Compte rendu de la rencontre du Club Construction Durable Logement social du 26 mars Comment anticiper les usages de demain?

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1 Compte rendu de la rencontre du Club Construction Durable Logement social du 26 mars 2013 Comment anticiper les usages de demain? Christine Grèzes, Directrice Développement durable Bouygues Construction et Xavier Rodarie, Directeur développement et stratégie de Bouygues Bâtiment Île-de-France Habitat Social, ont introduit cette rencontre du Club Construction Durable logement social dédiée aux usages de demain dans le logement. Le thème de cette rencontre est issu des réflexions des précédentes rencontres du Club Construction Durable ainsi que d une étude en cours sur le coût global des logements, avec l action tank Entreprise et Pauvreté d HEC. La rencontre du 26 mars 2013, qui a rassemblé une quarantaine de participants, avait pour objectif de mieux comprendre l évolution des usages dans les logements sociaux au regard des évolutions sociales, architecturales et techniques. Cette rencontre avait également pour but de préparer les futurs travaux de Bouygues Construction sur ce thème (à travers le think tank sur les usages), en identifiant collectivement les enjeux prioritaires. 1. Définitions clés Xavier Gauvin, responsable technologies et usages au sein du Pôle de Compétences Construction Durable de Bouygues Construction, a approfondi la notion d «usage», en la distinguant de celle de «pratique»: - L usage se réfère à l utilisation d un objet alors qu une pratique correspond à une façon de procéder. Une pratique peut donc concerner plusieurs objets différents. Le tout visant à atteindre un résultat. - On distingue deux types d usages : l usage dans la norme, qui correspond à la fonction principale d un objet, et l usage détourné. 2. Concevoir autrement pour répondre aux enjeux sociétaux, Jean Michel Léger Jean Michel Léger (sociologue, ingénieur de recherche au CNRS et chercheur à l Institut Parisien de Recherche Architecture Urbanistique Société) a montré la façon dont les pratiques architecturales ont évoluées pour répondre aux grands enjeux sociétaux. Le besoin de logements et de logements sociaux Le diagnostic de la fondation Abbé Pierre est à la fois clair et alarmant : en 2013, 10 millions de personnes sont touchées de près ou de loin par la crise du logement et

2 ménages sont aujourd hui en attente d un logement social. Ces chiffres sont en augmentation constante et montrent à quel point la France a besoin de construire des logements. Un autre phénomène social exerce une pression forte sur la demande en logements : la multiplication des divorces et, partant, des familles monoparentales et des familles recomposées. Cet éclatement du cadre familial traditionnel, entraine un phénomène de dédoublement des logements, qui doivent désormais être tous calibrés pour recevoir les enfants dans les différents domiciles. Ainsi depuis 20 ans, l augmentation du nombre des ménages est de 1,2 % par an, alors que la population n augmente que de 0,4% par an, c està-dire que le nombre de ménages croît 3 fois plus vite que la population. Or, paradoxalement, on observe une réduction tendancielle de la taille des logements collectifs : alors que la surface des maisons est passée de 96m² à 108m² entre 1984 et 2002, celle des appartements reste plafonnée à 65m². La France a les plus petits appartements d Europe, ce qui explique en partie la fuite pavillonnaire et l étalement urbain. Il est donc essentiel de trouver des solutions pour construire de grands logements, pour le même coût. Parmi les opérations exemplaires, Jean Michel Léger a cité : - la ZAC Dauphinot à Reims, où les logements sont plus grands de 20% par rapport à la moyenne nationale. - La Cité Manifeste à Mulhouse, où les logements sont deux fois plus grands que des appartements ordinaires. Il n y a aucune pièce fermée, à part la chambre de l enfant. Le besoin d indépendance des membres du groupe domestique Plusieurs pistes de réflexion sont envisageables selon Jean-Michel Léger, pour optimiser l espace des logements tout en satisfaisant les attentes des habitants : - La flexibilité peut par exemple être introduite grâce à des portes en accordéon (comme dans l opération Carabanchel à Madrid). Une piste intéressante, qui pose cependant des problèmes de confort acoustique. - L inversion verticale jour/nuit, qui permet de placer les pièces à vivre en haut, dans des espaces plus lumineux (avec parfois des terrasses) et les chambres en bas. - La pièce en plus (dans les parties communes par exemple), à condition qu elle garantisse une bonne autonomie des individus, comme la traditionnelle maison dans le jardin, en vogue au Canada ou en Australie. Le besoin d être chez soi dehors Symbole de cette aspiration, la terrasse peut apparaître comme une solution intéressante, à condition de prendre en compte les usages de la même manière que dans les espaces intérieurs, pour une meilleure efficacité (ex : la terrasse devant la chambre n est souvent pas utilisée). 2

3 Ces différents besoins mettent en lumière l importance de l arbitrage : l architecte ne peut pas tout donner à l occupant (confort, espace, prix). Il y a suffisamment de diversité dans le logement social pour avoir des logements différents. 3. Retours d expérience terrain sur les pratiques des habitants dans les bâtiments durables, Vincent Renauld Vincent Renauld (ingénieur et docteur en Géographie, Aménagement et Urbanisme de l INSA Lyon) nous a présenté les résultats d une enquête menée au sein d un bâtiment social de l écoquartier De Bonne à Grenoble, auprès de 16 foyers. Cette enquête a permis de comprendre la perception qu ont les usagers des différentes innovations techniques de leur logement. Quelques exemples : - Le lino écologique marmoléum : il s agit d un produit sans PVC ni COV, jugé autonettoyant. Il est donc essentiel pour son bon entretien d utiliser ni eau ni détergent. Les règles d utilisation de ce lino sont donc en complète rupture avec les règles sociales en usage en termes de propreté (nettoyer à l eau, utiliser des produits d entretien). En allant à l encontre des usages, ces innovations peuvent être complètement contre-productive (dégradation du matériel, diminution de la durée de vie, utilisation de plus de détergents). - L interrupteur coupeur de veilles : aucun foyer interrogé n a utilisé ce dispositif correctement. La moitié des ménages l a simplement condamné, l autre a détourné son usage, pour faciliter l éclairage avec des lampes d appoint par exemple. - La façade végétalisée : l objectif de cette installation est de limiter les chaleurs d été. La façade végétalisée est globalement appréciée à condition qu elle ne pénètre pas l espace privé, le balcon individuel. Dans ce cas, les habitants cherchent à réduire les nuisances (les insectes présents par exemple), en ayant recours à des insecticides ou en détournant le système d arrosage. Ces illustrations mettent en lumière deux types d innovations : - L innovation solidaire, qui «s oublie à l usage» et prolonge des règles intériorisées par les habitants. L innovation est quasiment invisible et il n y a pas besoin de mode d emploi (par exemple, le mélangeur air-eau). - L innovation «hors usage», qui nécessite une pédagogie et introduit des risques objectifs de contre-productivité. Face à ces constats, deux pistes d actions sont possibles : - Intégrer les usages dès le processus de conception de l innovation afin de limiter la subversion des usages sociaux par la technique et produire des innovations solidaires. 3

4 - Développer des outils pédagogiques stratégiques, c'est-à-dire adaptés au public ciblé. Dans ce cas, la norme technique oriente le plus souvent la norme sociale. Aujourd hui, les actions mises en place vont plus dans ce deuxième sens. Pour Vincent Renauld, il y a en effet un rapport encore trop descendant (voire condescendant) à l égard des usages, dès lors que ce sont les ingénieurs qui orientent les pratiques. Une piste de travail consiste donc à mieux anticiper les usages en en tenant compte le plus en amont possible, à savoir dès la phase de conception. 4. Approche d innovation par les usages, Xavier Gauvin Xavier Gauvin a présenté une méthodologie d innovation par les usages. Pour Bouygues Construction, l enjeu est de parvenir à prendre en compte les usages dans la conception du bâti, en analysant finement les pratiques et en identifiant leurs causes et leurs déterminants. La question qui sous-tend ces réflexions est de savoir si un bâtiment innovant ou performant est à la fois désirable et appropriable pour ces usagers. Pourquoi innover? L innovation répond à un certain nombre d enjeux : l évolution règlementaire, les évolutions sociales (modes de vie, démographie), les évolutions technologiques mais également la compétition entre entreprises et le besoin de différentiation. L innovation répond d abord à la recherche d une performance technique. Cependant, cette performance entraine généralement une réduction de l éventail des usages possibles, à l image d une voiture de course qui excelle en termes de vitesse, mais répond à bien moins d usage qu un véhicule utilitaire (rangement, transport de personnes, robustesse, etc.). La technique risque donc de s imposer autoritairement dans le quotidien des individus, en contraignant leurs pratiques et en leur transmettant un impératif de performance, qu ils n ont souvent ni l envie, ni la capacité d atteindre. Des pratiques du quotidien prennent alors une importance considérable pour le maintien d une performance. D où l importance d ajouter à la performance technique une performance d usage. Il s agit en effet de proposer des innovations transparentes afin que l innovation ne soit pas contreproductive. Par exemple, une variation de température de + 1 C entraine une évolution de la consommation d énergie de +7 % pour un bâtiment classique et de + 15 / 20 % pour un bâtiment BBC! La performance d usage vise à connaître et comprendre les objectifs de l usager. L objectif est alors de parvenir à une offre attractive et d aider au choix de technologies adaptées tout en évaluant l acceptabilité d une innovation. L usage dans l innovation L approche d innovation par les usages fait appel au classique «pipeline de l innovation» et plus particulièrement à quatre phases clés : - Etat des lieux (apport de connaissance, veille) - Problématisation - Génération d idées 4

5 - Test de concepts (acceptabilité et faisabilité) L utilisation de la sociologie permet de réaliser des veilles d usage, c'est-à-dire d analyser les besoins conscients ou latents des habitants, d observer les comportements. Il s agit d étudier l usager en situation d usage (ses modes d habiter et ses pratiques, ses logiques d action, ses besoins). La matière première, c est le retour d expérience. Ils permettent d expliquer des usages observés, sans jugement de valeur. Comprendre les raisons d une pratique revient à expliquer les 4 grands déterminants d une pratique dans l espace domestique : - L environnement ou les contraintes matérielles - Les contraintes du savoir-faire - Les contraintes identitaires ou symboliques - Les contraintes sociales. Les outils et méthodes Trois outils peuvent être utilisés pour cheminer sur le chemin de l innovation par l étude des usages : 1. La fiche usage : il s agit d une «checklist» de sujets/questions à aborder pour bien qualifier une pratique ainsi que l environnement matériel et social correspondant. La qualification se fait par segment de population (typologie). 2. Le modèle explicatif des pratiques : il permet d analyser les causes des pratiques observées et ainsi de les interpréter. 3. Le filtre d usage : il permet de tester l innovation pour valider le fait qu elle soit assimilable aux savoir-faire existants, intégrable aux pratiques, appropriable à l identité et compatible avec l environnement social et matériel. 5