ETUDE DE CAS : ADAPTATION DE L AGRICULTURE ALPINE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
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- René Barbeau
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1 Dossier Adaptation et Atténuation, N 2, Juillet 2010 ETUDE DE CAS : ADAPTATION DE L AGRICULTURE ALPINE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE Synthèse réalisée à partir du projet ClimAdapt par le GIS Alpes-Jura, grâce aux travaux de C. Sérès, B. Felten, L. Pirsoul, disponibles ici : En matière d adaptation au changement climatique, les études de cas concernant le secteur agricole sont encore très rares : il est donc important de mettre en lumière celles qui ont été conduites afin de rompre avec l apparente virtualité de cette notion d adaptation. L agriculture est un secteur très influencé par le climat, et les agriculteurs doivent constamment jouer avec ses variations et ses caprices. S adapter, ils connaissent. Mais dans le cadre du changement climatique et des scénarios d évolutions du climat proposés par les scientifiques, il est primordial de connaître les leviers ou les freins à une adaptation progressive pour anticiper. Du stade actuelle de l analyse, il faudra bientôt passer aux actions à mettre en place afin de faire face aux incidences du changement climatique, qu elles soient négatives ou positives. Le projet ClimAdapt que le GIS Alpes-Jura pilote à l échelle des massifs des Alpes du Nord et du Jura ( ) propose de vérifier la capacité d adaptation (ou flexibilité) de l agriculture de montagne face au changement climatique, en répondant à la problématique suivante : de quelles marges de manœuvre durables dispose l agriculture de montagne pour faire face au changement climatique? Compte tenu : - des incertitudes sur la nature et l ampleur des incidences locales d un réchauffement climatique global, - de la variabilité de la flexibilité des exploitations, en fonction des systèmes de production et des ressources territoriales mobilisables, - de la nécessité de réfléchir aux adaptations de l agriculture avec les autres acteurs non agricoles utilisateurs de ressources territoriales locales (foncier, eau ) et présents dans les espaces ruraux. Le projet ClimAdapt est en pleine phase de réalisation, les résultats présentés ici sont essentiellement des pistes de réflexion et ne doivent pas être pris comme des conclusions définitives. Le premier volet de ClimAdapt a permis de traiter la question de la vulnérabilité des territoires alpins au changement climatique et de préciser les adaptations spontanées qui ont été mises en place par les agriculteurs depuis la sécheresse de Un découpage territorial basé sur les données climatiques (températures et précipitations) et topographique (altitude) a permis de dégager plusieurs zones homogènes. Les résultats de l enquête sur la perception de la vulnérabilité actuelle sont rendus dans le tableau 1 (L. Pirsoul, 2008). 1
2 Tableau 1 : Perception des impacts du climat sur les territoires et de leur exposition. (d après L. Pirsoul, GIS Alpes-Jura 2008). Ces évolutions pourraient avoir des conséquences sur les systèmes de production et les systèmes d exploitation à travers : la santé et la productivité animale, la qualité et les rendements des prairies (pâtures et fourrages), la qualité et la quantité de matière produite (lait, fromages, vin ), l organisation du travail, l excédent brut d exploitation, le terroir et la filière. Les impacts du changement climatique sur l agriculture savoyarde sont aussi plus globalement décrits dans le Livre blanc (changement de phénologie des espèces, stress hydrique, parasites, etc.). Un travail d adaptation est donc nécessaire. Mais quelles stratégies opérationnelles l agriculture alpine peut-elle accepter et supporter? Le second volet de ClimAdapt (2009) a pris en charge l analyse des stratégies d adaptation des systèmes de production alpins (bovin lait, ovin viande, arboriculture, viticulture) face aux changements climatiques à venir (deux scénarios climatiques ont été proposés aux agriculteurs). L étude montre que la perception du risque est plutôt faible dans les zones les plus fraiches et humides (Haut-Jura et Chablais), moyenne en Tarentaise et dans le Haut-Vercors, et forte dans les secteurs déjà exposés à des années de sécheresse à répétition (Haute-Maurienne, Contrefort du Vercors, Royans et Trièves). Si la perception du changement climatique dépend donc directement de l exposition des territoires aux risques et aléas climatiques, on observe également que l opérationnalité des mesures d adaptations indiquées par les agriculteurs est liée à cette vulnérabilité et à cette perception du risque. Pour les systèmes en bovin lait, les résultats de l étude 2009 montrent que pour tous ces systèmes de production, l alpage constitue un levier particulièrement important pour la recherche du maintien de l autonomie fourragère face aux incidences du changement climatique (baisse des rendements sur les prairies du bas par exemple). Pour autant, les exploitations n ont pas toutes les mêmes possibilités d adaptation, de par le type de fonctionnement qu elles se sont données (moyens de production) et les ressources territoriales disponibles pour l agriculture. Par exemple, les exploitations du Haut-Chablais, plus limitées dans leur recherche de SAU supplémentaire qu en Haute-Maurienne de par la pression foncière locale, envisagent aussi d augmenter le chargement hectare en alpage et de renforcer le mode de gestion de l herbe en raisonnant la fertilisation et en pratiquant le sur-semis, le cas échéant. 2
3 Finalement, différents leviers sont proposés face aux possibles conséquences du changement climatique. Citons comme exemple : L agrandissement de la SAU pour faire face aux baisses de rendement : acquisition de nouvelles terres, gestion des terres en groupement pastoral. L optimisation de la gestion des prairies : apports de compost, aération mécanique des sols, développement de l irrigation L adaptation de la conduite du troupeau : ajustement de la taille du troupeau à la disponibilité fourragère, décalage des vélages, mises en pensions des génisses L optimisation des coûts de production (travail et matériel) en faisant appel au collectif : groupements d employeurs, groupements pastoraux, matériel en CUMA. La diversification des activités : modification des circuits de vente, la recherche d activités salariées extérieures. Pour chacun des leviers, différentes mesures techniques plus précises sont aussi mises en avant. Elles recouvrent un éventail assez large d adaptations possibles qui, suivant les zones et les pratiques déjà en cours seront de l ordre de l ajustement ou de la rupture. Fig. 1 : Cartes des principaux leviers d adaptation aux scénarii climatiques S1 et S2, par cas-type. Source: B. Felten, GIS Alpes-Jura 2009 Dans le cadre du scénario climatique S1, scénario correspondant peu ou prou à la situation actuelle, la réactivité des agriculteurs est primordiale ; mais dans le cadre d un réchauffement important et de multiplication des périodes de sécheresse, il est indispensable de développer les stratégies d adaptation. 3
4 Exemple de la description d un cas type : les éleveurs de Tarentaise et Maurienne dans la production de lait de Beaufort (B. Felten, 2009). Les agriculteurs perçoivent déjà des évolutions dans le climat : plus grande fréquence du foehn, hivers moins rigoureux, fonte des névés, étés plus instables, montée en altitude de la végétation, ces facteurs influençant les dates de montée en alpage. En Maurienne, les éleveurs ont ressenti quatre années sèches de 2003 à 2006 avec une forte baisse de rendement. Outre l achat de foin, les éleveurs ont opéré plusieurs adaptations structurelles : l augmentation du stock de fourrage, l accroissement de la part de luzerne, et un décalage des pratiques en alpage (fauche et pâture plus haut en altitude). Dans le cadre des scénarios climatique «Scénario de climat aléatoire», les éleveurs des trois cas-types sollicitent les principaux leviers suivants : - L accroissement de la surface par acquisition de nouvelles terres, utilisation de terres non agricoles comme les alpages communaux et par accroissement de la part de prairies temporaires avec légumineuses. - L augmentation de la disponibilité en eau par retenues individuelles ou collectives, l exploitation des sources d alpages et l amélioration de l irrigation et de l abreuvement. - Des achats conjoncturels de fourrages. Pour le scénario «Scénario de sécheresses estivales répétées», la stratégie reste globalement identique à celle du 1er scénario avec cependant des éléments à renforcer : Tarentaise1 : essayer de stocker l eau tant qu il y en a. Tarentaise2 et Maurienne : l irrigation nécessite une disponibilité en eau suffisante, c'est-à-dire la présence de réservoirs. Des accords avec EDF peuvent être envisagés d après les éleveurs. Cela nécessite aussi un regroupement du parcellaire pour pouvoir mener des projets à l échelle communale. Le repli vers l alpage qui semble être aussi une solution pertinente (monter plus haut pour la pâture et la fauche). En Haute-Maurienne, on envisage aussi l implantation d espèces plus résistances à la sécheresse (mélanges suisses et légumineuses) et dans certains cas, une baisse du chargement hectare en alpage. Analyse : La capacité d adaptation est supérieure pour les grosses exploitations qui possèdent une flexibilité globale plus élevée permise tant par leur quantité de main d œuvre, leur réserve de surfaces et leur capacité d investissements. Les éleveurs mettant leurs animaux en groupement pastoral s appuient prioritairement sur les leviers misant sur le collectif (CUMA, main d œuvre) pour optimiser leur activité de fauche en bas. Ceux qui possèdent leur propre alpage visent son optimisation et le considère comme un élément de sécurité, d autant plus dans le second scénario. La réserve d eau et l irrigation sont des leviers sollicités dans le 1er scénario comme solution d appoint et entièrement mobilisés dans le second avec une gestion collective nécessaire. Des ajustements au niveau du cahier des charges sont nécessaires dans cette zone de production assez contraignante. Des projets collectifs sont en cours de réflexion, ils sont à développer mais pour leur bonne application une entente entre les agriculteurs est indispensable. Un regroupement du parcellaire (surtout en Maurienne) et la mise en place d actions collectives sont nécessaires pour pouvoir mener à bien les projets d irrigation au niveau des communautés de communes et du Conseil Général. 4
5 Conclusion : La perception du changement climatique par les éleveurs est une composante essentielle pour comprendre quelles stratégies d adaptation les éleveurs sont prêts à engager sur leur exploitation (C. Sérès, 2009). L étude montre que lorsque la perception du changement climatique est bonne, les agriculteurs se projettent mieux dans une stratégie d adaptation. Cette perception, souvent corrélée à l exposition du territoire aux aléas climatiques sur lequel se trouve l exploitation, dépend aussi de la sensibilité de l agriculteur pour cette question.. D autres facteurs interviennent dans la compréhension de l adaptation au changement climatique comme : le projet qu a l exploitant pour son exploitation ; la dynamique de fonctionnement de l exploitation (leviers internes) ainsi que les dotations en ressources territoriales, mobilisables localement par l agriculture (leviers externes). Fig. 2 : Représentation schématique des facteurs structurants l adaptation au changement climatique Source : C. Sérès, GIS Alpes-Jura 2009 Le changement des conditions climatiques n est qu un des facteurs influençant les décisions à prendre pour l exploitant agricole, parmi les contraintes économiques et politiques. Le problème du changement climatique est difficile à isoler des autres problématiques : l agriculture doit s adapter à la loi du marché, ceci à court terme, aux politiques agricoles et aux attentes de la société (santé animale, qualité, traçabilité ). La suite du projet ClimAdapt s ajustera à cette complexité : les leviers et les stratégies d adaptations au changement climatique devront être pensés de manière systémique, en recherchant toujours si les conséquences de telle ou telle action seront positives ou négatives à la fois pour le secteur de l agriculture, mais aussi pour les autres secteurs interdépendants tels que le tourisme, la biodiversité, les paysages, l économie locale, etc. C est une démarche nouvelle, complexe mais au combien importante dans la recherche de stratégies d adaptation qui permettent de sauvegarder nos atouts tout en développant les opportunités offertes par le changement climatique. 5
6 Annexe 1 : types de réponses Face au scénario S1 de «climat aléatoire», les exploitations Bovin lait ont deux types de réponse Cas type Stratégie type Les exploitations qui ajustent le système fourrager en vue de maintenir la production Système herbe avec alpage individuel de basse altitude, Haut Chablais Système en polyculture élevage, Trièves Système herbe moyennement intensif, massif du Jura Augmenter la SAU et le chargement en alpage et s appuyer sur le collectif (travail) Assurer l alimentation du troupeau en optimisant les surfaces fourragères Assurer l alimentation en intensifiant le système fourrager Système herbe intensif, massif du Jura Assurer l alimentation en intensifiant le système fourrager et en agrandissant les surfaces Système herbe avec groupement pastoral», Tarentaise Augmenter la SAU et ajuster les coûts de production (cheptel, travail) Les exploitations qui adaptent l ensemble du système de production pour maintenir l activité agricole. Système herbe avec alpage individuel, Tarentaise et Maurienne Système herbe avec enrubannage, Vercors Augmenter la SAU (alpage) et optimiser la qualité des prairies Augmenter l autonomie alimentaire et ajuster la taille du troupeau Système herbe extensif, massif du Jura Améliorer la fertilité des sols et ajuster les coûts de production (cheptel, travail) Annexe 2 : témoignages d agriculteurs «Je ne me sens pas assez vieux pour pouvoir parler de changement climatique mais la saison d alpage est de plus en plus précoce, il y a de moins en moins d eau et la végétation monte plus haut qu avant.» Un éleveur de Tarentaise. «Depuis les années 2000, les vendanges se font de plus en plus tôt et le degré du vin a tendance à augmenter, ce qui devient plutôt avantageux. Les années humides demandent plus de travail à cause de l excès de vigueur et des maladies.» Un viticulteur de Savoie «Moi ce qui m inquiète c est qu on a un climat qui se rapproche du Diois. En 2003, on a dû acheter du foin, alors après on a agrandi la surface.» Une éleveuse de la zone Vercors humide. 6
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