DP 1 / Du livre blanc Silicani à la réforme territoriale, les non-dits du changement
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- Olivier Gascon
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1 DP 1 / Du livre blanc Silicani à la réforme territoriale, les non-dits du changement Animation : Jean DUMONTEIL Directeur de La Lettre du secteur public Les arrière-pensées de la réforme Didier JEAN-PIERRE Professeur agrégé des Universités, Université de Lyon 3 En 2007, le président de la République, dont les intentions sont prolongées par le rapport Silicani, entendait refondre l architecture de la fonction publique en réévaluant son statut général. Après la crise financière, il n est plus question de transformations générales et d une révolution de la fonction publique, mais plutôt d évolutions aux ambitions mesurées. Depuis 2008, la fonction publique a été touchée par différents changements : la réorganisation des services de l État, la loi de mobilité, la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), celle sur le dialogue social qui contient de bien curieuses dispositions et la loi sur les retraites. Mais pour mieux comprendre cette réforme, il convient de décoder ses arrièrepensées, ses non-dits et ses faces cachées. Améliorations ou économies? D une part, il est dit que les réformes annoncées seront de nature à améliorer l efficacité et la gestion des agents publics, notamment en professionnalisant les concours. Dans ce cas, pourquoi mener des réflexions différentes sur les concours internes et externes? Si l on souhaite améliorer la qualité du recrutement, pourquoi diminuer alors le nombre d épreuves? Pourquoi évincer le droit public des épreuves? La volonté de mutualiser les fonctions support permettra de vendre du patrimoine immobilier et de recruter moins de personnel. Tout cela ne traduit aucunement une volonté d amélioration de la qualité du service du public, mais bien plutôt la volonté de faire des économies. Des réformes idéologiques D autre part, ces réformes sont généralement justifiées par des considérations économiques, alors qu elles sont aussi idéologiques. La réduction des effectifs ( postes en 2010) n est pas neutre politiquement. Cette réduction doit être mise en relation avec la loi de mobilité, qui incite le transfert des personnels de l État vers les collectivités territoriales. C est aussi l occasion de reprendre un thème électoralement porteur, celui du nécessaire dégraissage de la fonction publique. 1
2 Vers la privatisation De plus, cette réforme s apparente à une privatisation rampante de la fonction publique. En la matière, les exemples sont légion : alignement du droit de la fonction publique sur le droit du travail (réformes des retraites, par exemple), introduction d outils de gestion provenant du droit privé (place du contrat, évaluations individuelles basées sur des critères de performance, individualisation des carrières, recours à l intérim) et triomphe du «new public management». En outre, la classe politique préfère désormais se rapprocher des élites du secteur privé, et ce au détriment de la fonction publique qui n est plus une référence. En somme, certains tentent d appliquer l idée libérale selon laquelle la fonction publique peut être gérée comme une entreprise. C est ainsi que l on retrouve, dans le secteur public, certaines angoisses que l on pensait réservées au mode de gestion privée (peur, précarité, stress ) Où sont les valeurs de la fonction publique? Pour finir, cette réforme n apporte aucune réflexion nouvelle sur les valeurs de la fonction publique. La première partie du rapport Silicani semble s y intéresser mais il s agit en réalité d un simple effet d annonce. Pire, cette réforme instaure des règles dérogatoires et des mécanismes de récompense professionnelle, qui font reculer les valeurs du service public. Il ne s agit pas d être hostile à la réforme des collectivités territoriales en tant que telle, mais de s opposer aux réformes «tendance». Comme le dit si bien la maxime : «vouloir à tout prix être dans le vent c'est avoir un destin de feuille morte.» L accès des femmes aux fonctions de direction Gwénola MARTIN Directrice générale adjointe Ressources, Conseil général du Finistère et membre du groupe «égalité» au sein de l Association des Administrateurs Territoriaux de France (AATF) La notion de genre par opposition avec celle de sexe, strictement biologique et naturelle est née aux États-Unis dans les années Elle propose une approche culturelle du contenu social des notions de «masculin» et de «féminin». La question du genre n a pas été abordée dans les réformes précédentes. Il s agissait donc d un non-sujet, mais était-ce pour autant une non-question? Des questions qui concernent toute la fonction publique Ces questions concernent tout autant les hommes que les femmes, quand les stéréotypes sont intériorisés au point de ne plus sembler être un sujet de préoccupation. Le poids des clichés peut être minoré, surtout quand l égalité salariale est garantie par le statut de la fonction publique. Il faut aussi se pencher sur l articulation entre sphères personnelle et professionnelle. Alors que, dans la fonction publique, la proportion de femmes est supérieure à celle des hommes (60 %), la représentation des femmes dans les emplois de direction reste faible. Le plafond de verre fait que, dans une structure hiérarchique, les niveaux 2
3 supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes est bel et bien une réalité pour les femmes. Au sommet de la pyramide administrative, moins d un Directeur Général des Services (DGS) sur dix et moins d un Directeur Général Adjoint (DGA) sur cinq est une femme. Dans les communes de plus de habitants, aucune femme n occupe un poste de DGS. Par ailleurs, la répartition des rôles professionnels reste très sexuée : les femmes s occupent des ressources humaines quand les hommes se chargent des infrastructures et des secteurs techniques. Changer les représentations et agir concrètement Pour répondre à ce problème, il faut engager une double approche, par l offre en augmentant le nombre de postes ouverts aux femmes et en faisant évoluer les représentations et par la demande avec un vivier de femmes qui peuvent prétendre accéder à ces postes. Par exemple, lors des cinq dernières années, les concours ont accueilli presque autant d hommes que de femmes, mais les femmes restent lauréates des concours externes quand les hommes sont nettement surreprésentés dans les concours internes. Dans tous les cas, au-delà des représentations de chacun, il sera essentiel d agir concrètement. Par exemple, les services chargés des espaces verts ne sont généralement pas en mesure de recruter des femmes car leurs locaux ne disposent le plus souvent pas de vestiaires réservés aux femmes. Il faut s intéresser à cette question au-delà de l accès aux postes à responsabilité ; la féminisation des emplois est extrêmement conséquente dans le personnel d entretien des locaux, avec des femmes qui vivent souvent dans la précarité et qui connaissent des situations de temps partiel subi. Différentes actions peuvent être conjointement menées : - connaître et faire connaître l état des lieux de ces questions, avec des diagnostics et des statistiques genrées et sexuées - afficher la volonté d agir et l engagement de l élu et de la direction générale - élargir le vivier des femmes pour ces postes et imaginer d autres modalités de préparation de ce concours pour permettre l articulation des vies professionnelle et personnelle (visioconférence, par exemple) - travailler sur l articulation des temps de vie, question plus managériale qui exige une démarche en commun de progrès, notamment avec le partage des tâches dans la sphère privée ; il peut par exemple s agir du développement du télétravail. L intercommunalité vécue par ceux qui y travaillent Laurent RÉGNÉ Directeur général, Ville d Avignon, Administrateur de la MNT La Mutuelle Nationale Territoriale (MNT) entend contribuer à la constitution d une expertise sur la fonction publique territoriale, notamment en s intéressant à la perception de 3
4 l intercommunalité par ceux qui y travaillent. Après la réalisation d une étude quantitative, qui a concerné 740 agents, nous pouvons dégager plusieurs tendances. D une part, 80 % des agents considèrent que l image de l intercommunalité et des agents dans la société française est positive. Cette dynamique n existait pas il y a trois ans, en particulier au moment du transfert des Techniciens, Ouvriers et de Service (TOS). D autre part, 71 % des agents considèrent que le développement de l intercommunalité est un progrès, ce qui implique qu une large part du personnel ne s est pas encore approprié le sens et la dynamique de cette organisation. Ils ont ensuite développé ce qu ils entendaient par progrès avec, par ordre d intérêt, la mutualisation des moyens et des équipements, la mutualisation des compétences et la création et l amélioration de services à la population. Ainsi, on retrouve bien le partage des valeurs du service public local dans les intercommunalités. Pour finir, les principaux atouts de la fonction publique territoriale dans l intercommunalité sont, par ordre d importance : - le service public apporté à la population - la possibilité de travailler à proximité de son lieu de résidence (20 %) - le contact avec le public et les habitants - le contact avec les élus (10 %). Jean DUMONTEIL Cette étude permet de réviser certains préjugés par rapport aux changements en cours. Ainsi, on constate un fort attachement à l intercommunalité et une existence sur le terrain qui est bien vécue. Laurent RÉGNÉ Il peut en effet sembler étonnant que les personnes qui travaillent dans les intercommunalités aient généralement réagi de manière positive par rapport à la mutualisation des services. Par ailleurs, ils ont l air très confiants dans la protection de leur statut. En général, ils restent tout de même assez mal informés en ce qui concerne les complémentaires et la protection sociale. Il semble impératif de renforcer l information dans ce sens. Échanges avec la salle Faut-il écarter les pratiques de la gestion privée? De la salle Je pense qu il ne faut pas écarter complètement les pratiques de gestion privée. En raison d une montée d un sentiment de rejet à l encontre du service public, il est nécessaire de s interroger sur l efficacité et la performance des territoires. Quant au statut de la fonction publique, il est impossible de le sanctuariser. Il faut interroger ses limites. 4
5 Didier JEAN-PIERRE Je suis résolument hostile à la novlangue, au fait de «faire des réformes pour faire des réformes» et à ce que Pierre-André Taguieff appelle le «bougisme». Les réformateurs ont longtemps dit que le statut de la fonction publique était sous-utilisé, avant d affirmer que son fonctionnement social (cogestion syndicale) en paralysait les potentialités. En ce qui concerne la question de la performance, il me semble qu il s agit généralement d évaluation quantitative et non qualitative. Par ailleurs, comment peut-on être performant quand il est décidé de «mettre l Éducation nationale sous tension»? La Justice subit au premier chef les affres de cette performance. En effet, avec des quotas et des rémunérations à la performance, ce service public s éloigne de son ambition d origine : servir les citoyens au mieux. Pour finir, il existe une évidente dichotomie entre la gestion et le droit, entre les gestionnaires et les services juridiques de la fonction publique. Mais, du point de vue des gestionnaires, le droit est perçu comme une contrainte ou un outil ennuyeux. Commentaire [P1]: Est-ce bien cela? Lutter plus généralement contre les discriminations De la salle Au-delà de l égalité entre hommes et femmes, il faut s atteler à la lutte contre les discriminations dans le service public. La ville d Aubervilliers a par exemple mis en place un plan local de lutte contre les discriminations, qui intégrera un volet interne. Pour en revenir à la question du genre, existe-t-il des outils qui permettent d appréhender ces questions, mais sans aller jusqu à la discrimination positive? Gwénola MARTIN Pour cela, il faut faire un état des lieux de la situation, se fixer des objectifs, puis mettre en place des mesures avant de procéder finalement à une évaluation. De la salle Il me paraît impossible de traiter la problématique femmes-hommes sans s intéresser à la sphère privée. Il me semble en effet que, tant que les hommes ne feront pas les mêmes choses que les femmes, nous ne parviendrons pas à l égalité dans l entreprise. À mon sens, il faut ajouter le critère du genre au plus grand nombre d études, qu elles concernent l attribution des permis de construire ou le renouvellement des cartes grises. Gwénola MARTIN Certes, il sera nécessaire de s intéresser à l activité de mère de famille, en utilisant l articulation des temps de vie comme un angle d attaque de la parentalité, mais il faudra aller au-delà et interroger le rapport au travail. 5
6 Ne pas oublier les valeurs du service public Didier JEAN-PIERRE Les valeurs ne sont qu un prétexte pour le rapport Silicani ; notre époque n est pas vraiment propice à une réflexion sur les valeurs. Je ne suis pas opposé à la notion de performance, mais à condition de mener les réformes jusqu à leur terme. Laurent RÉGNÉ Quand les valeurs de solidarité deviennent des marchandises, et ce dans une logique purement économique, faire revenir la solidarité est un enjeu essentiel, un combat à mener. 6
7 Sigles AATF : Association des Administrateurs Territoriaux de France DGA : Directeur Général Adjoint DGS : Directeur Général des Services HPST : Hôpital, Patients, Santé et Territoires HPST : Hôpital, Patients, Santé et Territoires MNT : Mutuelle Nationale Territoriale TOS : Techniciens, Ouvriers et de Service Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg 1 er et 2 décembre 2010 CNFPT INET 2010 Réalisation : 7
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