Reprise du travail après un cancer

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1 Reprise du travail après un cancer L. Belin (Biostatisticienne, Institut Curie) M. Sevellec (Psychosociologue, Institut Curie) Projet soutenu par l INCa et l ARC

2 Objectifs de l étude Mieux évaluer les difficultés rencontrées par les salariés atteints d un cancer lors de la reprise du travail et au cours de leur réinsertion dans l entreprise. Proposer des mesures permettant d anticiper les difficultés à la reprise du travail. Evaluer le devenir à long terme de ces salariés au sein de l entreprise.

3 L étude Recrutement des salariés via les médecins du travail de la SMTOIF Recensement des cas de cancers connus des médecins du travail participants à l étude 1) Recueil d information par questionnaire: Questionnaire salarié auto-administré Questionnaire médecins du travail 2) Entretiens semi directifs

4 Design [ ] Médecins du travail 402 salariés recensés 319 salariés ont repris 40 Médecins du travail 153 salariés retrouvés Questionnaire médecin : salariés encore dans l entreprise Questionnaire salarié : 286 ( 90%) 68 (82%) Entretien semi-directif salariés : entretiens médecins du travail

5 Analyse quantitative

6 Description de notre échantillon : premier temps de l étude 50 % de cadres, 42 % d employés et 8 % d ouvriers. Près de 80 % d entreprises privées, du secteur tertiaire et de plus de 200 salariés. 60 % de femmes vs 40 % d hommes Age moyen au diagnostic : 49 ans

7 Taux de reprise et de maintien selon la localisation Localisation Répartition 2008 Taux de reprise 2008 Sein 145 (36%) 92% Prostate 41 (10%) 78% Colon rectum 30 (7%) 73% Hématologique 30 (7%) 83% Poumon 26 (6%) 38% Thyroïde 18 (4%) 94% Utérus 17 (4%) 70% Testicule 15 (4%) 100% Rein 13 (3%) 69% Cavité buccale 11 (3%) 73% Total 402 (100%) 319 / 79%

8 Résultats: Etat des lieux de la reprise au travail Une visite de pré-reprise a été réalisée dans 24% des cas (22% à l initiative du salarié, 2% à celle du médecin traitant). Dans 8 % des cas seulement, le médecin du travail a été en contact avec les équipes soignantes. 84% des salariés occupent le même poste plus ou moins aménagé qu avant leur maladie ; quand il y a eu changement il a été dû à l état de santé une fois sur deux.

9 Aménagements du poste de travail : ceux qui ont travaillé pendant leurs traitements 27 % des salariés ont travaillé pendant la phase de traitement. Pour 69 % d entre eux, des aménagements ou changements ont été proposés. Aménagements Changements Une réduction du temps de travail: 48%. Aménagement des horaires: 35%. Aménagement de la charge de travail: 39%. Changement d activité: 9%. Changements d équipe: 5%.

10 Aménagements du poste de travail : ceux qui ont travaillé après leurs traitements Pour 57 % d entre eux, des aménagements ou changements ont été proposés. Aménagements. Changements Une réduction du temps de travail: 50%. Aménagement des horaires: 16%. Aménagement de la charge de travail: 32%. Changement d activité: 10%. Changements d équipe: 7%. D après le médecin du travail, ces aménagements ont conduits à un report de la charge de travail sur les collègues pour 35% des salariés ayant repris après leur traitements.

11 Une population qui apparait fragilisée : 61 % se sentent plus fatigables. 41 % ont des troubles du sommeil. 33% ont des troubles de la mémoire et de la concentration 14 % ont des douleurs chroniques. 38 % prennent des psychotropes. 29 % ont un score d anxiété (HADS) 11 (vs 10% dans une population de salariés du secteur tertiaire). 6 % ont un score de dépression (HADS) 11 (vs 3 % dans une population de salariés du secteur tertiaire). 40 % ont besoin d une pause dans leur journée 1/3 a eu des arrêts de travail de courte durée depuis leur reprise. 20 % déclarent avoir été pénalisés à cause de leur maladie. Un salarié sur deux a eu une surveillance médicale rapprochée.

12 Facteurs prédictifs des difficultés au travail: Durée de l absence supérieure à 1an. Un traitement par chimiothérapie. Employés versus cadres. Ne le sont pas : Age Nature de l entreprise : (publique/ privé, taille )

13 Spécificités du cancer du sein : comparaison de 3 groupes Cancers du sein (n=122) Autres cancers féminins (n=60) Cancers masculins (n=104) Chimiothérapie 53% 33% 42% 0,03 Absence > 6 mois 62% 43% 32% 0,0002 Prise de psychotropes 46% 40% 28% 0,02 p Soutien psychologique 35% 22% 20% 0,02 Gêne dans les mouvements 34% 10% 12% <0,0001 Troubles mémoire / Concentration 44% 28% 23% 0,02 Comparaisons hommes-femmes Âge: femmes plus jeunes CSP: plus d employés chez les femmes Moins de responsabilités d encadrement chez les femmes

14 La deuxième phase : 6 ans après

15 Combien de salariés sont encore en activité 6 ans après? Sur les 153 salariés : - 70 salariés sont partis de l entreprise (46%) - 38 salariés sont partis à la retraite (25%) - 12 salariés ont démissionné (8%) - 12 salariés sont décédés (8%) - 5 salariés ont été licenciés (3%) - 2 salariés sont en inaptitude médicale (1%) - 1 salarié est parti sans cause connue (1%) - 83 salariés sont en activité (dont 4 en arrêt de travail) (54%) 68 questionnaires salariés reçus (taux de participation : 82%)

16 Représentativité de notre échantillon (deuxième temps) Age au diagnostic Localisation cancéreuse Salariés retrouvés (N=153) Salariés «perdus» (N=166) p-value Moyenne (écart type) 48,7 (7,8) 48,2 (7,7) 0,4999 NS Cancer du sein Cancer de la femme (autre que sein) 41% 26% 43% 17% 0,1123 NS Cancer de l homme 33% 40% Sexe Femme Homme 57% 43% 60% 40% 0,1940 NS

17 Taux de reprise et de maintien selon la localisation Localisation Répartition 2008 Taux de reprise 2008 Répartition 2014 Taux de maintien dans l entreprise (2014) Sein 145 (36%) 92% 62 (41%) 61% Prostate 41 (10%) 78% 17 (11%) 35% Colon rectum 30 (7%) 73% 12 (8%) 58% Hématologique 30 (7%) 83% 7 (4%) 57% Poumon 26 (6%) 38% 3 (2%) 33% Thyroïde 18 (4%) 94% 9 (6%) 89% Utérus 17 (4%) 70% 8 (5%) 75% Testicule 15 (4%) 100% 9 (6%) 67% Rein 13 (3%) 69% 3 (2%) 67% Cavité buccale 11 (3%) 73% 4 (3%) 50% Total 402 (100%) 319 / 79% 153 (100%) 83 / 60%

18 Pour les 68 salariés en activité : Comparaison de leur situation entre 2008 et 2014 En 2008 En 2014 p-value Plus fatigable 62% 57% NS Trouble du sommeil 34% 56% 0,0665 Trouble de la mémoire et de la 33% 34% NS concentration Pénalisation 14% 22% NS Rétrogradation ou refus d une promotion ou moins de responsabilité 13% 16% NS Consommation de psychotropes 44% 43% NS Score d anxiété >11 26% 31% NS Score de dépression >11 1% 1% NS 71% des salariés : leurs difficultés persistent en 2014

19 Pour les 68 salariés en activité : les relations dans leur environnement de travail 76% ont des relations satisfaisantes avec leurs collègues 65% ont des relations satisfaisantes avec leur supérieur 53% ont le sentiment que leur supérieur a confiance en eux 59% sont bien acceptés par les autres

20 Un sentiment de pénalisation chez les employés 40% des salariés non cadres ont un sentiment de pénalisation contre 3 % des salariés cadres. Cette association n était pas significative lors du temps de l étude premier

21 Pour les 68 salariés en activité: Impact de leur maladie sur leur travail actuel 52% déclarent que l épreuve du cancer les a amenés à remettre en question leur vie professionnelle 71% déclarent être attentifs au bon aménagement de leur poste de travail 65% pensent que leurs conditions de travail leur permettent de protéger leur santé 59% ont eu un/des arrêts de travail 2/3 de ces arrêts pour autres causes que cancer

22 Pour les 68 salariés en activité: Etat des lieux de leur situation dans l emploi Rôle social du travail : satisfaction 88% des salariés déclarent faire un travail qui est utile aux autres 85% des salariés déclarent que leur travail leur permet d apprendre des choses Certaines réserves quand même 47% des salariés déclarent que toutes leurs compétences ne sont pas utilisées dans leur travail 25% des salariés déclarent se sentir dépassés par les exigences de leur travail

23 Analyse qualitative : Les problèmes rencontrés au moment de la reprise et les difficultés de la réinsertion

24 Une altération de la perception de soi La survenue d un cancer entraine une profonde déstabilisation «Moi, l annonce du cancer, ça a été une catastrophe. Tout s écroule en fait» La perception de son identité peut être bouleversée. «On se voit forcément différent, c est quand même quelque chose qui vous marque dans votre vie» «Je pense que sincèrement la maladie m a je ne suis plus la même.»

25 L enjeu du retour au travail Le moment du retour au travail est un double enjeu social et psychique. «De reprendre le travail, ça remet tout de suite dans un contexte normal» «J avais envie de retrouver l environnement professionnel, de revenir les pieds sur terre» La reprise du travail est l expression d un désir de vivre et de compter socialement Elle est un retour «au monde des vivants». Elle permet d espérer «fermer la parenthèse».

26 L épreuve de réalité «Vous avez envie d oublier, donc de vous remettre dans le boulot.mais on se rend pas compte tout de suite qu on est encore fatigué, que le corps a encore besoin de repos» «J étais épuisée toute la journée. J avais l impression d être une grosse brique» «J avais un gros problème de concentration, les premiers jours, je ne comprenais plus de quoi on me parlait»

27 La perception d un décalage «J étais en décalage, j étais ailleurs. J avais envie d être là mais je n étais pas encore là» «J aurais jamais imaginé, on est complètement en décalage, complètement dans un autre monde en réalité»

28 La confrontation aux autres Une place à refaire «Le problème a été le regard des autres. Quand on ne vous a pas vu depuis un an, c est comme si vous étiez partis» La stigmatisation «On évitait de me parler, de me regarder. Ou alors, si on me regardait, c était par derrière, on regardait mes faits et gestes» Le sentiment de solitude «Vous avez beau en parler aux gens, je pense que tant qu on ne l a pas vécu on ne sait pas ce que c est»

29 ET AUSSI. Refaire ses preuves «Je me suis dit, il faut que je leur prouve que je suis encore à la hauteur, que c est fini, que maintenant, je suis apte comme avant» Retrouver des repères «Il a fallu que je reprenne ma place, et ça a été difficile. Il faut reprendre pied petit à petit, reprendre ses marques. Et c est un peu long»

30 Les solutions possibles pour améliorer la situation la reprise Pouvoir proposer un accompagnement «Quand vous traversez tout ça, des fois vous ne raisonnez peut être plus de façon très posée» Etre informé pour permettre d anticiper «Après quelques mois on s aperçoit que j aurais dû faire comme ça, mais c est aussi par un manque d informations, ou je n ai pas posé les bonnes questions au bon moment» Entendre le besoin d un temps de convalescence «Je pense que j ai repris trop tôt. J aurai eu besoin, avant de revenir dans le monde du travail de faire ma petite pause à moi.» «La maladie vous arrête et vous permet de vous poser les bonnes questions, de relativiser, de prendre soin de vous et de prendre du temps pour vous»

31 Résultats des entretiens six ans plus tard: - des récits très variés - tous racontent un épisode compliqué d un parcours professionnel interrompu par la maladie La vie au travail après le cancer nous est apparue une épreuve encore présente 6 ans après

32 Recommandations pour réussir une réinsertion après un cancer Un triple appui peut favoriser la réussite de la réintégration dans l entreprise en associant: Solidarité/bienveillance (milieu de travail, collègues ) Soutien, moyens donnés par l entreprise (hiérarchie, médecin du travail, RH ) Accompagnement, lieu d écoute à distance (psychothérapie, groupes d entraide )

33 La difficulté particulière de l accompagnement Un accompagnement est essentiel pour faire diminuer la souffrance psychologique liée au cancer et souvent au retour au travail parce qu elle persiste bien au-delà de la reprise Pour pouvoir penser l épreuve et les transformations qu elle impose, il est indispensable de ne pas être seul Mais 87 % ne souhaitent pas un accompagnement psychologique 6 % ont eu un accompagnement psychologique et 7% n ont pas eu d accompagnement psychologique mais l aurait souhaité.

34 Résultats des entretiens de 9 médecins du travail : Pistes proposer pour améliorer le suivi des salariés qui ont eu un cancer: - l obligation pour les employeurs d informer les médecins du travail en cas d arrêts de travail longs ou répétés - la nécessité de mobiliser une attention particulière et dans la durée pour les salariés ayant eu un cancer : cette attention doit s exercer sur le long terme et bien au-delà du temps de la reprise afin d éviter les «décrochages» différés. - la réévaluation des coopérations entre médecins (du travail, traitants, conseils ) - la nécessité de donner de la visibilité sociale à la question des maladies chroniques au travail.

35 Le livret Disponible gratuitement auprès de la fondation ARC hures/le-retour-au-travail-apres-un-c ancer.html

36 Comité de pilotage de l étude: Service Biostatistique: B. Asselain, L. Belin, N. Le Peltier, E. Morvan, Médecins du travail : M.F. Bourrillon, S. Le Bideau, F.Cotasson, H. Stakowski, Maison des Patients : M. Sevellec, E. Rerolle, Centre de Recherche sur le Travail et le Développement CNAM : D. Lhuilier, Représentants patients : M. Pelras, M. Courdouzi