UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

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1 UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE II Laboratoire de recherche Centre Roland Mousnier T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Histoire Présentée et soutenue par : Joanna ALT le : 19 juin L ÉTAT ET ÉGLISE EN POLOGNE ( ) La Parole libératrice de Jean-Paul II Sous la direction de : M. Jean-Paul BLED Professeur, Paris IV Sorbonne Membres du jury : Mme Francine-Dominique LIECHTENHAN Directrice de recherche au CNRS M. Giuseppe CROCE Conservateur en chef aux Archives Secrètes Vaticanes M. Jean-Noël GRANDHOMME Maître de conférences, Université de Strasbourg M. Antoine de MONICAULT Docteur en théologie, Séminaire Redemptoris Mater

2 Dans ce travail de thèse nous soumettons un sujet qui s attache de manière intrinsèque à l histoire de la Pologne et ceci depuis l organisation de son statut en tant qu État. C est entre le Xe et le XIe siècle que se forment la patrie et la notion d identité nationale polonaise. L Église et l État polonais restent liées dans un état de symbiose, avec l Église de 966- date du début de son organisation politique- jusqu à la Seconde Guerre mondiale, cette symbiose reste toujours très significative et fortement présente dans la mémoire nationale de Polonais. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale s opère un changement politique en Pologne qui se poursuit à travers des transformations dans la structure et le fonctionnement de l État. Les premières transformations politiques de l État polonais furent définies à la conférence de Yalta en février 1945, lorsque les frontières orientales de la nouvelle Pologne ont été dessinées, de même que son statut d appartenance au bloc soviétique. Ces transformations, imposées et dictées à l État polonais, ont emprisonné la Pologne dans le système politique d Europe orientale après la Seconde Guerre mondiale. Dans la mesure où elle en constitue un épisode clef, la soviétisation de la partie centrale et orientale de l Europe a généré une historiographie abondante. Dans le cadre de notre travail, il s agit de s interroger sur la nature exacte des rapports qui s établissent à partir de 1944 entre l U.R.S.S. et les pays de l Europe centrale et orientale, en particulier la Pologne. La sphère de domination de l U.R.S.S. sur ce groupe de pays s est étendue à travers la propagation du discours communiste dans la forme déjà établie en U.R.S.S. et, avant dans la Russie tsariste, à savoir la langue de bois qu on appelle en Pologne nowomowa. Cette nouvelle langue a été introduite en Pologne par l imposition du système politique communiste dépendant du pouvoir soviétique. Par le biais de la linguistique, nous avons approché ce langage codé et sa spécificité qui se manifeste par l action déterminante du pouvoir politique sur la langue et par ricochet sur la conscience des personnes. Nous avons observé les effets de cette contamination sur la communication entre les personnes par l emploi du discours de la propagande communiste. Ce fait avait pour conséquence inéluctable l identification à cette langue de bois puisque la propagande a gardé le monopole de la Parole. Le vocabulaire et la structure du discours de propagande limitaient brusquement la capacité d expression des identités non communistes, car en réalité sa structure interne ne faisait pas la distinction entre le moi privé et l individu et le moi public. A force d utiliser et d entendre le discours communiste dans la vie publique, il s opérait un processus d intériorisation du langage de la propagande. La propagande visait la rééducation de la conscience humaine à travers l instrument clé de la communication, c est-à-dire la langue. Un seul discours officiel existait, celui de la propagande. Toutes les autres voix ont été interdites. Nous utilisons pour ce travail une expression employée par un journaliste français dans un article sur le deuxième voyage de Jean-Paul II en Pologne. Jérôme Germont évoque, dans son article, la parole éclatante de Jean-Paul II qui a continué de jaillir sur cette terre prétendument normalisée. Cette expression résume très bien la nature de l influence du Pape Jean-Paul II sur la transformation politique en Pologne qui a abouti à la réorientation de la politique du gouvernement polonais et à l effondrement du système communiste en Pologne. La réorientation de la politique de la République Populaire polonaise n a pas été un acte soudain et isolé qui peut être déterminé précisément dans le temps, mais certainement, la

3 date de 1979, celle de la première visite apostolique de Jean-Paul II en Pologne, marque une césure dans le fonctionnement du système politique grâce à l action de la parole éclatante qui a été la cause première de la déstabilisation du système politique en Pologne. Les visites de Jean-Paul II en Pologne (en 1979, 1982 et 1987) se posent en triple vecteur de désaliénation (à l échelle de l individu), de détotalisation (à l échelle de la société), et de désoviétisation (à l échelle de la nation). Jean-Paul II agissait à l aide de la Parole. Pour ce travail, nous avons examiné le concept de la parole performative (c est-à-dire celle qui a la force d agir par elle-même), employée par le Pape polonais, et de son imprégnation de l individu, de la société, de la nation. Cette parole performative, au delà de la personne même de Jean-Paul II, est celle de l Église en général. Nous avons pu analyser le langage de Jean-Paul II dans les discours qu il a prononcés durant ses trois voyages en Pologne. Il nous a paru en effet indispensable, afin de comprendre les rapports entre l Église et l État en Pologne, de lier l observation linguistique, politique et historique dans une perspective particulière et inédite. La perspective linguistique nous a permis de montrer les étapes dans le processus de la reconstruction de la langue par la parole éclatante de Jean-Paul II face au langage figé employé par les communistes. Le combat de Jean-Paul II, l homme de l Église et en même temps, un Polonais, témoigne de l attachement de toute une génération marquée par le retour à l indépendance en 1919 et rappelle l ancienne opposition à toute occupation de la Nation polonaise. En effet, l opposition polonaise à l occupation étrangère semble bien s appuyer, et ce bien avant Jean-Paul II, sur une forme de résistance traditionnelle à l occupation étrangère en terre polonaise, résistance culturelle, linguistique et bien sûr spirituelle, avec un attachement profond à l Église catholique. Elle remontait à une résistance plus ancienne, de l époque des partages, où la Pologne n existait plus en tant qu État mais seulement par son identité, l identité affirmée par sa puissante affinité avec la langue et avec l Église catholique. Cela vient du rôle traditionnel que la culture surtout la littérature avait joué en Pologne pendant au moins deux siècles. L originalité de notre travail repose sur la mise en lumière du rôle déterminant de «la parole éclatante» de Jean-Paul II et son rôle dans le processus de la reconstruction de la langue, préalable à la reconstruction de l identité polonaise et de la société. Sa parole se présente comme un élément clé dans la situation de la manipulation du langage par la propagande d État et son discours officiel répandu dans toute la vie publique en Pologne. Face au langage des communistes et au système de manipulation de la langue, la parole de Jean-Paul II s était avérée dotée d une teneur libératrice là où elle a pu pénétrer. En effet, le premier voyage de Jean-Paul II en Pologne marque le début du processus de revendication linguistique et une résistance à la manipulation du langage. La réponse à cette manipulation du langage, qui

4 couvrait le processus de la mainmise sur la société polonaise à travers l idéologie communiste, a été sa démanipulation et par la suite sa libération. En tant que linguiste, nous nous sommes intéressé à la structure de la langue, tant celle de la langue de bois dans la lignée des travaux de l historienne Françoise Thom et du linguiste Michał Głowiński que des discours du Pape lors de ses visites pastorales. Nous avons pu ainsi regrouper une vaste documentation écrite et audiovisuelle. Outre le classement de ces sources nous les avons traduites pour beaucoup d entre elles pour la première fois en français. Ces sources inédites ont permis de faire apparaître de manière éclatante la maîtrise du langage du Pape qui s adressait au peuple dont il était issu en revendiquant des codes supposés éternels de la nation polonaise dans lesquels chaque Polonais pouvait se reconnaître et surtout faisait apparaître le langage de la nowomowa des dirigeants de la République Populaire de Pologne comme des agents de l extérieur étrangers à la nation polonaise. Ils apparaissaient alors comme des usurpateurs collaborant avec un occupant illégitime, l Union soviétique. Nous avons vu en effet au cours de notre recherche que la question de l identité des Polonais se réglait à travers la langue polonaise. Nous pensons que cette approche de l appartenance à la nation est caractéristique de la Pologne, même si cet aspect linguistique de l appartenance à une nation se retrouve dans d autres zones du monde y compris de l Europe orientale. Pour autant la langue polonaise a toujours été le révélateur de toutes les ruptures de la société depuis les débuts de son histoire et plus particulièrement encore par celles générées par le pouvoir soviétique dès la Seconde Guerre mondiale. Cette crise de la langue a en effet révélé une crise beaucoup plus profonde, celle de l identité, provoquée par les événements de la guerre et la main-mise soviétique sur le pays après en avoir éliminé les élites. La conscience sociale a été marquée par la progression du processus de la schizophrénie sociale. Un seul discours officiel existait, celui de la propagande. Toutes les autres voix avaient été interdites. L élimination des élites avait fait espérer la disparition de toute opposition d un nationalisme polonais. C était faire peu de cas de l attachement de tous les Polonais, et pas uniquement des élites, à la langue. C était aussi oublier l importance des femmes dans la transmission des valeurs patriotiques que la littérature classique a abondamment explorée en particulier au XIXe siècle. Mais c était également une erreur d appréciation car la notion de nation reposait aussi sur le catholicisme qui était l affaire de chaque Polonais. L État disposait en outre d un levier de commande sur la vie des Polonais à travers l instrumentalisation de la société mis en place dès L État avait tout pouvoir de décision et d application de la loi dans le pays. En définitive, il s agissait de lois contre la société polonaise, en vue de laïciser une nation, ce qui signifiait la programmation de la disparition progressive mais inéluctable de l Église en Pologne. Mais les empreintes de la foi chrétienne étaient présentes dans toutes les couches de la société et dans tous les domaines de la vie aussi

5 bien dans la littérature, la musique que dans l enseignement et la vie sociale des Polonais. L Église catholique exerçait une influence morale sur les personnes et se constituait comme un «gouvernail» de l âme de la Nation qui s était trouvée en face d une situation où l État ne pouvait pas remplir son rôle. La culture, la langue et la religion catholique formaient une sorte de barrage contre l anéantissement de la nation. Si ces faits étaient connus, l apport de cette thèse consiste à les avoir compilés et recoupés afin de présenter une histoire inédite de l histoire de l Église en Pologne au XXe siècle. Nous avons amassé une vaste documentation de sources soit inédites, soit non traduites en français, soit jamais explorées dans cette perspective particulière des relations entre l État et l Église. Pour effectuer ce travail, nous avons consulté divers fonds d archives disséminés à travers l Europe. Nous avons compilé les sources provenant des Archives de l Institut de la Mémoire Nationale (IPN) en Pologne à Varsovie et Cracovie. Ces archives nous ont utilement renseignées sur les conditions politiques et juridiques de la vie en Pologne de 1939 à 1989, des procès organisés par l État contre le clergé, sur les surveillances mises en œuvre pour surveiller les membres de l Église, jugés séditieux, en particulier le Primat de Pologne. Ces sources nous renseignent aussi sur le fonctionnement du IVème département des affaires confessionnelles ainsi que tous les textes de propagande concernant l action de l État, de l SB et l UB. Nous avons commencé notre travail par traduire ce très important fonds qui nous a permis de comprendre la complexité des enjeux. Nous avons ensuite croisé ces sources exclusivement polonaises avec d autres sources, en particulier en Italie, à la bibliothèque de la Congregatio de causis sanctorum, chargée de la cause des saints, au Vatican. Nous avons eu accès à des archives inédites concernant le procès de béatification et de canonisation de Karol Wojtyła, Jean-Paul II, de 1920 à Ces archives contenaient des informations sur la situation de l Église de Pologne et l action de Karol Wojtyła dans la vie de l Eglise polonaise avant et pendant son pontificat. D autre part, ces sources présentaient des témoignages nombreux de toutes les couches sociales et politiques en Pologne et dans le monde. A travers ces témoignages se dessine la personnalité du Pape polonais et les relations entretenues avec l Église de Pologne, mais aussi de la situation de l Église universelle et de l Église nationale face à l État polonais. Ces sources sont d autant plus importantes qu elles permettent de sortir d un contexte strictement polonais et de l élargir à l Église universelle et à la situation globale de l Église dans les états communistes d Europe orientale. Outre ces archives, nous avons eu accès à un autre fonds d archives inédites, à Parme le fonds personnel du Cardinal Agostino Casaroli, secrétaire d État au Vatican sous Jean-Paul II et son prédécesseur, Paul VI. Notre travail a consisté dans un premier temps à sélectionner les sources en fonction de notre sujet puis à les traduire du polonais et de l italien au français. La confrontation entre ces sources très variées a rendu possible une perspective d approche

6 particulièrement passionnante. En effet, cette disposition des sources nous a donné l opportunité unique de croisements d informations qui nous ont permis d éclairer notre sujet de manière totalement nouvelle et qui ont confirmé certaines intuitions que nous avions par nos origines polonaises, intuitions suscitées par l éducation que nous avions reçue et par la perception de l Histoire transmise et vécue. Tout d abord, les sources polonaises nous ont permis de «planter le décor» historique dans sa dimension géopolitique. La possibilité de consulter ces sources et de le lire en polonais (notre langue maternelle) permettait d accéder directement au sujet. En effet, l utilisation de la linguistique comme science auxiliaire de l histoire dans un travail de recherche était un instrument tout à fait nouveau car cette double approche d historien et de linguiste traducteur nous a permis d arriver au cœur du problème. En effet, sans ce travail préalable sur les sources, l implosion du système communiste en Pologne, puis par ricochet de l ensemble du bloc du pacte de Varsovie puis de l URSS est un événement incompréhensible. Comment comprendre en effet l impact d un pape, certes polonais, qui en trois petits séjours, arrive à mobiliser un peuple au point de provoquer un tel raz-de-marée qui, pour finir, a transformé la carte de l Europe. Devant les faits, la seule réponse possible était liée à des histoires de complots politico-financiers entre le Vatican et les Etats-Unis. L inquiétude de Moscou au moment de délivrer un visa au Saint Père avant son premier voyage et le conseil de Brejnev à Gierek d interdire la visite pastorale de Jean-Paul, démontraient que les Russes craignaient l impact de la présence physique de l ancien archevêque de Cracovie, jugé «politiquement dangereux», sur le peuple polonais, encore massivement catholique, contrairement à la vulgate diffusée par les media communistes, ce que les évènements de Nowa-Huta avaient mis en lumière. La question des relations entre l État et l Église est restée très longtemps un sujet difficile à analyser d une part à cause du système politique en Pologne qui tenait le pays d une main de fer et à cause de la méconnaissance des relations entre l Église et de l État à cette période et dans cette région du monde. A partir des années 1990 a commencé un lent processus d ouverture des archives d État à l opinion publique, sans lesquelles notre travail d analyse aurait été impossible de même que les pièces jointes au dossier de canonisation qui, si elles existaient, étaient inaccessibles aux chercheurs. Enfin, il y eut en Pologne dans les mêmes années une accélération dans la recherche en histoire contemporaine comme une réaction de compensation à un vide qui s était produit dans la recherche après la Seconde Guerre mondiale. Parmi les premiers historiens qui se sont intéressés aux questions des relations entre l Église et l État avec la possibilité de s appuyer sur l analyse des sources venant du service de sécurité, on peut citer Marek Lasota, Antoni Dudek, Jan Żaryn, Zygmunt Kowalczuk. Leur

7 apport dans l analyse des questions concernant l Église et l État en Pologne et particulièrement la description de l ingérence de l appareil d État dans l Église a été reconnu en Pologne mais ils n avaient été traduits en français. Leurs recherches fondamentales restaient donc inconnues en dehors de la Pologne. Ces travaux sur l évolution de la situation politique et sociale dans l ancien bloc communiste ne sont que les premiers. Notre travail a contribué à faire émerger quelques conclusions sur les relations entre l Église et de l État en Pologne, grâce aux traductions de sources et de ces auteurs. Cependant, il reste de nombreuses pistes à explorer, non seulement en Pologne, mais dans d autres pays, en particulier la Hongrie et la RDA.