations locales. Compte tenu des résultats déjà obtenus à l INRA, nous proposons de décrire des scénarii d utilisation de la banane fraîche et de la canne à sucre dans l alimentation animale du porc. Les travaux sur l utilisation de la canne à sucre (Archimede et Garcia, 2008 ; Xandé, 2008) ou la banane (Le Dividich et al., 1976) en alimentation animale ont été bien décrits. A notre connaissance, les éleveurs utilisant la canne à sucre pour nourrir le porc alimentent les animaux avec de la canne entière ou broyée. Cependant, pour obtenir de bonnes performances (gain de poids supérieur à 400 g/j), le jus de canne est préconisé, et il peut être la seule source énergétique de la ration et la base du système d alimentation à tous les stades de production de l élevage (Xandé, 2008). En se basant sur les performances des porcs observés à la Plateforme Tropicale d Expérimentation Animale de l INRA, on 82 Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

80 Valorisation des ressources locales en production porcine estime qu un hectare de canne à sucre d un rendement en matière fraîche de 70 tonnes/ha, permet d apporter la source énergétique de l alimentation de 2 truies Créoles suitées et de 1,4 truies Large White suitées. Figure 2 : Historique des ressources végétales tropicales pour l alimentation porcine étudiées à l INRA Dans le Tableau 5, le bilan estimé d un atelier engraisseur avec une alimentation à base de jus de canne est comparé avec celui d une porcherie avec une alimentation à base de banane verte fraîche ou avec une alimentation «conventionnelle» à base de céréales et de tourteau de soja. Un atelier engraisseur dépend des ateliers naisseurs ou naisseurs-engraisseurs pour l approvisionnement en animaux. Cependant, la conduite de l atelier est plus simple qu un atelier naisseur-engraisseur où la maîtrise de la conduite de la reproduction est primordiale pour la rentabilité de l atelier d élevage. Le type de production engraisseur semble convenir à des exploitations multi-ateliers, associant plusieurs espèces animales et végétales. Étant donné le faible nombre de données disponibles sur le coût du travail dans les systèmes alternatifs et la difficulté de caractériser ces systèmes riches en diversité (Stark et al., 2010), les valeurs présentées ne tiennent pas compte du coût de la main-d œuvre pour élever les animaux, mais uniquement du coût de la production de la ressource végétale. Il convient donc de prendre ces valeurs avec précaution, car la charge de travail est plus importante dans ce type de systèmes comparativement au système de type industriel (Zebus et al., 2005). Les simulations montrent qu en tenant compte du coût de production de la canne à sucre (entre 70 et 80 euros/tonne), la valorisation de la canne à sucre dans l alimentation porcine n'est économiquement pertinente que si la totalité de la biomasse disponible est valorisée (bagasse, tête de canne, litière). Autrement dit, l alimentation à base de canne à sucre est plus rentable s il existe dans l exploitation des ateliers de porcs et de ruminants, et une complémentarité entre espèces animales. Dans la ration à base de canne à sucre, la complémentation protéique est assurée par le tourteau de soja. Compte-tenu des prix actuels des ressources importées, nos calculs montrent que dans ces conditions, le coût Innovations Agronomiques 16 (2011),

81 J.L. Gourdine et al. alimentaire, hors charges de travail pour nourrir les animaux, est comparable au coût alimentaire observé avec une alimentation «conventionnelle», pour des performances de croissance similaires. Sur la base d un coût de production de 80 euros/tonnes et un rendement à l hectare de 70 tonnes de tiges de cannes, le coût alimentaire imputé à la canne à sucre est réduit de 30 %, si la bagasse et les têtes de canne sont utilisées pour nourrir des ruminants. Tableau 5 : Estimation du bilan technico-économique d une exploitation agricole pouvant engraisser 30 porcs. Aliment industriel Engraisseur Créole Ressource locale Banane Jus de verte canne fraîche Aliment industriel Large White Ressource locale Banane Jus de verte canne fraîche Surface de ressource locale correspondante (ha) 0,48 0,46 0,51 0,54 Consommation quotidienne d aliment/porc Ressource locale (kg frais) Tourteau de soja (kg frais) 5,2 0,35 6,0 0,32 5,0 0,63 6,0 0,56 Total (kg sec) 1,6 1,3 1,5 2,3 1,5 1,7 Performances Poids d entrée- sortie (kg) Gain moyen quotidien espéré (g/j) Coût financier de l aliment Coût alimentaire total pour engraisser un 52,3 42,8 21,6 85,0 54,0 32,8 porc ( ) Ressources locales 34,6 13,0 37,5 15,1 Tourteau de soja 8,2 8,6 16,5 17,7 Coût alimentaire du kg de croît post sevrage-fin engraissement ( /kg) 2 1,31 1,07 0,54 1,42 0,90 0,55 Bilan environnemental de production de l aliment Coût énergétique de la production totale d aliment pour engraisser un porc (MJ/kg vif) Aliment industriel et jus de canne : gain de poids observé dans les travaux réalisés à l INRA. Banane : gain de poids estimé à partir de l énergie digestible apportée par la quantité de banane quotidiennement consommée par un porc nourri à volonté (Le Dividich et al., 1976) et de la quantité de tourteau de soja correspondante permettant de satisfaire aux besoins. 2 Le coût alimentaire ne tient pas compte des coûts de main-d œuvre pour alimenter les animaux, ni du coût en eau de boisson. Le coût alimentaire est estimé en tenant compte du coût de production du jus de canne déduit de la valeur marchande du résidu (mélange bagasse tête de canne). On considère que le résidu à une valeur alimentaire de 0,4 UF pour alimenter les ruminants (comparativement à au prix de 70 euros d une botte de foin de 300 kg d une valeur alimentaire de 0,7 UF). 3 Le coût énergétique de la production d aliment a été estimé à partir du référentiel «PLANETE MASCAREIGNES» (Thevenot et al., 2011). Contrairement au jus de canne, la banane verte fraîche est à éviter pour les truies allaitantes, les porcelets sous la mère ou les jeunes porcs justes sortis du sevrage (Le Dividich et al., 1976). En effet, la banane verte ne permet pas aux rations d atteindre les densités énergétiques pour couvrir les besoins de la truie allaitante. Le porcelet peut souffrir de problèmes digestifs s il consomme une grande quantité de bananes (Archimède et al., 2011). D après nos calculs, il faut environ un demi-hectare de canne à sucre ou de banane pour engraisser 30 porcs (Tableau 5). Le coût de la banane a été estimé à partir du prix de vente des écarts de triage, qui est environ entre 0,10 et 0,14 euros/ kg de matière sèche de banane verte. Par conséquent, le coût du système alimentaire à base de banane peut être 84 Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

82 Valorisation des ressources locales en production porcine plus faible que les valeurs présentées, si l agriculteur produit des bananes et utilisent les écarts de triage pour nourrir ses porcs. Le coût de l aliment correspond alors au coût du complément azoté. Nos calculs montrent que dans un atelier d engraissement de porcs Créoles ou Large White (Tableau 5), le coût de production de l aliment à base de canne à sucre est supérieur au coût d une alimentation à base de banane (43 vs. 22 euros pour le porc Créole et 54 vs. 33 euros pour le porc Large White). Rapporté au kilogramme de croît, nos estimations montrent qu il est plus intéressant de nourrir des porcs Créoles que des porcs Large White avec de la banane. Inversement, il est plus avantageux de nourrir des porcs Large White que des porcs Créoles avec du jus de canne. Par ailleurs, il convient de noter que le coût énergétique de la production du système alimentaire à base de jus de canne ou de banane est environ deux fois inférieur à celui du système alimentaire industriel, en raison de la grande part du coût de production de la matière première et du transport maritime dans le coût énergétique de la production de l aliment par rapport coût lié au transport local. Conclusion Les systèmes de production porcine valorisant des ressources locales sont des systèmes mixtes où l objectif principal est l optimisation globale du système. La Recherche propose des solutions techniques permettant d augmenter les performances zootechniques des animaux, et par conséquent de contribuer à la rentabilité de l exploitation agricole. Cependant, des connaissances sont encore à acquérir, par exemple sur le coût énergétique de la transformation de ces ressources locales pour une meilleure conservation, sur la valeur économique et environnementale de la ration, sur la complémentation azotée à base de sources azotées tropicales disponibles localement, sur le besoin en main-d œuvre et les temps de travaux selon les différents itinéraires techniques proposés. La sauvegarde du porc Créole, menacé d extinction, passe nécessairement par le développement de système de production permettant de valoriser au mieux toutes les qualités du porc, notamment le meilleur goût de la viande et son aptitude à être transformée. Par ses qualités organoleptiques, le porc Créole peut contribuer au développement de la filière porcine via le développement de niches de production alternatives. Au-delà des aspects techniques, la recherche doit contribuer aux grands défis pour une meilleure valorisation de ces systèmes, en abordant des études de quantifications des performances technicoéconomiques et environnementales permettant d aboutir à une meilleure prise en compte des systèmes mixtes dans les schémas de développement et d accompagnement des agriculteurs Références bibliographiques Alexandre G., Mandonnet N., Résilience de l'animal et du système d'élevage: perceptions croisées du généticien et du zootechnicien sur la production caprine tropicale. In 48ème colloque de l'association de Science Régionale de Langue Française ASDRLF, Schoelcher - Martinique, pp Alexandre G., Garcia G.W., Rodriguez L., Sainton J., Museau H., Dedieu B., Tropical livestock farming systems, global framework and case studies at the biotechnical and decisional levels. Advances in Animal Biosciences 1, Archimede H., Garcia G.W., Guide d'utilisation de la canne à sucre et de ses coproduits en alimentation animale. INRA, Petit-Bourg. Archimède H., Gourdine J.-L., Fanchone A., Alexandre G., Marie Magdeleine C., Calif E., Fleury J., Anais C., Renaudeau D., Le bananier et ses produits dans l alimentation animale. Innovations Agronomiques 16, Canope I., Raynaud Y., Etude comparative des performances de reproduction, d'engraissement et de carcasse des porcs Créoles et large White en Guadeloupe. Journée des Recherches Porcines en France 13, Innovations Agronomiques 16 (2011),

83 J.L. Gourdine et al. Dedieu B., Aubin J., Duteurtre G., Alexandre G., Vayssieres J., Bommel P., Faye B., Conception et évaluation de systèmes d'élevage durables en régions chaudes. INRA Productions Animales 24, Deprès E., Tamisier F., Naves M., Rinaldo D., Comparaison de porcs Créole et Large White pour les performances de croissance et la qualité de la viande en fonction de l'âge de l'abattage. Journée des Recherches Porcines en France 24, Ernatus H., Performance des entreprises dans une petite économie insulaire de la Caraïbe. Le cas de la Guadeloupe. Thèse de Doctorat, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Fanchone A., Gourdine J.L., Diman J.L., Archimède H., Modelling the transformation from an intensive crop production to a mixed farming system: Integrating banana and ruminant production in the French West Indies. In SAPT, Guadeloupe, FAO, The State of the World s Animal Genetic Resources for Food and Agriculture. In (Ed. EbBRD Pilling.), p Rome. FAO, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. Le point sur l'élevage. (Ed. FAO), Rome. Gourdine J.L., Analyse des facteurs limitant les performances de reproduction des truies élevées sous un milieu tropical humide. Thèse de Doctorat, Institut national agronomique Paris-Grignon. Gourdine J.L., Lebrun A., Silou F., Investigaciones para evaluar diversidad en cerdos criollos de Guadeloupe. Revista Computadorizada de Producción Porcina 17, Gourdine J.L., Bidanel J.P., Noblet J., Renaudeau D., Effects of season and breed on the feeding behavior of multiparous lactating sows in a tropical humid climate. Journal of Animal Science 84, Gourdine J.L., Xandé X., Renaudeau D., González E., Bructer M., Archimède H., Exemple d un fonctionnement biotechnique d'un système culture-élevage à base de canne. In 4ème Rencontre Internationale Francophone de l'association Française de la canne à sucre, Guadeloupe, Lauvergne J.J., Canope I., Etude de quelques variants colorés du porc Créole de la Guadeloupe. Annales de Génétique et de la Sélection Animale 11, Le Dividich J., Canope I., Utilisation de la banane ensilée par le porc en croissance-finition. Premiers résultats. Bulletin Technique de Production Animale 4, 12a-17a. Le Dividich J., Geoffroy F., Conservation de la banane. Bulletin Technique de Production Animale 4, 9a-11a. Le Dividich J., Geoffroy F., Canope I., Chenost M., Utilisation des déchets de banane pour l'alimentation du bétail. Revue Mondiale de Zootechnie 20, Lebrun A., Enquête pour l'évaluation de la diversité génétique chez la race porcine Créole en Guadeloupe. Rapport de Licence 1 ère année. ENITA. Naves M., Alexandre G., Mahieu M., Gourdine J.-L., Mandonnet N., Les races animales locales : bases du développement innovant et durable de l élevage aux Antilles. Innovations Agronomiques 16, Preston T.R., Forages as protein sources for pigs in the tropics. CAB Reviews, Perspectives in Agriculture, Veterinary Science, Nutrition and Natural Resources 1, 10. Regnier C., Valorisation des ressources alimentaires tropicales (feuilles et tubercules) chez le porc. Thèse de Doctorat. Université des Antilles et de la Guyane. Regnier C., Bocage B., Archimede H., Renaudeau D., Effects of processing methods on the digestibility and palatability of cassava root in growing pigs. Animal Feed Science and Technology 162, Renaudeau D., Effects of short-term exposure to high ambient temperature and relative humidity on thermoregulatory responses of European (Large White) and Caribbean (Creole) restrictively fed growing pigs. Animal Research 54, Renaudeau D., Mourot J., A comparison of carcass and meat quality characteristics of Creole and Large White pigs slaughtered at 90 kg BW. Meat Science 76, Innovations Agronomiques 16 (2011), 75-87

84 Valorisation des ressources locales en production porcine Renaudeau D., Hilaire M., Mourot J., A comparison of growth performance, carcass and meat quality of Creole and Large White pigs slaughtered at 150 days of age. Animal Research 54, Renaudeau D., Bocage B., Noblet J., Influence of energy intake on protein and lipid deposition in Creole and Large White growing pigs. Animal Science 86, Renaudeau D., Hilaire M., Weisbecker J.L., Mourot J., Comparaison des performances de croissance, de carcasse et de qualité de la viande du porc Créole et Large White. Journées de la Recherche Porcine en France 35, Renaudeau D., Gourdine J.L., Fleury J., Archimède H., Innovations biotechniques de la production de porcs en milieu tropical. Innovations Agronomiques 16, Rinaldo D., Canope I., Christon R., El cerdo criollo de Guadalupe: una revision sobre la reproduccion, el comportamiento en crecimiento y la qualidad de la carne en relacion a las condiciones dieteticas. In La Habana, Cuba, pp Rinaldo D., Canope I., Christon R., Rico C., Ly J., Dieguez F., Creole pigs in Guadeloupe and Cuba : a comparison of reproduction, growth performance and meat quality in relation to dietary and environmental conditions. Pig News and Information 24, Stark F., Alexandre R., Diman C., Fanchone A., Alexandre G., Diman J.L., Intégration au sein des systèmes de type polyculture élevage en Guadeloupe: première caractérisation. In Rencontre Recherche Ruminants, pp Thevenot A., Vigne M., Vayssières J., Référentiel pour l'analyse énergétique et l'analyse du pouvoir de réchauffement global des exploitations d'élevage à la Réunion, rapport technique CIRAD, FRCA, ADEME, 33p. Xande X., Mourot J., Archimede H., Gourdine J.L., Renaudeau D., 2009a. Effect of sugarcane diets and a high fibre commercial diet on fresh meat and dry-cured ham quality in local Caribbean pigs. Meat Science 82, Xande X., Despois E., Giorgi M., Gourdine J.L., Archimede H., Renaudeau D., 2009b. Influence of Sugar Cane Diets and a High Fibre Commercial Diet on Growth and Carcass Performance in Local Caribbean Pigs. Asian-Australasian Journal of Animal Sciences 22, Xandé X., Valorisation d'aliments non conventionnels par une race locale dans un contexte de système d'élevage alternatif de type polyculture-élevage. Exemple de la canne à sucre valorisée par le porc Créole de Guadeloupe. Thèse de Doctorat, Université des Antilles et de la Guyane. Zebus M.F., Alexandre G., Diman J.L., Paul J.L., Despois E., Phaeton E., Diversité des élevages porcins en Guadeloupe: première évaluation technico-économique. Journées de la Recherche Porcine 37, Zébus M.F., Diman J.L., Deshagette S., Alexandre G., Entre tradition durable et modernité visible : la diversité de l'élevage porcin guadeloupéen, une richesse méconnue. CARREN. Lamentin, Guadeloupe, pp Innovations Agronomiques 16 (2011),

85 Innovations Agronomiques 16 (2011), Des techniques intégrées pour un élevage de ruminants productif et durable aux Antilles - Guyane Mahieu M., Arquet R.*, Coppry O.*, Alexandre G., Fanchone A., Naves M., Boval M., Mandonnet N., Fleury J.*, Archimède H. UR 143, INRA domaine Duclos, Petit-Bourg *UE 1294, INRA PTEA site de Gardel, Le Moule Correspondance : Maurice.Mahieu@antilles.inra.fr Résumé Les résultats des recherches menées depuis le milieu du siècle dernier en zootechnie permettent de proposer une approche bio-technique des systèmes d'élevage de ruminants qui fournit des éléments pour réaliser la meilleure adéquation entre les objectifs de production, les contraintes climatiques et sanitaires, les ressources végétales et animales mises en jeu dans le contexte Antillo-Guyanais. Bien que plusieurs options soient possibles en fonction du type de production et de la taille de l'élevage, la conception du système d'élevage doit en prendre en compte toutes les dimensions, qu'elles se rapportent à l'alimentation, à la santé, à la reproduction, ou aux choix génétiques. Mots-clés : Système d'élevage, parasite, reproduction, alimentation, pâturage, chargement, Abstract: Integrated management of productive and sustainable ruminant farming systems in the Antillo-Guyanese context The research works conducted since the middle of last century in animal production science make it possible to offer a technical approach to ruminant farming systems, which provides elements to achieve the best balance between production objectives, climate and health constraints, and plant and animal resources brought into play in the Antillo-Guyanese context. Although several options are possible depending on the type of production and the farm size, rearing system design must take into account all aspects related to feeding, health, reproduction, or breed choice. Keywords: Farming systems, parasite, reproduction, feeding, grazing, stocking rate Du piquet à l'élevage spécialisé, des structures très variées L'agriculture Antillo-Guyanaise se caractérise par de très nombreuses microstructures : 84, 86 et 91% des exploitations agricoles (EA) de Guadeloupe, Martinique et Guyane comptent moins de 5 ha de Superficie Agricole Utilisée (SAU), tandis que les EA de 35 ha et plus totalisent 17%, 39% et 48% de la SAU pour 1.6%, 1.9% et 1.1% du nombre total d'ea (RGA, 2000). Le nombre de petites EA a certainement diminué depuis le Recensement Général Agricole (RGA) de 2000, au profit de l'agrandissement des exploitations les plus actives ou de l'expansion urbaine, mais la situation en 2011 n'a pas radicalement changé. Une estimation de 2007 indique qu'environ 21% des EA en Guadeloupe et 48% en Martinique sont considérées comme professionnelles. Une grande majorité des EA sont en fait des EA de polyculture-élevage. Le taux de couverture du marché local est très difficile à préciser pour la viande de petits ruminants étant donnée l'importance de l'autoconsommation et des ventes directes par les circuits informels, il serait plutôt de l'ordre de 5 à 10%, mais la Guadeloupe produirait environ 50% de la viande caprine

86 M. Mahieu et al. consommée, en relation avec des aspects culturels forts comme les cérémonies hindouistes (Alexandre et al., 2008). Tableau 1 : Effectifs globaux résumés (Source Agreste 1 ) Guadeloupe Martinique Guyane Nombre total EA SAU (ha) Surface Toujours en Herbe (ha) EA avec bovins Cheptel bovin (nombre de têtes) EA avec ovins Cheptel ovin (nombre de têtes) EA avec caprins Cheptel caprin (nombre de têtes) Production de viandes (tonnes de carcasse, 2010) Viande bovine 2583,8 1125,4 365,5 Viande ovine 64,4 59,3 6,1 Viande caprine 151,3 14,4 2,7 Taux de couverture viande bovine 2009 (source ODEADOM 2 ) 38,2% 24,1% 19,9% Les statistiques disponibles sur les structures des élevages de ruminants sont moins détaillées que celles des EA dans leur globalité. On peut cependant considérer que, globalement, la répartition par taille de troupeau suit le même schéma que la répartition des EA par taille de SAU. Les travaux de l'institut de l'élevage sur la typologie des systèmes d'élevage confortent cette analyse. Les effectifs moyens des troupeaux bovins montrent une très large prédominance des petits troupeaux en Guadeloupe comme en Martinique (6,5 bovins en moyenne, dont 3 adultes), répartis dans près de 80% des EA. Le pâturage au piquet domine, et n'est remplacé par le pâturage en parcelles clôturées que dans le cas des troupeaux les plus importants (> vaches). L'élevage bovin Guyanais se distingue par une faible proportion des très petits troupeaux, et par la prédominance des élevages de grande taille, issus pour beaucoup du Plan Vert (plan gouvernemental de développement de l'agriculture et surtout de l'élevage bovin guyanais, lancé au milieu des années 1970). Les chargements animaux, de l'ordre de 5,3 ; 2,4 et 1,8 UBT/ha 3 pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, traduisent une utilisation plus ou moins intensive du pâturage et des ressources complémentaires (feuilles de canne, banane, surfaces non agricoles). En Guadeloupe, environ 40% des éleveurs de caprins sont engagés dans des pratiques d'intensification (compléments alimentaires, prophylaxie ) contre 60% plus traditionnels avec de très petits troupeaux, en pâturage au piquet (Alexandre et al., 2008 ; Gunia et al., 2010) ) UBT : Unité de Bétail Tropical -1 bovin 0.8 UBT 1 petit ruminant 0.2 UBT (tous âges confondus) 90 Innovations Agronomiques 16 (2011),

87 Techniques intégrées en élevage de ruminants Encadré 1 : Diversité des objectifs, unicité des mécanismes biologiques Les objectifs des petits éleveurs de bovins comme de petits ruminants (détenteurs ou double-actifs) ne sont sans doute pas orientés vers la satisfaction d'un marché comme peuvent l'être ceux des éleveurs et agriculteurs professionnels, mais plutôt motivés par des possibilités d'épargne facilement mobilisable en cas de besoin, ou d'autoconsommation lors d'évènements familiaux ou cultuels. Ces éleveurs ont un accès très limité aux informations et formations techniques, de même qu'aux structures professionnelles. Il n'en demeure pas moins que les mécanismes biologiques mobilisés par les petits éleveurs ou par les éleveurs professionnels sont fondamentalement les mêmes, seules les solutions techniques doivent être adaptées à chaque situation. Tableau 2 : Typologie des systèmes d'élevage bovin de Guadeloupe, Martinique et Guyane (Duflot et al., 2007 ; Traineau et al., 2007 ; Galan et al., 2009) Effectif vaches Production Viande (% du total du département) Mode d'alimentation principal Mode de reproduction Monte naturelle (MN) Insémination artificielle (IA) Catégorie Guadeloupe <3 vaches ~50% ~30% piquet MN (IA) "détenteurs" 3-9 vaches ~20% ~30-35% piquet MN (IA) Double-actif naisseursengraisseurs vaches ~25% ~25-30% Piquet ou pâturage clôturé MN (IA) Cultivateurs naisseursengraisseurs 20 vaches et plus ~5% ~5% pâturage clôturé MN (IA) Éleveur naisseur spécialisé Martinique <5 vaches ~50% ~30% piquet IA (MN) "détenteurs" 5-20 vaches ~25-30% ~15-20% Piquet ou pâturage clôturé IA (MN) Cultivateurs naisseursengraisseurs - - ~15% pâturage clôturé ou stabulation - Cultivateurs engraisseurs vaches ~15% ~20% pâturage clôturé MN Éleveurs naisseurs ou naisseursengraisseurs s >80 vaches ~15% ~20% pâturage clôturé MN Herbagers 9-45 vaches ~2%? pâturage clôturé IA ou MN Éleveurs laitiers Guyane <5 vaches ~15% ~10% piquet MN (IA) "détenteurs" 5-20 vaches ~7% ~10% Piquet ou pâturage MN (IA) Petits éleveurs clôturé 20 vaches et plus ~80% ~80% pâturage clôturé MN (IA) spécialisé Innovations Agronomiques 16 (2011),

88 M. Mahieu et al. Les apports de la Recherche au développement de l'élevage des ruminants Dans un contexte général de hausse du prix des ressources d'énergie fossile et des produits dérivés (machines, transports, engrais, eau d'irrigation, etc.), et d'une forte demande de produits locaux, les élevages ont donc une carte importante à jouer pour accroître leur part de marché et leur participation à la sécurité alimentaire des Antilles et de la Guyane. Ceci passe par des choix stratégiques d'organisation collective, et par des choix de système d'élevage permettant de s'adapter aux évolutions de prix et de disponibilité des intrants, aux évolutions réglementaires, pour une meilleure valorisation des ressources fourragères locales. Depuis le milieu du siècle dernier, l'inra et les autres organismes de Recherche et Développement ont jeté les bases des connaissances nécessaires à un élevage de ruminants plus efficace et travaillent à les mettre à disposition des éleveurs Antillo-Guyanais, pour leur permettre de construire des systèmes d'élevage mieux adaptés à leurs objectifs et plus durables. La plupart de ces techniques ont été testées "grandeur nature" et sont utilisées en routine dans les élevages expérimentaux de l'inra en Guadeloupe (Plateforme Tropicale d'expérimentation sur l'animal) qui servent aussi de plateformes de démonstration très visitées par les éleveurs. On peut définir un système d'élevage comme un ensemble de moyens en interaction choisis et pilotés par l'éleveur dans un contexte sociétal défini (réglementation, contraintes d'ordre économique ) illustré par la Figure 1. Ces moyens sont des ressources animales et végétales, soumises à des contraintes environnementales, physiques (climat ) et biologiques (pathogènes ). Par pilotage on entend l'ensemble des choix (génétique animale, type de production ) et des actions techniques décidées et mises en œuvre par l'éleveur, pour réaliser ses objectifs. Figure 1 : Schéma général des systèmes d'élevage 1 Ajuster les besoins du troupeau aux ressources disponibles Les systèmes d'élevage de ruminants visent pour l'essentiel à transformer une ressource végétale de faible valeur économique, l'herbe, pour produire de la viande, du lait, des animaux vivants ou du travail avec une valeur ajoutée permettant de rémunérer le travail et les investissements consentis. 92 Innovations Agronomiques 16 (2011),

89 Techniques intégrées en élevage de ruminants Ces animaux doivent trouver dans les ressources végétales disponibles les nutriments nécessaires à leurs besoins vitaux de base (entretien) et à leur production. Or, si en première analyse on peut considérer les besoins d'entretien comme stables et directement fonction de la taille de l'animal, ses besoins de production peuvent beaucoup varier en fonction de son niveau de production : stade de gestation ou d'allaitement (Figure 2), taille de la portée pour les femelles reproductrices, vitesse de croissance pour les jeunes Profil des besoins alimentaires des vaches allaitantes sevrage (n - 1) adapté d'après M. Petit, 1988 vêlage fécondation sevrage Figure 2 Variation des besoins alimentaires du couple femelle allaitante jeune au cours du cycle de reproduction (exemple vache veau), d'après Petit (1988) Besoins alimentaires veau lactation gestation Besoins d'entretien Mois par rapport au vêlage Le premier axe de pilotage consiste donc à réaliser l'adéquation entre les besoins et les ressources disponibles. Deux approches complémentaires et non exclusives sont possibles Adopter des mesures d'ordre agronomique pour augmenter la production fourragère pendant les périodes déficitaires, ou reporter les excédents saisonniers vers ces périodes. La majeure partie des élevages Antillo-Guyanais se situent dans des zones à saison sèche plus ou moins marquée. La disponibilité en eau du sol est le premier facteur limitant de la production fourragère. La Figure 3 illustre cette variabilité au cours de l'année et d'une année sur l'autre, pour l'est Grande Terre (Guadeloupe). Il faut un m 3 d'eau pour produire environ 2,5 kg de matière sèche de graminée du type Digitaria. En conditions hydriques et de nutrition minérale non limitantes, l'énergie solaire disponible (rayonnement global) détermine alors la quantité d'eau que le fourrage peut utiliser, donc la production fourragère maximale pendant une période donnée. Pendant la saison sèche la production fourragère peut être très faible pendant plusieurs mois consécutifs, ce qui peut causer des pertes de production, voire des mortalités importantes (sécheresse des années en Martinique, par exemple). Plusieurs stratégies permettent d'adapter le système d'élevage pour limiter l'impact des périodes sèches. Ainsi l'irrigation des pâtures en période sèche, combinée avec une fumure adaptée, peuvent permettre une augmentation importante du chargement (x 3 environ) et des performances individuelles (x 1.5 environ), ainsi qu'une diminution du gaspillage fourrager en saison humide (Mahieu, 1991). Cette Innovations Agronomiques 16 (2011),

90 M. Mahieu et al. technique requiert cependant des investissements importants, n'est pas disponible partout et présente les deux inconvénients majeurs : i) de dépendre de ressources en eau pouvant faire défaut pendant les années les plus sèches (ex 1998 en Martinique, en Guadeloupe) et ii) de favoriser directement et indirectement le parasitisme gastro-intestinal par les effets d'un microclimat toujours humide (Gruner et al., 1989), et de l'augmentation du chargement donc de la contamination des pâturages (Aumont et al., 1991). Distribution des productions fourragères permises par la pluie (t/ha) tms/ha/mois Production potentielle permise par l'énergie solaire rectangles : Production atteinte une année sur deux tirets au dessus des rectangles : Prod. atteinte une année sur quatre tirets au dessous des rectangles : Prod. atteinte une année sur quatre Production de mois exceptionnellement secs ou humides Figure 3 Variabilité sur une vingtaine d'années de la productivité des pâturages dans les zones à saison sèche marquée (exemple de la zone du Moule, Guadeloupe) J F M A M J J A S O N D Mois Gardel, L'exploitation de ressources complémentaires au pâturage, comme la canne à sucre, à l'optimum de sa production d'énergie par ha pendant la saison sèche est aussi une alternative intéressante, dès lors qu'une complémentation protéique et minérale adaptée est apportée (Archimède et al., 2011b). Cette culture traditionnelle aux Antilles est généralement bien maîtrisée, et peut être optimisée dans le cadre d'exploitations mixtes comportant de l'élevage et une sole cannière, la production de cette dernière non utilisée par les animaux pouvant être valorisée en sucrerie ou distillerie. Des broyeurs à canne adaptés aux exploitations de petite taille sont disponibles et le niveau global d'investissement reste modéré. Des simulations (Archimède et Garcia, 2008) montrent que le déficit fourrager d'une saison sèche de 5 mois peut être compensé par la production de canne établie sur l'équivalent de 20% de la surface consacrée au pâturage. La banane (fruits et feuilles) peut aussi être utilisée dans l'alimentation des ruminants (Archimède et al, 2011a). Les reports fourragers sous forme de foin ou de balles rondes enrubannées (Xandé, 1978 ; Artus et Champanhet, 1987 ; Bereau et al., 1995) peuvent aussi permettre de mieux gérer la ressource fourragère. Les investissements en matériels spécialisés sont cependant élevés et ne sont amortissables que si des tonnages importants sont récoltés, soit sur des exploitations de grande taille telles qu'on en rencontre en Guyane et dans une moindre mesure en Martinique, soit dans le cadre d'entreprises prestataires ou de groupements d'éleveurs (coopératives, CUMA ). Les reports 94 Innovations Agronomiques 16 (2011),

91 Techniques intégrées en élevage de ruminants fourragers se développent de plus en plus dans les élevages (depuis une bonne quinzaine d'années en Martinique et Guadeloupe), de même plus récemment que l'utilisation de canne à sucre comme ressource fourragère. Encadré 2 : Élevage au piquet ou en parcelles clôturées? Bien qu'il soit relativement exigeant en main d'œuvre, le pâturage au piquet permet d'exploiter des ressources exigües ou précaires, facilite la surveillance quotidienne et les manipulations des animaux, et minimise les investissements requis (Mahieu et Boval M., 2002 ; Boval et Naves, 2011). Pour les élevages de petite taille, c'est la seule alternative au système d'affouragement à l'auge. Correctement organisé, il permet une gestion efficace de la qualité et de la quantité du fourrage offert comme des risques d'infestation parasitaire (axe 3, voir infra). Il permet aussi une complémentation alimentaire individualisée si les ressources pâturées sont insuffisantes. Pâturage tournant ou pâturage continu? En bovins, le pâturage à 3 semaines de repousse permet la production animale la plus importante, suivi par le pâturage continu et enfin le pâturage à 4 ou 5 semaines de repousse. Les investissements en clôtures doivent donc être raisonnés en conséquence (Mahieu et Boval, 2002). En petits ruminants, le pâturage continu et le pâturage tournant à moins de 4 semaines de repousse ne sont pas recommandés à cause des risques accrus de transmission des parasites gastro-intestinaux (Figure 5) Choisir le type de produit animal et adapter la conduite Choisir le type de produit (naisseur, naisseur - engraisseur, engraisseur ) et / ou adapter la conduite du troupeau via la maîtrise de la reproduction et jouer sur les capacités des femelles reproductrices à mobiliser leurs réserves corporelles permet de faire coïncider les périodes de fort besoin aux périodes de forte disponibilité des ressources. Ainsi en bovins, des mises bas de début de saison humide (juin - juillet aux Antilles) correspondent à des saillies de septembre - octobre, et permettent le sevrage des veaux en décembre - janvier, soit en début de période sèche. En petits ruminants, la même stratégie demande des luttes de janvier - février. Pour les deux types de ruminants, ces périodes de mise en reproduction sont contraignantes et peuvent aboutir à de mauvaises performances si les femelles ne sont pas adaptées, sensibles à la chaleur dans le cas des bovins (Gauthier et Thimonier, 1985), saisonnées dans le cas des petits ruminants (Chemineau et al., 1991). Une fois le profil des besoins du troupeau adapté au profil des ressources alimentaires, l'éleveur doit ajuster le chargement animal au niveau de ces ressources alimentaires. Des travaux déjà anciens (Jones et Sandland, 1974) montrent en effet que si on part d'un chargement très faible, tant que les ressources alimentaires sont excédentaires, les performances animales individuelles sont certes maximales, mais la productivité de chaque unité de surface est faible et proportionnelle au nombre d'animaux présents. Si on augmente le chargement au-delà, les animaux doivent faire face à une diminution relative de leur alimentation par rapport à leurs besoins, et la part disponible pour la production individuelle diminue linéairement jusqu'à arriver à un chargement maximum (Max sur la Figure 4) où seuls les besoins d'entretien sont assurés, et les productions individuelles et globales deviennent nulles. Entre ces deux extrêmes, la production globale continue à croitre avec le chargement malgré la diminution déjà sensible des productions individuelles, jusqu'à plafonner pour un chargement d'environ la moitié du chargement maximum (Max/2), puis décroit jusqu'à s'annuler (Figure 4). Tout l'art de l'éleveur consiste donc à piloter son chargement pour se situer entre la zone de production individuelle maximale et celle de production à l'hectare maximale. En deçà, le pâturage est sous-exploité, et très sensible à l'embroussaillement. Au-delà, le pâturage est surexploité, et le système Innovations Agronomiques 16 (2011),

92 M. Mahieu et al. est fragilisé vis-à-vis de tout incident climatique ou autre entraînant une diminution de la ressource fourragère. Enfin il convient d'évoquer l'utilisation d'aliments concentrés qui, outre l'augmentation potentielle du chargement, peut avoir des effets très importants sur la vitesse de croissance des jeunes ruminants, et sur la qualité des carcasses obtenues (Alexandre et al., 2009). souschargement Relation chargement - production animale (d'après Jones et Sandland, 1974) Gain individuel Gain à l'ha chargement optimum sur-chargement = surpâturage Figure 4 Effet du chargement sur les performances animales individuelles et sur la production à l'hectare Production Max/2 Chargement Max Encadré 3 : Gérer le chargement Concrètement, quels sont les moyens dont dispose l'éleveur pour gérer le chargement de son élevage? Ces moyens sont surtout empiriques et reposent sur l'observation des pâturages, du comportement du troupeau, de l'état corporel des femelles et son évolution au cours du cycle de reproduction, et de la vitesse de croissance des jeunes. Ainsi, pour un éleveur pratiquant un pâturage tournant sur 5 parcelles, chaque parcelle pâturée pendant une semaine, si le troupeau a tout consommé, ne pâture plus et réclame ou tente de changer de parcelle dès le 5 ème jour, cela signifie qu'il manque l'équivalent de 3 jours de pâturage sur 7. Il faudrait donc soit trouver des ressources complémentaires pour combler ce déficit, soit diminuer le troupeau d'environ 3/7 èmes. Des pâturages toujours ras et des reproductrices toujours maigres, incapables de reprendre du poids en fin de lactation début de gestation (note d'état corporel entre 1 et 2, des taux de mise bas faibles (<80%, ou intervalles entre vêlage supérieurs à 15 mois) sont aussi le signe d'un chargement probablement excessif. 96 Innovations Agronomiques 16 (2011),

93 Techniques intégrées en élevage de ruminants 2 Choisir le type d'animaux adapté aux objectifs et aux contraintes du système d'élevage. Le second axe de pilotage consiste à choisir parmi les ressources animales disponibles, celles qui sont les mieux à même de transformer la ressource végétale en produits valorisables. Quel type d'animal peut produire dans un système d'élevage caractérisé par des contraintes alimentaires saisonnières, des contraintes climatiques (Berbigier, 1983 ; Berbigier et Sophie, 1986 ; Bernabucci et al., 2010) et parasitaires (Gruner et al., 2003)? Par exemple, des études sur la reproduction des ovins ont montré que les moutons créoles (à l'origine de la race Martinik) sont capables de se reproduire toute l'année, alors que la plupart des races "améliorées" d'origine tempérées restent saisonnées (Chemineau, 1983 ; Chemineau et al., 1991). Ainsi, depuis les années 1980, et moyennant une alimentation suffisante pendant les périodes sèches, les éleveurs de mouton Martinik obtiennent couramment trois mises-bas en deux ans avec trois périodes de lutte par an, ce qui permet un approvisionnement du marché tout au long de l'année. Des critères importants comme la prolificité peuvent aussi être fortement dégradés pour des animaux sélectionnés dans d'autres régions, et ceci même s'ils sont seulement utilisés en croisement. En Martinique la prolificité de brebis croisées Lacaune x créole s'est montrée inférieure à celle des brebis créoles (1,13 vs 1,80) mais aussi à celle des brebis Lacaune dans leur zone d'origine (Mahieu et al., 2004). Des vaches d'origine tempérées se reproduisent difficilement en période chaude (Gauthier et Thimonier, 1985), ce qui aux Antilles ne permettra pas des mises bas en début de saison des pluies, d'où des coûts alimentaires plus élevés en saison sèche, quand les besoins sont encore importants. En cas de renchérissement des intrants, l'élevage de tels animaux sera considérablement plus fragile que celui de races adaptées aux conditions environnementales. Or les ressources animales ne peuvent être disponibles que si elles sont transmises et renouvelées en permanence, d'où l'interdépendance entre éleveurs et l'importance d'une prise en charge collective de ces ressources, d'autant plus qu'elles sont localisées et d'effectif restreint (Labatut, 2011). Certaines de ces populations animales locales font déjà l'objet de schémas d'amélioration qui permettent de structurer les élevages et d'augmenter leur productivité (Naves et al., 2009 ; Gunia et al., 2010). Outre son appui scientifique et technique aux programmes de sélection mis en place dans les DOM, l'inra étudie aussi l'intérêt des nouveaux outils de la génomique pour la sélection dans ces petites populations. Ces aspects sont développés par Naves et al. (2011). 3 - Prendre en compte les contraintes sanitaires dans la conception du système d'élevage Enfin le 3 ème axe consiste à intégrer la gestion de la santé des animaux dans le pilotage du système d'élevage. En particulier, les petits ruminants sont sensibles au parasitisme par les nématodes gastrointestinaux (NGI), qui provoque des pertes importantes par mortalité et diminution de la croissance (Aumont et al., 1997). Depuis une cinquantaine d'années, des anthelminthiques bon marché et faciles d'emploi ont été produits et largement utilisés pour contrôler ce parasitisme, via des traitements systématiques très fréquents, généralement mensuels sur les jeunes, bi- ou trimestriels chez les adultes. Malheureusement cette politique a conduit à la sélection de populations de parasites résistant à une, puis deux, parfois même trois familles de médicaments. Dans certains pays, l'élevage des moutons a dû être abandonné, les parasites résistant à tous les médicaments disponibles sur le marché (Van Wyk, 2006), et de nombreux indices montrent que la situation aux Antilles est assez préoccupante. La conception même du système d'élevage doit donc intégrer la prise en compte du parasitisme suivant trois grandes directions : diminuer la probabilité de rencontre hôte parasite, accroitre les défenses de l'hôte, et n'utiliser les médicaments qu'en dernier recours (Mahieu et al., 2009). Les connaissances acquises en épidémiologie des nématodes gastro-intestinaux (Aumont et al., 1991) et sur la gestion de la valeur alimentaire des pâturages (Cruz et al., 1989 ; Archimède et al., 2000) Innovations Agronomiques 16 (2011),

94 M. Mahieu et al. permettent ainsi de préciser l'organisation du pâturage tournant pour un meilleur compromis entre le risque d'infestation par NGI et la valeur du fourrage disponible : séjour sur une parcelle donnée limité à une semaine, quatre semaines de repousse entre deux passages de petits ruminants (Figure 5). L'association des petits ruminants avec des bovins permet une diminution de leur charge parasitaire. Les parasites des deux types de ruminants sont très spécifiques de leur hôte. Comme le chargement de chaque hôte est plus faible, les larves parasitaires sont disséminées sur une surface plus importante et une partie de ces larves est ingérée par l'espèce non - hôte, qui l'élimine. Ainsi des travaux récents montrent que des cabris sevrés associés à des bovins (moitié - moitié, sur la base du poids vif) portent environ 10 fois moins de NGI que leurs contemporains pâturant seul, et croissent 30% plus vite. Les bovins, peu affectés par les NGI, voient leur croissance inchangée, voire légèrement améliorée (Mahieu et al., 1997 ; Mahieu et Aumont, 2009) Pâturage N - 1 bonne valeur fourragère Population de larves infestantes Production de feuilles Valeur alimentaire Pâturage N faible valeur fourragère Figure 5 : Choix de la durée de pâturage et du temps de repousse en fonction de l'évolution des populations de larves infestantes de petits ruminants, des quantités de feuilles de graminées disponibles et de la qualité globale du fourrage, dans un système de pâturage tournant (une semaine de pâturage, 4 semaines de repousse), d'après Aumont (1991), Cruz (1989), et Archimède (2000) risque parasitaire élevé risque parasitaire faible Semaine depuis la sortie des animaux de la parcelle au cycle de pâturage N - 1 Encadré 4 : Pâturage mixte bovins petits ruminants Avec des investissements équivalents voire inférieurs, l'association des petits ruminants et des bovins sur les mêmes parcelles permet d'augmenter la production totale (Mahieu et al., 1997), par une amélioration des productions individuelles attribuable à une diminution du parasitisme des petits ruminants et à une utilisation plus complète du pâturage, voire à une meilleure protection contre les chiens (surtout si les petits ruminants sont associés à des vaches allaitantes) L'association permet aussi une réduction des coûts (moins d'anthelminthiques ). Enfin l'optimisation du chargement est facilitée. Les deux (ou trois) espèces partageant les mêmes parcelles, l'éleveur peut ajuster le chargement en jouant sur l'une ou l'autre espèce, en fonction des opportunités. 98 Innovations Agronomiques 16 (2011),

95 Techniques intégrées en élevage de ruminants Les défenses de l'hôte contre les pathogènes sont en partie sous contrôle génétique. Les races locales, soumises à la sélection naturelle depuis des siècles, ont développé des capacités de résistance aux NGI (Mandonnet et al., 2001 ; De la Chevrotière et al., 2009) comme à d'autres maladies, capacités que ne possèdent pas des races "améliorées" sélectionnées dans des milieux moins contraignants sur ce point. Un niveau alimentaire suffisant, en particulier en protéines, permet d'exprimer pleinement ce potentiel de résistance aux NGI, y compris chez les jeunes dont le système immunitaire est encore immature (Bambou et al., 2011). Là encore, le mode d'exploitation du pâturage et plus généralement le système d'alimentation a un impact direct sur la santé des animaux. Enfin, les traitements ciblés des seuls animaux incapables de résister aux parasites, comme la méthode Famacha (Bath et al., 1996) - voir encadré 5 - permettent de maintenir des populations de NGI sensibles aux anthelminthiques encore efficaces (Mahieu et al., 2007). Cette méthode est appliquée en routine sur les troupeaux de chèvres de l'inra en Guadeloupe. Cependant les jeunes autour du sevrage sont beaucoup plus sensibles aux NGI que les adultes, et les symptômes de parasitose évoluent beaucoup trop vite pour que la méthode Famacha soit applicable sur ce type d'animaux. On est donc amené à pratiquer des traitements systématiques au sevrage et pendant les premiers mois post-sevrage, ce qui risque de sélectionner des souches de NGI résistantes aux anthelminthiques employés si les jeunes sevrés sont élevés sur des parcelles dédiées. Il faut donc organiser le système de pâturage pour que jeunes sevrés et adultes partagent la même population de NGI peu sélectionnée par les anthelminthiques. En pratique, cela revient à faire pâturer successivement les mêmes parcelles par les jeunes sevrés "en avant" et par les adultes "suiveurs", ce qui permet de plus un meilleur choix alimentaire aux jeunes pâturant "en avant", d'où des défenses renforcées et de meilleures performances de croissance (travaux en cours). Encadré 5 : Traitements antiparasitaires ciblés - Principe de la méthode Famacha Haemonchus contortus est le principal parasite NGI des petits ruminants en zone tropicale humide. Il provoque une anémie chez l'hôte. Si H. contortus en est la cause principale, l'examen de la couleur des muqueuses de l'œil permet d'évaluer la gravité de l'anémie et de ne traiter que les animaux incapables de surmonter leurs parasites. Si l'irrigation en soi favorise le parasitisme à NGI en permettant un fort accroissement du chargement et en créant un microclimat plus humide favorable aux stades larvaires, elle permet aussi une meilleure alimentation des hôtes, moins susceptibles de succomber à l'explosion parasitaire de début de saison des pluies que des animaux épuisés par une longue saison sèche sans alimentation complémentaire. L'utilisation de ressources non pâturées comme la canne à sucre complémentée réduit aussi l'impact des NGI, tant par interruption de l'infestation que par le renforcement des défenses de l'hôte. Les reports fourragers, s'ils consistent à intercaler une fauche dans le calendrier de pâturage, permettent également de diminuer les populations larvaires de NGI des parcelles quand elles sont pâturées de nouveau au cycle suivant, tout en assurant une meilleure alimentation en période de déficit fourrager. Innovations Agronomiques 16 (2011),

96 M. Mahieu et al. D'autres pathologies que le parasitisme à NGI doivent être prises en compte dans la conception des systèmes d'élevage, comme par exemple les tiques et maladies transmises, dont l'impact peut être très différent suivant le type génétique des animaux élevés. On peut citer la résistance des bovins Créole de Guadeloupe aux tiques "sénégalaises" Amblyomma variegatum et aux maladies associées, contrairement aux races européennes très sensibles à la dermatophilose et à la cowdriose, ainsi qu'aux babésioses transmises par le tique "créole" Rhipicephalus (Boophilus) microplus (Barre, 1997). SI on inclut dans les besoins d'entretien les dépenses d'énergie et de protéines nécessaires à la régulation de la température corporelle et au fonctionnement du système immunitaire (défense contre les pathogènes) on traduira des capacités d'adaptation au milieu des différentes races animales en termes d'efficacité alimentaire, plus intégrative que les seules performances individuelles. En conclusion On voit donc que quel que soit l'angle sous lequel on se place, les choix doivent aussi prendre en compte les deux autres angles d'approche : le choix du type de production doit tenir compte des caractéristiques des ressources alimentaires disponibles, du type d'animal utilisé et des contraintes sanitaires, tous ces éléments du système inter agissant. L'INRA et les autres organismes de Recherche et Développement présents aux Antilles-Guyane et plus largement dans les Départements et Territoires d'outre-mer apportent aux éleveurs de ruminants un ensemble de techniques adaptées aux contraintes locales mais aussi les connaissances nécessaires à l'intégration de ces techniques dans des systèmes d'élevages cohérents, plus productifs et plus durables. Références bibliographiques Alexandre G., Asselin de Beauville S., Shitalou E., Zebus M.F., An overview of the goat meat sector in Guadeloupe: conditions of production, consumer preferences, cultural functions and economic implications. Livestock Research for Rural Development 20 Alexandre G., Arquet R., Gravillon G., Weisbecker J.-L., Mandonnet N., Carcass characteristics of Creole goat of Guadeloupe (FWI) as a function of pre-weaning performances and post-weaning management. Livestock Research for Rural Development 21, 57 Archimède H., Boval M., Alexandre G., Xandé A., Aumont G., Poncet C., Effect of regrowth age on intake and digestion of Digitaria decumbens consumed by Black-belly sheep. Animal Feed Science and Technology 87, Archimède H., Garcia G., Guide d'utilisation de la canne à sucre et de ses coproduits en alimentation animale, INRA UWI. Archimède H., Gourdine J.-L., Fanchone A., Alexandre G., Marie Magdeleine C., Calif E., Fleury J., Anais C., Renaudeau D., 2011a. Le bananier et ses produits dans l alimentation animale. Innovations Agronomiques 16, Archimède H., Xande X., Gourdine J.-L., Fanchone A., Alexandre G., Boval M., Coppry O., Arquet R., Fleury J., Regnier C., Renaudeau D., 2011b. La canne à sucre et ses co-produits dans l alimentation animale. Innovations Agronomiques 16, Artus F., Champanhet F., Contribution à l'étude de la production de foin en milieu tropical humide: facteurs de dessication et de conservation dans les conditions de la Martinique. Symposium International sur l'alimentation des ruminants en milieu tropical humide, Pointe-à-Pitre (F.W.I) 100 Innovations Agronomiques 16 (2011),

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99 Techniques intégrées en élevage de ruminants Petit M., Alimentation des vaches allaitantes. In: Jarrige R (Ed.), Alimentation des Bovins, Ovins et Caprins, INRA, Paris (France), pp Traineau I., Duflot B., Julien L., Galan F., Caractérisation des systèmes d'élevage de Martinique. Typologie à dire d'experts. Institut de l'elevage, Institut du porc (Ifip), ITAVI, p. 28 Van Wyk J. A., Face facts: drenching with anthelmintics for worm control selects for drug resistance - and no excuses! Proceedings of the New Zealand Society of Animal Production 66, 4-13 Xandé A., L'ensilage d'herbe, une technique de conservation de l'herbe permettant de pallier le déficit alimentaire des ruminants durant la période de carême. I Aspects théoriques et pratiques. Particularité des fourrages tropicaux. Nouvelles Agronomiques des Antilles et de la Guyane 4, Innovations Agronomiques 16 (2011),

100 Innovations Agronomiques 16 (2011), Stratégies innovantes de lutte contre les maladies émergentes animales Lefrançois T. 1, Vachiéry N. 1, Meyer D.F. 1, Pradel J. 1, Martinez D. 2 1 CIRAD, UMR CIRAD-INRA CMAEE, Domaine du Duclos, Prise d eau, Petit Bourg, Guadeloupe 2 CIRAD, UMR CIRAD-INRA CMAEE, Montpellier, France Correspondance : Thierry.lefrancois@cirad.fr Résumé Les dispositifs sanitaires sont vulnérables face aux risques d émergence de maladies animales. Trois approches innovantes de lutte contre ces maladies dans la Caraïbe sont présentées en prenant comme exemple la cowdriose, maladie bactérienne tropicale mortelle des ruminants transmise par les tiques. Un vaccin inactivé a été développé puis adapté aux conditions industrielles. La grande diversité de souches sur le terrain implique de développer des études d épidémiologie moléculaire innovantes. En complément, la compréhension des mécanismes de virulence par des techniques haut débit d étude du génome visent à développer un vaccin recombinant. Un réseau de surveillance des pathologies nerveuses chez les ruminants a été mis en place en Guadeloupe. Une base de donnée cartographiée remplissable en ligne par les différents acteurs de la surveillance (vétérinaires, laboratoire) et consultable par les décideurs et les acteurs de terrain (services vétérinaires et groupement de défense sanitaire) permet de cibler la communication et la lutte contre la cowdriose. Le réseau caribéen de santé animale CaribVET contribue au renforcement de la surveillance et du contrôle des maladies animales transfrontalières. L interaction permanente entre recherche et surveillance est démontrée par l utilisation des travaux de modélisation mathématique de la dynamique de population de tiques pour cibler la surveillance ou de tester différentes stratégies de contrôle. Mots-clés : Caraïbe, maladies émergentes, vaccination, surveillance Abstract: Innovative stratégies for the control of emerging animal diseases. Sanitary systems are vulnerable vis-a-vis the risks of emergence of animal diseases. Three innovating approaches of control of these diseases in the Caribbean are presented by taking as an example heartwater, bacterial tropical fatal disease of the ruminants transmitted by the ticks. An inactivated vaccine was developed and adapted to the industrial conditions. The great diversity of strains in the field implies to develop innovative studies of molecular epidemiology. In addition, understanding of virulence mechanisms by high throughput techniques of the genome aims at developing a recombinant vaccine. A surveillance network of nervous diseases of the ruminants was set up in Guadeloupe. A geographical data base to be filed on line by the various actors of the monitoring (veterinarians, laboratory) and consultable by the decision makers and the field actors (veterinary services and association of breeders) makes it possible to target the communication and to fight against heartwater. The Caribbean animal health network CaribVET contributes to reinforcing monitoring and control of transboundary animal diseases. The permanent interaction between research and surveillance is shown by the use of mathematical modeling of population dynamics of ticks to target the surveillance or to test various strategies of control. Keywords: Caribbean, emerging diseases, vaccination, surveillance

101 T. Lefrançois et al. Les maladies émergentes animales et la Caraïbe La protection de la santé des animaux d élevage est l une des composantes essentielles du développement durable, en particulier par sa contribution à l efficacité économique des filières et dans certaines régions à la sécurité des systèmes alimentaires. En raison de l origine animale de nombreuses maladies infectieuses chez l homme, la maîtrise de la santé des animaux et la sécurité alimentaire qui en résulte est une préoccupation majeure des gestionnaires du risque en charge de la santé publique. Dans les pays où la maîtrise sanitaire est limitée, ces maladies infectieuses zoonotiques demeurent parmi les principales entités affectant la santé des populations. Les récentes crises sanitaires survenues tant au plan national qu international (Chikungunya, grippe aviaire, West Nile, fièvre catarrhale ovine, ) ont révélé la vulnérabilité des dispositifs sanitaires face aux risques d émergence de nouvelles maladies. Ces émergences récurrentes de nouvelles entités infectieuses peu ou mal contrôlées, parfois inconnues, ont replacé le contrôle des maladies infectieuses comme un des enjeux majeurs de la recherche agronomique et vétérinaire Ces nouvelles entités pathologiques ont souvent une composante vectorielle, notamment des arthropodes. Elles sont donc, à ce titre, particulièrement sensibles aux changements globaux (climat, modes de production, écosystèmes, transports), qui ont un impact fort sur les populations de vecteurs. Dans le contexte actuel de changement climatique et d accroissement des échanges, les maladies émergentes et vectorielles constituent donc au niveau mondial des risques importants pour l élevage et la santé publique. Les milieux insulaires tropicaux doivent faire l objet de stratégies adaptées de prévention et de lutte prenant en compte les spécificités environnementales, climatiques et sociétales de ces milieux. Les îles de la Caraïbe sont vulnérables aux invasions biologiques et aux facteurs de déséquilibres sanitaires. Elles présentent des situations sanitaires souvent comparables, résultant de caractéristiques communes (statut insulaire, climat tropical, productions agricoles similaires, proximité entre elles et avec le continent américain). Les faibles distances séparant ces îles sont propices à une extension naturelle rapide des maladies. Ce risque est accru par l existence entre elles d échanges d animaux, d importants mouvements humains, et pour certaines maladies de la possibilité de mouvements de réservoirs (oiseaux ) et de vecteurs arthropodes (moustiques, tiques). La zone Caraïbe-Amazonie est un des «points chauds» pour les maladies infectieuses émergentes animales. De fait, de nombreuses maladies infectieuses émergentes (animales ou zoonoses) sont présentes dans la grande Caraïbe. Des disparités existent entre les situations épidémiques respectives des pays de la zone. Cependant, ces situations recoupent les trois types d émergence classiquement définis : i) Emergence d un nouveau pathogène (survenue d un foyer épidémique d un nouvel agent infectieux, identification d un agent dans une région où il n avait pas été documenté comme ayant circulé); ii) Modification d une dynamique épidémique (augmentation de la fréquence de survenue d une pathologie due à un agent connu par ailleurs, ré-émergence d un pathogène dans une zone); iii) Emergence de résistances d un agent infectieux ou de son (ses) vecteur(s) aux méthodes de lutte. Comment la recherche peut-elle contribuer à la lutte innovante contre les maladies émergentes? La recherche doit répondre aux défis complexes lancés par les maladies émergentes. Une stratégie innovante globale est d aborder la compréhension des maladies par une approche intégrée, de la génomique à la lutte sur le terrain. Plus spécifiquement concernant les maladies émergentes, i) l identification des mécanismes d émergence d entités pathologiques permet de produire et diffuser des connaissances et de développer des outils et méthodes de surveillance et de contrôle des maladies selon des principes agroécologiques ; ii) la mise au point d outils de détection précoce des signaux 106 Innovations Agronomiques 16 (2011),

102 Lutte contre les maladies émergentes animales d émergence à potentiel épidémique et la structuration de réseaux nationaux et internationaux de surveillance, assurent une meilleure prévention des maladies émergentes ; iii) le développement de modèles mathématiques produit des outils de prédiction des émergences épidémiques en appui aux stratégies de prévention et de réponse aux situations d émergence Nous développerons 3 exemples pratiques de stratégies innovantes de recherche-surveillance correspondant à ces approches sus-citées: 1/ le développement de vaccins efficaces et innovants via la compréhension des mécanismes de pathogénie et d évolution ; 2/ le développement d outils de veille sanitaire et de détection précoce et en particulier l utilisation de bases de données au sein de réseaux de surveillance, 3/ la compréhension de la dynamique de population de pathogènes et de vecteurs et l intégration avec les gestionnaires de la surveillance pour le développement d une surveillance et d un contrôle ciblés. Développement de vaccins innovants Pourquoi un vaccin contre la cowdriose? La cowdriose est une maladie bactérienne (Ehrlichia ruminantium) mortelle des ruminants, présente en Afrique Sub-saharienne, dans l Océan Indien et dans la Caraïbe. C est une maladie vectorielle, transmise par les tiques du genre Amblyomma comme Amblyomma variegatum (tique Sénégalaise) dans la Caraïbe (Martinez et al., 2003). Cette maladie a un impact économique important et constitue un frein pour l introduction de races exotiques dans des zones endémiques et un risque économique majeur en cas d introduction sur le continent américain à partir de la Guadeloupe (Barré et al., 1987). La vaccination est une méthode de prévention des maladies permettant dans le cas de maladies bactériennes vectorielle comme la cowdriose de limiter les traitements antibiotiques sur les ruminants malades et l utilisation à grande échelle des acaricides pour éliminer les tiques dans l élevage. Développement d un vaccin inactivé adapté au terrain Il existe un seul vaccin commercial qui est principalement utilisé en Afrique du Sud. Il consiste en une injection par voie intraveineuse de sang infectieux suivie d un traitement aux tétracyclines lors de l apparition de la fièvre. Ce vaccin confère une protection forte et durable. Cependant, ce mode de vaccination est risqué et coûteux car il faut respecter la chaîne du froid pour l inoculum et avoir un suivi journalier de la température des animaux, les animaux pouvant mourir s ils ne sont pas traités dans les temps. Nous avons donc développé un vaccin inactivé émulsionné avec de l adjuvant huileux ISA50 qui est efficace en conditions expérimentales et permet une protection de 80 à 100% des chèvres vaccinées lors d une infection avec une souche homologue (Vachiery et al., 2006). Le vaccin inactivé a été adapté aux conditions de production semi-industrielles permettant ainsi de réduire considérablement les coûts de production du vaccin (0.11 centimes par dose) (Marcelino et al., 2006 & 2007). Le vaccin inactivé basé sur une souche «gardel» a été testé sur le terrain au Burkina Faso avec cette fois des résultats mitigés. Dans cette étude, l ajout d une souche locale à la souche vaccinale Gardel a permis une amélioration de la protection (Adakal et al., 2010). Il a été montré parallèlement une grande diversité des souches sur une zone géographique restreinte. De même, en Guadeloupe, plus de 10 souches différentes ont été identifiées. Il a donc été envisagé à moyen terme d utiliser un vaccin inactivé régional contenant un cocktail de souches locales. Pour cela, il est essentiel de mener une étude de caractérisation génétique des souches dans les zones où la mise en place d une stratégie vaccinale est envisagée de manière à choisir les souches vaccinales adaptées. L étude d un gène majeur (map) a permis de caractériser la diversité des souches d Ehrlichia ruminantium mais sans pouvoir associer des groupes de souches à génotype map similaire à une protection similaire vis-à-vis Innovations Agronomiques 16 (2011),

103 T. Lefrançois et al. d une souche vaccinale (Raliniaina et al., 2008). Deux nouvelles approches de typage ont donc été développées : la MLST (Multi-Locus Sequence Typing) et la MLVA (Multi-Locus Variable number of tandem repeats Analysis). Il a fallu d abord développer et valider des PCR nichées permettant un typage dans des échantillons de terrain faiblement infectés notamment dans les tiques. La caractérisation génétique par MLST et MLVA a ensuite été réalisée au niveau mondial sur des souches provenant d Afrique de l Ouest, de l Est, d Afrique du Sud, de la Caraïbe et de l Océan Indien (Figure 1). Notre analyse a permis de mettre en évidence plusieurs groupes de souches associés à une origine géographique donnée. La recherche par ces techniques de marqueurs génétiques associés à la protection permettra d identifier des groupes de protection et ainsi de faciliter le choix de la souche ou des souches vaccinales à utiliser suivant les zones géographiques. Ces approches de typage permettent aussi de comprendre les mécanismes d évolution des souches dans le monde. Figure 1 : Origine géographique des souches d Ehrlichia ruminantium testées en épidémiologie moléculaire. Le nombre de souches analysées est indiqué après chaque pays. Afrique de l Ouest Sénégal Burkina Faso Ghana Cameroun Océan Indien Antigua Caraïbe 4 Comores Antigua 1 2 Madagascar Guadeloupe Afrique du Sud Mozambique Zambie 2 Afrique du Sud Développement d un vaccin recombinant Devant la complexité de cette approche vaccinale régionale, une autre stratégie a aussi été choisie : revenir à la compréhension des interactions hôte pathogène afin de développer un vaccin recombinant. Grâce aux données de séquençage de deux souches virulentes et atténuées (Gardel et Sénégal), l identification de gènes impliqués dans l atténuation est possible. De plus, sur la base du séquençage, des puces spécifiques ont été produites, nous permettant de développer une analyse haut débit de l expression de gènes. A partir des analyses du transcriptome, les comparaisons entre souches et entre stades de développement permettent de générer des données sur les gènes impliqués dans l atténuation et dans les mécanismes d invasion et de développement de la bactérie dans la cellule. L exploitation de ces données offre de nouvelles perspectives de recherche notamment au niveau de l identification et la fonctionnalité des gènes. Complétée par une approche protéomique d identification 108 Innovations Agronomiques 16 (2011),

104 Lutte contre les maladies émergentes animales des protéines impliquées dans la virulence ou le développement, cette approche devrait permettre d élaborer un vaccin recombinant contenant des antigènes d Ehrlichia ruminantium importants au développement de la bactérie ou d atténuer par ingénierie génétique n importe quelle souche d Ehrlichia ruminantium. Ce vaccin de nouvelle génération pourra aussi comprendre plusieurs gènes ou antigènes pour contourner le problème de diversité de souches. Mise en place d un réseau et d outils de surveillance Justification d une surveillance de la cowdriose en Guadeloupe La Guadeloupe représente le territoire Caribéen le plus fortement infesté par Amblyomma variegatum (Vachiery et al., 2008). Selon l analyse statistique des visites sanitaires bovines (VSB) de la campagne de 2008, les maladies liées aux tiques représentent la 2 ème cause de mortalité des bovins, après les attaques de chiens errants. Mais cette mortalité ne peut être entièrement imputée aux maladies transmises par A. variegatum. Rhipicephalus (Boophilus) microplus, ou tique créole, est vectrice de babésioses principalement chez les bovins (Babesia bovis et Babesia bigemina). Ces maladies dues à des protozoaires engendrent des symptômes cliniques difficilement différenciables de la cowdriose. Les problèmes sanitaires et économiques liés à la babésiose et à la cowdriose sont très semblables. Néanmoins, les capacités de dispersion d Amblyomma variegatum, ainsi que la mortalité importante que peut provoquer la cowdriose, font de la tique sénégalaise et de la cowdriose une priorité sanitaire régionale. Le groupe de travail «Tiques et maladies transmises» du réseau régional de santé animale, CaribVET fournit une expertise régionale, et a pour objectifs i/ de travailler sur l harmonisation des systèmes de surveillance et des stratégies de contrôle, ii/ de mettre en place des systèmes régionaux de communication et de gestion de bases de données et iii/ d améliorer les capacités de diagnostic. Lors de sa première réunion, le groupe de travail a recommandé aux pays/territoires les plus infestées par la tique sénégalaise de mettre en place i/une étude sociologique pour comprendre et aider à palier les problèmes de mise en application des programmes et mesures de lutte sanitaire contre Amblyomma variegatum et ii/ une surveillance des maladies transmises par Amblyomma variegatum. Mise en place du réseau de surveillance RESPANG en Guadeloupe Le CIRAD a donc mis en place début 2010 une étude «de perception des risques de la tique sénégalaise et de ses contrôles chimiques par les détenteurs de bovins de l île de Marie-Galante». Puis, mi 2010, la DAAF (Direction de l alimentation, l agriculture et la forêt) a mis en place avec le CIRAD le Réseau d EpidémioSurveillance des PAthologies Nerveuses chez les ruminants de Guadeloupe (RESPANG) qui prend en compte les résultats de l étude sociologique dans l élaboration d un plan de communication. Le RESPANG est un réseau de surveillance passive réunissant plusieurs partenaires : le CIRAD Guadeloupe, la DAAF, le GDSG (Groupement de défense sanitaire de Guadeloupe) et les vétérinaires sanitaires autour d enjeux communs (Driot et al., 2011). L objectif principal du réseau est la surveillance des pathologies nerveuses chez les ruminants de Guadeloupe. Cet objectif est principalement centré sur la cowdriose, maladie à déclaration obligatoire en France. Le réseau s est fixé quatre objectifs: L amélioration du diagnostic différentiel de la cowdriose Le renforcement du maillage sanitaire La sensibilisation des éleveurs à la cowdriose et aux maladies transmises par les tiques La communication sur les traitements à mettre en place Innovations Agronomiques 16 (2011),

105 T. Lefrançois et al. Ces objectifs doivent concourir à une lutte efficace contre Amblyomma variegatum et la cowdriose. En pratique, il s agit de sensibiliser les détenteurs à la problématique, de les informer des solutions existantes et de leur faire expliquer l importance de traiter correctement leurs animaux contre les tiques. Pour cela, un travail de communication adapté au contexte est nécessaire. Ce travail est indissociable des activités de recherche menées dans un but d amélioration des connaissances sur Amblyomma variegatum (biologie, écologie, traitements acaricides, vaccins ) et la cowdriose (biologie de l agent pathogène, épidémiologie, diagnostic différentiel, traitement préventifs et curatifs ). Le réseau RESPANG est dirigé par un comité de pilotage composé de la DAAF, du CIRAD, du GDSG et de l AVPLG (Association de Vétérinaire Praticiens Libéraux de Guadeloupe). La surveillance passive est basée sur la déclaration de cas de ruminants présentant des troubles nerveux, le prélèvement de sang (et si présence, de tiques sénégalaises) sur ces animaux, et sur le diagnostic de laboratoire de la présence d Ehrlichia ruminantium (Figure 2). Cette surveillance permet de mieux connaître la situation de la Guadeloupe vis-à-vis de la cowdriose, mais aussi de diriger géographiquement la campagne de communication et d en mesurer les effets. A terme, cette communication adaptée devrait permettre une lutte plus efficace contre les tiques et de ce fait de diminuer le nombre de cas de cowdriose. Figure 2 : Fonctionnement du réseau RESPANG Développement d une base de données de surveillance en ligne Les données de suspicion ainsi que les résultats des prélèvements sont centralisés sur une base de données en ligne, declavet. Cette base développée par le CIRAD est hébergée sur le site Internet et permet la saisie des données en temps réel des suspicions (données individuelles, signes cliniques, information éleveurs ) et des résultats de laboratoire. La géolocalisation des sites peut se faire facilement par les vétérinaires grâce à l outil GoogleMap. Une carte de la Guadeloupe est proposée au vétérinaire, dans la fiche de déclaration en ligne. Il lui suffit de cliquer sur l endroit où se trouvait l animal, pour le géolocaliser. Après les analyses de laboratoire, les résultats correspondants à l animal sont restitués sous forme de cartes. 110 Innovations Agronomiques 16 (2011),

106 Lutte contre les maladies émergentes animales Bien que RESPANG soit centré sur la détection et la surveillance des cas de cowdriose, des analyses de laboratoires supplémentaires sont réalisées. Elles concernent Babesia bovis et Babesia bigemina (PCR en temps réel) sur les prélèvements sanguins provenant de bovins ainsi que Anaplasma marginale et Anaplasma ovis (PCR) sur la totalité des prélèvements sanguins obtenus via le réseau. Les babésioses étant des maladies transmises par les tiques (Boophilus microplus), et à symptômes nerveux, elles sont intéressantes pour le RESPANG, particulièrement dans le contexte de la Guadeloupe car difficilement différenciables de la cowdriose. L anaplasmose ne provoque des symptômes nerveux que dans de très rares cas. Néanmoins, il est intéressant de tester cette maladie aussi transmise par Boophilus microplus et qui, par ailleurs, pose problème sur d autres îles de la Caraïbe (ex : la Martinique). La totalité des informations de la base de données (incrémentées en temps réel par les vétérinaires et le laboratoire du CIRAD) peuvent être extraites sous la forme d une table (format Excel ). Seuls la DAAF et le CIRAD, responsable de l analyse des données, ont accès à la base de données. La répartition des cas de cowdriose, babésioses et anaplasmose est accessible par tous les acteurs sous la forme de cartes (une par maladie). Lorsqu une nouvelle déclaration est saisie et géolocalisée par un vétérinaire, celle-ci apparait sur les trois cartes sous la forme d un drapeau bleu (suspicion). Après analyse du prélèvement et saisie du résultat en ligne, le drapeau change de couleur pour devenir vert s il est négatif, rouge s il est positif ou orange s il est douteux (Figure 3). Figure 3 : Exemple de carte produite par le réseau RESPANG et accessible en ligne par les acteurs de la surveillance. La couleur des drapeaux indique les résultats obtenues au laboratoire en PCR cowdriose (rouge=positif, vert=négatif, orange=douteux, bleu=non testé) Les cartes sont interactives: zooms, mouvements sur la carte, accès à une fiche d information sommaire sur la suspicion (espèce, race, âge, sexe, date de visite et numéro de déclaration) - et permettent d avoir une vision à la fois globale et locale de la situation de Guadeloupe. Ce dernier point est particulièrement intéressant pour le lancement d une campagne de communication. En effet, ces cartes permettent de situer chacune des communes et secteurs par rapport à la situation générale de la Guadeloupe, de diriger géographiquement la campagne de communication et d adapter les discours employés en fonction du taux d infection observé. Innovations Agronomiques 16 (2011),

107 T. Lefrançois et al. Organisé autour de suspicions, RESPANG intègre des analyses de laboratoire, des analyses statistiques épidémiologiques et une communication auprès des éleveurs afin d améliorer la connaissance de l épidémiologie de la cowdriose en Guadeloupe et in fine de mettre en place les meilleures stratégies de lutte possible. Interaction recherche-surveillance Pourquoi la surveillance et la recherche doivent-elles interagir? La surveillance des maladies animales d importance sanitaire et/ou économique nécessite d articuler les activités d évaluation et de gestion des risques conduites au niveau national ainsi qu à l échelon des réseaux régionaux et internationaux (OIE, FAO, OMS, ECDC, EFSA), afin de prendre en compte la dimension transfrontalière de ces maladies infectieuses et d anticiper les risques. Cette nécessité est renforcée ces dernières années par l accélération des émergences ou ré-émergences de maladies infectieuses dues à l augmentation des mouvements animaux et des personnes, aux échanges de produits animaux, aux changements environnementaux et climatiques provoqués par la croissance démographique et la pression importante qui en résulte sur les milieux naturels et les agroécosystèmes. Ces évolutions de la dynamique des maladies infectieuses et parasitaires questionnent divers porteurs d enjeux des filières de production, de la gestion du risque et de la santé animale, ainsi que de la recherche qui doit se saisir de ces thématiques pour en expliquer les principaux déterminants et, le cas échéant, prévoir les évolutions futures. Les hauts lieux de diversité biologique sont souvent associés à l émergence de nouveaux agents pathogènes. La Caraïbe, région riche en écosystèmes variés et aux niveaux de développement socioéconomique contrastés, constitue donc une zone privilégiée pour la conduite de programmes de veille et de recherche sur les maladies animales en particulier émergentes ou vectorielles. Le niveau de développement technologique et la qualité des infrastructures de recherche permettent aux DOMs de jouer un rôle privilégié de plates-formes européennes avancées en milieu tropical pour la recherche et la surveillance des maladies émergentes. Une approche régionale des maladies animales et des zoonoses assure un renforcement et une harmonisation de leur surveillance et de leur contrôle. CaribVET, un réseau régional de santé animale, lieu de cette interaction CaribVET, réseau caribéen de santé animale, s est développé autour d activités scientifiques et techniques à partir du début des années 2000 et a été reconnu officiellement par les pays membres et par la communauté des Caraïbes (CARICOM) en 2006 (Gongora et al., 2008). Il regroupe les services vétérinaires de trente deux pays et territoires de la Caraïbe, les laboratoires de diagnostic, les instituts de recherche et les universités de la région (CIRAD, CENSA, UWI, UG 1 ) ainsi que les organisations régionales et internationales (CARICOM, FAO, OIE, USDA, PAHO, IICA 2 ) travaillant dans le domaine de la santé animale. Le réseau est organisé autour d un comité de pilotage, une unité de coordination animée en partie par le CIRAD et plusieurs groupes de travail (Pradel et al., 2011). En 2011, six groupes de travail ont été définis sur la base de maladies prioritaires (influenza aviaire et Newcastle, tiques et maladies transmises, peste porcine classique et autres maladies porcines, santé publique vétérinaire incluant rage, salmonellose et leptospirose) ou par activités transversales (épidémiologie, 1 CIRAD: Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement ; CENSA: Centre national de santé animale et santé des plantes, Cuba ou en espagnol : Centro Nacional de Sanidad Agropecuaria ;UWI: University of West Indies ; UG: Université de Grenade 2 CARICOM: Communauté des pays de la Caraïbe ; FAO: Organisation de l agriculture et de l alimentation des Nations Unies ; OIE: Organisation Mondiale de la Santé Animale ; USDA: Département de l agriculture des Etats-Unis d Amérique ; PAHO: Organisation Panaméricaine de la Santé ; IICA: Institut Interaméricain pour la Coopération en Agriculture 112 Innovations Agronomiques 16 (2011),

108 Lutte contre les maladies émergentes animales assurance qualité et diagnostic). Du fait des nombreux échanges humains, animaux et de marchandises entre les îles et du risque de diffusion des agents pathogènes, le réseau adopte une approche régionale de la surveillance et du contrôle des maladies animales. Il contribue au renforcement et à l harmonisation des systèmes de surveillance nationaux et des capacités diagnostiques des laboratoires dans la région. Afin d atteindre ces objectifs, plusieurs actions sont menées : identification des maladies prioritaires, conduite d analyses de risque, mise en place d enquêtes, de protocoles de surveillance, de bases de données et d outils d évaluation des systèmes de surveillance (Lefrançois et al., 2010a). L organisation de réunions de travail régulières et la formation des partenaires (participation à des ateliers techniques et scientifiques et à des congrès internationaux) sont des éléments essentiels au bon fonctionnement de CaribVET. La communication et l échange d'informations et de données au sein du réseau sont assurés grâce au site web participatif et à un bulletin d information électronique. Les années ont été marquées par le renforcement du partenariat avec l organisation mondiale de la santé animale (OIE) et avec la FAO, par l agrandissement du réseau aux territoires néerlandais (Aruba, Bonaire et Curaçao) et américains (Porto Rico et Iles vierges Américaines) et par l adoption d une charte qui donne un statut officiel et consensuel au réseau. Elle en définit les termes de référence, les objectifs, l organisation, la qualité de membre, les responsabilités et les modalités de communication interne et externe. La charte est considérée par le réseau comme un outil de durabilité permettant de renforcer les activités, la transparence et la confiance entre les membres (Pradel et al., 2011). L implantation durable et la reconnaissance régionale de CaribVET permettent de faciliter les collaborations et d accéder à de nombreuses données et prélèvements de qualité à partir desquels des questions de recherche peuvent être développées pour approfondir les connaissances de ces maladies (interactions hôtes/pathogènes, mécanismes d émergence). Les produits de la recherche (cartes et facteurs de risque, modèles de dynamique de populations de vecteurs,...) permettent, en retour, d améliorer les dispositifs de surveillance et de contrôle (surveillance ciblée dans les zones à risque par exemple) augmentant ainsi le rapport bénéfices/coûts des réseaux (Lefrancois et al., 2010b). Le CIRAD Guadeloupe, grâce à ses activités de recherche sur les tiques et les maladies qu elles transmettent et à son rôle de laboratoire régional de diagnostic pour les maladies vectorielles et/ou émergentes (influenza aviaire, West Nile, cowdriose), apporte son expertise scientifique au sein du réseau mais offre aussi une plateforme technologique de pointe pour la zone Caraïbe. Exemple d interaction recherche surveillance : dynamique de populations de tiques La biologie, les dynamiques spatio-temporelles ainsi que la capacité vectorielle des populations de tiques sont étroitement liées aux facteurs d environnement. La connaissance des facteurs environnementaux qui influent sur le développement de ces populations est donc indispensable à l étude de la dynamique des maladies transmises par les tiques. Les arthropodes vecteurs d agents pathogènes sont très sensibles aux facteurs environnementaux et à leurs changements qui conditionnent la dynamique spatiale et temporelle de leurs populations. Une connaissance approfondie de la bio-écologie de ces vecteurs et de la diversité génétique de leurs populations est indispensable à la compréhension de la dynamique des maladies associées et à la base du développement de méthodes de lutte intégrée. Les connaissances actuelles sur la biologie et l'écologie de la tique sénégalaise ont été représentées dans un modèle mathématique de la dynamique de ses populations. Ce modèle matriciel à compartiments intègre les processus biologiques (développement, mortalité, recherche d hôtes, détachement, ponte) et étudie l'importance des facteurs de variations biotiques et abiotiques a priori les Innovations Agronomiques 16 (2011),

109 T. Lefrançois et al. plus importants en matière de contrôle de la tique, afin de le rendre utilisable pour tester des stratégies de lutte. Il est validé en s'appuyant sur les données collectées depuis une quinzaine d années sur l écologie d Amblyomma variegatum dans les Caraïbes, l infestation et l expansion dans de nouvelles îles, la distribution des tiques obtenues par des enquêtes épidémiologiques en Martinique et en Guadeloupe, et par une base de données de surveillance dans les îles anglophones, et le suivi des traitements acaricides à grande échelle effectués dans les différentes îles dans le cadre du programme d éradication (Ahoussou et al., 2010). Ce modèle est utilisé pour déterminer les variations saisonnières de populations et pour tester l efficacité de différentes stratégies de contrôle (molécule, fréquence, saisonnalité ), en collaboration avec les directions des services vétérinaires. Une modélisation spatiale des habitats favorables au niveau mondial est également développée. Les niches climatiques sont étudiées afin de prédire les territoires à risque en cas d introduction de vecteurs ou l évolution spatiale de populations présentes dans un territoire lors de modification de l environnement ou de changements climatiques et ainsi d établir des cartes de risque utilisables pour cibler la surveillance (Figure 4). La confrontation aux données permet d établir des hypothèses sur les facteurs influençant la répartition observée. Figure 4 : Modélisation mathématique de la dynamique de population de tiques : de la biologie des tiques aux stratégies de surveillance et de contrôle. Biologie de la tique (données expérimentale et de terrain) + facteurs climatique Modélisation mathématique Niche écologique Dynamique saisonnière Introduction Stratégies de surveillance Stratégies de contrôle Ce travail de modélisation permettra également de caractériser les risques de dispersion de la tique sur d autres territoires à partir de la Guadeloupe. Il aboutira à un outil essentiel dans la mise en place de stratégies génériques de contrôle des vecteurs de maladies émergentes. Des études spécifiques de prévalence d infestation par Amblyomma variegatum dans la Caraïbe anglophone et les Antilles françaises (Vachiery et al., 2008) ont permis de déterminer des facteurs de risque d infestation, de suivre l évolution de la situation épidémiologique, de proposer des stratégies de lutte et d améliorer la surveillance (Ahoussou et al., 2010). Enfin, en complément, l évaluation de la 114 Innovations Agronomiques 16 (2011),

110 Lutte contre les maladies émergentes animales prévalence d infection des tiques par la bactérie responsable de la cowdriose dans plusieurs pays de la Caraïbe, d Afrique et de l océan indien permet de mesurer les risques de transmission de la maladie. L ensemble de ces données issues de la recherche est transmis aux acteurs de la surveillance dans la zone Caraïbe (services vétérinaires), et ce au sein d un groupe du travail «tiques et maladies transmises» de CaribVET. Ce groupe est composé aussi bien de chercheurs que de responsables de services vétérinaires, de personnes en charge de la surveillance, ou d experts de la lutte contre les tiques. Un plan d action est ainsi proposé, qui répond aux questions des acteurs de la surveillance, prend en compte les dernières données fournies par ces acteurs, et est issu des résultats de la recherche. De fait, ces recommandations peuvent ensuite être appliquées pour une meilleure surveillance et un contrôle de la maladie. Conclusion Les trois approches innovantes développées ont en commun la nécessité d une approche intégrée de la surveillance et la lutte contre les maladies animales émergentes. La recherche doit répondre aux défis complexes lancés par ces maladies, et ce en combinant les travaux les plus fondamentaux permettant de comprendre les mécanismes de pathogénie et d émergence, les technologies modernes d étude à haut débit des génomes ou de surveillance en ligne géoréférencée, les outils récents de modélisation mathématiques et les travaux de terrain. Cette approche intégrative doit aussi l être quant aux personnes impliquées dans ces travaux : chercheur, décideurs, gestionnaires et acteurs de la surveillance. L échelon régional semble être le plus propice à cette approche globale de prévention et de contrôle des maladies émergentes. Références bibliographiques Adakal H., Stachurski F., Konkobo M., Zoungrana S., Meyer D.F., Pinarello V., Aprelon R., Marcelino I., Alves P.M., Martinez D., Lefrancois T., Vachiery N., Efficiency of inactivated vaccines against heartwater in Burkina Faso: Impact of Ehrlichia ruminantium genetic diversity. Vaccine 23;28(29), Ahoussou S., Lancelot R., Sanford B., Porphyre T., Bartlette-Powell P., Compton E., Henry L., Maitland R., Lloyd R., Mattioli R., Chavernac D., Stachurski F., Martinez D., Meyer D.F., Vachiery N., Pegram R., Lefrançois T., Analysis of Amblyomma surveillance data in the Caribbean: lessons for future control programmes. Vet Parasitol. 10;167(2-4), Barré N., Uilenberg V, Morel P.C., Camus E., Danger of introduction heartwater onto the American mainland: potential role of indigenous and exotic Amblyomma ticks. Onderstepoort. J. Vet. Res. 54, Driot C., Pradel J., Teissier R., Redon J-M., Vachiery N., Gerbier G., Lefrançois T., Establishment of Heartwater surveillance in an enzootic situation: example in Guadeloupe, French West Indies. International Conference on Animal Health Surveillance (ICAHS), Lyon, May Poster. Proceedings of the International Conference on Animal Health surveillance (ICAHS). Epidemiologie et Santé animale, N 59-60, Gongora V., Trotman M., Thomas R., Max M., Zamora P.A., Lepoureau M.T., Phanord S., Quirico J., Douglas K., Pegram R., Martinez D., Petitclerc M., Chouin E., Marchal C., Chavernac D., Doyen D., Vachiéry N., Molia S., Hendrikx P., Lefrançois T., The Caribbean animal health network: new tools for harmonization and reinforcement of animal disease surveillance. Ann N Y Acad Sci. 1149, Lefrançois T., Hendrikx P., Ehrhardt N., Millien M., Gomez L., Gouyet L., Gaidet N., Gerbier G., Vachiéry N., Petitclerc F., Carasco-Lacombe C., Pinarello V., Ahoussou S., Levesque A., Gongora H.V., Trotman M., 2010a. Surveillance of avian influenza in the Caribbean through the Caribbean Innovations Agronomiques 16 (2011),

111 T. Lefrançois et al. Animal Health Network: surveillance tools and epidemiologic studies. Avian Dis. 54 (1 Suppl), Lefrançois T., Hendrikx P., Vachiéry N., Ehrhardt N., Millien M., Gomez L., Gouyet L., Gerbier G., Gongora V., Shaw J., Trotman M., 2010b. Interaction between research and diagnosis and surveillance of avian influenza within the Caribbean animal health network (CaribVET). Transbound Emerg Dis. Apr; 57 (1-2), Marcelino I., Sousa M.F.Q., Verissimo C., Cunha A.E., Carrondo M.J.T. Alves P.M., Process development for the mass production of Ehrlichia ruminantium. Vaccine 24, Marcelino I., Vachiéry N., Amaral A.I., Roldao A., Lefrançois T., Carrondo M.J.T., Alves P.M., Martinez D., Effect of the purification process and storage conditions on the efficacy of an inactivated vaccine against heartwater. Vaccine 25, Martinez D., Cowdriose. Principales maladies infectieuses et parasitaires du bétail. Editions TEC & DOC. 91, Pradel J., Petit-Sinturel M., Bournez L., Vachiéry N., Gongora V., Shaw J., Kalloo M., Lefrançois T., CaribVET, le réseau caribéen de santé animale. Bulletin Epidémiologique, Santé animalealimentation, Anses, 43, p 3-5 Raliniaina M., Meyer D.F., Pinarello V., Sheikboudou C., Emboulé L., Kandassamy Y., Adakal H., Stachurski F., Martinez D., Lefrançois T., Vachiéry N., Mining the genetic diversity of Ehrlichia ruminantium using map genes family. Vet Parasitol. 10;167(2-4), Vachiéry N., Jeffery H., Pegram R., Aprelon R., Pinarello V., Kandassamy Y., Raliniaina M., Molia S., Savage H., Alexander R., Frebling M., Martinez D., Lefrançois T., Amblyomma variegatum ticks and heartwater on three Caribbean Islands. Ann N Y Acad Sci. 1149, Vachiéry N., Lefrancois T., Esteves I., Molia S., Sheikboudou C., Kandassamy Y., Martinez D., Optimisation of the inactivated vaccine dose against heartwater and in vitro quantification of Ehrlichia ruminantium challenge material. Vaccine 24, Innovations Agronomiques 16 (2011),

112 Innovations Agronomiques 16 (2011), Pollution durable des sols par la chlordécone aux Antilles : comment la gérer? 1 Unité ASTRO, INRA, Antilles Guyane, Cabidoche Y.M. 1, Lesueur Jannoyer M. 2, 3 2 Unité HORTSYS, CIRAD, TA B-103/PS4, Boulevard de la Lironde Montpellier Cedex 5 3 Pôle de Recherche Agroenvironnementale de la Martinique, Petit Morne, Le Lamentin Cedex 5, Martinique cabidoch@antilles.inra.fr; jannoyer@cirad.fr avec la collaboration de : Claridge Clermont-Dauphin, Guillaume Humbert, Antoine Lafont, Julie Sansoulet (INRA Antilles-Guyane UR ASTRO), François Laurent (INRA Toulouse UMR Xénobiotiques), Maurice Mahieu, Harry Archimède (INRA Antilles-Guyane UR Zootechniques), Philippe Cattan (Cirad Guadeloupe UR BPA), Raphael Achard, Audrey Caron, Christian Chabrier (Cirad Martinique PRAM) Résumé La chlordécone, insecticide organochloré de synthèse, était utilisée dans les bananeraies antillaises avant Pourtant, elle contamine encore les ressources en eau, certaines denrées, et des organismes aquatiques. Très tôt, la recherche agronomique s est mobilisée pour répondre aux questions posées pour la gestion de cette crise : Où sont les sols pollués? Est-ce une pollution durable? La molécule est peu mobile. Des cartes de risques, fondées sur leur occupation rétrospective en bananeraies, aboutissent à 1/5e de la SAU polluée en Guadeloupe, 2/5e en Martinique. Les sols riches en matière organique retiennent fortement la chlordécone. Elle ne se dégrade pas dans les sols aérés, seules les eaux de percolation peuvent la dissiper. Sa persistance est donc longue, d un à quelques siècles selon les sols. La dépollution artificielle n est pas actuellement opérationnelle. Il faut donc gérer cette pollution. Pour réduire l exposition de la population et la contamination des denrées, les agriculteurs doivent disposer de systèmes de culture et d élevage compatibles avec les niveaux de chlordécone des sols, restés fertiles. Un outil est disponible, il prend en compte le niveau de pollution de la parcelle et la contamination des cultures: certaines sont très contaminées (tubercules), d autres indemnes (fruits d arbres, banane, ananas, tomate, ). Mots-clés : organochlorés, pollution chronique, risque d exposition, transfert, outil de gestion Abstract: Long term pollution of soils in French West Indies : how to manage chlordecone contamination? Chlordecone, an organochlorine insecticide, has been used in banana fields before Nowadays, it is still polluting water resources, food and aquatic biota. Agronomic research has been working very early to answer to how to manage this environmental and sanitary crisis: where are the polluted soils? Is the pollution a long term pollution? The molecule is not mobile. Risk maps, based on the past banana fields, resulted in the diffuse pollution of 1/5 th of cultivated area in Guadeloupe and 2/5 th in Martinique. Soils with a high content of organic matter are fixing chlordecone molecule. It has not been observed degradation in aerated soil conditions,

113 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer thus natural soil leaching is the only way to decrease soil pollution which is highly persistent, from one to several centuries according to soil type. Efficient depollution is not operational at the moment. Thus, pollution has to be managed. To reduce population exposure and food contamination, producers need sustainable cropping systems because polluted soil stays productive and fertile. A decision tool is now available, it takes in account the soil pollution level of the field and potential crop contamination: some crops are highly contaminated (roots and tubers), others are chlordecone free (fruits, banana, pineapple, tomato). Keywords: organochlorine, chronic pollution, exposure risk, transfer, management tool Introduction Dans les années 60 et 70, l on considérait que toute entrave à la productivité agricole pouvait être résolue par des interventions techniques, notamment des apports d intrants chimiques. Tout bioagresseur des cultures, ayant le moindre impact sur les rendements ou la qualité visuelle des produits récoltés devait être éliminé. Dans les bananeraies des Antilles françaises, ce fut le cas du charançon Cosmopolites sordidus, dont les larves détruisent le bulbe du bananier. La lutte contre le charançon utilisait à l époque des apports massifs d hexachlorocyclohexane (HCH), sous une forme brute dite «technique», jusqu à 350 kg/ha/an (Figure 1). Certains producteurs ont alors pris connaissance d un produit insecticide fabriqué aux USA appelé Képone, contenant 5% de matière active chlordécone, dont la réputation d efficacité les a conduits à effectuer des tests sur les bananeraies antillaises : avec des apports 100 fois moindres, on obtenait le même résultat qu avec le HCH. Cette chlordécone est moins soluble et plus fortement fixée à la matière organique des sols que les isomères du HCH (Figure 1). La perspective d interdiction du HCH au milieu des années 70, et l apparence très «raisonnable» du rapport quantité/efficacité a entraîné la succession d autorisations provisoires d application du Képone, même si des alertes avaient eu lieu (fermeture de l usine de fabrication de la molécule à Hopewell (Virginie, USA) et interdiction d usage aux USA en 1976 ; résultats de Snegaroff (1977) sur la contamination des ressources en eau et de certains organismes aquatiques aux Antilles). Figure 1 : Configurations moléculaires, utilisation, et principales propriétés de l hexachlorocyclohexane (HCH) et de la chlordécone 118 Innovations Agronomiques 16 (2011),

114 Gérer la chlordécone dans les sols antillais Ce produit ne sera interdit qu en 1990, avec des dérogations aux Antilles aboutissant à son usage de fait jusqu en Les consignes d application (en général 30 g/pied/an soit 3 kg de chlordécone/ha/an) sont formellement transmises par l encadrement technique des groupements de producteurs, qui sont eux-mêmes pourvoyeurs de la plupart des exploitants ; par ailleurs le produit est cher, ce qui entrave les surdosages et la constitution de stocks dans les exploitations. Pendant une vingtaine d années, de 1973 à 1993, on peut donc considérer que les quantités cumulées de chlordécone apportées représentent en cumulé 60 kg/ha (ou 6 g/m²), soit 50 fois moins que les 3 tonnes/ha de HCH (300 g/m²) apportées précédemment. Ce n est qu en 1999 qu une analyse multirésidus des eaux potables distribuées met en évidence des concentrations en chlordécone dépassant les normes sanitaires européennes dans certaines sources captées. Une filtration par charbons actifs ou une dilution avec des eaux indemnes sont alors mises en place sur les captages de sources contaminées. Fin 2001, un contrôle douanier montre une contamination de patates douces importées de Martinique dans l hexagone. Des plans de contrôle sont alors mis en place par les services de l Etat en Guadeloupe et Martinique, ciblés sur les organes souterrains récoltés (appelés localement «légumes racines») qui sont parfois très fortement contaminés, au-delà de 1 mg/kg. Dès 2003, les agriculteurs candidats à des cultures vivrières doivent produire un résultat d analyse de sol (prise en charge par l Etat), sachant qu ils s exposent à des contrôles renforcés et à des destructions de récolte si les organes récoltés sont contaminés. En 2005, la mise en évidence de la contamination de poissons et crustacés d eau douce conduit à des arrêtés d interdiction de pêche dans les rivières des communes comportant sur leur territoire des parcelles en bananeraies à l époque chlordécone. En 2008, la détection de chlordécone dans des organes récoltés autres que souterrains renvoie la responsabilité des agriculteurs au «paquet hygiène» : ils doivent se donner les moyens de garantir une production saine (même si des subventions européennes les aident à identifier le degré de pollution des sols de leurs exploitations). En 2010, des animaux d élevage sont détectés contaminés par les services vétérinaires après leur abattage. La séquestre à l abattoir, libératoire si les analyses sont négatives, permet de protéger le consommateur, mais les éleveurs sont demandeurs de conseils de gestion pour éviter de produire des animaux contaminés. L AFSSA a travaillé intensément de 2003 à 2008, pour définir des limites maximales de résidus admissibles pour la population humaine, compte tenu des valeurs toxicologiques de référence et des coefficients de sécurité classiquement édictés par l OMS : cette LMR a été fixée à 50 µg/kg. Le ministère de la Santé a décidé en 2008 de se rapprocher des normes européennes par défaut en fixant cette limite à 20 µg/kg, surprotégeant ainsi les consommateurs par rapport à la norme OMS. Dans ce contexte, la recherche agronomique s est investie pour fournir rapidement des réponses aux questions essentielles posées par tous les acteurs (services de l Etat, agriculteurs, consommateurs) : - D où vient la pollution? - Où sont les sols pollués? - Combien de temps la pollution va-t-elle durer? - Va-t-elle se propager? - Comment réduire cette pollution? - Que peut-on produire sur ces sols pollués, et comment, en garantissant l innocuité des produits récoltés? D où vient la pollution? La chlordécone n a été normalement appliquée que sur les bananeraies. Cependant, elle peut être un produit d évolution du Mirex (Perchlordécone), appliqué à proximité des cultures vivrières pour lutter contre la fourmi-manioc dans les années 90, principalement en Grande-Terre de Guadeloupe, et de manière plus limitée dans le nord-est de la Basse-terre de Guadeloupe (la Martinique n est pas Innovations Agronomiques 16 (2011),

115 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer concernée par cet insecte). La quantité totale estimée de chlordécone pouvant dériver du Mirex correspond aux quantités nominales de chlordécone épandues sur 2 ha de bananeraies entre 1980 et On remarque que ces apports peuvent être responsables des quelques analyses légèrement positives enregistrées sur les sols de Grande-terre. En dehors de la Grande-terre, aucune analyse significativement positive n a été enregistrée à la Guadeloupe, mis à part une légère pollution de sols hydromorphes d arrière mangrove, contaminés secondairement par des émergences de nappes d eau en aval de collines polluées. A la Martinique, quelques dizaines d hectares de cultures arboricoles, identifiés, ont connu des applications de chlordécone pour lutter contre les charançons des agrumes (Diaprepes spp). Globalement, donc, ce sont bien les sols occupés par des bananeraies entre 1971 et 1993 qui constituent actuellement les réservoirs de pollution. Où sont les sols pollués? Des cartes de risques de pollution des sols, fondées sur l occupation rétrospective en bananeraies, pendant la période d application de la chlordécone, ont été établies pour la Guadeloupe et la Martinique (Figure 2). Elles ne représentent pas la situation réelle de pollution de chaque parcelle, mais la probabilité que la parcelle soit polluée à des niveaux plus ou moins élevés. Pour la Guadeloupe, ce travail a été réalisé par la DAAF-SA avec la collaboration de l INRA-ASTRO en (Tillieut et Cabidoche, 2006) à partir de photos et de cartes d occupation du sol (1969, 1977, 1984, 1996). Quatre zones de risques de pollution des sols ont été définies: 1. Risque très fort : risque de teneur très élevée du fait de la présence de bananeraies pendant plus de 10 ans, 2. Risque fort : risque de teneur élevée du fait de la présence de bananeraies avant 1980 ou seulement sur les îlots défrichés en Risque moyen : risque de teneur faible de la présence de bananeraies entre 1977 et 1982, pas de présence relevée sur les autres périodes (avant 1970, après 1995). 4. Risque faible à nul : pas de présence de bananeraies sur les périodes considérées. Cette carte a été progressivement validée par les analyses des plans de contrôle de la DAAF-SA, celles de l application des arrêtés préfectoraux sur les intentions de cultures vivrières et de mesures en bananeraies. Fin 2008, sur plus de 2400 analyses disponibles, les zones 1 et 2 (risque très fort et fort) comportent plus de 90% d analyses positives. A l opposé, les zones 3 et 4 (risque faible à nul) montrent moins de 6% d analyses de sols contaminants. La carte des risques de pollution des sols de la Guadeloupe est donc de bonne qualité, on peut considérer que les zones polluées sont globalement bien définies. Pour la Martinique, le BRGM (Desprats et al., 2004) a utilisé des images cartographiques ou photographiques (1970, 1980, 1992), a incomplètement exploité les figurés de cultures de la carte IGN au 1/25000e (1984) et a considéré que les applications étaient conformes aux recommandations et avaient été modulées selon les niveaux d infestation, plus faibles dans les zones sèches. Cette dernière hypothèse, optimiste, n est pas vérifiée car les traitements étaient, comme à la Guadeloupe, appliqués dès la plantation de manière systématique. Cette analyse multicritère a abouti à 11 classes de risque (en fonction du type de sol, de la pluviométrie et de la durée d occupation du sol en bananeraie) validées également par des analyses de sol. Si la carte des risques forts à très forts demeure bonne, les zones de risque faible à nul sont nettement sur-estimées : plus de 20% des analyses disponibles fin 2008 y sont positives. L amélioration de ces cartes à dire d acteurs n est pas possible. Lors des 120 Innovations Agronomiques 16 (2011),

116 Gérer la chlordécone dans les sols antillais enquêtes conduites par les ARS dans le cadre du suivi des jardins familiaux pollués (JAFA), la majorité des acteurs étaient dans l incapacité de renseigner correctement sur le passé bananier des parcelles ou les applications de chlordécone. Martinique Guadeloupe Figure 2 : Cartes des risques de pollution des sols des Antilles par la chlordécone. Guadeloupe (DAAF-SA Guadeloupe, INRA-ASTRO, 2006) : bonne validation par les analyses réelles recueillies depuis l élaboration. Martinique (BRGM, 2004) : bonne validation pour les zones à risque très fort (rouge), nombreuses lacunes pour les risques moyens (jaune) et faible (vert), et surfaces sous estimées par la présence d une zone non inventoriée, en blanc. A ce jour, la part de surface agricole utile (SAU) polluée est proche de 1/5e en Guadeloupe (6 200ha sur ha incluant Marie-Galante). Pour la Martinique, elle est supérieure à 2/5e (12 000ha sur ). Ainsi, tant en Guadeloupe qu en Martinique, la majorité de la SAU n est pas polluée. Sur ces surfaces indemnes de chlordécone, il convient donc de mettre en œuvre des systèmes de culture ou d élevage favorisant les régulations physiques et biologiques, maîtrisant les niveaux d intrants et leur devenir environnemental. A l échelle du territoire, ces cartographies du risque sont satisfaisantes, mais à l échelle de la parcelle, l analyse du sol est obligatoire pour connaître le niveau de pollution du sol. L Institut Pasteur Guadeloupe et le Laboratoire Départemental d Analyses de la Martinique (LDA972) sont aujourd hui qualifiés (accréditation COFRAC) pour ces analyses. Innovations Agronomiques 16 (2011),

117 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer Combien de temps la pollution va-t-elle durer? (Cabidoche et al., 2009) La chlordécone a été épandue sur des sols d origine volcanique riches en argiles au sens large. Cette richesse en argiles s accompagne d une richesse des sols en matière organique. Or, la matière organique des sols, quantifiée par leur teneur en carbone organique, présente une forte affinité pour la chlordécone et la «fixe». La littérature (RAIS, 2006)mentionne une valeur du coefficient de partage Koc entre le carbone organique du sol et l eau interstitielle du sol particulièrement élevée ( L/kg), ce qui signifie, qu à l équilibre après apport, il y aura fois plus de chlordécone «fixée» à un kg de matière organique du sol que contenue dans un litre de solution du sol. Dans ce contexte où la persistance de la pollution risque s être longue, la recherche agronomique a pu utiliser efficacement dès 2003 deux dispositifs installés antérieurement pour évaluer l impact des systèmes de cultures bananiers sur les sols et sur la composition des flux d eau sortants des sols : - Une collection de plus de 100 parcelles d agriculteurs, de niveaux d intensification variés (travail du sol, fertilisation, pesticides), couvrant la diversité des sols cultivés en bananeraies, conduites par des agriculteurs dont les déclarations de pratiques étaient cohérentes avec les états du milieu observés (Clermont-Dauphin et al, 2006). Près de 60 parcelles ont été sélectionnées en fonction des apports de chlordécone (de 1 application à 1 application tous les ans sur la période). - Deux parcelles instrumentées en bananeraies, une sur andosol en Guadeloupe, une sur nitisol en Martinique, permettant de recueillir et d analyser les eaux de ruissellement (circulant en surface des sols) et les eaux de drainage (percolant à travers les sols et alimentant en profondeur les nappes) (Khamsouk, 2001 ; Cattan et al, 2006). Sur le dispositif de parcelles d agriculteurs, les teneurs en chlordécone, sur chaque type de sol, sont expliquées à plus de 80% par l importance des apports passés et par la teneur en carbone, sans même prendre en compte l ancienneté de ces apports. La dégradation de la molécule est donc très faible et le seul moteur possible de sa dissipation est son lent lessivage par les eaux de drainage. Un modèle de lessivage (WISORCH) a été construit sur des hypothèses simples (cinétique de premier ordre) : - plus le sol est riche en carbone (matière organique) et plus il retient la chlordécone, en fonction du coefficient de partage Koc, - la fraction lessivée par les eaux de drainage est en proportion constante du stock restant adsorbé sur le sol, - le seul facteur de dilution apparente est le travail du sol : entre maintien de la chlordécone dans les 30 premiers centimètres dans les bananeraies de montagne travaillées manuellement, et dilution mécanique jusqu à 70 ou 80centimètres dans des bananeraies au travail du sol lourdement mécanisé (charrues à défoncer). La confrontation des teneurs mesurées en chlordécone sur les andosols du réseau de parcelles en 2002 ou 2003 et des teneurs calculées par le modèle WISORCH pour un coefficient de partage Koc de L/kg a été excellente : seul le lessivage de la chlordécone des sols par les eaux de drainage peut assurer leur lente dépollution. Pour les autres types de sols (ferralsols, nitisols), les teneurs calculées étaient nettement supérieures aux teneurs mesurées, ce qui a conduit à une révision à la baisse des valeurs de Kocpour ces sols. La confrontation des valeurs de concentrations mesurées dans les eaux de drainage sous les nitisols de la Martinique a permis de confirmer la réalité des coefficients de partage plus bas. Il s ensuit trois traits de comportements des sols : - pour des applications passées de la molécule équivalentes, la teneur en chlordécone d un nitisol est très inférieure à celle d un andosol, au-delà de l effet d une moindre teneur en carbone. 122 Innovations Agronomiques 16 (2011),

118 Gérer la chlordécone dans les sols antillais - un nitisol sera plus vite dépollué qu un andosol. - pour des teneurs en chlordécone égales, un nitisol est beaucoup plus contaminant pour l environnement qu un andosol. La validité de ce modèle apporte trois informations générales contraignantes : - la chlordécone ne se dégrade pas spontanément dans les sols agricoles bien aérés, - les délais de dépollution des sols par lessivage seront extrêmement longs, entre quelques décennies et un siècle pour les nitisols, jusqu à six siècles pour les andosols avant d atteindre la limite de quantification de 10µg/kg. Il en découle également une exposition chronique et durable des écosystèmes aquatiques. Il faudra donc cohabiter avec la pollution des sols par la chlordécone pour longtemps (Figure 3). Année 2002 Année 2200 Figure 3 :Simulation de l évolution des teneurs en chlordécone de la couche de surface des sols de bananeraies du sud de Basse Terre (Guadeloupe). En supposant l apport de la totalité des apports préconisés de Curlone ( ), en 2002 les nitisols (en jaune) sont pollués que les andosols (en rouge). En 2200, les nitisols seront dépollués (en bleu), mais les andosols encore loin de l être (jaune et rouge). (Cabidoche et al., 2006). Copyright INRA (UR ASTRO & US INFOSOL) et IGN Est-ce que la pollution des sols se propage? Propagation latérale Les mesures effectuées sur les parcelles instrumentées ont montré que le ruissellement - l eau qui s écoule en surface des sols - représente en moyenne annuelle moins de 20% de la quantité d eau qui s infiltre dans les andosols et nitisols acides. Par ailleurs, ce ruissellement est fugace, et peu efficace dans le transport de chlordécone : les concentrations de chlordécone n y dépassent pas 2 µg/l là où elles atteignent plus de 8 µg/l dans les eaux de drainage. Des mesures effectuées sur des parcelles n ayant pas reçu d apports et situées immédiatement à l aval de parcelles pollués ne subissent des contaminations que si des chemins d écoulements concentrés («talwegs») relient les deux parcelles. Ces contaminations restent superficielles et très faibles, sur une dizaine de mètres tout au plus. Tant que l on reste dans le domaine des sols acides et bien structurés (andosol, ferralsol, nitisol), la chlordécone ne «bave» pas et n affecte que les sols sur lesquels elle a été apportée. Les contaminations environnementales se font essentiellement via les nappes souterraines, qui alimentent les sources, soutiennent le débit des rivières en période de basses eaux ou résurgent directement à la côte (Charlier, 2007). Dans certaines positions, ces nappes peuvent émerger en piedmont de collines en saturant des sols hydromorphes, notamment d arrière mangroves : c est le seul cas de sols apparemment pollués alors qu ils n ont jamais reçu d apport. Innovations Agronomiques 16 (2011),

119 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer Il n en est pas de même si le ruissellement transporte des particules argileuses en suspension. Ceci peut se produire accidentellement sur les sols acides suite à des erreurs de préparation du sol : un sol laissé nu trop longtemps se fragmente en fins agrégats qui peuvent être transportés par des ruissellements concentrés à débit important, notamment à la sortie de sillons trop longs dans le sens de la pente. Ces transferts se font cependant sur d assez courtes distances, au plus hectométrique. Les sols riches en smectites, vertisols au sens large, subissent en revanche une érosion superficielle favorisée par un ruissellement important et une détachabilité des particules argileuses. Ces particules fines restent en suspension dans le ruissellement, et peuvent atteindre les rivières et la mer avant de se redéposer. Ce phénomène affecte presque exclusivement les sols à smectites du centre-est et du sudest de la Martinique. Propagation verticale Compte tenu des Koc élevés, la contamination des horizons profonds des andosols par les eaux de percolation est très lente, et faible à ce jour. Dans les bananeraies pérennes, cultivées sans labour, 90% du stock de chlordécone est présent dans les 30 premiers centimètres. Dans les bananeraies labourées, une partie de la chlordécone est incorporée à une profondeur supérieure à 30 cm. Dans beaucoup de parcelles labourables, les années chlordécone correspondaient à des passages répétés d outils travaillant à des profondeurs atteignant couramment 60 cm (charrues à défoncer, charrues à disques lourds, rippers). C est ainsi que dans beaucoup de parcelles mécanisables, le stock de chlordécone des 30 premiers centimètres ne représente que 50% du stock total du sol. Dans certaines situations (lotissement du périmètre de Fonds-cacao à Capesterre-B-E, Guadeloupe), un labour retourné a été effectué à la charrue à défoncer pour détruire la bananeraie, la totalité du stock se trouve alors en dessous de 30 cm. Ces pratiques de travail du sol compliquent le diagnostic du niveau de pollution d un sol, qui ne devrait pas se faire sur une simple teneur des 30 premiers centimètres, mais sur le stock total. Par ailleurs, elles peuvent compliquer la représentativité parcellaire de l échantillonnage : sur une parcelle n ayant connu que deux apports de chlordécone, suivis d un seul labour sur une topographie ondulée, il faut rassembler par moins de 25 échantillons pour obtenir une teneur moyenne fiable à 10% près (Achard et Chabrier, 2004). Comment réduire cette pollution? (Clostre et al, 2010) La solution la plus évidente pour traiter des sols pollués est de décaper la partie la plus affectée. Dans certains cas de sols non labourés (bananeraies pérennes), on pourrait envisager de diminuer de 80% la charge polluante en décapant les sols de 20 cm. Les surfaces concernées seraient faibles, probablement moins de 50 ha, mais supporteraient une baisse de fertilité agronomique importante et un accroissement du risque d érosion. Dans toutes les autres situations de pollution, la diminution de la charge polluante de 80% supposerait de décaper au minimum 50 à 60 cm de terre correspondant à des volumes de terre impressionnants à traiter (des millions de m3).elle s accompagnerait d une perte totale de fertilité des parcelles après décapage. Une telle solution est à l évidence irréaliste, le traitement in situ des parcelles est privilégié. Même si la chlordécone est capable de pénétrer dans les végétaux, aucune espèce n a encore été identifiée comme étant capable d une capture active, suffisante pour envisager des solutions de phytoextraction. 124 Innovations Agronomiques 16 (2011),

120 Gérer la chlordécone dans les sols antillais La dégradation microbienne semble possible en conditions anaérobies (Cahiers du PRAM 2011), mais elles ne correspondent pas aux conditions physico-chimiques naturelles des sols cultivés. Des équipes de recherche sont mobilisées afin d explorer les voies de dégradation à privilégier. Des techniques de création de conditions réductrices localisées autour de micro-particules de métaux de valence nulle sont en cours d étude(dictor et al, 2011),les résultats sont encourageants mais non encore opérationnels sur le terrain. Par ailleurs, la mobilisation brutale de chlordécone ou de ses métabolites, dont on connaît mal les propriétés, pose question et pourrait avoir un impact environnemental mal évalué aujourd hui. Pour toutes ces raisons, la remédiation de cette pollution doit prioritairement passer par des solutions de gestion qui permettent d en minimiser l impact et la rendre compatible avec les questions de santé publique, et si possible celles de la santé des écosystèmes d aval. Que peut-on produire sur ces sols pollués, et comment, en garantissant l innocuité des produits récoltés? Passée la première phase de diagnostic de la persistance de la molécule et de délimitation de la pollution, c est sur cette question que s est focalisée la recherche agronomique régionale depuis 2005.L ensemble des mesures réalisées sur différentes cultures nous permettent de construire un ensemble d hypothèses pouvant expliquer la contamination des différents organes végétaux. Degré d exposition des plantes selon les sols : la chlordécone biodisponible (Cabidoche et Lesueur-Jannoyer, 2011) Des tests de contamination d ignames et de courgettes, menés dès 2005 sur différents types de sols, ont donné des résultats surprenants en apparence, où un nitisol de près de 2 mg/kg se montrait aussi contaminant qu un andosol à 36 mg kg (Figure 4a). Par ailleurs, pour chaque sol et chaque plante, la proportionnalité des contaminations de fruits et tubercules avec le niveau de pollution était conservée. Ce n est ni la teneur, ni le stock total de chlordécone d un sol qui définissent sa capacité contaminante, mais la fraction de cette chlordécone qui est disponible en solution, dans une unité de volume de sol (1).Cette fraction que nous appellerons chlordécone biodisponible, permet de montrer une relation unique entre sa teneur et la contamination, par exemple, de tubercules d ignames (Figure 4b). (1) [CLD] bw = [CLD] s W fc D as / K oc / SOC avec [CLD]bw : teneur en chlordéconebiodisponible dans la solution du sol, mg/l [CLD]s : teneur pondérale en CLD, mg/kg Sol Sec ; Wfc : teneur volumique en eau du sol à la capacité au champ, %; Das : densité apparente du sol ; Koc : coefficient de partage /eau, L/kg SOC : teneur en matière organique du sol, % Innovations Agronomiques 16 (2011),

121 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer chlordecone dans tubercule d'igname µg kg-1ms andosol nitisol ferralic nitisol y = 17.64x R² = chlordecone total mg kg -1 SOL chlordecone biodisponible µg dm -3 SOL a Figure 4 : Relation entre la teneur en chlordécone d ignames et celle de trois types de sols. a. teneur pondérale en chlordécone des sols, b. teneur en chlordéconebiodisponible (en solution dans un volume élémentaire de sol) (Cabidoche et Lesueur-Jannoyer, 2011) La chlordécone est transférée et contamine les racines de toutes les plantes Les racines sont contaminées par deux phénomènes : le contact et la diffusion passive. Au-dessus de leur apex et de la zone d élongation, les racines se recouvrent d un épiderme généralement riche en subérine. Cette substance est hydrophobe et présente une forte capacité à fixer la chlordécone. La partie externe des racines est donc très facilement et rapidement contaminée par contact. Par ailleurs, la chlordécone présente dans la solution du sol pénètre passivement dans les racines par diffusion, entraînée par le flux d absorption racinaire, sans que des phénomènes actifs ne soient mis en jeu. La quantité de chlordécone qui pénètre dans les racines via la solution du sol est donc la source principale de contamination de la plante entière, la contamination s effectue via la sève brute (phloème). Elle croise dans les racines, puis dans les différents organes de la plante des sites de fixation potentiels constitués de composés affines (fibres en particulier). Des recherches en physiologie cellulaire, utilisant de la chlordécone marquée au carbone 14, sont en cours pour préciser ces mécanismes de transfert et d adsorption. La contamination des différents organes au-dessus des racines dépend de leur affinité pour la molécule et de leur position dans le circuit de la sève Une fraction de la chlordécone en solution suit le flux de sève, qui s épure sur son trajet en rencontrant des tissus végétaux à forte affinité. Si ces tissus sont en amont des organes récoltés dans le circuit de la sève, ces derniers sont non ou très faiblement contaminés. Si au contraire ces organes récoltés sont positionnés sur le début du parcours du flux de sève, et comportent des tissus à affinité pour la chlordécone, ils seront contaminés (figure 5). La compréhension de ces phénomènes n en est qu à ses débuts, notamment concernant l affinité des différents tissus pour la chlordécone, mais quatre exemples permettent d illustrer ces mécanismes. b 126 Innovations Agronomiques 16 (2011),

122 Gérer la chlordécone dans les sols antillais Figure 5 : Voies de contamination par la chlordécone chez les plantes Contamination des bananiers, des arbres et des graminées Les racines, mais aussi le bulbe sont fortement contaminés; dans le faux-tronc, la contamination décroît avec la hauteur, affectant plus les gaines foliaires externes que les internes, plus jeunes. Dans les limbes des feuilles, une faible contamination est encore quantifiable, elle ne l est plus lorsqu on dose la chlordécone dans les bananes, quelle que soit la position des «mains» sur le régime. Ce transfert de chlordécone dans le bananier met en jeu des «filtres» successifs le long du circuit de la sève, et n atteint pas ou très peu les fruits (Figure 6 a). Ce système de filtres sur le flux de sève brute est probablement encore plus efficace dans les arbres fruitiers, aux troncs ligneux : à ce jour, de nombreuses analyses réalisées sur des fruits divers (carambole, citron vert, goyave, jujube, maracuja, papaye, prune de cythère) sont négatives ou proches du seuil de détection (1µg/kg MF). Les mêmes gradients décroissants racines - bases de tige - sommets de tige feuilles sont observables pour la canne à sucre (Figure 6 b), tout comme pour d autres Poacées dont la tige peut devenir ligneuse, au moins à la base : herbe à éléphant, herbe de Guinée, sorgho Si le schéma général reste le même, il est évident que l on ne doit pas confondre organe récolté et plante entière. Les bananes restent indemnes et la transformation des tiges entières de canne à sucre aboutit à des produits indemnes (rhum et sucre), mais la consommation des bases de faux troncs, et de la bagasse peut comporter des risques d exposition pour les animaux. Le risque existe également pour les enfants pour la consommation de bases de tiges de canne contaminées. Innovations Agronomiques 16 (2011),

123 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer a b Figure 6 : Contamination du bananier (a) et des tiges de canne à sucre (b) (Lesueur Jannoyer, 2010). Pour le bananier les données ont été obtenues sur une parcelle d andosol très polluée (21mg/kg SS) et 20 répétitions ; pour la canne les données ont été obtenues sur 6 parcelles de 3 types de sol très pollués et 20 répétitions par parcelle. Contamination de la tomate Aucun fruit de tomate n a été détecté contaminé, même dans le cadre d expérimentations contrôlées menées sur les sols les plus pollués connus. Pourtant, les tiges et les feuilles de tomate sont contaminées. Ce fruit bénéficie de conditions de croissance évitant la contamination : - remplissage nocturne par la sève élaborée issue des feuilles et faiblement contaminée, mise hors circuit de la sève brute (sève la plus contaminée) dans la journée, - efficacité des «filtres» tige et feuilles en amont, - aucun tissu à forte affinité dans le fruit (eau, sucres). Toute ou partie de ces propriétés permettront probablement d expliquer qu aucun fruit de Solanée n a été à ce jour détecté contaminé par la chlordécone (tomate, aubergine, poivron, piment). Contamination de la courgette Les détections de contaminations de certaines cucurbitacées ont été dans un premier temps attribuées à un contact avec le sol : c est vrai pour le concombre, le melon, la pastèque, le giraumon, dans les conditions de culture de plein champ aux Antilles. Un essai a été mené sur la courgette, en conditions contrôlées évitant tout contact avec le sol. Les courgettes récoltées se sont toutes avérées fortement contaminées, à plus de 10 fois la LMR, quelles que soient leur position sur la plante, leur date de formation ou leur date de récolte. Leur contamination s explique par deux caractéristiques de la plante : absence de tige «filtrante», remplissage en eau du fruit sur le flux diurne de sève brute, au même niveau que les feuilles, et forte vascularisation des tissus. Le remplissage par la sève brute est intense et direct (réalisé sur un circuit court) : la contamination est ainsi plus élevée. Si les propriétés de remplissage diurne sont communes aux Cucurbitacées, une étude par espèce (voire par variété) sera nécessaire pour comprendre la susceptibilité et la localisation tissulaire de contamination pour chacune (différenciation pulpe, peau dans certains cas). Pour le giraumon, Cucurbita maxima, et le concombre, Cucumis sativus, le taux de transfert maximum entre le sol et le fruit est de 2.5 et de 1.2% respectivement alors que la christophine, Sechium edule, reste indemne. Pour le giraumon, le taux de transfert dans la peau est 4 fois plus élevé que pour la pulpe (Figure 7) 128 Innovations Agronomiques 16 (2011),

124 Gérer la chlordécone dans les sols antillais alors que cette différence est peu marquée pour le concombre (Clostre et al, 2011). Pour d autres molécules organochlorées, la capacité d extraction par les racines varie fortement selon les espèces et les variétés (White, 2011). Figure 7 : Taux de transfert maximum entre le sol et les différents compartiments (peau, pulpe) du fruit pour le giraumon (Clostre et al, 2011). Contamination des ignames Les racines sont très fortement contaminées, au même niveau que le sol environnant, puis le collet et les enveloppes des jeunes tubercules en formation. Les tiges peuvent être contaminées jusqu à des hauteurs importantes (plus de 2m), mais à un étage donné de tige, les feuilles le sont 10 fois moins car elles sont plus riches en cellulose à faible affinité pour la chlordécone. Finalement, les sucres produits par les feuilles sont indemnes, migrent via la sève élaborée vers les tubercules qui accumulent de l amidon, indemne lui aussi : plus le tubercule grossit et moins il est contaminé, la part de la pulpe indemne augmentant par rapport au cortex contaminé. Finalement, la contamination des ignames récoltées concerne essentiellement le cortex, un épluchage gras de ces derniers permet de consommer une pulpe dont la teneur en chlordécone, au moins 10 fois plus faible que celle du tubercule entier, ne dépasse pas la LMR, même sur sol fortement pollué. Pour les différentes espèces de racines et tubercules (patate douce, dachine/madère, chou caraïbe, ), la contamination de la pulpe peut être variable selon la physiologie de la plante, mais l épluchage réduit toujours fortement l exposition du consommateur (facteur 4 à 10). Lorsque l on utilise des variétés aériennes d igname (Dioscorea bulbifera), les bulbilles récoltées sont très faiblement contaminées (< 5µg/kg MF) ce qui confirme également la contribution importante du contact direct entre le sol et le tubercule pour les autres espèces (Clostre et al, 2011) et l interposition d organes «filtres». Cette espèce pourrait constituer une bonne alternative pour la production de féculents indemnes, à la condition de caractéristiques organoleptiques proches de l igname classique et de son acceptation par les consommateurs. Innovations Agronomiques 16 (2011),

125 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer Que peuvent récolter les agriculteurs sur des sols pollués sans risquer de dépasser la LMR? Utilisation d un référentiel de contamination sol/légumes racines pour l aide à la décision (Cabidoche et Lesueur-Jannoyer, 2011) La collection de résultats obtenus sur igname et patate douce cultivées sur ferralic nitisol (Figure 8) a confirmé quatre faits robustes : (i) plus un sol est pollué, plus les légumes-racines sont contaminés, (ii) les légumes-racines portent le record de contamination relative, (iii) la contamination par contact y joue une part importante, car les cortex sont plus contaminés que les pulpes, et pour les madères les bases plus que les sommets émergés, et (iv) aucune espèce ne se distingue significativement des autres, malgré des tailles et des physiologies très différentes. La relation de contamination moyenne, illustrée par la régression linéaire, correspond à une teneur en chlordécone égale à 1/40e de celle du sol encaissant (soit un transfert moyen de 2.5%). Toutefois, certains organes récoltés s approchent de 1/10e (madères, radis). Il est raisonnable de considérer que le majorant de cette contamination relative (transfert maximum) est l enveloppe de la contamination des cortex d ignames, soit 1/5 e (Figure 8). Cette valeur empirique correspond à un équilibre, relatif à la matière sèche, entre le sol et les tissus du cortex. On peut ainsi proposer de définir un majorant de contamination des «racines» récoltées par cette relation : [CLD]R&T< 1/5 [CLD]s avec [CLD]R&T : teneur en chlordécone dans les racines et tubercules, µg/kg MF [CLD]s : teneur en CLD du sol, µg/kg Sol Sec ; 1 Radis Chlordécone "racines" mg/kgpf y = 0.025x R2 = Chlordécone sols au contact mg/kg Navet Patate 2 Patate 1 Madère=dachine, base Madère = dachine, entier Igname Grosse Caille Epluchures igname Plante/Sol = 1/5 LMR = 20 µg/kgpf LMsol = 100 µg/kgss Linéaire (Toutes "racines") Figure 8 : Relation de contamination des organes souterrains récoltés en fonction de la teneur en chlordécone du sol encaissant (données obtenues sur un ferralic nitisol à biodisponibilité de la chlordécone élevée) (Cabidoche et Lesueur-Jannoyer, 2011) 130 Innovations Agronomiques 16 (2011),

126 Gérer la chlordécone dans les sols antillais Une fois admise cette relation, on peut considérer que la projection verticale de son intersection avec la Limite Maximale de Résidus autorisée dans les denrées (LMR, 20µg/kg MF) permet de définir un seuil de teneur de chlordécone du sol en deçà duquel n importe quel organe récolté sera à coup sûr conforme (inférieur à la LMR): concrètement, tout sol, quel que soit sa nature, permettra de récolter des organes commercialisés conformes si sa teneur en chlordécone est inférieure à 0.1 mg/gss. Extension aux organes récoltés aériens Pour les organes aériens récoltés qui sont indemnes même sur les sols les plus contaminés (cf modèle tomate et cas des fruits d arbres, et de la plupart des fruits aériens de plantes herbacées comportant un remplissage par la sève élaborée : agrumes, ananas, banane, carambole, choux, christophine, gombos, maracujas, papaye, prune de cythère, solanées, ), ils peuvent être cultivés quel que soit le niveau de pollution du sol. Même si aucun modèle mécaniste ne permet encore de simuler la contamination des tissus intermédiaires, on peut affirmer que les tissus «filtres» efficaces existent en amont des produits récoltés. Certains organes aériens récoltés montrent une susceptibilité de contamination significative : ce groupe rassemble l essentiel des Alliacées (cive - oignon pays, oignon, poireau) en contact avec le sol, mais aussi les Cucurbitacées, dont les fruits sont remplis partiellement le jour et peu distants des racines (concombre, melon, pastèque, giraumon). Il comporte aussi des Poacées, dont la base des tiges peut être contaminée, et les Crucifères utilisées comme salades. En appliquant le même raisonnement que pour les racines et tubercules (traduction de la LMR en fonction du taux de transfert maximum), ce groupe de plantes peut être cultivé sans risque pour des teneurs dans les sols ne dépassant pas 1 mg/kgss. Ces normes proposées tiennent compte de références obtenues sur les sols les plus contaminants et sont donc très protectrices pour le consommateur ou contraignantes pour le producteur. Il sera possible de les adapter pour chaque type de sol. Des expérimentations sont en cours pour conforter cette attitude, qui est bien sûr plus délicate à endosser que la norme globale : cela suppose un accès à la connaissance du type de sol de chaque parcelle, qui comporte quelques incertitudes dans les zones de transition entre types. Contamination des animaux d élevage La contamination des animaux est un processus complexe, dans lequel la consommation d herbe intervient peu si celle-ci est abondante, car les feuilles sont indemnes. En revanche, si l herbe fait défaut, les animaux sont contraints de consommer les bases de tige, significativement contaminées, mais surtout d ingérer de la terre contaminée à des niveaux bien supérieurs. Par ailleurs, leur abreuvement est parfois réalisé à partir d eaux de sources ou de ravines polluées. Le système d élevage le plus sûr est fondé sur une stabulation permanente et un affouragement en fauche avec des hauteurs de coupes croissantes, alternant avec des fauches de rabattement, et un abreuvement avec de l eau saine. Une étude est en cours pour faire la part des différentes sources de contamination, et pour proposer des modes de conduite d élevage propres à minimiser la contamination. Les mammifères d élevage (bovins, caprins, ovins, porcins) disposent comme l homme d une enzyme, la chlordécone-réductase, capable de la transformer en chlordécol excrétable. Les premiers résultats obtenus (coll. DAAF-SA Martinique) sur des bovins contaminés mis en conditions indemnes de chlordécone montrent une diminution de moitié de la concentration dans le plasma en seulement 45 jours. C est plus rapide que chez l homme, et autorise d envisager des systèmes d élevage transhumants où la finition des animaux se ferait en zone indemne de chlordécone. Innovations Agronomiques 16 (2011),

127 Y.M. Cabidoche et M. Lesueur-Jannoyer Pour les bovins, ce risque est géré par une coopération exemplaire entre les professionnels et les services vétérinaires (DAAF-SA). Les contrôles à l abattoir sur la totalité des élevages à risque sont faits sous le régime de séquestre libératoire avec conservation en chambre froide : si les animaux s avèrent non contaminés, ils sont normalement commercialisés, et dans le cas contraire les carcasses sont détruites. La contamination des volailles ne concerne exclusivement que les petits élevages familiaux (situation de jardin créole) car aux Antilles les systèmes d élevage majoritaires sont des systèmes de type hors sol situés dans des zones non polluées. Une première étude montre que les poules ont une grande capacité d extraction de la molécule du sol, et que le type de sol n a pas d effet. Afin de modéliser le flux de chlordécone chez la poule pondeuse, l analyse de la quantité de sol ingéré et de la dynamique de contamination des différents organes (œuf, graisse, foie) est nécessaire. Conclusions Les sols pollués par la chlordécone aux Antilles le sont pour longtemps : la dépollution par lessivage est lente, les procédés de dégradation ne sont pas opérationnels, même s ils font l objet d un gros effort de recherche pluri-organismes. Il faut donc «faire avec», et continuer d utiliser ces sols, qui conservent tout leur potentiel de fertilité, pour des systèmes de culture ou d élevage dont les produits n affectent pas la santé humaine. Leur attribuer une autre fonction (production énergétique, urbanisation) affecterait gravement le potentiel agricole de Guadeloupe et Martinique, dont les SAU sont par ailleurs en inexorable régression. La recherche agronomique s efforce de fournir des références opérationnelles et certifiées quant à la sécurité sanitaire des produits récoltés sur les sols pollués. Un outil d aide au choix des cultures possibles sur sol pollué est disponible pour les professionnels agricoles. De nouvelles orientations durables des systèmes de culture pourront ainsi être favorisées. Concernant l élevage, l acquisition des données est en cours et devrait également aboutir à des recommandations ciblées pour des systèmes de production de viande conforme. La recherche agronomique apporte également une meilleure compréhension des transferts environnementaux de chlordécone, et en collaboration avec les enseignants chercheurs de l UAG, des impacts éco-toxicologiques de la chlordécone. Un effort de recherche particulier est engagé pour mieux comprendre les expositions des écosystèmes se situant en aval des sols pollués : torrents, rivières, estuaires, mangroves, herbiers, récifs. Références bibliographiques Achard R., Chabrier C., Cartographie du risque de pollution des sols par les organochlorés. Fiche technique de mode opératoire : prélèvement d un échantillon de sol, CIRAD, 2p. Achard R., Cabidoche Y.-M., Caron A., Nelson R., Duféal D., Lafont A., Lesueur -Jannoyer M., Contamination des racines et tubercules cultivés sur sol pollué par la chlordécone aux Antilles. Cahiers PRAM, Le Lamentin, Martinique, 7(2007), à consulter sur Cabidoche Y.-M., Lehmann S., Martin M., Tillieut O., Spatialisation du risque de contamination des sols par un pesticide organochloré rémanent autrefois appliqué sur des sols tropicaux volcaniques : la chlordécone aux Antilles françaises. Journée GIS «sol», Ministère de l Ecologie et du Développement Durable, Paris, 20 novembre Cabidoche Y.-M., Clermont-Dauphin C., Lafont A., Sansoulet J., Cattan P., Achard R., Caron A., Chabrier C., Stockage dans les sols à charges variables et dissipation dans les eaux de zoocides 132 Innovations Agronomiques 16 (2011),

128 Gérer la chlordécone dans les sols antillais organochlorés autrefois appliqués en bananeraies aux Antilles : relation avec les systèmes de culture. Rapport final de contrat de recherche, AP «Pesticides» 2002 MEDD. APC INRA Antilles-Guyane, 99p. Cabidoche Y.-M., Achard R., Cattan P., Clermont-Dauphin C., Massat F., Sansoulet J., Longterm pollution by chlordecone of tropical volcanic soils in the French West Indies: A simple leaching model accounts for current residues. Environmental Pollution, 157, Cabidoche Y.-M., Cattan P., Clermont-Dauphin C., Gaspard S., Lesueur-Jannoyer M., Merciris- Loranger G., Pollution persistante des sols aux Antilles par des insecticides organochlorés : HCH et chlordécone encore pour des siècles? Rencontres «Sites et Sols Pollués», Paris, octobre Présentation orale, CDROM, ADEME (Résumé étendu) Cabidoche Y.-M., Lesueur-Jannoyer M., Fate of chlordecone in agrosystems of the French West Indies. Accepté par Pedosphere. Cahiers du PRAM, Remédiation à la pollution par la chlordécone aux Antilles. Les Cahiers du PRAm vol 9-10, avril 2011, 97p.à consulter sur Cattan P., Cabidoche Y.-M., Lacas J.-G., Voltz M., Occurrence of runoff on high infiltrability andosol under two banana cropping systems. Soil Tillage Research, 86, Charlier J.-B., Fonctionnement et modélisation hydrologique d un petit bassin versant cultivé en milieu volcanique tropical. Thèse de Doctorat, Université de Montpellier 2, 246p. Clermont-Dauphin C.,Cabidoche Y.-M., Meynard J.-M., Diagnosis on some aspects of the sustainability of low input cropping systems in a tropical upland of Southern Haïti. Agriculture, Ecosystems and Environment 105, Clostre F., Lesueur Jannoyer M., Cabidoche Y.M., 2010, Conclusions de l Atelier «Remédiation à la pollution par la chlordécone aux Antilles» mai 2010, Martinique mai 2010, Guadeloupe, Cirad, 36p + annexes Clostre F., Lesueur Jannoyer M., Turpin B., Impact des modes de préparation des aliments sur l exposition des consommateurs à la chlordécone. Rapport final projet JAFA. Cirad, mars 2011, 147p + annexes Desprats J.F., Comte J.P., Chabrier C., Cartographie du risque de pollution des sols de Martinique par les organochlorés. Rapport Phase 3. BRGM RP FR, Orléans, 23 p, 10 ill., 6 cartes. Dictor M.C., Mercier A., Lereau L.,Amalric L., Bristeau S., Mouvet C., Décontamination de sols pollués par la chlordécone. Validation de procédés de dépollution physico-chimique et biologique, étude des produits de dégradation et amélioration de la sensibilité analytique pour la chlordécone dans les sols. Rapport final. BRGM/RP FR, 201p Khamsouk B., Impact de la culture bananière sur l environnement. Influence des systèmes de culture bananière sur l érosion, le bilan hydrique et les pertes en nutriments sur un sol volcanique en Martinique (cas du sol brun rouille à halloysite). Thèse de docteur ingénieur ENSA de Montpellier UFR Science du Sol, juin 2001, 220p Tillieut O., Cabidoche Y.-M., Cartographie de la pollution des sols de Guadeloupe par la chlordécone : Rapport technique. DAAF-SA & INRA-ASTRO, Abymes, 23p. Risk Assessment Information System. (2006). "Toxicity and Chemical-Specific Factors Data Base (Kepone)." from White J., Phyto-extraction de polluants organiques persistants altérés. Les Cahiers du PRAM 9-10, Innovations Agronomiques 16 (2011),

129 Innovations Agronomiques 16 (2011), Vers l émergence de nouveaux systèmes agricoles durables pour la satisfaction des besoins alimentaires aux Antilles-Guyane Ozier-Lafontaine H. 1, Boval M. 2, Alexandre G. 2, Chave M. 3, Grandisson M. 4 1 INRA, UR1321, ASTRO Agrosystèmes tropicaux, F-97170, Petit-Bourg (Guadeloupe), France. 2 INRA, UR 143, Unité de Recherche en Zootechnie, F-97170, Petit-Bourg (Guadeloupe), France. 3 INRA, UR1321, ASTRO Agrosystèmes tropicaux, PRAM, Quartier Petit-Morne, BP 214, F Le Lamentin cedex 2 (Martinique), France. 4 IGUAFLHOR, Interprofession Guadeloupéenne de Fruits, Légumes et d HORticulture, ancien lycée agricole Rond point de Destrellan, Baie-Mahault. Correspondance : harry.ozier-lafontaine@antilles.inra.fr Résumé Les DFA n échappent pas, à l instar de nombreuses régions dans le monde, à la remise en question de leur modèle de production agricole. Le passage d un modèle agroindustriel à un modèle de production fondé sur la diversification et l intensification écologique pour une meilleure satisfaction de la demande alimentaire locale et la production de services écosystémiques est désormais incontournable. La recherche agronomique se penche sur des solutions alternatives depuis des décennies, de même que des initiatives originales sont prises par des producteurs autour de la conception de systèmes innovants. L objectif de cet article est de poser les bases d une meilleure compréhension partagée des priorités, des modes d organisation et des méthodes nécessaires pour co-construire les systèmes innovants du futur dans les Outre-Mer. Cette démarche est confortée par un choix d exemples locaux ou régionaux visant à asseoir une vision partagée. Elle propose en sortie des options pour l émergence de systèmes agricoles durables aux Antilles-Guyane. Mots-clés : agroécologie, alimentation, Caraïbe, diversification, emploi, environnement, intensification écologique, multifonctionnalité, systèmes agricoles innovants Abstract: Towards sustainable agricultural systems to meet food needs in the French West Indies and Guyana context Following the example of numerous regions in the world, the French West Indies Departments, in turn, cannot avoid challenging their own model of agricultural production. The transition, from an agroindustrial model to a model based on diversification and ecological intensification for a better satisfaction of the local food demand and the production of ecosystemic services, is henceforth inescapable. Alternative solutions have been studied by the agronomic research for decades, just as original initiatives have been taken by producers in the prospect of innovative system design. The aim of this article is to set up the basis for a better shared understanding of priorities, organizational patterns and necessary methods to co-design the innovative systems of the future in the Overseas. This approach is reinforced by a choice of local or regional examples intended to build a shared vision. It eventually proposes some options for the emergence of sustainable agricultural systems in the French West Indies and Guyana. Keywords: agroecology, ecological intensification, food systems, Caribbean, diversification, employment, environment, multipurpose, innovative agricultural systems

130 H. Ozier-Lafontaine et al. Introduction Les DFA (Départements Français d Amérique) n échappent pas, à l instar de nombreuses régions dans le monde, à la remise en question de leur modèle de production agricole. Largement dominé par les cultures industrielles vouées à l export (canne à sucre, banane) et par le modèle conventionnel de production intensive, le secteur agricole est confronté à un défi multiple dans un contexte de crise énergétique et de changement global i) celui d une agriculture productive alliant la préservation de l environnement et/ou sa restauration, devenu un enjeu crucial suite aux crises environnementales (chlordécone en Guadeloupe et Martinique, déforestation en Guyane, Cabidoche et Lesieur-Jannoyer, ce colloque), ii) celui du soutien d une production alimentaire diversifiée à valorisation locale (Regina et al., 2009), visant à une meilleure satisfaction quantitative et qualitative de la demande intérieure, iii) celui du développement harmonieux du tissu rural. Cette évolution est rendue urgente face à la menace de l urbanisation galopante associée à la régression des espaces agricoles et naturels (plusieurs centaines d hectares/an dans la Caraïbe, mitage des fronts pionniers amazoniens). En outre, les politiques de développement rural contraintes par une réglementation de plus en plus stricte (Plan Ecophyto 2018) ne permettent plus comme par le passé le recours systématique aux intrants de synthèse présentant des risques pour l environnement et la santé humaine. Les DFA, caractérisés par des territoires fragiles et une économie vulnérable (Angeon et al., 2011), sont donc voués à une transformation de leur agriculture conciliant productivité et fourniture de services (approvisionnement, régulation, culturels : Millenium Ecosystem Assessment, 2005). Les études sur la durabilité des systèmes agricoles montrent que l innovation de l agriculture passe par un rapprochement avec le fonctionnement des systèmes naturels (IAD, 2011). Dans la Caraïbe, comme dans d autres régions de la zone tropicale, de nombreuses formes traditionnelles de production agroécologique existent et assurent de manière durable la subsistance et/ou la survie de nombreuses populations rurales : agroforesterie, cultures associées, jardins créoles, polyculture/élevage (Ozier-Lafontaine, 2000 ; Stark et al., 2010 ; Gonzalez-Garcia et al., 2011). Compte tenu du contexte global et de la déprise agricole constatée dans nos régions, une des priorités consiste à sensibiliser et rassembler les partenaires de la recherche, du développement et de la formation autour de l enjeu d une agriculture éco-responsable concourant au renforcement de ses composantes sociales, environnementales et économiques. Dans ce cadre, l objectif est d examiner les possibilités offertes par la recherche agronomique, les savoir-faire paysans et les politiques de développement rural pour la construction d un modèle de production plus écologique et performant sur le plan agri-environnemental et sociétal : que peuvent apporter les concepts et outils de l agroécologie pour la promotion d agrosystèmes innovants productifs, moins dépendants des intrants chimiques, fournisseurs de services écosystémiques et générateurs de dynamiques territoriales vertueuses? Après avoir rappelé les grands traits du contexte agricole des Antilles et de la Guyane et les attentes de la profession, d une part, et les priorités pour les «nouveaux systèmes agricoles durables» d autre part, nous proposons des voies pour l émergence de systèmes innovants au regard des forces et faiblesses du dispositif RFD (Recherche Formation Développement) existant dans les DFA et des améliorations à réaliser. Grands traits du contexte agricole des Antilles-Guyane, état de la demande et des réseaux d acteurs Bien que les DFA réunissent un certain nombre de caractères communs, notamment l écart de développement économique et social face à la Métropole, il existe une disparité des conditions et des modes de production qui engendrent des difficultés diverses et qui requièrent des solutions spécifiques. 136 Innovations Agronomiques 16 (2011),

131 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables En effet, ces départements partagent la caractéristique d être en zone tropicale soumis à des aléas climatiques parfois violents et d être très éloignés de la Métropole. Cela génère une i) sensibilité extrême de la production aux conditions agropédoclimatiques avec des événements cycloniques et des sécheresses fréquentes, des contraintes zoo/phytosanitaires récurrentes ; ii) des coûts importants liés au transport et à la dépendance vis-à-vis des lignes maritimes et aériennes. Dans le même temps les DFA ont un fort potentiel d activités touristiques et en termes de biodiversité. Globalement, les disparités entre les Antilles et la Guyane résident à divers niveaux, de par leur contexte géographique et économique, la structure des exploitations et les politiques de développement. Contexte géographique et économique (Figure 1) La position géographique des DFA se traduit par des conditions climatiques différenciées qui favorisent des productions agricoles distinctes. Les densités de population sont élevées en Guadeloupe et Martinique (246 et 353 hab/m²), comparativement à la Guyane et il en résulte une pression foncière qui a un effet direct sur la disponibilité des terres agricoles de ces départements. Ce facteur conditionne la taille des marchés et les infrastructures disponibles, notamment les infrastructures portuaires. Le PIB 1 par habitant nettement inférieur à celui de la Métropole, révèle une faible productivité. Cependant ce PIB/habitant reste supérieur à celui d autres pays de la zone (Porto-Rico, Haïti et Trinidad). Les coûts de production sont également élevés par rapport aux autres pays de la Caraïbe. Les structures du PIB mettent en évidence des industries peu développées et un poids relativement important de l agriculture, mais nettement inférieur au secteur tertiaire 2. Figure 1. Densité de la population (nb/m²), Produit Intérieur brut (x100 /hb), importation (x 10 millions d, 2008), exportations (millions d', 2008) et taux de chômage (%, BIT 2009). Les environnements régionaux diffèrent fortement entre les DFA. Que ce soit la Guyane, sur le continent sud-américain, ou la Guadeloupe et la Martinique dans la Caraïbe, la concurrence des productions agricoles des pays avoisinants s exerce avec des intensités diverses et bénéficie de facilités plus ou moins importantes. La concurrence des importations gérées par la grande distribution constitue également un frein important. Les marchés étroits, génèrent des difficultés à développer des industries agro-alimentaires compétitives (difficulté à réaliser des économies d échelle, prix de revient élevé de la matière première locale et des intrants industriels). 1 Les défenseurs de l'environnement et du développement durable critiquent le produit intérieur brut comme mesure de la richesse, dans la mesure où la croissance économique détruit le stock de ressources naturelles, et que le PIB ne tient pas compte de cette destruction 1. Certains experts ont proposé de définir un indicateur qui tienne compte des effets sur l'environnement, le PIB vert. 2 Chambres d agriculture RDF- 9zdom112.doc - 24 juin 2009 Innovations Agronomiques 16 (2011),

132 H. Ozier-Lafontaine et al. Structure des exploitations (Tableau 1) Elles occupent de l ordre de 20 à 24 % de la surface des îles pour la Guadeloupe et la Martinique. En Guyane, la surface agricole ne représente qu une infime partie du territoire (0,3 %) et se concentre au nord sur le littoral le long des fleuves Maroni et Oyapock. Le nombre d exploitations est plus important en Guadeloupe (9490), suivie de la Martinique et de la Guyane. Quel que soit le département, plus de 50% des exploitations ont une superficie de moins de 5 ha (Tab. 1). Ces exploitations emploient de 2 à 7,2 % de l emploi (contre 3,3 % en Métropole) et sont plus ou moins professionnalisées, de 20 % en Guadeloupe à 50 % en Guyane, selon les estimations de la SCEES. Tableau 1. Structure des exploitations aux Antilles et en Guyane Guadeloupe Guyane Martinique Superficie (km²) SAU 2009 (% de la Superficie) 25,56 0,19 23,08 Nbre exploitations % des exploitations (2-5 ha) 37 37,2 33,3 % des exploitations (1-2 ha) 25 21,3 22,9 Exploitations dites «Professionnelles» (SCEES, 2009) 20% 50% 43% Au sein de ces exploitations on distingue en production végétale (Figure 2) : - les cultures conventionnelles d exportation (banane et canne à sucre aux Antilles, riz pour la Guyane) représentent plus du tiers de la valeur de la production agricole de ces Régions (36 % en Guadeloupe et 51 % en Martinique). Ces productions doivent affronter la concurrence de producteurs bénéficiant de coûts de production plus faibles sur les marchés mondiaux (salariaux en particulier), étant par ailleurs non soumis aux mêmes exigences de production notamment phytosanitaires. Figure 2. Répartition des principales cultures (ha) en banane ( ),canne ( ), légumes et tubercules ( ) et prairies et cultures fourragères ( )(Agreste 2005). - les autres productions de diversification (fruits et légumes, horticulture, plantes aromatiques et à parfum) occupent une place prépondérante (88 % en Guyane, 64 % en Guadeloupe et 49 % en Martinique), avec le double objectif i) de satisfaire une part croissante des besoins locaux avec des taux d auto approvisionnement qui restent largement déficitaires pour certains produits, et ii) d occuper des marchés de niche à l export, avec ou sans transformation préalable. Pourtant, au sein du système de production de l exploitant, ces deux modèles cohabitent le plus souvent avec plusieurs variantes allant du système de cultures intensives (sous serres) au jardin créole ou en passant par des haies productives ou des micro parcelles. 138 Innovations Agronomiques 16 (2011),

133 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables En production animale, quelle que soit l importance des espèces d élevage, les bovins en Guyane ou les porcins en Guadeloupe, (Figure 3) on distingue schématiquement : - les exploitations qui privilégient l élevage d animaux spécialisés et de techniques d élevage intensives inspirées des modèles européens et soutenues par des politiques de développement successives (Delcombel, 2005). - les exploitations basées sur des modes de conduite traditionnels, qui utilisent la race locale Créole et qui doivent leur persistance à une réelle capacité d adaptation, en empruntant ou prou au système «moderne», les structures et les conduites selon des finalités non-productives. Ceci assez répandu en zone tropicale (Dedieu et al., 2011) où l élevage est connu pour sa large multifonctionnalité. Mais entre ces deux types, l opposition n est pas opérationnelle, il existe une pluralité de modèles techniques (cf. les textes de Gourdine et al, Mahieu et al ; Naves et al de ce colloque) qui constitue une richesse, et contribue au dynamisme du secteur en offrant une palette de propositions voire une niche d innovations. Figure 3. Répartition du nombre d ovins ( ), de caprins ( ), bovins ( ) et porcins ( ) pour les 3 DFA (Agreste, 2005). Les politiques de développement et les réseaux d acteurs Pour favoriser le développement de l agriculture des DOM, des aides sont octroyées dans le cadre de l Union Européenne au titre des Régions Ultra Périphériques (RUP) pour les DOM au même titre que pour les Açores et Madère (Portugal) et les Canaries (Espagne). Ils bénéficient ainsi du POSEI (Programme d Options Spécifiques à l Eloignement et à l Insularité, doté de 262 M en 2008) au titre du 1 er pilier de la PAC et du RDR (Règlement Développement Rural, doté de 100 M par an) au titre du 2 nd pilier, ainsi que d une fiscalité spéciale (droit de mer sur les produits importés). S y ajoutent des mesures nationales spécifiques pour l ensemble de l Outre-Mer (Contrats de Projets Etat-Régions en particulier) dont une partie concerne l agriculture. L essentiel de ces dépenses publiques pour l agriculture d Outre-Mer est géré par l ODEADOM. 3 Néanmoins, la complexité des procédures et les difficultés à mobiliser le préfinancement, ou la contrepartie financière rendent ces aides basées sur le principe du remboursement (et non celui des avances) inaccessibles à un grand nombre. On distingue 5 grands types d acteurs dans le secteur agricole (Tableau 2). Un certain nombre d acteurs sont communs aux 3 DFA, en particulier les partenaires institutionnels et les Centres de Recherche. Par ailleurs, les professionnels s organisent. En Guadeloupe, toutes les filières sont désormais organisées en interprofession, hormis le LPG qui a constitué une union avec la Martinique: l UGPBAN. En Martinique, l AMIV constituée bien avant l IGUAVIE accompagne désormais l IMAFLHOR en construction. La Guyane pour l heure a encore du mal à réunir ses acteurs en OP ou en interprofession. La production végétale couvre la quasi-totalité des besoins locaux, mais son organisation reste embryonnaire. Son entrée dans l institut technique animal (IKARE) en 2010 montre tout de même sa volonté d adhérer à des schémas organisationnels plus performants. 3 Chambres d agriculture RDF- 9zdom112.doc - 24 juin 2009 Innovations Agronomiques 16 (2011),

134 H. Ozier-Lafontaine et al. Tableau 2. Principaux acteurs du secteur agricole aux Antilles et en Guyane (liste non exhaustive) Les partenaires institutionnels Les principaux inter acteurs agricoles Instituts et Centres techniques Centres de recherche Formation Guadeloupe Guyane Martinique 4 Union Européenne Conseil Régional, Conseil Général ASP, ODEADOM, Crédit agricole Chambres d Agriculture DRRT, DIREN, DAAF, CCI, ONF Syndicats Agricoles (UPG, FDSEA,JA) Parc National Parc National Parc Régional IGUACANNE (SICAGRA,SICADEG, SICAMA, UDCAG.) Syndicat des rhumiers IGUAFLHOR - APA (SICAPAG, Car Melonniers, SICACFEL, SICA les alizés, LPG.) - ASSOFLHOR, (SYAPROVAG, Tropicales fleurs, ASSOFWI, UPROFIG, Défi agricole, GDA BIO ) - SITAFLHOR, -SYNAPROG.) IGUAVIE (CABRICOOP, AVICOOP, SICA CAP Viande, SPEBA, UPRA créole, COOPIAG, COOPORC, SEPG, KARUKERA Porc,SYLAP GDSG Sélection Créole LPG IT2 CTCS IKARE UAG CIRAD IRD INRA IFREMER CMAE Interprofession des rhums traditionnels des DOMs (CIRT-DOM) Distillerie CODERUM La coopérative Saveurs d Amazonie, Association PFFLG LE GDA DE MANA BIOSAVANNE APOCAG SCEBOG UEBB IKARE UAG, AgroParisTech CIRAD IRD INRA IFREMER ECOSYLVOLAB 5 IMAFLHOR SOCOPMA MHM Ananas Martinique BIO des Antilles. AMIV - COOPROLAM - CODEM - SCACOM - USOM - CEIAM BANAMART BANALLIANCE IT2 CTCS SECI PARM IKARE UAG Gis PRAM (CIRAD, IRD, CEMAGREF) INRA IFREMER PARM Lycées Agricoles et EPLEFPA VIVEA, FAFSEA Université des Antilles et de la Guyane : Master ECOTROP - Parcours Ingéniérie des Agrosystèmes Quelles demandes des acteurs? On peut distinguer plusieurs formes d attentes (Tableau 3) : celles globales qui peuvent répondre à diverses catégories socio-professionnelles ou celles plus spécifiques, qui correspondent à un contexte particulier, à un moment donné. Dans ce qui suit nous ne nous arrêterons pas sur le caractère spécifique des demandes, et nous ferons état d attentes plus transversales. Cependant, il faut reconnaitre que face à la multiplicité des acteurs, la pluralité de leurs objectifs, la variabilité de leurs 5 Les équipes de recherche en Guyane sont essentiellement rassemblées autour de programmes sur l écosystème forestier (UMR ECOFOG, ECOSYLVOLAB). Les attentes du secteur agricole sont relayées par les équipes de l INRA et du CIRAD aux Antilles, et par l interprofession. 140 Innovations Agronomiques 16 (2011),

135 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables conditions ainsi que la diversité des systèmes en place, l'intention ne sera pas de fournir des solutions toutes faites, mais de souligner les grandes lignes directrices, et ainsi de permettre aux lecteurs de former leur propre opinion adaptée à leur situation. Tableau 3. Attentes de la profession communes aux 3 DFA. Attentes Antilles et Guyane Améliorer le revenu du Producteur et le taux de couverture des besoins alimentaires Producteurs Traçabilité des produits végétaux et animaux (face aux crises internationales) Produire aux couts les plus bas Pérenniser l outil de production Consommateurs et Bénéficier d une production locale aux prix les plus compétitifs que possible citoyens Traçabilité des produits végétaux et animaux Accéder à la production locale Préserver l environnement, les espaces et territoires, rechercher un équilibre social GMS et des grossistes Une production en quantité, en qualité, en régularité et en diversité ; maintien ou amélioration des marges Agro transformateurs Restauration scolaire Institutionnels (financiers, DGCCRF Transversales Orientation politique de la production vers l agro transformation. Les produits agro transformés ne doivent pas être uniquement des produits de second choix Approvisionnement régulier en produits locaux et en produits BIO Traçabilité des produits végétaux et animaux (face aux crises internationales) Organiser la production, connaissance des flux Garantir le maintien du tissu rural Avoir un marché unique (Antilles Guyane) faciliter les échanges faciliter le transport de marchandises Etablissement de partenariat entre les 3 DFA (élaboration concertée des programmes, défense commune des intérêts de la profession au niveau national ou européen) Quelles priorités pour les «nouveaux systèmes agricoles durables»? Pour répondre à l évolution de cette demande sociétale et aux exigences environnementales et règlementaires, nos futurs systèmes agricoles devront se situer de manière plus significative dans le renforcement des trois piliers de la durabilité (Figure 4), à savoir : Satisfaire des exigences économiques pour une agriculture viable et génératrice d emplois : à l échelle de l exploitation et du territoire, variable entre la Guyane et les Antilles. Répondre à des exigences environnementales pour des produits de qualité et à des exigences de santé humaine, le maintien de la biodiversité et des capacités de production de nos territoires : fourniture de services écosystémiques. Contribuer à la cohésion sociale et au développement local : multifonctionnalité de l agriculture, rôle culturel et dynamiques territoriales, propre à chaque DFA. Figure 4. Les trois piliers de la durabilité des systèmes agricoles incluant les volets «social, économique et environnemental». A noter les intersections entre les trois volets, avec la production alimentaire au centre et les principes de productions de biens et services. Innovations Agronomiques 16 (2011),

136 H. Ozier-Lafontaine et al. Dans ce nouveau paradigme, la priorité donnée à la satisfaction de la demande alimentaire locale (en diversité, quantité et en qualité) devra nécessairement chercher à intégrer au mieux les principes de l agroécologie au service de l éco-efficience des systèmes de production et des paysages et notamment l intensification des services écosystémiques (Figure 5), tout en recherchant une plus grande autonomie énergétique et une meilleure intégration des dynamiques territoriales. Figure 5. Les différentes catégories de services écologiques (Source FAO, 2007 ; IAD, 2011). Il nous appartiendra de définir ensemble les services prioritaires à développer dans nos régions respectives. Réfléchir au changement de pratiques invite à raisonner la manière d incorporer de nouvelles normes qui sous-tendent l action et requiert la recherche d un relais voire un portage politique. La particularité des économies des DFA fait qu à l instar des pays PEID, leur économie présente une relative vulnérabilité. Cependant, Angeon et al. (2011) émettent l hypothèse que leurs agricultures porteraient les ferments d une robustesse-résilience qu il est possible d optimiser. La construction des futurs systèmes agricoles devra donc tenir compte de l environnement mouvant et imprévisible dans lequel nous évoluons (cyclones, fluctuations du marché, crises sociales). Une attention accrue devra être portée au renforcement de la flexibilité de ces systèmes agricoles et de leur capacité d ajustement à ces évolutions rapides, et ce, à différentes échelles, incluant celle de la filière (Jackson et al., 2010). Les possibilités offertes par l accroissement et la gestion de l agrobiodiversité dans les exploitations agricoles et les paysages constituent une base prometteuse pour y contribuer (Funes Monzote, 2009). L exemple des systèmes multi-espèces des exploitations en polyculture-élevage (Stark et al., 2010), où plus que la juxtaposition des ateliers (à base de productions végétales et animales), leur interpénétration permet de recycler les flux de matières, d améliorer les synergies et de répartir les risques et les revenus, constitue une base très structurante pour raisonner des systèmes en rupture. Pour permettre le développement de tels systèmes, la contribution des agriculteurs à la fourniture de services et à la qualité de bien communs (qualité de l eau, des sols, puits de carbone, pureté de l air, qualité des produits et des paysages, biodiversité, bien-être social) doit être évaluée, et des mesures relatives à leur rémunération doivent être mises en place. L IAD (L Institut de l Agriculture Durable) a mené dans ce domaine une démarche prospective très innovante en identifiant 26 indicateurs regroupés en 7 thèmes pertinents pour mesurer les services écologiques (IAD, 2011). La figure 6 présente un résumé de la démarche. 142 Innovations Agronomiques 16 (2011),

137 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables Figure 6. De la théorie à la pratique pour la mise en place des paiements environnementaux pour les services écologiques (Source IAD, 2011). Selon l IAD, la mise en place de rémunérations pour les services écologiques au profit des agriculteurs devra intégrer ces différents facteurs pour transformer les contraintes politiques liées à l environnement en opportunité. De telles mesures devront être élaborées sur la base d indicateurs à concevoir en relation avec les caractéristiques de nos contextes pour faire suite aux MAE et autres mesures environnementales. Un réel portage institutionnel devra être cependant garanti en termes de gouvernance et de leviers, favorisant leur mise en place effective (Angeon et Caron, 2009). Quelles «briques» pour l innovation? La sphère agricole des Antilles et de la Guyane est riche d une grande variété de dispositifs et d initiatives pouvant contribuer à la transformation des systèmes agricoles. L enjeu consistera à définir les modalités d assemblage des connaissances et d organisation des acteurs, pour stimuler cette mutation. Les savoir-faire paysans : le tissu agricole présente une diversité de modes de production, des systèmes conventionnels intensifs aux systèmes biologiques, en passant par les systèmes traditionnels à forte biodiversité (jardins créoles ou de case, élevages traditionnels), détenteurs d une riche diversité biologique et génétique, recelant peu ou prou des germes pour les systèmes du futur et qu il est important d intégrer dès le départ dans cette réflexion (Planche 1). Les recherches sur l agriculture raisonnée et l agroécologie : la recherche agronomique aux Antilles nourrit, de son côté depuis une vingtaine d années, une démarche en rupture sur les possibilités de produire efficacement avec un moindre recours aux intrants de synthèse (Farant et al., 2005). Dans le domaine de la lutte intégrée, on peut citer les travaux réalisés sur le contrôle intégré du parasitisme intestinal chez les petits ruminants (Mahieu et al., ce colloque) et la lutte biologique contre le charançon du bananier (Dorel et al., ce colloque). Dans le domaine de l amélioration génétique animale et végétale, des avancées significatives ont été réalisées sur la sélection de races créoles performantes (Naves et al., ce colloque) et sur la résistance aux pathogènes et l adaptation aux contraintes abiotiques de plantes horticoles tomate, poivron, pomme de terre, igname, - (Bussière et al., ce colloque). La création d un Centre de Ressources Biologiques (végétal/animal) permettant l entretien d un réservoir de variétés et d espèces pour faciliter la diversification, la création variétale ou Innovations Agronomiques 16 (2011),

138 H. Ozier-Lafontaine et al. spécifique, ou procurer à la profession une certaine flexibilité/réactivité vis-à-vis des maladies ou contraintes émergentes, est un des éléments clé du soutien à la durabilité des systèmes agricoles. A B C D E F Planche 1. Illustrations de systèmes multi-espèces i) végétaux A : jardin créole, B : association bananier/canavalia, C : association vivrière igname/malanga ; ii) animaux D : élevage au piquet ; E : élevage mixte de gros et petits ruminants ; iii) en polyculture/élevage F : lâché de volailles en verger. Les recherches intensives en agroécologie menées sur les alternatives aux intrants de synthèse constituent par ailleurs un champ particulièrement fécond (Lesieur-Jannoyer et al., 2010 ; Ozier- Lafontaine et al., 2011). Le défi consiste à se rapprocher du fonctionnement des écosystèmes naturels par essence plus durables (forte diversité spécifique/génétique, conservation de la matière et de l énergie, faible perturbation et couverture persistante du sol, ) en se focalisant sur des processus «orphelins» contribuant à la nutrition et à la protection des plantes, permis par les associations d espèces ou de variétés systèmes multi-espèces- (pilotage des réseaux trophiques, des symbioses et des organismes ingénieurs, recyclage des éléments minéraux, ) jusque là moins étudiés car supplantés par les intrants de synthèse. Le rôle de la matière organique y est central (apport de nutriments mais surtout de carbone pour le fonctionnement biologique du sol) et fait l objet de recherches innovantes i.e. plateforme de compostage INRA dédiée à la mise au point de procédés de fabrication de matières organiques (composts, vermicomposts), permettant notamment la valorisation des effluents d élevage en agriculture (d Alexis et al, 2009 ; Simphor et al., 2010 ; Simphor, 2011). A côté des recherches sur les processus, des modalités de mise en œuvre technique sont également à l étude. On peut citer les tests pour le contrôle des adventices réalisés avec des mulchs vivants (plante de couverture), morts (feuilles de canne à sucre) ou synthétiques (couvertures cellulosiques, Bussière et al., Dorel et al., ce colloque). Des outils d aide à la décision sont développés, tels que SIMSERV (Ozier-Lafontaine et al., 2011) pour assister la sélection de plantes de services, ou MorGwanic (Sierra et Publicol, 2011) pour estimer les teneurs en matière organique dans les sols guadeloupéens. Un enjeu fort demeure sur la conception de machines et outils agricoles adaptés à la configuration des systèmes multi-espèces. Les travaux réalisés sur les SCV (semis sous couvert végétal) au Brésil constituent une base intéressante pour ce faire (Seguy et Guillaume, 2008), mais des recherches en mécanisation agricole (petite mécanisation en particulier) sont encore requises pour permettre un véritable développement des ces systèmes. Un certain nombre de ces principes sont utilisés dans la conception de prototypes écologiquement intensifs qui se déclinent déjà avec succès sur différentes cultures agrumes (Le Bellec et al., 2009), 144 Innovations Agronomiques 16 (2011),

139 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables bananiers dessert (Cahiers du PRAM, 2010), igname (Bussière et al., ce colloque), tomate (Fernandes et al., 2009). Des initiatives sont également prises dans le cadre du rapprochement de l animal et du végétal au sein de systèmes en polyculture/élevage. L exemple du pilote expérimental conçu par l EPLEFPA et l INRA est à souligner (Stark et al., 2010 ; Gonzalez-Garcia et al., 2011). Enfin, des avancées significatives ont été réalisées dans le domaine de la valorisation de ressources non conventionnelles pour le bétail (alimentation et santé : Gourdine et al., ce colloque), tout comme l apport raisonné d acides aminés dans l alimentation des porcs en vue de réduire les rejets tout en maintenant une bonne performance (Renaudeau et al., ce colloque), pour citer quelques exemples. Le transfert et de la valorisation : - Des Instituts Techniques dédiés aux productions végétales (IT2) et animales (IKARE) ont été conçus pour assister plus efficacement le processus de valorisation et de transfert des produits de la recherche. Suite à l expertise réalisée sur les filières de diversification végétales en Guadeloupe et en Martinique, Gabon (2010) dresse un diagnostic des principales attentes des producteurs et encourage l IT2 à soutenir prioritairement les actions suivantes : évaluation variétale, itinéraires techniques, homologation de produits phytopharmaceutiques pour des usages mineurs, caractérisation et utilisation de plantes de service et de matière organique, lutte alternative contre les bioagresseurs. - L INRA des Antilles-Guyane a conçu le développement d un système d information «Trans- Faire» (Pavis et al., 2011) qui regroupe plus de 80 innovations potentielles (portefeuille de solutions) dans les domaines des productions végétale, animale et de l agrotransformation, à destination des agriculteurs. Des fiches ont été constituées pour chaque produit, visant à en faciliter l appropriation (exemples en Annexe 1). - En Martinique, on peut mettre en avant l existence du PARM (instance Régionale) dédié à la recherche-développement en agroalimentaire. L exemple des pays voisins : de nombreuses initiatives menées dans la région Caraïbe sont sources potentielles d inspiration pour les systèmes du futur (Rodriguez, 2010). Tout près de nous, Cuba sous la contrainte de multiples embargos a été forcé de réviser plus rapidement son modèle agricole et offre à plusieurs titres des exemples structurants pour notre réflexion avec i) la transition du modèle de plantation vers le modèle agroécologique émergent fondé sur le développement de l agrobiodiversité dans les exploitations agricoles et à l échelle du paysage (Funes Monzote, 2009), et (ii) le développement d une agriculture urbaine (SPIN : Small Plot INtensive agriculture) et périurbaine sur des fondements biologiques et de conservation. Comment assembler les «briques»? A partir de ces «briques» comment mieux s organiser avec les divers acteurs pour co-construire de «nouveaux systèmes agricoles durables» aux Antilles-Guyane? Des pistes sont fournies à travers l analyse systémique de diverses trajectoires d innovation, qui a permis de construire une grille d analyse générique des freins et des leviers intervenant au sein de ces trajectoires (Chave et al., 2011). Les systèmes d innovation ont été décomposés en différents éléments en interaction : les acteurs, le contexte, les flux de produits, les flux de fonds et les flux d information au cours du temps (Figure 7). Innovations Agronomiques 16 (2011),

140 H. Ozier-Lafontaine et al. - Intermédiaires Interprofession + Organisations professionnelles Consommateurs - Producteurs + Partenaires institutionnels - Centres de Recherche Instituts et centres techniques + Figure 7. Trajectoires d innovations au sein d un réseau d acteurs, exemples de flux d informations, de fonds financiers et de produits avec l identification des leviers (+) et des freins (-) Les freins et les leviers se rapportent aux acteurs eux-mêmes et à leur organisation (partenaires institutionnels, organisations professionnelles, divers acteurs sociaux ), aux flux financiers (manque de ressources financières pour catalyser le processus innovant par exemple), au contexte (sanitaire, environnemental, commercial ), aux flux d information (insuffisante en qualité et en quantité), et enfin au produit lui-même (inadapté aux utilisateurs ). Le tableau 4 illustre cette analyse à partir d exemples précédemment présentés lors de ce colloque. Ces exemples montrent la diversité des freins rencontrés au cours des trajectoires d innovation ainsi que la multiplicité des actions à entreprendre pour fluidifier les trajectoires d innovation. A ce titre, des approches et outils spécifiques doivent être mis en place pour les catalyser et intégrer les évolutions du contexte au cours du temps, en vue de faciliter les interactions à chaque étape. Faciliter les changements en matière de pratiques agricoles ne repose pas sur une stratégie unique. Chaque situation a ses caractéristiques propres. La clé du succès consiste à être capable de réagir de façon flexible aux défis et aux opportunités telles qu'ils se présentent (Hall, 2009). Lors de la co-construction d un projet entre différents acteurs, une analyse systémique préalable de la trajectoire initiale de l innovation et l identification des leviers et des freins peuvent permettre de mettre en place des actions adaptées à chaque situation, l évolution du contexte peut y être intégrée au cours du temps. 146 Innovations Agronomiques 16 (2011),

141 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables Tableau 4. Comment fluidifier les trajectoires d innovation? Diversité des leviers (+) et des freins (-). Acteurs Contexte Leviers (+) Freins (-) - S appuyer sur des réseaux d acteurs structurés à partir Trop peu d agriculteurs directement impliqués (filière desquels la démarche innovante est co-construite (implication de faiblement structurée : 8) nombreux acteurs de la filière : 3, 7, 10) Manque de gouvernance (10) Pluralité des objectifs des différents acteurs Vision encore trop sectorielle de l agriculture - Innover pour répondre aux enjeux prioritaires du moment : Réglementation : autorisation d importation des plantes de Réduction des intrants chimiques (4, 6, 8, 9) ; Valorisations des service (6) ressources locales (7, 10) ; Qualité des produits (7, 10) ; Gestion Controverse d autres systèmes ou filières de de la pollution (5) production (7, 10) Produits Fonds Information - Proposer des produits qui répondent réellement aux Disponibilité du produit (Plantes de service : 6) attentes des différents acteurs Produit inadapté aux fortes exigences des acteurs (qualité Diversification végétale (fruits, légumes : 3, 4) 0 défaut : 3) Diversification animale (espèces animales en mono ou Produit en compétition avec le réseau formel (7) plurispécifique : 7, 9, 10) Production de services écosystémiques (Plantes de service : 2, 4, 6) - Identifier des sources de financement pour chaque étape (jusqu à la diffusion auprès des utilisateurs) Implication des bailleurs de fonds locaux (1, 10) - Proposer des produits qui présentent un retour sur investissement rapide pour l agriculteur ou financer le risque Coût de l innovation (6) ou de la transformation technologique (1, 11) Concurrence des importations (1,8, 10, 11) Financement insuffisant des dernières étapes de transfert (1, 5, 7, 9) - Informer, former Coordination des relais d information (5) Plusieurs niveaux de supports techniques (6) Manque de (formation et de capacitation (1,5) Mise en place d outils de diffusion et de valorisation de l information (3) (1) Archimède et al : Ressources alimentaires non conventionnelles; (2) Blazy: Innovation dans la filière banane; (3) Bugaud et al : Diversification et transformation en filière banane; (4) Bussière: Innovations en production d igname et maraîchère; (5) Cabicoche et al : Gestion durable de la pollution des sols; (6) Dorel et al : Alternatives aux intrants chimiques en culture bananière; (7) Gourdine et al: valorisation ressources locales en production porcine; (8) Lavigne : Innovations en production fruitière; (9) Mahieu et al : Techniques intégrées pour élevage de ruminants durable; (10) Naves et al : Valorisation des ressources animales Créoles; (11) Renaudeau et al : Innovations technologiques en élevage porcin Vers les Systèmes d Innovation Agricoles Les agriculteurs des DOM rencontrent un certain nombre de difficultés dans la mise en œuvre de leur appareil de production (taille des exploitations, aléas climatiques et pressions phytosanitaires, fragilité des marchés, ) qu ils doivent surmonter pour vivre de leur activité. Pour y remédier, au-delà de leurs compétences et de leur maîtrise technique, l appui fourni par la recherche/développement et le soutien des politiques et institutions sont requis. Bien que nous vivions une époque de progrès technologiques sans précédent, la question de l'accès des agriculteurs des DFA à l'information, leur capacité à la valoriser, de même que l adéquation de l information disponible à leurs préoccupations réelles, se posent. Outre l accès à l information et aux savoirs, le besoin d un apprentissage continu et adapté reste d actualité. De même, on peut faire le constat du manque d intérêt accordé aux réseaux élargis de liens et de relations dans lesquels les agriculteurs sont ancrés, qui facilitent la diffusion des idées et l'identification de nouvelles utilisations (Hall, 2009). Quel que soit le type d innovation choisi, l agriculteur peut rarement développer seul ses innovations. Il ressort par ailleurs que la demande d innovation dans les systèmes agricoles est portée par de nombreux acteurs, et pas seulement par les agriculteurs. Les études sur l innovation montrent ainsi que la capacité à innover est souvent liée i) à l action collective et au partage de connaissances entre les acteurs, ii) à des mesures incitatives et aux ressources disponibles qui ont été investies dans des actions de collaboration et iii) à la création d un cadre propice Innovations Agronomiques 16 (2011),

142 H. Ozier-Lafontaine et al. à la production d idées et d innovations par différents acteurs (World Bank, 2006). Ceci interroge notre capacité à faire progresser ensemble : - les technologies, i.e. principes sous-tendus par l intensification écologique ; - les institutions vs. attentes socio-économiques, pour identifier les contraintes institutionnelles à lever i.e. lois, règlements, traditions, coutumes, croyances, normes et nuances sociétales ; - les politiques, qui si elles sont appropriées, pertinentes et opportunes, peuvent réellement promouvoir et faciliter la création, le partage et l'utilisation des connaissances pour l'innovation ; - les organisations diverses publiques et privées qui doivent innover dans les services qu'ils fournissent ; la priorité étant d accroître les investissements dans les sciences et technologies agricoles, la recherche et la vulgarisation, l'éducation et la formation agricole, les organisations d'agriculteurs et d'autres institutions locales et contribuer ainsi à répartir largement la connaissance et l'innovation. Le rôle de l interprofession, de la formation continue et des instituts techniques y est particulièrement attendu. On constate parfois de la part des acteurs une certaine frilosité vis-à-vis de l innovation. «L innovation dérange», parce qu elle comporte une part importante de risques (Vernay, 2004). Stimuler la constitution de réseaux, les échanges au sein de ces réseaux, pour créer un environnement propice au développement des interactions entre les parties prenantes pour accompagner les agriculteurs qui prennent le risque d innover, est un des rôles des pouvoirs publics (World Bank, 2006). C est la raison pour laquelle on assiste depuis quelques années au développement de Systèmes d Innovation Agricole (SIA), autour de thématiques données. Ces SIA regroupent les acteurs de la recherche, les producteurs, l interprofession et des acteurs connaissant bien les marchés et ayant un accès privilégié à ces marchés (Vernay, 2004). La stimulation de l'innovation agricole par l'intégration de ces différents acteurs dans un même réseau peut être facilitée par la présence au niveau local d'un leader sachant susciter cet intérêt et encourager l'interaction. Une collaboration pratique portant sur des activités concrètes se révèle, en effet, indispensable. L identification d un porteur de projet et la mise en place d une gouvernance sont nécessaires au processus d innovation. C est dans cette dynamique que s inscrivent de nombreuses initiatives des différents acteurs : recherche (développement de la recherche-participative, recherche-formation-action) ; constitution de structures d interface le plus souvent à l échelle régionale (agence de développement économique, pôle de compétitivité, incubateurs, grappes d entreprises ). La proximité géographique des différents acteurs est aussi un facteur de réussite essentiel de l interaction. Cependant, elle doit s accompagner de la mise en place d une «proximité organisationnelle», d essence relationnelle, via la mise en place d actions collectives au niveau local et le montage de projets communs (Torre, 2006). L exemple de la démarche 3D proposée par AAC (Agriculture et Agroalimentaire Canada) «Dream (imaginer un avenir différent), Design (le concevoir), Deliver (le mettre en œuvre)» reposant sur la mobilisation et l engagement des acteurs (si ceux-ci se trouvent interpellés par le choix du futur, ils seront aussi intéressés et actifs pour le mettre en œuvre), semble être intéressante à ce titre. L application du concept se fait autour de grappes (ateliers réunissant des groupes de personnes concernées usuelles ou non -producteurs, détaillants, association de défense de l environnement- : exemple de l agriculture biologique : peut-on amener plus de bio à tous les niveaux et changer ainsi la place qu occuperait l alimentation?). Cette démarche peut séduire les décideurs politiques sensibles aux approches sur des questions sociétales complexes. Elle est cependant lourde et exigeante, ce qui peut conditionner l entretien de la dynamique de groupe. L expertise sur la faisabilité de l agriculture biologique en Martinique (François et al., 2005) illustre la difficulté à pouvoir dépasser le stade du «Dream» (rêve). Une perspective de systèmes d'innovation n'est donc pas en soi une solution miracle, mais le renforcement des réseaux pose les bases de l'innovation, et celui des capacités d'innovation ne se fait pas du jour au lendemain ; cela implique le réajustement des rôles et des pratiques de travail de nombreuses organisations, y compris le rôle et l implication de la Gouvernance une tâche difficile, 148 Innovations Agronomiques 16 (2011),

143 Emergence de nouveaux systèmes agricoles durables imprévisible, itérative et laborieuse (Hall, 2009). Le rôle des chercheurs dans le processus d innovation n est pas seulement d apporter des connaissances (briques élémentaires) que les acteurs seraient seuls habilités à assembler, mais également de participer au processus de conception. Il convient de s interroger sur les formes de cette participation et sur la nature des relations entre les utilisateurs potentiels de l innovation et les chercheurs. Les idées, les pratiques, ou les produits qui ont été introduits avec succès dans les processus économiques ou sociaux ont impliqué des technologies, des institutions, des politiques et surtout des organisations en réseau (Asenso-Okyere et Davis, 2009). Conclusion L agriculture des DFA devra trouver un compromis entre productivité et durabilité. Cette réflexion qui se veut générique, s inscrit dans une démarche prospective sur la question de l innovation en agriculture dans les DFA. Sans prétendre à l exhaustivité, elle brosse un tableau des principaux éléments indispensables à une mise à plat collective pour structurer la co-construction de systèmes agricoles innovants, à travers : i) le contexte des DFA, ses atouts et limites croisés avec les attentes des différents protagonistes, ii) une mise en perspective des priorités en matière d innovation et un éclairage sur les différentes options à considérer, iii) un recul sur les initiatives et outils en place constituant un potentiel d innovation, iv) une analyse de la complexité des processus d innovation et des responsabilités à endosser par l ensemble des acteurs. La nécessité d un changement d attitude privilégiant un fonctionnement interactif en réseau, ressort comme une condition forte de la réussite d une telle entreprise. L exemple donné par les 3D «Dream, Design, Deliver» mis en œuvre dans le cadre de la refonte du système agricole canadien et de l incitation à une science pour l impact est particulièrement instructif à ce titre. Il souligne à la fois la lourdeur, mais aussi l intérêt de se forger collectivement les bases et les outils à assembler pour prétendre au développement de systèmes durables et flexibles. La recherche agronomique a plus que jamais un rôle particulier à jouer dans ce domaine et peut être un facteur décisif de cette prise de conscience et de l organisation des acteurs. Références bibliographiques Angeon V., Bates S., Diman J-L., Fanchone A., Saint-Pierre P., Vulnérabilité vs. résilience systémique en petit territoire insulaire : les clés d une adaptation viable du secteur agricole, 48e colloque de l'asrdlf, Martinique, 6-8 /07/2011. Angeon V., Caron A., Quel rôle joue la proximité dans l émergence et la pérennité de modes de gestion durable des ressources naturelles? Natures Sciences Sociétés 17, Asenso-Okyere K., Davis K., Knowledge and Innovation for Agricultural Development, - IFPRI Policy Brief Chave M., Ozier-Lafontaine H., Noël Y., Towards Agricultural Innovation Systems: Designing an operational Interface. Outlook on Agriculture. Sous presse. d'alexi, S., Loranger-Merciris G., Mahieu M., Boval M., Influence of earthworms on development of the free-living stages of gastrointestinal nematodes in goat faeces. Veterinary Parasitology 163, Dedieu B., Aubin J., Duteurtre G., Alexandre G., Vayssières J., Bommel P., Faye B., Conception et évaluation de systèmes d'élevage durables en régions chaudes, à l'échelle de l'exploitation. INRA Productions Animales 24, Delcombel E., Organisation de l action collective et rôle de la puissance publique pour le développement de l agriculture guadeloupéenne. Les difficultés du modèle coopératif et de la concertation entre les acteurs. Thèse de Doctorat en Economie rurale, UAG/CIRAD/ENESAD. pp.519. Farant M., Anaïs G., Ozier-Lafontaine H., Zébus M.-F., Diman J.-L., Hammouya D., (eds) Alternatives to high input agriculture in the Caribbean. Towards the elaboration of innovative systems. Innovations Agronomiques 16 (2011),

144 H. Ozier-Lafontaine et al. Actes du 41ème Congrès de la Caribbean Food Crop Society. Guadeloupe, July Edited by the Caribbean Food Crop Society. Fernandes P., Temple L., Crance J., Minatchi S., Innovations agroécologiques en Martinique : freins et leviers organisationnels, institutionnels, techniques et économiques. Innovations Agronomiques 4, Funes Monzote F.R., Agricultura con futuro. La alternativa agroecologica para Cuba. Estacion experimental Indio Hathuey, Universidad de Matanzas. 176pp. Gabon S., Mission d expertise sur les filières de diversification végétale de Guadeloupe et Martinique. Rapport final, 60p. González-García E., Gourdine J.L., Alexandre G., Archimède H., Vaarst M., Optimised integration of crop-livestock farming systems and the need for change in research focus for: A vision in the case of the Caribbean. Animal (sous presse). Hall A.J., Thorp S., Hall A.J., Challenges to strengthening Agricultural Innovation systems: where do we go from here? Farmer First revisited, Scones and Thompson, London. IAD, L agriculture de 2050 commence maintenant. Produit par L Institut de L Agriculture Durable. 47p. Jackson L., van Noordwijk M., Bengtsson L., Foster W., Lipper L., Pulleman M., Said M., Snaddon J., Vodouhe R., Biodiversity and agricultural sustainagility: from assessment to adaptive management. ScienceDirect, 2: Latour B., Encyclopédie de l Innovation : L impossible métier de l innovation technique, Mustar P. and Penan H. Economica, Paris. Le Bellec F. et collaborateurs, DéPhi : Développement et évaluation de systèmes de production horticoles intégrés en Guadeloupe. Projet financé par le FEADER, 40p. Les Cahiers du PRAM, Des recherches en agroécologie pour une agriculture martiniquaise innovante et durable. N 8 - Septembre Lesueur Jannoyer M., Ozier Lafontaine H., Malézieux E. (2010). Are agroecological cropping systems suitable for tropical horticultural crops? TropHort 1st International Symposium on Tropical Horticulture. Kingston Jamaica, November Ozier-Lafontaine H., Les associations de cultures : une alternative pour une agriculture de qualité et durable aux Antilles? In : L agriculture autrement, la qualité reconnue. Chambre d Agriculture de la Martinique, 18, 19, 20 Octobre 2000, Sainte-Luce, Martinique, 1-6. Ozier-Lafontaine H., Risède J.M., Lesueur Jannoyer M, Mahieu M. (2011) Approches agroécologiques pour des productions végétales et animales durables en milieu tropical. Rencontre sur les pratiques à haute performance économique et environnementale en outre-mer. Rencontre organisée par l INRA et le CIRAD le 25 févirer Salon International de l Agriculture, Février Paris ( Ozier-Lafontaine H., Publicol M., Blazy J.M., Melfort C., SIMSERV: Expert system of assistance to the selection of plants of service for various agro-ecological and socio-economic contexts. Licence CeCILL. Consultable sur : Pavis C., Chave M., Nuissier F., Trans-FAIRE, système d'information sur les produits de la recherche agri-environnementale à l'inra Antilles-Guyane, Regina F., Eugène S., Rinna R., Gauthier V., Naves M., Alexandre G., Archimede, H. Degras P., Rochefort K., Qualités des viandes ovines et bovines produites par l éleveur Martiniquais. Séminaire PARM-INRA-AMIV, 17/11/2009, La Batelière, Martinique. Doc de travail PARM-INRA- AMIV, pp126. Rodríguez L., Integrated Farming Systems for Food and Energy in a Warming, Resourcedeclining World. Thesis of Humboldt University, Berlin towards the Degree of Doctor of Philosophy Seguy L., Guillaume P., Rapport de mission en Guadeloupe 17 au 25 mai 2008, 205p. 150 Innovations Agronomiques 16 (2011),

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146 H. Ozier-Lafontaine et al. Annexe 1. Exemple de fiches proposées par le système d information Trans-Faire de l INRA. Fiche «Bananimal» : valorisation des déchets de banane en alimentation porcine Fiche «Alpinias» : Collection de génotypes variés d Alpinias pour la valorisation de nouveaux produits sur les marchés européens 152 Innovations Agronomiques 16 (2011),

147 Innovations Agronomiques 16 (2011), Trente ans de travaux en technologie rhumière à l Inra-Antilles-Guyane : Trente ans de recherche en technologie des rhums Fahrasmane L., Parfait B. INRA UMR 1270 QUALITROP, Domaine Duclos Prise d eau F Petit-Bourg, France Correspondance : Louis.Fahrasmane@antilles.inra.fr Résumé Les rhums produits dans les Départements d Outre-Mer français sont marqués par leur caractère aromatique fort et original. Trente ans de travaux de recherche menés par l INRA au Centre Antilles- Guyane ont permis de décrire les flores bactérienne et de levure des milieux de fermentation et de sortir d une manière de produire basée principalement sur des pratiques empiriques. Les données acquises ont contribué à la maîtrise des aléas de fermentation et en même temps à un contrôle de l acidité des produits, d où une meilleure maîtrise de la régularité de la qualité des rhums. La première souche de levure commerciale sélectionnée pour la rhumerie a été un des résultats (1998) marquants de ce programme, ainsi que la mise au point de procédés de dépollution et de valorisation des effluents par méthanisation. Mots clés : rhum, microbiologie, canne à sucre, fermentation, levure, bactérie, effluents, dépollution, méthanisation, composition Abstract: Thirty years of research on rum technology at Inra Antilles-Guyane The rums produced in the French overseas Departments are marked by their strong and original aromatic character. Thirty years of research conducted at INRA Centre Antilles-Guyane allowed the inventory of the bacterial flora and the yeast strains involve in fermentation media, and get out of a manner of production mainly based on empirical practices. The collected data have contributed to control the vagaries of fermentation and at the same time to control the acidity of the distillates, resulting in better control of the regularity of rums quality. Among main results there were: a commercial yeast strain selected for the rum distillery, the first in the world for this purpose, and processes developed for wastewaters remediation by anaerobic digestion producing also energy. Keywords: rum, microbiology, sugarcane, fermentation, yeast, bacteria, wastewaters, wastewaters treatment, composition Introduction Dans les 3 îles Départements d Outre-Mer français, la production et la transformation de la canne à sucre (Saccharum officinarum) demeurent une part significative de leur économie respective, à travers la production sucrière et la production de rhums traditionnels. Le terme «rhum» est générique et désigne les distillats alcooliques de bouche, provenant de la distillation de moûts fermentés, préparés à base de produits sucrés issus exclusivement de la canne à sucre : jus, sirop, mélasse. Les rhums de type traditionnel sont caractérisés par leur caractère aromatique. Ce type de production fait appel à un savoir-faire empirique des producteurs. Pour demeurer en phase avec les nouveaux modes de consommation, les évolutions de la distribution et le besoin de négocier avec les structures administratives et politiques qui interviennent dans

148 L. Fahrasmane et B. Parfait l environnement de cette filière, les producteurs ont eu un impérieux besoin de données techniques et scientifiques sur les processus de production et les produits. Il en a résulté un besoin de recherche qui a été pris en compte dès Depuis 1972, l INRA au sein de son Centre Antilles-Guyane a mis des moyens opérationnels qui ont permis de réaliser des travaux pour ce secteur d activité. La canne à sucre est une ressource agricole qui, à l échelle mondiale, fait l objet de sélection et de création variétale depuis un peu plus d un siècle. Cependant, il n y a pas eu jusqu à maintenant de canne spécialement destinée à la transformation rhumière. La fabrication du rhum traditionnel fait intervenir des levures et des bactéries qui convertissent le sucre en éthanol et co-produisent des composés à propriétés aromatiques. Ces souches sont souvent de genres et d espèces identiques à celles que l on rencontre dans d autres fermentations agroindustrielles (Saccharomyces, bactéries lactiques). Schizosaccharomyces constitue un genre spontané, singulier, et obligatoire dans la production du rhum traditionnel de type grand arôme. Les écosystèmes que constituent les milieux de fermentation de rhumerie, ont des conditions physico-chimiques remarquablement différentes des milieux de brasserie, d œnologie ou de transformation du lait. La connaissance qui pourrait être générée sur ces micro-organismes, de milieux tropicaux, est scientifiquement intéressante pour la microbiologie moderne. Les rhums traditionnels Leur diversité ainsi que des raisons historiques, culturelles et fiscales les font apprécier. La dynamique forte de la commercialisation des rhums de tous types fait prendre conscience aux français que la route du rhum fait le tour du monde. De ce fait, la production traditionnelle aura de plus en plus à faire face, sur ses marchés de prédilection, à la production mondiale. D où la nécessité pour elle, de produire des connaissances pour pouvoir valoriser ses produits, de se doter d arguments techniques nouveaux, lui permettant de disposer d arguments de marketing, qui garantissent la notoriété des marques les plus connues. La production traditionnelle a été pendant longtemps caractérisée par la mise en œuvre de jus de canne ou de mélasse, sans cahier des charges sur la qualité de ces matières premières, ainsi que par l utilisation d eau de dilution non assainie, prélevée dans le milieu naturel (cours d eau, nappe phréatique). La fermentation était bien souvent spontanée. Il en résultait une très grande variabilité de la qualité des produits dont certains étaient caractérisés par une acidité volatile élevée et la présence d off-flavor, de goûts anormaux (acroléine, alcool allylique ). La production était donc confrontée à un problème de non-qualité provenant pour beaucoup de la qualité sanitaire des matières premières, et d une fermentation mixte aléatoire. Mise en place de la démarche de recherche La production rhumière des Antilles-françaises a toujours été marquée par le caractère aromatique de ses produits. Au début du siècle dernier, les tentatives d intégration dans le schéma de production de nouvelles pratiques provenant de la microbiologie industrielle (culture pure, cuve-mère, souche sélectionnée ), avaient échoué, car on avait privilégié les gains de productivité. Les produits qui en avaient résulté étaient neutres du point de vue aromatique. La plupart des producteurs revinrent, vers 1920, aux fermentations mixtes. Cependant, le passage de l alambic à la colonne Créole, dans le but d améliorer la productivité se fit progressivement, entre 1818 et 1865, sans retour en arrière, même s il est reconnu que les produits issus de l alambic sont de meilleure qualité aromatique que ceux obtenus avec une colonne à distiller. 154 Innovations Agronomiques 16 (2011),

149 Recherche en technologie rhumière Le caractère aromatique des rhums traditionnels est un facteur déterminant dans leur utilisation culinaire. En France, en particulier, près des 2/3 du rhum sont singulièrement utilisés comme ingrédient culinaire. Au sein des eaux-de-vie, l ampleur de cette forme d utilisation du rhum traditionnel est une singularité. Pour l instant, dans la fabrication et la commercialisation, il n y a pas eu de prise en considération tendant à valoriser spécifiquement ce type d utilisation. Il est intéressant de noter qu environ hectolitres d alcool pur de rhum grand arôme, type particulièrement aromatique, sont commercialisés annuellement comme ingrédient culinaire, exclusivement à des préparateurs culinaires, avec une fiscalité particulièrement réduite. C est une voie qu il faut dynamiser. Pour ce faire, il y a tout une acquisition de connaissance à réaliser sur l écologie microbienne des milieux de fabrication du rhum grand arôme. C est un écosystème complexe et spontané qu on sait à peine reproduire. L échec de nombreuses tentatives pour le reproduire en témoigne. Le besoin de maîtriser la qualité de cette production aromatique, et d objectiver les descripteurs des produits, a conduit les groupements professionnels rhumiers, de la Guadeloupe et de la Martinique, à se tourner vers la recherche et le développement. C est en réponse à l expression de ce besoin que l INRA a mis en place de travaux de recherche. P. Dupuy, Directeur de recherches à l INRA, a effectué une mission de deux semaines en mars 1970, dans les Caraïbes, avec comme but principal de donner une orientation scientifique à un futur laboratoire INRA, travaillant en faveur de l industrie rhumière. Dans son rapport de mission, il a proposé un programme de recherches pour «une étude sur la fermentation du rhum». Celui-ci présentait pour objet le rhum agricole et le rhum industriel. Les objectifs proposés étaient de: «mieux connaître la flore responsable de la fermentation et en particulier le rôle des bactéries». déterminer «les conditions qui permettront d augmenter le rendement et les esters, et de diminuer les alcools supérieurs et les aldéhydes». Dès 1972, A. Parfait a entamé des travaux, à l Unité de Recherche en Technologie des Produits Végétaux du Centre INRA Antilles-Guyane. Premiers travaux d approche Ceux-ci ont reposé sur: les esters qui sont réputés être des composés de qualité des eaux-de-vie, un problème de goût anormal qui existait sur les produits de l époque, et la nécessité de dresser un état de l art. La composition des rhums traditionnels en esters volatils d acides gras supérieurs a été le premier résultat publié (Parfait et al., 1972). Bien que le mélange de ces composés ne soit pas à l origine de l arôme caractéristique des rhums, il participe à leurs qualités. Les facteurs présentés comme importants pour l élaboration de la qualité sont la distillation à un faible taux de rectification, l addition de cire au milieu de fermentation, la distillation des moûts troubles et l emploi de souches sélectionnées de levure. La présence de dérivés de l acroléine dans un rhum à goût anormal (Dubois et al., 1973) a été l objet de travaux qui ont conclu que le mauvais goût observé était le fait de la présence d acroléine dans les moûts fermentés correspondant. Parfait et Sabin (1975) ont fait le point sur les principaux paramètres opératoires de la technologie rhumière, la flore en levure, et la composition analytique des principaux types de rhum traditionnel que sont : le rhum agricole, le rhum industriel, le rhum grand arôme et le rhum de sirop. Les auteurs ont conclu que «cette production traditionnelle des Antilles françaises donne une place importante à l art de l opérateur». Ces auteurs ajoutaient que la fixation des paramètres de la fermentation (température, Innovations Agronomiques 16 (2011),

150 L. Fahrasmane et B. Parfait flore, appareil à distiller, complémentation ) ne garantissait pas l obtention d un produit donné dans des conditions régulières. Il n y avait donc pas maîtrise du processus. En 1975, un symposium international sur les rhums a été organisé par l INRA et l Association pour la Promotion des Industries Agricoles a été l occasion de faire le point sur les compétences disponibles et les approches développées en divers points du globe, en matière de technologie rhumière. Ces premiers jalons posés ont permis d identifier que la production rhumière traditionnelle souffrait sporadiquement de problèmes de non-qualité, qui dépassaient le problème de goût anormal des produits de l époque. Il était manifeste qu il y avait un manque d appréhension de problèmes sanitaires au niveau, des matières premières, de l eau de dilution, et des installations industrielles. Au-delà des éléments qui définissent réglementairement le rhum, il fallait identifier des données sanitaires, microbiologiques et opératoires en fermentation, qui permettraient de fabriquer des produits sans mauvais goût et off-flavor, tout en laissant de la place à la diversité. Des voies d investigation ont alors été développées progressivement en vue d identifier des moyens de contrôler les sources de non-qualité des rhums traditionnels et la maîtrise de la régularité de la production. Elles ont concerné : la microbiologie des milieux de fermentation, tant en ce qui concerne les levures que les bactéries, la chimie des rhums et les voies métaboliques, les conditions opératoires permettant de contrôler l apparition d off-flavors. des procédés de traitement et de valorisation des effluents de la rhumerie, la chimie des rhums en liaison avec la microbiologie des fermentations, la maturation des distillats. La maîtrise de la non-qualité Les matières premières, mélasse et jus de canne à sucre, ne sont pas stériles et les milieux de fermentation ne sont ni stérilisés ni pasteurisés. Avec l eau de dilution, les matières premières hébergent une flore bactérienne qui se développe durant la fermentation rhumière. Les travaux en bactériologie ont montré qu en technologie rhumière existe une flore bactérienne variée dont nous avons fait une synthèse (Fahrasmane et Ganou-Parfait, 1998). Dans le caractère aromatique des rhums traditionnels, la flore bactérienne joue un rôle déterminant ; leur élimination conduit à des produits neutres, c est le cas dans la production des rhums légers. Audelà d un certain seuil, les bactéries peuvent être préjudiciables à la qualité des produits. Sans chercher à éliminer les bactéries, il sera intéressant d identifier les conditions, les mécanismes d apparition de facteurs négatifs au rhum, provenant de l activité bactérienne, afin de proposer des solutions pour les contrôler. Bactériologie des eaux de dilution. Pour la composition des moûts, de l eau est apportée. Les volumes utilisés représentent entre la moitié et les 4/5 de la cuvée. Elle provient de rivières ou de nappes phréatiques. Une étude sur la bactériologie des eaux de fabrication de distillerie en Guadeloupe a été réalisée (Ganou-Parfait et al., 1991). Les bactéries des eaux de dilution sont des germes anaérotolérants (10 6 c.f.u./ml) : coliformes, streptocoques fécaux, Clostridium, bactéries sulfato-réductrices (BSR) (10 3 c.f.u./ml). Leur nombre s accroît avec le taux de minéralisation de ces eaux. La flore des eaux, particulièrement celle des rivières, s accroît sérieusement quand il fait mauvais temps. De plus en plus, les distilleries sont équipées en station de traitement des eaux ; c est une nécessité pour gérer le risque sanitaire 156 Innovations Agronomiques 16 (2011),

151 Recherche en technologie rhumière bactériologique pouvant provenir de l eau de dilution, en particulier avec des eaux fortement minéralisées ou en période pluvieuse. Le statut sanitaire des eaux de fabrication s est amélioré. L acidité volatile des vins et des rhums. Trois facteurs principaux agissent sur la nature et les quantités d acidité volatile des rhums (Fahrasmane et al., 1983) : les agents fermentaires, la température de fermentation dont l élévation augmente l acidité volatile, le degré de distillation. L acidité volatile des milieux fermentés et des distillats est en relation avec l activité de la souche de levure intervenant durant la fermentation alcoolique. Les bactéries présentes dans les milieux de fermentation contribuent au pool d acidité volatile ; en particulier lors d accidents de fermentation, l acidité volatile de ces milieux est augmentée. Le ralentissement de la vitesse de fermentation qui en résulte peut aboutir à un arrêt de la fermentation (Ganou-Parfait et al., 1991). Les rhums de consommation ont généralement une acidité volatile qui varie entre 1 et 5 milliéquivalent/litre (méq/l). Ce paramètre double dans les produits vieillis. Dans les rhums acides, accidentés, l acidité volatile varie entre 10 et 20 (méq/l). Le niveau d acidité volatile et les proportions de ses composantes apparaissent comme des indicateurs de la présence de bactéries et de leur activité au cours de la fermentation rhumière. La bactériologie des moûts. Le jus de canne à sucre qui est la matière première des distilleries agricoles, contient des germes aérobies (Ganou-Parfait et al., 1991). Micrococcus, Corynebacterium, Bacillus sont les genres les plus actifs. Elles proviennent du sol, des tiges de canne à sucre, de l air et des installations. On y trouve aussi des anaérobies aérotolérants, capables d utiliser le lactate produit par Leuconostoc, Lactobacillus et des Clostridium anaérobies. Les bactéries lactiques dominent. Dans les mélasses, on trouve principalement des bactéries lactiques et des sporulées (Bacillus). Les populations des moûts de distillerie sont très variées. On y trouve : Des Micrococcus dans les jus de canne à sucre ( Ganou-Parfait et al., 1988). Ce sont des bactéries du sol, qu on trouve aussi sur les tiges de canne à sucre, dans le moût de distillerie ; elles semblent se répartir en trois types. Elles sont préfermentaires : alors que l anaérobiose n est pas encore établie, leurs populations atteignent 10 5 c.f.u. /ml dans les moûts. Leur activité est préjudiciable à la qualité des produits, car elles produisent de l acide acrylique et de l alcool allylique dans les rhums à base de jus de canne. Des Bacillus dans les moûts à base de jus de canne à sucre (Ganou-Parfait et al., 1987). Elles proviennent de cannes attaquées par les rongeurs (rats), et creusées de galeries par des insectes foreurs. Les souches se maintiennent en anaérobiose. Elles produisent des acides gras volatils à partir du lactate. Elles ont la particularité de former des voiles en surface des cuves à la fin de la fermentation alcoolique. Ces voiles semblent protéger les cuves à ciel ouvert du développement de bactéries acétifiantes. Des Corynebacterium (Lencerot et al., 1984) et des Clavibacter. Elles proviennent de la canne à sucre, surtout quand son statut sanitaire se dégrade. Ces bactéries dégradent le glycérol, produit Innovations Agronomiques 16 (2011),

152 L. Fahrasmane et B. Parfait secondaire de la fermentation alcoolique par la levure, en acroléine(2-propénal) et en 2-propénol. Ces réactions donnent des rhums à goût piquant. Des Clostridium qui sont des germes anaérobies. L amélioration de la qualité sanitaire des eaux de fabrication a permis de faire diminuer la population des Clostridium telluriques. Les clostridies jouent un rôle important dans la fabrication du rhum grand arôme, avec en particulier Clostridium saccharobutyricum. Les milieux à base de jus de canne à sucre contiennent fréquemment Clostridium butyricum et Clostridium bifermentans. Dans les milieux à base de mélasse, on trouve aussi quelques espèces de clostridies. Des bactéries lactiques dont le nombre varie entre 10 7 et 10 8 c.f.u./ml, en début de fermentation, que ce soit dans des moûts à base de jus de canne ou à base de mélasse. 80 à 90 % des souches ont un comportement anaérobie. On y trouve des bactéries homofermentaires et des hétérofermentaires. Leur activité génère de l acide lactique et des polysaccharides. Les bactéries lactiques constituent l essentiel de la flore bactérienne des moûts à base de mélasse ; tandis qu elle est plus variée dans ceux à base de jus de canne. Une approche de la dynamique des diverses espèces bactériennes au cours du cycle fermentaire permet de conclure, qu en particulier, dans les moûts à base de jus de canne à sucre, il y a une préfermentation lactique des moûts, avant que la fermentation alcoolique n ait lieu (Ganou-Parfait et al., 1989). Des travaux en cours ont pour but de modéliser cette «co-culture», afin de la valoriser technologiquement. En effet, la pratique courante est d acidifier les moûts en début de fermentation par apport d acide sulfurique. En dirigeant l écologie microbienne, on pourrait faire en sorte qu il y ait maîtrise d une acidification biologique lactique qui permettrait ensuite une fermentation alcoolique par la levure, dans la gamme de ph habituelle qui protège le milieu du développement de bactéries préjudiciables. La fermentation alcoolique en rhumerie Les principales opérations unitaires réalisées au cours de la production rhumière sont l extraction, la fermentation et la distillation. Il y a des pertes à toutes ces étapes. Les pertes au cours de l étape de fermentation sont les plus importantes. Des mesures de rendement fermentaire en fermentation alcoolique ont été effectuées sur des productions traditionnelles (Fahrasmane, 1991). Les résultats sont les suivants : - Rendement Gay-Lussac 0.67 l AP /kg glucose, - Rendement Pasteur 0.61 l AP /kg glucose, - Rendement optimal théorique 0.59 l AP /kg glucose, - Rendement sur mélasse 0.52 l AP /kg glucose, - Rendement sur jus de canne 0.47 l AP /kg glucose, - Rendement sur sirop 0.40 l AP /kg glucose. En distillerie de mélasse de betterave, avec un levurage par cuve-mère, le rendement fermentaire est de 0.58 l AP /kg glucose (de Miniac, 1988). Même si l amélioration du rendement n était pas une priorité, après que les problèmes de non-qualité avaient été réglés, les professionnels se sont souciés de l amélioration du rendement. Une des voies explorées est la recherche de souches de levures sélectionnées, adaptées à la fermentation des produits à base de canne à sucre (Fahrasmane et al., 1986) 158 Innovations Agronomiques 16 (2011),

153 Recherche en technologie rhumière Des Schizosaccharomyces de rhumerie ont été isolées et collectionnées dans notre Unité (Fahrasmane et al., 1988). Leur étude taxonomique a montré qu il y avait essentiellement des Schizosaccharomyces pombe (90 %), quelques S. malidevorans (8%), et une S. japonicus (2 %). Une étude sur leur utilisation en technologie rhumière a été réalisée (Ganou-Parfait et Parfait, 1980). Ce genre de levure peut dans certaines conditions technologiques, avoir une productivité en fermentation alcoolique, équivalente à Saccharomyces cerevisiae. Le profil aromatique des composés secondaires produits est très différent de celui des Saccharomyces. Schizosaccharomyces et le complexe bactérien, riche en Clostridium, qui l accompagne dans la fermentation du rhum grand arôme constituent pour l instant un écosystème, donnant des produits singulièrement riches en propriétés aromatiques. Les producteurs ne savent au mieux que reproduire cet écosystème sans le contrôler. Il y a là des connaissances à générer, afin de le maîtriser et mieux le valoriser. Une collection de souches de Saccharomycetaceae de rhumerie a été constituée (Parfait et Sabin, 1975 ; Fahrasmane et Ganou-Parfait, 1998). A partir de cette collection, une étude a été entreprise en vue de sélectionner des levures pour la rhumerie. Ce travail a abouti en 1997 à la sélection, au plan mondial, de la première souche commerciale de rhumerie : DANSTIL EDV 493 (Vidal et Parfait, 1994), une Saccharomyces cerevisiae commercialisée, sous forme de levures sèches actives, par Lallemand S.A.. Cette levure sélectionnée permet une amélioration des rendements de fermentation et de la productivité, moyennant un aménagement de l ensemencement, par rapport aux conditions habituelles de coupage. Une de ses particularités est de ne pas être aussi affectée que les autres souches de levure, utilisées comme levure d appoint, aux températures avoisinant 35 C que l on peut mesurer dans les cuves de rhumerie. La tige de canne à sucre est enveloppée d une couche cuticulaire de cire. La cire est concentrée dans les boues de défécation de la sucrerie. Un fractionnement de ces boues a été entrepris. Des stéroïdes, notamment stigmastérol et sitostérol en ont été isolés. Ceux-ci ont été ajoutés à des milieux de fermentation alcoolique afin d étudier leur action sur le comportement fermentaire des levures. Lorsqu il s agit de levures sauvages, l ajout de ces stéroïdes se traduit par un gain de production d éthanol, comparativement à un milieu témoin sans apport de stéroïdes. La levure de boulangerie déjà relativement riche en stérols est bien moins sensible à l apport de stéroïdes (Bourgeois et Fahrasmane, 1988). Produits secondaires de la fermentation alcoolique Le glycérol est un produit secondaire de la fermentation alcoolique, fréquemment présent, en des quantités variables, dans le milieu de fermentation en rhumerie. Il a la particularité d être consommé par des bactéries (Fahrasmane et Ganou-Parfait, 1998) (Micrococcus, Bacillus, Lactobacillus, Leuconostoc, Clostridium) en produisant des composés liés aux mauvais goûts des rhums : de l acroléine, du propènol 2 et quelques fois de l acide acrylique. Ces composés sont des indicateurs de désordres bactériens, auxquels il faut remédier, par exemple en production à base de mélasse en évitant les conditions fermentaires qui sont favorables à la formation de glycérol (18), et en travaillant dans des conditions sanitaires qui inhibent l action d une flore bactérienne contaminante surabondante. A l issue d un travail de thèse sur «la formation des acides gras courts et des alcools supérieurs par des levures de rhumerie», Parfait et Jouret (1980) ont montré que le choix de l espèce et de la souche de levure est déterminant dans le contrôle quantitatif et qualitatif de la production des acides gras courts et des alcools supérieurs. Il apparaît que dans le milieu jus de canne il y a formation d acide propionique ; la composition en acides organiques (citrique, aconitique et malique) du jus semble déterminante dans cette production. Il y a à mettre ce résultat en liaison avec la singulière richesse des rhums traditionnels en acide propionique en particulier, et plus généralement en acides gras courts. Innovations Agronomiques 16 (2011),

154 L. Fahrasmane et B. Parfait Du point de vue méthodologique, nous nous sommes intéressés à l acide éthyl 2 méthyl 3 butyrique, identifié par certains auteurs comme caractéristique des rhums (Fahrasmane et al., 1985). Ce travail a montré que ce sont plus les quantités de cet acide d origine bactérienne qui sont singulièrement élevées qui le singularisent, car en définitive on trouve ce composé dans d autres substances de bouche. Chimie des rhums Les travaux réalisés en chimie des rhums, au-delà des esters, ont porté sur des composés chimiques ou des familles chimiques qui sont majeurs dans le non-alcool (les alcools supérieurs), ou qui sont sensibles en terme de qualité des produits. Le rhum contient une plus grande variété et de plus grandes quantités de composés organo-soufrés que les autres spiritueux (Fahrasmane et al., 1989). D après Leppanen et al. (1979), le rhum est le seul spiritueux contenant du sulfure de diméthyle. L activité de bactéries sulfatoréductrices dans les milieux de fermentation serait en partie à l origine de tous ces composés. La composition en éléments soufrés de la canne à sucre et l apport, lors de la préparation des moûts, de sulfate d ammonium et d acide sulfurique, fournirait un substrat aux bactéries sulfato-réductrices des moûts. En aval de la distillerie, la méthanisation des effluents pose le problème d un équilibre précaire entre les flores méthanigènes et sulfato-réductrices. La fraction organo-soufrée des rhums mérite une étude approfondie et systématique, car elle présente un intérêt analytique et organoleptique pour la caractérisation des rhums. Le dosage de l acide formique dans les rhums vieillis ou non, montre que le taux d acide formique dans des rhums traditionnels est dans la fourchette des chiffres trouvés pour d autres eaux-de-vie. Aussi, l intervention de bactéries amène une augmentation importante du taux d acide formique des rhums blancs (Jouret et al., 1990a). Cet acide est quantitativement plus important dans les rhums de mélasse que dans ceux à base de jus de canne à sucre. Certains alkylpyrazines des rhums apparaissent comme pouvant permettre de différencier les rhums blancs de mélasse des rhums blancs de jus de canne. En effet, la 2 méthyl pyrazine, la 2 5 méthyl pyrazine et la 2 6 diméthyl pyrazine sont absentes de rhums agricoles alors qu ils sont nettement présents dans ceux à base de mélasse (Jouret et al., 1990b). Le carbamate d éthyle ou uréthane est une molécule réputée cancérigène que l on peut trouver dans des rhums. Le marché nord américain a adopté une limite supérieure de présence de ce composé dans les rhums, qui est de 125 µg/l. Cette substance peut provenir de la fermentation, en particulier dans les milieux contenant de l urée, ce qui n est pas le cas de milieux de distillerie, mais aussi il peut être formé par réaction purement chimique au cours et après la distillation. Les rhums n ont jamais été reconnus comme des alcools particulièrement riches en carbamate d éthyle. Sa présence, au-delà du seuil défini, est une préoccupation pour les producteurs qui veulent exporter, en particulier, vers l Amérique du nord ; certains rhums en sont exempts mais d autres pas, sans qu on puisse actuellement avoir d explication. Les quantités mesurées vont jusqu à µg/l. Il y a donc des connaissances à générer sur le déterminisme de l apparition du carbamate d éthyle. La matière première canne à sucre La production de rhums traditionnels associe à la production d éthanol la production de composés aromatiques ou non alcool, au cours de la fermentation. Cette production dépend de l aptitude du moût, et donc de la matière première, à répondre aux besoins de la levure et aux agents co-fermentaires que 160 Innovations Agronomiques 16 (2011),

155 Recherche en technologie rhumière sont les bactéries. Nous nous sommes intéressés à la canne à sucre en tant que ressource végétale, (Célestine-Myrtil-Marlin et Ouensanga, 1988), à son contenu, ainsi que celui des mélasses (Célestine- Myrtil-Marlin et Parfait, 1988) en acides organiques. Des mesures ont aussi été effectuées en fonction de l âge de la canne à sucre (Célestine-Myrtil-Marlin, 1990). Les acides organiques agissent sur le comportement métabolique des levures, au cours de la fermentation ((Fahrasmane et al., 1985). Un travail a été entrepris sur les méthodes de traitement de la canne à sucre associées à une méthode de dosage des sucres (Célestine-Myrtil-Marlin et Parfait, 1987). Nous avions besoin de méthodes précises et fiables pour doser les sucres et suivre leur évolution au cours des bio-transformations (Célestine-Myrtil-Marlin, 1991.). Traitement et valorisation des effluents La distillation des milieux fermentés de rhumerie engendre des rejets, des eaux résiduaires, la vinasse, qui contient une charge polluante. Des programmes menés dans notre Unité ont contribué à caractériser les vinasses et à proposer des processus de dépollution et de valorisation, par digestion méthanique. Les flux de pollution engendrés par la distillation d'alcool de mélasse de canne sont particulièrement élevés : 950 à 1900 kg DCO/m 3 d'alcool pur (A.P.) produit, soit une charge polluante de 13 à équivalents habitant jour/ m 3 A.P. produit. La distillation de rhum agricole représente des flux de pollution six fois moins importants : 250 kg/ DCO/ m 3 A.P., soit 3000 équivalents habitant jour/ m 3 A.P. produit (Bories et al., 1994). Lorsque la charge organique des eaux résiduaires des industries agro-alimentaires, telle que la distillerie, est déversée sans précaution dans le milieu naturel, elle y provoque différentes formes d'inconvénients, dont les plus caractéristiques sont la pollution des eaux et la pollution par les odeurs accompagnées des nuisances qu'elles induisent. Diverses filières ont été proposées pour l'élimination ou le traitement des vinasses : évaporationincinération, épandage-irrigation, lagunage anaérobie, production de biomasse microbienne, digestion anaérobie ou digestion méthanique. Cette dernière filière est un processus biologique naturel qui consomme et réduit la pollution organique. Son application dans des stations d'épuration, aux effluents agro-alimentaires, permet en même temps la production de biogaz combustible. A la Guadeloupe, dans une importante distillerie, la vinasse de mélasse fait l objet d une digestion anaérobie, selon un procédé dimensionné grâce à une étude de l INRA. Ce procédé permet de faire dans des conditions normales de fonctionnement : une dépollution avec 60 % de la DCO éliminées, une production d énergie : du biogaz représentant 60 % des besoins énergétiques de la distillerie (Bories et al., 1988). Des essais pilotes permettent d'atteindre une élimination de plus de 95 % de la DCO de vinasses de jus de canne par digestion anaérobie (Bories et al., 1994). Le biogaz produit présente un intérêt très limité pour la distillerie agricole, car elle dispose de bagasse comme combustible. Conclusion Deux colloques sur les rhums traditionnels des Départements français d Outre-Mer ont été tenus, en 1994 et en 1996, respectivement en Guadeloupe et à la Réunion. Ils ont été une occasion de rencontres entre les professionnels, les instituts techniques, les administrations, les instituts de Innovations Agronomiques 16 (2011),

156 L. Fahrasmane et B. Parfait recherche. Ces manifestations ont donné lieu à l édition d Actes qui faisaient le point sur des problèmes et questions de la production de rhums traditionnels. Les travaux réalisés sur la fabrication des rhums traditionnels, au cours de cette trentaine d années, ont permis de mieux connaître et appréhender la flore bactérienne et ses produits, les mécanismes de la non-qualité dans ces fabrications, et de proposer des moyens d y remédier. Les produits de mauvaises qualités sont actuellement bien moins fréquents qu il y a trente ans. Les médailles gagnées par les distillateurs des Antilles françaises, aux concours agricoles sont de plus en plus nombreuses. Des travaux, sur des souches de levures collectionnées dans les rhumeries, ont permis de sélectionner une souche qui constitue un outil pour contribuer à la conduite de la fermentation. Il y a moins de connaissances sur le fonctionnement et la dynamique bactérienne des écosystèmes de la distillerie, marqués par une grande biodiversité. Il y a proximité phylogénétique entre les bactéries lactiques des fermentations et les corynébactéries dont certaines sont des pathogènes de la canne à sucre. Sur la matière première, il y a le besoin de définir un itinéraire technique de production agricole et de traitement post-récolte, adapté à la transformation rhumière, en prenant en considération d autres constituants que le saccharose : acides organiques, précurseurs d arômes, marqueurs, traceurs Avec le jus de canne, stérile, stabilisé par microfiltration tangentielle, que nous avons mis au point, nous disposons d un milieu d étude du comportement, en culture pure, des agents microbiens. L essentiel des travaux réalisés l a été à l échelle du laboratoire. La prise en considération de la matière première et des co-cultures nécessite d adjoindre à l échelle laboratoire un dispositif à l échelle pilote, et aussi de réaliser des opérations sur sites industriels. Nous n avons pas développé d activité en matière de distillation. Cette étape de fabrication contribue elle aussi de manière significative à l élaboration de la qualité des produits. La maturation des rhums est une étape sur laquelle nous avons eu pour l instant qu une approche préliminaire, à travers l utilisation de boisés et des bois rouge de Guyane. Le singulier caractère aromatique des rhums traditionnels a été l objet de peu d attention. Il a l avantage de se situer en dehors du champ de l alcoolisme. Il y a un potentiel d innovation à prospecter pour formuler des produits de la rhumerie, répondant de manière ciblée à ces utilisations aromatiques. Le traitement et la valorisation des effluents bénéficient de résultats obtenus, tant sur effluents de mélasse que sur effluents de jus de canne à sucre. Sur les premiers, il y a des traitements d amont ou secondaire de différents types à étudier ou à dimensionner : ébourbage, épandage, lagunage Le modèle rhums traditionnels est relativement complexe, car il fait intervenir : le traitement de matières premières : mélasse et jus de canne (biochimie, physiologie ), des bioconversions complexes : fermentation alcoolique, co-fermentations bactériennes, fermentation méthanique des effluents en aval, des opérations unitaires du génie des procédés : broyage, extraction, distillation. des traitements de maturation des distillats, plus ou moins longs, pour élaborer diverses qualités de produits. Les différents outils et itinéraires maîtrisés et les acquis de la recherche-développement dans la filière canne-sucre-rhum pourront trouver des applications dans l agro-transformation de ressources végétales tropicales. 162 Innovations Agronomiques 16 (2011),

157 Recherche en technologie rhumière Références bibliographiques Bories A., Raynal J., Bazile F., Anaerobic digestion of high-strength distillery wastewater (cane molasses stillage) in a fixed-film reactor. Biological Wastes 23, Bories A. Bazile F. Lartigue P., Traitement anaérobie des vinasses de distillerie en digesteurs à micro-organismes fixés. Actes, Colloque sur les rhums traditionnels ISBN N Bourgeois P., Fahrasmane L., Effet de stéroïdes de la canne à sucre sur des levures en fermentation alcoolique. Canadian Institute of Food Science and Technology 21, 5, Célestine-Myrtil-Marlin D., Parfait A., HPLC analysis of sugars in sugarcane stalks. International Sugar Journal 89, , Célestine-Myrtil-Marlin D.A., Ouensanga A., Distribution of simple sugars and structure polysaccharides in sugarcane stalks. Sugar Journal January, Célestine-Myrtil-Marlin D. Parfait A., HPLC determination of organic acids in sugarcane and its industrial by-products International Sugar Journal 90, Célestine-Myrtil-Marlin D., Influence of cane age on sugars and organic acids distribution in sugarcane stalks. Sugar y Azucar, 85, Célestine-Myrtil-Marlin D., Valorisation de la chromatographie liquide à haute performance (HPLC) à l intérieur de la filière canne à sucre : de la sélection variétale au contrôle de la fabrication en usine. Industries alimentaires et Agricoles 108, Dubois P., Parfait A., Dekimpe J., Présence de dérivés de l acroléine dans un rhum à goût anormal. Annales de Technologie Agricoles 22, 2, Fahrasmane L., Parfait A., Jouret C., Galzy P., Etude de l acidité volatile des rhums des Antilles françaises. Industries alimentaires et Agricoles 100, Fahrasmane L., Parfait A., Jouret C., Galzy, P., Production of higher alcohols and short chain fatty acids by different yeast used in rum fermentations. Journal of Food Science 50, Fahrasmane L., Parfait A., Galzy P., Propriétés fermentaires des levures de fermentation. Industries alimentaires et Agricoles 103, Fahrasmane L., Ganou-Parfait B., Parfait A., Yeast flora of Haitian distilleries. MIRCEN Journal 4, Fahrasmane L., Ganou-Parfait B., Bazile F., Le métabolisme du soufre dans la rhumerie. Mircen Journal 5, Fahrasmane L., Amélioration du rendement du rendement de la fermentation alcoolique de milieu à base de canne à sucre. AFCAS : 1 re Rencontre internationale en langue française sur la canne à sucre. p Fahrasmane L., Ganou-Parfait B., Microbial flora of fermentation media. Journal of Applied Microbiology 84, Ganou-Parfait B., Parfait A., Problèmes posés par l utilisation de Schizosaccharomyces pombe dans la fabrication des rhums. Industries alimentaires et Agricoles 97, Ganou-Parfait B., Fahrasmane L., Parfait A., Bacillus spp in sugar cane fermentation media. Belgian Journal of Food Chemistry and Biotechnology 42, Ganou-Parfait B., Fahrasmane L., Célestine-Myrtil D., Parfait A., Galzy P., Les Micrococcus en technologie rhumière aux Antilles françaises. Microbiologie Aliments Nutrition 6, Ganou-Parfait B., Fahrasmane L., Galzy P Parfait A., Les bactéries aérobies des milieux fermentaires à base de jus de canne à sucre. Industries alimentaires et Agricoles 106, Ganou-Parfait B., Fahrasmane L., Parfait A., Galzy P., Les bactéries en technologie rhumière aux Antilles françaises. AFCAS : 1 re Rencontre internationale en langue française sur la canne à sucre. p Innovations Agronomiques 16 (2011),

158 L. Fahrasmane et B. Parfait Ganou-Parfait B., Valadon M., Parfait A., Contribution à la bactériologie des eaux de fabrication de distilleries de la Guadeloupe. AFCAS : 1 re Rencontre internationale en langue française sur la canne à sucre, INRA., Symposium International sur le rhum et alcools dérivés de la canne à sucre. Annales de Technologie Agricole 24, Jouret C., Pace E., Parfait A. 1990a. L acide formique composant de l acidité volatile des rhums. Industries alimentaires et Agricoles 107, Jouret C., Pace E., Parfait A., 1990b. Différenciation analytique des rhums agricoles et industriels par les alkylpyrazines. Annales des Falsifications des Experts Chimistes. 87, 926, Lencrerot P., Parfait A., Jouret C., Rôle des corynebacteries dans la production d acroléine (2- propenal) dans les rhums. Industries alimentaires et Agricoles 101, Leppanen D., Denslow J., Ronkainen P., A gas chromatographic method for the accurate determination of low concentration of volatile sulphur compounds in alcoholic beverages. Journal of the Institute of Brewing 85, Miniac (de) M., Conduite des ateliers de fermentation alcoolique de produits sucriers (mélasses et égouts). Industries alimentaires et Agricoles 105, Parfait A., Namory M., Dubois P., Les esters éthyliques des acides gras supérieurs des rhums. Annales de Technologie Agricoles 21, 2, Parfait A., Sabin G., Les fermentations traditionnelles de mélasse et de jus de canne aux Antilles françaises. Industries alimentaires et Agricoles 92, Parfait A., Jouret C., Le glycérol dans la fermentation alcoolique des mélasses et des jus de canne à sucre. Industries alimentaires et Agricoles 97, Vidal F., Parfait A., Introduction d une levure à aptitude rhumière en fermentation de dérivés de la canne à sucre. BIOS Boissons 249, Innovations Agronomiques 16 (2011),

159 Innovations Agronomiques 16 (2011), La canne à sucre et ses co-produits dans l alimentation animale Archimède H. 1, Xande X. 2, Gourdine J.-L. 1, Fanchone A. 1, Alexandre G. 1, Boval M. 1, Coppry O. 3, Arquet R. 3, Fleury J. 3, Regnier C. 1, Renaudeau D. 1 1 : INRA, Unité de Recherches Zootechniques, UR143, Petit-Bourg, Guadeloupe 2 : EPLEFPA, Etablissement public local d enseignement et de formation professionnelle agricoles de la Guadeloupe, Baie-Mahault, Guadeloupe 3 : INRA, Plateforme Tropicale d Expérimentation Animale, UE2294, Petit-Bourg, Guadeloupe Correspondance : Harry.Archimede@antilles.inra.fr Résumé : La canne à sucre plante entière et ses coproduits (amarres, jus de canne, mélasse, bagasse) peuvent être valorisés par les animaux d élevage. Les ruminants peuvent utiliser tous les produits de la canne à sucre alors que les monogastriques n utilisent efficacement que les fractions les moins riches en fibres (jus de canne, mélasse). Quels que soient l espèce animale et les produits, une forte complémentation azotée s impose. La canne entière et ses différentes fractions sont carencées en protéines. La valorisation de la canne entière, après son fractionnement (jus, amarres et bagasse) est optimale quand des ruminants et des monogastriques sont présents sur une l exploitation agricole. Des travaux sont encore nécessaires pour développer des productions animales dans des systèmes de production à base de canne à sucre. Mots-clés : Ruminants, porcs, canne à sucre, jus, bagasse, mélasse Abstract: Sugar cane and byproducts as animal feeds The whole sugar cane plant and its byproducts (leaves, cane juice, molasses and bagasse) can be valorized by livestock. Ruminants can use all products of sugar cane while monogastrics use efficiently the fractions with lower fiber content (cane juice, molasses). Whatever the animal species and products, a high nitrogen supplementation is necessary. Whole cane and its different fractions are deficient in protein. The valuation of the whole cane after fractionning (juice, leaves and bagasse) is optimal when ruminant and monogastric animals are present on a farm. Works are still needed to develop livestock production systems based on sugar cane. Keywords: Ruminants, pigs, sugar canne, juice, bagasse, molasses Introduction La culture de la canne à sucre permet de produire une gamme très variée d aliments : canne entière, têtes de canne (amarres), jus de canne, sucre, mélasse, pailles de canne, bagasse. La canne entière, les amarres, pailles et le jus de canne sont disponibles sur l exploitation agricole. Le sucre, la mélasse et la bagasse sont des produits de l agro-industrie. La canne à sucre (Saccharum officinarum) est une graminée très cultivée dans les zones tropicales. Comparativement aux autres graminées fourragères, la canne a une productivité élevée pouvant atteindre 50 tonnes de matière sèche par hectare et par an. Les fourrages classiques, généralement des graminées, produisent moins de 30 tonnes de matière sèche par hectare.

160 H. Archimède et al. La canne à sucre est disponible pendant la saison sèche, période au cours de laquelle sa valeur alimentaire est la plus élevée. En effet, la phase végétative de la canne se situe pendant la saison des pluies, et la maturation (accumulation du sucre) est réalisée pendant la saison sèche. C est donc un fourrage stratégique pour l alimentation des ruminants (bovins, ovins, caprins). Contrairement aux autres fourrages dont la valeur alimentaire décroît en général avec l âge et l accumulation de biomasse, celle de la canne à sucre augmente ce qui fait d elle une réserve fourragère sur pied ne nécessitant pas de stockage sous forme séchée ou ensilée. La production de sucre varie de 5 à 10 tonnes par hectare de cannes. Le sucre, comme la plupart des glucides cellulaires, est efficacement transformé par les animaux d élevage monogastrique (porcs, canards, oies ). Le sucre peut remplacer l amidon présent dans les aliments classiques à base de céréales. La production d énergie par la canne, estimée sur la base du sucre produit, est supérieure à celle des céréales calculée à partir de l amidon. L utilisation du sucre dans l alimentation animale ne sera pas abordée dans cet article. 1. Composition chimique de la canne à sucre et ses coproduits La composition chimique des principaux produits de la canne est indiquée dans le Tableau 1. La valeur relative de ces produits par rapport à d autres aliments est indiquée par sur la Figure 1. Tableau 1. Composition chimique des principaux produits de la canne Canne Tiges Amarres Jus Bagasse Mélasse entière Matière sèche (MS) Matière organique/ms Minéraux/MS Matière azotée totale/ms Neutral Detergent Fibre/MS Acid Detergent Fibre/MS Acid Detergent Lignin/MS Neutral Detergent Soluble/MS Les produits de la canne sont pauvres à très pauvres en matières azotées. Certains sont très riches en fibres (bagasse, amarres, tiges et canne entière), d autres en sont dépourvus (jus et mélasse). Les ruminants sont capables de valoriser la canne entière broyée, les amarres, la paille de canne et la bagasse. Les non ruminants valorisent mieux le jus de canne et la mélasse. Ces choix ne sont cependant pas exclusifs car il est possible de concevoir des associations d aliments afin d obtenir la densité énergétique recherchée. Ainsi, des associations canne entière et mélasse, canne entière et jus, amarres et jus, amarres et mélasse, bagasse et mélasse peuvent conduire à des rations enrichies en énergie et permettre des performances élevées chez le ruminant. Chez le porc, les marges de manœuvre sont plus faibles. L incorporation des produits fibreux dans les rations pénalise les performances des animaux. Sur une exploitation agricole, l optimisation de valorisation de la canne à sucre nécessiterait la présence de deux espèces animales, ruminants et non ruminants. Ces deux types d animaux ont des aptitudes complémentaires pour tirer profit des deux fractions principales (sucre et fibres) de la canne. L utilisation idéale de la canne à sucre passe donc par son fractionnement pour offrir aux ruminants et monogastriques les parties qu ils peuvent valoriser au mieux. Par contre, la 166 Innovations Agronomiques 16 (2011),

161 La canne à sucre en alimentation animale consommation de la bagasse par les animaux d élevage n est sans doute pas la meilleure utilisation du produit, en raison de sa très faible valeur alimentaire. Elle peut cependant être utilisée comme litière, fumure organique ou comme biomasse non alimentaire pour produire de l énergie électrique. Figure 1 : Valeur alimentaire relative de la canne à sucre et de ses co-produits. 2. La canne à sucre et ses coproduits dans l alimentation des ruminants 2.1. La canne entière broyée Il existe au moins deux stratégies possibles d utilisation de la canne à sucre. La canne est une banque d énergie qui permet aux ruminants de passer la saison sèche. Dans ce scénario, il faut planter 4 ares en cannes par hectare de prairie planté et par mois de saison sèche. La canne peut aussi être le fourrage de base de l exploitation agricole. Il faudra alors accepter la réduction de la concentration en sucre de la canne à certaines périodes de l année (saison des pluies) ou opter pour certaines technologies de conservation. La canne entière peut être utilisée à différents âges mais Il faut privilégier la canne mure (10-12 mois). La composition de la canne entière broyée varie avec sa maturité (Figure 2). Certes les valeurs en azote sont plus élevées quand la plante est très jeune (stade herbacée) mais au détriment de la biomasse. Les valeurs les plus élevées en sucre, donc en énergie, sont obtenues pour la canne mature. Les quantités de canne volontairement ingérées et la valeur énergétique (digestibilité) varient peu avec l âge. Innovations Agronomiques 16 (2011),

162 H. Archimède et al. Figure 2 : Evolution de la composition chimique de la canne avec l âge Si l exploitation agricole ne dispose que de ruminants, la canne entière avec feuilles est utilisée. S il y a des porcs ou des volailles (canard et oies notamment) sur l exploitation agricole, il est recommandé de réserver les têtes de canne + approximativement le quart supérieur de la tige (partie immature moins riche en sucre) aux ruminants (Figure 3). Le jus extrait de la partie basse sera valorisé par les porcs. Figure 3 : Fractionnement de la canne en fonction des espèces animales. Afin d éviter les pertes de sucre, la canne doit être coupée moins de trois jours avant son broyage. Le broyeur utilisé doit être puissant (vitesse de rotation des couteaux) pour que la canne soit bien déchiquetée surtout s il s agit d aliments destinés aux petits ruminants. Une fois broyée, la canne doit être utilisée le jour même. La canne à sucre doit être complémentée par de l azote, des minéraux, des vitamines et de l amidon. La stratégie de complémentation azotée consiste à faire produire par les microbes de la panse des ruminants, le maximum de protéines en utilisant de l azote non protéique. Au même moment, il faut apporter des protéines de bonne qualité, indigestibles dans la panse mais digestibles dans l intestin pour compléter l apport de protéines. La source d azote non protéique (urée) doit être mélangée à la canne afin d éviter une ingestion trop rapide. La source d azote protéique (soja, aliment de l agro-industrie), la source d amidon, le complément minéral et vitaminique doivent être distribués avant la canne pour éviter le gaspillage. L azote protéique et l azote non protéique peuvent être apportés par le même aliment. C est le cas avec 168 Innovations Agronomiques 16 (2011),

163 La canne à sucre en alimentation animale les feuillages (manioc, patate, Gliricidia, Erythrina, Leucaena). C est aussi le cas avec certains fourrages (arachide fourrager, Stylosanthes ). Dans ce cas, il ne faut pas distribuer d urée. En absence de feuillage, la source d azote non protéique la moins onéreuse est l urée alimentaire. Le tourteau (soja.) est la source d azote protéique la plus équilibrée. Il existe aussi des aliments composés industriels classiquement utilisés en élevage, riches en protéines (18 à 20% de protéines) ou des compléments canne formulés à cet effet. Quand les aliments classiques de l industrie riches en protéines ou les compléments canne sont utilisés, ils contiennent déjà la source d amidon. D autres sources de protéines peuvent être produites sur la ferme, c est le cas des différents pois. Le son de riz est un bon complément de la canne qui lui apporte à la fois des protéines et de l amidon. Les sources d amidon, hormis les classiques céréales, sont les écarts de triage de banane, les tubercules de manioc ou de patates, le fruit à pain. Le complément azoté est l ingrédient le plus onéreux de la ration. Les quantités d azote à apporter dépendent des objectifs de croissance, de la source d apport et des caractéristiques de la canne et la nature du concentré. A titre d exemple, il faut 30 g d urée /kg de canne séchée (environ 10 g par kg de canne fraîche). La quantité d azote protéique by pass est de l ordre de 0.30 g pour 1 g de croissance chez les bovins et 0.75 g pour 1 g de croissance chez les ovins. La proportion de canne dans la ration dépend de l objectif de croissance. Le potentiel de croissance des animaux créoles peut être atteint avec plus de 60% de canne dans la ration (Figure 3 et 4). Figure 3 : Relation entre la croissance de bovins et la proportion de canne broyée dans la ration totale (Pate, 1981). Croissance (g/jour) y = X R 2 = Canne dans la ration (% de la matière sèche) Quand des animaux de races exotiques sont utilisés à l abri du stress thermique, et que l éleveur veut maximiser la croissance, les quantités de canne introduites dans la ration doivent être moins importantes. La canne est alors partiellement remplacée par du concentré agro-industriel comme avec un fourrage classique. Il existe cependant des pratiques où du jus de canne ou de la mélasse sont rajoutés à la ration. L agriculteur peut aussi augmenter l apport de produits amylacés non conventionnels tels les écarts de banane, de patates, du manioc Une contrainte pratique à l utilisation de la canne est qu elle doit être broyée quotidiennement. Il existe 2 solutions alternatives : le séchage de la canne ou l ensilage. Quelle que soit l option prise, cela doit être un choix sur le long terme car il n est pas recommandé de changer fréquemment la nature de la ration de base. Il faut en effet une période d adaptation des animaux à celle-ci. Le séchage doit être rapide (24 heures) pour éviter des fermentations et la diminution de la quantité de sucre. Cette solution est techniquement possible mais onéreuse si l exploitation agricole ne dispose pas d énergie renouvelable. La solution la plus simple consiste faire sécher la canne broyée au soleil. Pour que le séchage soit rapide, il faut étaler (sur une bâche de préférence) le tas de canne sur une épaisseur qui ne doit pas dépasser 4 cm. Il faut le Innovations Agronomiques 16 (2011),

164 H. Archimède et al. retourner 2 à 3 fois dans la journée. Il faut rentrer le tas de canne la nuit et recommencer l opération le lendemain si le séchage n est pas satisfaisant. Le séchage pourrait aussi être réalisé par une source de biogaz produite sur l exploitation agricole. Figure 4 : Relation entre la croissance d ovins et la proportion de canne broyée dans la ration totale (Archimede, 2010) Croissance (g / jour) y = x R 2 = Canne dans la ration (% de la matière sèche) La technique de l ensilage de canne a été initialement développée pour éviter de récolter la canne pendant la saison des pluies. Durant cette période, la richesse en sucre de la canne chute relativement à celle observée pendant la saison sèche. L inconvénient majeur de l ensilage en comparaison à la canne fraîche est une baisse d ingestibilité en relation avec une augmentation de la concentration d alcool dans le produit ensilé. Des pratiques récentes de «pâturage» de canne entière se sont développées. Nous ne disposons pas de suffisamment de référentiels pour les évaluer. Le Tableau 3 indique quelques exemples de rations testées sur animaux et pour lesquelles les performances observées ont été indiquées La têtes de canne (amarres) Les amarres sont l extrémité supérieure de la tige de canne et les feuilles qui l entourent. Les quantités d amarres produites sont liées à la production de cannes (tiges). Dans la pratique, certains éleveurs récoltent les amarres utilisées comme fourrage pour les animaux. Plus rarement, d autres éleveurs attachent directement les animaux dans le champ après la récolte. Les amarres représentent le principal co-produit de la récolte de la canne. La disponibilité moyenne est d environ 24 tonnes de produits frais (8 tonnes de biomasse sèche) à l hectare. En réalité, les quantités disponibles et la composition chimique des amarres sont variables en fonction notamment de la proportion de tiges de canne immatures (non récoltées) liées aux feuilles. Les amarres sont composées de 3 «organes» différents : la tige immature, les feuilles vertes et les feuilles sèches dont les proportions peuvent varier. La tige immature est la fraction la plus appréciée par l animal. La valeur alimentaire des amarres consommées comme seul ingrédient des rations permet aux animaux de couvrir leurs besoins d entretien. Contrairement à la bagasse, le traitement à l ammoniac et à l urée ne permet pas d améliorer la valeur nutritive des amarres. Les quantités d amarres 170 Innovations Agronomiques 16 (2011),

165 La canne à sucre en alimentation animale volontairement consommées par les ruminants sont de l ordre de 1.8 à 2.5 kg de matière sèche (environ 7 kg de biomasse fraîche) pour 100 kg de poids vif. La composition chimique des amarres est indiquée dans le Tableau 1. C est un produit riche en fibre et relativement pauvre en azote. Sa digestibilité est moyenne à faible. La supplémentation des amarres doit être réalisée avec des ingrédients peu encombrants. La mélasse est un produit de choix mais les quantités distribuées ne doivent pas dépasser 1.5% du poids vif de l animal, sinon l ingestion d amarre diminue. Généralement, l apport de mélasse est limité à 1% du poids vif de l animal. De forts niveaux de complémentation sont nécessaires pour assurer la croissance quand l amarre est le fourrage de la ration. A titre d exemple, des taurillons zébus de 22 mois et de 300 kg recevant des amarres à volonté et 1,3 kg de son de blé ont eu des croissances de 300 g par jour (Gendley et al., 2002). Des croissances de 350 g /j ont été relevées avec des taurillons zébus de 200 kg recevant des amarres à volonté et 1 kg de farine de riz, 3,5 kg de mélasse et 115 g d urée (Salais et al., 1977). Les amarres peuvent être conservées sous forme d ensilage. Le chantier est conduit selon le même principe qu un ensilage classique. Les amarres sont hachées, aspergés de mélasse diluée dans de l eau à raison de 1 à 5 litres pour 100 kg d amarres. L ensemble est tassé dans un silo à l abri de l air. Tableau 3 : Quelques exemples de rations Espèce Croissance Référence Rations Canne broyée fraîche (25 kg), Concentré commercial 15% (1,2 kg), 120 g urée Bovin g Youssef 1977 kg Canne broyée fraîche (25 kg), Concentré commercial 20% (1,3 kg), 120 g urée Bovin g kg Canne broyée fraîche (1,7 kg), Concentré commercial 16% (0,5 kg), 5 g urée Canne broyée fraîche (1,7 kg), Farine de riz(0,15 kg), Soja ( 0,25 kg ), 5 g urée Canne broyée fraîche (1,7 kg), Farine de riz(0,30 kg), Luzerne ( 0,35 kg ), 5 g urée Canne broyée fraîche (1,7 kg), Pois ( 0,15 kg ), 5 g urée Canne broyée fraîche (2,5 kg), banane verte (0,5 kg), soja (0,05kg), 10 g urée Canne broyée fraîche (2,5 kg), banane verte (0,5 kg), soja (0,15kg), 10 g urée Canne broyée fraîche (2,5 kg), banane verte (0,5 kg), soja (0,25kg), 10 g urée Canne broyée fraîche (2,5 kg), banane verte (0,5 kg), soja (0,35kg), 10 g urée Ovins 17,5kg Ovins 17,5kg 180 g Archimede et al, g 150 g 140 g 80 g Archimede et al, g 174 g 176 g Canne broyée fraîche (11 kg), maïs (1,4 kg), soja ( 1,1kg), Bovin 250 kg Canne broyée fraîche (15 kg), maïs (1,4 kg), soja (1,1 kg), Canne broyée fraîche (18 kg), maïs (1,4 kg), soja (1,1 kg), Canne broyée fraîche (22 kg), maïs (1,4 kg), soja (1,1 kg), Canne broyée fraîche (30 kg), Farine de riz(0 kg), Soja ( 0,25 kg ), 150 g urée Bovin 250 kg Canne broyée fraîche (30 kg), Farine de riz(0,3 kg), Soja ( 0,25 kg ), 150 g urée Canne broyée fraîche (30 kg), Farine de riz(0,6 kg), Soja ( 0,25 kg ), 150 g urée Canne broyée fraîche (30 kg), Farine de riz(0,9 kg), Soja ( 0,25 kg ), 150 g urée Canne broyée fraîche (30 kg), Farine de riz(1,2 kg), Soja ( 0,25 kg ), 150 g urée 550 g Geoffroy, g 800 g 900 g 200 g Preston, g 700 g 775 g 800 g Bagasse (0,6 kg), banane (3,4 kg), maïs (50 kg), Soja ( 0,120 kg ), 0 g urée Caprins 125g Geoffroy, 1980 Bagasse (0,6 kg), banane (3,7 kg), maïs (65 kg), Soja ( 0,090 kg ), 6 g urée 140 g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (5 kg), Urée (130 g) Bovin 200kg 234g Nyereles, 1982 Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (5 kg), Son de blé (0,950 kg ), Urée (130 g ) 643g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (5 kg), Urée (130 g ), Feuille patate ( 12 kg ) 774g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (6,5 kg), Son de blé (1,0 kg), Urée (130 g ), Feuille patate 1034 g ( 12 kg ) Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (3,5 kg) 55 g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (3,5 kg), Son de blé (1kg) 368 g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (4,5 kg), Feuille patate ( 10 kg ) 557 g Bagasse traité a l urée (30 kg), Mélasse (4,5 kg), Son de blé (1kg ) Feuille patate (12kg ) 855 g Innovations Agronomiques 16 (2011),

166 H. Archimède et al La bagasse La bagasse est le résidu fibreux obtenu après extraction du jus de la tige de canne. Le rendement en bagasse est d environ 300 kg de MS par tonne de cannes broyées. La bagasse est la fraction la plus «pauvre» des sous-produits de la canne. Sa composition chimique moyenne est indiquée dans le Tableau 1. Les résultats de certains essais bibliographiques indiquent que les animaux utilisent plus d énergie à digérer la bagasse brute qu ils n en extraient (Kirk et al, 1962, cité par Sansoucy et al, 1988). La valeur alimentaire de la bagasse peut être améliorée par différents traitements plus ou moins complexe. Le traitement le plus simple est une hydrolyse (pré digestion) naturelle par des champignons. Cela permet d améliorer l utilisation digestive du produit par l animal donc sa valeur énergétique, mais la valeur azotée reste faible. Pour réaliser ce traitement, il suffit de laisser le tas de bagasse se «décomposer» à l air libre pendant 6 à 12 mois. La bagasse peut aussi être traitée à l ammoniac (urée). Ce traitement consiste à dissoudre l urée dans de l eau et à asperger la bagasse avec la solution. La bagasse ainsi traitée est conservée sous film plastique. Les conditions optimales du traitement (Hassoun, 1987) sont 9 % d urée, 60 % d humidité et 6 semaines de traitement. La digestibilité de la bagasse, et donc la valeur énergétique augmentent alors de 20 % tandis que la teneur en azote augmente de 40 %. Le traitement à l ammoniac est un procédé peu coûteux et utilisable à l échelle de l exploitation agricole. Le traitement le plus efficace de la bagasse est l hydrolyse (pré digestion) sous pression de vapeur (13 kg/cm², 200 C). Contrairement au traitement précédent, c est une technologie industrielle réalisée en usine, dans les pays (Brésil) qui l utilisent. Elle permet d augmenter de façon importante la digestibilité de la bagasse qui passe de 30% à près de 70 %. Dans les conditions d une exploitation agricole, l utilisation de la bagasse doit s accompagner de compléments riches en azote, énergie et vitamines, très digestibles pour obtenir de bonnes performances. Le coût de la ration peut donc s avérer élevé. Sur certaines exploitations disposant de ressources telles que les écarts de triage de banane et de patate, du manioc, des rations peu onéreuses peuvent être formulées. C est aussi le cas quand l exploitant dispose de la mélasse à bas prix. En dehors de ces configurations, les rations à base de bagasse ne peuvent être que des rations d urgence (sécheresse) permettant de limiter la perte de poids chez les animaux d élevage. Sur l exploitation agricole, l utilisation de la bagasse comme litière (puis fumure organique) ou source d énergie semble la solution la plus intéressante économiquement. La bagasse traitée à l urée est souvent utilisée avec de la mélasse. Naidoo et al. (1977) rapportent des gains de poids de 168 g par jour chez des bovins zébus ingérant une ration composée de 89 % de bagasse hydrolysée, 6 % de mélasse, 2 % d urée et 3 % de minéraux. Le tableau 3 présente deux rations à base de bagasse et banane La mélasse La mélasse est le sucre non cristallisé obtenu après la cuisson du jus de canne lors de la fabrication du sucre dans les usines. La mélasse contient environ 25 % d eau. C est un aliment hautement énergétique contenant du saccharose non cristallisé (30 % de la matière sèche), des sucres réducteurs (25 % de la matière sèche) et d autres substances glucidiques. La mélasse est particulièrement pauvre en azote : 25 g de N par kilo de mélasse brut (INRA, 1988). La teneur en fibres de la mélasse étant négligeable, sa consommation par les ruminants doit obligatoirement s accompagner de celle d un fourrage grossier. De très nombreux travaux (Preston, 1995) ont été conduits sur la valorisation de la mélasse par les ruminants. Les rations à base de mélasse permettent d atteindre des croissances supérieures à 1000 g/j pour les bovins taurins. Le tableau 3 présente des rations à base de mélasse. 172 Innovations Agronomiques 16 (2011),

167 La canne à sucre en alimentation animale 3. La canne à sucre et ses coproduits dans l alimentation porcs Les rations de porc devraient contenir moins de 15% de fibres. Le porc utilise efficacement les aliments riches en sucre et amidon. Le porc ne valorise que les sources azotées de très bonne qualité, c est-àdire sous forme de protéine avec un bon équilibre entre les acides aminés. Le jus de canne et la mélasse sont les fractions les plus intéressantes pour l alimentation du porc mais la canne entière broyée peut être utilisée. La forte teneur de la canne broyée en fibres limite fortement les performances animales. Quel que soit le produit de la canne utilisée, il requiert une importante complémentation en protéines équilibrées (150 à 200 g de protéines de soja/jour pour le porc en croissance), en minéraux et vitamines. Le tableau 4 récapitule les besoins des porcs en fonction de leur stade physiologique. Tableau 4. Besoins du porc Créole Energie Besoins, MJ EM/kg/j Mélasse Equivalence en kg 4 Jus de canne Canne Protéine Lysine digestible, g/j Equivalence en kg T soja 50 broyée Truie gestante Truie allaitante Porcelet sevrage kg 3 Porc Croissance kg 3 Post Calculée par l approche factorielle des besoins avec un objectifs de 9 porcelets à la mise bas, une épaisseur de lard de 25 mm à la mise bas et un gain de poids en gestation de 40 kg (INRA porc). 2 Calculée par l approche factorielle à partir des résultats des performances moyennes en lactation des truies Créoles obtenues à l URZ (Gourdine et al., 2006 ; poids moyen de la truie = 180, GMQ de la portée = 1500 g/j et taille de la portée = 8.5 porcelets/portée). Equations disponibles dans INRA porc. 3 calculée par l approche factorielle, en considérant que la composition du gain de poids entre 8-60 kg est la même qu entre 30 et 60 kg (Renaudeau et al., 2006). Potentiel de croissance retenu pour le calcul, 400 g/j entre 8 et 20 kg et 750 g/j entre 30 et 60 kg. 4 Quantité théorique optimale pour répondre au besoin énergétique maximale. Ne tient pas compte d éventuelles limitation du taux d incorporation pour éviter les problèmes sanitaire (ex : mélasse). Dans le cas de la mélasse, il est préconiser de limiter à 40% le taux d incorporation dans la ration ; le complément peut être apporté par un produit riche en amidon (ex : bananes ou racines). Ce calcul ne tient également pas compte de l énergie apportée par le complément protéique ; ex dans le cas du porc en croissance, l apport de 380 g/j de tourteau de soja diminue la quantité de jus à distribuée à 6.0 kg au lieu de 7.6 kg/j. 5 Tourteau de soja 50 contenant 26.5 g de lysine digestible/kg L intérêt économique de l utilisation de la canne pour les porcs est présenté par Gourdine et al. (2011) Le Jus de canne Le jus de canne se caractérise par une faible concentration en matière sèche (en moyenne 20%), une forte teneur en sucres solubles (75 à 92% de la matière sèche) et d une faible teneur en protéines. Parmi les sucres solubles, le saccharose (ou sucrose) est le principal constituant (70 à 88% des Innovations Agronomiques 16 (2011),

168 H. Archimède et al. sucres), suivi du glucose et du fructose représentant chacun 2 à 4% des sucres totaux. La teneur en sucre est fortement liée à la richesse de la canne (estimée par le brix) fortement variable en fonction de la saison. Elle est plus élevée pendant la saison sèche que pendant la saison des pluies. Le jus de canne est une excellente source d énergie qui peut remplacer l amidon des céréales que l on rencontre classiquement dans les rations des porcs. Dans la littérature, il est indiqué des croissances journalières variant entre 450 et 750 g/j quand les porcs sont alimentés avec une ration constituée majoritairement de jus de canne. Les variations de croissance sont liées à la quantité et à la richesse du jus distribué, aux quantités et la nature de la complémentation en protéines, au type d animaux utilisés (stade physiologique et race). En station d expérimentation entre 30 et 65 kg, un porc Créole consommant 7 litres de jus de canne par jour, 400 g de tourteau de soja et un complément minéral et vitaminique peut atteindre une croissance de 700 g /j (Xandé 2009). La principale difficulté liée à l utilisation du jus peut être sa conservation. Il faut extraire le jus quotidiennement. Le jus peut être conservé à 4 C, sans conservateur, jusqu à 4 jours sans problèmes pour le porc. Il est aussi possible d utiliser des substances pour stopper les fermentations (ex: acide malique). Pour une conservation sur une longue durée, une solution consiste à faire évaporer partiellement ou totalement l eau de la canne et fabriquer du sirop ou pain de sucre (panela). Cette solution dépend de l autonomie de l exploitation agricole en énergie. La complémentation protéique conditionne le niveau de performance comme l illustre la figure 5. Croissance, (g / j ) Quantités de protéines (g /jour) Figure 4 : Effet de l apport de protéines (g/j) sur la croissance de porcs consommant une ration énergétique à base de manioc (- - - ) ou de jus de canne (- - -). Le tourteau de soja est la matière la plus appropriée du fait de sa richesse en azote et de composition en acides aminés qui est en bonne adéquation avec le besoin du porc. L apport de protéines est à raisonner en fonction des besoins des animaux et du stade physiologique. Une autre approche consiste à raisonner l apport de protéines pour valoriser au mieux la ressource énergétique présente sur l exploitation sans pour autant viser à maximiser les performances des animaux. C est souvent la démarche privilégiée avec l utilisation d aliments non conventionnels tels que le jus de canne. Afin d augmenter l autonomie alimentaire des exploitations agricoles, il est possible de remplacer au jusqu à 30% des protéines du soja par des feuillages (manioc, patate, stylosanthes ) sans que cela pénalise les performances de croissance du porc. Les tableaux 5a et 5b illustrent des rations à base de jus de canne pour le porc engrais. 174 Innovations Agronomiques 16 (2011),

169 La canne à sucre en alimentation animale Tableau 5a : Rations à base de jus de canne pour les porcs à l engraissement Porc Créole (1) Large White (2) Poids Semaine Jus (kg) Soja (g) semaine Jus (kg) Soja (g) (1) Xande 2008 ; (2) Perez, 1997 Tourteau de soja Jus de canne Truie en stabulation Truie Gestante Truie allaitante Porcelet sous la mère 0.05 Porcelet de 30 à 60j 0.45 Porcelet de 60 à 90 jours Porc en croissance Tableau 5b : Rations à base de jus de canne pour les truies 3.2. La Mélasse Il y a plusieurs «catégories» de mélasse pouvant être classées de mélasse riche ou «high-test» à la mélasse finale relativement plus pauvre. Ces types de mélasse sont liés au procès de fabrication. Elles diffèrent par leur composition chimique en relation avec l extraction progressive du sucre. La mélasse disponible en Guadeloupe et Martinique est la moins riche en sucre (Tableau 6). La caractéristique commune aux mélasses est leur richesse en sucre et leur pauvreté en protéines. Par ailleurs, le procédé technologique de transformation augmente la concentration en impuretés industrielles (matières organiques non digestibles) et en minéraux. La teneur en énergie brute (EB) et la digestibilité de l énergie des mélasses sont faibles par rapport aux céréales. La relative faiblesse en EB s explique en grande partie par l importance de sa fraction minérale qui dilue la matière organique, et aussi par le fait que la teneur en énergie brute du saccharose, du fructose et du glucose est plus faible que celle de l amidon. L utilisation métabolique des nutriments issus de la mélasse se fait avec la même efficacité que pour ceux issus de l amidon. La mélasse aurait un effet dépressif sur l utilisation des protéines du fait d un accroissement des pertes en azote fécal d origine endogène. La mélasse demeure cependant une source d énergie très disponible et moins coûteuse que les céréales. La consistance visqueuse de la mélasse pose des problèmes de texture et d homogénéité de la ration complète. De forts taux d incorporation de mélasse dans les rations entraînent des désordres digestifs Innovations Agronomiques 16 (2011),

170 H. Archimède et al. se traduisant par des diarrhées. Cet effet a été attribué à la teneur élevée de la mélasse en minéraux, en particulier en potassium ainsi qu à l importante fraction organique non identifiée. L étude de la bibliographie indique qu en moyenne, pour des niveaux d incorporation de mélasse allant de 55 à 83%, la vitesse de croissance varie entre 414 à 742 g/j. Christon et Le Dividich (1978) ont fixé à 30 % la limite du taux d incorporation de mélasse (produite en Guadeloupe) dans la ration du porc en croissance. Audelà de cette limite, les auteurs rapportent une baisse des performances de croissance. La mélasse ne peut pas représenter plus de 20% de la ration pour le porcelet contre 30% pour la truie en gestation. Les performances des porcs dépendront de la complémentation utilisée. Le jus de canne donne de meilleures performances que la mélasse. Tableau 6 : Composition chimique de la mélasse (Christon et Le Dividich, 1978). Composition (%) Valeur moyenne Valeurs extrêmes (min-max) Matière sèche (MS) Matières minérales Matières grasses Protéines (N 6.25) Extractif non azoté Sucres solubles Sucres réducteurs Glucose Fructose Energie brute (MJ/kg de MS) La canne broyée L utilisation de la tige de la canne à sucre broyée ou entière, pour l engraissement des porcs n est pas fréquente. Cette utilisation peut paraître aberrante compte tenu de la richesse du produit en fibre et la faible capacité du porc à digérer les fibres. Toutefois, il existe un écart important entre l aliment offert au porc et l aliment réellement consommé. Cet écart varie selon le stade physiologique, le cultivar de la canne et les modalités utilisées pour broyer mécaniquement la canne. Le porc extrait le sucre de la canne broyée et recrache une grande partie des fibres ingérées. En conséquence, la quantité d énergie ingérée par le porc dépend de sa capacité à extraire le sucre de la canne. Des taux d extraction supérieurs à 50% ont été relevés chez le porc créole consommant de la canne en quantité limitée. Certaines études indiquent que le taux d extraction moyen du sucre dans la canne broyée est de 67% pour des porcs entre 35 et 55 kg de poids vif (Bravo et al., 1996). Cette valeur est supérieure à celle des extracteurs de jus classiquement utilisés de façon artisanale. Le taux d extraction varie avec la taille des morceaux de canne distribuée aux porcs. Ainsi, la quantité journalière de sucre ingérée diminue de 410 à 283 g/j lorsque la taille des morceaux de canne augmentait de 3 à 40 cm (Mederos et al., 2004). Il faut cependant éviter un broyage trop fin qui entraîne une ingestion importante de particules fibreuses qui gênent l extraction du jus par le porc (Mederos et al., 2004 ; Xandé et al., 2008). L extraction du sucre augmente quand les quantités de canne offertes sont plus faibles mais la quantité totale de sucre extraite quotidiennement peut être pénalisée (Bravo et al., 1996). Les pratiques de distribution de canne, quelquefois entière, existent chez les petits exploitants agricoles qui détiennent des porcs. En Haiti, des croissances journalières de 325 g /jour ont été enregistrées sur des porcs (20 à 80 kg) alimentés avec de la canne broyée (Bien-Aimé et François, 1990). En Guadeloupe, des porcs créoles ont eu une croissance journalière de 200 g / jour en consommant 400 g de tourteau de soja et 7 kg de canne broyée. 176 Innovations Agronomiques 16 (2011),

171 La canne à sucre en alimentation animale Recommandations Contrairement au Jus, la canne broyée ne peut être la seule source énergétique des rations de porc si l objectif est la recherche de performances élevées. L un des facteurs limitants liés à l utilisation de la canne broyée est la faible ingestion de sucre et l importance des dépenses énergétiques liées à son extraction. Cette faible ingestion entraîne une restriction énergétique qui peut être intéressante pour les truies en gestation qui ont besoin d être rationnées à ce stade de leur cycle. Chez le porc en croissance, des performances de croissance de 600 à 700 g /jour sont possibles en associant la canne broyée à une autre source d énergie qu il faut distribuer sans le mélanger à la canne. Cela peut être un aliment industriel porc titrant 20 % de MAT (1 kg) ou un sous-produit tel la farine de riz ou le son de blé (1.5 kg). Le complément non industriel pourrait aussi être du manioc doux (manioc amère séché), fruit à pain, banane, patate à raison de 1 kg en sec ce qui équivaut environ à 4 kg en vert. Le complément protéique (400 g de soja) ne peut pas être remplacé par un feuillage compte tenu de l encombrement de la ration sauf si les feuilles sont séchées et transformées en farine. Le tableau 7 présente des rations à base de canne broyée. Tableau 7 : Ration à base de canne broyée pour un objectif de croissance de 500 g/j pour le porc Créole. Poids Canne broyée Concentré commercial 20% Azote (2) Quantité Frais Equivalent Sucre extrait (1) Quantité Frais Protéine ingérée Refus (bagasse) (3) kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg kg kg 1.0 kg kg kg (1) base calcul : taux d extraction du sucre 50% et le sucre représente 9 % de la canne fraîche. Cependant ce taux d extraction peut être inférieur chez les jeunes animaux et / ou quand les quantités offertes augmentent. (2) L aliment industriel doit être distribué avant la canne. (3) la bagasse représente 50% de l offert Conclusions La valorisation de la canne à sucre est optimale quand plusieurs espèces animales sont présentes sur l exploitation agricole. Le fractionnement de la canne permet l utilisation de chaque fraction pour l usage le mieux indiqué (aliment, fertilisant, litière, énergie). Ainsi, les têtes de canne (amarres) associées à la partie immature des tiges doivent être valorisées par les ruminants. Le jus de canne est bien valorisé par les porcs et secondairement certaines volailles (canard). L utilisation la plus indiquée pour la bagasse est la production de litière ou d énergie. Secondairement, la bagasse peut être utilisée pour l alimentation des ruminants, en cas de pénurie (sécheresse exceptionnelle, par exemple). Il faut limiter le prélèvement la paille au champ, et recycler au maximum les fumiers issus de l élevage afin de maintenir la fertilité du sol. Innovations Agronomiques 16 (2011),

172 H. Archimède et al. La canne à sucre peut être la base de l alimentation d animaux d élevage. Elle permet potentiellement d accroître l autonomie des exploitations agricoles. L essentiel des travaux a été développé sur la connaissance des ressources végétales et celle des réponses animales liées à leurs utilisations. Les travaux futurs devraient porter sur l exploitation agricole elle-même pour augmenter son autonomie. Ainsi, l introduction de légumineuses (herbacées, à graines) sur les exploitations agricoles permettrait de limiter la dépendance des éleveurs vis-à-vis du soja tout en améliorant le bilan agronomique des sols. Des pratiques d association canne à sucre - légumineuses existent à l échelle de petites exploitations. Les légumineuses sont plantées dans l inter rangs après la récolte de la canne. De nouvelles expérimentations sont utiles pour explorer l intérêt de ces pratiques à plus grande échelle. Références bibliographiques Aumont G., Salas M., Effect of stage of maturity, cultivar and nitrate fertilisation and soil type on mineral content of sugar cane. Journal of Agriculture University Porto Rico 80(1-2), Bien-aimé A., François R., La canne hachée comme source principale d énergie pour la croissance des porcs. 1. Comparaison avec le maïs et le jus de canne. Taller de trabajo sobre la utilizacion de la caña de azucar y sus subproductos en la alimentacion de los animales. Gosier, Guadeloupe Bravo M., Lasso M., Esnaola M A., Preston TR Preliminary studies on the use of chopped sugar sugarcane stalks as the basal diet for fattening pigs. Livestock Research for Rural Development, 8. Christon R., Le Dividich J.,1978. Utilisation de la mélasse de canne à sucre dans l alimentation du porc: essai d interprétation des acquisitions récentes. Ann. Zootech. 27, Gendley M.; Singh P.; Garg,A., Performance of crossbred cattle fed chopped green sugarcane tops and supplemented with wheat bran or lentil chuni concentrates. Asian-Australian Journal of Animimal. Sciience 15 (10), Geoffroy F., 1980: Valeur alimentaire et utilisation de la banane par les ruminants en milieu tropical. PhD Dissertation, Chaude Bernard University, Lyon, France. Geoffroy F., Utilisation de la banane par les ruminants. Revue de Elevage et Medecine Véterinaire des Pays Tropicaux 38, Gomez P.L., Feeding of sweet potatoes to monogastrics. FAO. Animal Production and Health Paper. 95, Gourdine J.L., Reneaudeau D., Xandé X., Regnier C., Anaïs C., Alexandre G., Archimède H., Système de production valorisant des ressources locales en production porcine en milieu tropical. Innovations Agronomiques 16, xx-xx Hassoun P., Geoffroy F., Saminadin G., Calif B., Etude de 4 paramètres agissant sur l efficacité du traitement de la bagasse à l urée. In Pâturage et alimentation des ruminants en zone tropicale humide INRA, Paris Mederos CM., Figueroa V., Garcia A., Aleman E., Martinez R.M., Ly J., Growth Performance of Pigs Fed Hand-Chopped Sugarcane Stalks. Livestock Research for Rural Development 16. Myereles L., Preston TR., 1982a. Chicken Litter for Cattle Feeding, the Effects of Different Supplements. Tropical Animal Production 7, Myereles L., Preston TR., 1982b. The role of Poultry Litter in Molasses/Urea diets for the fattening of cattle. Tropical Animal Production 7, Naidoo G., Delatiere C., Preston TR., Effect of maize and fish meal supplements on the performance of steers fed steam-cooked bagasse and urea. Tropical Animal Production 2, Pate FM., Fresh chopped sugarcane in growing Steer Diets. Journal of Animal Science 53, Perez R., Feeding pigs in the tropics..fao Animal Production and Health Paper Innovations Agronomiques 16 (2011),

173 La canne à sucre en alimentation animale Preston T.R., Nutritive value of sugar cane for ruminants. Tropical Animal Production 2, Preston, TR., Leng R.A.,1978. Sugarcane as cattle feed, Part 1. Nutritional constraints and perspectives. Wld. Anim. Rev., 27, Preston T.R., Feed resource for non-ruminant. FAO Animal Production and Health Paper. 126, Ravindran V., Cassava leaves as animal fed: Potential and limitations. Journal Science Food Agriculture 61, Sansoucy R., Aarts G., Preston T.R., Sugar cane as feed. FAO Animal Production and Health Paper. 72 Salais F.J., Sutherland T.M., Wilson A.,1977.Effect on animal performance of different sources of forage in diets based on molasses and urea Tropical Animal Production 2: Salas M., Aumont G., Biesy G., Magnie E., Effect of variety, stage of maturity and nitrate fertilisation on nutritive values of sugar cane. Animal Feed Science and Technology 39, Xande X., Valorisation d aliments non conventionnels par les races locales dans un contexte de système d élevage alternatif de type polyculture-élevage. Exemple de la canne à sucre valorisée par le porc créole de Guadeloupe. PhD Thesis, University Antilles Guyane. Youssef F.G., The Utilization of Whole Sugarcane by Beef Cattle and Sheep. World Review Animal Production 23, Innovations Agronomiques 16 (2011),

174 Innovations Agronomiques 16 (2011), Le bananier et ses produits dans l alimentation animale Archimède H. 1, Gourdine J.-L. 1, Fanchone A. 1, Alexandre G. 1, Marie Magdeleine C. 1, Calif E. 1, Fleury J. 2, Anais C. 2, Renaudeau D. 1 1 : INRA, Unité de Recherches Zootechniques, UR143, Petit-Bourg, Guadeloupe 2 : INRA, Plateforme Tropicale d Expérimentation Animale, UE2294, Petit-Bourg, Guadeloupe Correspondance : Harry.Archimede@antilles.inra.fr Résumé : Les feuilles et faux tronc (stipe) du bananier, les fruits non commercialisés (écarts de triage) peuvent être valorisés par les animaux d élevage. Les ruminants peuvent utiliser tous les produits du bananier alors que les monogastriques n utilisent efficacement que les écarts de triage. Quelque soit l espèce animale, les fruits ont une valeur énergétique proche de celle des céréales. Les écarts de triage, ainsi que les stipes, sont par contre carencés en protéines. Les feuilles consommées par les ruminants ont la même valeur alimentaire d une herbe de qualité moyenne. L optimisation de la valorisation des produits du bananier passe par l évolution des bananeraies, aujourd hui en monoculture, en unités de production de type polyculture élevage. Des travaux sont encore nécessaires pour développer ces nouveaux systèmes de production. Mots-clés : bananes, feuilles, stipes, ruminants, monogastriques Abstract: Banana plant and byproducts as animals feeds The leaves, pseudostems of banana and non-marketed fruits can be valued by the livestock. Ruminants can use all the products of banana plant while monogastrics use efficiently only the fruits. Whatever the animal species, the fruits have an energy value similar to cereals. The fruits and the speudostems are deficient in protein. Leaves eaten by ruminants have the same nutritional value as a medium-quality grass. Optimizing value of banana products needs a change in banana plantations, from a monoculture to mixed farming systems. Work is still needed to develop these new production systems. Keywords: Bananas, leaves, pseudostems, ruminants, monogastrics Introduction La banane d exportation couvrait en 2009, 2100 ha en Guadeloupe et 5700 hectares en Martinique respectivement. La production de fruits était de et tonnes pour la Guadeloupe et Martinique. La fonction première d une bananeraie est de produire des fruits pour l exportation. Depuis quelques années, des jachères assainissantes ont été introduites dans les bananeraies afin de couper le cycle des nématodes du sol responsables de lourdes pertes en fruits (Sarah et al., 1983). Ces jachères sont quelquefois plantées en canne à sucre mais peuvent aussi accueillir des prairies naturelles ou plantées, pâturées principalement par des bovins. En Guadeloupe, des ateliers d élevage, principalement de porcs, se sont développés à l extérieur des bananeraies. Ils valorisent la fraction non commercialisée (écarts de triage, 15 à 20% de la production) de la banane produite. En Martinique, des élevages de ruminants et de porcs se partagent les écarts de triages.

175 H. Archimède et al. Hormis les écarts de triage, les faux troncs (stipe) et feuilles de bananier sont aussi des aliments potentiels pour les herbivores (Geoffroy, 1980). Ils sont déjà utilisés de façon épisodique chez les petits producteurs. De plus, les feuilles et les stipes sont des alicaments dont l activité anthelminthique a été testée (Marie-Magdeleine et al., 2011). Les pelures de banane sont aussi des aliments potentiels à destination principalement des herbivores et secondairement des porcs (Tartrakoon et al., 1999 ; Lapenga et al., 2009). L utilisation des produits du bananier dans l alimentation animale doit intégrer la contrainte des produits phytosanitaires utilisés en bananeraie. Ainsi, compte tenu de la pollution des terres par la chloredécone, la base de certaines herbes des jachères peut être contaminée. Il en est de même pour la base des stipes alors que les fruits et les feuilles seraient indemnes de chloredécone. L objectif principal de cet article est de faire le point sur les modalités pratiques d utilisation des produits du bananier dans l alimentation animale. De fortes différentes existent dans la composition chimique des bananiers, notamment entre les variétés dessert (Cavendish) et légumes (Plantains). Cette étude porte sur les variétés Cavendish. Les produits du bananier : disponibilité et composition chimique Disponibilité des produits La production totale moyenne d un hectare de banane est d environ 188 tonnes de matière verte ce qui correspond à 27 tonnes de produit sec. Cette biomasse se décompose comme indiquée dans le Tableau 1. Les pelures de banane, bien que faiblement disponibles en Guadeloupe et Martinique du fait de l absence d industries agroalimentaires, sont aussi des ressources de bonne valeur alimentaire pour les ruminants. Dans l organisation actuelle de la chaîne de récolte de la banane, le temps de travail pour accéder aux ressources est une contrainte forte. La disponibilité de feuilles et de stipes est comparable à celle d une prairie. Aujourd hui, les feuilles et les stipes restent sur les parcelles comme fumure organique. Cependant, un ouvrier agricole peut sortir d une parcelle de bananeraie en plaine, en moyenne 12 à 15 bananiers (feuilles + stipe) par heure, soit environ 160 kg de matière sèche. Cela correspond à la ration fourragère quotidienne d une dizaine de taurillons à l engraissement entre 150 et 450 kg. A la sortie de la chaîne, il faut environ 80 minutes à un homme pour charger manuellement 1 tonne d écarts de triage. Dans l hypothèse d une introduction d ateliers d élevage hors sol sur les bananeraies, le fumier produit pourrait être valorisé à l intérieur de la parcelle suivant un itinéraire qui reste à déterminer. Dans les bananeraies contaminées par la chlordécone, il conviendrait de s assurer que les stipes ne soient pas contaminés. Des travaux préliminaires indiquent que dans certains cas les stipes seraient contaminés alors que les feuilles pourraient être indemnes. Tableau 1. Estimation des quantités de biomasse disponible par hectare de bananeraie Biomasse Fruits Ecarts de Feuille Stipe Feuilles Hampe Totale Total Triage Verte Vert (kg) Sec (kg) Innovations Agronomiques 16 (2011),

176 Le bananier en alimentation animale Contribution des principaux «organes» du bananier à sa biomasse totale Feuilles : 21% de la Matière fraîche; 29% du poids sec Fruit : 24% de la Matière fraîche; 32% du poids sec Hampe : 2% de la Matière fraîche 1,3% du poids sec Stipe (faux tronc) : 50% de la Matière fraîche; 25% du poids sec Composition chimique des produits La banane fruit La composition chimique de la banane fruit (Tableau 2 a et b) varie avec son stade de récolte (maturité) appréciée en somme de degrés.jours 1. Les régimes de banane destinés à l exportation sont généralement récoltés à 900 C.j. La banane fraîche a une teneur élevée en eau qui limite la densité énergétique de la ration de certains animaux d élevage (porc, volaille, etc..). Elle est pauvre en matières minérales (4 à 10%) de la Matière Sèche (MS) dont le potassium représente le principal élément (70 à 80 % des cendres totales). La banane a une faible teneur en azote comparativement aux céréales. De plus, une fraction importante de cet azote (25 à 30%) est sous forme soluble non valorisable par les monogastriques. Cela entraînera une plus forte complémentation en protéines lors de la formulation des rations des ruminants et monogastriques.. Les stades de récolte variant 750 à 1050 C.j ont peu d effet sur la composition chimique et la valeur énergétique des différentes fractions d un régime de banane et du fruit en particulier (Renaudeau et Marie-Magdeleine, 2010). En conséquence, ces évolutions ont peu d effet sur la valeur énergétique sur la valeur énergétique du fruit. A l intérieur de cette fourchette (750 à 1050 C.j), la banane est encore verte et riche en amidon. La composition chimique de la banane mûre est par contre différente de celle de la banane verte. L amidon initialement présent dans le fruit vert se transforme progressivement en sucre. Les tanins présents dans la peau du fruit disparaissent. La pulpe quant à elle, a une valeur énergétique proche de celle du maïs. 1 Degrés jours : sommes des écarts de la température ambiante avec une température de base ou température zéro de croissance. Pour le bananier la somme de degrés jours est calculée à partir de l apparition du fruit et la température de base est 14 C. Innovations Agronomiques 16 (2011),

177 H. Archimède et al. Tableau 2 a. Evolution de la composition de différentes fractions du régime de banane Constituants chimiques MS MO MAT Amidon Sucre NDF ADF Fraction Fruit entier vert ,7-96 5,0-5,3 67,7-71,0 1,4-2,2 11,0-11,8 7,7 mûr 19,5 95,5 5,0 5,5 70,0 10,2 8,0 Pulpe verte 30,3 91,7-96,5 3,2-3,5 74,8-77,7 4,4-8,7 15,6-16,2 mure 22,5 97,0 4,0 12 Peau verte 82,0 6,6 mure 8,8 Hampe 71,3-74,2 7,6-9,9 1,1-2,1 2,5-4,5 55,4-58,7 Feuilles , Stipe , Tableau 2 b. Composition minérale de la banane en pourcentage (Geoffroy, 1985) Fruit entier Peau Pulpe Calcium 0,05 0,21 0,14 0,02 0,04 Phosphore 0,03 0,17 0,13-0,17 0,08 0,13 Potassium 2,0-4,0 5,0-8,3 1,0 2,5 Sodium 0,07 0,26 0,15 Les feuilles et stipes du bananier Le bananier est une grande herbe. Les compositions chimiques des feuilles et stipes de bananier sont indiquées dans le Tableau 2. Contrairement aux feuilles qui ont des teneurs en matière sèche comparables à celles d une herbe verte, les stipes sont très riches en eau qui limite leur ingestion. Les concentrations en matières azotées totales des feuilles sont proches à celles d une graminée fourragère de 35 jours. Celles des stipes sont faibles et se rapprochent d une paille. La fraction soluble de l azote rapportée à l azote total est d environ 10% dans les feuilles contre 25% pour les stipes. Les teneurs de feuilles et stipes en fibres totaux (NDF) sont assez similaires de celles d une herbe de 35 jours. Les feuilles ont aussi des teneurs en lignocellulose (ADF) proches de celles d une herbe alors que les stipes sont sensiblement moins riches. Les feuilles et stipes contiennent des métabolites secondaires (tanins, saponines) qui ont des conséquences sur la nutrition et la santé des animaux. L ingestion de feuilles et stipes par les petits ruminants permet de réduire l impact du parasitisme gastro-intestinal. Les variétés plantain se caractérisent par des teneurs en fibres (NDF, 44% de la MS) plus faibles que les Cavendish. 184 Innovations Agronomiques 16 (2011),

178 Le bananier en alimentation animale Modalités de conservation Les bananes commencent à mûrir de façon importante une semaine après leur récolte quand elles sont conservées à la température ambiante. L ensilage et le séchage constituent les deux principales méthodes de conservation de la banane pour faire face à des aléas d approvisionnement, pour équilibrer les disponibilités et les besoins. 1. L ensilage L ensilage une méthode de conservation à l abri de l air et en milieu acide. Les fruits doivent être broyés grossièrement. L ensilage entraîne une augmentation de la teneur en matière sèche de la banane verte et mûre. Les concentrations en amidon et en sucre évoluent très fortement. La totalité des sucres disparaissent quand la banane verte est ensilée, les sucres étant consommé dans les fermentations lactiques à la base de l acidification de l ensilage. L ensilage de bananes mûres se réalise directement avec le fruit entier. L ensilage entraîne des pertes moyennes de matière sèche d environ 13,5 et 33,9% pour la banane verte et mûre respectivement. L ensilage de bananes mûres est donc déconseillé. 75% des sucres du fruit mûr disparaissent avec l ensilage (Tableau 3). Les teneurs en minéraux et en matières azotées sont plus faibles dans l ensilage de banane verte comparativement au produit frais. Elles sont en revanche plus fortes dans le cas de la banane mûre du fait d une augmentation du rapport Peau/Pulpe dans le produit ensilé. L augmentation de ce ratio, donc des fibres (NDF, ADF) entraîne une réduction de la valeur énergétique de l aliment pour les monogastriques en particulier. Tableau 3. Effet de l ensilage sur la composition de la banane (Chenost, 1976) Banane verte Banane mûre Fraîche Ensilage Fraîche Ensilage Matière sèche 21,6 29,0 19,5 23,5 Matière Organique 94,7 96,2 95,0 94,3 Matières azotées 5,8 5,1 5,7 8,0 NDF 10,6 14,6 10,2 17,7 ADF 7,2 8,4 8,0 13,2 Amidon 65,8 70,9 4,5 6,4 Sucre 10,1 0 71,6 17,3 L ensilage de banane est utilisable pour l alimentation animale un mois après sa réalisation. Il peut cependant se conserver sur plusieurs mois si c est nécessaire. Au moment du désilage, il faut procéder par tranches successives afin d avoir une section toujours nette et limitée. Ensilage mode opératoire Faire un silo - tranchée ou un silo couloir (parpaing, bois ). Le silo doit être long avec une largeur la plus faible possible pour limiter les contacts avec l air au moment de l ouverture du silo. Prévoir une pente pour l évacuation de «jus» de l ensilage. Le volume du silo doit être calculé en fonction des besoins journaliers prévisionnels. Il est souhaitable que le contenu du silo soit consommé dans une semaine. Disposer une bâche à l intérieur du silo. Les bords de la bâche doivent déborder largement pour pouvoir être rabattus une fois le silo plein. Innovations Agronomiques 16 (2011),

179 H. Archimède et al. Broyer la banane, étaler la masse dans le silo et tasser régulièrement par couche de 20 cm Rabattre la bâche plastique sur l ensilage ainsi tassé en s assurant une bonne étanchéité Disposer des charges (100 kg / m²) pour maintenir un bon tassement. Le dépôt d une planche de contre plaqué par exemple sur la bâche avant le dépôt des charges facilite l opération Percer la bâche au point le plus bas du silo afin d assurer l évacuation «des jus». Le silo peut être ouvert un mois après sa réalisation. La bâche plastique est rabattue sur le «front d attaque» après chaque utilisation. 2. Le séchage Le séchage est une technique visant à évaporer l eau du produit de manière à accroître la teneur en matière sèche et faciliter la conservation. Le séchage artisanal est une technique de conservation utilisée depuis très longtemps. La banane verte ou mûre, coupée en cossette, est mise à sécher au soleil pendant 2 à 3 jours. Le produit ainsi séché est conservé tel quel à l abri de l humidité ou réduit en farine. Le séchage industriel remonte aux années 60. Les techniques varient. Parmi elles, la banane mûre ou verte hachée est séchée dans un système de tambours où circule de l air chaud. Cette technique n est pas tributaire des aléas climatiques mais a un coût énergétique élevé. Ce dernier est estimé à 68 kg de fuel et à 25 KW par tonne de banane fraîche. Dans le contexte local, la viabilité économique de cette technique est conditionnée à l utilisation d énergie renouvelable. Au-delà de la technique de séchage elle-même, le choix de la matière à sécher (régime entier, main de banane, pulpe de banane) se pose. Le choix détermine la composition chimique du produit séché et affecte le coût de production. A titre d exemple, le séchage de la pulpe plutôt que le fruit entier, permettrait d obtenir un produit de plus grande valeur énergétique mais l épluchage de la banane entraînerait un coût supplémentaire. Modalités d utilisation des différents produits pour l alimentation Modalités d utilisation des fruits Production de porcs - Les porcs à l engraissement La valeur en énergie digestible de la banane fraîche est de kcal/kg de produit sec contre 700 kcal/ kg de produit brut (Le Dividich et al., 1975). L ensilage de banane verte est bien accepté par le porc. La digestibilité est dégradée mais la valeur alimentaire du produit ensilé reste proche de celle du produit frais. L ensilage de banane mure ensilée dégrade fortement sa valeur alimentaire et réduit la croissance des animaux. Ce résultat s explique par des pertes importantes en sucre et un enrichissement en fibres du produit ensilé. L épluchage de la banane verte améliore de l énergie digestible d environ 8% mais entraîne environ 20% de perte de biomasse. La cuisson améliore de 10% la vitesse de croissance du porc en croissance ainsi que l efficacité alimentaire. La banane peut être distribuée à volonté aux porcs. La banane mure est mieux ingérée comparativement à la banane verte. Un fractionnement en plusieurs repas améliorerait l ingestion de la banane. La carence en azote de la banane impose une complémentation qui devra être raisonnée en fonction de la race de l animal (Créole ou races exotiques) et du stade physiologique. Les rations à base de 186 Innovations Agronomiques 16 (2011),

180 Le bananier en alimentation animale banane doivent contenir 18% de protéines pour maximiser le dépôt de viande (Le Dividich et al., 1975). Cela correspond à un complément journalier de 270 g de protéines (référence tourteau de soja) équilibrées en acides aminés pour des animaux d un poids moyen de 60 kg (valable entre 30 et 90 kg). Le tourteau de soja est généralement utilisé comme complément protéique mais peut être remplacé par d autres matières premières plus économiques (Tableau 4). Cependant, compte tenu de l encombrement important des bananes fraîches l intégration de compléments azotés riches en fibre (feuillage) ne peut que partielle. Les feuilles doivent être séchées. Les quantités de protéines à apporter dans la ration dépendent aussi des objectifs de l agriculteur. Il n y a pas obligation de maximiser les performances animales mais il est préférable de rechercher un optimum économique Il n y a pas aujourd hui des références sur l impact de modalités de distributions des bananes (entier, cossette, broyé ) sur son ingestion. L acquisition de ces référentiels est cours à l INRA. - Les porcelets La banane fraîche est à exclure de l alimentation des porcelets. La farine de pulpe de banane peut par contre être intégrée jusqu à 50% dans des rations de porcelets. Outre sa valeur alimentaire, elle a un effet bénéfique sur la santé des porcelets (limitation des diarrhées, etc.) (Le Dividich et al., 1975). - Les truies La banane verte ou ensilée peut constituer la ration de base de la truie gestante sans que le nombre et le poids des porcelets à la naissance soient pénalisés (Le Dividich et al., 1975). La banane verte fraîche est déconseillée dans l alimentation des truies en lactation. Elle ne permet pas aux rations d atteindre les densités énergétiques pour couvrir les besoins énergétiques. Quand la banane, complémentée avec une source énergétique telle la mélasse et protéique est distribuée à volonté, elle entraîne des diarrhées (Clavijo et al., 1971). L introduction de la farine de banane jusqu à 50% dans les rations de truies allaitantes en substitution aux céréales ne réduit pas la taille de la portée et le poids des porcelets au sevrage (Le Dividich et al., 1975). Tableau 4 : Quantité de matières première pouvant remplacer le soja pour complémenter une ration à base à base de banane. lire comme suit ex : il faut 480 g de son de blé pour remplacer 100 g de soja. Aliment Ration g/j Porc Ruminant T. soja 100 Son de blé 480 Farine de riz 430 GMA sevrage 240 Bovin engrais 280 GMA engraissement 350 Vache laitière 240 GMA truie gestante 500 Cabri herbage 320 GMA truie lactation 300 Complément canne 160 Feuille de patate séchée 600 Feuille de manioc séchée 600 Feuille d érythrine séchée 1150 Feuille de madère séchée 600 Production de bovins ovins et caprins Les ruminants qui disposent de banane à volonté, quelle que soit leur forme (mure ou verte, ensilée ou fraîche), préfèrent la banane au fourrage, même très jeune, avec des ingestions représentant en moyenne 60 à 80% des quantités totales ingérées (Tableau 5). La banane fruit demeure cependant un aliment concentré. Elle ne peut pas être distribuée comme seul ingrédient d une ration car cela Innovations Agronomiques 16 (2011),

181 H. Archimède et al. entraînerait des troubles digestifs. La banane fraîche doit représenter moins de 70% de la ration chez les animaux consommant de l herbe. Quelle que soit la composition de la ration, Il est conseillé de ne pas dépasser 8 kg de banane fraîche/100 kg poids vif. La banane verte, quelle que soit sa forme de présentation (fraîche, ensilée ou déshydratée) peut remplacer la totalité des céréales sans pénaliser quantitativement et qualitativement la production (Geoffroy, 1980). Les quantités de fourrages grossiers ingérés dépendent de la nature des compléments. Elle est par exemple plus faible avec les rations de banane verte fraîche et ensilée qu avec les régimes maïs, maïs - banane, et de la farine de banane. Les quantités de fourrage ingéré sont plus élevées avec la banane ensilée. La banane verte (fraîche ou ensilée) a une influence positive sur l ingestion de fourrage tant qu elle représente moins de 25% de la matière sèche totale ingérée. Au-delà de ce seuil, la banane fraîche ou ensilée se substitue pratiquement poids pour poids au fourrage (Chenost non publié). L ingestion de bananes par les génisses est d environ 5 kg de bananes fraiches pour 100 kg de poids vif quand elle est distribuée à volonté. La digestibilité de la matière sèche de la banane verte, fraîche ou ensilée, distribuée seule, sans complément, mesurée sur caprins mâles est de 66,4 et 68,2 % respectivement. Ce résultat et le faible niveau d ingestion volontaire observée (20 g / kg PM) sont la résultante des troubles digestifs liés à l absence d aliments grossiers et à une carence azotée. Si on fait l hypothèse de l absence de digestibilité associative entre ingrédients des rations mixtes (fourrage banane) sans complémentation azotée, les digestibilités de la matière sèche sont estimées à 74,9 et 74,0% pour le produit vert frais et ensilé respectivement. Quand les rations sont complémentées en azote, la digestibilité de la MO est 84,9 et 80,2 pour des animaux à l entretien. Les valeurs étaient de 84,6 et 84,5 pour les animaux en production. Ces différences entre les stades physiologiques des animaux ont été attribuées aux différences de niveau azoté de la ration. Tableau 5. Ingestion de la banane fruit par les ruminants Aliment Bananes vertes fraîches Bananes vertes (fraîches ou ensilée) Bananes vertes fraîches Bananes vertes fraîches Animal Fourrage Ingestion kg / 100 kg PV Références Génisse de 180 kg 5,0 Isidor Sosa, 1973, cité par Geoffroy, 1980 Chèvre à l entretien Pangola de 50 jours 1,3 à 2,3 Chenost, 1971, 1976 Chèvres laitières Pangola 2 à 3,9 Geoffroy, 1985 Boucs Feuilles de banane 1,7 à 2,2 Pieltain et al., 1998 La complémentation de la banane avec une source d azote non protéique à fermentation rapide telle l urée n est pas une bonne solution. La fermentation de l azote de l urée n est pas synchronisée avec celle de l énergie de la banane qui est une source d amidon à dégradation lente. La complémentation azotée de la banane devrait être réalisée avec des protéines du genre tourteau ou de l azote non protéique à hydrolyse lente (Geoffroy, 1980). Il n y a pas de références sur l association de la banane avec les légumineuses fourragères. Ce scénario est potentiellement une voie d amélioration de la valeur protéique des rations consommées par les ruminants. 188 Innovations Agronomiques 16 (2011),

182 Le bananier en alimentation animale L apport de la banane augmente la digestibilité globale de la ration et donc sa valeur énergétique. Cependant, la digestibilité du fourrage diminue, la banane se comportant comme un concentré classique. Les bananes sont consommables vertes ou mures, entières ou fractionnées (broyées, cossettes plus ou moins fines), fraîches, ensilées. Ces traitements peuvent entraîner des modifications surtout dans l appétence du produit mais également dans une moindre mesure dans sa valeur énergétique pour l animal. Le fractionnement du produit facilite l ingestion et est à ajuster en fonction de l espèce animale pour limiter des risques de blocage dans l œsophage et d étouffement après ingestion. La forme entière est la plus neutre, l animal ajustera sa taille de bouchée. Le broyage grossier et les fines cossettes peuvent permettre d améliorer sensiblement l ingestion de la banane fraîche. La valeur énergétique de la banane fraîche verte ou mure a été estimée à 1,1 UF par kg de matière sèche (Geoffroy, 1980). Modalités d utilisation des feuilles et stipes Feuilles et troncs peuvent être assimilés à de l herbe dont l ingestion se fait en moindre quantité du fait des concentrations plus élevées en eau, en lignine, et certains autres composés biochimiques. Les feuilles et troncs peuvent être distribués à l état brut, tels que récoltés aux champs. Cependant, le hachage favorise la consommation du produit. Les feuilles sont équivalentes à de l herbe de qualité moyenne tant du point de vue énergétique qu azoté (protéique). Les ruminants peuvent volontairement consommer jusqu à environ 3,2 kg de produit sec pour 100 kg de poids vif (soit 15 kg de feuilles fraîches). Les troncs sont plus riches en eau et plus pauvres en azote que les feuilles. Les ruminants peuvent volontairement consommer jusqu à environ 1,2 kg de stipes secs pour 100 kg de poids vif (soit 12 kg de tronc frais). Il est possible d associer feuilles et troncs, feuilles ou troncs dans des rations mixtes avec la banane fruits et un complément azoté. Ateliers de productions avec les produits du bananier Dans le contexte de la Guadeloupe et de la Martinique deux scenarii d utilisation des produits du bananier dans l alimentation animale sont possibles. La banane peut être utilisée dans des ateliers d élevage indépendants des bananeraies et achetant les coproduits des fruits commercialisés. Dans le contexte économique actuel (prix de vente de la banane et des aliments de l industrie), l utilisation de la banane fruit dans les rations de porcs et de ruminants est intéressante (Tableau 6). De nombreuses rations à base de banane fruits ou feuillage de bananier ont été testées sur les animaux d élevage avec de bonnes performances zootechniques (Tableau 7). Chez les veaux zébus en cours de sevrage recevant une ration d engraissement (700 g de croît par jour) la farine de banane peut remplacer jusqu à 65 % de céréales sans aucune conséquence sur la croissance (Geoffroy, 1980). Des croissances (1200 g /jour) de génisses et taurillons d environ 270 kg, recevant cette même ration d engraissement n est pas non plus pénalisée quand ce même taux de substitution est appliqué. Cependant, dans les deux cas, une dégradation de l indice de consommation est observée. Chez les ruminants consommant de la banane fruit, la complémentation azotée doit permettre aux rations d engraissement d atteindre des taux de matière azotée supérieure ou égale à 12,5% pour maximiser les croissances des animaux de type zébu. Dans de telles conditions, des régimes composés de bananes vertes à volonté, d herbe ou de foin (jusqu à 700 g de matière sèche /100 kg de poids vif) et de tourteau de soja (moins de 750 g /100 kg de poids vif) permettent des croissances supérieures à 1000g /jour. Innovations Agronomiques 16 (2011),

183 H. Archimède et al. Tableau 6. Coût journalier d une ration d engraissement intensif de taurillons créoles (177 à 359 kg sur 207 jours) et de porcs créoles engrais dans le contexte guadeloupéen (Septembre 2011) Ingrédients Coût ( ) / kg de produit brut Ration classique (kg de produit brut) Ration banane (kg de produit brut) Coût de la ration classique ( ) Coût de la ration Banane ( ) Bovins Herbe 0,2 5,5 5,5 1,1 1,1 Concentré bovin 0,4 6,21 2,484 Tourteau Soja 0,44 1,3 0,572 Banane 0, ,5 0,4147 Total / jour (207 jours d engraissement) 3,584 2,0867 Porc créole Aliment Porc Croissance (100% de la ration) 1,2 44 Banane verte 4,24 11 Tourteau Soja 0,4 15 Coût total de la ration Coût /kg de croît post sevrage 1 0,6 Chez le porc, les animaux en engraissement sont potentiellement les meilleurs valorisateurs de la banane fruit. La bonne stratégie de complémentation est probablement celle qui permet de valoriser le potentiel énergétique de la banane ingérée plutôt que d essayer de maximiser les performances de l animal. Cela revient dans la pratique à calculer l apport de protéines en fonction de la quantité d énergie de banane qui peut être volontairement ingérée par les animaux. Une alternative à la valorisation du bananier serait de faire évoluer les bananeraies dans des unités de production de type polyculture élevage (Fanchone et al., 2011). Dans l hypothèse de valorisation de certains coproduits (écarts de triage et feuilles), les travaux de modélisation indiquent que des chargements de 1184, 285, and 418 kg de poids vifs de bovins, caprins et ovins créoles peuvent être envisagés par hectare de bananier. Conclusions Quelle que soit l espèce animale considérée, la valeur énergétique de la banane fraîche est 5 fois plus faible que celle du maïs du fait de sa forte teneur en eau. La carence en azote (protéine) est la principale contrainte d utilisation de la banane. Des travaux d amélioration génétique ont été conduits sur les variétés de bananes cultivées pour l exportation. Cela pourrait impacter la valeur alimentaire des fruits et justifie partiellement les travaux en cours à l INRA avec le partenariat SICA LPG. Le séchage de la banane permet d améliorer sa qualité nutritionnelle (valeur énergétique multipliée environ par 5 par kg de produit) et offre la possibilité de stocker le produit pour de très longues périodes. Le coût énergétique d une telle opération et les moyens de la minimiser doivent être 190 Innovations Agronomiques 16 (2011),

184 Le bananier en alimentation animale étudiés. Le partenariat entre l INRA et les professionnels doit aussi permettre de valoriser la farine de banane dans l alimentation animale. Cependant, les rations à base de banane doivent, le plus souvent, être complémentées en protéines. Les tourteaux de soja en particulier qui sont bien équilibrés pour les principaux acides aminés, sont des compléments nécessaires pour une bonne valorisation de la banane. D autres ressources riches en protéines sont aussi utilisables dont les Ressources Non Conventionnelles (feuillages riches en protéines, pois..). En plus des travaux sur les ressources du bananier, des innovations (organisation, technologies, itinéraires techniques) sont à rechercher à l échelle des bananeraies et/ou des territoires pour une gestion optimale. Tableau 7. Performances des animaux d élevage ingérant des rations à base de banane Espèce Chevreaux alpins mâles (27 kg) Ration Ration (en produit frais) : banane fraîche (79,1%), bagasse (3,1%), orge (5,1%), Tourteau de soja Performances GMQ=125,8g/Jour ; IC=6,77 Référence Chenost et al, 1976 banane fraîche (80,6%), bagasse (3,2%), orge (6,5%), Tourteau de soja (9%), Urée (0,9%) GMQ=142,1g/Jour ; IC=5,77 Chevreaux alpins mâles (27 kg) Ration (g de matière sèche/ jour) : Pangola (139), Soja (220), blé (88), Banane verte fraîche (462) GMQ=155 g /Jour; IC=5,9 Chenost et al, 1971 Pangola (139), Soja (220), blé (88), Banane verte ensilée (510) GMQ=123 g/jour ; IC=8,0 Chèvre laitière alpine (47 kg) Ration (g de matière sèche/ jour) : Pangola (551), Soja (137), farine de banane (1043) Lait 3,5% de matières grasses: 879g/Jour Geoffroy, 1980 Pangola (276), Soja (127), Banane verte fraîche (1020) Lait 3,5% de matières grasses: 827g/Jour Moutons black belly males (17,3 kg) Pangola (551), Soja (137), Banane verte ensilée (1073) Ration (g de matière sèche) Feuille et stipe : 353 Concentré 16% MAT : 287 Lait 3,5% de matières grasses: 883g/Jour GMQ : 96 g/jour Marie Magdeleine et al., 2010 Feuille et stipe : 380 Concentré 16% MAT : 285 GMQ : 98g/jour Bovins Zébus males de 200 kg Ration (Kg de matière fraîche) ; 14 kg de feuilles de banane 0, 700 kg de mélasse, 17 g urée GMQ : 750 g/jour IC: 6,56 Références bibliographiques Clavijo H., Maner J.H., Banano maduro en dietas para cerdos en lactancia. Asociación Latinoamericana de Producción Animal. Memoria 6, 147 Innovations Agronomiques 16 (2011),

185 H. Archimède et al. Fanchone A., Gourdine J.L., Diman J.L., Archimede H., Modelling the transformation from an intensive crop production to a mixed farming system: Integrating banana and ruminant production in the French West Indies. Advances in Animal Biosciences. doi: /s Geoffroy F., Valeur alimentaire et utilisation de la banane par les ruminants en milieu tropical. PhD Dissertation, Claude Bernard University, Lyon, France Geoffroy F, Utilisation de la banane par les ruminants. Revue de Elevage et Médecine Véterinaire des Pays Tropicaux 38, Lapenga K.O., Ebong C., Opuda-Asibo J., Growth performance and feed utilization by intact male mudende goats fed various supplements with elephant grass (Pennisetum purpureum) as basal diet in Uganda. Journal of Animal and Veterinary Advance 8, Le Dividich J., Geoffrey F., Canope I., Chenost M., Using waste bananas as animal feed. World Animal Review 20, Marie-Magdeleine C., Boval M., Philibert L., Borde A., Archimède A., Effect of banana foliage (Musa x paradisiaca) on nutrition, parasite infection and growth of lambs. Livestock Science 131, Pieltain M.C., Castanon J.I.R., Ventura M.R., Flores M.P., Nutritive value of banana (Musa cuminata L.) fruits for ruminants. Animal Feed Science and Technology 73, Renaudeau D., Marie Magdeleine C., Evaluation de la composition chimique des régimes de banane selon leur stade de récolte en vue de l utilisation de la farine de banane dans l alimentation animale. Rapport interne. Sarah J.L., Lassoudière A., Guéroult R., La jachère nue et l immersion du sol: deux méthodes intéressantes de lutte intégrée contre Radopholus similis Cobb dans les bananeraies des sols tourbeux de Côte d Ivoire. Fruits 38, Tartrakoon T., Chalearmsan N., Vearasilp T., Meulen U., The nutritive Value of Banana Peel (Musa sapieutum L.) in Growing Pigs. Deutscher Tropentag 1999 in Berlin. Session: Sustainable Technology Development in Animal Agriculture 192 Innovations Agronomiques 16 (2011),

186 Innovations Agronomiques 16 (2011), Les races animales locales : bases du développement innovant et durable de l élevage aux Antilles Naves M., Alexandre G., Mahieu M., Gourdine J.L., Mandonnet N.* 1 UR 143, INRA Domaine Duclos, Petit-Bourg, Correspondance : michel.naves@antilles.inra.fr Avec la collaboration des Organismes de Sélection «Sélection Créole», Unité de Sélection Ovin Martinik et Union des Eleveurs de Bovins Brahman, des associations d éleveurs CABRICOOP et SOS- PIG («Sauvergarde Organisée et Sélection des Porcs Indigènes de Guadeloupe»), et des Chambres d Agriculture de Guadeloupe, Martinique et Guyane, ainsi qu avec le Pôle Agroalimentaire de la Région Martinique et l Université Antilles Guyane. Résumé Les races locales représentent un patrimoine original et unique du fait des processus qui ont les ont façonnés, en relation avec l histoire de la région. Elles sont également profondément inscrites dans les systèmes de production locaux, à travers leurs modes d élevage et leurs usages. Elles ont ainsi développé des aptitudes zootechniques particulièrement utiles, en termes de performances de production et de qualités d adaptation. Les travaux scientifiques les plus récents, utilisant les méthodes modernes de génotypage et d analyse de la variabilité, mettent en avant leur originalité. Ces races locales constituent ainsi un modèle d'étude d intérêt pour la connaissance des caractères d'adaptation des animaux aux conditions d élevage tropicales. Elles représentent donc une ressource génétique de premier plan, alors que les préoccupations pour les caractères d adaptation deviennent une priorité dans le contexte actuel du changement climatique et de l augmentation du coût des intrants. Les éleveurs trouvent ainsi un intérêt croissant à valoriser au mieux les aptitudes de leurs races locales. Les outils existent pour assurer la conservation de ces ressources et améliorer la gestion des populations à travers les programmes de sélection. Leur valorisation économique pourrait s appuyer sur la promotion de produits spécifiques, basés sur des qualités reconnues. Les races animales locales constituent ainsi un patrimoine à préserver, source d innovations pour l'élevage de demain. Mots-clés : systèmes d élevage ; production ; adaptation ; amélioration génétique ; valorisation Abstract: Animal local genetic resources : basis of innovating and sustainable animal production systems in French West Indies. Due to the complex mechanisms involved in their constitution, in relation with the regional history, local animal breeds represent an important heritage. They are also deeply involved in the local production systems, through their management practices and their specific use. Therefore, they developed useful zootechnical abilities, in terms of production and adaptation traits. The most recent investigations, using modern tools in genotyping and genetic variability evaluation, have shown their originality. These local breeds are also interesting models for studying adaptation * Les résultats présentés dans ce texte doivent aussi beaucoup à nos collègues Isidore Canope, Edouard Despois et François Leimbacher, grâce à leurs travaux précurseurs pour la promotion du porc Créole et de l ovin Martinik.

187 M. Naves et al. traits for animal husbandry in tropical environment. Hence, they represent valuable genetic resources, particularly in the present context when a special concern is paid to adaptive traits. It is therefore of prime interest for breeders to highlight skills of their animal breeds. Tools are available to preserve genetic resources, and to promote a better use of these breeds, through adequate animal breeding programs. Their economic valuation could also be based on specific niche products, of recognized quality. Indeed, local animal breeds represent a valuable heritage, which could be resources to meet future challenges in animal production. Keywords: management systems, production, adaptation, genetic improvement, valorisation Les races animales locales : un patrimoine inscrit dans les systèmes de production locaux Historique du peuplement animal domestique en Amérique et dans la Caraïbe Les principales espèces d élevages actuelles n existaient pas dans la Caraïbe et les Amériques jusqu à la colonisation du Nouveau Monde initiée par Christophe Colomb au XV siècle. Par la suite, les colons espagnols et portugais y ont implanté des animaux de différentes espèces, comme réserves de nourriture (lait, viande) et de services (cuir, traction, ). Les premiers animaux introduits étaient ainsi d origine ibérique. Mais en fonction de l histoire coloniale tourmentée de la région, les populations d origine ont ensuite connue une histoire complexe (Maillard et Maillard, 1998 ; Lucero et al., 2010). Elles ont ainsi donné naissance à un grand nombre de races, regroupées au sein du rameau des races Créoles, présentes dans toute la région Amérique-Caraïbe (FAO, 2008). Ces races Créoles se sont différenciées sous l influence de facteurs divers : métissage avec des races d origine diverse, sélection naturelle influencée par le milieu ambiant, et orientation dictée par l homme en fonction des usages. Un des facteurs déterminants pour la Caraïbe et certains pays d Amérique Latine est le «commerce triangulaire» avec les comptoirs d Afrique de l Ouest, simultanément à la «traite». Il s est traduit par des introductions récurrentes d animaux domestiques issus d Afrique de l Ouest, entre le XVI et le début du XIX siècle (Maillard et Maillard, 1998). On retrouve ainsi une forte composante génétique d origine africaine dans les races ovines à poils de la Caraïbe (Black Belly, Pelibuey), chez les chèvres Créoles des Antilles (Pépin, 1994), et chez le bovin Créole de Guadeloupe (Naves et al., 2001a ; Miretti et al., 2004), et jusque chez les races locales du Brésil (Liron et al., 2006 ; Mariante et Cavalcante, 2006 ; Ginja et al., 2010). Des échanges ont également eu lieu entre les îles de la Caraïbe et avec le continent Américain, au Nord comme au Sud. (Maillard et Maillard, 1998 ; Lucero et al., 2010). A partir du XIX siècle, des introductions de zébus indiens et plus récemment de races européennes sont venues modifier le cheptel bovin de la région Amérique - Caraïbe, avec la mise en œuvre de croisements plus ou moins organisés. On dénombre ainsi dans la région des races zébus développées localement (Brahman, Nelore, Gyr, ), et des races composites issues de croisements entre races Créoles, taurins européens ou africains et zébus (Jamaica Hope, Santa Gertrudis, Siboney, ), qui occupent une place importante dans les différents pays (Mariante et Cavalcante, 2006 ; Naves et al., 2001a). En revanche, les introductions d animaux de races pures spécialisées d origine tempérée ont généralement peu de succès, du fait des contraintes de l environnement tropical (Mirkena et al., 2010). Les conditions naturelles du milieu tropical ont en effet un impact important, lié à l influence directe du climat (température et humidité), mais aussi à travers les ressources alimentaires disponibles, le parasitisme ou les maladies présentes. Face à ces contraintes, les populations animales locales ont en général développé des capacités d adaptation très importantes (FAO, 2008 ; Mirkena et al., 2010). C est le cas du bovin Créole de Guadeloupe, qui possède la capacité de mobiliser fortement ses réserves corporelles en période de disette ou qui est remarquablement résistant aux tiques et aux maladies 194 Innovations Agronomiques 16 (2011),

188 Valoriser les races animales locales associées (Camus et Barré, 1990). C est aussi le cas pour les petits ruminants de la Caraïbe, qui présentent une moindre sensibilité au parasitisme interne (Gruner et al., 2003). Etat des lieux des populations concernées Pour les Départements Français d Amérique (DFA, soit Guadeloupe, Martinique et Guyane), les principales races que l on peut dénombrer à l heure actuelle sont présentées dans le tableau 1. Tableau 1 : Principales races des espèces domestiques exploitées dans les DFA (Naves et al., 2009b, Gourdine et al., 2010) Département Guadeloupe Martinique Guyane Races Bovines Bovin Créole L (10500) R. Taurines Fr. (200) Croisements (11800) Bovin Créole L (200) Zébu Brahman PE (2000) R. Taurines Fr. (500) Croisements (10000) Bovin Créole L (200) Zébu Brahman PE (2300) R. Taurines Fr. (300) Croisements (1800) Races Ovines Ovin Martinik L,PE Races Caprines Races porcines Cabri Créole L Boer et croisements Cabri Créole L Anglo nubien, Boer et croisements Porc Créole L,PE Large White et Lignées commerciales En caractère droit : races locales; en italique : races d implantation récente (depuis le 20 siècle) L = race locale et PE = race à petit effectif, selon l Arrêté du 26 juillet 2007 du Ministère de l Agriculture Cabri Créole L Alpine, Saanen, Boer et croisements- Les races locales appartenant au rameau Créole d Amérique Latine et des Caraïbes sont principalement le bovin Créole de Guadeloupe, ainsi que les souches d effectifs plus restreints de Martinique et de Guyane, le cabri Créole présent en Guadeloupe et Martinique et le mouton Martinik, regroupant divers phénotypes de moutons à poils de la région, ainsi que le porc Créole maintenu principalement en Guadeloupe. A noter par ailleurs que le zébu Brahman d introduction récente (au XX siècle) est bien implanté en Martinique et Guyane. Ces différentes races sont reconnues par le Ministère de l Agriculture (Arrêté du 26 juillet 2007) comme «ressources zoogénétiques présentant un intérêt pour la conservation du patrimoine génétique du cheptel et l aménagement du territoire», avec un statut de race locale et/ou de race à petit effectif. Chez les ruminants, d autres races sont implantées de manière plus ponctuelle (races taurines françaises ; caprins Boer ou Anglo Nubien). Ces races, introduites récemment pour répondre à des orientations plus spécialisées, sont surtout utilisées en croisement pour améliorer les performances de production, dans les filières intensives (Naves, 2003 ; Alexandre et al., 2009 ; Gunia et al., 2010a). Chez les porcs, le cheptel des élevages industriels est constitué par des porcs de race Large White ou de lignées commerciales importées, alors que le porc Créole est plutôt exploité dans des petits élevages familiaux (Gourdine et al., 2010). Importance dans les systèmes de production De manière générale, aussi bien pour les ruminants que pour les porcins, on oppose souvent deux modèles de production, décrits comme systèmes «traditionnels» vs «modernes». Schématiquement, le premier utilise les races Créoles et des pratiques et savoirs-faires traditionnels, tandis que le second s appuie sur l importation d animaux spécialisés et l utilisation de techniques d élevage intensives, inspirées des modèles européens (Zébus et al., 2005 ; Gunia et al., 2010a). Les systèmes dits «traditionnels» ont perduré au cours du temps, couplés à une commercialisation dans des circuits informels qui couvrent une part importante du marché de la viande locale. A l opposé, les systèmes Innovations Agronomiques 16 (2011),

189 M. Naves et al. modernes plus intensifs se maintiennent chez un petit nombre d éleveurs grâce au soutien des politiques de développement institutionnelles (Xande, 1999 ; Diman et al., 2001 ; Delcombel, 2005 ; Zébus et al., 2005). Cependant, une très grande variété de systèmes d élevage existe entre ces deux pôles antagonistes, aussi bien pour les porcins que pour les ruminants. La grande majorité des exploitations pratiquant l élevage sont en effet de type polyculture-élevage, où la diversité des activités permet de répartir les ressources entre les différentes composantes du système, permettant ainsi de pallier les fragilités des systèmes spécialisés (Stark et al., 2010). Les races locales de ruminants sont exploitées principalement comme races allaitantes pour la production de viande. Elles sont aussi utilisées à des fins multiples dans les systèmes mixtes agriculture-élevage, pour la traction animale, pour la valorisation de sous-produits de culture ou de zones difficiles, pour la fourniture de fumier mais également en liaison avec des traditions culturelles propres à la société antillaise (Xandé, 1999 ; Alexandre et al., 2003 ; Naves et al., 2009). De manière générale, prédominent les systèmes de polyculture-élevage à l échelle d une exploitation familiale, où la conduite est plus ou moins traditionnelle avec des cheptels de taille variable (de moins de 5 têtes à 20 tètes ou plus). Moins fréquentes sont les exploitations spécialisées, qui ont généralement une orientation naisseur ou naisseur-engraisseur (système de ranching de plus de 50 têtes en Martinique ou Guyane). Enfin plus rares encore, sont les ateliers engraisseurs, surtout présents en Martinique. Dans la plupart des cas, les fourrages constituent la base de l alimentation, surtout au pâturage, avec une complémentation variable en nature et en quantité, et suivant la saison (concentrés, sous produits, foin ou ensilage) (voir article de Mahieu et al., ce colloque). L utilisation de techniques élaborées pour la conduite, la reproduction ou le suivi sanitaire est souvent en cohérence avec le type génétique des animaux. Ainsi, l utilisation d animaux importés ou de croisements s accompagne d une plus grande utilisation d intrants (concentré, fumure, soins vétérinaires, ) et de techniques d élevage (entretien des prairies, logement des animaux, IA ) (Alexandre et al., 2009 ; Diman et al., 2006 ; Naves, 2003 ; Gau et al., 2000). Les systèmes porcins valorisant les races locales se différencient principalement par le nombre de truies et le système d alimentation. Contrairement aux élevages industriels, ces systèmes sont détenus par des éleveurs non spécialisés qui s appuient sur la force de travail et les ressources propres de leur exploitation, et sur leur réseau de relations pour l approvisionnement en animaux (porcelets ou reproducteurs) et pour la commercialisation. L atelier porcin est généralement de petite taille (moins de 10 truies), et ne constitue qu une des activités de l exploitation, apportant un complément de revenu. Contrairement aux élevages spécialisés, le moteur principal des systèmes mixtes réside davantage dans l optimisation des productions végétales et animales présentes sur l exploitation, que sur la maximisation des résultats (Zébus et al., 2005 ; Gourdine et al., 2010) (voir article de Gourdine et al., ce colloque). Des ressources génétiques originales et précieuses, modèles pour les questions d adaptation au milieu tropical. Du fait de leur histoire complexe, notamment l origine des populations dont elles sont issues, les conditions d environnement tropical dans lesquelles elles ont été élevées, et les usages qui en ont été faits, les populations locales ont développé des caractéristiques originales. Cette originalité se retrouve au niveau de leurs caractéristiques physiques, de leurs performances de production et leurs qualités d adaptation. Les travaux scientifiques récents de caractérisation génétique en font également la preuve. Ces ressources génétiques constituent ainsi des modèles de choix pour les travaux de recherche portant sur l adaptation au milieu tropical. 196 Innovations Agronomiques 16 (2011),

190 Valoriser les races animales locales Les races locales présentent de réelles aptitudes zootechniques aussi bien pour les caractères d adaptation que pour les paramètres de production. Les principales aptitudes des races locales résident dans leur remarquable adaptation au milieu tropical en général : tolérance aux effets directs du climat ; valorisation de fourrages tropicaux ; capacité de mobilisation des réserves corporelles ; résistance aux tiques et aux maladies associées (chez le bovin Créole) ; résistance au parasitisme interne (Berbigier, 1988 ; Naves et al., 1993 ; Naves, 2003 ; Alexandre et Mandonnet, 2005). Elles présentent aussi d excellentes performances de reproduction et qualités maternelles : fertilité élevée ; longévité ; désaisonnement et taille de portée (pour les petits ruminants) ; croissance sous la mère régulière, faible mortalité (Alexandre et al., 2001 ; Naves, 2003). Des travaux ont également permis de caractériser la qualité des produits des races Créoles dans différentes conditions d élevage (Liméa et al., 2009 ; Régina et al., 2009 ; Xandé et al., 2009a et b), qui ouvrent des perspectives de valorisation pour leurs produits. Certains reprochent à ces populations leur croissance individuelle lente et les médiocres qualités de carcasse (rendement ; format ; conformation). Mais ce handicap s explique d une part du fait de l absence de sélection sur ces critères, et d autre part à cause des facteurs environnementaux, notamment ceux liés à l alimentation. Ainsi, dans des conditions d élevage maîtrisées, les performances obtenues sont comparables à celles d autres races de la région tropicale, et répondent favorablement à une alimentation plus concentrée (Naves, 2003 ; Archimède et al., 2008 ; Liméa et al., 2009). Par ailleurs, ces races locales présentent une variabilité génétique pour les principaux caractères productifs et d adaptation, variabilité facilement exploitable dans des programmes de sélection (Menendez Buxadera et al., 2003, Naves, 2003 ; Gunia et al., 2011a). Notamment, la chèvre Créole présente une variabilité très intéressante pour la résistance génétique au parasitisme interne (Mandonnet et al., 2006). Ainsi, même si le niveau de croissance reste limité, la productivité globale permise par ces races locales est tout à fait intéressante, grâce notamment à leurs capacités d adaptation (Alexandre et al., 2001 ; Naves et al., 2001a ; Alexandre et Mandonnet, 2005). Encadré 1 : La chèvre Créole : une des plus productives parmi les races tropicales La productivité numérique, qui reflète les aptitudes de reproduction et d adaptation des mères (désaisonnement, fertilité, taille de portée, survie), est l une des clefs de la production de viande. Malgré son petit format (28 kg de poids adulte), la chèvre Créole de Guadeloupe en conduite semi-intensive présente une excellente productivité numérique (2,67 chevreaux sevrés par femelle adulte et par an), ce qui permet d obtenir une production de viande par hectare particulièrement élevée (755 kg). Race Pays Poids adulte (kg) Productivité numérique (sevrés/femelle/an) Production de viande (kg carcasse/ha/an) Boer Afrique du Sud 40 1, Anglo Nubien Caraïbe 35 1, Créole Guadeloupe 28 2, Kambing Asie Sud Est 25 1, Naine Afrique Ouest 20 2, Innovations Agronomiques 16 (2011),

191 M. Naves et al. Des travaux récents de caractérisation génétique confirment l originalité des races locales. Les populations locales des Antilles ont fait l objet de travaux de caractérisation à l aide de marqueurs génétiques de natures diverses : marqueurs biochimiques, tels que polymorphisme des protéines sanguines ou du lait ou groupes sanguins (Naves et al., 2005a), ou plus récemment à l aide de marqueurs ADN, tels que microsatellites, ADN mitochondrial, Single Nucleotide Polymorphism (SNP) (Pépin, 1994 ; Miretti et al., 2003 ; Naves, 2003 ; SanCristobal et al., 2006 ; Gautier et Naves, 2011). Ces différents marqueurs confirment l originalité des races locales des Antilles en comparaison à d autres races, originalité qui peut être rapprochée de leur histoire. Les différentes études de caractérisation génétique ont tout d abord montré que les races Créoles présentent une diversité génétique importante intra race. Ainsi, malgré leur isolement durant l histoire, ces races ont réussi à maintenir une forte diversité génétique, sans accroissement notable de la consanguinité. Une caractéristique intéressante est également la présence d allèles spécifiques, aussi bien chez le porc Créole (San Cristobal et al., 2006), que chez le bovin Créole (Miretti et al., 2003 ; Naves, 2003). On retrouve également à travers ces marqueurs la trace des origines complexes des races Créoles. Ainsi, à l aide des premiers marqueurs microsatellites étudiés chez les chèvres, Pépin (1994) observait le net rapprochement de la chèvre Créole avec les races caprines naines d Afrique de l Ouest. Des études sont en cours à l aide d outils moléculaires plus récents pour préciser ces observations. Chez le bovin Créole, une étude complète du génome à l aide de marqueurs SNP a permis de quantifier les différentes origines qui ont contribué à la constitution de la population actuelle (Gautier et Naves, 2011). On note ainsi une forte proportion de génome d origine zébu (38 %) et d origine taurine africaine (36 %), et une plus faible proportion d origine européenne (26 %), principalement d Europe du Sud (17 %). Au niveau de l ADN mitochondrial, on retrouve également des séquences d origine africaine spécifiques des races Créoles, chez le bovin Créole de Guadeloupe et en Amérique Latine (Mexique, Colombie, Brésil) (Miretti et al., 2003 ; Ginja et al., 2010). Encadré 2 : Les origines du bovin Créole de Guadeloupe décryptées. L étude de marqueurs génétiques SNP (Gautier et Naves, 2011) révèle une nette différenciation entre les races zébus indiennes (ZEB) auxquelles le Brahman est rattaché, les races taurines européennes (EUT) et les races taurines africaines (AFT). Des races métisses occupent des positions intermédiaires, comme la race Borgou (métis AFT x ZEB) originaire du Bénin, la Santa Gertrudis (EUT x ZEB) des USA ou l Oulmes-Zaer (EUT x AFT) du Maroc. La position centrale du bovin Créole de Guadeloupe (CGU) traduit son caractère métis entre ces trois composantes, et son rapprochement des races métisses africaines, comme le Borgou. La dispersion du nuage des individus illustre la diversité génétique présente dans la population Créole. Les aptitudes d adaptation des races Créoles répondent à des enjeux importants Les travaux de caractérisation des races Créoles montrent également qu elles constituent des modèles en termes d adaptation au milieu tropical. Ainsi, leur étude concourt à l amélioration des connaissances des mécanismes impliqués dans ces caractères d adaptation. Elle ouvre également des perspectives 198 Innovations Agronomiques 16 (2011),

192 Valoriser les races animales locales d exploitation de ces aptitudes, qui sont l objet d un intérêt croissant à travers le Monde (Kosgey et al., 2006 ; Hoffman, 2010 ; Mirkena et al., 2010). Signatures de sélection chez le bovin Créole Chez le bovin Créole, les analyses récentes de marqueurs SNP ont mis en évidence des «signatures de sélection» dans différentes régions génomiques, dont certaines semblent être associées à des caractères d adaptation (Gautier et Naves, 2011). D après la littérature, les principales régions identifiées interviendraient en effet dans la solidité du squelette et le développement du cornage, dans le métabolisme des réserves lipidiques, l implantation et le développement de l embryon durant la gestation, ou les mécanismes immunitaires. Le bovin Créole apparaît ainsi un modèle de choix pour l étude de l adaptation au milieu tropical, au sens large, chez les bovins. Compréhension du contrôle génétique et des mécanismes de résistance au parasitisme chez le caprin Créole Le caprin Créole a été choisi comme modèle d étude de la résistance génétique aux strongles gastrointestinaux (SGI) dans l espèce caprine (Mandonnet et al., 2006). Les résultats démontrent la possibilité de sélectionner efficacement sur la résistance aux SGI chez les chevreaux Créole, notamment en fin d engraissement à l âge de 11 mois. En l absence de composante génétique maternelle et de relation avec le poids et la croissance sous la mère, les conditions sont alors favorables à la mise en place d une sélection sur ce caractère (Gunia et al., 2011a). Par ailleurs, cette sélection diminuera la sensibilité des chèvres en période de lactation. Des régions du génome contrôlant des critères de résistance/sensibilité ont été identifiées près de gènes connus du système immunitaire (IFN-g, CMH, ) (de la Chevrotière et al., 2011). Dans l avenir, la détection de mutations causales de résistance chez le caprin Créole et leur possible introgression pourront présenter un intérêt pour la maîtrise durable du parasitisme dans des races spécialisées et sensibles (Boer, Alpine, Saanen ). Les premières hypothèses de mécanismes de résistance ont été formulées (Bambou et al., 2009 ; de la Chevrotière et al., 2011) et mettent en évidence l originalité du modèle caprin par rapport au modèle ovin. Adaptation à la chaleur chez le porc De nombreux travaux réalisés par l INRA ont montré une meilleure adaptation à la chaleur du porc Créole en comparaison de porc amélioré comme le porc Large White. Cette meilleure adaptation aux conditions tropicales se caractérise en particulier par un seuil de sensibilité plus élevé à une brusque élévation de la température ambiante (Renaudeau, 2005). De plus, le porc Créole est capable de consommer de l aliment au cours des périodes les plus chaudes de la journée (Gourdine et al., 2006). Actuellement, la recherche des zones du génome impliquées dans le déterminisme de l aptitude à tolérer la chaleur est en cours. Des outils existent pour mieux exploiter et valoriser les races animales locales. Les races animales locales ont mis des siècles pour développer des aptitudes originales. Elles représentent un réel atout pour la production animale en milieu tropical, grâce au niveau de productivité qu elles permettent d obtenir. Elles constituent des ressources génétiques précieuses qu il convient de préserver et de valoriser dans les systèmes d élevage locaux. Des travaux de recherche appliquée permettent de proposer des solutions techniques pour les exploiter au mieux. Innovations Agronomiques 16 (2011),

193 M. Naves et al. Préservation des ressources génétiques en fermes, en station expérimentale et cryoconservation. Différentes solutions existent pour préserver les ressources génétiques animales, depuis le maintien in situ de troupeaux de production dans des exploitations, jusqu à la cryoconservation de semences ou d embryons congelés, pour les besoins du futur. Ces deux voies complémentaires sont mises en œuvre actuellement dans les races Créoles, et la gestion de ces populations fait l objet d étroites collaborations entre les professionnels et la recherche (Mandonnet et al., 2006 ; Gunia et al., 2010b ; Naves et al., 2006 ; Vertueux et al., 2006). Tout d abord, des associations d éleveurs ont été mises en place pour la préservation et la promotion des races locales. Ainsi, trois organismes de sélection ont été agréés en 2008, basé sur des associations d éleveurs créées en fin du 20 siècle : Ovin Martinik, Bovin Créole et zébu Brahman (Naves et al., 2009b). Ces programmes font également appel à des «troupeaux pépinières» maintenus dans les installations expérimentales de l INRA, avec une gestion rigoureuse des accouplements et de la consanguinité. Ces troupeaux assurent le maintien de noyaux de sélection élevés en conditions contrôlées, et la diffusion de reproducteurs de qualité reconnue. Egalement, des techniques de cryoconservation sont mises en œuvre par l INRA chez les races bovine, caprine et porcine Créole, afin de conserver des stocks de semences d insémination artificielle, représentatifs de ces populations, et ayant valeur patrimoniale (Naves et al., 2010). Tableau 2 : Troupeaux pépinières et cryoconservation des races Créole Femelles adultes nb moyen de générations connues et consanguinité (%) Noyau Réserve Génétique cryoconservée Bovin Créole 90 vaches 3 - < 1% ouvert 8000 doses IA / 21 pères Chèvre Créole 250 chèvres % Fermé 256 embryons / 16 donneurs 2500 doses IA / 32 boucs Ovin Martinik 150 brebis % Ouvert Cochon Créole 25 truies % Ouvert En cours Mise en œuvre de programmes de sélection des ruminants allaitants. En plus de leur implication dans la préservation des races, les Organismes de Sélection sont aussi en charge de la mise en œuvre de programmes de sélection. Ces programmes s inspirent des schémas de sélection des ruminants producteurs de viande en France, en les adaptant au contexte local (Naves et al., 2000). Ils utilisent ainsi les outils d amélioration génétique qui ont fait leurs preuves dans les programmes de sélection en France, pour lesquelles des mises au point spécifiques ont été réalisées dans les races locales (Naves et al., 2001b, 2005b). Tableau 3 : Programmes d amélioration génétique des ruminants dans les DFA Race Ovin Martinik Bovin Créole Zébu Brahman Chèvre Créole Localisation Martinique Guadeloupe Martinique, Guadeloupe Guadeloupe Guyane Début de l organisation Organisme de Sélection (agréés en 2008) Sélection Créole Autres organisations Base de sélection Union pour la Sélection de l Ovin Martinik 800 brebis 10 élevages 1000 vaches 50 élevages Union des Eleveurs de Bovins Brahman 2000 vaches 15 élevages CABRICOOP 500 chèvres 5 élevages 200 Innovations Agronomiques 16 (2011),

194 Valoriser les races animales locales Les objectifs de sélection sont en premier lieu d améliorer les aptitudes de croissance et de production de viande, tout en maintenant les qualités de reproduction et les aptitudes d adaptation (Naves et al., 2006, Vertueux et al., 2006). Depuis peu, un programme d amélioration génétique a également été initié pour la chèvre Créole de Guadeloupe, programme qui intègre la résistance au parasitisme interne parmi les objectifs de sélection (Mandonnet et al., 2006 ; Gunia et al., 2011b). Encadré 3 : Le mouton Martinik : un modèle de programme concerté d amélioration génétique. Le mouton Martinik a bénéficié dès 1993 de la mise en place d un programme de sélection basé sur sept élevages privés regroupés au sein d un Organisme de Sélection (Union pour la Sélection de l Ovin Maritik) agréé par le Ministère de l Agriculture. Mené en collaboration entre les différents partenaires de la filière génétique en France, il permet d approvisionner les éleveurs des DOM en animaux reconnus de la race, et évalués sur leurs résultats obtenus en contrôle de performances. (Vertueux et al., 2006 ; Leimbacher et al., 2010) Valorisation économique, basée sur des produits de qualité reconnue. Des travaux menés récemment sur la qualité des produits dans les races locales mettent en lumière des caractéristiques qui pourraient être valorisées dans des démarches de signes de qualité. Ces travaux menés par l INRA en partenariat avec les professionnels, l UAG et le PARM s appuient en premier lieu sur une approche bio-technique, visant à décrire de manière objective les facteurs de variation des critères qualitatifs des produits animaux (Naves et al.,2009a). Ils ont d ores et déjà permis de définir des modèles d alimentation adaptés pour les porcs Créole, et valorisant les ressources alimentaires locales pour la production de viande (Xandé et al., 2009a et b). Des références ont également été obtenues sur la qualité des produits chez les cabris Créoles, les ovins Martinik ou le bovin Brahman, en fonction de différents modes d alimentation (Archimède et al., 2008 ; Liméa et al., 2009 ; Régina et al., 2009). La poursuite de ces travaux sur la qualité des produits des animaux de race locale, devrait permettre de définir des conditions de production et d exploitation permettant une meilleure valorisation des produits, ainsi qu à définir les critères pour démarquer ces produits en vue d une démarche de certification (Verrier et al., 2005). Innovations Agronomiques 16 (2011),

195 M. Naves et al. Encadré 4 : le porc Créole alimenté à la canne à sucre produit une viande de qualité. Le porc Créole placé en élevage intensif n'atteint pas le niveau de performances zootechniques des porcs de type Large-White. Il garde cependant toute sa place dans des systèmes de polyculture- élevage, où il peut valoriser de nombreuses ressources alimentaires locales. Ainsi, l utilisation de la canne à sucre comme source d apport énergétique, complémenté avec du tourteau de soja, a été étudiée pour alimenter des porcs Créoles (Xandé et al., 2007). Les travaux montrent que la croissance, la qualité de la carcasse et la qualité de la viande varient suivant la forme de distribution (canne broyée ou jus de canne). Le mode d alimentation à base de canne broyée se traduit par une croissance plus faible qu avec un régime conventionnel (200 g/j vs. 650 g/j), mais par une qualité de la viande fraîche et de la viande transformée en jambon sec comparables au régime à base de concentré du commerce. En revanche, le régime à base de jus de canne permet d obtenir de bonnes performances de croissance (550 g/j), ainsi qu une carcasse plus grasse, se traduisant par une bonne jutosité et un marbré et un persillé intéressant de la viande transformée en jambon sec. Cette étude suggère que le porc Créole peut atteindre de bonnes performances de croissance, associées à une bonne qualité technologique et organoleptique de la viande avec un régime adapté à base de canne à sucre. D'autres travaux sont en cours pour compléter notre connaissance de différentes ressources alimentaires pour les porcs Créoles. Conclusion Les références accumulées sur les races animales locales mettent en lumière leur originalité, liée à leur histoire, à la sélection naturelle et à leur système d élevage. Ces connaissances sont riches d enseignement pour comprendre les mécanismes d adaptation au milieu tropical. Les races locales représentent également un patrimoine d une valeur inestimable du fait de leur potentiel productif. Des solutions existent pour les exploiter au mieux dans les systèmes d élevage locaux. Références bibliographiques Alexandre G., Mahieu M., Aumont G., Productivité des ovins et des caprins de race locale élevés dans des conditions semi-intensives aux Antilles françaises. Bulletin d'information sur les Ressources Génétiques Animales 29, Alexandre G., Asselin de Beauville S., Bienville Y., Shitalou E., La chèvre multifonctionnelle dans la société antillaise. Ethnozootechnie 70, Alexandre G., Mandonnet N., Goat meat production in harsh environments. Small Ruminant Research 60, Alexandre G., Leimbacher F., Maurice O., Domarin D., Naves M., Mandonnet N., Goat farming systems in Martinique: management and breeding strategies. Trop.Anim. Health Prod. 41: Archimède H., Pellonde P., Despois P., Etienne T., Alexandre G., Growth performances and carcass traits of Ovin Martinik lambs fed various ratios of tropical forage to concentrate under intensive conditions. Small Ruminant Research 75, Bambou J.C., Gonzalez-Garcia E., de la Chevrotiere C., Arquet R., Vachiery N., Mandonnet N., Peripheral immune response in resistant and susceptible Creole kids experimentally infected with Haemonchus contortus. Small Ruminant Research 82, Barre N., Les tiques des ruminants dans les Petites Antilles : biologie, importance économique, principes de lutte. INRA Productions Animales 10, Camus E., Barré N., Amblyomma variegatum and associated diseases in the Caribbean: strategies for control and eradication in Guadeloupe. Parasitologia 32, de la Chevrotière C., Bambou J.C., Jaquiet P., Mandonnet N., Genetic parameters of IgA and IgE responses against Haemonchus contortus in Creole goats under natural mixed infection. Veterinary Parasitology (accepté sous réserve) 202 Innovations Agronomiques 16 (2011),

196 Valoriser les races animales locales de la Chevrotière.C, Bishop S., Arquet R., Bambou JC., Schibler L., Amigues Y., Moreno C., Mandonnet N., Detection of quantitative trait loci for resistance to gastrointestinal nematode infections in Creole goats. Animal Genetics (accepté sous réserve) Diman J.L., Naves M., Alexandre G., Zébus M.F., The diversity of ruminant rearing systems in Guadeloupe: positions within the industry and its sanitary regulations. In "Livestock farming systems: product quality based on local resources leading to improved sustainability", EAAP publication n 118; Eds R,Rubino, L, Sepe, A, Dimitriadou & A,Gibon., 118: Gau D., Naves M., Alexandre G., Shitalou E., Mandonnet N., Systèmes de production et orientations génétiques en élevage caprin en Guadeloupe. 7th International Conference on goats, Tours, France, Mai 2000, 1, Gautier M., Naves M., Footprints of selection in the ancestral admixture of a New World Creole cattle breed. Molecular Ecology 20, Ginja C., Penedo M., Melucci L., Quiroz J., Martinez Lopez R., Revidatti M., Martinez-Martinez A., Delgado J.V., Gama L.T., Origins and genetic diversity of New World Creole cattle: inferences from mitochondrial and Y chromosome polymorphisms. Animal Genetics, 41, Gourdine J.L., Bidanel J.P., Noblet J., Renaudeau D., Effects of season and breed on the feeding behavior of multiparous lactating sows in a tropical humid climate. Journal of Animal Science 84, Gourdine J.L., Lebrun A., Silou F., Investigaciones para evaluar diversidad en cerdos criollos de Guadeloupe. Revista Computadorizada de Producción Porcina 17, Gunia M., Mandonnet N., Arquet R., de la Chevrotière C., Naves M., Mahieu M., Alexandre G., 2010a. Production systems of Creole goat and their implications for a breeding programme. Animal 4, Gunia M., Mandonnet N., Alexandre G., Naves M., Phocas F., 2010b. Contribution of research to a breeding programme for Creole goat in Guadeloupe. Conference Sustainable Animal Production in the Tropics, Gosier, Guadeloupe (FWI), november, 2010 Gunia M., Phocas F., Arquet R., Alexandre G., Mandonnet., 2011a. Genetic parameters for weight, reproduction and parasitism resistance traits in Creole goat. Journal of Animal Sciences (sous presse) doi : /jas Gunia M., Mandonnet N., Arquet R., Alexandre G., Gourdine J.L., Naves M., Angeon V., Phocas L., 2011b. Economic values of weight, reproduction and parasite resistance traits for Creole goat breeding goal. Animal (soumis). Hoffman I Climate change and the characterization, breeding and conservation of animal genetic resources. Animal Genetics 41 (S1), Kosgey I.S., Baker R.L., Udo H.M.J., Arendonk J.M., Successes and failures of small ruminant breeding programmes in the tropics: a review. Small Ruminant Research 61, Le Gal O., Planchenault D., Utilisation des races caprines exotiques dans les régions chaudes. Contraintes et intérêts (CIRAD-EMVT), p 261. Leimbacher F., Alexandre G., Mahieu M., Naves M., Mandonnet N., The Martinik Hair Sheep : a high potential breed to produce mutton in the Tropics. 8ème Conférence Mondiale Mérinos 2010, Rambouillet France, 3-5 mai Liméa L., Gobardham J., Gravillon G., Nepos A., Alexandre G., Growth and carcass traits of Creole goats under different pre-weaning, fattening and slaughter conditions. Trop. Anim. Health Prod. 41, Liron J., Bravi C., Mirol P., Peral-Garcia P., Giovambattista G., African matrilineages in American Creole cattle: evidence of two independent continental sources. Animal Genetics 37, Lucero C., Guintard C., Betti E., Mallard J., 2010: Origine et évolution des races bovines Créoles (Bos taurus) de Colombie. Revue Méd. Vét. 161, Maillard J.C., Maillard N., Historique du peuplement bovin et de l introduction de la tique Amblyomma variegatum dans les îles françaises des Antilles: synthèse bibliographique. Ethnozootechnie 61, Innovations Agronomiques 16 (2011),

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198 Valoriser les races animales locales Régina F., Eugene S., Rinna R., Gauthier V., Archimède H., Alexandre G., Qualités de la viande de bovin en Martinique selon leur génotype et leur mode d alimentation. 16èmes Rencontres Recherches Ruminants, Paris, France, 2-3 décembre 2009, 155 Renaudeau D., Effects of short-term exposure to high ambient temperature and relative humidity on thermoregulatory responses of European (Large White) and Caribbean (Creole) restrictively fed growing pigs. Animal Research 54, SanCristobal M., Chevalet C., Haley C.S., Joosten R., Rattink A.P., Harlizius B., Groenen M.A.M., Amigues Y., Boscher M.Y., Russell G., Law A., Davoli R., Russi V., Désautés C., Alderson L., Fimland E., Bagga M., Delgado J.V., Vega-Pla J.L., Martinez A.M., Ramos M., Glodek P., Meyer J.N., Gandini G.C., Matassino D., Plastow G.S., Siggens K.W., Laval G., Archibald A.L., Milan D., Hammond K., Cardellino R., Genetic diversity within and between European pig breeds using microsatellite markers. Animal Genetics 37, Verrier E., Tixier Boichard M., Bernigaud R., Naves M., Conservation and value of local livestock breeds: usefulness of niche products and/or adaptation to specific environments. Animal Genetic Resources Information 36, Vertueux C., Mandonnet N., Leimbacher F., Antoine S., Domarin D., Naves M., Potentiel de production du mouton Martinik : une contribution possible à l'intensification de l'agriculture caribéenne. 13eme Rencontres Recherches Ruminants, Paris, France, décembre 2006, 262 Xande A., Animal and quality of life in traditional society in the Caribbean islands. Livestock Production Science 59, Xandé X., Despois E., Renaudeau D., Gourdine J.L., Archimède H., Evaluation des effets d une alimentation à base de canne à sucre sur les performances et la qualité de la carcasse des porcs Créoles. Journées Recherche Porcine 39, Xandé X., Despois E., Giorgi M., Gourdine J.L., Archimede H., Renaudeau D., 2009a. Influence of sugar cane diets and a high fibre commercial diet on growth and carcass performance in local caribbean pigs; Asian-Australasian Journal of Animal Sciences 22, Xandé X., Mourot J., Archimede H., Gourdine J.L., Renaudeau D., 2009b. Effect of sugarcane diets and a high fibre commercial diet on fresh meat and dry-cured ham quality in local Caribbean pigs. Meat Science 82, Zebus M.F., Alexandre G., Diman J.L., Paul J.L., Despois E., Phaeton E., Diversité des élevages porcins en Guadeloupe: première évaluation technico-économique. Journées de la Recherche Porcine 37, Innovations Agronomiques 16 (2011),

199 Innovations Agronomiques 16 (2011), Pour une nouvelle approche de la recherche sur l élevage aux Antilles Alexandre G. 1, Stark F. 2, Angeon V. 3 (1) Institut National de la Recherche Agronomique, Unité de Recherches Zootechniques, UR143 Domaine Duclos Petit-Bourg, Guadeloupe (2) Etablissement Public Local d'enseignement et de Formation Professionnelle Agricoles, Convenance, Baie Mahault, Guadeloupe (3) Université des Antilles Guyane, Centre d'etude et de Recherche en Economie, Gestion, Modélisation et Informatique Appliquée, Campus de Schoelcher, 97275, Schoelcher, Martinique Correspondance : Gisele.Alexandre@antilles.inra.fr Résumé Construire les problématiques de recherches en les basant sur les réalités de l élevage tropical tout en tenant compte des contraintes des acteurs sont des objectifs poursuivis par l INRA-URZ aux Antilles. Toutefois, il apparait une grande distanciation entre résultats de recherche prometteurs et avancées du développement de la production animale, récemment mise en exergue par des professionnels de l élevage. Dès lors se posent les questions de transfert des innovations et plus largement des relations entre les différents partenaires engagés dans ce processus. C est souvent l équilibre entre les trois éléments de la Recherche-Formation-Développement (RFD) qui est questionné. Après avoir décliné la problématique de la zootechnie et des systèmes d élevage tropicaux, les auteurs (chercheur, enseignant ou chef de projet RFD) tentent de croiser leurs analyses afin de suggérer une autre posture de recherche plus adaptée au contexte de développement durable de l élevage. Une méthodologie est suggérée et une étude de cas est présentée. Plus qu un échange vertical, la démarche repose sur une mutualisation des savoirs et s articule sur 3 pôles en interaction étroite qui aboutit à un enrichissement mutuel. Un dispositif de recherche impliquée est développé dans le cadre d un projet RFD sur les systèmes polyculture-élevage en Guadeloupe. Il s appuie sur une approche systémique qui intègre les données disciplinaires de la recherche agronomique, ainsi que les logiques et acteurs du territoire par une approche participative pour la mise au point d éco-innovations dans le domaine de l élevage antillais. Les discussions portent sur les perspectives d amélioration de la synergie entre les rôles tenus par les acteurs de la RFD. Mots-clés : recherche-formation-développement, systèmes d élevage, polyculture-élevage, approche participative Abstract: For a new research approach on animal farming in the French West Indies The research issues of the INRA-URZ are based on the local conditions and constraints of the animal sector in the French West Indies. However, it appears a large distance between promising research results and advanced development of animal production, recently highlighted by livestock professionals. Therefore the methods of innovations transfer and also the relationships between the different partners involved through this process are questioned. We focus upon the Research - Education - Development (RED) continuum. The main methodology and a case study are highlighted. The studies must be based upon the systemic methodology and the participatory approach: more than a vertical exchange, the approach is based on the pooling of knowledge and is based on three clusters in close interaction that leads to mutual enrichment. The project of the participatory RED in Guadeloupe is focused upon mixed farming systems. It involves numerous local partners, ranging from agricultural technical advisors to farmers. In our regional context, we

200 G. Alexandre et al. aim to develop alternatives to specialised and intensified agricultural standards toward more sustainable farming systems. Discussions focus on the prospects for improving the synergy between the stakeholders of the RED approach. Keywords: Research - Education Development, livestock farming system, mixed farming-system, participatory approach. Introduction Les Carrefours de l Innovation Agronomique font connaître les projets et les résultats de recherche pour générer l innovation auprès des professionnels de l agriculture et des agriculteurs. Le Petit Larousse définit l'innovation comme étant "l'action d'innover, d'inventer du nouveau" (produit, technique, service, ). Il s agit de créer de la valeur, de s assurer de l appropriation optimale de cette nouveauté afin de provoquer le changement auprès des acteurs. Or, l organisation descendante de la production et de la vulgarisation des connaissances est depuis de nombreuses années remise en cause et singulièrement dans le domaine agricole. L analyse des expériences passées a amené chacun à poser la connaissance des réalités rurales et des systèmes de production en place comme préalables aux actions de développement; on parle alors de recherche-développement (Dufumier, 1996). Les activités d élevage, la production animale n échappent pas à ces considérations encore très vivaces de nos jours (Owen, 2004 ; Preston, 2008). C est souvent l équilibre entre les trois éléments de la Recherche-Formation-Développement (RFD) qui est questionné. Construire les problématiques de recherches en les basant sur les réalités de l élevage tropical tout en tenant compte des contraintes des acteurs sont des objectifs poursuivis par l INRA-URZ aux Antilles. Toutefois, il apparait une grande distanciation entre résultats de recherche prometteurs et avancées du développement de la production animale, récemment mise en exergue par des professionnels de l élevage (IKARE, 2011). Quelles sont les approches qui sous-tendent les actions de recherche et de transfert? Les auteurs (chercheur, enseignant ou chef de projet RFD) tentent de croiser leurs analyses afin de suggérer une autre posture de recherche plus adaptée au contexte de développement durable de l élevage tropical. 1. La recherche agronomique et la RFD Selon une analyse historique de Landais en 1986, la recherche agricole (R) a eu longtemps pour principal objectif l amélioration des techniques de production et c est pourquoi les chercheurs privilégiaient l expérimentation en milieu contrôlé. L analyse critique de l efficacité d une telle démarche vis-à-vis des exigences du développement agricole (D) a amené les chercheurs - dans des régions en voie de développement notamment - à reconnaitre que la R ne pouvait s élaborer sans se référer aux situations réelles qu elle cherche à transformer, la R se devait de devenir plus appliquée, plus opérationnelle pour le D. Partant du constat que l agriculture (l élevage) doit être appréhendée au niveau de l exploitation et aussi du territoire, les systèmes d exploitation et systèmes agraires ont été étudiés sous cet angle dans la région (Bory et al., 1985; de Reynal et al., 1995). Des méthodes et outils ont été proposés dans le monde tropical (Bory et al., 1985 ; Landais, 1986 ; Ruiz, 1994) afin d œuvrer pour une R&D plus efficace. En revanche aux Antilles, il est fait état de dysfonctionnements dans le modèle de développement de l élevage promu depuis des décennies (Delcombel, 2005). Cela peut être en partie dû à une remise en question des relations entre le monde de la recherche et celui du développement, qui a par exemple été récemment mis en exergue dans la politique génétique caprine en Guadeloupe par Alexandre et al. (2008). Cependant, cette situation de crise de confiance entre la R et le D n est pas l apanage de nos seules sociétés antillaises, puisque Castellanet et Guerra (2005) au Brésil ou Roux et al. (2006) en Afrique du Sud, évoquent des relations 208 Innovations Agronomiques 16 (2011),

201 Une nouvelle approche de la recherche sur l élevage conflictuelles ou de réelles scissions socioculturelles dans la R&D : l efficacité des interrelations entre les éléments de la RFD y est soulignée. Alexandre et Angeon (2010) ont suggéré des conditions de mise en place des dynamiques d apprentissage, telle que la capacité d accès des agriculteurs aux informations (qui suppose la présence d un médiateur pour faciliter la compréhension et la mise en application des connaissances et des savoirs), ou encore la constitution d une organisation collective (plus efficace qu au niveau individuel). Or la dimension collective de l apprentissage des acteurs requiert leur adhésion aux nouveaux savoirs dont ils reconnaissent l intérêt et qu ils tiendront pour légitimes. Des experts internationaux de transfert de technologies agricoles (IAASTD-UNESCO, 2008), mobilisés sur les questions de développement durable (Gerber et al., 2010) ou de résorption de la pauvreté (Owen et al., 2004) n ont de cesse de souligner la nécessité d une approche transdisciplinaire, multi-acteurs et pluriinstitutionnelle rattachée aux réalités des agriculteurs. Aussi, les programmes de R, les offres de F ou les projets de D rural doivent intégrer dans leur objet la complexité des activités agricoles. Dans le domaine de l élevage tropical, c'est un projet original à l'interface entre les sciences du vivant et celles de la société, qu'il convient de construire en rupture avec les logiques cloisonnées et sectorielles. La zootechnie peut-elle être cette discipline hybride? Les recherches en zootechnie tropicale peuvent-elles être construites sur une nouvelle base? 2. Les activités et les sciences liées à l élevage en zone tropicale 2.1. L élevage et la zootechnie L'élevage est une activité universelle mais qui varie d'une région à l'autre : les conditions agro-climatiques et les contextes socio-économiques (dont les éléments humains et culturels) génèrent une grande diversité de situations. Dans les sociétés industrialisées, l'élevage s'est progressivement réduit aux seules fonctions productives. Dans les sociétés paysannes traditionnelles, toutes les autres fonctions ont gardé leur importance (Lhoste et al., 1993). Selon Landais et Bonnemaire (1996), respectivement chercheur et formateur en zootechnie, la dialectique entre la connaissance et l'action, entre l'analyse et la synthèse, entre le fondamental et le finalisé a toujours rythmé l'histoire de la zootechnie. Historiquement, la zootechnie est une discipline de synthèse et d'application, qui emprunte à d'autres sciences les connaissances dont elle a besoin. De plus, une certaine filiation unit la zootechnie à l économie rurale puisque l'objectif ultime est de désigner aux éleveurs les combinaisons de techniques à forte productivité. Le terme de «doctrine» a même été employé pour décrire le projet de la zootechnie classique directement tourné vers le développement des productions animales. L évolution de cette doctrine (Landais et Bonnemaire, 1996) a suscité des recherches nouvelles et de nouvelles disciplines finalisées telles que l étude des systèmes d élevage, comme c est le cas en zones tropicales (Landais, 1986 ; Lhoste et al., 1993 ; Dedieu et al., 2011). Et ainsi ont progressé les connaissances (et les méthodes d étude) par ces va-et-vient entre recherche et formation. Dans ce texte fondateur, Landais et Bonnemaire (1996) proposent une vision renouvelée du rôle de la science dans la société, qui contribue à remettre en cause la séparation traditionnelle des tâches entre R, F et D. Ils aboutissent à une conception élargie de la zootechnie et des métiers exercés par les zootechniciens. Leur analyse, n est pas uniquement centrée sur les caractéristiques des connaissances produites, mais demande de considérer aussi les acteurs concernés, leur insertion institutionnelle et leurs stratégies d'utilisation de la connaissance. La zootechnie se présente comme un projet de synthèse scientifique à visée pratique. Le concept du système d élevage propose une grille de lecture et une démarche qui va encore au-delà. Innovations Agronomiques 16 (2011),

202 G. Alexandre et al Les systèmes d élevage tropicaux Selon Dedieu et al. (2008), le concept des systèmes d élevage (SE) s est imposé comme un moyen de rendre compte de résistances à l adoption de techniques d intensification fourragère et animale proposées dans un schéma descendant partant de la recherche vers l agriculteur. Le terme est ainsi évoqué d abord dans les zones marginales françaises et en Afrique. Depuis, le concept permet de comprendre et d analyser les performances animales en milieu paysan (la connaissance s acquiert in situ). Cette conceptualisation propose une nouvelle vision qui considère comme étroitement liés au sein d un système complexe à la fois l activité humaine croisée à des fonctionnements biotechniques de l unité de production animale. Les SE sont tout à la fois un concept et un objet de R&D. En effet l agriculture, dont les activités d élevage est au cœur des débats sur la capacité de l agriculture à répondre aux défis globaux d alimentation, de limitation des gaz à effet de serre et de la consommation d énergie fossile et enfin de préservation de la biodiversité (cf. revue de Dedieu et al., 2011). Mais l élevage est aussi un acteur essentiel du développement de nombreux territoires ruraux, parce qu il participe à l utilisation des espaces agricoles et façonne les paysages et aussi parce qu il marque les cultures humaines, les dynamiques économiques et sociales par les multiples fonctions (productives ou non) qu il remplit auprès des sociétés rurales. Les spécificités des SE tropicaux ont été récemment décrites (Dedieu et al., 2011). L animal, en tant que capital familial, source d épargne, de revenus, et comme facteur de production (animale, de travail, de fumure) constitue un bien précieux. Ces caractéristiques générales masquent une diversité des situations, à l échelle des grandes régions tropicales, et aussi au niveau plus local, où sont différenciés plusieurs types de SE, selon leurs structures, leurs objectifs ou leur fonctionnement. Aux Antilles, d autres critères ont été mis en évidence dans les élevages tant porcins que de ruminants (Zebus et al., 2005 ; Diman et al., 2006 ; Alexandre et al., 2008). L opposition entre filières patrimoniale vs. productiviste structure la diversité des systèmes en Guadeloupe : se différencient un élevage à fonction sociale (d emploi de main-d œuvre dans un département à chômage endémique) ou pratique d intégration agroécologique (valorisation des sousproduits agricoles et production de fumier), d un élevage construit sur le modèle européen plus spécialisé visant une productivité animale élevée. Alors, comment construire un projet de R&D sur un objet aussi variable? Mais plus que les thématiques de recherche elles-mêmes, c est aussi le fondement de leur construction qu il convient de réinterroger. 3. Pour une nouvelle posture de recherche dans la RFD Les méthodes d approche (analytique vs. systémique) et les objets de recherche (développement durable, agricultures familiales, ) se sont quelque peu modifiés au cours des dernières décennies (du changement d échelle par filière au développement des systèmes paysans ; Faure et al., 2010). L UNESCO, dans son programme IAASTD (2008), souligne l importance des «connaissances traditionnelles et locales et innovations à base communautaire» comme partie prenante incontournable des processus d accumulation des connaissances, sciences et technologies agricoles. La formation supérieure (et partant la formation technique, voire les capacitations par transfert) constitue une des clefs d appropriation des connaissances nécessaire à la reproduction élargie de la démarche R&D. Par sa fonction d accumulation, de synthèse et de systématisation tant des résultats que des méthodologies, la F du RFD permet l appropriation de la démarche par les partenaires et sa reproductibilité dans le temps et l espace. Cette analyse critique de la RFD apparait être encore d actualité singulièrement dans les pays en développement qui structurellement (et/ou politiquement) souffrent d insuffisances de moyens d accumulation de connaissances scientifiques. 210 Innovations Agronomiques 16 (2011),

203 Une nouvelle approche de la recherche sur l élevage Dans les conditions antillaises, il ne peut être fait état d une pénurie de connaissances. Or, de nombreux auteurs (Delcombel, 2005 ; Alexandre et al., 2009 ; Angeon et al., 2010a ; Stark et al., 2010) font encore le constat d un dysfonctionnement dans les interrelations RFD. Dans un contexte de crise où une dynamique endogène est à impulser, il s agit de reconnaître l échelon local comme pertinent pour concevoir et implémenter des actions (Fernandes et al., 2009). Il convient aussi de promouvoir une posture originale de recherche (Angeon et al., 2009) en lien avec la formation et l action de développement où Il s agit de rompre avec une vision descendante et cloisonnée de la RFD Une nouvelle posture de recherche à promouvoir Faisant état de problèmes complexes, les sciences biotechniques et sociales (auxquelles se rapporte le SE) nécessitent des éclairages et des approches pluridisciplinaires différents, impliquent des jeux d acteurs (ceux de la RFD) articulant des référentiels, des compétences et des savoir-faire distincts. Sur le plan scientifique, la seule connaissance de l expert, qui n est pas neutre, ne suffit pas pour orienter l action (Theys et al., 1991 ; Callon et al., 2001). Sur le plan social, la pluralité des acteurs, des représentations et des intérêts multiplie les niveaux et les échelles décisionnels. Cette multiplicité et cette complexité doivent générer une plus grande implication des acteurs parties prenantes dans ces processus, un plus grand engagement de leur part dans la conduite et la pérennité des actions, un partage des responsabilités. Cette nouvelle méthodologie de travail nécessite un cadre partenarial dont les acteurs collaborent à coconstruire le programme d actions. Les retombées d un tel dispositif de recherche impliquée qui s appuie sur et se nourrit à la fois de la formation et des actions de développement sont plus que la somme des trois pôles. Plus qu une démarche de recherche appliquée, il s agit non seulement d alimenter des réflexions au regard des enjeux sociétaux mais aussi de produire des résultats concrets pour la profession en associant les acteurs parties prenantes au dispositif de recherche impliquée. Ainsi, plus qu un échange vertical, la démarche repose sur une mutualisation des savoirs et s articule sur trois pôles en interaction étroite (Angeon et al., 2009) qui aboutit à un enrichissement mutuel. Il n existe pas de hiérarchie entre les trois axes : la recherche peut être le support du développement et ce dernier peut interroger pertinemment la recherche et être ainsi catalyseur d innovation scientifique. La mise en œuvre des actions de D diminue voire annule les écarts entre savoirs théoriques et pratiques. Le monde du D sollicite celui de l enseignement, en stimulant l acquisition et le transfert de connaissances. Il élargit l offre et les contours de la F qui ne tiennent alors plus seulement dans le seul apprentissage de savoirs techniques mais aussi dans l acquisition de compétences «relationnelles» et «actionnelles». La F peut elle aussi dynamiser la R et la D en servant de support à l un et à l autre, voire de relais. Tel que présenté, le triptyque RFD relève d une construction, d une posture indispensables pour appréhender les problématiques du développement durable et des sciences agro écologiques. L étude de cas suivante s y rattache et en illustre la démarche 3.2. Etude de cas en Guadeloupe: le projet RFD en Polyculture-Elevage La présente étude de cas concerne un projet de partenariat RFD conduit en Guadeloupe sur l intégration des systèmes polyculture-élevage (SPE) en tant qu alternatives à la spécialisation et à l intensification des productions. La réalisation de ce nouveau défi pour l agriculture guadeloupéenne n est possible que si des innovations d ordre agro-écologique sont construites et utilisées pour accompagner les pratiques agricoles. Ces éco-innovations doivent porter sur le système d exploitation agricole dans sa globalité. Il s agit dès lors de conduire des systèmes optimisant les synergies entre les productions et permettant ainsi de recréer des Innovations Agronomiques 16 (2011),

204 G. Alexandre et al. cycles agro-écologiques (Herrero et al., 2010). Pour y parvenir, il est nécessaire d adopter une démarche transversale et pluridisciplinaire en intégrant l ensemble des données disciplinaires de la recherche agronomique ainsi que les logiques de territoire. Ce projet qui réunit l'etablissement Public Local d'enseignement et de Formation Professionnelle Agricole de la Guadeloupe, la Chambre d'agriculture de la Guadeloupe et le Centre INRA Antilles Guyane a pour objectif de mettre à portée des exploitants, des enseignants et des apprenants, des modes de production agricole alternatifs d'intérêt régional (Stark et al., 2010a). Cette approche systémique intègre et associe toutes les données disciplinaires de la recherche agronomique, ainsi que les logiques et acteurs du territoire par une approche participative (Devendra, 2007 ; Angeon et al., 2009), pour la mise au point et l'évaluation de systèmes de production et d'organisation, d itinéraires techniques innovants qui concilient performances économiques, environnementales et sociales dans une optique d'agriculture durable (Stark et al., 2010b). Au regard d une part de la complexité de l objet d étude et d autre part de l enjeu en termes de développement agricole, la démarche RFD mise en place prend tout son sens. Le premier élément à l origine d une telle démarche est sans aucun doute la rencontre entre une volonté de changement et une intention de recherche : il s agit en effet d une recherche qui vise à la fois la production de connaissances nouvelles, la résolution d un problème identifié par les acteurs et le renforcement des capacités de ces acteurs pour une plus grande autonomie (Sellamna, 2000 ; Faure et al., 2010). Il s'agit de travailler sur des situations réelles, dans une perspective d'aide à la décision et à l'organisation et de tirer des leçons à partir des pratiques paysannes mêmes. Dans le cadre du projet «polyculture-élevage», l on retrouve en effet la recherche ayant à souhait de transférer des résultats analytiques parcellaires et les confronter à la réalité, tout en produisant des connaissances de type systémique sur ces modèles complexes, à même d être source d innovations (Gonzales et al., 2011). Les acteurs de la F devront s appuyer sur des méthodes adéquates de médiation scientifique et de transfert d innovations (CRREF, 2011). Ils pourront en même temps être novateurs en s extrayant du spécifique pour un certain degré de généricité et suggérer de nouvelles règles d apprentissage. D un autre côté, les acteurs du développement sont demandeurs de schémas locaux à même de faire évoluer leurs pratiques et de s émanciper du modèle de développement dominant. En rupture avec une approche diffusionniste mais surtout avec un schéma de production productiviste et polluant, les exploitations agricoles doivent aujourd hui avoir des niveaux de production élevés et une rentabilité économique tout en diminuant les effets néfastes pour l environnement (Dedieu et al., 2011 ; Ozier-Lafontaine et al., 2011). Le projet actuel mené à partir d enquêtes de terrain, d analyses empiriques, d expérimentations in situ et d élaborations de systèmes pilote en station (Stark et al., 2011), vise à fournir les outils d aide à la décision, des référentiels technico-économiques et des schémas de production pragmatiques. Plus que tout (un objet en commun et des objectifs partagés), ce qui importe c est le travail conjoint des chercheurs et acteurs de terrain qui participent à l ensemble du processus : de la définition de la problématique, en passant par la conduite des travaux in situ et pour aboutir finalement à la diffusion des résultats (Chia et al., 2010). Les différents acteurs partagent la prise de décision et construisent conjointement des dispositifs de gouvernance et les dispositifs opérationnels du projet RFD (Figure 1; Stark et al., 2011). Enfin, la mobilisation de ressources différentes n est pas possible sans un cadre éthique négocié et accepté par tous : une reconnaissance des compétences et missions des acteurs à même de valider et légitimer le collectif mis en place. Les partenaires s attachent à développer un langage commun basé sur leurs différents savoirs empiriques, techniques, scientifiques ou institutionnels, afin, comme le recommandent Faure et al. (2010) de contribuer à la transformation de la réalité et au processus d apprentissage. 212 Innovations Agronomiques 16 (2011),

205 Une nouvelle approche de la recherche sur l élevage Figure 1 : Répartition opérationnelle des missions des partenaires du projet RFD «Polyculture-élevage» en Guadeloupe. Ce projet RFD est ainsi novateur en Guadeloupe car il permet d apporter une cohésion au niveau de la communauté des chercheurs, des professionnels et des apprenants (savoir travailler ensemble). L interface RFD joue le rôle de «modérateur», n ayant pas de parti pris avec les organismes existants, cela permet de favoriser le compromis entre les acteurs en fonction d objectifs et de priorités validés de manière commune. Partant des conclusions de Fernandes et al. (2009) travaillant sur les éco-innovations en Martinique ou de IKARE (2011) sur l élevage Antillo-Guyanais ou plus largement de Gonzalez et al. (2011) sur les systèmes polyculture-élevage dans la Caraïbe, cette démarche RFD pourrait prendre toute son ampleur dans la zone Caribéenne. 4. Perspectives - Conclusions L amélioration des méthodes de transmission des innovations nécessite de passer outre les sources d information et de vulgarisation diligentées par les services institutionnels ou de revisiter les méthodes de médiation scientifique. Tirer partie des connaissances patrimoniales ou empiriques des populations rurales, encourager la diffusion des innovations élaborées in situ par les paysans eux-mêmes, est reconnu comme très efficace dans le monde tropical et leur confère une part de pouvoir et leur permet de (re)trouver une place centrale. De nombreux exemples sont reportés dans la littérature spécialisée de formationdéveloppement et précisément dans l agriculture tropicale, telle que le Farmer s Field School au Kenya (Minjauw et al., 2004), en Inde (Rahman, 2007) ou au Vietnam (Thai Thi Minh et al., 2010). Cette méthode est un véritable acte de développement et aussi de capacitation des agriculteurs (Van de Fliert et al., 2007) et permet de les faire reconnaitre à un plan d égalité avec les expérimentateurs (Katanga et al., 2007). Néanmoins, il faut reconnaître que la méthode d approche participative est plus difficile à mettre en œuvre avec des éleveurs en conditions tropicales (Conroy et al., 2002 ; Morton et al., 2002 ; Apantaku, 2006), où les petites unités de production et la multifonctionnalité prédominent et ne permettent pas de respecter des normes de conduite expérimentale (effectif, répétition, nature et suivis des indicateurs). Les dispositifs expérimentaux se doivent donc d être novateurs (approche sociologique, analyse statistique, ). Pour le plaidoyer qui nous importe dans ce texte, à savoir la synergie entre les rôles tenus par les acteurs de la R, de la F et de ceux du D, on s appuiera tout particulièrement sur une qualité particulière de l'approche systémique considérée comme un «savoir-être». Qu il soit, chercheur, formateur ou développeur, l acteur n est pas isolé dans sa fonction, il reste un citoyen rattaché à la société et il interroge sa mission au regard des enjeux sociétaux, environnementaux et économiques (Angeon et al., 2009 ; Faure Innovations Agronomiques 16 (2011),

206 G. Alexandre et al. et al., 2010). Preston (2008) inclue la nécessité du développement des ressources humaines; chercheur, formateur et agriculteur tout à la fois, il suggère fortement de vivre l expérience dans sa ferme-pilote familiale plutôt que, sensu stricto, d expérimenter puis promouvoir. Edgar Morin (1997), père fondateur de la systémique, soulignant le cloisonnement des connaissances dans l'enseignement scolaire a appelé à une réforme de la pensée à intégrer au niveau de l éducation. L élevage, tout à la fois activités humaines et phénomènes biotechniques y trouve donc sa place (même modeste). Notre propos est de promouvoir les SET, particulièrement les systèmes polyculture-élevage, considérés à la fois comme un support de connaissances et une méthode d étude. Ceci permettrait une ouverture aux contextes environnemental et socio-culturel de l apprenant, c est un défi que le zootechnicien chercheur, formateur, développeur ou éleveur peut relever. L innovation a contrario de l invention, se construit sur le terrain, par les praticiens cherchant à améliorer leurs pratiques ou à résoudre des problèmes (Faure et al., 2010). Aussi, la pragmatique doit avoir ses lettres de noblesse au niveau de cette nouvelle démarche de la recherche. Le vocable " pragmatique ", employé ici, suggère la mise en valeur des acteurs, de l action et de leur intentionnalité, afin d éviter les écueils d une approche descendante et aussi tenter de tirer partie des savoir-faire paysans. Références bibliographiques Alexandre G., Asselin de Beauville S., Shitalou E., Zebus M.F., An overview of the goat meat sector in Guadeloupe: conditions of production, consumer preferences, cultural functions and economic implications. Livestock Research for Rural Development 20, #14. Alexandre G., Ribal-Rilos M., Navès M., Mandonnet N., Le choix de la race pour les systèmes caprins en Guadeloupe, entre choix techniques et débat sociétal. Ethnozootechnie 85, Alexandre G., Angeon V., Schémas de pensées et projets collectifs autour des races locales: cas du cabri Créole aux Antilles. Ethnozootechnie 87, Angeon V., Lardon S., LeBlanc P., Les enseignements d une posture de recherche formation action en matière d aménagement du territoire et de développement local. 46è colloque de l ASRDLF, Clermont- Ferrand, 6-8 Juillet Angeon V., Magdalou B., Célimène F., Logossah K., Coopération au sein de l'élevage de bovidés à la Martinique. 47è colloque de l ASRDLF, Aoste, Septembre, Apantaku S.O., Analysis of participation of farmers in participatory poultry production research in Nigeria. Livestock Research for Rural Development, 18, #94. Bory A., de Reynal V., Rozas F., Systèmes de production caribéens et alternatives de développement. Colloque 9-11Mai, 1985, Fouilliole, Martinique, UAG/DAC, 735 p. Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris, Le Seuil (collection "La couleur des idées"), 358 p. Castellanet C., Guerra G., Chercheurs et leaders paysans engagés dans la recherche action: une coopération conflictuelle. Cahiers Agricultures 14, Chia E., Verspieren M.R., Coproduction des innovations et émancipation des acteurs : le cas de la recherche-action en partenariat. Actes du symposium ISDA 2010, Montpellier 28 juin-1 juillet 2010, 11 p. Conroy C., Thakur Y., Vadher M., The efficacy of participatory development of technologies: experiences with resource-poor goat-keepers in India. Livestock Research for Rural Development Innovations Agronomiques 16 (2011),

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208 G. Alexandre et al. Minjauw B., Muriuki H.G., Romney D., Development of farmer field School methodology for smallholder dairy farmers in Kenya. In: E. Owen et al., (Ed.) Responding to the livestock revolution: the role of globalisation and implications for poverty alleviation, BSAS Publication.33, pp Morin E., Vers une évolution transdisciplinaire de l'université. In Congrès International Quelle Université pour demain?, Locarno, Suisse, 30 Avril-2 Mai 1997 Morton J., Adolph B., Ashley, S., Romney D., Conceptual, methodological and institutional issues in participatory livestock production research. Livestock Research for Rural Development. vol. 14, 4 Owen E., Smith T., Steele M.A., Anderson S., Duncan A.J., Herrero M., Leaver J.D., Reynolds C.K., Richards J.I., Ku-Vera J.C (dir) Responding to the livestock revolution: the role of globalisation and implications for poverty alleviation, BSAS Publication 33, 370 p. Preston R., Future trends of animal production in the World food, feed and fuel crises. In : Preston R., Van Thu Proc N. (Eds.), Cantho University, Vietnam, 25-27/11/2008; Rahman S., Adoption of improved technologies by the pig farmers of Aizawl district of Mizoram, India. Livestock Research for Rural Development. 19, #5. Roux D., Rogers, K., Biggs, H., Ashton P. Sergeant A., Moving from unidirectional knowledge transfer to knowledge interfacing and sharing, Ecology & Society 11, Ruiz M.E. (dir), Animal production systems research: methodological and analytical guidelines, IICA, RISPAL, San-José, Costa-Rica, 289 p. Sellamna N.E Du rapid rural appraisal au participatory learning and action: la participation a-t-elle besoin d'un paradigme scientifique. In : Delville P.L., Sellamna N.E., Marthieu M. (Eds). Les enquêtes participatives en débat: ambition, pratiques et enjeux. pp Stark F., Alexandre R., Diman C., Fanchone A., Alexandre G., Diman J.L., Intégration au sein des systèmes polyculture élevage en Guadeloupe : 1ère caractérisation. 3R, Paris, Dec. 2010, 17, Stark F., Alexandre R., Diman J.L., Alexandre G., A participatory approach in agricultural development. Advances in Animal Biosciences 1, Stark F., Diman J.L., Alexandre R., Diman C., Alexandre G., Cadre conceptuel d un projet de développement agricole portant sur les systèmes polyculture-élevage en Guadeloupe. 47 e Congrès ASRDLF, Schoelcher, Martinique, Juillet 2011, 10 p. Theys J., Liber V., Palacios M.P., Environnement, science et politique. Les experts sont formels, Association Germes, Transfaire. Thai Thi Minh, Schou Larsen C.E., Neef A., Challenges to institutionalizing participatory extension: the case of farmer livestock schools in Vietnam. Journal of Agric. Educ. Extension.16, Van de Fliert E., Ngo Tien Dung, Henrikse O., Tang Dalsgaard J.P., Collective decision-making and action: Farmer field schools in Vietnam. Journal of Agric. Educ. Extension.13, Zébus M.F., Alexandre G., Diman J.L., Paul J.L., Despois E., Phaëton E., Diversité des élevages porcins en Guadeloupe, 1ère évaluation technico-économique. JRP 37, Innovations Agronomiques 16 (2011),

209 Innovations Agronomiques 16 (2011), De la nécessité d une agriculture innovante dans les départements français d Amérique Angeon V. Ceregmia, UAG, Campus universitaire de Schœlcher BP Schœlcher Cedex (Martinique) Correspondance : valerie.angeon@martinique.univ-ag.fr Résumé Les changements globaux seront sans conteste l un des événements les plus marquants du XXI ème siècle invitant à des transformations substantielles du monde agricole. Celles-ci concernent aussi bien les modes de produire que les choix des cultures à privilégier. Cet article entend apporter sa contribution au débat sur l agriculture dans la Caraïbe, petites économies insulaires fortement exposées aux changements globaux. Une conception renouvelée de l agriculture interroge ses potentialités de mitigation et d adaptation. Elle repose sur un jeu d acteurs «compétents», capables d organisation collective locale et de futurité. Prenant pour exemple les départements français d Amérique, il s agit alors d analyser dans quelle mesure l agriculture peut être considérée non plus comme un facteur de vulnérabilité mais de résilience dans ces territoires spécifiques. Mots-clés : agriculture, milieu insulaire tropical, changements globaux, vulnérabilité, résilience, développement territorial durable Abstract Global changes will undoubtedly be one of the most significant events of the 21 st century that calls for substantial transformations in the agricultural world. These mutations impact production methods and crop choices. This article intends to renew the debate on agriculture in the Caribbean small island economies that are highly exposed to global changes. A renewed conceptualization of the agricultural sector underlines its potentiality of mitigation and adaptation. It highlights the role of competent actors that are able to be collectively organized and turned to the future. Taking the French overseas departments as an instance, we analyzed to what extent agriculture can be regarded as a resilience factor rather than a vulnerability one. Keywords: agriculture, island tropical space, global changes, vulnerability, resilience, sustainable and territorial development Introduction Les changements globaux seront sans conteste l un des événements les plus marquants du XXIe siècle. Ils décrivent les évolutions climatiques et autres perturbations d origine anthropique dont les effets s articulent et dépassent les aires d émission, par exemple : les pressions directes (formes diverses de pollution), les modes et les pratiques de gestion des ressources naturelles (prélèvements et rejets), des terres (migration de populations du fait des usages concurrents des terres affectant la disponibilité et l accès au foncier), l interdépendance croissante et la libéralisation des marchés mondiaux impliquant notamment des problèmes de sécurisation de la production et des approvisionnements.

210 V. Angeon Fortement soumis aux changements globaux, la nécessité de formuler des voies pertinentes de réponse pour une conception renouvelée de l agriculture se pose avec une acuité certaine dans les petits territoires insulaires. Ces réponses devront respecter les principes d une «agriculture intelligente», telle que préconisée par la FAO (2010). «L agriculture intelligente [face au climat] augmente la productivité et la résilience (adaptation) des cultures de manière durable et réduit / élimine les gaz à effet de serre (atténuation). Elle améliore la sécurité alimentaire nationale et contribue à la réalisation des objectifs du développement» (FAO, 2010). Au regard des exigences réglementaires, sociétales et des engagements internationaux pris, ces mesures de renouvellement passent indéniablement par le respect d une agriculture durable. Exemples illustratifs de petites économies insulaires (PEI), la réflexion menée dans cet article porte sur les départements français d Amérique (DFA) 1. Les faits prévisibles les plus marquants auxquels ces espaces insulaires seront confrontés sont les suivants : - Les impératifs de structuration des marchés seront plus criants. L augmentation générale de la population et de ses besoins (quantitatifs et qualitatifs) créera à terme un désajustement plus prononcé de l offre et de la demande de produits agricoles. Des modes de gestion efficace des systèmes de production et des filières agricoles devront s accompagner de mécanismes de régulation des marchés et de dispositifs d action publiques appropriés. - L'augmentation prévue de la population et son urbanisation, les changements climatiques attendus, les différents niveaux de pollution réduiront la disponibilité des terres cultivées (élévation du prix du foncier, mitage des espaces ruraux) et de la main d œuvre pour les activités agricoles. Ces effets seront encore accentués par des demandes croissantes de ces supports et facteurs de production dans des secteurs concurrents (non agricoles). - La remise en cause du modèle productiviste qui a entre autres conduit à une dénaturation des actifs naturels (appauvrissement des sols, dégradation des ressources) et la violence des risques majeurs qui affectent les écosystèmes et les rendent moins performants (raréfaction des ressources, perte de biodiversité) plaident en faveur de l adoption de pratiques de durabilité qui devront se décliner à la fois dans les modes de produire et de consommer. L appropriation et la diffusion de ces pratiques pourra s effectuer à travers des actions innovantes développées à l échelle des exploitations agricoles mais pourra aussi s exprimer à travers une conception renouvelée des filières elles-mêmes. Dans ces conditions, le maintien à l identique des configurations productives existantes ne peut être envisagé. Nous avançons en effet que face aux changements globaux, les orientations productives actuelles s avéreront inefficientes car trop coûteuses - au regard des enjeux économiques, sociaux et environnementaux - voire techniquement impossibles et non soutenables. Si l exigüité des espaces étudiés rend non pertinente la relocalisation des activités productives sur le territoire, elle rend en revanche inévitable l évolution des choix de cultures et des modes de produire. Quels sont alors les leviers techniques, organisationnels, institutionnels à activer pour infléchir les pratiques actuelles et augmenter la résilience des systèmes de production agricole? Aussi, après avoir présenté en quoi les PEI sont particulièrement exposées aux changements globaux, nous nous interrogerons sur la capacité de l agriculture à enrayer leur vulnérabilité. Nous analyserons alors les forces motrices et les freins à la mise en place de tels processus dans les DFA. Ces territoires présentent la particularité de concentrer les mutations planétaires en cours sur des échelles spatiales 1 Comme d autres entités de l isthme centro-américain (Belize) ou du continent sud-américain (Suriname, Guyana), la Guyane française est classiquement assimilée à une PEI au regard des particularismes qu elle partage avec les petites îles : éloignement, dépendance extérieure, fort degré d exposition aux aléas naturels, population de petite taille, fragilité écosystémique, etc. On notera que Belize, le Suriname et le Guyana sont membres de l alliance des petits Etats insulaires (AOSIS : Alliance Of Small Island States). 218 Innovations Agronomiques 16 (2011),

211 Contexte et enjeux de l agriculture aux Antilles et en Guyane (i.e. petite dimension) et temporelles (i.e. rapidité d évolution des phénomènes) concises. Ils constituent de ce point de vue un véritable laboratoire d analyse de ces évolutions. 1. Les petites économies insulaires (PEI) face aux changements globaux Si les changements globaux frappent la planète dans son ensemble, ils affectent diversement les différentes régions du monde. Le constat d inégalités spatiales croissantes est frappant. Les modifications majeures engendrées tant par les activités humaines que par les événements naturels impliquent des mutations profondes quant à l usage des milieux. Ces évolutions peuvent être appréciées sous l effet des trois composantes que nous reconnaissons aux changements globaux : environnementale, économique et sociale. Dans cette section, nous mettrons l accent sur les PEI et rappellerons de quelle manière ces territoires sont affectés aujourd hui par les changements globaux. 1. Une exposition exacerbée des PEI aux changements globaux Depuis environ 40 ans, les travaux sur les PEI se multiplient avec la reconnaissance sur la scène internationale de leurs particularismes. L affirmation et la légitimation institutionnelle des PEI comme catégorie d analyse singulière prennent date lors de la conférence de Rio en 1992, considérant les PEI comme un «cas particulier pour l environnement et le développement». Les expertises internationales sont formelles et uniformément partagées : les PEI sont fortement exposées au changement climatique, sont économiquement vulnérables et connaissent une densité importante de population. Les PEI face au changement climatique Selon le GIEC (2007) 2, les régions où les impacts du changement climatique risquent d être les plus problématiques sont indéniablement : l Arctique, l Afrique et les petites îles. L augmentation du niveau des mers et parallèlement la diminution prévue de la ressource en eau (baisse du niveau des précipitations) seront les phénomènes repérables les plus préoccupants dans les PEI. En outre, l élévation des températures pourrait favoriser la colonisation des milieux naturels par des espèces invasives, diminuant ainsi leur degré d endémisme et concourant à une perte de la diversité génétique. Les effets du changement climatique se traduisent également par l augmentation d événements climatiques extrêmes. La fréquence des cyclones et des tempêtes ainsi que leur intensité en est une illustration dans les PEI tropicales. La période cyclonique a été particulièrement intense entre 1995 et 2000 et serait la conséquence directe d une intensité accrue du phénomène El niño. S agissant des PEI caribéennes, l augmentation certaine du niveau des mers modifiera sérieusement le tracé des lignes de côtes et mettra en péril les populations littorales. De même, la dégradation des récifs coralliens apparaît aujourd hui comme une perturbation majeure du changement climatique. Par ailleurs, les vagues de sécheresse et de chaleur en augmentant le stress hydrique concourront davantage à la dégradation de la ressource en eau aussi bien en quantité qu en qualité. Cette dépendance aux ressources naturelles et ce fort degré d exposition aux aléas climatiques participent de la vulnérabilité économique des PEI. La vulnérabilité économique des PEI Cette dimension de la vulnérabilité des PEI a particulièrement abondé la littérature. Immiscées sur la scène internationale depuis les années 70, au moment de leur vague d accession à l indépendance, les PEI s imposent comme une catégorie d analyse à part entière. Le porter à connaissance de leurs 2 Nous nous appuyons sur les apports robustes du GIEC au regard de l état des savoirs et des connaissances scientifiques actuelles. Les faits auxquels il est fait référence ici font l objet de certitudes radicales et constituent un référentiel scientifique solide. Innovations Agronomiques 16 (2011),

212 V. Angeon spécificités et la justification d éventuelles mesures dérogatoires à l égard des PEI appellent à la constitution d un appareillage solide de preuves empiriques. Une telle réflexion a été engagée lors de la conférence de la Barbade (1994) qui a acté la mise en place d indicateurs de vulnérabilité. Small islands developing States ( ) should continue to work on the development of vulnerability indices and other indicators that reflect the status of small islands developing States and integrate ecological fragility and economic vulnerability. Consideration should be given to how such an index, as well as relevant studies undertaken on small island developing States by other international institutions, might be used in addition to other statistical measures as quantitative indicators of fragility (General assembly BPoA, Barbados 1994, paragraphs 113 and 114). Depuis les années 90, une production croissante d indicateurs de vulnérabilité se développe. L enjeu est d élaborer un indice pertinent, applicable à tous les pays, révélant par un choix approprié de variables leurs principales sources d instabilité et de déterminer une méthode robuste d agrégation. Les contributions de Briguglio (1995), de l ONU (1998, 2008) et du secrétariat du Commonwealth (Atkins et al., 2000) comptent parmi les plus abouties même si leur principale faiblesse tient dans leur caractère mono-dimensionnel 3 (Angeon et Bates, 2011). L indicateur onusien (l EVI pour Economic Vulnerability Index) présente deux composantes reflétant, d une part, le degré d exposition à des chocs exogènes et, d autre part, l ampleur de ces chocs imprévus. Les variables décrivant l EVI sont ainsi regroupées en deux sous-indices composites. On retrouve pour l exposition structurelle aux chocs : un indice de dimension de la population, un indice d éloignement par rapport aux marchés mondiaux et un indice de faiblesse structurelle, lui-même moyenne de la part relative de la valeur ajoutée agricole dans le PIB et de la concentration des exportations. Pour ce qui concerne le calcul de l ampleur des chocs, l EVI retient l'instabilité des exportations de biens, l'instabilité moyenne de la production agricole et une variable de catastrophe naturelle (nombre de sans-abri après un choc naturel). Les composantes de l indicateur sont agrégées selon une moyenne arithmétique avec une pondération égale pour l ampleur des chocs subis et le degré d exposition. Figure 1. L indicateur de vulnérabilité économique de l ONU (2008). Source : United Nations, Dans la même mouture, l indicateur proposé par le Commonwealth (CVI pour Composite Vulnerability Index) regroupe trois catégories de variables jugées significatives : la dépendance vis-à-vis de l extérieur mesurée par le taux d exportation (les exportations rapportées au PIB), la diversification des activités économiques et l exposition aux risques naturels (mesurée par la proportion de la population affectée par les catastrophes naturelles). Cet indice composite comprend un indicateur d impact (qui 3 Seule la dimension économique de la vulnérabilité est expliquée. 220 Innovations Agronomiques 16 (2011),

213 Contexte et enjeux de l agriculture aux Antilles et en Guyane représente l incidence et l intensité du risque encouru) et un indicateur dit de résilience qui témoigne de la capacité d un pays à endiguer le choc exogène subi. La vulnérabilité économique est approximée par une variable de volatilité économique expliquée par un ensemble de facteurs économiques, environnementaux et géographiques. La régression linéaire multiple qui associe ces variables s écrit de la manière suivante : Volatilité économique = f (degré d exposition économique + éloignement et insularité + sensibilité aux événements et risques environnementaux + autres sources 4 ) Le calcul de l indicateur d impact de vulnérabilité est obtenu par la méthode des moindres carrés pondérés. Il correspond à la volatilité du revenu. L indicateur de résilience est approximé par le PIB suivant le raisonnement selon lequel cet agrégat serait une mesure relative de la capacité d un pays à mettre en œuvre des politiques de croissance et de développement malgré leurs handicaps. A partir d une analyse en composantes principales appliquée sur un échantillon de 111 pays, Atkins et al. (2000) déterminent la formule de la vulnérabilité économique 5 : =,, 100 Dans ses contributions originelles, Briguglio (1993, 1995) retenait trois variables clés (ou composantes i) pour rendre compte de la vulnérabilité économique : le degré d ouverture (agrégation des taux d importation et d exportation rapportés au PIB), les coûts de transport et de fret ainsi que l exposition aux risques naturels (mesurée par la part du PIB affectée aux dommages survenus). Un amendement récent de ses travaux (Briguglio, 2004 & 2009) amène l auteur à considérer des facteurs énergétiques dans la contribution à la vulnérabilité et à raisonner en termes de résilience. Les modalités de construction de cet indicateur, précisées dans l Encadré 1, constituent aujourd hui encore une référence majeure. Encadré 1. Modalités de construction d un indice synthétique de vulnérabilité selon Briguglio (1993) Vij = (Xij Min Xi) / (Max Xi Min Xi) avec : Vij : degré de vulnérabilité du pays j au regard de la variable i (indique le classement du pays) Xij : valeur de la variable i pour le pays j Min Xi et Max Xi représentent respectivement les valeurs minimale et maximale de la variable i. L indice de vulnérabilité Vij est compris entre 0 et 1. S il est proche de 0, la vulnérabilité est dite faible pour la composante considérée et inversement. L indice synthétique de vulnérabilité est construit par agrégation de toutes les composantes ou variables i. Ce n est toutefois pas tant la valeur de l indice en soi qui importe que la position relative des pays étudiés en termes de performance économique. Quels que soient l indicateur retenu et ses modalités de construction, les résultats font apparaître une vulnérabilité économique persistante des PEI, alors que celle-ci décline dans les autres pays en développement. Les caractéristiques clés des PEI (i.e. petite dimension, périphéricité, dépendance extérieure) jouent un rôle cumulatif dans la détermination structurelle de la vulnérabilité. Il apparaît en effet que les pays sont d'autant plus vulnérables qu'ils sont petits, que la structure de leur production (spécialisation agricole) encourage une forte concentration de leurs exportations et que leur distance aux marchés internationaux est élevée (Guillaumont, 2007). 4 Composante stochastique de la volatilité économique. 5 CVI : Composite Vulnerability Index (indicateur composite de vulnérabilité) ; VII : Vulnerability Impact Index (indicateur d impact de vulnérabilité) ; GDP : Gross Domestic Product (Produit Intérieur Brut, PIB). Innovations Agronomiques 16 (2011),

214 V. Angeon La composante sociale du changement global : une densité de population forte malgré une transition démographique achevée Les pays en développement ont variablement entamé (voire achevé) leur transition démographique. Ce processus linéaire décrit le passage d une population dont les taux de natalité et de mortalité sont élevés à une population pour lesquels ces taux sont faibles. C est d abord le taux de mortalité qui chute alors que se maintient le taux de natalité, ce qui explique une croissance rapide de la population. Dans la seconde phase de la transition, la natalité décroît, le rythme d accroissement de la population faiblit. La transition démographique est achevée lorsque les taux de mortalité et de natalité sont faibles, avec un risque de non renouvellement de la population. A ce stade, en l absence de flux migratoires, le taux d accroissement naturel peut être négatif, ce qui laisse présager d un vieillissement de la population. La durée des différentes phases de transition démographique varie dans l espace et dans le temps. La transition démographique a opéré en Europe à la fin du XVIIIe siècle. C est néanmoins beaucoup plus tardivement (à partir des années 50) et de manière séquentielle qu elle s est par exemple imposée dans la Caraïbe. Comptant plus de 260 millions d habitants en 2008, l espace caraïbe comprend l ensemble des entités géographiques bordées par la mer des Antilles : Petites et Grandes Antilles, Etats continentaux centroaméricains et latino-américains. Dans cette région du monde, la diversité prévaut sans doute davantage que l unité. L espace caraïbe apparaît en effet diversifié du point de vue des langues, des systèmes politiques, culturels, sociaux, démographiques etc. Les taux de natalité, mortalité, fécondité, l espérance de vie etc. divergent d un Etat à un autre. L hétérogénéité des situations traduit de nombreuses disparités socio-démographiques. Turbout (2009) distingue trois configurations socio-démographiques distinctes dans l espace caraïbe : - les Etats à transition précoce pour lesquels la transition démographique est aujourd hui achevée. Ces pays connaissent alors des évolutions démographiques comparables à celles des pays développés (mortalité faible, baisse de la fécondité, espérance de vie élevée, vieillissement de la population). Il s agit pour l essentiel de la petite Caraïbe insulaire (Barbade, Anguilla, Aruba, Antilles Néerlandaises, arc des Petites Antilles, à l exception de Cuba) ; - les Etats à transition classique amorcée au milieu du XXe siècle. Ces pays connaissent un taux de fécondité entre 2 et 3 enfants par femme, ce qui assure un renouvellement de la population. On retrouve dans cette catégorie des Etats continentaux pour la plupart (Mexique, Colombie, Venezuela, Panamá, Salvador) auxquels se rajoutent trois grandes territoires insulaires (République Dominicaine, Jamaïque, Trinidad & Tobago) ; - les Etats à transition tardive (Guatemala et Haïti) pour lesquels les indicateurs de fécondité et de natalité restent élevés, de même que la mortalité due à la vulnérabilité de la population aux pandémies et autres aléas naturels. Nous rappelons que ces espaces de petite dimension sont densément peuplés, ce qui se traduit par un excédent de main-d œuvre sur le marché du travail. Les flux migratoires ont permis (et permettent encore aujourd hui) des ajustements sur le marché du travail. Cette variable d appariement joue un rôle crucial dans ces économies dont la croissance, tirée par le facteur travail, reste économe en emplois. La productivité du travail dans ces régions réduit alors le potentiel de création d emplois (INSEE, 2007). Bien que les disparités démographiques soient importantes au sein de l espace caraïbe, les défis du XXIe siècle s exprimeront expressément dans la zone en termes de concentration de la population. Cela s explique par un niveau déjà relativement élevé de la population dans ces territoires exigus pour lesquels on prévoit dans l ensemble une hausse faible mais continue du nombre d habitants. Les conséquences d une telle densité humaine se traduiront dans des proportions bien plus importantes que dans bon nombre de pays développés, notamment par l exercice de pression sur les ressources terrestres cultivées ou non. 222 Innovations Agronomiques 16 (2011),

215 Contexte et enjeux de l agriculture aux Antilles et en Guyane Ces contraintes d espaces et de densité de population se rajoutent aux autres dimensions des changements globaux analysées antérieurement. Ces effets cumulés ont un impact non négligeable sur l activité agricole. 2. L impact des effets cumulés des changements globaux sur l agriculture des PEI Les changements globaux ont trait à la fois aux transformations de la biosphère et de la société. Accélérée dans la deuxième moitié du XXe siècle, cette dynamique de changement est porteuse de menaces. L un des secteurs d activité les plus sensibles à ces perturbations est l agriculture. On présente souvent les problèmes liés aux changements globaux comme une addition de phénomènes. En réalité, c est bien leur caractère cumulatif et systémique qui est en jeu. Le problème posé est celui de l empreinte écologique d une population en croissance dont les besoins de consommation augmentent dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles. La mise en correspondance des besoins et des ressources procède dès lors d une équation qui amène à repenser les rapports homme nature. L extension du mode de production capitaliste centré sur l augmentation des quantités produites, pourvoyeuses de richesse présente ainsi des répercussions sur l environnement qui s expriment en termes de prélèvements et de rejets. Comme l indique Griffon (2010), la colonisation de l espace par l espèce humaine se traduit par la dégradation des écosystèmes. Or, ceux-ci fournissent les conditions de reproduction des ressources naturelles. Les services écologiques rendus par la nature s en trouvent par rétroaction altérés (déboisement et érosion, baisse du potentiel de piégeage de carbone par les écosystèmes, diminution de la fertilité naturelle des sols, raréfaction de l eau, perte de biodiversité etc.). L artificialisation des milieux par surexploitation des ressources conduit à leur épuisement avec pour conséquence de nouvelles mutations quant à la géographie des populations et de la production agricole. Celles-ci pénaliseront davantage les territoires exigus, à forte densité de population soumis en outre à la montée des eaux marines. Partant de l observation selon laquelle les sociétés industrialisées et les prétentions au rattrapage des pays en développement exacerbent l épuisement des ressources, on conçoit aisément la subordination de l écologique à l économique. Or, dans un contexte où les conditions de reproduction des ressources naturelles sont altérées, les conditions de réalisation des modes de production et de consommation se détériorent également. L activité agricole est particulièrement illustrative de cet état de fait comme l énonçait Malthus (1820) selon lequel la fertilité du sol est un stimulant à la croissance continue de richesse et inversement 6. La récurrence des famines est liée en effet à la rareté de la terre (en quantité et qualité : saturation de l espace habité, extension de l urbanisation, sols moins fertiles etc.), des ressources (i.e. quantité et qualité des eaux disponibles) et des autres facteurs de production (limites techniques) qui amenuise les rendements. Ce plafonnement voire la baisse dans certains cas de la productivité et des rendements agricoles rendent difficile la sécurisation des marchés alimentaires. La régulation marchande de la rareté s effectue par un mécanisme d ajustement par les prix. La hausse des prix exclut certains agents des sphères de production et de consommation. Il en résulte une inégalité d accès aux ressources cultivées dont les effets de ségrégation sociale et spatiale sont patents. Dans bien des cas, pour limiter ces effets, des principes d intervention marchande sont ratifiés avec bien souvent un nivellement vers le bas du prix des biens agricoles (en-deçà de leur valeur marchande) qui 6 Le titre exact de la section IV du Livre II des Principes de Malthus (1820) est : «De la fertilité du sol, considéré comme stimulant à l accroissement continu de la richesse». Pour une analyse des apports de Malthus à l analyse des politiques agricoles internationales, on se rapportera à Pouch (2009). Innovations Agronomiques 16 (2011),

216 V. Angeon en réalité paupérisent les producteurs (Griffon, 2010). Ce schéma de désincitation productive pénalise la croissance. Ces explications d essence malthusienne 7 sur le caractère limité de la croissance du fait de la non extension des ressources naturelles en somme la subordination de l économique à l écologique trouvent également un écho dans des travaux d origine marxiste. Dans la philosophie marxiste, le développement capitaliste porte en lui les germes de sa propre destruction. La logique capitaliste s accommode de la disparition de pans entiers de populations (humaines ou non). La reproduction du capital ne signifie pas celle de la société et de la nature. En effet, de même que les travailleurs sont soumis au principe de substitution des facteurs de production bien que constitutifs de l essence même du système capitaliste 8, ils sont remplacés par du capital physique, ce principe s applique également aux ressources naturelles. Ainsi, les logiques de développement capitaliste tendent à négliger la reconstitution des conditions externes du cycle productif et demeurent compatibles avec le pillage de la nature. Cette vision pessimiste sur l avenir du capitalisme accrédite la thèse d une croissance stationnaire ou nulle et non durable (Vivien, 1994). Dans un tel contexte de croissance économique, d accroissement de la population et de paupérisation des sociétés humaines, les dynamiques de rapport entre l homme et la nature conduisent non seulement à une augmentation des prélèvements (et / ou des rejets) dans les écosystèmes mais aussi à une saturation des espaces habités. Ces interventions ont pour effet de diminuer les services rendus par la nature (dont la conservation de la biodiversité). Comme le souligne Griffon (2010), l activité agricole contribue à la perte de biodiversité dans la mesure où «elle «simplifie» les paysages en substituant un faible nombre d espèces cultivées aux espèces antérieures. Elle tend d ailleurs de plus en plus à en limiter le nombre, l alimentation humaine reposant principalement sur une dizaine d espèces végétales et animales». Une appréhension systémique de ces phénomènes joints est décrite dans la figure 2. Figure 2. Les effets domino des changements globaux Système économique Accumulation de richesse productive Conditions limitées de reproduction des ressources (prélèvement et rejet) Insécurité alimentaire Système écologique Epuisement des ressources naturelles Système social Croissance de la population Paupérisation des sociétés Saturation de l espace habité Diminution des services rendus par la nature 7 La loi de Malthus (1798) repose sur le fait que la population croît de manière géométrique contrairement à la production agricole qui suit une progression arithmétique. Par conséquent, l'augmentation de la population entraîne une demande supplémentaire en produits alimentaires à laquelle la production agricole ne peut faire face. 8 Les travailleurs fondent la plus-value qui est à l origine de l accumulation du capital. 224 Innovations Agronomiques 16 (2011),

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