Chimie organique : Substitutions nucléophiles et éliminations
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- Carole Mercier
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1 Chimie organique : Substitutions nucléophiles et éliminations Nicolas Dubouis : nicolas.dubouis@ens.fr Ep S N 2 E R E P Coordonnées réactionnelles Figure 1 Profil énergétique d une réaction de substitution nucléophile bi-moléculaire (S N 2) 1
2 Sommaire 1 Généralités L atome de carbone, central en chimie organique Substitutions nucléophiles, éliminations : quels composés? Propriétés physico-chimiques des composés halogénés cléophilie, électrophilie, nucléofugacité, basicité : définitions et propriétés sousjacentes Classes de substrats Mécanismes réactionnels, mésomérie Diagramme d énergie et postulat de ammond Substitutions nucléophiles sur les dérivés halogénés Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite Substitution nucléophile bi-moléculaire (S N 2) Substitution nucléohpile mono-moléculaire(s N 1) S N 2 vs. S N Complément : transpositions β-éliminations sur les dérivés halogénés Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite Élimination bi-moléculaire (β-e2) Élimination mono-moléculaire (β-e1), réaction parasite de la β-e Facteurs favorisant la réaction parasite β-e Complément : Déshydratation des alcools en alcènes Substitution nucléophile vs. éliminations 17 2
3 1 Généralités 1.1 L atome de carbone, central en chimie organique Une molécule organique est une molécule possédant au moins un atome de carbone et un atome d hydrogène. Elle peut comporter d autres atomes, appelés hétéroatomes. On rencontrera fréquemment des molécules comportant des atomes d oxygène (O), d azote (N), des halogènes (notés, avec = F, Cl, Br, I, etc.), du soufre (S) ou encore du phosphore (P). L atome de carbone (Z = 6, M = 12) possède 4 électrons de valence et ne sera jamais engagé dans plus de 4 liaisons (simples). 1.2 Substitutions nucléophiles, éliminations : quels composés? Dans ce cours, nous traiterons principalement de la réactivité des composés halogénés (souvent notés R ; avec R radical organique et = F, Cl, Br, I) qui en présence de composés nucléophiles (aptes à "donner" des électrons) peuvent réagir par substitution nucléophile, ou en présence de composés basiques (au sens de Brønsted) peuvent donner lieu à des réactions d éliminations. Nous étudierons aussi - plus sommairement - la réactivité d autres composés tels que les alcools (R O) en présence de ces composés nucléophiles ou basiques. 1.3 Propriétés physico-chimiques des composés halogénés Propriétés physiques Les propriétés physiques (température d ébullition, moment dipolaire, polarisabilité, etc.) des composés halogénés dépend particulièrement de deux facteurs. Tout d abord l atome d halogène impliqué. Plus il est haut dans la colonne des halogènes, plus son électronégativité sera élevée. Nous avons ainsi χ(f) > χ(cl) > χ(br) > χ(i) (le fluor étant l élément le plus électronégatif de la table périodique). Aussi l ordre de la longueur de la liaison C ainsi que la force de cette dernière (enthalpie de dissociation de la liaison) sont liés à cette grandeur. Plus l halogène est petit, plus la liaison sera courte (135 pm pour le fluor) et forte (d(c F) 485kJ mol 1 ) et plus il sera gros, plus la liaison sera longue (214 pm pour l iode) et facile à rompre (d(c F) 215kJ mol 1 ). Le carbone ayant une électronégativité plus faible que tous les halogènes, la liaison C est polarisée. Notons bien que le moment dipolaire de la liaison C 3 est fonction de la différence d électronégativité entre et C mais aussi de la longueur de liaison (le moment dipolaire d une liaison correspond au produit de la charge portée sur les atomes, qui est donc relative à la différence d électronégativité et de la longueur de liaison). Ainsi, l évolution du moment dipolaire n est pas monotone en fonction de la période. Il ne faut pas confondre la polarité d une liaison et celle d une molécule. Ainsi, bien que comportant quatre liaisons C Cl polarisées, la molécule symétrique CCl 4 ne possède pas de moment 3
4 dipolaire. En effet, le moment dipolaire est un grandeur vectorielle. Le moment dipolaire d une molécule sera donc la somme des moments dipolaires de liaisons, comme illustré Figure 2. µ 2 O µ tot µ 1 µ 4 Cl µ 3 µ 2 C Cl Cl µ 1 Cl µ tot = 0 Figure 2 Illustration de la notion de moment dipolaire sur la molécule d eau et de tétra-chlorométhane Plus généralement, ces composés halogénés sont généralement plus denses que l eau, et possèdent un bon pouvoir solvant. Propriétés chimiques Du fait de la différence d électronégativité, la liaison carbone-halogène est polarisée comme le montre la Figure 3. La charge partielle positive (notée δ + ) portée par le carbone traduit un "manque" d électrons au niveau de cet atome, ce qui lui confère des propriétés électrophiles. Il réagira donc de manière préférentielle avec des espèces électrophiles. Nous reviendrons plus en détail sur ces notions dans le sous-partie suivante. Un des points important est la δ + C Br δ Figure 3 Molécule de fluorométhane différence entre polarité d une liaison (i.e. la différence d électronégativité entre les atomes impliqués dans la liaison) et la polarisabilité d une liaison. La polarisabilité désigne la capacité d un nuage électronique à se déformer sous l action d un champ électromagnétique extérieur. La polarisabilité atomique augmente avec le volume des atomes. Le moins l atome d halogène engagés dans une liaison C- est électronégatif, le moins il retiendra les électrons de la liaison, et le plus cette dernière aura de facilité à se déformer. La polarisabilité des liaisons C- augmente de manière inverse à sa polarité. Ainsi, une liaison C I sera plus facilement déformable qu une liaison C F et donc plus réactive. 1.4 cléophilie, électrophilie, nucléofugacité, basicité : définitions et propriétés sous-jacentes cléophilie : Une espèce est dite nucléophile si elle porte un doublet d électrons non liant (ou faiblement lié). Une espèce nucléophile peut être porteur d une charge formelle négative, ou bien être neutre. Voici quelques exemples d espèces nucléophiles : les halogénures, les amines, les alcools et alcoolates, les thiols (R S) et les thiolates, les phosphines (équivalent phosphoré 4
5 des amines), l atome de carbone de l ion cyanure (CN ). Il existe d autres espèces nucléophiles (organométalliques, etc.) qui seront étudiées ultérieurement. Électrophilie : Un atome d une molécule est dit électrophile si il "aime les électrons" i.e. qu il est déficient en électron. On identifie un atome électrophile en regardant si : il porte une lacune électronique, est engagé dans une liaison multiple délocalisable (on peut faire apparaître une lacune électronique en écrivant les formes mésomères de la molécule), il est lié à un atome bien plus électronégatif (comme dans le cas de la Figure 3). Dans ce cours, nous étudierons particulièrement les espèces électrophiles suivantes : carbocations (atome de carbone portant une lacune électronique) et les atomes de carbones liés à un groupe plus électronégatif. Plus généralement, les carbones portant un groupe carbonyle (C O) ou les atomes de bore et d aluminium dans les espèces BF 3 etalcl 3 sont des électrophiles fréquemment rencontrés en chimie organique. Réactivité entre électrophile et nucléophile Comme vu sommairement dans la sous-partie précédente, les espèces nucléophiles auront tendance à réagir avec des espèces comportant un atome électrophile. Dans ce chapitre, nous étudierons la réactivité des halogénoalcanes (dont le carbone lié à l atome d halogène est électrophile) avec différentes espèces nucléophiles. Cette réactivité sera étudiée dans le cadre de deux mécanismes limites : les subsitutions nucléophiles bimoléculaires (S N 2) ou mono-moléculaires (S N 1). cléofugacité : La nucléofugacité d un atome (ou d un groupe d atomes) mesure son aptitude à "quitter" un noyau (un centre positif). Nous étudierons tout particulièrement les groupes nucléofuges suivants : les halogénures (et tout particulièrement les iodures et bromures) et plus sommairement les tosylates et le groupe O 2. Il a été montré empiriquement que la nucléofugacité d un groupe se corrèle avec sa basicité. Ainsi, des groupes fortement basiques tels que les alcoolates (R O ) ou le groupe O sont de mauvais groupes partants. Basicité : La basicité, au sens de Brønsted mesure la capacité d une espèce à capter un proton. Elle se mesure avec le pka. Ce dernier étant définit comme log(ka) avec Ka le quotient réactionnel de la réaction B + 2 O=B + 3 O +. Plus le pka est élevé, plus l espèce B- est basique. Il existe des espèces basiques non chargées (par exemple le pka de N 4 + /N 3 est de 9,2 ce qui fait de N3 une espèce basique). cléophilie vs. basicité : Comme vu précédemment, des espèces nucléophiles et basiques possèdent des points communs. Elles sont toutes riches en électrons. Ainsi, une espèce basique aura un comportement nucléophile. Il existe cependant des espèces fortement basiques mais très peu nucléophiles. Ces espèces auront pour propriété d êtres fortement encombrées. En effet, la nucléophilie mesure l aptitude d une espèce à réagir sur un centre électrophile. Une espèce fortement 5
6 encombrée aura peu tendance à réagir sur un centre électrophile. Des exemples de ces espèces sont montrées Figure 4. Li + N O K + diisopropylamidure de lithium (LDA) tert-butylate de potassium (t-buok) Figure 4 Exemples de bases fortes non nucléophiles 1.5 Classes de substrats Un point de nomenclature s impose. On désignera par substrat un groupe intervenant dans une réaction chimique. On distinguera cinq types de substrats : 1. Les substrats primaires, pour lesquels l atome de carbone est lié au plus à un atome de carbone (C 3 C 2 Br) 2. Les substrats secondaires, l atome de carbone est lié à deux atomes de carbone ((C 3 ) 2 C Br) 3. Les substrats tertiaires, l atome de carbone est lié à trois atomes de carbone ((C 3 ) 3 C Br) 4. Les substrats allyliques, l atome de carbone est lié à un carbone portant une fonction alcène (C 2 C C 2 Br) 5. Les substrats benzyliques, l atome de carbone est lié à un groupement benzyl (ou phényl) (Ph C 2 Br) 1.6 Mécanismes réactionnels, mésomérie Dans les partie suivantes, nous étudierons des mécanismes réactionnels. Ces mécanismes réactionnels nous permettent de rationaliser des observations expérimentales sur la manière dont les mécanismes se passent. Ainsi, nous indiquerons par une flèches courbée et dans un sens un mouvement d électrons. Commentons l exemple donné Figure 5 : le mécanisme présenté ici correspond au transfert d un proton d une molécule d eau 2 O sur un hydroxide deutéré DO. Les flèches courbes sur la gauche représentent le mouvement d un doublet d électrons porté par l atome d oxygène vers le proton et la rupture de la liaison O de la molécule d eau. Les flèches au centre montrent 6
7 A/B D O + O O + D O Figure 5 Illustration d un mécanisme réactionnel pour le transfert d un proton que cet acte élémentaire est réversible (la réaction inverse peut avoir lieu, par sécurité il est plus judicieux d indiquer que tous les actes élémentaires son réversibles, on peut en effet montrer qu il existe un principe de micro-réversibilité i.e. que tous les actes élémentaires sont reversibles). On dira qu il s agit d une étape élémentaire. Une étape élémentaire d une réaction ne se fera que très rarement en la présence de plus de deux molécules (la probabilité d un choc à trois corps étant quasi-nulle sans préassemblage préalable). On prendra soin de noter au dessus de la double flèche le type de réaction impliqué. Ici, il s agit d une réaction acido-basique, notée A/B. Il est aussi important de noter que les doublets d électrons, et les charges associées, représentés sur les molécules ne sont que des représentations formelles. En réalité, les électrons ne sont pas localisés sur un atome, ou dans une liaison, mais peuvent être délocalisés. Un outil nous permet de représenter cette délocalisation électronique, il s agit de la mésomérie. Un exemple du formalise de l écriture de formes mésomères est donné en Figure 6. O O Figure 6 Illustration de l écriture de formes mésomères traduisant la délocalisation électronique au sein d une même molécule Les flèches représentant les mouvement des électrons sont les mêmes que celles utilisées lors d un mécanisme. Cependant la flèche utilisée entre les deux formes est une flèche double (et non une double flèche!). Pour éviter toute confusion entre écriture d une étape élémentaire d un mécanisme réactionnel et délocalisation électronique traduite par l écriture de formes mésomères nous placerons les formes mésomères entre crochets (comme en Figure 6 et utiliserons une couleur spécifique (rouge ici) pour l écriture des formes mésomères. 1.7 Diagramme d énergie et postulat de ammond Les mécanismes réactionnels permettent de rationaliser des observations expérimentales sur la manière dont se déroulent des réactions. Néanmoins, il serait faux d affirmer que lors d une réaction chimique, l on puisse passer directement d une espèce chimique à une autre. En effet, chaque acte élémentaire se déroule de manière "continue" : le système traverse différents états d énergie, entre 7
8 deux minimums locaux d énergie. Nous pouvons représenter ce chemin réactionnel en traçant des diagrammes d énergie, comme celui présenté en couverture de ce cours. Le principe est de tracer, en ordonnée, l énergie potentielle du système en fonction d une grandeur nommée "Coordonnées réactionnelles" (portée en abscisse). La notion de coordonnée de réaction est assez abstraite. Elle peut être comprise comme étant une grandeur, souvent géométrique (angle, distance, etc.), modifiée lors de la transformation du système chimique. Il peut s agir par exemple de la distance entre deux atomes bien définis. Les notions clefs à retenir pour interpréter ce type de tracé sont les suivantes : 1. Si la réaction comporte un unique acte élémentaire, on représentera les réactifs, les produits. Le système passera par un maximum local en énergie. Ce dernier sera nommé état de transition, et noté E T 2. Si il y a plusieurs actes élémentaires, comme dans le cas de la S N 1 que nous étudierons plus tard dans ce chapitre, il y aura autant d états de transition que d actes élémentaires. 3. Dans le cas précédent, entre deux états de transition, le système passera par un minimum local en énergie, nommé intermédiaire réactionnel (et noté IR) 4. L état de transition n est pas une espèce chimique, au contraire de l intermédiaire réactionnel, il est impossible de l isoler 5. L énergie nécessaire à apporter au système pour que la réaction ait lieu correspond entre la différence d énergie entre l état de transition et celle du système initial. Elle est appelée énergie d activation, et notée E a Postulat de ammond Lorsque deux états, par exemple un état de transition et un intermédiaire instable, se succèdent dans un processus réactionnel et ont presque la même énergie, alors leur interconversion ne nécessite qu une faible réorganisation des structures moléculaires. Autrement dit, l état de transition d un système sera proche en structure des états qui lui sont proches en énergie (et réciproquement!). Ce postulat nous permet d avoir une représentation de l état de transition, et d étudier les facteurs influençant sa stabilité (et donc son niveau en énergie). 2 Substitutions nucléophiles sur les dérivés halogénés 2.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite Les réactions de substitution nucléophiles consistent en le remplacement d un atome (ou groupement d atomes) par un atome (ou groupement d atomes) nucléophiles. Le groupe remplacé doit posséder une certaine aptitude nucléophuge et est porté par un carbone. L équation bilan de la réaction sera : R + = R + (1) 8
9 avec le groupement nucléfuge et le nucléophile. Les réactions que nous étudierons ici se déroulent sous contrôle cinétique, c est-à-dire que le produit majoritairement obtenu est le produit le plus vite formé (au contraire, une réaction est dite sous contrôle thermodynamique si le produit obtenu correspond au produit le plus stable). Le nucléophile n est pas obligatoirement chargé négativement! Observations expérimentales Pour certains composés (majoritairement primaires aliphatiques), si le nucléophile et le substrat sont introduits dans des proportions similaires, on observe que la vitesse de réaction (définie soit comme la vitesse de disparition d un réactif ou d apparition d un produit) prend la forme : r = k.c R.c Y. On dit que l ordre de la réaction est de deux. Pour d autres composés (majoritairement tertiaire aliphatiques, allyliques et benzyliques), dans des conditions similaires, la vitesse de réaction prend la forme r = k.c R. L ordre de la réaction est donc de 1. Lorsqu on se place dans des conditions opératoires dites de solvolyse, i.e. qu un des réactifs (en général le nucléophile), ces observations ne s appliquent plus. On est dans ces conditions appelées "dégénérescence de l ordre" et l ordre apparent des réactions est de 1 dans les deux cas. Ces observations expérimentales nous conduisent à distinguer deux mécanismes limites. Pour le premier cas, on peut rationaliser ces observations en proposant un mécanisme en une étape élémentaire bi-moléculaire. On parlera dans ce cas S N 2 (substitution nucléophile bi-moléculaire). Pour le second cas, un mécanisme en deux étapes élémentaires, dont la première est mono-moléculaire et dite cinétiquement déterminante (c est elle qui détermine la cinétique de la réaction). On parlera dans ce cas de S N 1 (substitution nucléophile mono-moléculaire). 2.2 Substitution nucléophile bi-moléculaire (S N 2) Comme son nom l indique, cette réaction est bi-moléculaire (d où le 2!) et peut être d ordre deux cinétiquement parlant. La S N 2 a lieu en un acte élémentaire. Le mécanisme schématique est représenté sur le diagramme énergétique donné en Figure 7. Le mécanisme passe par état de transition plan (le nucléophile commence à se lier au carbone électrophile et le nucléofuge - ici un halogène - commence à partir). Aussi, il est important de noter qu il y a une inversion de Walden (ce qui correspond formelement à une inversion de la configuration du carbone portant le nucléofuge lors de la réaction). La réaction est alors dite énantiospécifique : l énantiomère du substrat est transformé en l énantiomère du produit. La réaction est donc stéréosélective (forme majoritairement un stéréoisomère) et stéréospécifique (la stéréochimie du produit formé ne dépend que de celle du réactif). 2.3 Substitution nucléohpile mono-moléculaire(s N 1) Le mécanisme de S N 1, substitution nucléophile mono-moléculaire (d où le 1!) est un mécanisme en deux actes élémentaire. La première étape consiste au départ du nucléofuge pour former un 9
10 Ep S N 2 E R E P Coordonnées réactionnelles Figure 7 Diagramme énergétique et mécanisme d une S N 2 carbocation. Le mécanisme limite est représenté Figure 8. la seconde correspond à l addition du nucléophile sur le carbocation. S N Figure 8 Mécanisme limite d une S N 1 Il est essentiel de retenir que l étape cinétiquement déterminante d une telle réaction est la formation du carbocation. C est elle qui dictera la cinétique de la réaction. Une autre notion importante est la géométrie du carbocation : la géométrie de l atome de carbone portant la lacune électronique (et la charge positive associée) est déterminante pour la stéréosélectivité de la réaction. En effet, si le nucléophile ne présente pas de chiralité, l attaque de ce dernier sur le carbocation se fera de manière équiprobable sur les faces de ce dernier. Nous obtiendrons donc un mélange de deux stéréoisomères (cela est symbolisé par la vaguelette dans la structure du produit final pour la liaison C ). La réaction n est donc pas stéréospécifique (elle peut néanmoins être stéréosélective si une source de chiralité supplémentaire est introduite). Obtenir un mélange de stéréoisomères ne signifie pas obtenir un mélange équimolaire des deux stéréoisomères possibles. En effet, bien que localement plan, le carbocation peut présenter des sources de disymétries (particulièrement liés à des effets de solvants). On obtiendra un mélange en proportions comparable si le nucléophile utilisé est assez peu nucléophile... (il ne peut attaquer 10
11 que l ion libre, et s affranchit alors des causes de disymétrie causées par les effets de solvatation). Stabilité du carbocation : Le carbocation est une espèce relativement peu stable. Cependant, c est un état réel par lequel passe le système. On le qualifiera d intermédiaire réactionnel (qu il est important de différencier des états de transition : un intermédiaire réactionnel est un minimum local d énergie sur un diagramme énergétique, alors qu un état de transition est un maximum local d énergie, comme montré Figure 9. Ep E T1 E T2 E IR E R E P Coordonnées réactionnelles Figure 9 Diagramme énergétique d une S N 1 Il est capital de noter qu un carbocation issu d un substrat primaire ne se formera jamais. Le mécanisme de S N 1 n aura donc jamais lieu sur des substrats primaires. Au contraire, plus il y a de groupements alkyls sur le carbone portant le nucléofuge, plus le carbocation sera stabilisé. Ainsi, un carbocation secondaire sera moins stable qu un carbocation tertiaire (donc plus haut en énergie!). Certains carbocations peuvent être stabilisés par la présence d autres groupes donneurs. d électrons (par délocalisation électronique), comme le montre l écriture des différentes formes mésomères en Figure 10. On n observera jamais de carbocation issu d un substrat primaire, sauf si celui-ci présente une conjugaison particulière (substrat allylique ou benzylique par exemple). Figure 10 Écritures de formes mésomères montrant la stabilisation d un carbocation par délocalisation électronique 11
12 2.4 S N 2 vs. S N 1 Bien que dans la majorité des cas, les deux réactions ont lieu simultanément, il nous est possible de prévoir laquelle sera prépondérante. Pour ce faire, nous allons nous intéresser à l influence des différentes conditions expérimentales sur ces deux mécanismes limites. Gardons biens à l esprit, que comme vu précédemment, la S N 2 est une réaction mono-moléculaire, qui s effectue en un acte élémentaire, tandis que la S N 1 est une réaction en deux actes élémentaires, dont la formation du carbocation est l étape cinétiquement déterminante. Ainsi, pour comparer ces deux réactions, il conviendra de comparer l énergie d activation (différence entre l énergie de l état de transition et celle des réactifs) de la S N 2 et celle de la première étape de la S N 1 ce qui revient à comparer la stabilité des états de transition (les réactifs étant les mêmes). Comme vu dans la première partie, le postulat de ammond nous affirme que la structure de l état de transition d un acte élémentaire sera proche des espèces les plus proches en énergie. Dans le cas de la S N 2, nous avons vu que l état de transition était (Figure 7) quasi-intermédiaire entre le substrat et le produit de la réaction. Dans le cas de la S N 1, l espèce la plus proche de l état de transition est le carbocation. Ainsi, sa structure sera proche de celle de ce dernier. Nous retiendrons que tout facteur stabilisant (ou déstabilisant) le carbocation diminuera (resp. augmentera) l énergie de l état de transition de l étape cinétiquement déterminante Influence des substituants La classe du substrat est le principal facteur déterminant si le mécanisme aura tendance à se rapprocher de celui mono-moléculaire, ou bi-moléculaire. En effet, plus le substrat sera substitué, plus le nucléophile sera gêné dans son attaque (qui se fait de manière colinéaire à la liaison C ) du substrat. On parlera de gêne stérique. Au contraire, plus la classe du substrat est élevée (plus il porte de groupements alkyls), plus le carbocation formé lors de l étape cinétiquement détermiannte de la S N 1 sera stabilisé, ce qui via le corolaire du postulat de ammond se traduira par une stabilisation de l état intermédiaire de cette étape, et donc une augmentation de la cinétique de la réaction. On retiendra que moins le substrat est de classe élevée, plus la probabilité d avoir un mécanisme de type S N 2 sera importante. Inversement, en présence d un substrat tertiaire, le mécanisme de type S N 1 sera le plus probable Influence du nucléophile Dans les conditions usuelles, le nucléophile n a aucune influence sur la S N 1. En effet, il n intervient pas dans l étape cinétiquement déterminante de cette dernière (formation du carbocation) Influence du solvant L influence du solvant est complexe et dépend du mécanisme. Deux propriétés du solvant seront pertinentes à étudier : sa polarité (mesurée par la constante diélectrique relative ɛ et sa capacité à 12
13 donner des liaisons hydrogènes (solvant protique si oui, aprotique si non). Plus un solvant est polaire, plus il interagira avec les espèces polaires (en particulier les espèces chargées!) et les stabilisera. Ainsi, l augmentation de la polarité du solvant stabilise les carbocations et accélère les réactions suivant un mécanisme de type S N 1. Dans le cas des mécanismes de type S N 2 l influence est plus complexe : il faut raisonner sur la nature de l état de transition. En présence d un état de transition issu de l addition d un nucléophile chargé, l état de transition est une espèce volumineuse est chargée et donc peu solvatée par un solvant polaire que les réactifs initiaux. Ainsi, même si les deux états sont stabilisés par l augmentation de la polarité du solvant, l énergie d activation augmente et la réaction est ralentie. Si le nucléophile est neutre, c est le contraire : l état de transition est plus polaire que les réactifs (la liaison (δ+) C (δ ) est fortement polarisée!) et donc stabilisé par l augmentation de la polarité du solvant. La réaction sera donc plus rapide. Les mêmes observations peuvent être reprises dans le cadre d un solvant protique (donneur de liaison ) qui aura tendance à stabiliser les espèces au comportement de bases de Lewis Influence du groupe partant Le groupe partant intervient aussi bien dans la S N 1 que dans la S N 2... Ce ne sera donc pas un critère discriminant. Nous nous conterons de retenir que la nucléofugacité d un groupe décroît quand sa basicité augmente (les alcoolates et groupes O sont de très mauvais groupes partants ; ils doivent être activés, par exemple par protonation, avant une éventuelle réaction). Pour les halogènes, il est important de retenir que les dérivés halogénés réagissent selon l ordre suivant : R-I > R-Br > R-Cl 2.5 Complément : transpositions Nous avons vu que dans le cadre du mécanisme limite S N 1 il y a formation d un anion dont la charge est portée par le carbone (carbocation). Aussi, ces espèces étant relativement peu stables (sauf dans certains cas très particuliers), il est possible qu elle se réarrange de manière intra-moléculaire pour se stabiliser. Nous avons vu que plus le nombre de groupes alkyls est élevé au niveau du carbocation, plus celui-ci est stabilisé (les groupes alkyls sont des donneurs d électrons). Dans certains cas, il peut donc y avoir une migration intra-moléculaire d un groupe alkyl pour stabiliser le carbocation précédemment formé. On parlera alors de transposition. Un exemple est donné Figure 11. Ainsi, le produit formé n est pas celui que l on aurait pu prédire si on passait par un mécanisme classique de type S N 2 ou S N 1. Notons aussi que la migration d autres groupes que des groupes alkyls est envisageable, en particulier, celle d un atome d hydrogène. 13
14 Br - Br Figure 11 Exemple d une transposition 3 β-éliminations sur les dérivés halogénés 3.1 Généralités, bilan de la réaction, mécanismes limite Après avoir passé en revue les réactions de substitutions nucléophiles, nous allons nous intéresser aux réactions d éliminations. Un point de nomenclature s impose : on nommera carbone α le carbone fonctionnel et le/les atomes adjacents seront qualifiés de carbones β. On observe qu un substrat portant un groupe nucléofuge, comme un atome d halogène, sur le carbone α et possédant un atome d hydrogène sur le carbone β, placé en présence d une base forte, peut perdre le groupe partant ainsi que le proton en β et former un alcène. Ces réactions sont appelées réactions de β-éliminations. L équation de réaction est la suivante : R a R b C β R c R d C α + B = R a R b C β C α R c R d + B + (2) où représente le groupe partant et B la base. Tout comme pour les substitutions nucléophiles, les expériences laissent à penser que deux mécanismes, bi-moléculaires et mono-moléculaires coexistent. Néanmoins, le mécanisme mono-moléculaire n est que peu fréquent, et intervient souvent comme une réaction parasite du mécanisme bi-moléculaire. 3.2 Élimination bi-moléculaire (β-e2) Le mécanisme limite le plus fréquent est celui bimoléculaire. Tout comme dans le cas de la S N 2, il s agit d un acte élémentaire unique. Le mécanisme schématique est proposé Figure 12. Il est capital de noter la position relative de l atome d hydrogène en β et du nucléophuge en α : ces derniers doivent se trouver dans le même plan et êtres opposés l un à l autre. On parle d un élimination anti-périplanaire. D un point de vue cinétique (quand les réactifs sont introduits dans des proportions comparables, ce qui est rarement le cas...) cette réaction est du deuxième ordre : r = k.c R.c B. 14
15 B Rc Rc βe 2 Rd + B + Rd Figure 12 Mécanisme limite de type β E2 Stéréosélectivité de la réaction La réaction n est pas diastéréospécifique, mais diastéréosélective. On observe expérimentalement que l alcène majoritairement formé est l alcène E. énergie potentielle B Rc C 3 E Rc Rd E reac Rc E prod + B + Rd coordonnées réactionelles Figure 13 Diagramme énergétique et mécanisme d une β E Règle de Zaïtsev Comme le montre la Figure 14, dans certain cas d éliminations bi-moléculaire, la question de la régiosélectivité de la réaction se pose. Cette question se pose lorsque qu il existe deux carbones en β portant un atome d hydrogène. en β élimination + majoritaire Cl Figure 14 Régio-sélectivité des réactions d éliminations 15
16 On notera aussi, que si l on peut former un système conjugué, ce dernier sera favorisé devant l autre produit comme le montre la Figure 15. De manière générale, il est important de retenir que la conjugaison (délocalisation électronique) a tendance à stabiliser les systèmes chimiques. Cl élimination + majoritaire Figure 15 Régio-sélectivité des réactions d éliminations en présence de systèmes conjugés Il existe certains cas, en particulier quand la réaction se fait en milieu basique et que le groupe partant est un ammonium quaternaire, que la régiosélectivité observée soit inverse de celle attendue (on obtient l alcène le moins substitué). Cette régiosélectivité sera nommée de type ofmann et ne sera pas étudiée davantage dans ce cours. 3.3 Élimination mono-moléculaire (β-e1), réaction parasite de la β-e2 Un second mécanisme peut être proposé. Il s agit d un mécanisme limite mono-moléculaire. Cependant, contrairement aux cas des substitutions nucléophiles, ce mécanisme ne joue pas un rôle à part entière, et doit être considéré comme un mécanisme parasite du mécanisme bi-moléculaire. Rc Rd βe B βe 1 Rc + B Rd Figure 16 Mécanisme limite de type β E1 Tout comme la S N 1, la première étape est l étape difficile (cinétiquement déterminante), et correspond au départ du nucléophuge pour former un carbocation. S en suit de l attaque de la base qui vient capter le proton en β ce qui conduit à la formation de l alcène. Le mécanisme schématique est représenté Figure Facteurs favorisant la réaction parasite β-e1 L élimination mono-moléculaire aura tendance à avoir lieu quand nous sommes en présence d une base relativement faible (et peu nucléophile!), et d un bon groupe partant. Néanmoins, il est bon 16
17 de garder à l esprit qu elle ne peut être utilisée en synthèse et doit être vue comme une réaction parasite de la β E Complément : Déshydratation des alcools en alcènes Un des applications de ce mécanisme d élimination mono-moléculaire est la déshydratation des alcools tertiaires pour former des alcènes. Pour ce faire, on place l alcool en présence d un acide fort concentré (acide sulfurique, APTS, etc.) en chauffant. On observe la formation d un alcène comme le montre le mécanisme schématique en Figure O O- A/B O - Figure 17 Mécanisme schématique de la déshydratation d un alcool tertiaire en alcène 4 Substitution nucléophile vs. éliminations Comme vu en introduction, il est fréquent que les nucléophiles aient des propriétés basiques, et les bases des propriétés nucléophiles. Ainsi, les réactions de substitutions nucléophiles et d éliminations sont fréquemment en concurrence. Cependant, certains facteurs permettent d orienter le système vers un des types de réaction. Ainsi, si on souhaite effectuer une réaction de substitution nucléophile, plutôt qu une élimination, nous choisirons d utiliser un bon nucléophile faiblement basique (les halogènures par exemple). Au contraire, si on souhaite procéder à une élimination, nous utiliserons une base très forte et peu nucléophile (une base forte encombrée comme le LDA ou le TbuOK seront alors employés). Si on utilise une base nucléophile (ou un nucléophile basique...) les deux réactions seront effectivement en compétition. On retiendra que : 1. les substrats primaires réagissent, même lorsqu ils sont opposés à une base forte, préférentiellement suivant un mécanisme de S N 2 2. les substrats tertiaires réagissent essentiellement suivant un mécanisme de type E2 3. il est aussi observé expérimentalement qu une augmentation de la température favorise les réactions d éliminations 4. l augmentation de la polarité du solvant accélère plus le mécanisme de type S N 2 que E2 Cours rédigé à partir des cours de J. Lalande et du livre de B. Fosset, J-B. Baudin et F. Lahitète, Chimie tout-en-un PCSI, Dunod, ISBN :
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