Bruno Lasserre, Président du Conseil de la concurrence
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- Jean-Jacques Gaudet
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1 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Bruno Lasserre, Président du Conseil de la concurrence European American Chamber of Commerce (France) Groupe interparlementaire France-USA Paris, 8 janvier 2007 LA COOPÉRATION ENTRE AUTORITÉS DE CONCURRENCE EN EUROPE ET HORS D EUROPE Mesdames, Messieurs, Je remercie M. le sénateur Girod et le groupe interparlementaire France USA d avoir contribué à la rencontre organisée par la European American Chamber of Commerce. Cette rencontre permet de poursuivre la tradition consistant à tirer chaque année le bilan et les enseignements de l exercice écoulé, tradition dont Mme Kroes vient utilement d élargir la perspective en livrant aujourd hui un éclairage sur les orientations de la politique communautaire de concurrence à mi-parcours de son mandat. Ces orientations suscitent deux réactions. Première réaction, l Union européenne cherche aujourd hui à définir les meilleurs moyens susceptibles de lui permettre de répondre aux défis politiques et institutionnels de l élargissement. En matière de politique de la concurrence, ces moyens sont d ores et déjà très performants. L enjeu est donc plutôt de mettre ces instruments en œuvre avec un maximum d efficacité. Cet objectif est crucial dans le contexte d ouverture croissante aux échanges internationaux, au premier chef avec les Etats-Unis. Un certain nombre de rapprochements peut permettre de l atteindre. A cet égard, la convergence est frappante entre les politiques de concurrence menées à Bruxelles et à Paris. A l identité des objectifs et à la concordance des règles s ajoute aujourd hui la conjugaison des moyens au sein du réseau européen de concurrence (REC). Ces éléments permettent à la fois de garantir la cohérence et d assurer l efficacité. Seconde réaction, certains éléments demeurent spécifiques à la France. Ces spécificités ne paraissent pas incompatibles avec le système de compétences parallèles établies par le droit communautaire. Elles peuvent même contribuer à en assurer l efficience. Elles soulèvent toutefois de nouvelles interrogations. Parmi ces questions figure par exemple celle de la place qui peut encore être réservée à une coopération bilatérale entre la France et les Etats-Unis dans le domaine de l antitrust. Mais revenons d abord sur ces deux points que sont les convergences croissantes, d une part, et les spécificités qui demeurent, d autre part. Il est d abord très important d insister sur la convergence des objectifs et sur la conjonction des moyens. C est un point essentiel : il n y a plus guère de doutes sur l identité des objectifs poursuivis à la fois à Bruxelles et à Paris. Le droit de la concurrence tel qu il est appliqué à
2 Paris n a pas d autre but ultime que celui de protéger le bien-être des consommateurs. C est pourquoi, à l instar de la Commission européenne, le Conseil de la concurrence poursuit une politique de répression rigoureuse des cartels, en particulier lorsqu ils affectent directement les consommateurs. Il faut, aussi bien à Bruxelles qu à Paris, mettre en place des sanctions claires, prévisibles et dissuasives en la matière. La récente communication de la Commission à ce sujet a constitué un signal important au niveau communautaire. Le Conseil partage cette approche. C est pourquoi on assiste en France à une montée en puissance de la politique de sanction. Le chiffre de 734 millions d euros d amendes prononcées cette année par le Conseil en témoigne. L amende de 534 millions d euros infligée à des opérateurs de téléphonie mobile pour s être échangés des informations stratégiques, et surtout pour s être entendus sur des objectifs de part de marché, a été décidée parce que le Conseil était convaincu que ces pratiques avaient affecté le bien-être des consommateurs. De plus, il fallait faire comprendre aux entreprises que l application des nouveaux plafonds de sanction définis dans la loi de 2001 conduit à des amendes beaucoup plus dissuasives que par le passé. La confirmation en tous points de cette décision par la Cour d appel de Paris témoigne du consensus qui se forme à propos de la nécessité de sanctionner sévèrement de tels agissements. Une même convergence se fait à l égard des comportements unilatéraux. Il s agissait là d un point sur lequel le débat était vif entre les Etats-Unis et l Europe. Les Etats-Unis se disaient plus attentifs à la demande et l Europe plus sensible à l offre, c està-dire aux concurrents. Désormais, Mme Kroes a clairement formulé les objectifs de la réforme de l art. 82 du traité CE, qui vise à mieux fonder l analyse des pratiques unilatérales sur un test économique, afin de concentrer la répression sur les comportements qui ont la capacité de verrouiller le marché au détriment du consommateur final. Le Conseil a dès le début apporté son soutien à cette approche, tout en étant bien conscient de ses limites, en particulier celles tenant à sa mise en pratique. Pour autant, il faut soutenir l action de Mme Kroes, et exposer la règle de manière plus claire en préparant des lignes directrices destinées à apporter, de ce point de vue, plus de transparence aux entreprises. Non seulement cette nouvelle approche paraît plus juste et pertinente, mais elle est praticable par une autorité de concurrence. A certains égards, le Conseil a anticipé sur cette nouvelle approche, par exemple s agissant de couplage, d exclusivité contractuelle, voire de prix prédateurs. A chaque fois, à condition de définir clairement la charge de la preuve, le test a pu être appliqué de manière concluante. La décision du Conseil de recruter un chef économiste pour l assister sur ce point témoigne de sa volonté d aller de l avant dans l analyse des coûts et des effets économiques. Mais, indépendamment du rapprochement des objectifs et des pratiques, la plus remarquable des convergences est peut-être la mise en place du REC. Ce réseau est la cheville ouvrière du nouveau système communautaire de répartition parallèle des compétences. Il appartient désormais aux responsables de faire vivre ce forum rassemblant la Commission et les autorités nationales de concurrence des 27 Etats membres. Car ce réseau n est pas seulement un réseau informatique crypté au sein duquel des données sont échangées, mais aussi un 2
3 formidable lieu de débat et d échange, où les autorités se répartissent les cas de la manière la plus efficace possible, mais peuvent aussi faire en sorte que leurs actions soient aussi cohérentes que possible. Reprenons successivement ces points. Du point de vue des cas traités, les chiffres sont éloquents. Depuis mai 2004, 650 cas ont été portés sur le REC comme justifiant l application du droit communautaire dans la mesure où le commerce dans le marché unique était affecté. 102 de ces affaires ont été apportées par la France ; ceci dénote un événement très important. Il existe ainsi, aujourd hui, un réseau décentralisé émetteur de droit communautaire et le rôle de la Commission, jadis créateur du droit de la concurrence, devient aussi celui d une autorité régulatrice veillant à l efficacité et à la cohérence des décisions avec l édifice communautaire. Il s agit là d un succès pratique et d un formidable outil de stimulation de la part des autorités nationales entre elles. Avant la mise en place du REC, il y avait peu d échanges. Désormais, les échanges sont intenses et mettent en interrogation l aptitude des autorités à traiter les nouveaux cas, en termes de délai et d efficacité. Mais le REC est aussi l instrument d une participation accrue des autorités nationales à la création normative européenne. À l issue des travaux menés en commun, celui-ci vient par exemple de produire une proposition de programme modèle de clémence qui devrait sensiblement simplifier la vie des entreprises. En effet, pour la première fois, est conçue une règle simple et appliquée à 27. À cet égard, le Conseil, qui a joué avec l OFT un rôle actif de pilotage du groupe d experts ayant élaboré le socle de principes communs, devrait prochainement aligner son dispositif sur le programme modèle. Certaines spécificités demeurent toutefois, et certaines évolutions peuvent être souhaitées en ce qui les concerne. Tout d abord, le rapprochement plus poussé n implique pas nécessairement le dépérissement des spécificités nationales. Celles-ci peuvent ou, selon le cas, doivent être maintenues pour permettre une régulation du marché national en complément des règles matérielles du traité CE, applicables en cas d affectation des échanges entre Etats membres. C est le cas en ce qui concerne les ententes malheureusement trop nombreuses dans les marchés publics, ou dans nombre de services rendus aux consommateurs, qu il s agisse des professions libérales ou en matière de distribution au détail. Ces deux volets ne font que refléter la structure à deux étages de l édifice construit pour réguler la concurrence dans la Communauté. Ensuite, s agissant des règles de procédure, le Conseil réfléchit aux améliorations possibles. D une part, sa procédure de clémence a fait l objet d avancées. D autre part, sa procédure de non-contestation de griefs, apparentée au plea bargaining à l américaine et dont le Conseil a été la première autorité indépendante à se doter, a fait l objet d un dialogue avec les avocats spécialisés. Au moment où la Commission réfléchit elle-même à ce propos, le Conseil est en train d y travailler en vue de voir s il y a lieu de la rendre plus simple et de l optimiser. Le décalage n est donc pas nécessairement ici un décalage de vues, mais peut-être d abord un décalage de chronologie. 3
4 Une troisième particularité est le fait que le Conseil tient beaucoup à son rôle de diffuseur d une culture de la concurrence, qu il joue notamment en identifiant ex ante les obstacles structurels ou réglementaires à la concurrence. S il n a pas nécessairement les moyens de lancer d ambitieuses enquêtes sectorielles, à l instar de la Commission, il est en mesure d exercer activement sa compétence consultative. Je pense par exemple à l avis rendu par le Conseil au sujet des conditions sous lesquelles serait compatible avec les règles de la concurrence la mise en place d un service universel bancaire. Il mentionne aussi le sujet de la privatisation récente des autoroutes, à l occasion de laquelle le Conseil a été saisi et a mis en garde le gouvernement sur les risques d une privatisation privilégiant de manière exagérée les entreprises du bâtiment et des travaux publics, en attirant son attention sur les précautions à prendre envers une intégration verticale trop poussée. Il fait enfin état de l avis rendu à propos des actions de groupe de consommateurs, au développement desquelles il s est déclaré globalement favorable, en insistant toutefois sur la nécessité d une bonne articulation entre l action publique, qui demeurera essentielle, et l action privée, appelée à se développer. La complémentarité des deux échelons du système européen permet, en définitive, d oser la comparaison avec le système américain. Si l on considère enfin la relation entre les deux côtés de l Atlantique, le rapprochement est également considérable. Les objectifs sont désormais les mêmes : une politique de concurrence doit viser le bien-être du consommateur, ce qui n était pas évident il y a une dizaine d années. Les autorités s accordent aussi sur la priorité à accorder à la lutte contre les cartels et sur une nouvelle approche des comportements unilatéraux des entreprises, qui fait une plus grande place à un test économique approfondi et recentre la poursuite de ces comportements sur l effet actuel ou potentiel d éviction des concurrents, et donc sur l atteinte au consommateur final. Reste un sujet sur lequel il faut bien reconnaître que subsiste une divergence forte : c est la place que doivent jouer le droit et la politique de la concurrence dans les interventions publiques. Le droit européen est de ce point de vue impressionnant et a montré son efficacité dans la vérification en amont. Par ailleurs, les initiatives publiques ne vont pas contrarier les dispositifs en faveur de la concurrence, grâce notamment à l activité de «screening» exercée au niveau européen sur la compatibilité des normes nationales avec les règles communautaires, et, en France, au fait que les autorités administratives vérifient la compatibilité des actes de puissance publique avec les règles de concurrence. Il faut bien reconnaître qu aux États-Unis, la State Action Doctrine contraint et limite cette interférence entre droit de la concurrence et initiatives publiques. C est un sujet sur lequel des progrès restent peut-être à faire. Si l Union européenne joue le premier rôle dans cette collaboration avec les autorités américaines, il semble qu il existe aussi une place pour le dialogue national et de nombreuses possibilités de coopération bilatérales, qui vont du traité jusqu aux échanges informels, en passant par des conventions inter administratives comme celles que le Conseil a le pouvoir de conclure sous réserve de réciprocité. Selon une étude menée récemment par l International Competition Network, les traités d entraides judiciaires, tel que celui signé en 2001 entre la France et les Etats-Unis en matière 4
5 pénale, ne semblent pas avoir trouvé beaucoup d applications dans le domaine de la concurrence. Il est vrai qu une telle coopération ne représente un intérêt qu en vue de répondre à une demande précise, par exemple pour répondre à une assistance pour le recueil de preuves. Même si tout cela doit être organisé, il reste deux espaces majeurs pour la coopération informelle entre le Conseil et ses homologues américains. Le premier est représenté par les instances telles que l OCDE ou la CNUCED. Il importe aussi de saisir des occasions plus informelles mais non moins efficaces, telles que les rencontres régulières de Fordham, pour permettre cet échange entre experts américains et français ou universitaires spécialisés en matière d antitrust. Je forme le vœu que les échanges institutionnels avec les autorités américaines de concurrence se poursuivent, notamment entre les experts économiques, ce qui révèlerait certainement une forte convergence de vues. * * * 5
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