Par ces lignes je vais me faire la voix de mon fils Hervé.

Transcription

1 VIE EN INSTITUTION - TEXTE 12 Par ces lignes je vais me faire la voix de mon fils Hervé. Né le 7 octobre 1982 à Lausanne, ma maman s est très vite aperçue que quelque chose ne jouait pas dans mon évolution de bébé d autant plus que mon frère était né 2 ans avant moi. Après bien des péripéties, le diagnostic est tombé. Je souffrais de polyhandicap avec divers handicaps associés. Pris en charge dès mon plus jeune âge, j ai pu dès lors - grâce aux enseignants spécialisés, à mes parents et à mon frère qui croyaient en moi et surtout qui croyaient dur comme fer en mes capacités de compréhension - évoluer, trouver une certaine autonomie et surtout m exprimer grâce à un moyen de communication (téléthèse) ainsi qu à un classeur où je retrouvais tous les pictogrammes manquants sur ma téléthèse. A 18 ans, il a fallu trouver une solution, l école étant terminée. A l époque, pour des jeunes en situation de handicap comme le mien, handicap lourd, il n y avait pas trentesix solutions. Il faut dire aussi que l externat pour les polyhandicapés n existait pas à l âge adulte. Ne pouvant aller travailler dans un atelier protégé (je n en ai pas les possibilités intellectuelles), je me suis retrouvé du jour au lendemain en internat total. Le maintien à domicile, comme organisé aujourd hui, n était pas encore à l ordre du jour à l Etat de Vaud. La transition entre l école, où vous êtes pris en charge durant toute la journée à travers les activités scolaires, les thérapies, l apprentissage social, etc... et l institution pour adultes, où du jour au lendemain plus rien ne se fait, est très violente. Je ne vous parlerai même pas des heures où les éducateurs sont en colloques, heures durant lesquelles, pour simplifier, on nous enfermait dans nos chambres de peur que l on écoute ce qui se disait sur les autres résidents. Imaginez-vous un seul instant : un jeune, lourdement handicapé qui n a pas le langage, aller raconter au bistrot du coin ce qui se passe dans son lieu de vie! C est carrément de la paranoïa. Finalement, chaque mardi après-midi, ma grand-maman venait me chercher afin que je ne reste pas seul dans ma chambre.

2 J ai quand même vécu trois ans dans cette institution, avant que mes parents trouvent un autre foyer. Quand j y suis arrivé, voici presque 10 ans, j ai retrouvé un peu de mon école d avant. On me traitait, non pas comme un adulte de 21 ans, mais comme le jeune que j étais avec mes possibilités et mes limites. J avais l impression d être enfin à ma place, même si ma maman et ma maison m ont toujours terriblement manqués. A nouveau, on me proposait des activités à mon niveau et surtout, ce qui était très important pour moi, beaucoup de sorties. J avais des copains et copines, j ai même retrouvé dans mon groupe deux copines d école avec qui j avais pratiquement fait toute ma scolarité. Je rentrais tous les week-ends à la maison, ainsi que tous les jours fériés, plus une bonne partie des vacances scolaires. Maman veillait à ce que tout se passe pour le mieux et faisait des remarques lorsqu elle n était pas contente, afin de me protéger. Les activités se passaient avec nos éducateurs et les résidents du groupe, ce qui permettait une belle osmose entre nous tous. Et en plus le personnel était fidèle. Puis, tout d un coup, une nouvelle organisation a complétement bouleversé mon quotidien et j ai eu la sensation de me retrouver dans la première institution où j avais habité. Les activités étaient organisées avec d autres résidents que ceux de mon groupe et pas forcément personnalisées ; il y avait de moins en moins de sorties, Bref, je n avais qu une envie : rentrer définitivement à la maison. Maman, ne travaillant pas et ayant toujours été à mon écoute, a tout de suite compris que quelque chose se passait. Malgré ses réflexions pas toujours agréables, rien n a changé. Mon papa, mon frère et son amie, tout le monde était d accord : il fallait que je puisse rentrer à domicile. Ainsi, je vais enfin retrouver mon chez moi avec mes parents et diverses personnes qui vont les aider dans cette tâche qu est le maintien à domicile d une personne en situation de handicap lourd. Je redonne la parole à maman qui va vous expliquer le déroulement de la vie institutionnel pour des jeunes comme nous qui sommes peu autonomes.

3 Mon fils vit depuis 12 ans en institution. Comme tous travailleurs, il part le lundi matin et revient le vendredi après-midi. Il n a pas choisi cette vie institutionnel c est le manque de possibilités qui existaient alors, qui a fait qu il a passé d un statut d externe total à un statut d interne. Le manque d activités offertes, qui fait que notre fils passe plus de temps à l intérieur de son groupe de vie qu à l extérieur, et bien d autres choses déplaisantes ont fait pencher la balance pour un retour au domicile. Le secteur où il vit compte en principe 24 résidents internes et 6 résidents externes organisés en unité de vie de 4 internes et 1 externe. Chaque résident à sa propre chambre, libre de la meubler à sa guise. Il y a un salon, des sanitaires et un petit coin cuisine en commun. Mais vraiment rien de trop grand, quand on sait qu ils y passent le plus clair de leur temps. Le contact avec sa famille élargie, ses amis, manque terriblement à mon fils. S il exprimait tout à coup le désir de venir, ne serait-ce que pour boire un café, chez ses parents, il n y a personne pour l accompagner. Du moment qu il y a un manque total d autonomie pour sortir et envisager des activités à l extérieur, Il n y pas d accompagnants disponibles et les jeunes se voient plus ou moins cloisonnés à l intérieur. Pour moi en tant que mère, c est intolérable. Les moments en ateliers sont partagés avec les autres résidents, mais ne sont pas à la portée de tous. Il y a un net manque de personnalisation. C est dommage car leur situation en ville devrait au contraire leur faciliter la tâche pour les activités extérieurs. Seul la physio et l ergo sont proposées aux résidents qui en ont besoin. Le point fort de l institution est le bassin thérapeutique, très apprécié de tous. Par contre pour tout le reste : médecin, coiffeur, dentiste, diététicienne, etc chacun s organise à sa guise. Par rapport au soin apporté à mon fils, il n y a rien à dire. Ils sont faits avec beaucoup de respect. Ce que je leur reproche, du moment que cette population est souvent langée, c est qu on ne les change pas assez souvent. Le vendredi, mon fils rentre trop souvent avec un lange mouillé, quand ce n est pas le slip et le pantalon qui sont également trempés.

4 Les repas sont pris dans le groupe, mais avec des horaires hospitaliers, ce qui est très dommage. Dommage aussi de ne pas tenir compte de l horaire d été et d hiver, juste pour permettre au personnel de finir leur journée de travail à temps. Je reste cependant persuadée qu il y sûrement moyen de trouver des solutions. Quant aux veilleuses, je n en parlerai pas! Leur nombre fait peur. L Etat de Vaud est inconscient avec les postes budgétés dans les institutions. Mais cette réflexion n engage que moi. Aujourd hui je suis fatiguée de me battre dans le vide. Et surtout si je veux pouvoir me regarder dans une glace. Il faut absolument que je puisse offrir à mon fils une vie digne d être vécue. Il ne pourra, de par sa situation, jamais conduire, jamais avoir d épouse, jamais avoir d enfants, jamais vivre comme tout un chacun. Moi, ce mot «jamais», j avais juste envie de le transformer en : Désormais, tu pourras sortir à ta guise, tu pourras téléphoner à ton entourage quand tu en as envie, tu pourras enfin être toi-même, un jeune homme qui bouffe la vie par les deux bouts à ton rythme bien sûr; bref, un jeune homme presque comme les autres, mais un jeune homme libre! Enfin je voudrais dire à tous les parents qui ont des soucis avec leurs jeunes en institutions, ne vous laisser pas faire, bougez-vous, battez-vous, regroupez-vous, mais surtout n ayez aucune crainte, vos enfants ne peuvent être mis à la porte d une institution parce qu un parent n est pas content. Il existe aussi un centre de médiation, une commission des plaintes à l Etat de Vaud. C est leur job de trouver des solutions si nécessaire. J ajouterais que l institution où vit mon fils à un autre secteur où les jeunes sont plus autonomes et où l offre est différente, mais je ne me permettrais pas d en parler n étant pas concernée par ce secteur. Il est vrai qu à notre âge, nous devrions plutôt penser à une nouvelle vie à deux. Cependant, mon mari et moi, nous nous lançons un nouveau défi : accompagner notre enfant en situation de handicap dans la vie de tous les jours, afin qu il retrouve un peu de son bonheur perdu lors de son départ voici près de 12 ans.

5 Dinah et Hervé Favez Lausanne, le 28 juin 2013