HEC MONTRÉAL. Le processus d internationalisation des firmes créatives par Joëlle Sarrailh. Sciences de la gestion (affaires internationales)

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1 HEC MONTRÉAL Le processus d internationalisation des firmes créatives par Joëlle Sarrailh Sciences de la gestion (affaires internationales) Mémoire présenté en vue de l obtention du grade de maîtrise ès sciences (M.Sc.) Janvier, 2010 Joëlle Sarrailh, 2010

2 ii Sommaire Au cours des années 1990, les industries créatives ont connu une croissance économique dans les pays de l OCDE deux fois plus importante que les industries du service et quatre fois plus importante que les industries manufacturières (Howkins, 2001 : xvi). Utilisant comme intrants de base la créativité et le capital intellectuel, ces industries constituent aujourd hui un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial. Plusieurs firmes créatives poursuivent de façon rigoureuse les opportunités dans les marchés d exportation (UNCTAD, 2008). Malgré l essor des industries créatives et leur contribution au commerce mondial, nous n avons recensé, à notre connaissance, aucune étude académique portant sur le phénomène de l internationalisation des firmes créatives. Notre mémoire vise donc à comprendre la nature du processus d internationalisation des firmes créatives. Il vient ainsi documenter un phénomène qui ne peut qu augmenter en importance si on se fie à la croissance de l économie créative. Pour répondre à notre question de recherche, nous avons construit cinq études de cas portant sur le parcours international de cinq firmes créatives montréalaises, soit Sid Lee, Aedifica, Juste pour rire, Harricana et le Cirque du Soleil. Nos résultats indiquent que le processus d internationalisation des firmes créatives est à la fois séquentiel et progressif. Il est enclenché par un besoin de croissance et via une première expérience à l international, quelle qu en soit sa nature. Notre analyse montre également que la capacité créative, définie comme la capacité de comportements et d actions créatifs (Napier et Nilsson, 2006), qui distingue les firmes de notre échantillon agit comme l avantage compétitif qui leur permet de percer les marchés internationaux. Puis, la présence dans les marchés internationaux permet à son tour de renforcer cette capacité créative. En conclusion, nous pouvons affirmer que l internationalisation des firmes créatives, une fois mise en mouvement, est une roue qui tourne. Mots clés : Théories d internationalisation, industries créatives, Sid Lee, Aedifica, Juste pour rire, Harricana, Cirque du Soleil, capacité créative

3 iii Table des matières Sommaire Table des matières Liste des tableaux Liste des figures Remerciements ii iii viii ix x 1. INTRODUCTION PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE Vers une nouvelle économie Les industries créatives : classification et essor Contribution au commerce mondial et stratégies d internationalisation L internationalisation des firmes créatives : un sujet encore peu étudié Questions de recherche et contributions STRUCTURE DE LA RECHERCHE 5 2. REVUE DE LA LITTÉRATURE THÉORIES DE L INTERNATIONALISATION DE L ENTREPRISE La théorie des investissements directs étrangers (IDE) Le cycle de vie du produit de Vernon Le modèle d internationalisation d Uppsala La perspective des réseaux L entrepreneuriat international Synthèse des théories de l internationalisation de l entreprise CARACTÉRISTIQUES DES INDUSTRIES CRÉATIVES Définition et classification des industries créatives Propriétés des industries créatives La chaîne de valeur dans les industries créatives La classe créative et les entrepreneurs créatifs Synthèse des caractéristiques des industries créatives CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE 22

4 iv 3. MÉTHODOLOGIE JUSTIFICATION DE LA MÉTHODE DES CAS DESIGN DE LA RECHERCHE Question de recherche Sélection des cas PROTOCOLE DE LA RECHERCHE Méthodes de collecte de données Traitement des données Analyse des données QUALITÉ DE LA RECHERCHE PRÉSENTATION DES RÉSULTATS SID LEE Description des activités de la firme Présentation du parcours international Décision de s internationaliser Choix des marchés Mode d entrée Internationalisation subséquente Avantages de l internationalisation Défis de l internationalisation Clés du succès AEDIFICA Description des activités de la firme Présentation du parcours international Décision de s internationaliser Choix des marchés Mode d entrée Internationalisation subséquente Avantages de l internationalisation Défis de l internationalisation Clés du succès JUSTE POUR RIRE Description des activités de la firme 46

5 v Présentation du parcours international Décision de s internationaliser Choix des marchés Mode d entrée Internationalisation subséquente Avantages de l internationalisation Défis de l internationalisation Clés du succès HARRICANA Description des activités de la firme Présentation du parcours international Décision de s internationaliser Choix des marchés Mode d entrée Internationalisation subséquente Avantages de l internationalisation Défis de l internationalisation Clés du succès CIRQUE DU SOLEIL Description des activités de la firme Présentation du parcours international Décision de s internationaliser Choix des marchés Mode d entrée Internationalisation subséquente Avantages de l internationalisation Défis de l internationalisation Clés du succès TABLEAUX SYNTHÈSES DES OBSERVATIONS Sid Lee Aedifica Juste pour rire Harricana Cirque du Soleil 81

6 vi 5. ANALYSE DES RÉSULTATS TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES DÉCISION DE S INTERNATIONALISER L internationalisation : une question de croissance Un avant-goût de l international L ambition internationale des entrepreneurs CHOIX DES MARCHÉS Des choix de marchés opportunistes Trouver le bon bassin Un marché à la fois MODE D ENTRÉE Maximiser les connaissances et minimiser les risques Le rôle des partenaires locaux Un investissement à la fois INTERNATIONALISATION SUBSÉQUENTE Toujours en mode progression Point d ancrage des activités créatives AVANTAGES DE L INTERNATIONALISATION Avantages financiers et non financiers Tous les avantages mènent à la créativité SOMMAIRE DE L ANALYSE DISCUSSION DES RÉSULTATS CONTRIBUTIONS DES THÉORIES D INTERNATIONALISATION La structure internationale de Dunning La pertinence du modèle de Vernon L applicabilité du modèle d Uppsala Le rôle des réseaux L entrepreneur dirigé vers l international L entrepreneur comme bâtisseur de l avantage compétitif RECOMMANDATIONS Recommandations académiques Recommandations managériales 109

7 vii 7. CONCLUSION LIMITES DE LA RECHERCHE Étendue des industries couvertes Type et quantité de données CONCLUSION 112 Annexes 114 Annexe 1 Questionnaire d entretien 114 Annexe 2 Tableau comparatif (analyse inter-cas) 115 Bibliographie 116

8 viii Liste des tableaux Tableau 1 Synthèse des théories de l internationalisation de l entreprise 14 Tableau 2 Déroulement des entretiens 28 Tableau 3 Grille de collecte et de traitement des données 28 Tableau 4 Tendances dégagées de la comparaison inter-cas 82

9 ix Liste des figures Figure 1 Chaîne de valeur traditionnelle 18 Figure 2 Chaîne de valeur dans les arts de la scène 19 Figure 3 Cadre conceptuel initial 23 Figure 4 Matrice de communications 38 Figure 5 Révision du cadre conceptuel 100

10 x Remerciements Merci d abord et avant tout à Monsieur Bertrand Cesvet, Monsieur Michel Dubuc, Monsieur Gilbert Rozon, Madame Mariouche Gagné et Monsieur Mario D Amico de m avoir donné de leur temps précieux pour discuter du parcours international de leur entreprise. Ces rencontres ont permis d obtenir des réponses indispensables à la réalisation de ce mémoire et ont aussi donné lieu à des discussions passionnantes. Merci à Monsieur Alain Noël d avoir dirigé ce projet de recherche avec une grande écoute et une grande rigueur. Merci à Monsieur Patrick Cohendet de m avoir ouvert les portes de l économie créative et des industries qui en font partie. Merci à mon père et ma mère pour leur support et leurs encouragements. Merci à Simon. Pour tout.

11 1. Introduction 1.1 PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE Vers une nouvelle économie «The turn of the millennium is a turn from hamburgers to software. Software is an idea; hamburger is a cow. There will still be hamburger makers in the 21st century, of course, but the power, prestige, and money will flow to the companies with indispensable intellectual property» (Coy, 2000). Par cette phrase très imaginée, la revue Business Week fut la première à introduire le concept de l économie créative une économie basée sur les idées plutôt que sur le capital physique. L économie industrielle cède sa place à l économie créative proclama alors le magazine d affaires. Peu de temps après, Howkins (2001) fut le premier à dresser un portrait complet de cette nouvelle économie. Dans son livre The Creative Economy : How People Make Money from Ideas (Howkins, 2001), il évalua l économie créative de 1999 à plus de 2,2 milliards de dollars à l échelle mondiale poursuivant une croissance annuelle de 5%. Ce que l auteur essaya de mettre en lumière par ce portrait est la force économique incroyable que possède aujourd hui la créativité. Car c est bien ce qui est nouveau selon lui, car «creativity is not new and neithers is economics, but what is new is the nature and the extent of the relationship between them and how they combine to create extraordinary value and wealth» (Howkins, 2001, viii). Aujourd hui, la transformation de l économie mondiale d une économie industrielle à une économie créative fait consensus aux quatre coins du monde. Il n y a qu à constater les derniers rapports de l Organisation des Nations Unies (ONU), de l Union européenne (UE) et de l Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui offrent tous un plaidoyer pour de nouveaux modèles de développement économique basés sur la créativité. Selon le Creative Economy Report 2008 publié par l ONU, non seulement l économie créative génère des retombées positives sur le plan des revenus et de la création d emplois, mais elle contribue également à la promotion de l inclusion sociale, de la diversité culturelle et du développement humain (UNCTAD, 2008). En dépit du manque d une définition unique

12 2 pour décrire l économie créative, les rapports convergent tous vers ce qui permet de déterminer son ampleur, c est-à-dire les industries créatives qui la composent Les industries créatives : classification et essor Utilisant comme intrants de base la créativité (définie comme l habileté de générer quelque chose de nouveau, Howkins, 2001) et le capital intellectuel, les industries créatives se distinguent notamment des industries traditionnelles par le type de biens et de services qu elles produisent. Elles offrent en effet des biens tangibles et des services intellectuels ou artistiques intangibles qui ont en commun un contenu créatif, une valeur économique et des objectifs de marché (UNCTAD, 2008). Notons que l utilisation du terme «industries créatives» varie selon les pays et les frontières de ces industries sont encore sujettes à débat. Nous prendrons ici le système de classification élaboré par le Département britannique de la culture, des médias et du sport (DCMS) qui reconnaît les 13 industries suivantes comme créatives (DCMS, 2009): - publicité - musique - architecture - arts de la scène - arts et antiquités - éditions - artisanats - logiciels - design - jeux vidéo - mode - télévision et radio - film Selon le DCMS (2009), «The creative industries are those that are based on individual creativity, skill and talent. They also have the potential to create wealth and jobs through developing and exploiting intellectual property.» Au cours des années 1990, les industries créatives ont connu une croissance économique dans les pays de l OCDE deux fois plus importante que les industries du service et quatre fois plus importante que les industries manufacturières (Howkins, 2001 : xvi). L ONU (UNCTAD, 2008) attribue cet essor incroyable à deux moteurs : la technologie et l économie. D une part, la convergence du multimédia et des technologies de télécommunications a entraîné de nouveaux moyens par lesquels les contenus créatifs sont produits, distribués et consommés, mais a également fait naître

13 3 de nouvelles formes d expression artistiques et créatives. D autre part, l ONU (UNCTAD, 2008) explique que la hausse des revenus ménagers a eu tendance à augmenter la demande pour des produits élastiques tels que les biens et les services créatifs. Howkins (2001) note aussi que le budget alloué aux activités de loisir dans les pays industrialisés a augmenté radicalement dans les dernières années. Ces conditions d offre et de demande réunies, il n est pas étonnant que les industries créatives soient désormais l un des secteurs les plus dynamiques du commerce mondial Contribution au commerce mondial et stratégies d internationalisation Si les transformations technologiques ont contribué de façon importante à l essor des industries créatives, Turok (2003) affirme qu elles ont aussi facilité le commerce international de ces biens et services en ouvrant les canaux de marketing et de distribution aux producteurs locaux. Entre 2000 et 2005, le commerce de biens et de services créatifs a augmenté en moyenne de 8,7% par année (UNCTAD, 2008 :4). La valeur des exportations mondiales de biens et de services créatifs a quant à elle atteint 424,4 milliards de dollars, totalisant 3,4% du commerce mondial total. Dans ce contexte d affaires internationales, l ONU (UNCTAD, 2008 :69) remarque que «Strategies for developing domestic creative industries that are outward-looking and actively target FDI and export markets in addition to local markets for creative products appear to be a key feature of successful creative industries.» Les industries créatives des États-Unis par exemple, très compétitives et dotées d une solide réputation, poursuivent de façon rigoureuse les opportunités dans les marchés d exportation (UNCTAD, 2008). Le phénomène de l internationalisation des firmes créatives - c est-à-dire le processus par lequel une firme passe d une situation où elle opère exclusivement sur le marché national à une situation dans laquelle elle opère sur les marchés internationaux (Buckley et Casson, 1998) - semble donc aller de soi L internationalisation des firmes créatives : un sujet encore peu étudié Malgré l essor des industries créatives et leur contribution au commerce mondial, nous n avons recensé, sauf erreur, aucune étude académique portant sur le phénomène de l internationalisation des firmes créatives. Nous avons répertorié quelques articles sur l internationalisation de certaines des industries identifiées par le DCMS, soit

14 4 l internationalisation des agences de publicité (Carpano et Shao, 1994), des firmes de logiciels (Bell, 1995) et de l industrie du film (Brunet et Gornostaeva, 2006), mais la littérature ne semble pas faire état du phénomène des industries créatives dans leur ensemble. De plus, ces études cherchent bien souvent à comprendre l applicabilité des théories d internationalisation dans une industrie en particulier, mais sans s arrêter sur le fait qu elle soit créative plutôt que traditionnelle. La dynamique d internationalisation qui découle des caractéristiques propres aux industries créatives n a donc toujours pas été mise en valeur. Selon Hartley (2005 : 6), il est nécessaire, alors que les industries créatives prennent de l ampleur en taille et en nombre, de les prendre comme un tout puisque «Their shape, interrelationships, and trends can only be observed from a bird s-eye view, where larger patterns can be seen». Malgré l étendue des industries qu elles couvrent, les industries créatives partagent des caractéristiques (incertitude de la demande, production collective voir Caves, 2000) qui leur donnent une cohérence interne, tout à fait propice à leur étude. Face à ce manque criant d analyse globale du phénomène, il apparait des plus pertinents de se pencher sur la question du processus d internationalisation des firmes créatives Questions de recherche et contributions À partir des théories d internationalisation et des caractéristiques propres aux industries créatives, notre mémoire cherchera à répondre à la question suivante : «Quelle est la nature du processus d internationalisation des firmes créatives?». Cette question principale se décline en cinq sous-questions : 1) Pourquoi les firmes créatives choisissent-elles de s internationaliser? 2) Vers quels marchés les firmes créatives se tournent-elles? 3) Quels sont les modes d entrée privilégiés par la firme? 4) Comment se traduit l internationalisation subséquente des firmes créatives? 5) Quels sont les avantages retirés de l internationalisation? Nous analyserons donc à la fois les facteurs qui motivent l enclenchement du processus d internationalisation (le «pourquoi») ainsi que le déploiement du processus d internationalisation (le «comment»).

15 5 Comme, à notre connaissance, aucune étude n a traité jusqu à ce jour du processus d internationalisation des firmes créatives, nos observations et notre analyse serviront à documenter un phénomène qui ne peut qu augmenter en importance si l on se fie à la croissance de l économie créative. En joignant les théories d internationalisation au contexte spécifique des industries créatives, nous croyons que nos résultats seront susceptibles d intéresser les chercheurs de disciplines variées que ce soient des affaires internationales, du management ou de l économie créative. Finalement, en présentant des cas de firmes montréalaises qui ont internationalisé leurs activités, nous espérons que notre mémoire aura une portée également pratique. Nos recommandations pourraient ainsi servir aux gestionnaires de firmes créatives cherchant à s internationaliser ou poursuivant leur internationalisation à bien distinguer comment la préoccupation créative au centre de leur modèle d affaires doit être prise en compte dans leur stratégie de développement international. 1.2 STRUCTURE DE LA RECHERCHE Notre mémoire sera structurée de la façon suivante. Nous présenterons dans le chapitre 2 un recensement de la littérature sur les théories d internationalisation et sur les caractéristiques des industries créatives. Cette revue de la littérature nous permettra de construire le cadre conceptuel qui guidera la collecte et l analyse de nos données. Nous détaillerons dans le chapitre 3 la méthodologie qui sera utilisée afin de répondre à notre question de recherche, soit l étude de cas. Le chapitre 4 sera consacré à la présentation des résultats et se terminera par la présentation de tableaux synthèses. Nous poursuivrons par l analyse des données dans le 5 e chapitre où les cas seront alors comparés et les grandes tendances seront dégagées. Le chapitre 6 fera guise de discussion des résultats puisque nous confronterons les résultats de notre recherche à la littérature en plus d offrir nos recommandations académiques et managériales. Nous discuterons pour conclure des limites de notre recherche.

16 2. Revue de la littérature Ce chapitre a pour objectif de recenser les principaux écrits dans la littérature académique pertinente à l objet du mémoire. Comme notre sujet, la nature du processus d internationalisation des firmes créatives, appert à la discipline des affaires internationales, mais dans le contexte spécifique des industries créatives, notre revue de la littérature sera divisée en deux sections. Nous aborderons dans un premier temps les différentes théories formulées pour expliquer l internationalisation des entreprises. Les limites de chacune d elles seront soulignées afin de pouvoir bien comprendre l évolution de la pensée dans cette discipline, mais aussi la nécessité de combiner plusieurs théories et approches pour étudier le processus d internationalisation des entreprises, comme suggéré par Melin (1992). Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur les caractéristiques des industries créatives pour saisir en quoi et comment elles sont différentes des industries traditionnelles. Nous terminerons ce deuxième chapitre avec la présentation de notre cadre conceptuel qui guidera la collecte et l analyse des données. 2.1 THÉORIES DE L INTERNATIONALISATION DE L ENTREPRISE La littérature des affaires internationales comprend un vaste nombre de théories qui expliquent le déclenchement et le parcours des firmes à l international. Afin de rendre cette section la plus pertinente qui soit, nous avons sélectionné les plus couramment utilisées dans les démarches empiriques portant sur l internationalisation des entreprises La théorie des investissements directs étrangers (IDE) La théorie des investissements directs à l étranger (IDE) cherche à comprendre pourquoi les firmes envoient leurs activités de production à l étranger sous la forme d IDE plutôt que de collaborer avec des partenaires locaux ou d exporter leurs produits à partir du marché national (O Farrell, Wood et Zheng, 1998). Pour répondre à cette question, cette théorie fait appel aux concepts des coûts de transaction (Coase, 1937) et de l internalisation (Buckley and Casson, 1976). Ainsi, les entreprises, en tant qu entités rationnelles qui cherchent à minimiser les coûts de transaction, évalueront la

17 7 structure la plus optimale à adopter pour chaque étape de production en choisissant entre l internalisation et l externalisation des activités. Par exemple, lorsque les transactions sont perçues comme risquées et demandant des ressources substantielles, la firme préfèrera internaliser cette activité au sein de sa structure hiérarchique plutôt que de la faire réaliser par une tierce partie (Coviello et Martin, 1999). En effet, Dunning (1988 : 3) observe que «the greater the perceived costs of transactional market failure, the more companies are likely to exploit their competitive advantages through international production rather than by contractual arrangements with foreign firms». Selon Johanson et Vahlne (1990), un des cadres d internationalisation basés sur la théorie des IDE les plus acceptés est le paradigme éclectique de Dunning (1988). Le paradigme de Dunning, aussi appelé paradigme OLI, explique que l envergure, la forme et le cheminement de la production internationale sont reliés à la présence de trois types d avantages (Noël, 2009) : - les avantages propres à la firme (O), tels que les marques, les brevets, les capacités de synergie entre les filiales, les économies d échelle et d intégration, bref, les facteurs de concurrence nationale; - les avantages d internalisation (I), c est-à-dire les bénéfices d intégrer les «O» au sein de la firme, par exemple par la création d une filiale plutôt que par la vente d une licence; - les avantages liés à la localisation des unités de production en fonction des pays (L), tels que les ressources naturelles, les coûts de transport et de l énergie, les entraves tarifaires, etc. Nous pouvons constater que les avantages «L» sont externes à la firme, alors les «O» et les «I» sont internes et propres à la firme. Plus les avantages «O» seront grands, plus la firme sera incitée à les internaliser (Andersen, 1997). Les avantages présentés dans le paradigme éclectique aideront la firme à décider de la façon la plus appropriée de s internationaliser. Le paradigme de Dunning peut donc être utilisé comme un outil d analyse pour les gestionnaires afin de prendre une décision quant au choix du mode d entrée typiquement l exportation, la vente de licence, le partenariat conjoint ou la création d une filiale (Dunning, 1988). Plusieurs études empiriques (Agarwal et

18 8 Ramaswami, 1992; Brouthers, Brouthers, et Werner, 1996; cités par Choi, 2008) ont démontré que plus les avantages OLI augmentaient, plus les firmes choisissaient un mode d entrée tel que la création d une filiale afin de maximiser ses avantages et garder le privilège du plein contrôle. Le paradigme éclectique souffre toutefois de quelques lacunes qui demandent une prudence dans son utilisation. Selon Melin (1992), même si Dunning tente d insuffler une orientation plus behaviorale et dynamique à la théorie des coûts de transaction, le modèle demeure statique. Le paradigme explique la présence des multinationales qui veulent tirer profit des avantages OLI, mais échoue à expliquer le processus par lequel ces firmes s internationalisent. Johanson et Mattsson (1988; cités par O Farrell et coll., 1998) soulignent également le fait que la théorie ignore le rôle que jouent les relations sociales dans les transactions. Finalement, les auteurs qui ont testé la validité du modèle de Dunning de façon empirique dans des industries du service, par exemple, émettent une mise en garde dans l utilisation de tels modèles élaborés en fonction de l industrie manufacturière (Javalgi, Griffith et White, 2003; cités par Ody, 2004). À la lumière de ces critiques, nous prendrons le modèle de Dunning pour ce qu il peut nous apporter : un outil pour nous aider à comprendre le mode d entrée privilégié par la firme selon les avantages OLI identifiés. Nous savons déjà que d autres théories d internationalisation devront être intégrées pour avoir une image plus globale et plus dynamique du processus d internationalisation Le cycle de vie du produit de Vernon Calqué sur le cycle de vie du produit, le modèle d internationalisation de Vernon (1966) se distingue de la théorie des IDE et du paradigme éclectique de Dunning par l aspect dynamique et temporel qu il apporte à la compréhension des flux d IDE. Le modèle stipule que l internationalisation de la firme se déploiera selon une séquence de développement en trois étapes suivant le volume des ventes réalisé dans le pays d origine (Noël, 2009). - Étape 1 : Exportation (nouveau produit) Cette première étape repose sur la capacité d innovation de la firme. Celle-ci développe une compétence distinctive sur son marché national, sous la forme d un nouveau produit ou d une avancée technologique, qui lui permettra d accéder par l exportation

19 9 aux marchés internationaux. - Étape 2 : Production à l étranger (produit mature) Une fois que les ventes dans le pays d origine ont bien augmenté, la firme établira des sites de production à l étranger en vue de contourner les obstacles à l exportation et obtenir un avantage de coûts pour faire face à l apparition de concurrents locaux. - Étape 3 : Ré-exportation (produit en déclin) Dans cette troisième étape, la production est réalisée entièrement à l étranger et possiblement ré-exportée des pays en développement à faibles coûts de main-d'œuvre vers le marché de la maison mère. La firme mise alors sur un haut niveau de standardisation et d économies d échelle et sur les avantages de localisation (elle cherche la source d approvisionnement la moins chère). Le modèle de Vernon met en lumière par ces trois étapes le rôle de l innovation du produit, l importance des économies d échelle et l influence de l incertitude sur le cheminement de la production internationale (Vernon, 1966). Comme le note Ody (2004), l intérêt du modèle de Vernon est qu il présente des étapes de développement à l international qui sont à la fois propres à la firme, mais qui reconnaissent aussi l impact des forces du marché. Tout comme ce fut le cas pour le paradigme éclectique de Dunning (1988), ce modèle a fait l objet de critiques au niveau de sa validité empirique dans des industries autres que celles manufacturières. Par exemple, dans le cas de l industrie des services, il n est pas toujours possible de choisir entre exportation et production à l étranger, les deux pouvant être requis dès le départ (Boddewyn, Halbrich et Perry, 1986; cités par Ody, 2004). Nous trouvons particulièrement intéressant, dans le cadre de notre mémoire sur les firmes créatives, l étape 1 du modèle d internationalisation de Vernon qui lie la capacité d innovation de la firme à la décision de s internationaliser. Nous retiendrons cet élément du modèle Le modèle d internationalisation d Uppsala Découlant de la logique par étapes introduite par Vernon (1966), le modèle d Uppsala, développé par Johanson et Vahlne (1977; 1990), conçoit également l internationalisation de la firme comme un processus d apprentissage par lequel l entreprise augmente graduellement son implication internationale. Le parcours international de la firme est le produit d une série de décisions incrémentales. Alors que la théorie des IDE avait pour base les théories économiques, le modèle d Uppsala,

20 10 nommé d après l université où il est né, s ancre dans une approche beaucoup plus behaviorale. L hypothèse de base du modèle d Uppsala est que le manque de connaissances concernant les marchés étrangers et les opérations étrangères agit comme un obstacle important au développement international des firmes et que ces connaissances peuvent être acquises principalement par l expérience dans le marché (Johanson et Vahlne, 1977). Le modèle d internationalisation d Uppsala explique deux cheminements dans le processus d internationalisation de la firme. Le premier cheminement est que l engagement de la firme dans un pays se développe selon une chaîne d établissements. Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) identifient une série de quatre étapes incrémentales par lesquelles la firme se déploiera à l étranger : - Étape 1 : activités d exportations irrégulières et opportunistes - Étape 2 : exportations via un agent indépendant - Étape 3 : implantation d une succursale/filiale de vente - Étape 4 : production dans le pays étranger Cette séquence d étapes montre bien que l implication dans le pays étranger augmente au fur et à mesure que la firme gagne en expérience dans les marchés internationaux. Le deuxième cheminement expliqué par le modèle d Uppsala est que les firmes vont entrer dans les nouveaux marchés avec une distance psychique successivement plus grande. Le concept de distance psychique y est défini comme «the sum of factors preventing the flow of information from and to the market. Examples are differences in language, education, business practices, culture and industrial development» (Johanson et Vahlne, 1977). Ayant initialement peu d expérience internationale, les firmes s internationaliseront d abord dans les pays qu elles arrivent à comprendre plus facilement et ensuite elles iront dans des pays à plus grande distance psychique. Malgré son caractère plus dynamique que les modèles précédents et le fait qu il ait gagné un appui significatif (Johanson et Vahlne, 1990), le modèle d Uppsala a subi maintes critiques. Reid (1983; cité par Bell, 1995) accuse le modèle d Uppsala d être beaucoup trop déterministe, comme s il n y avait qu un chemin et quatre modes d entrée possibles, en avançant que le processus d internationalisation des firmes est

21 11 unique à la firme et hautement lié à leur situation propre. Le modèle d Uppsala est souvent pointé du doigt pour le manque de preuves empiriques concernant la succession graduelle des étapes. En effet, Hedlund et Kverneland (1985; cités par Bell, 1995) démontrent une accélération du processus d internationalisation, les firmes optant pour des modes d entrée plus directs et rapides que ceux proposés par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975). Le saut des étapes intermédiaires serait par ailleurs observé chez les petites et moyennes entreprises (PME) (Gankema et coll., 2000). Conscients de ces nombreuses lacunes, nous retiendrons toutefois du modèle d Uppsala, non pas la progression linéaire des firmes au travers des quatre étapes proposées par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), mais bien l influence que peut avoir la distance psychique sur le choix du marché et l influence que peut avoir l expérience internationale sur le mode d entrée. Par contre, tout comme le paradigme éclectique, nous notons que le modèle d Uppsala n indique en rien ce qui a déclenché le processus d internationalisation en premier lieu la décision de s internationaliser est présentée comme un choix passif et réactif La perspective des réseaux Proposant une vision alternative à la théorie des IDE et aux modèles par étapes (Vernon et Uppsala), l approche des réseaux étudie le comportement de la firme dans le contexte d un réseau de relations interorganisationnelles et interpersonnelles (Axelsson et Easton, 1992; cités par Coviello et McAuley, 1999). Comme ces relations peuvent impliquer consommateurs, fournisseurs, compétiteurs, agences privées et publiques, famille et amis, les frontières de l organisation incorporent autant les relations d affaires (formelles) que sociales (informelles) (Coviello et McAuley, 1999). Selon la perspective des réseaux, qui s appuie sur les théories de l échange social et de la dépendance face aux ressources, une firme dépend de ressources contrôlées par d autres entreprises et obtient l accès à ces ressources externes au travers de sa position dans le réseau (Johanson et Mattson, 1988 ; cités par O Farrell et coll., 1998). Le processus d internationalisation ne dépend donc pas exclusivement du comportement de la firme étudiée (Bell, 1995). Selon Coviello et McAuley (1999), la perspective des réseaux apporte une vision complémentaire à la théorie des IDE puisque cette dernière, comme nous l avons souligné, ne tient pas compte du rôle et de l influence des relations sociales dans les

22 12 transactions d affaires. De plus, la décision de s internationaliser et le déploiement des activités internationales émergent dans la perspective des réseaux comme une fonction des comportements des membres des différents réseaux alors que la théorie des IDE considère que les décisions stratégiques sont prises de façon rationnelle. En comparant le modèle d internationalisation d Uppsala à la perspective des réseaux, Johanson et Vahlne (1992; cités par Coviello et McAuley, 1999) constatent que cette dernière apporte un élément plus multilatéral à l internationalisation puisque l entrée dans le marché, si graduel soit-il, est le résultat des interactions et du développement de relations dans le temps. En somme, l approche des réseaux présente l internationalisation comme un processus beaucoup plus complexe et moins structuré (Bell, 1995) que les théories et les modèles que nous avons présentés précédemment. La littérature remarque que la perspective des réseaux a la qualité d apporter une perspective rafraîchissante sur le processus d internationalisation de la firme particulièrement dans le cas des PME dont le développement a tendance à être dépendant de relations avec les autres (Alexsson et Easton, 1992 ; cités par Coviello et Munro, 1995). Johanson et Mattsson (1988 ; cités par Coviello et Munro, 1995) soulignent que le succès de l entrée d une firme sur les marchés internationaux est plus une question des relations qu elle entretient dans ses marchés, national et international, que le marché lui-même et ses caractéristiques culturelles. Ils expliquent que les firmes peuvent passer du marché national à international grâce à leurs relations existantes qui leur proposent des contacts et les aident à développer de nouveaux partenaires. Bjorkman et Forsgren (2000 ; cités par Thai, 2008) remarquent toutefois que l approche a un problème majeur : elle offre des conclusions imprécises sur les manifestations de l internationalisation. Cela dit, nous trouvons intéressant la perspective des réseaux parce qu elles nous amènent à élargir nos avenues pour expliquer le processus d internationalisation, c est-à-dire en regardant le rôle que peuvent avoir les réseaux de relations sur la décision de s internationaliser, le choix des marchés et le mode d entrée L entrepreneuriat international Les théories et modèles présentés jusqu à maintenant ont mis une certaine emphase sur l environnement de la firme dans l explication du processus de développement international de la firme. Pourtant, le concept même de la stratégie d entreprise articulé

23 13 par Andrews (1971) est basé sur l évaluation de l environnement et des capacités organisationnelles de la firme jumelée à la raison d être de la firme et les valeurs personnelles de ses dirigeants. Il convient donc pour comprendre la stratégie de développement international de l entreprise, d analyser le rôle des acteurs clés de l organisation. Dans le contexte du processus d internationalisation, le champ de l entrepreneuriat international s avère particulièrement intéressant par l attention qu il porte sur la formation de la stratégie de développement international. Combinant les théories des affaires internationales et de l entrepreneuriat, l entrepreneuriat international est défini comme «the process of creatively discovering and exploiting opportunites that lie outide a firm s domestic markets in the pursuit of competitive advantage» (Zahra et George, 2002 :261). L entrepreneuriat international est porté par un entrepreneur, décrit comme «une personne imaginative, caractérisée par une capacité à se fixer et à atteindre des buts. Cette personne maintient un niveau élevé de sensibilité en vue de déceler des occasions d affaires [ ].» (Filion, 1997), qui s oriente vers le marché international. Zahra et George (2002) notent la proactivité, l innovation et la prise de risques dont ces firmes entreprenantes font preuve lors de l expansion internationale de leurs opérations. L entrepreneuriat international, par le mode proactif de l entrepreneur, contraste ainsi avec le modèle d internationalisation d Uppsala. Notons que ici que l entrepreneuriat international ne se limite pas à la question du «timing» de l internationalisation, c est-à-dire à la rapidité à laquelle la firme s internationalise. Les études empiriques menées dans le champ de l entrepreneuriat international démontrent que les caractéristiques des hauts dirigeants influencent la volonté de la firme à s internationaliser (Zahra et George, 2002). Les entrepreneurs qui possèdent une vision internationale, qui ont étudié à l étranger ou qui ont une expérience de travail à l étranger sont les plus susceptibles de reconnaître les opportunités d affaires en dehors du marché national et de poursuivre des stratégies d internationalisation malgré les limites de leurs ressources (Zahra et coll., 2003). Ils font preuve d un intérêt et d une motivation à œuvrer à l international. Malgré le flou qui persiste dans la littérature sur la délimitation de ce champ de recherche (Tortellier, 2005), la définition et les caractéristiques des entrepreneurs proposées par Zahra et George (2002) nous permettent d ajouter une dimension entrepreneuriale jusqu'alors peu abordée dans les modèles traditionnels de description du processus d internationalisation (Etrillard,

24 ). En plus de mettre en lumière le rôle des acteurs clés dans la décision de s internationaliser, la définition d entrepreneuriat international suggère de se pencher sur les avantages compétitifs recherchés par la firme lors de l internationalisation. Nous croyons que les premières retombées financières et non financières seront susceptibles d influencer l internationalisation subséquente de la firme. Bref, nous croyons que malgré la nouveauté de ce champ de recherche, le champ de l entrepreneuriat international nous permet de compléter le portrait d analyse du processus d internationalisation que nous tentons de dégager par cette revue de la littérature Synthèse des théories de l internationalisation de l entreprise Cette première section de notre revue de la littérature nous a permis de cerner les apports des théories d internationalisation de l entreprise les plus couramment utilisées dans les démarches empiriques portant sur le processus de développement international. Nous pouvons constater que chacune des théories relevées apporte une explication à la décision de s internationaliser, au choix des marchés, au mode d entrée, à l internationalisation subséquente ou aux avantages de l internationalisation. La nature du processus d internationalisation peut donc être conceptualisée sous la forme de cinq dimensions qui correspondent aux cinq sous-questions de recherche présentées dans le chapitre 1. Le tableau 1 montre les liens qui peuvent être faits entre ces dimensions et les théories d internationalisation de l entreprise. Tableau 1 : Synthèse des théories de l internationalisation de l entreprise Dimension Théories d internationalisation Décision de s internationaliser Vernon, réseaux, entrepreneuriat international Choix des marchés Uppsala, réseaux Mode d entrée Dunning, Uppsala, réseaux Internationalisation subséquente Entrepreneuriat international Avantages de l internationalisation Entrepreneuriat international 2.2 CARACTÉRISTIQUES DES INDUSTRIES CRÉATIVES Le domaine de l économie créative s est bonifié au cours des dix dernières années par de nombreux concepts qui permettent de cerner en quoi cette nouvelle économie est différente de l économie industrielle. Nous puiserons dans la littérature les concepts qui

25 15 ont trait plus particulièrement aux industries créatives soit ses caractéristiques et ses acteurs pour dégager le contexte spécifique dans lequel œuvrent les firmes créatives. Cette section fera donc office de note d industries Définition et classification des industries créatives Il existe dans la littérature académique de l économie créative encore un nombre considérable d inconsistances et de désaccords sur la définition même des industries créatives, particulièrement sur la distinction avec les industries culturelles (UNCTAD, 2008). L ONU (UNCTAD, 2008) offre une définition en cinq points des industries créatives : - elles sont le cycle de création, de production et de distribution de biens et services qui utilisent la créativité et le capital intellectuel comme intrants de base; - elles constituent un groupe d activités basées sur les connaissances, concentrées sur, mais non exclusivement, l art, générant potentiellement des revenues du commerce et de la propriété intellectuelle; - elles comprennent des produits tangibles et des services intellectuels ou artistiques intangibles ayant en commun un contenu créatif, une valeur économique et des objectifs de marché; - elles sont au croisement des secteurs de l artisanat, des services et industriel; - elles constituent un nouveau secteur dynamique dans le commerce mondial. Afin de bien saisir la distinction entre industries culturelles et industries créatives, l ONU suggère de s attarder aux biens et services qu elles produisent. Les biens et services culturels, comme les œuvres d art, les performances musicales, la littérature, les films, se distinguent des autres commodités entre autres par le type de valeur qu ils incarnent ou génèrent (UNCTAD, 2008). En effet, ces biens et services ont une valeur culturelle en plus de la valeur commerciale qu ils peuvent posséder et cette valeur est difficilement mesurable en terme monétaire. Les consommateurs placent donc une valeur, pour des raisons sociales, culturelles ou des considérations esthétiques, qui complémente ou transcende une évaluation purement économique. En ce sens, les biens et services culturels sont une sous catégorie de la catégorie plus large des biens et services créatifs. La catégorie de biens créatifs va au-delà des biens culturels pour

26 16 inclure des produits comme la mode et les logiciels dont la production nécessite la créativité humaine, mais qui sont perçus comme essentiellement commerciaux (UNCTAD, 2008). Parmi les différents modèles de classification des industries créatives mis sur pied depuis le milieu des années 1990, nous retiendrons celui du Département britannique de la culture, des médias et du sport (DCMS) élaboré en 1997 dans le but de positionner l Angleterre comme une économie basée sur la créativité. Selon le DCMS (2009) «The creative industries are those that are based on individual creativity, skill and talent. They also have the potential to create wealth and jobs through developing and exploiting intellectual property.» Elles comprennent les 13 industries suivantes: la publicité, l architecture, les arts et antiquités, l artisanat, le design, la mode, le film, les arts de la scène, l édition, les logiciels, les jeux vidéo et la télévision et radio. McGuigan (1998; cité par Flew, 2002) pointe toutefois l élément ad hoc et pragmatique dans la classification du DCMS. Il affirme qu «In the UK case, the inclusion of sectors such as architecture and antiques is connected to the institutionally alignment of culture with the heritage sector, while the inclusion of areas such as designer fashion may reflect both the fact that Britain is a world leader in the area [ ]». En dépit de cette critique, l ONU rappelle qu il n y a pas de bon ou de mauvais modèle de classification des industries créatives et qu il faut choisir celui le plus approprié selon l objectif d analyse visé (UNCTAD, 2008) Propriétés des industries créatives Par la dimension de la créativité qui les unit, les industries créatives possèdent des propriétés distinctes qui affectent à la fois leur organisation, leur impact économique et leur localisation (Turok, 2003). Selon Hartley (2005), elles se différencient de plusieurs façons des industries manufacturières. Alors que les industries d autrefois étaient composées d entreprises à grande échelle, les industries créatives sont plutôt des micro-entreprises ou des petites et moyennes entreprises (PME). Tandis que les industries d autrefois présentaient une forme d organisation industrielle, les industries créatives sont organisées autour de projets et non d une usine ou d un bureau. Dans son livre Creative Industries : Contract Between Arts and Commerce, Caves (2000) identifie sept propriétés uniques aux industries créatives.

27 17 1. Incertitude de la demande Parce que les produits créatifs sont des produits expérientiels («experience goods»), il y une incertitude considérable entourant leur demande. Rarement connaît-on d avance la réaction des consommateurs et la satisfaction qu ils retireront du produit sera largement subjective et intangible; 2. «L art pour l art» Les créateurs dans les industries créatives se soucient passionnément de la qualité de leurs produits et retirent une forme de satisfaction non économique de leur travail et de leurs activités créatives; 3. Production collective La production de certains produits créatifs complexes, comme les films, est de nature collective. Il y a un besoin de développer et maintenir des équipes créatives aux habiletés variées qui possèdent souvent des intérêts et des attentes très différentes quant au produit final; 4. Variété infinie Il y a la possibilité d une variété infinie de produits à la fois sur un format particulier et entre les formats; 5. Liste A / liste B Les habiletés des artistes sont différentiées verticalement ce qui mène au phénomène d une «liste A / liste B» dans la façon dont ils sont évalués. Une petite différence dans les habiletés des artistes peut mener à une grande différence dans le succès des projets créatifs; 6. Espace-temps serré Les différentes activités créatives doivent être coordonnées dans un espacetemps et des délais souvent serrés; 7. Durabilité des produits Les produits créatifs ont un aspect de durabilité puisque des rentes économiques peuvent être retirées (par la protection intellectuelle) bien après leur production. Flew (2002) remarque que par ses sept propriétés, Caves (2000) met en lumière le risque majeur et l incertitude autour des retombées économiques des activités créatives. Ce risque et cette incertitude ont un impact sur la façon dont les industries

28 18 créatives sont structurées et organisées. En effet, Caves (2000) avance que les activités créatives sont gérées sous forme de contrats qui lient les différentes parties impliquées dans la production et la distribution du produit créatif de façon à réconcilier les intérêts artistiques et économiques de chacun La chaîne de valeur dans les industries créatives Un autre aspect, relevé dans la littérature, qui distingue les industries créatives des industries traditionnelles concerne leurs chaînes de valeur, c est-à-dire l organisation de la production et la création de valeur à chaque étape de la production. Brecknock (2004) explique que tous les produits, créatifs ou non, entrent dans une chaîne de production qui amène les idées originales jusqu aux consommateurs. La chaîne de valeur traditionnelle prend ainsi la forme de la figure 1. Figure 1 : Chaîne de valeur traditionnelle Source : Brecknock (2004) Brecknock (2004) avance que la chaîne de valeur des industries créatives diffère de celle-ci puisque l unicité des produits créatifs introduit dans le processus de production deux nouveaux joueurs : le créateur (l encodeur) et le consommateur (le décodeur). La figure 2 illustre la chaîne de valeur dans l industrie des arts de la scène. Brecknock (2004) fait remarquer qu il y a un processus de communication d information symbolique entre l artiste et le public. Ce que cette deuxième figure nous montre bien est que la valeur dans les industries créatives est créée à la fois en amont, par les talents, et en aval, par les consommateurs qui donnent un sens, une valeur aux produits créatifs.

29 19 Figure 2 : Chaîne de valeur dans les arts de la scène Source : Brecknock (2004) Si nous regardons de plus près du côté des talents, en amont, il est vrai que les industries créatives dépendent fortement des ressources humaines. Zapata (2008) mentionne l exemple de l industrie de la publicité où le travail ne dépend pas que des outils graphiques utilisés pour imprimer, pour faire le design ou pour dessiner les concepts, mais dépend aussi et surtout du talent humain des employés, soit leur expérience, leur éducation et leur créativité. Ce sont ces éléments qui vont augmenter la valeur du produit final. Caves (2000) exprime cette dynamique de talents créatifs avec le principe de la liste A / liste B mentionné plus haut. Les artistes sont évalués en fonction de leurs habiletés, leur originalité et leurs compétences dans les processus créatifs. Des petites différences dans le talent et les habiletés peuvent entraîner de grandes différences dans le succès des produits. Trouver le meilleur talent qui soit est donc un enjeu crucial dans les industries créatives. Miège (1989; cité par Hartley, 2005 :351) parle même de «a permanent crisis in creativity [where] producers must constantly be on the lookout for new forms or new talent». Si nous regardons cette fois du côté du consommateur, en aval, il faut comprendre que les consommateurs jouent aussi un rôle déterminant dans le succès d un produit ou d un service créatif (Hartley, 2005). Caves (2000) souligne le fait que «the consumer (or market, more accurately) is sovereign to the extent that the value of creativity as an input can t be gauged until it is used». La valeur apposée à la créativité est subjective et intangible et déterminée suite à sa consommation. Selon Hartley (2005), pour comprendre les industries créatives, il faut donc se concentrer sur cette nouvelle dynamique de consommation, source de valeur dans la chaîne de production. Le

30 20 consommateur a évolué du stade passif, où il consommait ce que l industrie voulait bien produire, à un stade où il s exprime lorsqu il consomme. Il est désormais «a thinking, emotional, creative being» (Hartley, 2005 :24). Pour Hartley (2005 :24), l analyse des industries créatives requiert «[that] we dump the behavioral model of the consumer, and instead begin an analysis that is sited on consumption as much as production but consumption as action, not behavior» La classe créative et les entrepreneurs créatifs La littérature sur l économie créative s est penchée sur ce qui caractérisait les industries créatives, mais également sur les acteurs qui en font partie. Les travaux de Florida (2002) démontrent que l économie créative a donné lieu à l émergence d une nouvelle classe sociale : la classe créative. Dans son livre The Rise of the Creative Class (2002), il affirme que près de 30% la main d œuvre totale des États-Unis appartient à cette nouvelle classe de travailleurs créatifs. Il fait la distinction entre deux catégories de professionnels appartenant à la classe créative. La première est formée par des individus qui sont complètement impliqués dans le processus de création et qui sont payés pour être créatifs, pour créer de nouvelles technologies ou de nouvelles idées le «super creative core». Ce sont entre autres les scientifiques, les ingénieurs, les artistes, les architectes, etc. La deuxième catégorie est formée de «creative professionals», des professionnels avec un haut niveau de qualification et une capacité d innovation, oeuvrant dans les domaines du droit, de la médecine, de la gestion et de la finance et qui, eux, sont impliqués dans la résolution de problèmes complexes. En d autres mots, par leur créativité, tous ces travailleurs ajoutent une valeur à un produit ou une idée. Florida (2002) avance que les villes qui réussiront dans l économie créative seront celles capables d attirer et de retenir la classe créative. Si les travaux de Florida sont reconnus pour avoir fait avancer le discours public sur l économie créative, ils ont aussi maintes fois été critiqués, généralement pour la définition même de la classe créative, trop vaste pour être réellement pertinente (UNCTAD, 2008). À la tête des industries créatives se trouve un type bien particulier d acteurs : les entrepreneurs créatifs. Ils sont définis comme des entrepreneurs talentueux capables de transformer des idées en des produits et services créatifs pour la société (UNCTAD, 2008). Ceux-ci se distinguent des entrepreneurs d autrefois, car ils vont chercher leur matière non pas dans le capital, mais à l intérieur d eux-mêmes : «They use creativity to

31 21 unlock the wealth that lies within themselves. Like true capitalists, they believe that this creative wealth, if managed right, will engender more wealth» (Howkins, 2001 : 129). Selon Howkins (2001), les entrepreneurs créatifs partagent les cinq caractéristiques suivantes: - Vision. Ils ont un rêve et veulent transformer ce rêve en réalité. - Concentration. Ils sont déterminés et ils fixent leur attention sur une seule chose. - Perspicacité financière. Ils ont des habiletés financières suffisantes pour bâtir une entreprise. - Fierté. Ils sont fiers d eux-mêmes et de leurs idées et ne lâchent pas prise. - Sentiment d urgence. Ils agissent rapidement, ils sont pressés d atteindre leur objectif. Il est intéressant d ajouter qu ils ont aussi une habileté à aller chercher le meilleur du talent et de la créativité du groupe qu ils dirigent (Leadbeater, 1999; cité par Flew, 2002). Le Digital Media Alliance (cité par Howkins, 2001 :131) les décrit comme détenant «an easy ability to group and regroup talent, fast decision-making and hothouse conditions for distilling creative ideas». Napier et Nilsson (2006) complètent ce portrait de l entrepreneur créatif en spécifiant que celui-ci joue le rôle de l architecte, du supporteur et du développeur de la capacité créative de l organisation. La capacité créative est composée de l ensemble des routines et des processus qui renforce la capacité de comportements et d actions créatifs de l organisation. Comme cette capacité créative est en soi la source de leur avantage compétitif, l habileté de l entrepreneur à développer et utiliser cette capacité créative est primordiale pour les firmes créatives Synthèse des caractéristiques des industries créatives À la lumière de cette note d industries, nous pouvons constater que plusieurs des caractéristiques des industries créatives laissent envisager que les firmes créatives adopteraient un comportement d internationalisation différent des firmes manufacturières. L incertitude quant aux retombées économiques des produits créatifs fait que les entrepreneurs créatifs auront à gérer un haut niveau de risques en étendant les activités de la firme à l international. Nous pourrions penser que cette notion de

32 22 risque pourrait influencer la décision de s internationaliser. Les firmes créatives ont aussi la particularité de posséder, contrairement aux firmes manufacturières, peu d actifs fixes et beaucoup d actifs intangibles. Cette différence est assez marquante pour que les priorités en terme de marchés et de mode d entrées se reflètent dans un processus d expansion internationale propre aux firmes créatives. Puis, finalement, nous remarquons qu en plus d être de petite taille, les firmes créatives sont menées par des entrepreneurs déterminés. Les décisions quant à la stratégie d expansion à court et à long terme risquent d être centrées autour d une seule personne, émotivement liée au succès de l entreprise. Ces pistes d hypothèses ne font que renforcer la pertinence de se pencher sur la nature du processus d internationalisation des firmes créatives, de la décision de s internationaliser jusqu aux avantages retirés une fois l internationalisation enclenchée. 2.3 CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE Le recensement des écrits complété, nous sommes en mesure de construire un cadre conceptuel qui guidera le présent mémoire. Rappelons que nous cherchons à répondre à la question suivante : «Quelle est la nature du processus d internationalisation des firmes créatives?» Pour ce faire, nous allons répondre à cinq sous-questions qui correspondent aux cinq dimensions du processus d internationalisation, soit la décision de s internationaliser, le choix des marchés, le mode d entrée, l internationalisation subséquente et les avantages de l internationalisation. Ces cinq dimensions sont représentées par les cinq boîtes du cadre conceptuel présenté en figure 3. Les cinq boîtes réunies, pour l instant sans liens causals, nous permettront de comprendre à la fois les facteurs qui motivent l enclenchement du processus d internationalisation (le «pourquoi») ainsi que le déploiement du processus d internationalisation (le «comment»). Si nous nous penchons sur le contexte dans lequel l internationalisation a pris racine, notre cadre conceptuel n inclut pas le paramètre du «timing» de l internationalisation. Ce cadre conceptuel initial servira de balises à notre démarche terrain, mais nous nous permettrons de le bonifier à la lumière des résultats obtenus par l analyse de cas.

33 23 Figure 3 : Cadre conceptuel initial Nature du processus d internationalisation

34 3. Méthodologie Ce chapitre a pour objectif de présenter la démarche méthodologique qui sera utilisée pour répondre à notre question de recherche : «Quelle est la nature du processus d internationalisation des firmes créatives?» Nous débuterons par expliquer pourquoi parmi les différentes méthodes de recherche proposées en sciences sociales nous avons opté pour la méthode des cas. Ensuite, nous détaillerons le design de la recherche, c est-à-dire la structure que prendront nos cas. Puis, nous développerons notre protocole de recherche soit les méthodes de collecte et d analyse des données. Nous terminerons par les tests utilisés pour s assurer de la qualité de la recherche. 3.1 JUSTIFICATION DE LA MÉTHODE DES CAS Parmi les différentes stratégies de recherche qui nous sont proposées dans la discipline des affaires internationales, soit les expériences, les enquêtes, les études historiques et les analyses d archives, nous retrouvons la méthode des cas (Yin, 2009). Yin (2009 :18) définit cette méthode comme «an empirical inquiry that investigates a contemporary phenomenon in depth and within its real-life context». Yin (2009) propose trois conditions pour déterminer si la méthode des cas se prête à l objet à l étude : (1) la nature des questions, (2) le contrôle dont dispose le chercheur sur les événements et (3) la nature de l événement (contemporain ou historique). Yin (2009) affirme que la méthode de cas est la plus appropriée pour des recherches avec des types de questions comme «comment» et/ou «pourquoi» portant sur des événements contemporains sur lesquels le chercheur a peu de contrôle. Notre mémoire s inscrit en tout point dans ces conditions. Nous nous interrogeons sur pourquoi et comment les firmes créatives s internationalisent, nous allons étudier le phénomène d un point de vue externe sans manipulation des événements et nous allons nous baser sur le parcours d internationalisation des firmes pour dégager des tendances actuelles sur la question du processus d expansion internationale. Outre la justification de la méthode de cas par les conditions de Yin (2009), nous apprécions cette méthode notamment pour le niveau de profondeur et l accent sur l objet à l étude qu elle nous permet (Ghauri, 2004). À travers les différentes sources de données qu une collecte de donnée nécessite pour former un cas (Ghauri, 2004), nous

35 25 allons réussir à véritablement cerner la dynamique d internationalisation de chaque firme créative. Parmi les avantages de la méthode de cas, Ghauri (2004) souligne qu elle permet d adopter une perspective longitudinale. Ceci implique que nous pouvons relater le parcours d internationalisation de façon temporelle, de la décision de s internationaliser jusqu au plan futur d internationalisation. Elle permet aussi de placer dans son contexte le comportement des objets à l étude donc de prendre en considération l environnement dans lequel les firmes créatives évoluent. Grâce à son niveau de profondeur, la méthode des cas permet de construire des théories («theory building») donc de passer du particulier au général (Ghauri, 2004). 3.2 DESIGN DE LA RECHERCHE Question de recherche Eisenhardt (1989) souligne l importance de définir en premier lieu la question de recherche en citant à ce propos Mintzberg (1979) qui note «No matter how small our sample ou what our interest, we have always tried to go into organizations with a welldefined focus to collect specific kinds of data systematically». La question de recherche principale de notre mémoire est la suivante : «Quelle est la nature du processus d internationalisation des firmes créatives?» Comme, à notre connaissance, notre sujet de recherche n a jamais été étudié, notre mémoire se situe dans une démarche exploratoire dont le but est de développer des hypothèses et des propositions pertinentes qui pourront faire l objet de recherches futures (Yin, 2009). Pour ce faire, Eisenhardt (1989) recommande de ne pas jumeler à la question de recherche des propositions puisque ceux-ci pourraient biaiser et même limiter les résultats. Elle suggère plutôt aux chercheurs de préciser à partir de la littérature existante quelques variables potentiellement importantes, mais toujours avec le soin d éviter de penser à des relations entre les variables et les théories. À partir de la littérature sur les théories d internationalisation, nous avons convenu d étudier le processus d internationalisation sous cinq dimensions, soit la décision de s internationaliser, le choix des marchés, le mode d entrée, l internationalisation subséquente et les avantages de l internationalisation. C est donc notre cadre conceptuel qui a servi de balises à notre travail de recherche sur le terrain.

36 Sélection des cas Notre question de recherche indique clairement que l unité d analyse de notre mémoire est la firme créative. Nous nous pencherons sur l analyse des comportements de celleci approchant chaque firme dans sa globalité, c est-à-dire de manière holistique. Pour arriver à dresser un portrait le plus révélateur qui soit des industries créatives, répertoriées au nombre de 13 par le DCMS (2009), nous avons choisi de faire l étude de cinq firmes créatives ayant internationalisé leurs activités. Avec cinq cas et une seule unité d analyse, nous nous retrouvons avec un design de cas multiples holistique. Si la conduite d une étude de cas multiples nécessite plus de temps et de ressources, Yin (2009) mentionne qu elle a son lot d avantages. Les constats tirés de plusieurs cas sont souvent considérés comme plus convaincants et le projet de recherche est perçu comme plus robuste (Herriott et Firestone, 1983; cités par Yin, 2009). Comme la pertinence de notre recherche provient du fait qu aucune étude ne s est penchée sur les industries créatives dans leur ensemble, il allait de soi d examiner plusieurs industries créatives. La sélection des cas s est effectuée de la façon suivante. Nous avons pris la classification des industries créatives formulée par le DCMS (2009) et nous avons répertorié pour chacune des industries les firmes créatives oeuvrant à l étranger que nous connaissions. Nous nous sommes concentrés sur les firmes siégeant à Montréal pour faciliter le déroulement des entretiens individualisés. La recherche Internet nous a permis de valider si les firmes correspondaient bien au profil recherché, c est-à-dire une firme appartenant à une des treize industries créatives et ayant internationalisé ses activités. Nous avons tout d abord contacté les firmes où nous possédions un contact personnel ou personnel pour augmenter nos chances d obtenir un entretien avec un haut dirigeant. Une des firmes rencontrées nous a également référé à d autres firmes correspondant au profil recherché. Nous nous sommes finalement arrêtés sur cinq firmes, un nombre qui nous permettait de couvrir quatre industries créatives différentes et d obtenir de la variance dans nos résultats. Notre échantillon comprend donc une firme de publicité (Sid Lee), une d architecture (Aedifica), une de mode (Harricana) et deux des arts de la scène (Juste pour rire et le Cirque du Soleil).

37 PROTOCOLE DE LA RECHERCHE Méthodes de collecte de données Comme conseillé par Ghauri (2004), afin de recueillir une quantité suffisante d information pour expliquer le parcours d internationalisation unique de chaque cas et pour faire ressortir les caractéristiques communes à tous, nous avons procédé à une collecte de données à l aide de plusieurs sources. Selon Länsisalmi, Peiro, et Kivimäki (2004), l avantage d aller chercher le plus de sources d évidence possible est de pouvoir bénéficier des forces de chacune des sources en plus de pouvoir appliquer le principe de triangulation des données. La triangulation consiste à corroborer une information par plusieurs sources de données (Yin, 2009). Nous avons construit nos cinq cas à partir de données secondaires et primaires obtenues par la recherche documentaire et la conduite d entretiens. Nous avons suivi le même modèle pour chacun des cas. La recherche documentaire a consisté au recensement et à l analyse de divers articles de journaux, d études de cas et de livres publiés sur les cinq firmes de notre échantillon. Comme les cinq firmes sont de propriété privée, l obtention de données de nature plus financière a été plus limitée. Nous nous sommes également beaucoup servis des informations publiées sur les sites Internet des firmes et des communiqués de presse diffusés aux médias. La recherche documentaire nous a permis de bien cerner les activités nationales et internationales de chaque firme et d être bien préparés pour la conduite des entretiens. Les entretiens semi-structurés se sont tenus au cours de l été 2009 aux bureaux des répondants. Nous avons effectué un seul entretien par firme avec une personne de la haute direction, sauf pour Juste pour rire où nous avons rencontré deux répondants (le deuxième nous a demandé de conserver anonyme son nom). Notre questionnaire d entretien (annexe 1) comprenait des questions ouvertes portant sur les cinq dimensions du processus d internationalisation. Nous avons choisi d ajouter deux questions supplémentaires sur les défis liés à l expansion internationale et sur les clés du succès pour approfondir encore plus les enjeux de l internationalisation. Ces entretiens nous ont permis d aller chercher la grande majorité des informations nécessaires pour la construction de nos cas. Le tableau 2 présente les dates des

38 28 entretiens ainsi que le nom et la fonction des répondants interrogés. Tableau 2 : Déroulement des entretiens Cas Firme Nom du répondant Date de l entretien #1 Sid Lee Bertrand Cesvet, président du conseil 11 juin 2009 #2 Aedifica Michel Dubuc, président 17 juin 2009 #3 Juste pour rire - Gilbert Rozon, fondateur - Vice-président ventes et marketing #4 Harricana Mariouche Gagné, présidentedesigner #5 Cirque du Soleil Mario D Amico, vice-président principal, marketing 3 juillet août août septembre 2009 Notre collecte et notre traitement des données ont été effectués selon la grille présentée sous la forme du tableau 3. Pour chacun des cas, nous avions un certain nombre d informations à recueillir correspondant à l une des cinq dimensions du processus d internationalisation. Tableau 3 : Grille de collecte et de traitement des données Dimension Informations à recueillir Décision de s internationaliser - La firme avait-elle une expérience préalable à l international? - Quels sont les facteurs internes et externes qui ont motivé l internationalisation de la firme? - Qui a amorcé le projet d internationalisation? Quelles sont ses caractéristiques? Choix des marchés - Vers quels marchés la firme s est-elle tournée? - Quels sont les critères qui ont guidé le choix des marchés? Mode d entrée - Quels sont les modes d entrée privilégiés par la firme? Internationalisation subséquente - Quels sont les objectifs de croissance de la firme à l international? - Quelle stratégie compte-t-elle mettre en place? Avantages de l internationalisation - Quels sont les avantages retirés de l internationalisation?

39 Traitement des données Une fois les données secondaires et primaires recueillies pour chacune des cinq firmes, nous avons entrepris le traitement des données. Le traitement a pris la forme dans un premier temps de la présentation de cas. Eisenhardt (1989) affirme que la présentation des cas, qu elle nomme «case study write-ups», est souvent simplement une description des cas, mais elle est centrale à l émergence de résultats puisqu elle permet de gérer l énorme volume de données recueillies. Nous avons suivi le même modèle pour chacun des cas. Nous avons dans un deuxième temps construit un tableau synthèse qui présente visuellement les observations recueillies pour chacun des cas. Tel qu avancé par Eisenhardt (1989), le traitement des données nous a permis de nous familiariser avec chaque cas de façon individuelle et de faire ressortir les spécificités de chacun Analyse des données Pour pouvoir formuler des propositions sur la nature du processus d internationalisation des firmes créatives, nous avons procédé à deux techniques d analyse, soit l appariement de modèles et l analyse inter-cas. L appariement de modèles consiste à établir des liens entre les données et les propositions de recherche (Yin, 2009). Comme nous avions convenu de faire usage d un cadre conceptuel pour baliser notre recherche, et non de propositions de recherche, nous avons lié les données obtenues pour chaque cas aux cinq dimensions de notre cadre conceptuel. Le modèle d internationalisation de chaque firme se présente sous la forme d un tableau synthèse. L analyse inter-cas, quant à elle, consiste à traiter chaque cas (dans notre cas, chaque firme) de façon individuelle et de les mettre en parallèle l un aux autres (Yin, 2009). Nous avons pris chacun des tableaux synthèses, contenant les mêmes cinq dimensions, et nous les avons mis ensemble pour créer un seul et même tableau réunissant toutes les observations. En mettant les résultats ainsi en parallèle, pour chaque dimension, nous avons surligné les tendances observées à travers les cas. Nous sommes allés puiser dans la présentation des cas pour aller chercher les explications pour chaque tendance. Ces deux techniques d analyse nous ont permis d émettre quelques propositions théoriques et de répondre ainsi à notre question de recherche principale et à ses cinq sous-questions.

40 QUALITÉ DE LA RECHERCHE Yin (2009) propose quatre critères de qualité qui doivent être pris en compte pour augmenter la robustesse des résultats. Premier critère, la validité de construit, consiste à établir les mesures opérationnelles adéquates pour les concepts à l étude (Yin, 2009). Pour ce faire, Yin (2009) suggère de faire appel à de multiples sources d évidences ainsi que d établir une chaîne d évidence entre les questions, les données et les conclusions tout au long de la collecte de données. Comme nous l avons expliqué, nous avons utilisé principalement deux sources de données, la recherche documentaire et les entretiens semi-structurés, qui nous ont permis d appliquer une triangulation des données. Nous avons également suivi avec rigueur le protocole de recherche établi pour s assurer de maintenir une chaîne d évidence. Le critère de validité interne, deuxième critère, se prête uniquement aux études explicatives ou descriptives puisqu il a pour but d établir l existence de relations causales entre les données et les propositions (Yin, 2009). Comme notre recherche est de type exploratoire qui ne vise pas à établir des liens de cause à effet, la validité interne n est ici pas mise en cause. Toujours selon Yin (2009), le troisième critère, la validité externe, consiste à définir le domaine de généralisation des résultats obtenus par les cas. Dans le cas de notre travail terrain, nous sommes capables de généraliser les résultats de nos cinq cas à des théories, c est-à-dire à des propositions de recherche. Nous avons une généralisation de type théorique et non statistique. En privilégiant un design de recherche de cas multiples et en sélectionnant des firmes de différentes industries créatives identifiées par le DCMS (2009) nous avons pu assurer la validité externe de notre recherche. Finalement, le quatrième critère, celui de fidélité, vise à démontrer que si les procédures de la collecte de données étaient répétées par un autre chercheur, celui-ci arriverait aux mêmes résultats (Yin, 2009). Pour nous assurer de la fidélité de notre recherche, nous avons misé sur la transparence de la méthodologie. Comme de fait, nous avons détaillé dans ce chapitre la formulation des questions de recherche, la sélection des cas et les techniques de collecte et d analyse des données. Tout au long du mémoire, nous avons inclus bon nombre de tableaux (synthèses et comparatifs) qui laissent la trace la plus claire possible de notre démarche.

41 4. Présentation des résultats Dans ce quatrième chapitre de notre mémoire, nous présenterons les cas des cinq firmes étudiées pour comprendre le processus d internationalisation des firmes créatives soit Sid Lee, Aedifica, Juste pour rire, Harricana et le Cirque du soleil. Pour faciliter l appariement de modèles et l analyse inter-cas, la présentation des cas suit un même cadre : (1) description des activités de la firme, (2) présentation du parcours international, (3) décision de s internationaliser, (4) choix des marchés, (5) mode d entrée, (6) internationalisation subséquente, (7) avantages de l internationalisation, (8) défis de l internationalisation, (9) clés du succès. Rappelons que, tel qu illustré dans notre cadre conceptuel, notre analyse portera principalement sur les points 3 à 7, mais que nous avons jugé bon d ajouter les autres points pour bien mettre en contexte le parcours et les enjeux d internationalisation de chaque firme. 4.1 SID LEE Description des activités de la firme Loin d une agence de publicité traditionnelle, Sid Lee est une agence de créativité commerciale dont l approche intègre à la fois la publicité, l art, le design, le Web et l architecture (Dansereau, 2008). Sid Lee est fondé en 1993 par Philippe Meunier et Jean-François Bouchard sous le nom de Diesel marketing puis procède à un changement de nom en 2007 suite à la confusion du nom de l agence avec la marque de jeans italienne. On notera que Sid Lee est un anagrame de Diesel. Son président, Jean-François Bouchard, décrit Sid Lee comme «un collectif multidisciplinaire qui repousse les frontières de la création» (Sid Lee, 2008). Si l agence a réussi à percer les marchés nationaux et récemment internationaux, c est grâce à l accent sur la créativité qui infuse toutes les facettes de son modèle d affaires. Des bureaux et des murs de l agence jusqu à la gestion des équipes de projet, tout est mis en place au service de la création. Sid Lee est même l hôte d un incubateur de créativité, Sid Lee Collective, une sorte de plateforme où les employés (désignés à l agence comme des artisans) peuvent travailler sur des projets personnels qu ils lancent eux-mêmes. Environ 2% des revenus de la firme sont investis dans le collectif qui agit comme un véritable laboratoire de recherche et développement (Dansereau, 2008). La force créative de Sid

42 32 Lee repose aussi sur l intégration des disciplines au sein des projets créatifs. Elle compte ainsi sur une équipe de talents des plus diversifiées qui regroupe des rédacteurs, des webmestres, des idéateurs, des architectes et des designers industriels (Champagne, 2009a). Aujourd hui, le portfolio de Sid Lee inclut des clients québécois comme le Cirque du Soleil, Loto-Québec, Tourisme Montréal et la Société des alcools du Québec, mais aussi des clients internationaux comme Heineken, Red Bull, Wall- Mart et Adidas. En obtenant en 2008 le compte mondial d Adidas, l agence devient d ailleurs la première agence de publicité canadienne à décrocher un contrat de telle envergure à l international (Champagne, 2009a). La firme affiche une croissance d une moyenne de 25% depuis les sept dernières années (Champagne, 2009a) avec un chiffre d affaires se chiffrant à 30 millions de dollars en honoraires (Dansereau, 2008). La PME de 22 associés compte aujourd hui 300 employés répartis dans ces bureaux de Montréal, d Amsterdam et de Paris. Notre répondant, Bertrand Cesvet, président du conseil et stratège en chef, a lancé en collaboration avec ses collègues Tony Babinski et Eric Alper le livre Le capital conversationnel (2009) qui explique les secrets de l approche conçue par Sid Lee pour concevoir des expériences de marque qui maximisent le bouche-à-oreille Présentation du parcours international Selon notre répondant, la chance serait à l origine du parcours international de Sid Lee : la chance d avoir rencontré le Cirque du Soleil. C est à partir de 2001 que la plus grande entreprise de cirque au monde devient le client de l agence. S ensuit un tour du monde avec la troupe de Guy Laliberté. Plus qu un client, le Cirque du Soleil aurait agi comme mentor pour Sid Lee : «Guy [Laliberté] nous a pris sous son aile et nous a vraiment enlevé notre cran d arrêt» (Cesvet, 2009). Ce premier client international leur a permis de rencontrer des gens aux quatre coins du monde et même de ramener de nouveaux clients à l extérieur des frontières, entre autres, l hôtel MGM Mirage à Las Vegas nid de plusieurs spectacles du Cirque du Soleil. Travailler avec la multinationale circassienne a été non seulement une excellente carte de visite, dans le milieu de la publicité où la première question posée est «Tu travailles pour qui?», mais aussi une grande source d apprentissages des affaires internationales. Selon Cesvet (cité par Champagne, 2009a), «Nous étions préparés quand nous sommes allés chercher un client comme Adidas».

43 33 Outre les opportunités internationales qui ont été présentées par le Cirque du Soleil, Cesvet (2009) ajoute que le fait de côtoyer la troupe de Guy Laliberté aura également changé leurs aspirations. Si l agence avait déjà cette intuition d internationalisation, le Cirque a tôt fait de confirmer la force de la créativité québécoise. Il affirme qu «Il n y a pas un modèle de créativité plus extraordinaire que le Cirque pour te convaincre toimême que la créativité québécoise peut être vendue partout» (Cesvet, 2009). C est avec ce nouvel état d esprit, cette nouvelle position mentale, que Sid Lee a continué à récolter des clients internationaux. Une fois leur portfolio de clients bien solide, l agence décide d ouvrir en 2008 un atelier d une trentaine d employés à Amsterdam. L année suivante, Sid Lee annonce d un coup l ouverture d un autre atelier en sol européen, cette fois à Paris, et l obtention du compte mondial du géant français des jeux vidéo, Ubisoft. La croissance de la firme à l international se structure sous la forme d un réseau. Sid Lee fonctionne comme une seule boîte dans laquelle les différents bureaux sont interdépendants. Cesvet (2009) nous explique que pour chaque projet, les talents créatifs de Montréal, de Paris et d Amsterdam peuvent être combinés. Avant d ouvrir un nouvel atelier, aux États-Unis fort probablement, Sid Lee compte se concentrer sur le marché européen Décision de s internationaliser Comme nous venons de le présenter, le Cirque du Soleil a été un véritable catalyseur dans l aventure internationale de Sid Lee. Mais d autres facteurs sont aussi derrière la décision de s internationaliser. Cesvet (2009) souligne d abord la question des clients. Il affirme qu avec un bassin de client limité, le Québec avait commencé à être petit comme marché. «À un moment donné, il y a une limite à ce que Montréal peut tirer comme monde» affirme-t-il (Cesvet, 2009). Et les grandes marques se trouvent la plupart à l extérieur de la province. Un autre facteur à l origine du projet d expansion internationale est aussi la question des talents. Comme le dit Cesvet (cité par Dansereau, 2008) : «Nous, on est dans le business de la créativité. Notre force, c'est d'être capable d'engager des créatifs et de gérer le processus de création.» C est donc dire que Sid Lee carbure aux talents créatifs et encore là le Québec devenait trop petit. Les ressources en talent brut que la firme peut aller chercher à l étranger étaient, et sont toujours, une grande motivation de croissance internationale. Puis finalement, le projet de Sid Lee à l international s ancre à un niveau plus personnel. Cesvet (2009) constate que les associés qui composent le noyau de l agence font tous partie de la

44 34 génération X, une génération qu il voit comme bien tournée vers le monde. Il raconte que «c est les 22 [associés] qui avaient ce "trip"-là, de se dire que notre ensemble de références ça ne va pas être le Québec, ça ne va pas être le Canada, ça va être le monde». Parlant de son histoire personnelle à lui, Cesvet (2009) nous dit qu en tant qu enfants de parents immigrants, il s est toujours senti un peu «outsider», en marge de la société québécoise. Sa motivation vient de là aussi. Alors que son père était un immigrant au comportement plutôt prudent qui lui disait «don t rock the boat», Cesvet avait au contraire toujours voulu prouver qu il était capable de faire bouger les choses Choix des marchés Alors que plusieurs agences de publicité se sont tournées vers Toronto comme premier marché d expansion en dehors de la province, telles que Cossette et Taxi, nous explique Cesvet (2009), pour Sid Lee, il n a jamais été question de grandir en Ontario. Si Cesvet (2009) admet qu il y a beaucoup de talents dans la Ville Reine, il remarque une certaine dynamique d auto suffisance chez les agences canadiennes, celles-ci ne se contentant bien souvent que du marché canadien. Un esprit qui ne convient pas trop avec celui de Sid Lee. Cesvet (2009) nous dit «Les autres avant nous se sont dit on va aller à Toronto, nous on a dit "let s go everywhere"». Avec des contrats de clients européens de plus en plus importants, l ouverture d un atelier en Europe était de mise. Parmi les différentes villes créatives envisagées, la ville d Amsterdam avait tous les atouts pour Sid Lee. D abord géographiquement, la ville est à moins d une heure à la fois de la France et de l Allemagne, leur permettant de se rapprocher des mandats internationaux déjà existants (Sid Lee, 2008). De plus, Montréal et Amsterdam sont liés par un vol aérien direct un point sacré pour des gestionnaires comme Cesvet qui se rend en Europe jusqu à 30 fois par année. Puis culturellement, Sid Lee remarque les grandes similitudes entre la Hollande et le Québec. Les deux dirigeants de l atelier hollandais de déclarer, via communiqué de presse annonçant l ouverture du bureau d Amsterdam : «Nous nous sentons très proches des Québécois. Nous sommes deux petits pays, nous avons l habitude de voyager, de nous positionner à l étranger» (Sid Lee, 2008). Finalement, Cesvet (2009) ajoute qu Amsterdam était une ville très attrayante pour eux au niveau du recrutement des talents. En plus de son grand rayonnement créatif, la capitale hollandaise regorge d artistes et d artisans de toutes disciplines.

45 35 Le second marché d expansion internationale, Paris, a quant à lui découlé d une opportunité externe. Bien sûr, la Ville lumière était intéressante du point de vue des talents («La qualité du monde en France c est effrayant» d affirmer Cesvet, 2009), mais Sid Lee n avait pas à prime à bord eu l intention de travailler dans la capitale française. Cesvet (2009) raconte qu un jour, il a reçu un appel de Sylvain Triarche selon lui l un des plus grands créatifs de France. Triarche venait alors de quitter son emploi à l agence DDB et lui a tout simplement dit «Je veux faire Sid Lee Paris». La première réaction de Cesvet fut de dire «De quoi tu parles?», puis de se lancer dans l aventure. Voilà donc pour la raison de l ouverture de l atelier parisien Mode d entrée L entrée de Sid Lee dans les marchés internationaux s est faite de façon très organique constate Cesvet (2009). Ce n est qu après avoir exporté leurs services dans les marchés américains et européens en réalisant les mandats à partir de l atelier de Montréal que l agence s est décidée à établir des bureaux à l étranger. Plutôt que d acheter une boîte de publicité existante, Sid Lee a décidé d y aller à sa manière avec de petits ateliers. Même très petit dans le cas de Paris où l atelier loge dans un petit appartement de cinq pièces. Cesvet (2009) explique que l ouverture d atelier en propre a été privilégiée à l acquisition entre autres à cause de la façon de faire bien spéciale de Sid Lee. En effet, il croit qu il est plus facile pour une firme de publicité traditionnelle de dénicher une autre firme assez similaire à acheter que pour Sid Lee de trouver une autre agence qui se marie bien avec leur approche unique et avant-gardiste, notamment la réconciliation du monde de la publicité avec celui du design industriel et de l architecture Internationalisation subséquente L agence maintenant bien tournée vers l international, Sid Lee a pour plan de poursuivre sa percée en Europe puis continuer son internationalisation vers le marché américain. Il est intéressant d ajouter ici quelques précisions sur la structure internationale des activités de l agence. Cesvet (2009) nous explique que pour Sid Lee, Montréal représente le plus bas centre de coût au monde, en partie grâce à la fiscalité avantageuse et au faible coût de la vie. Lorsque l agence vend ses services en Europe, en devises européennes, pour ensuite les réaliser dans son atelier montréalais, elle réalise des profits substantiels. La firme gagne en terme financier, mais aussi

46 36 compétitif. Sur l échiquier national, elle se trouve à faire des profits de 40% alors que ses compétiteurs en font 15% et cette vigueur financière leur permet d engager les meilleurs talents, récolter de plus gros mandats et faire encore plus de développement des affaires. Nous constatons donc par cette logique de production internationale que Sid Lee retire des avantages de coûts énormes de l internationalisation et cela lui permet même de soutenir ses plans d expansion internationale future. La vision à long terme de Sid Lee inclut donc plusieurs bureaux à l étranger, mais avec toujours un «back office» à Montréal très international. Par très international, Cesvet (2009) veut dire regroupant des employés de tous les ateliers de Sid Lee. Ainsi, si un jour l agence comptait 3000 employés, 2000 seraient en poste à Montréal. De cette façon, peu importe l origine du client, Sid Lee s assurerait de pouvoir comprendre sa marque. L amalgame de cultures à Montréal donne à l agence une vision véritablement mondiale. Cesvet (2009) voit que déjà, avec 10 employés à l atelier de Paris et 30 employés français à Montréal, Sid Lee peut travailler sur des sujets «hyper francofrançais comme Auchan» puisqu avec 40 Français en poste, l agence arrive à comprendre sans problème les spécificités de ce géant de la distribution au détail. Avec l internationalisation, la mentalité de Sid Lee est devenue transnationale. Cesvet (2009) nous raconte que : «De Paris à Amsterdam, jamais les clients ne nous disent "we have a sense that you are not from here". Les clients sont comme "Where is Sid Lee from, we don t know... probably from here".» Avantages de l internationalisation Les avantages retirés de l internationalisation sont nombreux pour Sid Lee. L expansion internationale crée au niveau national un avantage compétitif incroyable croit Cesvet (2009). D abord, l internationalisation de la firme leur apporte une force de frappe importante lorsqu il s agit de décrocher de nouveaux mandats. Lorsqu un appel d offres est lancé, Sid Lee se démarque de ses compétiteurs par son portfolio de marques prestigieuses et internationales. Et dans une industrie où le portfolio est clé, il avoue que «Ce n est pas facile de compétitionner contre nous en ce moment» (Cesvet, 2009). Le succès international apporte aussi une certaine aura, un charme, voir même un côté «sexy» à Sid Lee qui attire les clients potentiels. Mais ce ne sont pas seulement auprès des clients que l international est un avantage compétitif, mais aussi auprès des jeunes ces ressources en talent brut recherchées par la firme. Cesvet (2009) nous confie

47 37 que l agence est mythique auprès des jeunes de moins de 25 ans. Chaque année, ils reçoivent près de curriculum vitae d un peu partout dans le monde. Il explique ceci en partie parce qu il croit que les jeunes d aujourd hui veulent travailler à l international. Avec ses ateliers à Paris et à Amsterdam, Sid Lee se démarque encore une fois de ses compétiteurs par les opportunités de mandats internationaux qu elle offre. Ça bouge chez Sid Lee nous dit Cesvet (2009) : «"Any given day" chez Sid Lee, il y a quelqu un quelque part.» Où l internationalisation est encore une fois intéressante pour Sid Lee est dans l impact qu elle a sur sa force créative. Selon Cesvet (2009), il existe deux conditions essentielles à la créativité, toutes deux remplies par l internationalisation : la cinétique et la diversité. Le président du conseil croit que pour être créatif, il faut du mouvement : «Il faut que tu bouges pour imaginer les choses. Si tu ne bouges pas, tu ne crées pas» (Cesvet, 2009). Il va sans dire que l internationalisation les fait bouger. Pour ce qui est de la diversité, le recrutement international de Sid Lee amène une équipe de tous horizons culturels, autant des Français que des Suédois ou autres. Au grand bonheur de Cesvet qui confie que «Mon rêve un jour est de t amener ici, de te bander les yeux et te demander où tu es et que tu n en aies aucune idée.» (Cesvet, 2009). Cette multiplicité des langues et des cultures est très riche pour l agence en terme créatif, car elle permet la multiplication des points de vue et des idées. Il y a donc un métissage des cultures et des métiers chez Sid Lee qui opère comme un véritable avantage compétitif Défis de l internationalisation Si l expansion internationale semble déjà être très bénéfique pour Sid Lee, Cesvet (2009) est conscient des défis qui attendent l agence dans cette croissance à l extérieur des frontières québécoises. Un de ceux-ci relève du besoin de formaliser les communications et les façons de faire. Il explique que la communication peut être vue sous la forme d une matrice 2 x 2, qu il nous dessine sur le coin de la table et que nous avons reproduite en figure 4. Il nous indique que Sid Lee, tout comme le Cirque du Soleil d ailleurs, se situe dans la case «informelle-implicite». Leur façon de faire est implicite et leur communication très informelle, ce que Cesvet qualifie de «high touch». Avec les nouveaux bureaux qui commencent à pousser en Europe, Sid Lee se doit maintenant de formaliser ses communications qui, à l intérieur de l atelier de Montréal,

48 38 se font de façon orale. Tous ces éléments qui font de Sid Lee une agence unique le fait qu il n y ait pas d organigramme, très peu de hiérarchie peuvent être déroutants, des dires de Cesvet, pour les employés d outre-mer. Et comme il n y a pas de mode d emploi, le président du conseil sent donc le besoin de documenter et de formaliser pour mieux transmettre et maintenir ce qu est Sid Lee à travers les différents ateliers. Figure 4 : Matrice de communications Formel Informelle Explicite IBM Implicite Sid Lee Source : Cesvet (2009), reproduction libre Clés du succès Les clés du succès d une firme créative à l international reposent sur plusieurs éléments selon Cesvet (2009). D un point de vue un peu plus technique, disons, il croit que la firme créative doit posséder des systèmes, c est-à-dire une infrastructure technologique qui permet de réaliser et coordonner les activités internationales. La mobilité est aussi importante pour lui. Quand les gens lui demandent comment il a réussi à amener son agence dans de nouveaux marchés, il leur répond souvent : «j ai pris l avion». Et comme ces voyages sont souvent durs et stressants, il faut avoir le goût de vivre l aventure internationale. Cesvet (2009) revient ainsi à cette idée de posture mentale qui a agi comme moteur à l internationalisation de Sid Lee. Finalement, comme la compétition monte d un niveau lorsqu une firme joue sur l échiquier mondial, Cesvet (2009) parle de l importance d avoir le niveau et la réputation de «world class» pour jouer avec les champions. Plus que tout, la base de la réussite d une firme créative à l international est selon lui bien entendu le talent le talent de création. Mais jumelé à ce talent créatif, il faut du charisme. Il affirme ainsi que «la créativité, c est une business de "mojo"». Il croit ce

49 39 pouvoir de charmer essentiel à toutes les firmes créatives, peu importe leur secteur, que ce soit en architecture ou en beaux-arts. Il croit que même Picasso a connu le succès à cause de son charisme et de sa personnalité. Il faut donc avoir le portfolio, mais aussi vendre ce portfolio. Comme l explique Cesvet (2009) : «Nous c est une vente très sophistiquée parce que quand je rencontre quelqu un, il faut que j aie un point de vue sur sa business. Je ne vends pas en jouant au golf avec lui ou en négociant des prix. Il faut que je convainque le client que je suis la personne la plus intelligente qu il ait jamais vue, la plus créative et que je vais régler son problème. Ce n est pas tout le monde qui a ce qu il faut pour faire ça.» 4.2 AEDIFICA Description des activités de la firme Aedifica œuvre dans le milieu du design et de l architecture depuis près de trente ans. Fondé en 1979 sous le nom Les Architectes Dupuis Dubuc et Associés (la boîte changera de nom en 1999 et fusionnera en 2005 avec la firme d architecture Tétreault Parent Languedoc), le positionnement d Aedifica se distingue par le service intégré de design, d architecture et d ingénierie qu elle offre à ses clients. Comme l explique notre répondant, le président Michel Dubuc (2008), «Nous avons choisi de ne pas être un bureau de design ou un bureau d études, mais d être un bureau de créativité architecturale. C'est-à-dire que nous voulons être capables de créer, mais nous voulons être capables de réaliser aussi». Ce faisant, la firme est capable de s occuper d un projet de A à Z; de la stratégie d image, à l inauguration du bâtiment en passant par la surveillance des travaux (Fiore, 2007). Aedifica est ainsi dotée d une équipe de plus de 115 employés, répartie entre ses bureaux de Montréal et de Saint-Louis (Missouri, États-Unis), caractérisée par sa grande multidisciplinarité. Elle compte donc à la fois des architectes, des ingénieurs, des chargés de projets, des graphistes et d autres spécialistes. Les services d Aedifica se regroupent en 5 secteurs : architecture, aménagement commercial, environnements de travail, encadrement écologique et ingénierie (Aedifica, 2008). L architecture verte et durable est d ailleurs un secteur dans lequel Aedifca se positionne comme un leader et pour lequel elle a reçu de nombreux prix d excellence. Au fil des ans, la firme s est bâti un portfolio de clients de grands noms tels que le groupe Aldo, Air Transat, BriteSmile, Bose, Zara et Club Monaco. La firme a aussi participé au façonnement du visage créatif de Montréal en travaillant sur

50 40 des projets comme l agrandissement du Palais des Congrès de Montréal, le pavillon des Sciences biologiques de l UQÀM, la Tohu, le Locoshop Angus et aujourd hui le nouveau quadrilatère du Quartier des spectacles et la future salle de l Orchestre symphonique de Montréal (Aedifica, 2008). En 2008, Aedifica affichait un chiffre d affaires de 14 millions de dollars (Les Affaires, 2009) Présentation du parcours international C est en 1984 qu Aedifica commence son expansion internationale avec l entrée dans le marché américain. Le tout débute de façon totalement opportuniste. Dubuc (2009) nous raconte qu à l époque, sa firme travaillait avec les magasins de vêtements québécois Le Château dans l articulation d un concept pour les magasins de la chaîne aux États-Unis. Le Château avait alors engagé un concepteur de Boston pour livrer la marchandise. Mais rapidement, les promoteurs immobiliers américains ont conseillé au Château d arriver avec un concept beaucoup plus frappant que celui proposé par les concepteurs de Boston. C est alors que le détaillant de mode s est tourné vers l équipe de Dubuc. Dubuc (2009) se souvient qu ils avaient alors passé près de 48 heures à travailler sur un concept à présenter. Le résultat est tombé en plein dans l esprit recherché par les promoteurs immobiliers qui voulaient un concept qui allait ajouter une valeur au centre commercial. Le Château a donc fait son entrée avec le concept d Aedifica et Dubuc (2009) explique que «ces promoteurs américains là, ayant identifié Aedifica comme une boîte créative ont commencé à mettre notre nom sur des listes de firmes recommandées, autre que celles américaines, et c est comme ça que ça a déboulé». C est donc via un client canadien qu Aedifica a été introduit au marché américain et que le bouche-à-oreille a fait son œuvre. L entreprise a réussi à percer le marché et a réalisé des projets pour de grandes chaînes américaines entre autres à cause du design et de la création qu ils amènent au concept. La firme poursuit sa lancée aux États-Unis et décide en 1999 de s ancrer physiquement dans le pays avec l acquisition d une firme d ingénierie à Saint-Louis dans l État du Missouri. La décision est alors prise pour «consolider sa base aux États-Unis et de mieux offrir à ses clients son expérience en génie mécanique et électrique» (Proulx, 1999). Depuis, Aedifica a réalisé plus de 4000 boutiques et magasins aux Canada et aux États-Unis (Fiore, 2007). Aujourd hui, Aedifica regarde vers une prochaine expansion vers l Ouest canadien, plus

51 41 précisément Vancouver, qui pourrait éventuellement servir de tremplin vers les marchés asiatiques Décision de s internationaliser Bien que le processus d expansion chez nos voisins du Sud a été déclenché par une opportunité externe - «les portes se sont ouvertes un peu par chance» explique Dubuc (2009) deux grandes motivations sont à l origine du projet d expansion internationale. Dubuc (2009) nous parle d abord d une motivation entrepreneuriale. Il explique qu il est très difficile de faire des affaires au Québec tout simplement à cause de la petite taille du marché québécois. Il ajoute que «quand on a commencé à faire des concepts, on s est vite aperçu que les gros joueurs n étaient pas chez nous». Dubuc (2009) voulait voir grandir sa boîte et pour ce faire il fallait s engager à l extérieur de la province. Mais en plus d être motivé par la recherche de nouveaux clients, Aedifica l était aussi par le type de clients qu ils pouvaient aller chercher. En effet, les gros joueurs américains sont intéressants pour une firme en créativité architecturale comme Aedifica à cause des moyens qu ils leur donnent «tant en honoraire, qu en liberté pour utiliser ta créativité à quelque chose» (Dubuc, 2009). Il nous explique qu ils étaient donc aussi à la recherche de joueurs qui voient la créativité comme investissement, voire même une stratégie de développement des affaires. Il ajoute que dans le commerce de détail, à l opposé des petits opérateurs, «quand tu travailles avec un opérateur qui lui veut prendre la planète ou tout le marché américain, il sait qu il doit s équiper d outils en terme de concept qui va lui donner un avantage compétitif. Et là il a tendance à faire appel à la créativité» (Dubuc, 2009). Dubuc (2009) admet qu entre voir la créativité comme un coup de dés ou comme un investissement est une vision complètement différente. Il est donc intéressant de voir que la question de la vision a eu une influence sur la décision de s internationaliser. Dubuc (2009) affirme : «je voyais le potentiel et surtout que pour créer des concepts intéressants ça prenait une masse critique en terme d honoraires, en terme de répétition, en terme d impact. C est clair que ce marché-là était là-bas, il n était pas chez nous» Choix des marchés Le choix des États-Unis comme marché d expansion internationale s explique non seulement par les opportunités qu Aedifica a su saisir, mais aussi par un certain «fit» entre le marché américain et les services créatifs de la firme. D abord, Dubuc (2009)

52 42 affirme que les Américains font preuve d une grande ouverture à des entrants créatifs et qui n hésitent pas à aller les chercher à l extérieur de leurs frontières. Il remarque dans ce sens qu il est parfois plus facile de travailler dans de grandes villes américaines comme New York et Los Angeles que Toronto en raison de la dynamique nationale. Ensuite, Dubuc (2009) note que le marché américain répond très bien à la différence qu Aedifica est capable d avoir en étant des créateurs montréalais. Aedifica arrive à se démarquer de ses compétiteurs locaux par «notre capacité d objectivisation de leur problématique créative par rapport aux concepteurs américains». Il constate en effet que les boîtes d architecture américaine s en tiennent souvent à des stéréotypes. Aedifica arrive ainsi à aller chercher les clients américains qui veulent jouer sur la différence pour se doter d un avantage compétitif. Dubuc (2009) voit que «Non seulement on est des créatifs, mais des créatifs avec une personnalité suffisamment différente pour que le "move" créatif ait encore plus d impact». Finalement, le choix des États-Unis s est aussi bien prêté de par sa proximité culturelle. Les Américains voient en effet Aedifica comme une boîte canadienne, pas trop loin, et s exprimant tout aussi bien en français qu en anglais qui fait «qu on est assez nord-américain pour que leur confort soit garanti» (Dubuc, 2009) Mode d entrée Aedifica a amorcé son entrée sur les marchés étrangers sous la forme de l exportation de ses services d architecture et de design. En effet, encore aujourd hui les concepts destinés au marché américain sont réalisés à partir du bureau de Montréal, le tout facilité par les nouvelles technologies de communications. Lorsqu en 1999, Aedifica procède à l acquisition d une firme d ingénierie à Saint-Louis, Dubuc (2009) explique que la décision relève principalement d une stratégie de déploiement. Ainsi, cette nouvelle boîte lui permettait, par les sceaux d ingénierie qu elle possède, de livrer les projets d ingénierie dans tous les États où la firme réalisait déjà des projets de design et d architecture. Cette capacité de certifier des documents allait donc permettre à Aedifica de peaufiner davantage son offre et de s ancrer sur l ensemble du territoire américain. Mis à part le côté législatif, Dubuc (2009) avoue également que par crainte de chauvinisme, l acquisition était aussi une façon de pouvoir montrer aux clients américains qu Aedifica a une réelle présence américaine. Juste en cas où le fait de traiter avec une firme strictement canadienne s avèrerait être un inconvénient pour un client américain.

53 43 Aedifica a décidé tout au long de l accroissement de sa présence dans le marché américain de maintenir le rôle d Aedifica Case (la boîte de Saint-Louis) à sa vocation de départ, celle d un bureau d ingénieur. Ainsi, le président n y a pas ajouté une fonction design ou architecture comme c est le cas du bureau mère. Dubuc (2009) croit que pour qu Aedifica Case soit dotée elle aussi d une équipe de conception, il aurait fallu qu Aedifica ait une masse critique de créatifs sur place et qu à l origine, la firme n avait pas la taille requise pour disperser son équipe créative de la sorte. Dubuc (2009) affirme qu il est aussi plus facile au niveau de la gestion de garder l ingénierie comme vocation de la firme acquise. En effet, il mentionne que «si c était une firme créative, il y aurait une pression beaucoup plus grande pour s assurer qu il y ait une culture du design qui soit assez commune. Quand tu es dans l ingénierie, c est beaucoup plus facile, parce qu on parle de codes, de normes et de systèmes qui fonctionnent pareil à New York qu à Montréal. [ ] Le facteur joue beaucoup moins dans la technicité» (Dubuc, 2009) Internationalisation subséquente Aujourd hui, Aedifica cherche à poursuivre son expansion internationale, mais cette fois du côté de l Asie via l Ouest canadien. Les motivations de s étendre demeurent les mêmes qu à l origine. Dubuc (2009) affirme qu encore une fois, pour générer de la croissance, la firme doit sortir du marché québécois. Le président cherche à ne pas être dépendant de celui-ci puisqu il est un marché restreint. La ville de Vancouver comme choix d internationalisation subséquente est venue se placer dans les plans de développement au fil de contrats qu Aedifica a réalisés pour des clients dans l Ouest canadien. C est ainsi qu ils ont eu l occasion de repérer un partenaire potentiel qui servirait potentiellement de tremplin pour le marché chinois un marché en pleine expansion au niveau de l architecture. Dubuc (2009) remarque que l important dans le développement d un partenariat est «d avoir des ressources locales qui partagent ta façon de voir les choses et éventuellement la bonifier». Aedifica compte bien conserver la même structure d activités que celle mise en place avec les États-Unis puisque les mandats pourraient être exécutés à partir de Montréal. Même si se rendre à Vancouver représente 5 heures d avion («aussi loin que Mexico» fait remarquer Dubuc, 2009) la firme pourrait chercher de nouveaux contrats, de grande envergure, et les réaliser ici.

54 44 La question du risque est importante dans la stratégie d expansion internationale d Aedifica. Pour l instant, la structure mise en place pour la réalisation des mandats à partir de Montréal fonctionne, mais Dubuc (2009) admet que ce n est toutefois pas simple de travailler sur des projets à distance. Ouvrir une filiale à l étranger demande par contre un investissement majeur qui doit prendre en considération une masse critique de revenus. Il nous dit : «Ça prend une base de marché pour du service professionnel dans notre domaine. C est risqué aussi, on essaie de minimiser ces risques-là. Aller investir et s assurer que les emplois rentrent. On n a pas ces moyenslà» (Dubuc, 2009). Il faut soit des clients ou soit des partenaires qui puissent conforter tel investissement à l étranger. Il est intéressant de souligner ici la vision du président d Aedifica sur le potentiel d exportation de la créativité montréalaise. Selon Dubuc (2009), la créativité en général s exporte bien parce que justement l origine de la boîte n a pas tellement d importance. En utilisant pour analogie la chimie d un couple, il nous explique: Dans le domaine créatif, c est intéressant parce qu un PDG va être séduit par un concept comme tu es séduit par une personne. Oui, il y a souvent une stratégie, une rationalité, un calcul économique derrière ces choix-là. Mais il y a aussi un choix spontané, affectif. Tu vas aimer la production d une boîte, son style. Il y a quelque chose qui t allume et dans lequel tu te retrouves [ ] Que ce soit une firme de Montréal ou de Vancouver, je ne suis pas sûr que ça l ait une origine. C est le match un peu magique. Au fond, c est une forme de "dating". On n est pas dans la technique. On est dans l émotion, dans le rêve. (Dubuc, 2009) Avantages de l internationalisation Les avantages qu Aedifica retire de son expansion internationale sont multiples, mais peuvent être regroupés sous trois impacts. Premièrement, l expansion internationale rend Aedifica plus fort. Dubuc (2009) explique que d un côté, la compétition sur les marchés internationaux est forte et de l autre côté, les clients sont exigeants. Ces deux conditions réunies les forcent donc à devenir de meilleurs joueurs, en développant par exemple des méthodes de travail et de communication toujours plus efficaces. Dubuc (2009) raconte que l entrée de la firme sur le marché américain s est fait sentir dans toute l organisation : les systèmes, la gestion de projets, etc. Pour être plus forts, ils ont dû procéder à diverses améliorations qui au final ont été très payantes. Être meilleur pour l international, a rendu également Aedifica un meilleur joueur au local, «nettement plus aguerri c est comme passer de la marche à l escalade» affirme Dubuc (2009).

55 45 Deuxièmement, Dubuc (2009) affirme que l internationalisation a aussi eu pour avantage de rendre Aedifica plus séduisant. La présence dans le marché américain leur permet d attirer des ressources, leur prévaut donc d une certaine capacité à aller chercher du talent. Il explique que «C est un marché plus large, les gens se sentent mieux que dans une boîte qui ne gère que localement. C est stimulant» (Dubuc, 2009). Troisièmement, l expansion internationale rend l entreprise plus prospective. Son président raconte qu elle lui a amené une curiosité nouvelle. Il y découvre de nouvelles façons de faire, de voir les choses qui le garde constamment stimulé. Il raconte que «plus tu y as goûté, plus tu as envie d en faire plus. Tu te demandes : c est quoi le prochain "step", c est qui le prochain client, comment on peut aller en chercher plus». Dubuc (2009) croit donc qu au fil des leçons que la firme tire des expériences à l étranger, elle acquiert un minimum de confiance qui lui permet d aller encore plus loin Défis de l internationalisation Alors qu Aedifica se penche sur l expansion dans l Ouest canadien et de là l Asie sous forme de partenariat ou d acquisition, Dubuc (2009) dit voir la nécessité de formaliser la démarche créative pour arriver à intégrer avec réussite de nouvelles personnes et des nouvelles boîtes. Le défi en est un double puisqu il s agit à la fois de baliser des comportements souvent informels liés à la démarche d aménagement, mais en même temps de ne pas encadrer la créativité «au point de la restreindre» (Dubuc, 2009). Notamment parce qu Aedifica se distingue des autres firmes du secteur de l architecture par son offre de service intégré de design, d architecture et d ingénierie, le président affirme qu un autre des défis liés à la croissance et au développement dans de nouveaux marchés est de rendre l arrimage entre création et réalisation encore plus performant (Dubuc, 2008). La firme croit que son succès repose sur la qualité de l arrimage entre ingénieurs et architectes et que c est cet arrimage qui les dotera de la capacité à se déployer sur des marchés encore plus grands Clés du succès Pour qu une firme créative ait du succès dans l expansion internationale de ses activités, Dubuc (2009) croit qu elle doit savoir communiquer son talent. Il faut qu elle sache se présenter et communiquer ce qu elle a. Cette nécessité est, selon lui, encore plus de mise à l ère d Internet où les gens peuvent avoir accès aux projets réalisés via le site Web de la compagnie. Ce que Dubuc (2009) constate est le fait que plus une

56 46 firme devient internationale, plus elle est motivée à travailler sur la façon dont elle se présente. Il croit qu «à partir du moment où tu décides de rayonner dans un cercle plus large, il faut que tu aies les moyens pour rayonner» (Dubuc, 2009). Un autre facteur de réussite est donc en quelque sorte la stratégie qui sera mise en place par la firme pour assurer son rayonnement en dépensant le moins d argent possible tout en ayant le maximum d impact possible. À ce sujet, Dubuc (2009) recommande d être accompagné par un expert dans cette entreprise spéculative. Il raconte qu à un certain moment Aedifica a pu bénéficier d un soutien au niveau marketing à travers un programme du Ministère de l Industrie et du Commerce. Cet accompagnement dans la mise en place de la stratégie de développement sur les marchés étrangers leur a été des plus bénéfiques. Dubuc (2009) y a alors constaté toute l importance d être capable de montrer sa capacité de création et de structurer ses communications. 4.3 JUSTE POUR RIRE Description des activités de la firme En 1983, Gilbert Rozon décide de créer un festival d humour auquel personne n avait pensé avant lui : le Festival Juste pour rire. Vingt-six ans plus tard, le Festival Juste pour rire demeure le premier et le plus grand festival d humour au monde et l entreprise est devenue une véritable multinationale dont la mission est de produire et distribuer l humour sous toutes ces formes (Juste pour rire, 2009). En effet, le modèle d affaires du Groupe Juste pour rire se compose de quatre piliers. En plus du festival, la firme montréalaise œuvre dans la télévision, la production de spectacles et la représentation d artistes (Bourdeau, 2009). Ces piliers se renforcent mutuellement. Par exemple, les spectacles produits par l entreprise et présentés durant le Festival Juste pour rire sont captés pour la télévision et ensuite vendus à différentes chaînes à travers le monde indique notre premier répondant, Gilbert Rozon (2009). Le Groupe Juste pour rire rayonne dans toutes ces facettes à l international. L émission de télévision Les Gags est présentée dans 140 pays et sur une centaine de lignes aériennes, la preuve que «l humour c est une des choses qui se vend le mieux à la télé» (vice-président ventes et marketing, 2009). Quant au festival qui a propulsé la firme, en plus de l édition montréalaise, il est présenté chaque année à Nantes (depuis 2005), à Toronto (depuis 2007) et Chicago (depuis 2009). Les cinq marchés principaux de Juste pour rire sont le Québec, le Canada, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni (Bourdeau, 2009). La

57 47 multinationale de l humour compte une équipe de 150 employés dans son siège de Montréal, environ 75 employés dans ses 3 bureaux à l étranger (Paris, Londres et Los Angeles) en plus de 300 autres employés dans une quarantaine de tournées (Bourdeau, 2009). Le chiffre d affaires de Juste pour rire tourne autour des 150 millions de dollars, dont les deux tiers proviennent de l étranger (Bourdeau, 2009). Rozon souhaite amener cette proportion à 80% (Bouchard, 2009) Présentation du parcours international Notons que sur les quatre piliers du Groupe Juste pour rire, nous avons décidé de nous concentrer sur l internationalisation du pilier le plus visible et le plus documenté, soit le Festival Juste pour rire. Comme nous l avons mentionné, le premier Festival Juste pour rire est lancé en 1983 à Montréal. Dès le départ, Rozon avait en tête un festival à vocation internationale. Beaunoyer (2007) relate que lorsque que l idée d un festival d humour a été mise sur la table, Rozon aurait immédiatement annoncé : «Je veux que ce soit un festival international. Je veux une pérennité, pas un festival reggae rien que parce que c est à la mode. Je veux quelque chose qui dure. Et puis le festival doit être international, et un festival d humour ça n existe pas. Un festival international d humour, c est encore plus fou!» La programmation de la première édition, qui s étend sur quatre jours au milieu du mois de juillet, attire l attention par le retour sur scène du chanteur français Charles Trenet dont Rozon est un fervent admirateur. Les retrouvailles de Trenet avec le public sont d un tel succès que le chanteur décide de reprendre ses activités et engage Rozon comme responsable de sa tournée mondiale de 1984 à 1987 (Beaunoyer, 2007). Le chanteur-poète ouvrira pour Rozon les portes des grandes capitales du monde et le mettra en contact avec les plus influents intervenants du monde du spectacle et des communications en France et en Europe. Le fondateur de Juste pour rire affirme : «Trenet, c est ma carte de visite» (Beaunoyer, 2007). Alors que le Festival Juste pour rire de Montréal continue de croître en taille et en succès, les diffuseurs télévisuels s intéressent de plus en plus à l événement et à son volet anglophone. Le Festival Just for Laughs, ajouté en 1985, devient un incontournable pour l industrie du spectacle aux États-Unis. Juste pour rire est donc connu internationalement, même avant d être international, de souligner notre deuxième répondant, le vice-président ventes et marketing de Juste pour Rire (2009). Au cours des années 1990, l entreprise prend carrément son envol international avec

58 48 une percée spectaculaire en Europe. Juste pour rire produira de nombreux spectacles, en partenariat avec la maison de gérance Show Devant, où il fera tourner des grands noms de l humour québécois. L entreprise installera sa première filiale à l étranger à Paris en 1992 (Beaunoyer, 2007). Devant le succès incroyable de l entreprise en France, il apparaît tout à fait naturel qu un jour ou l autre un festival s installe au pays. Pourtant, ce n est qu en 2005 que la ville de Nantes propose à Rozon de tenir la première édition du Festival Juste pour rire à l extérieur de Montréal. La première réaction du fondateur est... négative. Il avoue avoir été contre l idée initialement, mais d avoir accepté «juste pour voir» (Rozon, 2009). Le succès qu obtient l édition nantaise du Festival Juste pour rire vient confirmer le plein potentiel de l internationalisation de ce pilier. L expérience qu ils ont acquise durant les quinze ans de travail en territoire français leur aura servi de modèle. Rozon se dit alors, «On a été capable de bâtir une première fois, on doit bien être capable de le faire ailleurs» (Rozon, 2009). Cet «ailleurs» prendra la forme de l Amérique du Nord. En 2007, Juste pour rire lance le Festival Just for Laughs de Toronto. En 2009, c est au tour de Chicago d avoir son festival d humour, Just for Laughs : A Very Funny Festival, organisé cette fois en partenariat avec le réseau de télévision américain TBS. Aujourd hui, l expansion internationale du festival est une véritable priorité stratégique. Rozon affirmait à la Presse au début de 2009 que d ici les cinq prochaines années il espérait créer un circuit international de festival qui comprendrait jusqu à 10 villes (Bourdeau, 2009). La firme met le cap sur Londres et Los Angeles, mais le fondateur dit qu il lorgne également les villes de Dubaï ou Sidney (Bourdeau, 2009) Décision de s internationaliser Comme nous venons de le présenter, le Festival a franchi les frontières du Québec pour la première fois en raison de la proposition externe formulée à Rozon par la ville de Nantes. Mais la décision de s internationaliser vient aussi d un besoin de croissance. Rozon (2009) raconte qu à un moment donné, il a senti que le marché québécois devenait trop petit pour les activités de sa firme. Le sentiment d être à l étroit a agi comme véritable déclencheur à l expansion internationale : «Le seul moyen de tenir le fort est en ayant des assises à l'étranger. On ne peut pas vivre avec le sentiment qu'il n'y a plus de croissance possible.» (Rozon, cité par Bouchard, 2009). L internationalisation permettait aussi de ne pas être dépendant d une seule économie,

59 49 d un seul marché ou d une seule devise. La décision d internationaliser le Festival Juste pour rire vient également de la nature d entrepreneur de son fondateur. Il se décrit ainsi : «Je suis un bâtisseur, un entrepreneur, c'est ce sang qui coule dans mes veines. L'idée, c'est de grandir, de mettre un pas devant l'autre» (Rozon, cité par Bouchard, 2009). Amener le Festival à l étranger vient combler son «bonheur de construire» et lui apporte une grande stimulation: «il y a un moment où tu sais des choses et de le faire grandir ça te confronte à d autres idées et qui finalement te permettent d apprendre» (Rozon, 2009). Avec une ambition internationale dès sa fondation et un fondateur à la grande détermination, nous pouvons nous questionner sur pourquoi il a fallu près de vingt ans pour qu un premier festival soit présenté dans une autre ville que Montréal. Rozon (2009) explique que les apprentissages ont dû être importants avant de pouvoir faire ce saut à l étranger. Aucune firme dans le monde ne produit et ne diffuse de l humour comme Juste pour rire le fait. Leur modèle d affaires a dû être construit à partir de rien. Il raconte qu «au début, on a été tellement maladroit dans notre domaine. Ç a été long avant d être capable de transformer ça en quelque chose de viable» (Rozon, 2009) Choix des marchés De Montréal à Chicago, le choix des marchés d exportation du Festival Juste pour rire suit une progression logique. D abord, l établissement du premier festival hors Québec à Nantes était un choix tout à fait naturel de par la notoriété de Rozon en France, la langue commune, les échanges d artistes et la filiale déjà implantée. Une fois le succès du concept confirmé hors de sa ville natale, Juste pour rire a commencé à regarder vers une prochaine destination. Le vice-président ventes et marketing (2009) avance que rapidement la direction a réalisé que l avenir de Juste pour rire ne pouvait pas se confiner qu aux marchés francophones. Entre la Belgique, la Suisse et la France, il y avait un nombre limité de vedettes à aller chercher. Juste pour rire s est alors décidé à se tourner vers le marché anglo-saxon, un marché plus porteur pour les produits de la firme. Les yeux tournés vers l Amérique du Nord, le choix de Toronto était aussi tout à fait naturel selon le vice-président ventes et marketing (2009). Avec la notoriété du volet anglophone déjà bien établie dans le Canada anglais, l expansion de Montréal à Toronto était destinée au succès. Pourtant,

60 50 le vice-président ventes et marketing (2009) nous confie qu avec le recul, l idée d installer un festival aussi près de Montréal, le point d ancrage de Juste pour rire, à Toronto n était peut-être pas la meilleure. Il avance qu il y a en effet un risque de cannibalisation entre l édition de Montréal et celle de Toronto. S il advenait que les deux festivals atteignent la même grosseur, la concurrence pourrait désavantager le Just for Laugh de Montréal en attirant les vedettes du côté de Toronto, comme ce qui s est produit avec le Festival des films du monde. Après Toronto, les États-Unis devenaient un marché absolument prioritaire pour Juste pour rire. La firme avait l avantage d être présente dans le pays de l Oncle Sam depuis plusieurs années déjà avec une filiale à Los Angeles et avait aussi fait l expérience de productions de spectacles dans quelques grandes villes du pays. Mais surtout, pour Rozon, il est évident que pour réussir dans le monde du divertissement, il faut être fort aux États-Unis : «c est peut-être une évidence que je vous dis là, mais pour moi ça été long à comprendre» (Rozon, 2009). Cette révélation explique peut-être pourquoi la firme n a pas commencé son expansion internationale par le marché américain. Le vice-président ventes et marketing (2009) croit que toujours dans une préoccupation de cannibalisation, le choix de Chicago a beaucoup de sens. La ville constitue un bon «hub» connectant efficacement Montréal et Los Angeles tout en conservant une bonne distance entre les festivals Mode d entrée L entrée du Festival Juste pour rire dans un nouveau pays suit un modèle par étapes nous indique le vice-président ventes et marketing (2009). En effet, Juste pour rire entre dans un marché sous la forme d un événement Juste pour rire qui consiste en la production de quelques spectacles en salle pour une durée de trois ou quatre jours. L événement Juste pour rire leur permet d à la fois acquérir des connaissances sur le marché et également d établir une notoriété. Ce n est qu une fois l événement bien implanté que les organisateurs développent quelque chose de plus substantiel avec des scènes extérieures et des animations dans la rue. C est alors que l événement devient officiellement un Festival Juste pour rire qui lui s étend sur une dizaine de jours et comprend des spectacles d humour, des pièces de théâtre ou des comédies musicales, des numéros gratuits à l extérieur, etc. De manière parallèle ou suite à l implantation du festival, le vice-président ventes et marketing (2009) ajoute que les

61 51 spectacles en salle peuvent partir en tournée et être présentés dans différentes villes du pays. À travers ces événements ambulants, Juste pour rire arrive à faire rire et conquérir l ensemble du territoire. Les étapes qui mènent d un événement à un festival grandeur nature peuvent prendre du temps, voire jusqu à cinq ans, précise Rozon (2009) : «je veux connaître la ville sur le bout des doigts avant de me lancer» (Cloutier, 2009). En entrant de façon progressive dans un marché, Juste pour rire arrive à minimiser le risque qu implique l expansion internationale. Il avoue qu «Avec les années, je suis moins audacieux et têtu qu'avant. Dans le calcul de mes risques, je suis le plus prudent possible. Au pire, je risque le profit d'une année. Pas la survie de l'entreprise.» (Rozon, cité par Bourdeau, 2009) L entrée dans un nouveau marché ne suit pas de règles fixes quant à son mode de propriété. Le fondateur de Juste pour rire tente de regarder toutes les possibilités avec la même ouverture d esprit (Rozon, 2009). C est donc dire qu entre l établissement d un partenariat et l implantation d un festival en propre, tout est possible. Dans le cas du festival de Nantes, c est la filiale de Paris qui s occupe de l organisation complète du festival avec la ville de Nantes. Pour ce qui est de l édition de Toronto, la maison-mère de Montréal s en est occupé dans son intégralité la première année, puis un peu moins les années suivantes. Le festival reste toutefois téléguidé depuis Montréal nous explique le vice-président ventes et marketing (2009). Puis pour le dernier né, le festival de Chicago a été monté sous la forme d un partenariat conjoint («moitié-moitié») avec le réseau de télévision américain TBS. Le cas du A Very Funny Festival de Chicago est intéressant parce que la chaîne de télévision est un joueur plus important que Juste pour rire. Selon le vice-président ventes et marketing (2009), «TBS aurait pu dire, "on va le faire nous-mêmes". Ils sont plus gros, plus forts que nous. Ils ont plus de contacts que nous [...]. Mais ils n ont pas le savoir-faire». Juste pour rire exporte bien plus qu un concept de festival, mais bien un savoir-faire précis dans l architecture d un événement d humour. Lorsque Juste pour rire décide d entrer sous la forme d un partenariat, Rozon (2009) souligne que la question des affinités est clé, que le partenaire soit public ou privé. Il doit y avoir une bonne chimie avec le partenaire et celui-ci doit partager la vision de la firme en plus d être dédié au succès de l implantation du Festival. «C'est un processus bilatéral et on ne vise pas le court terme» indique Rozon (2009). L avantage d entrer

62 52 dans le marché avec un partenaire local réside dans toutes les connaissances du marché que le joueur local détient. Ces connaissances sont cruciales puisqu à chaque endroit, Juste pour rire dessine le Festival à l image du marché. Rozon (cité par Bourdeau, 2009) «c est du sur mesure pas question d imposer un calque. [...] On y amène 70% des produits qu'on connaît bien. Les 30% restants prendront en considération les facteurs locaux.» Le vice-président ventes et marketing (2009) affirme que Juste pour rire doit avoir les deux oreilles bien branchées sur le marché, car si l humour existe partout, la façon de présenter le festival (prix, promotion et produit) doit être adaptée à chaque marché. Les partenariats leur permettent donc de s implanter doucement dans les marchés et de dégager des apprentissages au fur et à mesure. L entrée dans un marché est un processus itératif croit-il (vice-président ventes et marketing, 2009) Internationalisation subséquente Les plans d internationalisation subséquente de Juste pour rire incluent l établissement d un nouveau Festival au rythme d une nouvelle ville, tous les deux ans. Le choix des villes n est pas encore confirmé. Rozon avance qu «il faut travailler beaucoup d'opportunités de front, mais toujours à l'intérieur d'un plan. Après ça tu t'aperçois que tu as le bon partenaire, la bonne opportunité, le bon "timing", et tu y vas» (Barbeau, 2009). Le fondateur regarde donc du côté de l Angleterre, de Londres par exemple, où la firme possède un bureau, mais aussi de Brighton, Liverpool et Manchester (Barbeau, 2009). L Écosse pourrait aussi être un marché potentiel pour le festival puisque Juste pour rire présente déjà des spectacles à Édimbourg (Barbeau, 2009). Finalement, Los Angeles est aussi une ville très attirante pour un prochain festival affirme le viceprésident ventes et marketing (2009). D une part, la ville californienne possède un bon bassin de consommateurs potentiels et d autre part, elle loge les grands diffuseurs potentiels des spectacles d humour. Le potentiel de revente des captations de spectacles est élevé à Hollywood, la mecque du divertissement et de la télévision. Le vice-président ventes et marketing (2009) nous rappelle que c est avec le piétage télévisuel que le festival remplit ses coffres. Rozon (2009) précise que pour qu un marché soit intéressant, il faut que le pays soit structuré et développé en terme d infrastructures culturelles. L Angleterre, les États-Unis et l Australie sont des endroits où la culture de l humour est très forte, que ce soit par la télévision et les comédies de situation («sitcom»), et la comédie y est bien organisée. Bref, Rozon (2009) résume sa

63 53 stratégie d internationalisation future ainsi: «Je me suis dit, essayons d être les premiers dans les marchés qui sont les premiers. Si on est premier dans les premiers marchés, normalement dans le reste du monde, on sera un point de repère». Il faut que dans le monde occidental, lorsque que l on pense à humour, on pense à Juste pour rire, ajoute le vice-président ventes et marketing (2009). À travers ces projets d établissement de festival à l étranger, Rozon souhaite bâtir d ici les cinq prochaines années un véritable circuit international en ajoutant entre autres une ville dans l'ouest canadien (Edmonton, Calgary ou Vancouver) et une autre dans l'ouest américain (Santa Barbara, Los Angeles ou Las Vegas) (Bourdeau, 2009). Le fondateur dit s inspirer du modèle mis sur pied par le Cirque du Soleil (Bouchard, 2009). Selon le vice-président ventes et marketing (2009), la construction du circuit aurait un bénéfice direct sur la gestion des artistes qui prennent la scène lors des Festival Juste pour rire. Au lieu de faire signer aux artistes un contrat par festival, Juste pour rire l embarquerait pour la totalité du circuit. Cela empêcherait les artistes de choisir certains festivals au profit des autres. Même si plusieurs festivals étaient rapprochés, il n y aurait ainsi pas de risque de cannibalisation. Rozon (2009) constate que le potentiel d exportation du Festival Juste pour rire est aujourd hui plus que jamais lié à la stratégie culturelle mise de l avant par des villes aux quatre coins du monde. Il nous avoue qu il ne pensait jamais voir ça de sa vie, mais qu il remarque que des villes sont maintenant en train de mettre la culture au centre de leur développement économique (Rozon, 2009). Le coup de maître de Rozon, selon Beaunoyer (2007), en plus de donner à l humour une infrastructure et des bases solides, est d avoir su lui redonner ses lettres de noblesse. Rozon (2009) affirme qu autrefois l humour n était même pas considéré comme faisant partie du domaine culturel. Plusieurs considéraient l humour comme trivial. Il s enthousiasme du fait que la vapeur est renversée : «là aujourd hui, les villes veulent faire de l humour un instrument pour leur donner de la personnalité. Et Juste pour rire est le meilleur pour ça» (Rozon, 2009) Avantages de l internationalisation Les avantages que Juste pour rire retire de la présence internationale de ses festivals sont à la fois d ordre stratégique, économique, créatif et personnel à son fondateur. Si

64 54 nous regardons au niveau stratégique, en sortant du marché québécois, Rozon (2009) affirme que cela lui permet d assurer la pérennité de son entreprise, en plus de lui donner force et stabilité. Un autre avantage stratégique perçu est la possibilité de faire de meilleures offres aux artistes. En effet, le responsable du volet Just for Laughs de Montréal, Bruce Hills, affirme que «Our buying power, our reach for artists has never been better. When we can go to John Cleese and say you can go to two cities in five days and do a series of British galas, that s a lot more attractive offer than, "hey, I ve got one thing for you"» (Wyatt, 2009). Il ajoute : «Larger paycheques get people s attention» (Wyatt, 2009). Comme ce sont les artistes qui font rouler l entreprise, la capacité de faire monter sur scène les meilleurs talents est un bénéfice énorme. Au niveau économique, la rentrée de devises étrangères est aussi un avantage de l internationalisation puisqu elle permet à Juste pour rire d être moins à la merci d une seule économie grâce à des revenus répandus sur plusieurs pays. Finalement, Rozon (2009) retire des bénéfices très personnels à parcourir le monde pour s occuper du développement international des festivals. Il nous confie que les voyages qu il fait et la connaissance de différentes cultures qui en découlent lui apportent beaucoup. L accès à d autres cultures via l établissement de festivals à l étranger s avère un vrai catalyseur de créativité pour Juste pour rire. Rozon (2009) n hésite pas à dire, «je ne me suis jamais senti aussi créatif que depuis que j exporte». Cette créativité réside selon le fondateur dans l interaction avec les nouveaux créateurs qui amènent de nouvelles idées. Au début, Rozon croyait que c était Montréal qui allait servir d exemple aux autres festivals et que les idées générées dans la métropole montréalaise allaient être appliquées dans les festivals établis à l étranger. C est l inverse qui s est plutôt produit, a-t-il rapidement constaté. Il donne l exemple de Nantes en disant que «très rapidement Nantes a apporté des idées à Montréal parce que les Nantais ont une autre façon de voir les choses. Il faut que tu t enracines dans la culture nantaise et que tu regardes les activités culturelles et leurs créateurs et alors tu commences à avoir une interaction avec eux. Et c est dans cette interaction que naissent les idées.» Pour illustrer de quelle façon Rozon perçoit le processus par lequel l internationalisation a un impact sur la créativité, il nous offre l analogie suivante : Disons que je suis un fabricant de tasses et que mes tasses je les vends au Japon. La madame qui vend mes tasses au Japon, elle découvre alors une autre façon de faire des tasses qui soit plus chic, plus raffinée. Et que je m aperçois qu elle utilise le bois

65 55 pour boire certains liquides. Ça donne une idée de faire de l import-export. Ce sont donc des idées que je prends d ailleurs et que je remets à ma sauce. L idée a une origine, mais elle a des fois la capacité de voyager Défis dans l internationalisation Un des défis qu aura à faire face Juste pour rire dans l internationalisation des festivals est inhérent au produit lui-même, c est-à-dire à sa logique de financement. Bien des villes souhaitent aujourd hui être l hôte d un Festival Juste pour rire, mais cette demande ne se transforme pas toujours en contrat signé. Rozon (2009) nous dit que dans 9 cas sur 10, la simple vue du coût d entrée fait reculer les villes. L architecture d un événement de l envergure du Festival Juste pour rire est compliquée et Rozon (2009) indique qu il doit bien souvent appuyer le client dans la recherche de solutions, notamment au niveau du financement. Il dit «Tu peux pas juste vendre le produit, il faut que tu trouves comment le client va te payer. Tu te retrouves dans la position où tu vends une maison et il faut que tu trouves le financement hypothécaire» (Rozon, 2009). La gestion des partenaires avec qui Juste pour rire entre dans les marchés étrangers est aussi un défi. Dans le cas d un partenaire public, il y a toujours un risque que l association avec un maire tombe à l eau à la suite d élections. Dans le cas d un partenaire privé, Rozon (2009) indique que là encore la négociation peut être féroce et demande l implication d avocats. Bref, Rozon (2009) avance qu il faut être très flexible intellectuellement et bien outillé en terme de connaissances de système d achat. Le cas du partenariat avec TBS est un exemple où il a fallu que Rozon soit selon lui «créatif en business» puisqu il lui fallait trouver une façon de conclure une entente dans laquelle Juste pour rire allait être minoritaire, mais avec le contrôle de l opération. Ceci a mené à une situation où: «tu n es pas maître chez vous, même si c est pour un produit pour lequel tu es investigateur» (Rozon, 2009) Clés du succès La clé du succès réside d abord et avant tout pour Rozon dans la qualité du contenu offert. Dans le cas d une firme d humour, ça prend un bon «show» (Rozon, 2009). Il admet que dans l industrie dans laquelle Juste pour rire navigue et ce, plus que dans une autre, les firmes ne peuvent pas se permettre de tricher. En offrant un produit culturel, Rozon (2009) croit qu il s établit une relation particulière avec le consommateur. Il affirme que le consommateur qui consomme un produit culturel ne

66 56 consomme pas un produit comme les autres. Il consomme un produit éphémère et intangible qui nourrit son âme, son esprit. Rozon croit donc que si le consommateur paie le prix d un spectacle, qu il planifie sa soirée pour finalement s asseoir deux heures et écouter un humoriste, le produit doit être bon. Selon Rozon (2009), tu ne peux absolument pas faire perdre le temps de quelqu un qui vient consommer un produit culturel. La règle d or est donc le produit, «first thing comes first» comme il le dit. Mais le produit n est pas tout pour Rozon. Il faut ensuite, selon lui, savoir l exploiter et être capable de le vendre sur le marché local ou international. Il fait l allusion au peintre Van Gogh qui a connu la gloire seulement après sa mort parce que personne n a su exploiter les peintures phénoménales qu il produisait de son vivant. Finalement, il conclut en nous donnant un mot qui résume bien le tout: le talent. «Le talent humain d exploitation et le talent des artistes : c est la clé» (Rozon, 2009). 4.4 HARRICANA Description des activités de la firme Fondée en 1997 par la designer Mariouche Gagné, Harricana (qui signifie le long chemin, en algonquin) est une firme de mode spécialisée dans le recyclage de la fourrure. Gagné entre en contact avec la fourrure pour la première fois à l âge de 22 ans alors qu elle étudie en design à la Domus Academy de Milan (Harricana, 2007). Elle décide de participer à un concours de design organisé par le Conseil canadien de la fourrure. Manquant d étoffe pour compléter la création d un vêtement de ski réversible, elle eut l idée d utiliser le vieux manteau de fourrure de sa mère. Non seulement Gagné remporte la deuxième place du prestigieux concours, mais elle réalise alors tout le potentiel à la fois mode et environnemental de la fourrure recyclée. En 1994, elle lance sa première collection d accessoires (sacs, mitaines, foulards) entièrement conçue avec de la fourrure recyclée. Au fil des ans, ses collections se sont garnies d une vaste gamme de vêtements mode et de produits pour la maison. La création à partir de tissus recyclés est l essence de la firme qui transforme entre sept et huit mille manteaux par année (Harricana, 2007). Il faut dire que la préservation environnementale est au cœur des préoccupations de la présidente-designer. Près d un demi-million de bêtes ont été sauvés par le concept écoluxe d Harricana (Harricana, 2007). Les activités d Harricana se déclinent en deux volets à proportion égale: le sur mesure (transformation personnalisée des manteaux des clients) et le détail (collection

67 57 écoluxe) (Gagné, 2009). Aujourd hui, la PME de 20 employés transforme aussi les carrés de soie et les doublures de manteau et donne seconde vie aux robes de mariées. Selon La Presse Affaires, depuis sa fondation, Harricana a connu une croissance pratiquement ininterrompue frôlant les 80% certaines années (Champagne, 2009b). Le chiffre d affaires d Harricana, sans être divulgué, atteint quelques millions (Turcotte, 2008) Présentation du parcours international En 2001, Gagné reçoit une invitation de la Société pour le développement des entreprises culturelles (la SODEC) et le Conseil des arts à se rendre en France pour faire de l animation dans le village Québec-St-Malo. Notre répondant, la présidentedesigner Mariouche Gagné (2009), nous explique qu elle a alors accepté l invitation avec joie puisque cela allait être pour elle l occasion de présenter ses produits aux Français et tester leur réception dans ce marché. Malgré le fait que le village Québec- St-Malo se déroule sous le chaud soleil de l été et que la mer se trouve à quelque pas, les Français sont conquis par le concept de fourrure recyclée d Harricana et elle arrive à vendre tous ces produits. Suite à cette réaction positive, Gagné décide de se rendre l année suivante dans les Alpes, carnet de commandes en mains. Elle raconte qu en très peu de temps, elle remplit ledit carnet à la hauteur de ce qu elle pouvait en prendre au Québec en un an. Cette incursion en France débloque ensuite vers d autres marchés européens et rapidement ses produits de recyclage haut de gamme font le tour du monde. Harricana est aujourd hui présente dans 300 points de vente dans 18 pays, dont la Suisse, la France, l Autriche, l Allemagne, l Italie, l Espagne, la Hollande, les Émirats arabes, la Grèce, le Japon, la Russie et l Australie (Harricana, 2007). Plus de 50% de son chiffre d affaires provient de l étranger (Lehmann, 2007). La France suivie du Japon sont ses marchés les plus forts (Gagné, 2009). L expansion internationale d Harricana a pris forme autour d une structure d exportations gérée à partir du siège social de Montréal qui fait également office d atelier-boutique. Le design et la transformation des manteaux de fourrure sont donc ancrés en sol québécois. Une boutique dans le Vieux-Québec a vu le jour en Harricana s engage présentement dans une nouvelle étape de son parcours d internationalisation : l ouverture de boutiques à l étranger. La première boutique devrait avoir pignon sur rue en septembre 2010 en France ou en Suisse puis l expansion des boutiques se poursuivrait ensuite

68 58 vers les autres marchés d exportation. L objectif de Gagné : «avoir des boutiques un peu partout dans le monde» (Champagne, 2009b) Décision de s internationaliser Avant l animation du village Québec-Saint-Malo, l idée d exporter ses collections écoluxe avait déjà germé dans l esprit de Gagné, mais l expansion internationale n était pas encore bien concrète dans sa tête. C est donc une opportunité externe qui est venue déclencher l internationalisation d Harricana. L expérience française lui a alors vraiment fait réaliser la valeur de son produit à l étranger. Dans son cas, on peut parler d un véritable appel du marché. En effet, le marché du luxe dans lequel ses produits s inscrivent est très fort en Europe et au Japon où se nichent les grandes stations de ski huppées. Il y avait des affaires en or pour elle chez les Chamonix et Val-d'Isère de ce monde. De plus, Gagné croit que ses produits ont aussi trouvé preneurs chez les Européens pour qui l image du Canada et de la fourrure est très positive. Elle admet d emblée qu elle avait un capital de charme assez élevé : «Réussir à avoir des rendezvous avec des Européens, avec mon accent québécois, mais en même temps avec mes notions de mode européenne fonctionnait assez bien» (Gagné, 2009). La décision d internationaliser les activités d Harricana vient aussi des ambitions internationales de la présidente-designer qui à l âge de 17 ans rêvait déjà de diriger une entreprise internationale (Lehmann, 2007). Pour qu Harricana devienne un jour la première marque de luxe écologique au monde comme le souhaite Gagné, la firme devait s étendre à l extérieur des frontières. «Les Japonais ne viendront pas tous me voir ici au Québec» explique Gagné (2009). La volonté d amener sa marque sur l échiquier international a donc agi comme moteur très puissant derrière l internationalisation d Harricana. Surtout que l expansion dans les nouveaux marchés implique de grandes ressources financières avec les risques qui y sont associés. Selon Lehmann (2007), «une gageure dans un secteur où le Québec peine à se vendre à l extérieur». Mais, Gagné se décrit comme une fonceuse qui n a pas froid aux yeux Choix des marchés Comme nous l avons présenté, la France fut le premier marché d expansion internationale d Harricana. Ce choix semble s être fait sur une base opportuniste. Entre l Europe et les États-Unis, Gagné (2009) explique que le vieux continent s est mis à

69 59 fonctionner plus rapidement c est ainsi que l expansion a démarré de l autre côté de l Atlantique. L Europe était aussi un marché où la présidente-designer avait une certaine aisance de par ses intuitions quant aux préférences des consommatrices. L expansion dans le territoire japonais est venue un peu plus tard, aussi par l entremise des salons de mode. Aujourd hui un des ses deux marchés les plus forts, Gagné (2009) avoue que le marché japonais a pris un peu plus de temps à démarrer à cause des différences culturelles plus marquantes dans la façon de conduire les affaires. Une fois ces différences comprises, le marché s est avéré très fructueux. Le choix des points de vente dans chaque marché est quant à lui le résultat d un processus de sélection rigoureux. Dans chacun des marchés d exportation, Harricana s assure que ses produits se trouvent dans des endroits qui disposent d un bassin de consommatrices cibles. Gagné (2009) décrit sa cliente cible comme «une cliente qui a envie de se différencier, d avoir quelque chose d un peu plus "glam", mais aussi d un peu plus différent». Non seulement elle vise une clientèle qui démontre une sensibilité à un produit créatif, mais aussi suffisamment fortunée pour s offrir des produits trois fois plus dispendieux qu à Montréal en raison des coûts de transport (Lehmann, 2007). Gagné choisit donc des boutiques bien précises qui sont reconnues à travers le monde pour aller chercher les dernières petites tendances, par exemple chez Colette à Paris (Gagné, 2009). Ces boutiques avant-gardistes se prêtent bien à l aspect unique de chaque morceau de la collection d Harricana et l aspect écologique de la matière. En plus, les boutiques choisies se doivent d être les plus prestigieuses de chacune des régions visées pour correspondre au luxe de la marque. Ce critère de sélection est crucial pour maintenir le prestige de la marque et le gage de qualité des produits. Même que Gagné (2009) affirme que «Je préfèrerais ne pas vendre si ce n est pour ne pas vendre dans la boutique la plus belle. Je ne vends qu à des boutiques qui sont magnifiques» Mode d entrée Jusqu à présent, le mode d entrée privilégié par Harricana est l exportation de ses produits. Initialement, l exportation était un choix naturel puisque le modèle d affaires n incluait pas la vente au détail, mais que les collections et le sur-mesure. Il est donc logique que la firme ait voulu ouvrir une boutique dans son marché national avant d avoir pignon sur rue à l international. L exportation a aussi été privilégiée par

70 60 Harricana en raison des ressources financières disponibles rappelons qu Harricana avait été fondé à peine quatre ans auparavant. Gagné (2009) indique qu avec l aide financière accordée par la SODEC, l entreprise y est allée petit pas par petit pas à la hauteur de ses moyens. Gagné (2009) souligne bien le risque lié aux activités d exportation et aux dépenses rattachées que ce soit au niveau des déplacements, de la participation à des salons, de l incertitude des ventes et des paiements, etc. Finalement, Harricana souhaitait attendre que l image de sa marque soit forte et claire avant d ouvrir des boutiques à l étranger. Gagné (2009) explique que construire une marque prend du temps surtout que la compétition entre les grands noms du luxe est féroce sur l échiquier international. Avec désormais deux boutiques au Québec, une à Montréal et l autre à Québec, Harricana a cumulé de l expérience dans la vente au détail qu elle souhaite maintenant transférer dans une nouvelle phase d internationalisation, cette fois avec comme mode d entrée l établissement de boutiques exclusives à la marque. Gagné (2009) affirme que l ouverture de boutiques requerra un investissement financier initial plus important que l exportation, mais en contrepartie les rentrées d argent auront lieu immédiatement les portes sont ouvertes, les clients viennent acheter. Là où Gagné (2009) constate que l aventure des boutiques devient intéressante pour les affaires est dans la construction de la marque Harricana. La présidente-designer explique qu avoir des boutiques en propre à l étranger lui permettra de montrer la marque comme elle le souhaite et de mettre en lumière ce qui la distingue des autres marques de luxe. Elle donne l exemple de son service de transformation des vêtements. Harricana est le seul créateur de vêtements au monde qui travaille avec la matière fournie par le client. Ce service ne peut qu être offert que dans une boutique qui lui appartient et dotée d employés formés pour offrir ce service aux clientes. Gagné (2009) croit que c est également dans tous les petits détails comme la musique, les produits, le décor, l accueil personnalisé, l histoire qui est racontée qu une marque se crée. Dans le cas d Harricana, qui propose une combinaison unique de fourrure recyclée et de luxe, l écoluxe, les messages doivent être extrêmement bien véhiculés. Avec ses boutiques en propre, elle sera en mesure de créer une vraie expérience Harricana pour les consommatrices. Gagné (2009) explique que c est entre autres pour s assurer du soin de la marque qu elle souhaite ouvrir ses boutiques à l étranger avec un partenaire. Elle précise que les partenaires qui seront choisis doivent démontrer les capacités

71 61 financières à l expansion des boutiques, mais aussi adhérer aux dix-huit valeurs qui définissent Harricana. Elle admet que trouver ce «fit» entre son entreprise et un partenaire n est pas si facile que ça, mais qu il est capital dans l implantation de la marque à l étranger (Gagné, 2009) Internationalisation subséquente D ici l ouverture d une première boutique à l étranger, Harricana se concentre sur l apprentissage du monde du détail et la structuration de cette partie des activités pour que tout soit au point pour le virage international des boutiques. À ce propos, Gagné compte sur l appui d un coach qui l aide à comprendre les secrets de la vente au détail, mentorat dont elle bénéficie par l entremise du Groupement des chefs d entreprise du Québec auquel elle fait partie (Turcotte, 2008). L ouverture subséquente des boutiques se fera au rythme d une par année et le nombre par territoire variera en France, par exemple, 5 villes ont été identifiées (Gagné, 2009). Harricana croit que le déploiement des boutiques dépendra de la gestion de cette nouvelle structure de l entreprise, mais aussi des connaissances qui devront être acquises sur la culture de chaque marché Avantages de l internationalisation L internationalisation d Harricana se transpose en un avantage éminent sur la créativité de l entreprise. Selon Gagné (2009), la vente de ses produits à l étranger pousse la marque à être encore plus créative à cause de la compétition à l international. Alors que sur le territoire québécois, elle remarque qu il n y pas de compétiteurs qui la mettent au défi (la «challengent»), la situation est tout autre à l étranger alors qu elle se retrouve dans un salon à côté de Prada ou que l acheteuse qui la reçoit vient tout juste de rencontrer les représentants de Miu Miu. Elle doit impressionner. Cette compétition devient extrêmement stimulante du point de vue de la créativité, car elle la force à constamment raffiner, peaufiner et innover pour se tailler une place au travers des grands noms du luxe. La créativité d Harricana est également renforcée par les consommatrices pour qui elle crée hors de son marché. La présidente-designer explique qu en Europe «la consommatrice va aller pour quelque chose d un peu plus fou» (Gagné, 2009). Le même produit vendu sur les marchés européens peut prendre jusqu à deux ans à se vendre au Québec. Côtoyer ce bassin de clientes qui ne consomment pas un produit de luxe pour se rassurer (tel un Louis Vuitton), mais bien pour se différencier est un vrai plaisir pour son esprit créatif. Elle retrouve cette même

72 62 dynamique de consommation chez les acheteuses des marchés étrangers, qui pour se tailler une place au travers de la myriade de boutiques de luxe des grandes métropoles doivent avoir sur leurs étagères des produits hautement créatifs à offrir aux clientes avant-gardistes. Elle remarque que les acheteuses québécoises vont avoir un comportement beaucoup plus prudent et privilégier les classiques (Gagné, 2009). Outre la capacité créative, Harricana perçoit également d autres avantages que lui procure son internationalisation. Gagné (2009) mentionne entre autres la perception de certaines clientes qui vont accorder une valeur au fait que la marque soit internationale et que ce qu elles achètent ici ait été vu à Paris ou à Aspen. Il y a également l attention que réservent les médias au parcours international de son entreprise qui la stimule. Finalement, elle ressent un sentiment de fierté chez ses employés qui voient leurs réalisations envoyées dans des magasins aux quatre coins du monde Défis de l internationalisation Puisque la question de la marque occupe une place centrale dans le choix des marchés et le mode d entrée, un des défis qu entrevoit Harricana dans le processus d internationalisation de l entreprise est celui de maintenir le message de la marque claire. Gagné (2009), qui porte à cœur la philosophie environnementale de ses produits de fourrure, ne souhaite pas que le message écologique se noie dans les attributs de luxe ou du design de la marque. La gestion de la nouvelle structure de boutiques se dessine aussi comme un défi de type organisationnel pour Harricana. Gagné (2009) dit devoir s assurer que les nouvelles boutiques sentent que malgré la distance géographique ou culturelle, elles font toutes parties d une même famille, qui partage les mêmes valeurs. Dans le même ordre d idée, la présidente-designer souhaite ne pas commettre l erreur de délaisser son marché national en ne se préoccupant que de l international. Finalement, un défi beaucoup plus personnel cette fois pour Gagné est d arriver à balancer à la fois son rôle de présidente, sa vie de famille, ses loisirs et ses amis. Mère de deux enfants en bas âge, elle admet que l internationalisation en demande beaucoup et que si le côté voyage lui plaît énormément il requiert beaucoup de temps et d énergie (Gagné, 2009).

73 Clés du succès Pour qu une firme créative réussisse son expansion internationale, Gagné (2009) croit qu elle doit être armée d une vision claire, d une équipe solide, de bonnes ressources financières et d une bonne structure organisationnelle. Tout aussi important, le succès s explique par l esprit qui guide les affaires en marché étranger. Elle affirme qu il faut s intégrer dans le pays où on l on souhaite s établir et non s y attaquer, y aller pas à pas en prenant temps de comprendre la culture et surtout ne rien prendre pour acquis, car Gagné (2009) nous dit «tu peux avoir 5 marchés qui fonctionnent et rendus au 6 e, ça ne fonctionne pas». 4.5 CIRQUE DU SOLEIL Description des activités de la firme Célébrant en 2009 son 25 e anniversaire de fondation, en établissant le record Guiness du plus grand rendez-vous d échassiers, le Cirque du Soleil est sans contredit le cas le plus connu de réussite d une firme créative québécoise à l international. Le Cirque du Soleil érige son chapiteau bleu et jaune pour la première fois en 1984 à l occasion des célébrations du 450 e anniversaire de l arrivée de Jacques Cartier au Canada. Les deux fondateurs de cette compagnie de Baie-Saint-Paul, Daniel Gauthier et Guy Laliberté, décident alors de créer un cirque sans animaux mêlant l acrobatie à la danse et au théâtre. Une approche qui allait complètement révolutionner les arts du cirque. Depuis ces modestes débuts, le Cirque du Soleil n a jamais cessé de croitre évoluant d une troupe de 20 amis saltimbanques à une multinationale de 4000 employés (Cirque du Soleil, 2009a). Avec ses 1000 artistes provenant de 40 pays parlant plus 25 langues, le Cirque du Soleil est comparé à une représentation miniature de l Organisation des Nations Unies (Tischler, 2005). Plus de 1800 employés travaillent dans le siège social international de Montréal. Le Cirque du Soleil compte aussi quatre bureaux régionaux, à Las Vegas (États-Unis), Londres (Angleterre), Macau (Chine) et Melbourne (Australie). Si l activité principale de cette firme de divertissement artistique demeure la création de spectacles (présentés sous des chapiteaux ou dans des théâtres fixes), depuis quelques années, le Cirque du Soleil a diversifié ses activités d affaires dérivées de ses spectacles pour inclure la création de produits pour la télévision, l organisation d événements privés et le développement de produits dérivés («merchandising») (Cirque du Soleil, 2009a). Dans les années à venir, la firme souhaite aussi s engager

74 64 dans des activités de «licensing» allant au-delà des activités dérivées des spectacles, comme des projets dans le domaine de l hospitalité (restaurant, bar, spa, etc.) (Cirque du Soleil, 2009a) Le succès du Cirque du Soleil est planétaire. Depuis sa fondation, plus de 90 millions de spectateurs dans plus de 200 villes dans 40 pays sur tous les continents, à l exception de l Afrique et de l Antarticque, ont assisté à un spectacle du Cirque du Soleil. En 2009, plus de 19 spectacles ont été présentés simultanément (Cirque du Soleil, 2009a). Le Cirque du Soleil affichait en 2006 des revenus de 620 millions de dollars américains. 95% de ses activités se font à l étranger et 90% des revenus reviennent à Montréal (Turcotte, 2007). Guy Laliberté est aujourd hui le propriétaire principal de cette firme qui malgré sa grosseur demeure une structure à propriété privée. En révolutionnant les arts du cirque par un «étonnant mélange théâtralisé des arts du cirque et de la rue, enveloppé dans des costumes loufoques et saugrenus, sous des éclairages magiques et sur une musique originale» (Cirque du Soleil, 2009b), le Cirque du Soleil a réussi à créer ce que les auteurs Kim et Mauborgne (2005) nomment une stratégie de l océan bleu. Cette stratégie consiste à créer un nouveau marché à exploiter, plutôt que de compétitionner dans une industrie déjà existante et à multiples joueurs. Malgré l émergence avec le temps de compétiteurs, le Cirque du Soleil a réussi à bâtir après plus de 25 ans une machine capable de livrer un niveau d innovation difficile à imiter. Jusqu à ce jour, le Cirque du Soleil a continué à tenir la barre haute en prouvant être capable de réinventer la marque à chaque nouvelle production (Tischler, 2005). Fidèle à la clé de son succès, le Cirque du Soleil maintient une attention constante sur la créativité. Le président et chef de la direction, Daniel Lamarre (cité par Tischler, 2005) affirme que Laliberté a une volonté de mettre la créativité avant les profits. Chaque année, près de 70% des profits sont redirigés dans les nouvelles initiatives, la recherche et le développement et les nouveaux spectacles. Il explique : «We built our brand on creativity and if we don t respect this first value of our brand, it would be counterproductive for us in the long term» (Lamarre; cité par Tischler, 2005 ).

75 Présentation du parcours international 1 Cette section retrace les grandes orientations internationales de la stratégie du Cirque du Soleil au cours des 25 dernières années : les débuts Le Cirque du Soleil se concentre les premières années sur le territoire du Québec et du Québec en présentant dans différentes villes son spectacle La magie continue. Rapidement, la firme réalise que le climat canadien, rigoureux en hiver, pose un problème à la viabilité d un spectacle de cirque présenté sous le chapiteau. Guy Laliberté (cité par Beaunoyer, 2004 :87) affirmait en 1987 : «Un cirque n est pas rentable s il limite ses activités au territoire du Canada. Pour être rentables, nous devons fonctionner neuf mois par année et la température au Canada ne nous permet pas de présenter des spectacles pendant plus de six mois. Alors, il faut aller vers le sud et le sud, c est les États-Unis». C est ainsi que le Cirque du Soleil décide de migrer vers son voisin immédiat. Selon Delong et Vijayaraghavan (2002), le Cirque sent déjà le potentiel outre frontière de leur concept de cirque unique déjà international dans la composition de sa troupe : «Even when Cirque started out with its first small-scale shows in Canada, it was mindful of globalization, both in staffing and content; eventually, it achieved globalization in audience too, leaving Canada for the first time in 1987.» 1987 : les États-Unis L année 1987 marque l entrée du Cirque du Soleil au pays de l Oncle Sam. La présentation de son spectacle Le Cirque réinventé à Los Angeles est alors un pari très risqué pour la troupe de Guy Laliberté. Il raconte : «Nous n avions plus d argent et nous risquions le tout pour le tout. Si nous avions subi un échec à Los Angeles, nous n aurions pas été en mesure de payer l essence de nos camions pour revenir à la maison. Nous vivions une énorme tension» (Laliberté, cité par Beaunoyer, 2004). Une gageure qui s avéra payante puisque le Cirque du Soleil remporte un succès fracassant. Le Cirque réinventé parcourt différentes villes de la Californie puis prend la direction de l est des États-Unis. Grisé par le succès qu obtient le Cirque du Soleil partout sur son passage, Laliberté rêve de couvrir la planète en entier (Beaunoyer, 1 La majorité des informations de cette section ont été recueillies dans le document «La Grande Odyssée» produit par le Cirque du Soleil (2009).

76 ). La conquête du très lucratif marché américain aura eu un impact non seulement sur les aspirations de son chef, mais aussi sur les apprentissages que l internationalisation aura permis à la jeune entreprise. Delong et Vijayaraghavan (2002) notent : «Cirque really became Cirque when they crossed the border and went to Los Angeles. They learned how to present the mystique, the branding, the cross-cultural message» : au tour de l Europe et du Japon Le Cirque réinventé traverse l Atlantique pour la première fois en 1990 où il sera présenté à Londres et à Paris. En 1992, c est au tour du Japon de recevoir le Cirque du Soleil avec le spectacle Fascination, un amalgame des meilleurs numéros des spectacles précédents. La même année, la firme complète une tournée en Suisse en compagnie du célèbre cirque européen, le Cirque Knie. L implantation du Cirque du Soleil en Europe mènera en 1995 à l établissement d un siège social européen à Amsterdam (Hollande) : les premiers spectacles permanents Suite au succès remporté par les différents spectacles de tournées à Las Vegas, le Cirque du Soleil décide d y ancrer son premier spectacle présenté dans un théâtre fixe. La firme signe un contrat de 10 ans avec le Mirage Resorts pour présenter le spectacle Mystère. Une salle est alors construite dans l hôtel Treasure Island spécialement pour accueillir les artistes circassiens. Le Cirque du Soleil y établit aussi un bureau régional. Le Cirque du Soleil multipliera les années suivantes les spectacles fixes, une stratégie qui permet d attirer la manne de touristes séjournant dans la capitale du divertissement. Entre 1993 et 2006, le Cirque installera 4 autres spectacles permanents à Las Vegas (O au Bellagio en 1998, Zumanity au New York-New York Hotel & Casino en 2003, Kà au MGM Grand en 2004 et LOVE au Mirage en 2006) : le Cirque rayonne encore plus Maintenant doté d un siège social international inauguré en 1997 à Montréal, le Cirque du Soleil poursuit son expansion internationale. En 1998, la firme prolonge la tournée du spectacle Saltimbanco jusqu à en Asie-Pacifique avec comme point de départ Sidney (Australie). En 2002, c est avec le spectacle Alegria que le Cirque du Soleil fait ses premiers pas au Mexique. De 1999 à 2002, le Cirque se lance également dans la

77 67 production télévisuelle et cinématographique en produisant plusieurs émissions, films et même une production IMAX. Ce dernier, distribué par Sony Pictures Classic, permet de faire découvrir le Cirque du Soleil par voie d écran géant aux quatre coins du monde à aujourd hui : un nouveau cycle de développement international Le Cirque du Soleil entreprend depuis 2006 un nouveau cycle de développement international caractérisé par de nouveaux points d ancrage et la conquête de nouveaux marchés. En 2006, la firme fait une première percée en Amérique du Sud avec la présentation de Saltimbanco au Chili, en Argentine et au Brésil. En 2008, le Cirque du Soleil inaugure un record de trois spectacles permanents. Criss Angel Believe voit le jour à l hôtel Luxor à Las Vegas et pour la première fois, deux spectacles permanents sont installés à l extérieur de l Amérique du Nord soit ZAIA, à Macao en Chine et ZED au Tokyo Disney Resort au Japon. Aujourd hui, le Cirque du Soleil fait rouler simultanément 8 spectacles en tournée et 10 spectacles permanents (6 à Las Vegas et 1 à New York, Orlando, Macau et Tokyo). Et demain? Le carnet de projets du Cirque du Soleil réserve de nombreuses nouveautés pour les prochaines années. En plus de présenter à la fin de 2009 le spectacle de tournée Elvis Presley, qui devrait être complété d «expériences Elvis» multimédias interactives, le Cirque du Soleil s aventurera dans des contrées encore jamais explorées. Le Cirque du Soleil amorcera d ici la fin de 2009 son entrée en Russie. Un partenariat signé avec George et Craig Cohon, les Canadiens qui ont introduit et fait prospérer les restaurants McDonald et la marque Coca-Cola en Russie, inclut la création de Cirque du Soleil Rus, «une entreprise russe qui sera dirigée par des Russes pour des Russes» (Cirque du Soleil, 2009b). Suite à l important partenariat avec le premier promoteur immobilier privé au monde, Nakheel, conclu en 2007, un premier spectacle permanent dans les Émirats arabes devrait être présenté à The Palm Jumeirah à Dubaï en De nombreux autres projets devraient naître au Moyen-Orient puisque depuis 2008, Isthimar World Capital et Nakheel détiennent une participation de 20% dans les intérêts du Cirque du Soleil. Selon le Cirque du Soleil, ces deux nouvelles ententes internationales permettront à la multinationale de se concentrer sur ses deux priorités, soit la gestion de sa croissance et la réalisation de ses objectifs créatifs à l échelle mondiale (Cirque du Soleil, 2008a).

78 Décision de s internationaliser Une des raisons qui explique le déclenchement de l histoire incroyable de développement international du Cirque est la question de la rentabilité du produit luimême. Laliberté (cité par Beaunoyer, 2004) affirme que l expansion internationale n était pas un choix dans leur cas, mais bien un impératif pour survivre. Une fois la bonne occasion de se produire aux États-Unis s est présentée, la firme s est lancée avec détermination et audace. Il est intéressant de constater que la question de rentabilité du produit explique encore aujourd hui la présence du Cirque du Soleil sur plusieurs continents. Comme l explique Tischler (2005), chaque spectacle est non seulement unique, mais aussi extrêmement couteux. Les coûts de production peuvent atteindre 25 millions de dollars pour un spectacle en tournée. La présence sur plusieurs territoires permet d augmenter la durée de vie de ces produits. Jean Héron (cité par Marketing Magazine, 1996), de l ancien bureau européen d Amsterdam (aujourd hui déménagé à Londres), affirmait en 1996: When we originally started in 1984, the life expectancy of a show was three months. Now it's between five and six years. The whole creative process (per show) takes up to 18 months to develop. It then travels across North America in the second year and to Japan in the third year and now to Europe [...]. Touring shows through Europe also helps keep the performers busy. For example, the current European tour of the Cirque's Saltimbanco show, which started in Montreal in 1992, employs 80% of the original cast. Si le Cirque du Soleil a pris le risque, énorme, de franchir la frontière canadienne en 1987, il faut reconnaître aussi le rôle qu a joué Guy Laliberté à l époque. Le fondateur est reconnu pour son tempérament de «gambler» (il adore le poker) et le goût du risque. Mais ce qui explique que Laliberté ait misé tous les avoirs du Cirque du Soleil sur la présentation d un seul spectacle à Los Angeles est son rêve de voyages. Notre répondant, le vice-président marketing Mario D Amico nous confie que Laliberté depuis l âge de 14 ans rêvait de faire le tour du monde. Ayant grandi dans une famille aux revenus modestes, le Cirque du Soleil allait lui permettre d accomplir son rêve. Il nous dit : «Pour Guy, le début ici au Québec c était juste une phase pour partir son entreprise parce que ses intentions étaient de s internationaliser le plus vite possible. L international a donc toujours fait partie de l ADN du Cirque du Soleil.» Choix des marchés Nous pouvons faire la distinction entre le choix des marchés selon les zones d expansion géographique, les spectacles de tournées et les bureaux régionaux.

79 69 Zones d expansion géographique D Amico (2009) indique que l expansion internationale du Cirque du Soleil a pris la forme d une série d étapes progressives allant des marchés plus proches jusqu à des marchés plus loin. La multinationale a commencé son parcours aux États-Unis où elle a obtenu un vif succès notamment par tout l univers théâtral de ses spectacles qui leur a permis de se distinguer dès lors, de la panoplie de cirques traditionnels présents dans le marché. Beaunoyer (2004) associe la popularité de la firme aussi au fait que «[le Cirque] a misé sur sa spécificité québécoise française et a ainsi séduit les Américains qui pour la plupart ont toujours confondu arts raffinés et France». Ce n est qu une fois l Amérique du Nord conquise que le Cirque du Soleil s est tourné vers l Europe. Avec sa tradition millénaire de cirque, le marché européen était un choix naturel pour les tournées de la troupe de Guy Laliberté (Marketing Magazine, 1996). D Amico (2009) raconte qu une fois l Europe devenue un territoire confortable, le Cirque a poursuivi son internationalisation vers l Asie-Pacifique. Lamarre (cité par Turcotte, 2007) précise que le choix de l Asie comme marché d expansion était aussi lié à la volonté de diversifier les marchés dans lesquels les spectacles sont présentés et de profiter de la croissance économique vertigineuse des pays de cette zone géographique. Et maintenant que l implantation du Cirque du Soleil est réussie dans ces trois gros territoires, la firme se tourne vers la Russie, un marché qui connaît une véritable renaissance sur le plan culturel (Cirque du Soleil, 2008b), et la ville de Dubaï, un pôle touristique moderne au Moyen-Orient. D Amico (2009) remarque que cette progression dans les zones d expansion géographiques va des marchés les plus faciles en terme de similitudes des règles d affaires à des marchés dont les habitudes sont les plus différentes de celles retrouvées dans les pays Occidentaux. Villes des spectacles de tournée Selon Beaunoyer (2004), le consommateur type du Cirque du Soleil est un consommateur qui est plus éduqué et a des revenus plus élevés que la moyenne. En se basant sur ce profil de consommateurs, le Cirque du Soleil détermine les villes où sera érigé le chapiteau selon cinq facteurs : la densité de la population, le revenu par personne, le niveau d éducation des habitants, les conditions climatiques et les coûts de transport (Espiard, 1993). D Amico (2009) nous indique que la question des revenus est particulièrement importante dans la planification des villes des spectacles de tournées puisque le produit qu offre le Cirque du Soleil demeure un produit de luxe.

80 70 Selon D Amico, il faut s assurer que les marchés visés aient une capacité à payer les prix des billets, c est-à-dire que les habitants ont les revenus médians appropriés. Pour que le Cirque du Soleil puisse amortir les coûts élevés que requiert l infrastructure d un spectacle, la firme doit s assurer de pouvoir écouler billets par emplacement. D ailleurs, les coûts fixes du spectacle, peu importe qu il soit présenté en Angleterre, en Russie ou au Brésil, expliquent pourquoi le prix des billets ne varie qu à l intérieur d un écart de 10%. Outre les cinq facteurs énumérés, D Amico (2009) ajoute que le Cirque du Soleil se penche également sur les données statistiques ayant trait au niveau de consommation de produits de divertissement «live» par habitant d une ville. En effet, en se détachant des cirques traditionnels, le produit qu offre le Cirque se classe dans la catégorie des produits culturels. La firme va donc regarder la propension des habitants à consommer des spectacles sur scène aussi bien le théâtre, l opéra que le ballet. Bureaux régionaux En plus de son siège social international situé à Montréal, le Cirque du Soleil possède quatre bureaux régionaux, sur quatre continents. Loin de n être que de simples centres de profits (les profits sont centralisés à Montréal), ces bureaux sont plutôt dédiés à une fonction marketing. Ils sont responsables de la diffusion et de la distribution des tournées. Ils mettent tout en place au niveau de la mise en marché, de la promotion et de la publicité afin de s assurer de la vente des billets dans leurs régions respectives. Les bureaux régionaux ont donc été établis dans des lieux géographiques stratégiques. Las Vegas, comme siège du bureau américain, a été un choix naturel vu l ampleur de la présence du Cirque du Soleil dans la capitale du Nevada. Melbourne dessert le continent océanique et Macao est un «hub» pour toute région de l Asie-Pacifique, à michemin entre le spectacle permanent au Japon et les spectacles en tournées, en Australie. Lors de notre entretien, D Amico (2009) nous apprend qu à l été 2009, le Cirque du Soleil a décidé de déménager son bureau européen installé depuis 1995 à Amterdam vers Londres. À l époque, Amsterdam avait été choisi pour ses avantages fiscaux attrayants, le bilinguisme de la population et le lien aérien direct depuis Montréal, mais ils avaient ensuite éprouvé de la difficulté à attirer des talents dotés d une expérience dans le divertissement «live» dans les Pays-Bas. D Amico (2009) souligne que Londres est non seulement aujourd hui le centre du divertissement «live» en Europe, mais est aussi une ville qui montre une grande ouverture vers l international.

81 Mode d entrée Tout comme l expansion progressive de pays en pays, l entrée dans chaque marché suit aussi une série d étapes. D Amico (2009) nous explique que le Cirque du Soleil s implante tout d abord dans un marché par les spectacles de tournée. La tournée leur permet non seulement de bouger à travers le pays et de couvrir du territoire, mais aussi d acquérir le maximum de connaissances sur les préférences des consommateurs. Pour ce vice-président marketing, il est crucial qu avant d investir des millions de dollars dans un théâtre fixe, de bien connaître de quelle façon le pays apprécie le produit du Cirque. Une fois que la multinationale a bien saisi le marché, elle peut poursuivre par l implantation d un spectacle permanent. D Amico (2009) ajoute que dans le cas des nouveaux territoires, où le Cirque n est peu ou pas de tout connu de la population, la firme adopte une entrée encore plus prudente. Au travers de leur division Événements spéciaux, ils organisent des petits événements privés qui leur permettent de se faire connaître dans le pays. D Amico (2009) donne un exemple hypothétique d une compagnie d automobiles qui organise son congrès annuel à Beijing et qui pourrait alors faire appel au Cirque du Soleil pour que des artistes performent pendant l événement. Encore une fois, par cette approche, le Cirque du Soleil peut tester le marché et se faire connaître à une plus petite échelle. En plus, ces événements servent à créer du bouche-à-oreille bénéfique dans l éventualité d un spectacle de tournée. D Amico (2009) rappelle l importance de bâtir au préalable une notoriété avant d entrer dans un marché. Si le Cirque n a plus besoin de présentation au Canada, aux États-Unis et en Europe, il souligne qu il reste encore bien des endroits dans le monde qui ne connaissent toujours pas la troupe de Laliberté. Le fondateur expliquait d ailleurs ceci au sujet de l entrée dans les nouveaux continents: Dans notre cas, nous ne prenons pas pour acquis que le public du Chili ou de la Chine connaît le Cirque du Soleil au même niveau qu'un Montréalais ou même un Européen ou un Japonais. Donc, nous revenons à la case départ. Il faut avoir cette discipline de ne pas sauter d'étape sous prétexte que nous sommes meilleurs sur le plan international. (Laliberté; cité par Théroux, 2006) La stratégie d entrée du Cirque repose essentiellement sur le travail avec des partenaires locaux qui connaissent bien leurs marchés. D Amico (2009) précise que deux types de partenariats peuvent être développés, selon le marché. Dans les marchés comme le Brésil, le Mexique et la Chine, où la firme ne considère pas

82 72 connaître assez le marché pour y aller seul, le Cirque du Soleil cherche des partenaires de type financier, qui vont investir et partager le risque d amener le grand chapiteau. L usage de commanditaires est très répandu dans ces pays où de nombreuses entreprises souhaitent s associer aux valeurs que représente le Cirque du Soleil et veulent être les premiers à amener un spectacle de la multinationale dans leur pays. Dans les marchés plus occidentaux dans leur façon de faire, le Cirque du Soleil va plutôt conclure des ententes avec des partenaires de type services. Ceux-ci vont les introduire dans les réseaux de médias et de publicités et les faire rencontrer des commanditaires, etc. Ces partenaires vont aussi leur offrir un genre de cours en accéléré sur la ville, la région ou le pays. D Amico (2009) explique qu au fil de l expérience dans un pays, le besoin d avoir ces partenaires de service s estompe et après quelque temps, le Cirque finit pas avoir le contact direct dans le marché. Qu il soit de types financiers ou de services, dans les deux cas, le choix des partenaires se fait selon une grille de critères qui inclut des exigences sur la taille de l entreprise, l expérience et la connaissance des produits de divertissement «live». Mais, D Amico (2009) nous avoue que malgré cette grille objective, le choix se fait souvent tout simplement sur la base des affinités avec le partenaire potentiel. Comme il le dit «"at the end of the day", c est plutôt une question de si tu aimes la personne avec qui tu ferais affaires». D ailleurs, il attribue ceci au côté très humain que le Cirque a maintenu au travers de toute sa croissance. Il y a des matrices stratégiques, mais il y a aussi «how you feel about people». Finalement, ce qu il faut retenir du mode d entrée du Cirque du Soleil est l approche très régionale et locale qui guide l expansion dans chacun des nouveaux marchés. D Amico (2009) a une position ferme là-dessus, «tu ne peux pas jouer la carte internationale». Il souligne qu il leur faut être capable pour chaque endroit de rentrer dans la peau des gens, tout connaître de leurs habitudes d où l importance des partenaires locaux. Comme le mentionnait Laliberté : «il s'agit de mettre temps et énergie à bien expliquer son entreprise et ses produits» (cité par Théroux, 2006). Si on y réfléchit bien, le Cirque du Soleil voyage aux quatre coins du monde avec un produit universel, sans paroles, basé sur l imaginaire et le rêve. Comme la firme ne modifie en rien le produit lui-même, ce qu il adapte aux particularités locales est plutôt la stratégie marketing autour du spectacle soit la promotion, l emplacement, le prix, etc.

83 Internationalisation subséquente Comme l affirmait Lamarre en 2007 : «Nous ne sommes pas arrivés, nous sommes au début d un nouveau cycle [...] le cap est totalement maintenu sur le développement international» (cité par Turcotte, 2007). D Amico (2009) croit d ailleurs que l expansion dans de nouvelles zones géographiques est de mise pour assurer la croissance de l entreprise. Il fait remarquer que contrairement à d autres firmes qui lorsqu elles lancent un nouveau produit cannibalisent leurs autres produits, lorsque le Cirque du Soleil ouvre des nouveaux marchés comme la Chine et la Russie, ces nouveaux marchés représentent des revenus additionnels nets pour la firme Avantages de l internationalisation Avant de comprendre comment l internationalisation du Cirque du Soleil opère comme un avantage compétitif, D Amico (2009) rappelle la force contenue dans la marque de commerce du Cirque du Soleil. En effet, en 2007, le Cirque du Soleil a mené une vaste enquête internationale, auprès de répondants dans une trentaine de pays, afin de mesurer sa notoriété (Cloutier, 2007). Les résultats ont alors démontré une cote de reconnaissance positive de près de 90 pour cent à la firme, supérieure à la cote donnée à des marques de commerce comme Apple et Harley-Davidson (Cloutier, 2007). Cela dit, D Amico (2009) avance qu il se trouve dans le monde de nombreux petits cirques, parfois des perles au niveau de la créativité, mais qui malheureusement n arrivent pas à s internationaliser parce qu ils n ont pas cette force au niveau leur marque de commerce. L avantage du Cirque du Soleil envers cette compétition locale est énorme. Il explique que «Nous sommes capables avec cette internationalisation de jouer à plusieurs niveaux, de compétitionner avec les gros, mais aussi avec les petits» (D Amico, 2009). D Amico (2009) souligne qu en dehors de trapèzes et des tentes, les artistes représentent la matière brute du Cirque du Soleil. L internationalisation s avère aussi dans leur cas un avantage en terme de recrutement des meilleurs talents provenant de milieux divers comme la gymnastique artistique, la trampoline, le plongeon, la danse, le chant et la musique. Il explique qu un artiste prêt à vivre la vie de tournée, aussi exigeante soit-elle, ne peut passer à côté du Cirque du Soleil. Le Cirque du Soleil offre aux jeunes la chance unique de parcourir le monde tout en s épanouissant dans leur art ou leur discipline. Le Cirque du Soleil offre aussi aux athlètes de haut niveau dont la

84 74 carrière tire à sa fin de continuer à mettre à profit leurs talents en se joignant à la troupe. Au fur et à mesure de l internationalisation de la firme et de sa croissance, le besoin en entraîneurs a aussi augmenté. La multinationale se retrouve dans une situation avantageuse où plus le Cirque est international, plus il y a des besoins de talents et plus le Cirque est international, plus il arrive a recruter du talent. De Franco Dragone à Robert Lepage, le Cirque a eu la chance de travailler avec plus 200 concepteurs dont les plus grands créateurs et metteurs en scène de la planète. D Amico (2009) affirme que le Cirque du Soleil continue à attirer des créateurs qui viennent de partout dans le monde. Par le processus de création qui s opère à l intérieur des murs d un immense studio, situé à même le siège social international, les créateurs viennent alimenter et nourrir la créativité du cirque nous précise-t-il. Le Cirque du Soleil représente un lieu de création hors du commun où les créateurs qui séjournent à Montréal peuvent travailler l esprit libre, écrire à leur guise et à leur manière, et surtout compter sur des moyens financiers à la hauteur de leurs inspirations Défis dans l internationalisation Parmi les préoccupations liées à l internationalisation croissante du Cirque du Soleil, D Amico (2009) souligne celui de la saturation possible du marché américain, un marché où la multinationale présente aujourd hui plus de 6 spectacles permanents en plus des spectacles de tournée. D Amico (cité par Delong et Vijayaraghavan, 2002) compare la situation particulière au marché américain à celle d une maîtresse : «We are the mistress, we come to town for six weeks, the customer has a great time with us, then we go, the customer longs for the day we come back. Now, with three or four tours in the U.S., we are frightened that the customer might get tired of the mistress.» D Amico (2009) explique qu avant les spectacles de tournée visitaient les États-Unis tous les trois ans, alors qu aujourd hui c est plutôt tous les ans. Avec l expansion accélérée qu a connue le Cirque du Soleil depuis les dix dernières années, la firme a ajouté de nombreux nouveaux produits sur le marché américain passant d une situation où la demande pour les spectacles était plus grande que l offre à une situation où l offre et la demande sont beaucoup plus balancées. Pour relever ce défi, D Amico (2009) croit que le Cirque du Soleil doit s assurer d offrir à chaque visite un spectacle qui fera vivre une expérience encore meilleure aux spectateurs, une expérience si forte qu ils

85 75 auront envie de revenir à la visite suivante. Pour ce faire, le Cirque du Soleil se met continuellement au défi d innover, de créer des produits différents (par exemple, des spectacles de magie) et surtout de continuer à faire rêver les spectateurs. D Amico (2009) dit que c est exactement le défi que Guy Laliberté donne à ces créateurs. Le défi de la créativité en est effectivement un constant pour le Cirque du Soleil. À la lumière des résultats du sondage sur la force de la marque, Lamarre avait alors affirmé qu avec le sentiment de fierté venait aussi le sentiment de responsabilité accrue :«Cette marque est bâtie uniquement sur la créativité, c est-à-dire qu elle a un fondement fragile basé exclusivement sur la capacité de pouvoir continuer à créer» (Cloutier, 2007). Il avait alors admis qu il existe une crainte incroyable de ne pas réussir à chaque nouvelle création. Le Cirque doit sans cesse se demander comment croître sans compromettre la qualité. Selon D Amico (2009), ce stress agit plutôt comme moteur pour la créativité. Il croit que le Cirque du Soleil, en tant qu entité artistique, vit avec le stress ultime qu un jour les gens n apprécieront plus ses œuvres, mais qu en même temps, ça la pousse à se mettre au défi, à essayer de nouvelles choses, bref, ça alimente sa créativité Clés du succès Guy Laliberté donne les conseils suivants aux firmes québécoises qui souhaitent prendre leur place dans un contexte de mondialisation : «Avoir une vision claire et le goût du risque. Prendre le temps de développer un réseau de partenaires en qui vous aurez confiance et avec qui vous tisserez des alliances qui seront bénéfiques pour les deux parties» (cité par Théroux, 2006). Le goût du risque est en effet, selon D Amico (2009), une des raisons pour laquelle le Cirque du Soleil s est rendu là où elle est aujourd hui. Ce risque continue de faire avancer la multinationale en la poussant à innover : «We like to take risks. It s part of who we are. Every time we come in a comfort zone, we will find a way to get out, because being comfortable in our business is very very dangerous» (Lamarre; cité par Tischler, 2005). Puis finalement, D Amico (2009) abonde dans le sens de Laliberté en soulignant à son tour la vision comme clé du succès à l international. Il affirme «si tu n as pas cette vision-là, ça devient une compagnie comme les autres, ça va être un petit "flash"». Selon lui, il faut d abord bien définir sa vision puis continuer à la nourrir. Le Cirque du Soleil continue à nourrir cette vision au travers des employés qui prennent part au succès de la multinationale. Les 4000 employés sont liés par cette histoire incroyable qu est le Cirque du Soleil. Cette

86 76 histoire est si vivante que même D Amico (2009), qui s est joint au Cirque du Soleil il y a dix ans, a parfois l impression qu il était là, à Baie-Saint-Paul, quand tout a commencé.

87 TABLEAUX SYNTHÈSES DES OBSERVATIONS Sid Lee - année de fondation : taille : 300 employés - 3 ateliers : Montréal, Amsterdam, Paris - chiffre d affaires (2007) : 30 millions de dollars en honoraires - ce qu elle: créativité commerciale Décision de s internationaliser - expérience internationale avec un client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients et de nouveaux talents - motivation personnelle et générationnelle Choix des marchés - bassin de clients et de talents - opportunité externe - vol aérien direct Mode d entrée - exportation - croissance organique (ateliers en propre) Internationalisation subséquente - Europe, États-Unis - point d ancrage de la créativité à Montréal Avantages de l internationalisation - capacité de décrocher mandats - recrutement de talents - force créative

88 Aedifica - année de fondation : taille : 115 employés - 2 bureaux : Montréal et Saint-Louis (Missouri) - marchés : Québec (41%), États-Unis (49%) 2 - chiffre d affaires (2008) : 14 millions de dollars - ce qu Aedifica exporte : savoir-faire en design commercial Décision de s internationaliser - expérience internationale avec client - limite du marché québécois - recherche de nouveaux clients - motivation entrepreneuriale Choix des marchés - opportunité externe - «fit» au niveau créatif Mode d entrée - exportation - acquisition Internationalisation subséquente - partenariat firme Ouest canadien (porte vers le marché asiatique) - point d ancrage de la créativité à Montréal Avantages de l internationalisation - force - séduction - prospection 2 Les Affaires (2009). Les 300 PME au Québec, [en ligne] < leau=10&retour=liste.asp > (Réf. du 20 mai 2009).

89 Juste pour rire - année de fondation : taille : 550 employés - bureaux : Montréal, Londres, Paris, Los Angeles - marchés : Québec, Canada, France, États-Unis et Royaume-Uni - chiffre d affaires (2008) : 150 millions 2/3 provenant de l étranger - ce que Juste pour rire exporte : savoir-faire en architecture d événement d humour Décision de s internationaliser - expérience internationale avec client - limite du marché québécois (besoin de croissance) - éviter dépendance à un seul marché - motivation entrepreneuriale Choix des marchés - opportunité externe - marchés avec notoriété acquise - marchés stratégiques Mode d entrée - exportation - par étapes (événement à festival) - partenariat public ou privé Internationalisation subséquente - États-Unis, Angleterre, Ouest canadien, etc. - création d un circuit de festivals - «être premier dans les marchés premiers» Avantages de l internationalisation - assurer pérennité de la firme, rentrée de devises étrangères - recrutement de talents - bénéfices personnels au fondateur - nouvelles idées créatives

90 Harricana - année de fondation : taille : 20 employés - ateliers : Montréal et Québec - marchés : 300 points de vente, 18 pays - ce qu Harricana exporte : écoluxe Décision de s internationaliser - expérience internationale avec organisme - limite du marché québécois - motivation entrepreneuriale Choix des marchés - opportunité externe - bassin de clientes Mode d entrée - exportation - établissement de boutiques en propre Internationalisation subséquente - Europe (pays à déterminer) - point d ancrage de la créativité à Montréal Avantages de l internationalisation - force créative - charmant pour clientèle, attention médiatique, fierté des employés

91 Cirque du Soleil - année de fondation : taille : 4000 employés - sièges sociaux : Montréal (siège social international), Melbourne, Macao, Londres, Las Vegas - marchés : 18 spectacles en simultanée sur 5 continents - chiffre d affaires (2006): 620 millions de dollars (US) - ce que le Cirque du Soleil exporte : rêve et émotions Décision de s internationaliser - question de rentabilité du produit - tempérament «gambler» et rêve international du fondateur Choix des marchés - étapes progressives (marché facile à plus difficile) - bassin de consommateurs types Mode d entrée - étapes progressives (événements spéciaux à tournée de spectacle à spectacle permanent) - partenariats locaux (financiers ou de services) Internationalisation subséquente - nouveaux marchés en expansion (Moyen- Orient, Russie et Amérique du Sud) - cap sur le développement international - point d ancrage de la créativité à Montréal Avantages de l internationalisation - compétition avec grands et petits joueurs - recrutement d artistes et d athlètes de haut niveau - créateurs de partout dans le monde viennent nourrir créativité

92 5. Analyse des résultats 5.1 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES Les tableaux synthèses que nous avons construits suite à la présentation des cas nous ont permis de procéder à une première analyse de nos données selon la technique d appariement de modèles. Nous avons lié pour chaque firme les données recueillies aux cinq dimensions de notre cadre conceptuel pour arriver à cinq modèles d internationalisation, uniques à chaque cas. À partir de ces tableaux, nous avons procédé à une deuxième analyse par la technique de la comparaison inter-cas qui consiste à traiter chaque cas de façon individuelle et de les mettre en parallèle les uns aux autres (Yin, 2009). Pour faciliter la mise en lumière des similitudes et des différences entre les cas, nous avons regroupé tous les tableaux de traitement en un seul et même tableau (voir annexe 2). Nous avons réussi à dégager les grandes tendances de l internationalisation des firmes créatives en surlignant en gris les «patterns» communs à un minimum de deux firmes sur cinq. Le tableau 4 reprend ces tendances pour chaque dimension du cadre conceptuel avec entre parenthèses la proportion des firmes chez qui la tendance est présente. Tableau 4 : Tendances dégagées lors de l analyse inter-cas Dimension Tendances Décision de s internationaliser expérience internationale (4/5), limite du marché québécois (4/5), recherche de nouveaux clients et/ou talents (2/5), motivation entrepreneuriale (4/5) Choix des marchés bassin de talents et/ou consommateurs (3/5), opportunité externe (4/5) Mode d entrée exportation (4/5), en propre (2/5), par étapes (2/5), partenariats (2/5) Internationalisation subséquente point d ancrage de la créativité à Montréal (4/5) Avantages de l internationalisation recrutement (3/5), force compétitive (3/5), créativité (4/5) Dans ce chapitre d analyse, nous présenterons les tendances dégagées pour chacune des dimensions, en tirant nos explications de la présentation des cinq cas. Ceci nous

93 83 permettra de généraliser les résultats de notre échantillon à des propositions théoriques. 5.2 DÉCISION DE S INTERNATIONALISER L internationalisation : une question de croissance Les firmes créatives interrogées sont unanimes : le marché québécois est trop petit. Le Québec est limité à la fois en terme de consommateurs et de talents. Les répondants ont tous affirmé que pour avancer et croître, il leur fallait se tourner vers l étranger. Sid Lee, Aedifica et Harricana ont toutes trois commencé à exporter leurs biens et services pour aller puiser dans de nouveaux bassins de clients nécessaires pour la croissance de leurs activités. Nous notons que ces trois firmes créatives sont à la recherche d un type bien particulier de clients qui ont une sensibilité à la créativité et qui sont prêts à débourser pour la valeur qu elle leur apporte. Cette combinaison des deux caractéristiques est difficile à trouver dans un seul marché, surtout lorsqu il est petit comme le Québec. Aedifica souligne que les gros joueurs, dans leurs cas les grands opérateurs, ceux qui ont des grands budgets et qui voient la créativité comme un investissement, se trouvent à l extérieur des frontières québécoises. Les consommatrices d Harricana, dont les produits de fourrure recyclés s inscrivent dans la niche du luxe écologique, se trouvent davantage en abondance dans les stations de ski et boutiques huppées du Japon et de l Europe, par exemple, que celles du Québec. Non seulement ces firmes créatives doivent s ouvrir à l international pour générer de la croissance, mais elles veulent aussi accéder à ces plus gros bassins de clients potentiels pour la stimulation que ces consommateurs créatifs leur procurent. Aedifica et Harricana disent s éclater du point de vue de la créativité avec ce type de clients retrouvés dans les marchés internationaux. Certaines firmes créatives de notre échantillon ont aussi décidé de s internationaliser pour accéder à de nouveaux bassins de talents. N oublions pas que comme l a souligné Brecknock (2004), ce sont les créateurs, en amont de la chaîne de valeur, qui ajoutent de la valeur aux biens et services créatifs. Aller acquérir des nouvelles ressources de talent brut a été une grande motivation pour Sid Lee d internationaliser ses activités et ouvrir des ateliers en Europe. Les cas de Juste pour rire et du Cirque du Soleil soutiennent d ailleurs ce besoin des firmes créatives d aller voir ailleurs pour se

94 84 procurer de la matière première sous forme de talents. Ces deux firmes se sont dotées dès leur première année d existence d une équipe de talents à caractère international. Les éditions du Festival Juste pour rire de Montréal ont toujours présenté des artistes venus d Europe ou des États-Unis alors que les artistes du Cirque du Soleil ont toujours été recrutés aux quatre coins du monde même lorsque les spectacles n étaient que présentés au Canada. Le bassin québécois ne leur a jamais été suffisant en terme d humoristes ou acrobates, en soient des talents créatifs très spécifiques. Pour assurer le succès de leurs produits et services créatifs dans le temps, ces trois firmes créatives doivent constamment se renouveler en talents créatifs. Ce qui ressort de ces résultats est que la décision de s internationaliser provient d un besoin stratégique très rationnel, celui d assurer la croissance de l entreprise, par les consommateurs et/ou les talents. L internationalisation apparaît comme une nécessité plus qu un choix Un avant-goût de l international La décision de s internationaliser chez les firmes créatives de notre échantillon relève également d une opportunité externe d œuvrer à l international. Nous remarquons en effet que les firmes ont goûté une première fois à l expérience internationale avant d intégrer de façon stratégique le développement international dans leur modèle d affaires. Cette expérience, que nous pourrions désigner comme préinternationalisation, a toujours été présentée par une tierce personne. Ce constat confirme la pertinence de la perspective des réseaux comme explication à la décision de s internationaliser. Sid Lee a été introduit aux marchés internationaux par son client, le Cirque du Soleil, avec qui l agence a fait le tour du monde. Aedifica a aussi suivi un client québécois, le détaillant le Château, dans son expansion vers les États-Unis. Dans les deux cas, ces firmes sont entrées dans les marchés étrangers avec un client national qui les a à leur tour présenté ou recommandé à d autres firmes et c est ainsi que les deux firmes ont pu décrocher de nouveaux clients à l étranger. Pour Harricana, ce n est pas un client qui lui a donné la chance de faire une première incursion hors du Québec, mais bien un organisme public. C est à l invitation de la SODEC qu elle présente ses produits au marché français lors du village Québec-Saint-Malo. Puis finalement, le succès de Juste pour rire en France où la multinationale d humour y exporte son premier festival vient entre autres de la relation entre le fondateur et le chanteur français Charles Trenet pour qui Rozon fut le responsable de sa tournée mondiale. Que ce soit donc un client, un organisme public ou un chanteur-poète, ces

95 85 tierces personnes font partie d un premier réseau de relations qui ont présenté les firmes créatives à leurs propres réseaux (de clients ou de consommateurs) dans les marchés étrangers. Outre les connaissances des marchés internationaux et les contacts que leur a permis cette pré-internationalisation, nous constatons que cette première aventure internationale a agi aussi comme un vrai déclic quant au potentiel de leur créativité à l international. Nous pensons que d avoir connu un premier succès en dehors du marché national a éclairci tous les doutes qui auraient pu occuper l esprit des dirigeants des firmes créatives interrogées. La pré-internationalisation est ainsi venue confirmer la force de leurs produits (Harricana réalise la demande pour ses produits écoluxes en Europe), de leur approche créative (Aedifica constate que son approche en design commercial se distingue aux États-Unis), de leur force créative (Sid Lee voit la place de la créativité québécoise à l échelle internationale), de leur nouveau marché (la proposition de cirque réinventé du Cirque du Soleil plaît aux foules) ou de leurs talents (les humoristes québécois sous l aile de Juste pour rire connaissent la popularité en France). Toutes ces firmes ont connu le succès au Québec. Elles savent donc que leur capacité créative, c est-à-dire leur capacité de comportements et d actions créatifs (Napier et Nilsson, 2006), est un avantage compétitif. Mais avant d être introduites dans les marchés étrangers, elles ne réalisaient peut-être pas encore la force de cet avantage hors de leur marché national. Tortellier (2005) précise que l entrepreneur est quelqu un qui, par nature, s adapte au contexte et donc s adapte aux changements qui se produisent dans son environnement. Il explique que même si à l origine l entrepreneur n envisageait que le marché local, la perception qu il a de ses affaires peut évoluer au fil des expériences et faire prendre à ses activités le chemin de l international. Ces premières expériences à l international vécues par les firmes créatives sont de toute sorte de nature et ne visaient pas nécessairement une intention de s internationaliser comme le laisserait penser le modèle d internationalisation de Vernon L ambition internationale des entrepreneurs Nous savons par la littérature sur l internationalisation de l entreprise que le processus d expansion est un processus risqué où les firmes cherchent à minimiser les risques possibles. Nous savons également par les propriétés des industries créatives

96 86 répertoriées par Caves (2000) que les firmes créatives se caractérisent par une haute teneur en incertitude. Avec ces risques combinés, nous pouvons supposer que l expansion internationale pourrait rebuter plus d un entrepreneur. Au fil de nos entretiens, nous nous sommes aperçus que nos répondants correspondaient au profil d entrepreneur créatif décrit par Howkins (2001) et possédaient des caractéristiques susceptibles d influencer la volonté de s internationaliser relevées par Zahra, Matherne et Carleton (1993). Les cinq firmes de notre échantillon sont dirigées par des entrepreneurs qui ont une vision claire pour leur entreprise, qui sont portés par un rêve et qui dégagent une grande confiance en leurs capacités. De plus, ils ont pour la plupart étudié, travaillé ou voyagé à l étranger ce qui les dote d une aisance à concevoir l international dans le développement de leur firme. Les traits des gestionnaires que nous avons observés nous permettent d avancer que la décision de s internationaliser s explique aussi par les ambitions internationales de ceux qui dirigent les firmes créatives. Pour bien comprendre les motivations à aller dans les marchés étrangers, il faut dépasser le niveau rationnel du monde des affaires et aller creuser dans les aspirations personnelles, une idée soutenue par Noël (1989) qui parle d une obsession magnifique qui guide la formation de la stratégie des PDG. Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil, a toujours rêvé de voyages et d accomplir le tour du monde. À 17 ans, Mariouche Gagné, présidente-designer d Harricana souhaitait être à la tête d une entreprise internationale. Bertrand Cesvet, président du conseil de Sid Lee, parle de la génération X, bien tournée vers le monde, dans laquelle lui et ses associés font partie, mais aussi des origines immigrantes de ses parents qui l amènent à vouloir faire bouger les choses. Gilbert Rozon, fondateur de Juste pour rire, a voulu dès le premier jour que son festival soit international, démontrant une grande ouverture vers le monde. Bref, ces entrepreneurs nous apparaissent dans une certaine mesure prédisposés à l aventure internationale. Nous supposons que d autres types d entrepreneurs n auraient peut-être pas, suite à une première expérience internationale, pris les rênes du processus d internationalisation comme ces entrepreneurs créatifs l ont fait, et ce, malgré des ressources limitées. Ils auraient peutêtre attendu plus longtemps ou y seraient peut-être allés plus doucement. Nos répondants ont plutôt vu dans l internationalisation le véhicule idéal pour atteindre leurs ambitions.

97 87 Proposition #1 : Les firmes créatives décident de s internationaliser par besoin de croissance, mais c est via une première expérience internationale que le véritable processus s enclenche. 5.3 CHOIX DES MARCHÉS Des choix de marchés opportunistes L analyse de nos données montre que le choix du premier marché d expansion des firmes créatives est influencé dans la majorité des cas par la pré-internationalisation dont nous venons tout juste de discuter. En effet, les firmes créatives vont connaître le succès et s ancrer à l endroit où elles ont justement fait leur premier pas à l international. Aedifica est entrée aux États-Unis par l entremise du détaillant de mode Le Château et depuis son portfolio continue de se garnir de clients américains. Elle a même fait l acquisition d une firme d ingénieurs à Saint-Louis dans l État du Missouri. Harricana a goûté au succès à Saint-Malo et s est ensuite mis à exporter sa collection de produits de fourrure recyclée dans les Alpes. La France demeure son marché le plus fort. Le Cirque du Soleil a émerveillé la foule de Los Angeles pour la première fois en 1987 et malgré une expansion qui l a mené sur les cinq continents, le plus grand nombre de spectacles permanents reste toujours aux États-Unis. Juste pour rire a fait sa première percée internationale en France et c est là qu a eu lieu le premier Festival Juste pour rire à l étranger. Nous pouvons faire le lien entre l opportunité de s internationaliser qui a été présentée par une relation dans leur réseau et qui a mené au déclenchement du processus d internationalisation et le choix du premier marché d expansion. Le côté opportuniste que revêt le choix du premier marché d expansion se retrouve également dans la sélection des marchés subséquents. Par exemple, l ouverture du deuxième bureau à l étranger de Sid Lee, à Paris, s est décidée suite à la sollicitation d un publicitaire français de renom. L opportunité est venue cogner à la porte de l agence et ils l ont fait entrer. Nous observons que plusieurs de nos répondants ont un plan concret de développement international, mais que les destinations demeurent au gré des opportunités qui se présenteront. Harricana sait qu elle ouvrira sa première boutique à l étranger en 2010, mais entre la France et la Suisse, le marché choisi sera celui qui débloquera le premier. Juste pour rire se dirige vers la construction d un circuit

98 88 de festivals. Les villes qui en feront partie ne sont pas encore confirmées, le fondateur admettant qu il met des cannes à pêche un peu partout et attend de voir ce qu il va remonter. Pour comprendre le choix des marchés des firmes créatives, il faut aussi prendre compte dans l analyse des variables comme le contexte, la chance et les contacts Trouver le bon bassin Si les opportunités expliquent les marchés dans lesquels les firmes créatives s aventureront, il serait faux de croire que les firmes créatives n y vont pas de stratégies rationnelles. Comme l une des principales raisons derrière la décision de s internationaliser est la question de la croissance, il n est pas étonnant de constater qu elles vont choisir des marchés qui leur permettront de combler ce besoin. Les firmes créatives vont se diriger vers des marchés où ils auront accès à un bon bassin de clients et/ou de talents, selon leur préoccupation de départ. Sid Lee, qui recherchait par l internationalisation à acquérir des nouveaux talents, a installé ses ateliers à Amsterdam et Paris, deux villes «cool» qui regorgent de jeunes créatifs de qualité. Aedifica qui souhaitait travailler pour des clients prêts à investir dans la créativité s est tourné vers États-Unis, un marché tout indiqué puisqu il s y trouve des opérateurs avec des ambitions de conquête mondiale. Harricana, quant à elle, a choisi d exporter ses produits vers les marchés qui se démarquent par leur bassin de clientes se nichant dans son créneau écoluxe, soit entre autres les stations de ski huppées de l Europe et du Japon. Finalement, quand le Cirque du Soleil planifie la tournée de ses spectacles, il vise les villes dans lesquelles il y a une proportion rentable de consommateurs types un consommateur au revenu au dessus de la moyenne, avec une bonne éducation et une propension à dépenser pour des produits de divertissement «live». Nous constatons donc que le choix des premiers marchés d expansion est lié à la dimension précédente, celle de la décision de s internationaliser Un marché à la fois En comparant le parcours d internationalisation des cinq firmes créatives de notre échantillon, nous voyons se dessiner une tendance de fond dans la sélection des marchés. Les firmes avancent de façon progressive d un marché à un autre. Nous notons qu elles suivent le cheminement proposé par Johanson et Vahlne (1977) par lequel les firmes vont entrer dans des nouveaux marchés avec une distance psychique

99 89 successivement plus grande. La distance psychique regroupe «les facteurs qui empêchent ou perturbent le flux d information entre la firme et le marché, soit la différence de langue, de culture, de système politique, de niveau d éducation ou de niveau de développement industriel» (traduction libre; Johanson et Vahlne, 1977). Juste pour rire a débuté son expansion dans un marché ayant la même langue que celle de son marché national. Harricana a connu ses premiers succès d exportations dans les marchés européens où elle possédait des bonnes connaissances quant aux préférences culturelles des clientes en terme de mode, ayant étudié et vécu en Europe. Dans les raisons derrière le choix de l atelier d Amsterdam, Sid Lee souligne les similitudes culturelles trouvées entre la Hollande et le Québec. Nous croyons que l applicabilité du modèle d internationalisation d Uppsala aux firmes créatives provient du besoin de connaissances qui est à la fois l hypothèse de base du modèle et également une des préoccupations clés des industries créatives. En effet, le manque de connaissances des marchés internationaux se révèle selon Johanson et Vahlne (1977) comme un obstacle important au développement international que seule l expérience à l étranger peut amoindrir. Il est important de se rappeler que comme le soulignaient Brecknock (2004), Caves (2000) et Hartley (2005), le consommateur joue un rôle important dans le succès d un produit ou d un service créatif puisque c est lui, qui suite à sa consommation, qui appose une valeur subjective à la créativité. Hartley (2005) suggère de bien comprendre cette dynamique particulière de consommateur où le consommateur s exprime lorsqu il achète un produit ou un service créatif. Cette dynamique est d autant plus complexe lorsque nous constatons que nos répondants associent leurs produits ou leurs services à des attributs plus intangibles et personnels qu un objet utilitaire. Le Cirque du Soleil met en scène du rêve, Aedifica œuvre dans le domaine de l émotion, Harricana propose une expérience écoluxe et Juste pour rire offre un produit qui nourrit l âme. Nous pouvons penser, dans ce contexte particulier aux industries créatives, que les firmes créatives privilégieront initialement des marchés où il sera plus facile pour eux de comprendre les actions des consommateurs, c est-àdire dans des marchés avec une distance psychique moindre. Elles acquièrent au fur et à mesure de leur présence à l international des connaissances sur les consommateurs et ces expériences leur permettront de croître dans des marchés plus difficiles, à plus grande distance psychique.

100 90 Proposition #2 : Le choix du premier marché d expansion des firmes créatives est guidé par le besoin de croissance et la première expérience internationale. 5.4 MODE D ENTRÉE Maximiser les connaissances et minimiser les risques Nous observons que le mode d entrée initialement privilégié par les firmes créatives s arrime avec le besoin de connaissances discutées dans le choix des marchés. Tout comme le choix du marché se fera en fonction des connaissances du consommateur nécessaires au succès du produit ou du service créatif, le mode d entrée choisi servira aussi à bien saisir la dynamique de consommation présente dans le marché visé par l internationalisation. En effet, les firmes créatives de notre échantillon semblent s implanter de façon à maximiser leurs connaissances autant sur les habitudes que les aspirations de leurs clients. Pour ce faire, elles vont privilégier lors de leur entrée sur les marchés internationaux des modes d entrée comme l exportation, dans le cas de Sid Lee, d Aedifica et d Harricana ou par une entrée via une version taille réduite de leur produit comme c est le cas pour les firmes de divertissement. Ces modes d entrée auront l avantage de leur permettre d écouter les particularités des consommateurs du marché sans requérir une implantation substantielle. Il est intéressant de noter que les firmes créatives vont donc chercher non seulement à maximiser les connaissances, mais aussi à minimiser les risques. Comme nous l avons déjà mentionné, les firmes créatives doivent gérer un double risque : celui inhérent à l internationalisation des activités et celui inhérent à la propriété d incertitude des industries créatives (Caves, 2000). Puisque l expansion internationale requiert une mobilisation importante en terme de ressources financières et humaines, les firmes créatives vont privilégier la prudence dans l entrée dans un nouveau marché. Il faut voir aussi que, comme le note Hartley (2005), les industries créatives sont plutôt composées de micro-entreprises ou des petites et moyennes entreprises plutôt que des entreprises à grande échelle comme il se trouve dans les industries traditionnelles. En effet, mis à part le Cirque du Soleil et ses employés, notre échantillon comprend en majorité des petites et moyennes entreprises pour qui il peut être parfois difficile d investir de grandes ressources dans le développement international. Elles doivent alors être stratégiques dans leur façon d entrer dans le marché afin de réussir à percer,

101 91 mais sans tout risquer. Même Juste pour rire, qui roule sa bosse depuis 25 ans, fait usage de prudence dans le calcul des risques liés au marché et au mode d entrée Le rôle des partenaires locaux Plusieurs des firmes créatives de notre échantillon ont expliqué faire affaires avec des partenaires locaux dans l entrée dans un nouveau marché. Nous remarquons que dans certains cas, ces partenaires servent à maximiser les connaissances sur les consommateurs alors que dans d autres cas, ces partenaires servent à minimiser les risques de l implantation. Prenons d abord les connaissances à maximiser. À l exception du festival de Toronto, Juste pour rire bâtit toujours un festival en collaboration avec un partenaire, soit public ou privé. Comme la firme adapte chacun des festivals qu elle exporte aux spécificités du marché, elle doit s assurer de connaître le marché du bout des doigts. D ailleurs, cela peut prendre jusqu à cinq ans à développer tel produit sur mesure. Juste pour rire travaille donc avec des partenaires locaux qui savent ce qui fait rire le marché. Dans le cas du Cirque du Soleil, la multinationale du cirque doit mettre temps et énergie, non pas à adapter le produit comme tel puisque le spectacle parcourt la planète sous la même forme, mais bien à présenter le produit d une façon emballante. Ce que le Cirque du Soleil adapte est donc le reste des éléments de sa stratégie marketing soit la distribution et la promotion. Les partenaires locaux de services avec qui ils font affaires initialement vont les aider à entrer dans la peau des consommateurs et à présenter le Cirque du Soleil de la bonne façon. Prenons maintenant les risques à minimiser. Harricana établira ses boutiques à l étranger avec l aide d un partenaire local. Celui-ci servira à conserver l expérience de marque qu elle tente de bâtir avec ce mode d entrée, mais aussi à partager les risques liés à l implantation. Le partenaire choisi permettra de combler la mise de fonds nécessaire à l ouverture d une boutique, élevée surtout dans les grandes capitales, des fonds que la PME de 20 employés ne pourrait disposer toute seule. Lorsque le Cirque du Soleil entre dans des marchés où la firme possède moins d expérience et où les risques sont donc plus grands, elle développe des partenariats de type financiers. Ces investisseurs externes vont venir mitiger les risques financiers qu implique la venue d un spectacle coûteux en terme de déplacement d infrastructures. Dans le cas de la

102 92 troupe de Guy Laliberté, nous voyons que l usage d un certain type de partenaires découle directement du choix du marché à entrer Un investissement à la fois Tout comme le choix des marchés suit une progression (de marché à distance psychique successivement plus grande), nous remarquons que les firmes créatives de notre échantillon entrent aussi dans chaque marché de façon progressive. Elles débutent dans le marché par un mode d entrée qui demande un moins grand investissement en terme de ressources financières ou humaines (privilégiant l exportation par l exemple) puis au fil de l expérience passent à un mode d entrée qui requiert un plus grand investissement comme l acquisition ou l établissement d une filiale. Dans la majorité de nos cas, la première étape dans l entrée en marchés étrangers a été l exportation de leurs produits ou de leurs services créatifs. Sid Lee et Aedifica ont débuté par exporter leurs services dans les marchés étrangers sans y avoir d adresses fixes, réalisant les mandats à partir de Montréal et livrant les plans d architecture ou les publicités finales bien souvent par Internet. Avant d orienter son expansion internationale vers l établissement de boutiques, Harricana a commencé à exporter ses produits dans plus de 300 différents points de vente. Dans son cas aussi, les activités de production et de design demeurant dans ses ateliers de création de Montréal. Une fois que Sid Lee, Aedifica et Harricana y ont construit une base de clients solides et y ont établi une notoriété, elles sont passées à une autre étape d investissement à l étranger. D ailleurs, la possibilité qu ont les firmes créatives d entrer dans des marchés étrangers sans s implanter physiquement démontre bien le rôle qu ont joué les transformations technologiques dans l essor des industries créatives et leur participation au commerce mondial (Turok, 2003). Les nouvelles technologies de communications et d informations permettent à ces firmes de communiquer aisément avec leurs clients étrangers et transmettre leurs livrables à moindres coûts. Nos résultats concordent avec l approche par étapes proposée par le modèle d internationalisation d Uppsala où l engagement de la firme dans un pays selon une chaîne d établissement. Par contre, nous ne retrouvons pas les quatre étapes identifiées par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), mais bien la logique de décisions incrémentales qui guide le déploiement de la firme à l étranger. C est l expérience à l étranger, qui se traduira par l acquisition de connaissances clés sur la dynamique des

103 93 consommateurs locaux et la construction d une notoriété, qui explique qu une firme passe à des modes d entrée successivement plus grands. Proposition # 3 : Le mode d entrée privilégié par les firmes créatives dépend des connaissances à maximiser et des risques à minimiser dans les marchés visés. 5.5 INTERNATIONALISATION SUBSÉQUENTE Toujours en mode progression Les firmes créatives de notre échantillon mettent toutes le cap vers le développement international à différents niveaux d intensité. Nous remarquons qu elles ont toutes goûté au succès dans les marchés étrangers, ont toutes acquis des apprentissages, ont peaufiné leur modèle d affaires et leurs processus de gestion et sont maintenant prêtes à plus. L internationalisation fait aujourd hui partie d un plan d avenir bien défini qui permettra de générer encore plus de croissance. La dynamique de progression que nous avons pu observer au niveau des dimensions du choix des marchés et du mode d entrée se retrouve dans les plans d internationalisation subséquente des firmes créatives. Dans certains cas, les firmes comptent diriger leur expansion internationale vers des pays à plus grande distance psychique. Après avoir conquis l Amérique du Nord, l Europe et l Asie pacifique, le Cirque du Soleil met temps et énergie vers des pays encore jamais explorés comme la Russie et les Émirats arabes. Aedifica compte trouver un partenaire dans l Ouest canadien qui permettra à la boîte de s engager dans le marché chinois. Dans d autres cas, les firmes poursuivent leurs entrées dans les marchés internationaux par l entremise de plus grands investissements. Le développement international d Harricana s aligne aujourd hui sur l établissement de boutiques en propre plutôt qu uniquement l exportation dans les points de vente. Malgré le fait que les firmes créatives analysées ont gagné en succès et en expérience en dehors de leur marché national, leurs plans futurs d internationalisation reflètent toujours le souci de maximiser les connaissances et minimiser les risques. Non seulement l internationalisation découle de la logique de progression des deux dimensions précédentes, le choix des marchés et le mode d entrée, mais l internationalisation subséquente est dans tous les cas motivée par les mêmes raisons que l internationalisation initiale (taille du marché, recherche de clients, de consommateurs et de talents).

104 Point d ancrage des activités créatives Peu importe le degré, l étendue ou l ampleur de l expansion internationale, nous remarquons qu au cœur des plans d internationalisation des firmes créatives, le marché national agit toujours comme point d ancrage de leurs activités créatives. Nous pouvons déterminer deux raisons qui expliquent le rôle central que joue le marché national dans la structure internationale des firmes créatives de notre échantillon. Premièrement, il y a la question de la structure de coûts. Sid Lee envisage à long terme de posséder des ateliers un peu partout dans le monde, mais toujours avec un atelier international très fort à Montréal. De cette façon, l agence pourra réaliser les mandats à partir de Montréal, selon eux le plus bas centre de coût au monde dans leur domaine d activités, tout en étant rémunérer en devises étrangères fortes. Aedifica compte s internationaliser vers l Ouest canadien tout en maintenant la réalisation des mandats par l équipe de concepteurs basée à Montréal. La firme d architecture opère ainsi non pas pour bénéficier des avantages de coûts que procure la métropole, mais plutôt pour réduire les coûts qu impliquerait la division de son équipe de créatifs en plusieurs lieux. Deuxièmement, il y a la question du contrôle sur l avantage compétitif. Nous comprenons par l analyse des cinq cas d internationalisation de firmes créatives que l avantage compétitif qui leur permet d abord le succès dans le marché national puis dans les marchés internationaux réside dans leur capacité créative, c est-à-dire dans leur capacité à produire des biens et des services créatifs. La capacité créative peut être associée à l avantage spécifique de la firme, le «O» de Dunning. Sans que nos cinq cas nous l aient exprimé ainsi, nous pouvons penser qu elles ont choisi d ancrer leurs activités créatives, génératrices de valeur, dans le marché national parce qu elles peuvent ainsi en garder le plein contrôle. Nous pouvons également penser qu il pourrait être risqué et demandé des ressources substantielles que de déplacer du marché national aux marchés internationaux les processus et les routines, générateurs de cette capacité créative. Proposition # 4 : Au fil de l internationalisation, les firmes créatives vont montrer une progression dans le choix des marchés (de plus faible à plus grande distance psychique) et le mode d entrée (de plus petit à plus grand investissement).

105 AVANTAGES DE L INTERNATIONALISATION Avantages financiers et non financiers Les firmes créatives de notre échantillon ont affirmé retirer des avantages à la fois d ordre financier et non financier. Débutons par les avantages qui relèvent de la sphère économique et financière. Juste pour rire affirme que l expansion internationale a amené une pérennité et une force à son entreprise en plus d une vigueur financière associée à l entrée de devises étrangères. Tout comme la firme de Rozon, Aedifica mentionne aussi l avantage d avoir une diversification des entrées d argent diminuant la dépendance à un seul marché. L internationalisation de Sid Lee a un impact direct sur la performance financière de l agence. En vendant ses services en Europe, en devise européenne, et en réalisant les mandats au bas coût de Montréal, la firme affirme afficher une marge de profits de quasi le double de ses compétiteurs locaux. Ces profits additionnels renforcent non seulement leur force dans le marché local, mais leur permettent d investir dans les talents et dans le développement des affaires. Mais somme toute, nous apercevons que ce ne sont pas tant les avantages financiers qui sont mis de l avant par les firmes créatives que ceux en dehors des livres comptables. À l exception d Harricana, pour qui le contenu créatif est le fruit de la présidentedesigner elle-même, toutes les firmes créatives de notre échantillon ont lié l internationalisation à la capacité d attirer et de garder les talents créatifs dans leur organisation. Le rayonnement de Sid Lee à l international fait que l agence reçoit un nombre inouï de curriculum vitae de jeunes de partout dans le monde souhaitant mettre leur talent au profit des projets créatifs du collectif. Quoique déjà depuis longtemps la référence en terme d humour et donc bien en vue des humoristes, Juste pour rire avoue que la multiplication des festivals des deux côtés de l Atlantique permet à la firme de faire de meilleures offres aux artistes en leur offrant la possibilité d une tournée de plusieurs spectacles avec un meilleur salaire en prime. Force mondiale dans les arts du cirque, la présence du Cirque du Soleil sur les cinq continents en fait une firme incontournable pour les athlètes, gymnastes et clowns qui rêvent de se joindre à la troupe de Guy Laliberté. Le Cirque du Soleil et Sid Lee notent que de plus en plus de jeunes sont avides de découvrir le monde et de voyager, et par leurs activités internationales, ces firmes attirent ces ressources talentueuses. L internationalisation devient source d attraction, mais aussi de motivation pour les créateurs. Aedifica

106 96 constate que ses employés se sentent bien et stimulés du fait que la boîte gère des projets internationaux. Les artisans de Sid Lee sont aussi très motivés par les opportunités de se déplacer en Europe pour travailler pour de grandes marques européennes. Pour les firmes de services comme Sid Lee et Aedifica, l internationalisation a aussi pour avantage de renforcer leur capacité à décrocher de nouveaux clients. Il faut toujours avoir en tête que lorsqu elles se présentent devant un client, elles ne peuvent leur faire tester une campagne de publicité ou un design elles vendent de la créativité à consistance intangible. C est pourquoi le portfolio est un outil si important pour ce type de firmes. L expansion internationale leur permet de renforcer, bonifier et solidifier leur portfolio de clients et de projets et d accrocher le regard de nouveaux clients. Comme le raconte Sid Lee, la première question qui leur est posée est bien souvent «tu travailles pour qui?» et en étant internationale, leur liste devient beaucoup plus longue et prestigieuse. Les deux firmes ont relié la clé de leur succès à l international au pouvoir de la séduction, Sid Lee n hésitant pas à clamer que «la créativité, c est une business de mojo». Il faut avoir le portfolio, mais aussi avoir les atours pour le vendre auprès du client. L internationalisation permet alors d apporter à Sid Lee un côté séduisant à sa vente et à Aedifica la motivation à constamment travailler la façon dont elle communique son talent. On utilise souvent en affaires internationales le terme échiquier international pour décrire le terrain de jeu sur lequel les firmes se retrouvent. Cette image de jeu d échec ressort à plusieurs reprises dans les entretiens avec les gestionnaires des firmes créatives qui constatent que l internationalisation renforce leur position par rapport à leurs adversaires. Elle agit comme un moteur de performance. Harricana, Sid Lee et Aedifica mentionnent qu en allant à l international et en affrontant de plus gros joueurs, elles ont dû apporter des améliorations à leurs processus, à leurs systèmes et à leurs façons de faire en général pour être capable de se tailler une place parmi les grands. Il leur a fallu être un peu plus «tout». Au bout du compte, se battre dans les marchés où il y a soudainement beaucoup plus d adversaires qu au Québec n a eu que du bon. Elle leur a apporté d être en mesure de compétitionner autant au niveau local qu international.

107 Tous les avantages mènent à la créativité À l unanimité, les firmes créatives de notre échantillon affirment que l internationalisation renforce leur capacité créative. Pour Sid Lee, la présence dans les marchés étrangers remplit les deux conditions essentielles à la créativité, soit la cinétique et la diversité. La multiplicité des cultures, donc la multiplicité des points de vue jumelée au mouvement constant des employés insuffle une créativité sans pareil à leurs projets. Pour Aedifica, les clients pour lesquels elle travaille en sol américain lui donnent les moyens en honoraires et en liberté de faire éclater leur créativité. Pour Juste pour rire, ce sont les interactions avec les différentes cultures dans lesquelles les festivals à l étranger s imbriquent qui font naître les nouvelles idées et font rejaillir la créativité. Pour Harricana, les consommatrices étrangères pour qui elle crée en demandent plus et en demandent créatif. La designer doit continuellement pousser sa créativité pour ses consommatrices tendance. Pour le Cirque du Soleil, la notoriété acquise partout sur la planète met la firme dans la position où elle doit sans cesse se renouveler, arriver à de nouveaux concepts, bref faire grandir et évoluer sa créativité. Finalement, nous sommes en mesure d avancer que pour de multiples raisons (le contact avec les cultures, la pression des compétiteurs ou les demandes des clients), l expansion internationale a un impact sur ce qui se trouve au cœur des firmes créatives : leur capacité créative. L internationalisation et la capacité créative se renforcent mutuellement. La capacité créative des firmes créatives est ce qui leur permet de percer à l étranger et l internationalisation vient à son tour renforcer cette capacité créative. Nous pouvons comparer l internationalisation des firmes créatives à une roue qui tourne. Plus les firmes créatives se retrouvent sur la scène internationale, plus elles y renforcent leur capacité créative, plus elles deviennent performantes, plus elles ont le goût de poursuivre leur internationalisation et plus elles ont la capacité pour le faire. Proposition # 5 : L internationalisation renforce la capacité créative des firmes créatives et fait tourner la roue de l internationalisation.

108 SOMMAIRE DE L ANALYSE Ce chapitre d analyse nous permet maintenant d apporter des réponses précises à notre question de recherche, soit «quelle est la nature du processus d internationalisation des firmes créatives?». Rappelons les cinq propositions théoriques que nous avons obtenues à partir de l appariement de modèles et de l analyse inter-cas. Proposition #1 : Les firmes créatives décident de s internationaliser par besoin de croissance, mais c est via une première expérience internationale que le véritable processus s enclenche. Proposition #2 : Le choix du premier marché d expansion des firmes créatives est guidé par le besoin de croissance et la première expérience internationale. Proposition # 3 : Le mode d entrée privilégié par les firmes créatives dépend des connaissances à maximiser et des risques à minimiser dans les marchés visés. Proposition # 4 : Au fil de l internationalisation, les firmes créatives vont montrer une progression dans le choix des marchés (de plus faible à plus grande distance psychique) et le mode d entrée (de plus petit à plus grand investissement). Proposition # 5 : L internationalisation renforce la capacité créative des firmes créatives et fait tourner la roue de l internationalisation Notre première sous-question de notre mémoire consistait à analyser les facteurs qui motivent l enclenchement de l internationalisation des firmes créatives (décision de s internationaliser). Nous savons maintenant que les entrepreneurs à la tête des firmes créatives prennent d abord la décision de s internationaliser par besoin de croissance et via une première expérience à l international, quelle qu en soit sa nature. En effet, l avant-goût de l international est acquis de différentes façons (par un contrat avec un client ou par une participation à un événement à l étranger), mais sans nécessairement avec l intention d internationaliser les activités de la firme. Nos quatre autres sousquestions visaient à analyser le déploiement du processus d internationalisation (choix

109 99 des marchés, mode d entrée, internationalisation subséquente, avantages de l internationalisation). Une fois le processus d internationalisation enclenché, nous voyons au travers des cinq dimensions identifiées dans notre cadre conceptuel, que celui-ci se déploie de façon séquentielle et progressive. Le choix des marchés internationaux est lié directement à la décision de s internationaliser. Les marchés choisis répondront au besoin de croissance (par les talents et/ou les clients) identifié par la firme créative et correspondront au marché de la première expérience à l international vécue. Le mode d entrée privilégié par les firmes créatives reflètera quant à lui les marchés dans lesquels la firme décidera de s implanter, c est-à-dire que le mode d entrée retenu dépendra entre autres des connaissances et des risques des marchés. Au fil de leur internationalisation, nous avons observé une progression dans le choix des marchés (de distance psychique plus faible à plus élevée) et dans le mode d entrée (de petit investissement à plus grand investissement). Ce processus progressif se retrouvera dans les plans futurs d internationalisation que projettent les firmes créatives. Finalement, une fois le processus d internationalisation mis en mouvement, les firmes renforcent leur capacité créative et font tourner la roue de l internationalisation. Il nous apparaît ici d ajouter quelques précisions sur le processus d internationalisation dans le contexte spécifique des industries créatives. En regardant les cinq propositions théoriques à travers les caractéristiques des industries créatives relevées dans la revue de la littérature, nous pouvons apercevoir quelques éléments qui semblent influencer les dimensions du processus d internationalisation. Les entrepreneurs qui prennent la décision de s internationaliser partagent les traits des entrepreneurs créatifs décrits par Howkins (2001). Le choix des marchés indique des bassins de talents créatifs et de consommateurs sensibles à la créativité. Les marchés choisis et la manière avec laqelle entrent les firmes créatives dans ce marché suivent une progression attribuable à la dynamique de consommation et l incertitude de la demande retrouvée dans les industries créatives. Malgré l influence que semble avoir le facteur «créativité» commun aux firmes de notre échantillon, nous ne sommes toutefois pas certains que ces «patterns» soient totalement exclusifs aux firmes créatives. La notion d entrepreneurs à forte vision, pris d un sentiment d urgence et d une fierté hors du commun n est-elle pas propre à tout entrepreneur? Les firmes ne s internationalisent-elles toutes pas vers des marchés où leurs produits et services trouveront acheteurs? Le besoin de

110 100 maximiser les connaissances et minimiser les risques n est-il pas à la base du modèle d internationalisation d Uppsala démontré empiriquement dans des industries traditionnelles? Ce que nous croyons comme véritablement révélateur du contexte spécifique des industries créatives est plutôt la capacité créative qui se retrouve comme cause et conséquence du processus d internationalisation. En effet, la capacité créative est la compétence de base des firmes créatives qui leur permet de bâtir un avantage compétitif sur leur marché national et d exporter par la suite avec succès leurs produits ou services créatifs. Puis, la présence dans les marchés internationaux permet à son tour de renforcer cette capacité créative par l acquisition de nouveaux talents et par le besoin de répondre à des clientèles de plus en plus exigeantes. À la lumière des réponses à notre question de recherche, nous pouvons désormais réviser notre cadre conceptuel initial pour y inclure à la fois l aspect séquentiel qui lie les cinq dimensions du processus et la capacité créative qui fait prendre le processus d internationalisation des firmes créatives la forme d un cycle. La figure 5 montre comment nous pouvons passer du cadre conceptuel initial au final. Figure 5 : Révision du cadre conceptuel Processus d internationalisation (cadre initial)

111 Processus d internationalisation des firmes créatives (cadre final) 101

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