1. Quand les évoquer?
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- Jérôme Larivière
- il y a 8 ans
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1 TOXICITE PULMONAIRE DES MEDICAMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS (IS) DANS LES MALADIES SYSTEMIQUES (à l exclusion des complications des greffes). Huguette Lioté, Jacques Cadranel, Charles Mayaud Service de pneumologie et réanimation Hôpital Tenon APHP, Paris huguette.liote@tnn.aphp.fr L apparition de manifestations respiratoires au cours d une maladie systémique traitée par IS doit systématiquement faire évoquer les pneumopathies médicamenteuses (PM) qui, méconnues, peuvent être fatales alors qu elles sont le plus souvent réversibles si elles sont suspectées et traitées tôt. Or, les alternatives diagnostiques sont nombreuses et il n existe pas de critère spécifique. Les PM restent donc un diagnostic d élimination reposant sur un faisceau d arguments (19). Nous allons tenter de répondre successivement aux questions que se pose le clinicien : - Quand les évoquer : chez quels patients? avec quels médicaments? devant quels tableaux radio-cliniques? devant quels profils cytologiques au LBA? - Quels diagnostics différentiels évoquer? - Quelle démarche diagnostique adopter? - Quelles sont les particularités des PM liées aux IS les plus prescrits? - Comment les prendre en charge? 1. Quand les évoquer? 1.1. Chez quels patients? Les PM liés aux IS sont pour la plupart dues à un mécanisme présumé d hypersensibilité. Il est possible qu il existe des facteurs génétiques facilitateurs mais ils demeurent inconnus en Le seul facteur de risque reconnu est la notion de manifestations respiratoires antérieures avec le même médicament ou un médicament apparenté. Quand, exceptionnellement avec les IS, le mécanisme invoqué est celui de toxicité directe, le risque dépend de la dose et de facteurs toxiques associés (oxygénothérapie, injection de produits de contraste, fibrose sous jacente). Ainsi, tout patient doit être considéré comme candidat potentiel à une PM Avec quels médicaments? Les principaux IS incriminés sont colligés dans le tableau I. Deux remarques doivent pondérer cette liste. Tous les médicaments mentionnés ne sont pas responsables de PM avec la même fréquence. Mais, pour la plupart d entre eux, la prévalence exacte reste inconnue, en l absence de données épidémiologiques précises. Cette liste n est pas exhaustive, elle s allonge constamment et il existe toujours un certain retard apporté à la reconnaissance de la responsabilité d un médicament. Mais le site mis à jour régulièrement, peut être consulté devant toute suspicion de PM. Ainsi, tout IS doit être considéré comme source potentielle de PM.
2 1.3. Devant quels tableaux anatomo-radio-cliniques? Les atteintes liées aux IS peuvent se localiser aux trois compartiments de l appareil respiratoire (tableau II): - le plus souvent elles sont parenchymateuses, responsables de pneumopathies infiltrantes diffuses (PID) dont les présentations cliniques seront rappelées brièvement dans ce chapitre, - elles sont plus rarement ( o pleurales o localisées aux vois aériennes à l origine de bronchospasmes et de bronchiolites o exceptionnellement, vasculaires responsables d HTAP ou de vascularite, voire d atteintes neuro-musculaires à retentissement respiratoire. Tableau II : Atteinte des différents compartiments de l appareil respiratoire attribués aux IS (les détails sont précisés dans l étude analytique des différents médicaments) PID DAD NSIP UIP PO Plèvre Voies aériennes Méthotrexate /- Vaisseaux Léflunomide Anti-TNF α / éosino + +/- Anti-CD /- +/- ++ +/- Sirolimus /- DAD : Dommage alvéolaire diffus, NSIP : «non specific interstitial pneumonia», UIP : «usual interstitial pneumonia», PO : Pneumopathie organisée Il existe une grande variété de tableaux cliniques de PID que l on peut schématiquement classer sous 3 rubriques : PID suraiguës, PID aigues ou sub-aigues, PID chroniques PID suraiguës : Elles se constituent en quelques heures à quelques jours. Leur début est souvent fébrile avec algies diffuses puis elles évoluent vers une insuffisance respiratoire aigue. L imagerie met en évidence des opacités en verre dépoli et des condensations d abord multifocales puis extensives diffuses. Elles sont dues à des lésions majeures de la membrane alvéolo-capillaire. Elles correspondent au dommage alvéolaire diffus (DAD, fig. ci-dessous) et/ou aux hémorragies intraalvéolaires (HIA) de la nouvelle classification histo-radiologique des PID de l ATS-ERS (12).
3 PID aigues et subaiguës : Constituées en quelques jours à plus d un mois, elles se caractérisent par une toux, une dyspnée, des râles crépitants, des opacités en verre dépoli multifocales voire des condensations alvéolaires en foyer ou macro nodulaires. Les manifestations fonctionnelles vont de la simple altération du gradient alvéolo-artériel en O2 à l effort ou au repos à la chute de la KCO voire à un syndrome restrictif, en fonction de la gravité. Ces formes correspondent le plus souvent aux pneumopathies interstitielles non spécifiques (PINS, NSIP des anglosaxons, fig.de gauche) et aux pneumopathies organisées (PO, fig.de droite) (classification ATS-ERS). PID chroniques : Constituées sur plusieurs mois, leur tableau clinique et fonctionnel est celui d une fibrose plus ou moins évoluée. L imagerie montre une distorsion architecturale avec un aspect en «rayon de miel» périphérique et des bases, et des DDB par traction. Cette forme correspond à la pneumopathie interstitielle commune (PIC ou UIP des anglo-saxons) (classification ATS- ERS).
4 1.4. Quels profils cytologiques au LBA (19)? Le LBA est un élément indispensable au diagnostic des PID quelle qu en soit la forme radio clinique. Dans les PM, le profil cytologique n est jamais spécifique mais permet d écarter une infection et d orienter la discussion étiologique résiduelle en fonction de l anomalie prédominante : hémorragie alvéolaire, alvéolite lymphocytaire, à polynucléaires neutrophiles, à éosinophiles ou mixte (tableau III). Tableau III : Diagnostic différentiel des PID médicamenteuses selon la cytologie du LBA Alvéolite Alvéolite Alvéolite Hémorragie Lymphocytaire P. Éosinophile P. Neutrophile Alvéolaire Tuberculose Parasitose Bactérienne Immunologique MB atypique Vascularite Collagénose Toxique Hypersensibilité Idiopathique Idiopathique Leptospirose Collagénose Hémodynamique Ainsi, toute pneumopathie infiltrante diffuse peut potentiellement résulter d une toxicité médicamenteuse. Il n y a pas de critère clinique, tomodensitométrique, histologique ou cytologique spécifique. 2. Quels diagnostics différentiels évoquer? Quelles que soient les présentations cliniques de PID (tableau IV), le diagnostic de PM doit faire discuter : - les infections à pyogènes banals mais aussi les bactéries intracellulaires (légionellose), à croissance lente (mycobactéries) et les autres germes opportunistes (Pneumocystis jirovesi par exemple), que l on a vus apparaître chez ces patients depuis l utilisation des IS (4). - une localisation pulmonaire spécifique de la maladie systémique : PR (28), sclérodermie, vascularite, polymyosite - une complication cardiaque à expression pulmonaire telle qu un OAP, d autant que certains IS sont responsables de toxicité cardiaque directe - une complication rénale de la maladie sous-jacente responsable de manifestations respiratoires (oedème pulmonaire, vascularite) - un accident thrombo-embolique plus fréquent dans les maladies inflammatoires chroniques, syndromes néphrotiques, syndrome des anti-phospholipides - une manifestation respiratoire d autre origine (lymphangite carcinomateuse, pneumopathie d hypersensibilité environnementale ) - une pneumopathie induite par un autre médicament non IS (ex : amiodarone ) - voire une localisation pulmonaire de lymphomes qui seraient plus fréquents chez les malades traités par IS au long cours (5). Mais ces diagnostics différentiels peuvent être nuancés en fonction de la présentation radioclinique (tableau IV ci dessous), des données du LBA (tableau III ci dessus) et du médicament en cause (tableau V plus loin).
5 Tableau IV : Diagnostic différentiel selon la présentation clinique PM Dg différentiels Localisation de la maladie systémique Infection (>opportuniste) PID suraiguë PID aiguë ou subaiguë PID chronique Hémorragie intra-alvéolaire +/ Cardiopathie Lymphomes +/- + PM à un autre médicament prescrit /- 3. Quelle démarche diagnostique adopter? En l absence de critère clinique, biologique, cytologique ou histologique universel, c est au clinicien d éliminer pas à pas les autres causes sur des critères diagnostiques de certitude et d évaluer la probabilité de PM. Cette évaluation repose sur l analyse de l imputabilité dite «intrinsèque» et «extrinsèque». Elle nécessite obligatoirement un recueil clinique méticuleux, une TDM thoracique et un LBA (16) L imputabilité intrinsèque repose sur l analyse de l observation Ce sont les données chronologiques issues de l interrogatoire - survenue des signes après l instauration du médicament - notion de signes respiratoires lors d une administration antérieure de la même molécule - à un moindre degré, la survenue de signes d idiosyncrasie avec le même médicament ou de signes respiratoires avec une molécule de la même famille Les éléments, qui permettent d étayer l hypothèse de PM mais surtout d éliminer les autres étiologies possibles, sont issus de l analyse des données séméiologiques récentes: - clinique et paraclinique (ex : échocardiographie, BNP pour l insuffisance cardiaque) - tomodensitométrique - de la fibroscopie bronchique : LBA, biopsies bronchiques et éventuellement transbronchiques - de la réponse à un test thérapeutique (ex : aux diurétiques ou aux antibiotiques). C est au clinicien de faire la part de ce qui revient à une PID nouvellement apparue et à une éventuelle pathologie cardiorespiratoire préexistante. La biopsie pulmonaire chirurgicale (BPC) est de moins en moins souvent réalisée devant une suspicion de PM aux IS. Elle est invasive et dans la plupart des cas n apporte aucun élément formel en faveur d une PM ou d une localisation spécifique de maladie systémique. Pour le
6 diagnostic des infections opportunistes, la BPC est largement supplantée par les prélèvements endoscopiques L imputabilité extrinsèque repose sur l analyse des données bibliographiques ( en rapport avec le médicament suspecté - pneumopathie déjà décrite avec ce médicament - fréquence de survenue - fréquence du tableau clinique observé - à moduler en fonction de l ancienneté de prescription du produit Au terme de ce recueil, le clinicien pourra croiser les critères et approcher au plus près la probabilité diagnostique, à défaut de certitude absolue. Ceci lui permettra de rationaliser au mieux sa prise en charge. Les étapes de cette démarche ont été formalisées et pondérées grâce à un système informatisé, en cours d évaluation (16) Critères évolutifs Le diagnostic pourra être secondairement conforté par l évolution favorable à l arrêt du médicament. Cependant, cet élément est également à nuancer. En effet, même si la régression est la règle, elle n est pas constante : - si une fibrose irréversible est déjà installée ou - si le malade s aggrave dans un tableau de SDRA qui évolue pour son propre compte - enfin, si le traitement a associé une corticothérapie à l arrêt du médicament voire une antibiothérapie probabiliste, l amélioration ne peut être attribuée à l arrêt du médicament avec certitude car elle peut aussi relever de l efficacité des traitements co-prescrits sur une autre pathologie. La réintroduction est un argument formel du diagnostic mais elle n est qu exceptionnellement réalisée à dessin, pour des raisons éthiques. Elle ne se conçoit que si l imputabilité est douteuse, le tableau peu grave et qu il n existe pas d alternative thérapeutique. 4. Etude analytique des PM liées aux différents IS Nous rapportons les particularités des manifestations respiratoires de chacune des drogues immunosuppressives les plus fréquemment utilisées aujourd hui dans les maladies systémiques ( (18). La pathologie respiratoire iatrogène induite par les immunosuppresseurs ne se limite pas aux PM. Elle comporte plusieurs facettes que sont : - les infections opportunistes (ex : pneumocystose avec le méthotrexate) - les manifestations pulmonaires en rapport avec une insuffisance cardiaque par toxicité directe de l IS (anti TNF, cyclophosphamide, ) - des accidents emboliques avec les IS (lupus induit avec syndrome des antiphospholipides des A-TNF) - des lymphomes dont on soupçonne la plus grande fréquence chez les malades traités par IS au long cours. La connaissance de ces effets secondaires attribuables à chaque médicament (tableau V) permet de moduler l incidence des diagnostics différentiels déjà évoqués au chapitre 2.
7 Tableau V : Diagnostic différentiel selon les médicaments Complications respiratoires IS PM spécifique Méthotrexate +++ Infection opportuniste ++ PC* Cardiotoxicité Accident thromboembolique Lymphomes + Léflunomide + ++? Anti-TNF α TB* + +/-? Anti-CD20 +? Cyclophosphamide Azathioprine + +/- + *PC: pneumocystose, TB: tuberculose 4.1. Méthotrexate (MTX) La prévalence de la pneumopathie au MTX est estimée à 1% chez les patients traités à faible posologie pour des rhumatismes inflammatoires chroniques (13). Le tableau est celui d une NSIP ou d une PO subaiguë fébrile. Le LBA a un double intérêt, il permet d éliminer une infection opportuniste et apporte des éléments en faveur de la PM. La cytologie alvéolaire a une cinétique particulière ; elle est d abord constituée de PNN non altérés, puis de lymphocytes CD4 et enfin de lymphocytes CD8 (6). La guérison est obtenue dans la grande majorité des cas à l arrêt du MTX, éventuellement associé à une corticothérapie par voie générale (9). Les facteurs prédisposant à la survenue d une pneumopathie au MTX restent inconnus (1, 20). Il n y a donc pas de contre-indication respiratoire formelle à sa prescription. Cependant, une surveillance clinique est nécessaire. Elle doit être d autant plus vigilante que les patients sont porteurs d une maladie bronchopulmonaire sous-jacente. L apparition ou l aggravation de signes respiratoires nécessite leur exploration rapide en milieu spécialisé pour affirmer ou infirmer le diagnostic, si possible avant l arrêt du médicament à condition que l état clinique l autorise. Cette démarche permet de réunir le maximum d arguments diagnostiques et de ne pas se priver d un médicament efficace, le cas échéant. L apparition d une symptomatologie respiratoire sous MTX, doit également faire rechercher par LBA des infections opportunistes, en particulier la pneumocystose dont la fréquence est majorée par la lymphopénie.
8 4.2. Léflunomide (10, 21) Le léflunomide, immunosuppresseur de la famille des anti-métabolites est un puissant inhibiteur des lymphocytes T. Cette immunodépression est elle aussi, avant tout, pourvoyeuse d infections opportunistes, en particulier de pneumocystoses. En 2004, la firme Aventis qui commercialise ce produit a colligé 80 cas de PID sur un collectif de patients traités (prévalence de 0,02%). Cette prévalence est plus élevée au Japon (0,4% à 1,1%). Une revue récente d une dizaine de cas bien documentés [22] rapporte, pour 6 patients, un tableau de PID hypoxémiante fébrile, avec verre dépoli au TDM évoquant une NSIP, installée en 3 jours et survenant en moyenne 4 mois après le début du traitement. Le LBA n est jamais mentionné mais aurait pourtant permis de conforter le diagnostic en éliminant les infections opportunistes. Deux études histologiques du poumon émanant d une autre équipe révèlent un DAD et une PO. La gravité clinique initiale a imposé le recours à la ventilation mécanique chez 3 malades et à la méthyl-prednisolone IV dans 4 cas. L évolution n est pas immédiatement favorable à l arrêt du médicament ; la PM peut persister, voire s aggraver car ce produit s accumule dans l organisme pour plusieurs mois. Il faut donc réaliser une procédure de «wash-out» par colestyramine ou charbon actif pour en accélérer l élimination. Le «wash-out» a été réalisé dans 3 des 6 PID les plus sévères de la série. Chez ces 6 patients l évolution a été favorable. Pour les 4 autres patients, il s agissait plutôt de fibroses survenant tardivement (24 mois) et dont l imputabilité médicamenteuse est douteuse d autant qu il n y a pas eu, semble-t-il, d amélioration à l arrêt du léflunomide Agents anti TNF (A-TNF) Les A-TNF peuvent induire des PM. Une centaine de cas ont été publiées en très grande majorité dans la PR. Il s agit de PID aigues ou subaiguës, survenant après le 2 ème cycle et majoritairement 2 semaines après l injection, attribuées à l infliximab beaucoup plus souvent qu à l étanercept (8, 26). La PO domine à l imagerie et sur l histologie quand elle est pratiquée. La responsabilité des A-TNF est difficile à établir car elles sont associées à une pathologie respiratoire préexistante dans 20% des cas et à un autre médicament pneumotoxique chez plus de la moitié des patients. Leur pronostic est réservé ; en effet, 15% de décès sont survenus en dépit de la prise en charge. L existence d une pathologie respiratoire chronique associée multiplie par 6 le risque de mortalité. La fréquence des PID lors de l utilisation successive ou simultanée de MTX, de léflunomide ou d agents anti TNFα n est étayée par aucune donnée épidémiologique. Plus récemment des granulomatoses pulmonaires non infectieuses ont été décrites (n=38) (25). Il s agit de 21 cas de sarcoïdoses gangliopulmonaires de présentation radio-cliniques classique, prouvées histologiquement dans tous les cas et de 15 cas d efflorescence de nodules rhumatoïdes parfois nécrosés, asymptomatiques. Ces manifestations surviennent dans 75% des cas avec l étanercept, au moins un an après le début du traitement. La guérison ou la stabilisation sont constantes, parfois après corticothérapie. Ces formes ne sont préoccupantes que parce qu elles posent le problème du diagnostic de tuberculose ou à un degré moindre de tumeurs. Des lymphomes et des tumeurs solides, en particulier des cancers bronchiques ont, en effet, été décrits mais le recul est insuffisant pour conclure. Les formes aigues et les formes chroniques s opposent donc point par point. On évoque pour les PO aigues, un mécanisme d hypersensibilité, pour les granulomatoses un phénomène de déséquilibre Th1 / Th2 ou un phénomène de restauration immunitaire. Des réactions d hypersensibilité immédiate à type de bronchospasme, laryngospasme ou œdème de Quincke, quelques cas de nodules pulmonaires de vascularites, des sérites et des
9 embolies pulmonaires respectivement dans le cadre de lupus induits et de syndrome des anti phospholipides ont également été décrits (26). Le risque infectieux domine les effets secondaires. En effet, les A-TNF sont responsables d une immunodépression importante voisine de celle du SIDA, portant à la fois sur l immunité innée et adaptative. Ainsi, le risque d infections virales et à pyogènes tout venant est plus élevé (RR : 1,4) et les infections sont plus sévères. Les infections opportunistes sont fréquentes et documentées. Des pneumocystoses, aspergilloses, mycobactérioses atypiques, listérioses, légionelloses, histoplasmoses, coccidioïdomycoses ont été décrites (11). Mais, ces infections sont dominées par la tuberculose (TB). Des études épidémiologiques, menées aux USA (22) et en Espagne (3), ont montré une multiplication par 4 ou 5 du risque de TB chez les patients porteurs de PR traités par A-TNF (tableau VI, première partie). Leur incidence est 10 à 20 fois plus élevée avec l infliximab dont le mécanisme d action et la pharmacodynamique sont différentes de l étanercept. Ces TB apparaissent après le premier mois de traitement, sont souvent disséminées, atypiques par leur siège, pauvres en granulomes mais bacillifères (BAAR positif à l examen direct dans 50% des cas). Ces formes cliniques inhabituelles ont engendré un retard diagnostique, en partie responsable de la gravité de la maladie avec 10% de décès dans la série de Keane et al. (27). Il s agit le plus souvent de tuberculose de réactivation après primo-infection non ou mal traitée. Cet élément fondamental a présidé à l élaboration de recommandations de prévention par plusieurs agences de veille sanitaire : l AFSSAPS en France, la FDA aux USA, la BIOBADASER en Espagne, la British Society for Rheumatology (BSR) (2). Les recommandations françaises actualisées en 2005 (résumées dans le tableau VII) sont disponibles sur le site de l AFSSAPS. Cette démarche s appuie, chez les sujets asymptomatiques, sur le résultat de l IDR dont l interprétation est parfois difficile chez les sujets vaccinés par le BCG ou chez les immunodéprimés. Les Britanniques (14) ont tenté de contourner cette difficulté en mettant à la disposition des prescripteurs les données épidémiologiques et en ne recommandant une prophylaxie que si le risque de déclarer la maladie est supérieur au risque d hépatite aux antituberculeux. En France, où nous ne disposons pas des mêmes données, les problèmes liés à l IDR pourraient être résolus par les tests basés sur la réponse interféron encore que leur sensibilité soit mal connue chez les patients immunodéprimés. Grâce à la diffusion de ces recommandations, le risque relatif de déclarer une TB chez les malades sous A-TNF a rejoint le risque de la population générale en 2005, en Espagne et aux USA (tableau IV). Leur efficacité est donc prouvée et incite à une stricte observance. Tableau VII : Recommandations de l AFSSAPS concernant le dépistage des sujets à risque, la prophylaxie des TB latentes et le traitement des TB patentes sous anti-tnf Sujets à risque de réactivation de tuberculose - Tuberculose ancienne, cliniquement patente, ou séquelles radiologiques sans certitude de traitement correct - IDR (Tubertest) > 5mm plus de 10 ans après BCG ou en l absence de BCG ou d antécédent de tuberculose active traité - Contage récent - Sujets venant de zone de forte endémie
10 * traitement d au moins 6 mois comportant 2 antituberculeux majeurs Prophylaxie anti-tuberculeuse chez les sujets à risque - Isoniazide seul 9 mois - Isoniazide - Rifampicine 3 mois à commencer au moins 3 semaines avant la première cure d anti-tnf Traitement des tuberculoses patentes sous anti TNF - Trithérapie ou - Quadrithérapie avec éthambutol en cas de rechute ou de suspicion de résistance - Pendant 6 à 12 mois en fonction des localisations - Reprise des anti-tnf-α 2 mois après stérilisation s ils sont indispensables Anticorps anti-cd20 (Rituximab ) Le Rituximab (anticorps monoclonal anti-cd20 chimérique) (RTX) est utilisé depuis une dizaine d années en hématologie et plus récemment en rhumatologie dans les rhumatismes inflammatoires. Leur effet secondaire le plus fréquent est une réaction d intolérance aiguë à l injection à type de fièvre, de toux, de dyspnée, plus rarement de bronchospasme. Elle est rapidement réversible et rarement grave. L utilisation d une prémédication a permis d enrayer la plupart de ces manifestations. Dans la revue systématique de la littérature que nous avons effectuée, 45 pneumopathies bien documentées ont été identifiées dans les lymphomes et quelques maladies systémiques (17). Trois types de pneumopathies, en fonction du délai de survenue se dégagent. - Le tableau le plus fréquent (n=37) est celui de PO aigue ou subaiguë, lymphocytaire, survenant 15 jours après la dernière injection, aux alentours du 4 ème cycle. Il pourrait correspondre à un rebond après la corticothérapie systématiquement associée aux perfusions de RTX. Le diagnostic de PO a été confirmé histologiquement 8 fois sur 11 biopsies pulmonaires. L imputabilité du RTX est bien étayée par des 13 réintroductions volontaires ou involontaires positives dont 4 avec le RTX seul. En effet, 9 patients ont présenté des signes respiratoires lors des inter-cures qui ont régressé lors des injections suivantes sous corticothérapie et n ont finalement été attribués au RTX qu à posteriori. Ces pneumopathies ne doivent pas être méconnues bien qu elles soient retardées par rapport au traitement car elles sont graves (10% de décès) et résolutives sous corticoïdes, à condition que ceux-ci soient instaurés rapidement. - Un SDRA est survenu dans 5 cas, quelques heures après la première injection dans le cadre de polychimiothérapie de lymphomes, malgré la prémédication. Un DAD avec HIA a été confirmé histologiquement dans un cas. Ce tableau correspond vraisemblablement à une réaction liée à l injection conjuguant relargage de cytokines et syndrome de lyse tumorale. Le pronostic en est sombre quelque soit le traitement. - Enfin, 3 cas de nodules pulmonaires asymptomatiques, survenant plus de 2 mois après la dernière injection, répondant constamment à une histologie de PO, sont rapportés. Ils régressent sous corticothérapie. Le risque d infection en particulier opportuniste ne semble pas majoré avec le RTX Cyclophosphamide (moins d une centaine de cas publiés) (18) Sa prévalence reste inconnue aussi bien quand il est prescrit en cancérologie que dans les maladies systémiques. Dans le premier cas, son association à d autres drogues potentiellement pneumotoxiques, rend le diagnostic très difficile. Dans les maladies
11 systémiques, la prévalence est difficile à évaluer du fait de facteurs confondants : diversité des posologies, associations thérapeutiques en particulier à la corticothérapie. Des formes de PID suraiguës, aigues et chroniques ont été rapportées ainsi que des aspects de PO avec hyperéosinophilie. Les auteurs soulignent le caractère réversible des formes précocement symptomatiques lors de l arrêt du traitement éventuellement associé aux stéroïdes et le caractère fibrosant irréversible des formes tardives. Des épanchements et des épaississements pleuraux ont été décrits. Une toxicité myocardique responsable de manifestations aigues ou subaiguës a été observée lors de l administration de fortes doses de cyclophosphamide Azathioprine (moins de 20 cas publiés) (18) Rares sont les PM rapportées avec cet agent. Il s agit de PID lymphocytaire et d hémorragies intra-alvéolaires. Là encore la prévalence est difficile à apprécier car il est utilisé en association. Cependant, il est métabolisé en 6-mercaptopurine qui elle, a été rendue responsable de PID Sirolimus Près d une centaine de cas de pneumopathies ont été rapportés chez des transplantés, en majorité rénaux. Leur prévalence pourrait atteindre 10%. Il s agit le plus souvent d une PID lymphocytaire (23), répondant à un profil de PO au TDM, confirmé 18 fois sur 26 à l examen histologique des biopsies pulmonaires. Leur délai de survenue est variable mais il semble qu elles surviennent plus fréquemment 2 à 4 semaines après une modification thérapeutique (switch d IS, augmentation du taux circulant de sirolimus, baisse ou arrêt de la corticothérapie associée). La corticothérapie est efficace mais doit être précoce. Quatre décès sont à déplorer chez des greffés cardiaques (24) Autres IS ( Des PM ont été observées avec ces médicaments dans des indications comme la prévention du rejet de greffe où les modalités d administration et la posologie sont différentes. Il semble qu aucun cas de PM ne soit rapporté dans les maladies systémiques. De surcroît, le nombre de cas publiés reste, le plus souvent, inférieur ou égal à Mycophénolate mofétil (MMF) : quelques rares cas de toux, fibrose et SDRA lui sont attribués chez des transplantés uniquement. - Cyclosporine : elle est rendue responsable de DAD, de PID, de PO quand elle est utilisée à fortes doses dans la prévention du rejet de greffe et de lymphome B chez les malades infectés par l EBV. - Tacrolimus : les manifestations respiratoires sont beaucoup plus rares qu avec le Sirolimus ; une PO et un syndrome hémolytique et urémique avec HTA ont été publiés chez des greffés. - Le sérum anti lymphocytaire et les OKT3, exceptionnellement utilisés dans les maladies systémiques, ont été rendus responsables d œdème pulmonaire par toxicité myocardique. - Tocilizumab (AC anti- récepteur à l IL6) : 2 cas de PID ont été déclarés dans l essai thérapeutique le plus important publié dans le traitement de la PR. Il s agissait d un cas de pneumopathie subaigüe et d une fibrose pulmonaire. Ceci demande à être confirmé avec une documentation plus précise des observations.
12 5. Quelle prise en charge thérapeutique? 5.1. Devant une PID avérée : La conduite à tenir n est pas univoque, comme nous l avons vu dans l étude analytique. Elle va dépendre essentiellement de 3 facteurs: la gravité de la PM, jugée sur la clinique et les chiffres de PaO2, le niveau d imputabilité diagnostique et l existence d une alternative thérapeutique (diagramme ci-dessous). - Soit le tableau est grave d emblée Il impose l arrêt total et définitif du médicament associé à une corticothérapie soit en bolus si le pronostic vital est compromis, soit par prednisone (1mg/Kg/j) dans les situations moins dramatiques. - Soit le tableau est peu grave Il faut distinguer les cas où l imputabilité est forte et les cas où l imputabilité est douteuse. - Quand l imputabilité est forte, le médicament doit être totalement et définitivement arrêté - Quand l imputabilité est douteuse et s il existe une alternative thérapeutique, le médicament devra être arrêté. - Si au contraire, l imputabilité est douteuse et qu il n existe pas d alternative thérapeutique, certains ont proposé la poursuite du médicament associé à une corticothérapie ou l arrêt et une tentative de réintroduction du médicament à distance sous surveillance pneumologique Prévention Du fait de la méconnaissance des facteurs de risque, il est impossible de prévenir la survenue d une PM. Cependant, il est nécessaire de connaître les médicaments IS éventuellement pneumo toxiques et de réaliser une surveillance clinique et radiologique chez les patients traités, surtout s ils ont déjà une pathologie respiratoire sous jacente. Ils seront ainsi dépistés et traités tôt à un stade où les lésions sont encore réversibles. Conduite à tenir Gravité Arrêt définitif de l IS Corticothérapie à 1mg/kg/j ou bolus + -- Imputabilité Forte Alternative Arrêt de l IS Douteuse pas d alternative -Poursuite +/- Cs ou - Arrêt et réintroduction 2aire
13 Bibliographie 1. Alarcon GS, Kremer JM, Macaluso M, et al. Risk factors for methotrexate-induced lung injury in patients with rheumatoid arthritis. A multicenter, case-control study. Methotrexate- Lung Study Group. Ann Intern Med 1997;127: BTS Recommendations for assessing risk and for managing Mycobacterium tuberculosis infection and disease in patients due to start anti-tnf-α treatment. Thorax 2005; 60: Carmona L, Gomez-Reino JJ, Rodriguez-Valverde V et al. BIOBADASER Group. Effectiveness of recommendations to prevent reactivation of latent tuberculosis infection in patients treated with tumor necrosis factor antagonists. Arthritis Rheum. 2005; 52: Doran MF, Crowson CS, Pond GR et al. Predictors of infection in rheumatoid arthritis.arthritis Rheum. 2002; 46: Ebeo CT, Girish MR, Byrd RP et al. Methotrexate-induced pulmonary lymphoma. Chest. 2003; 123: Fuhrman C, Parrot A, Wislez M, et al. Spectrum of CD4 to CD8 T-cell ratios in lymphocytic alveolitis associated with methotrexate-induced pneumonitis. Am J Respir Crit Care Med 2001;164: Gómez-Reino JJ, Carmona L, Angel Descalzo M, Biobadaser Group. Risk of tuberculosis in patients treated with tumor necrosis factor antagonists due to incomplete prevention of reactivation of latent infection. Arthritis Rheum. 2007; 57: Hagiwara K, Sato T, Takagi-Kobayashi S et al. Acute exacerbation of pre-existing interstitial lung disease after administration of etanercept for rheumatoid arthritis. J Rheumatol. 2007;34: Imokawa S, Colby TV, Leslie KO, Helmers RA. Methotrexate pneumonitis: review of the literature and histopathological findings in nine patients. Eur Respir J Feb;15(2): Ju JH, Kim SI, Lee JH et al. Risk of interstitial lung disease associated with leflunomide treatment in Korean patients with rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum. 2007; 56: Kaur N, Mahl TC. Pneumocystis jiroveci (carinii) pneumonia after infliximab therapy: a review of 84 cases. Dig Dis Sci. 2007; 52(6): Katzenstein AL, Askin FB. Surgical pathology of non specific neoplasic lung disease. Philidelphia : WB Saunders, Kinder AJ, Hassell AB, Brand J et al. The treatment of inflammatory arthritis with methotrexate in clinical practice: treatment duration and incidence of adverse drug reactions. Rheumatology 2005; 44: Ledingham J, Deighton C; British Society for Rheumatology Standards, Guidelines and Audit Working Group. Update on the British Society for Rheumatology guidelines for prescribing TNF alpha blockers in adults with rheumatoid arthritis (update of previous guidelines of April 2001). Rheumatology (Oxford). 2005; 44: Lioté H. Respiratory complications of new treatments for rheumatoid arthritis. Rev Mal Respir. 2004; 21(6 Pt 1): Lioté H, Séroussi B, Bouaud J, et al. Formalisation de la démarche diagnostique des pneumopathies médicamenteuses : le système PneumoDoc. Rev Pneumol clin 2007 ; 63 : Lioté H, Lioté F, Seroussi B, Mayaud C, Cadranel J. Rituximab induced lung disease : a systematic literature review.eur Resp J : 1-8 (sous presse) 18. Lock B, Eggert M, Cooper A. Infiltrative lung disease due to noncytotoxic agents. Clin chest Dis. 2004; 25:
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15 Tableau I : Médicaments IS potentiellement pneumotoxiques Classification Mode d action Médicaments (DCI) Noms commerciaux Fréquence PM nb de cas publiés Lympho-ablatifs destruction du tissu lymphoïde plus spécifiques du lymphocyte T (LT) Anti-métabolites inhibe la synthèse des purines inhibe la synthèse des bases pyrimidiques Blocage de l expansion LT activés Anti-proliférants, inhibiteurs de la rapamycine Contrôle l entrée en phase S du cycle cellulaire en se fixant sur m- TOR Anti-calcineurine Inhibe le premier signal d activation du LT cyclophosphamide OKT3 MMF azathioprine méthotrexate, léflunomide sirolimus éverolimus cyclosporine A FK 506 Endoxan Cellcept, Imurel Novatrex, Métoject Arava Rapamune Certican Néoral Tacrolimus ** * ** **** *** *** * * Anti-CD20 - Lyse des lymphocytes B et pré-b rituximab Mabthéra *** Agents anti- TNFα Inhibent la principale cytokine pro-inflammatoire infliximab adalimumab étanercept Rémicade Humira Enbrel (D après Pneumotox) * : 1 à 5 cas ; ** : 10 cas ; *** : 20 à 100 cas ; **** : plus de 100 cas MMF : mycophénolate mofétil ***
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