L adoption du e-learning selon la grounded theory, facteur de cohérence des pratiques de formation dans les entreprises
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- Anaïs Champagne
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1 Résumé L objectif de cette communication est de présenter les premiers résultats d une recherche. Le choix de la méthodologie résulte des particularités du contexte. La démarche inductive préconisée par la grounded theory fait apparaître le rôle prépondérant des motifs d adoption du e-learning dans l examen des retours d expérience. Le contexte de la décision d adoption est largement dépendant de l existence d une cohérence entre l environnement technologique, la qualité du système d information et les pratiques de formation utilisées par les. L avantage que peut revêtir la solution e-learning est autant lié à ces paramètres qu aux volontés managériales des dirigeants des. Mots clefs : e-learning, systèmes d information, pratiques de formation, cohérence, Grounded Theory. Abstract The aim of this press release is to present the first results of a piece of research. The choice of methodology results from the specificities of the context. The inductive approach advocated by the grounded theory highlights the preponderant role of adoption of e-learning methods in the examination of experience gained. The context of the adoption decision is largely dependent on the existence of coherence between the technological environment, the quality of the information system and the training practises used by the companies. The advantage that e-learning can bring is as much linked to these factors as to the managerial desires of the heads of companies. L adoption du e-learning selon la grounded theory, facteur de cohérence des pratiques de formation dans les Doctorante Laboratoire du CREPA Politique Générale Organisation GRH E-management Université Paris-Dauphine, Place du Maréchal De Lattre de Tassigny Paris cedex 16 corinne.baujard@univ-evry.fr Key-words: e-learning, information systems, training practices, coherence, grounded theory.
2 Introduction. La formation occupe aujourd hui une place importante dans les changements technologiques de l entreprise. Toute nouvelle application informatique insérée dans un système d information ambitieux nécessite l apprentissage de nouvelles fonctionnalités [Autissier, D., Moutot, J. M., 2003] 1. Les débats sur les effets organisationnels des technologies de l information et de la communication sont omniprésents [Reix, R., 1990] 2. «Tous les secteurs, tous les métiers toutes les fonctions de l entreprise ont été bouleversés par Internet ; la formation ne peut donc faire l économie d une appropriation de ces changements qui portent sur les ressources internes de l organisation dans son rapport au savoir et à l information» [Kalika, M., 2000] 3. La formation s avère également un levier d autres projets de changement managériaux, tels que la gestion des compétences ou le management des savoirs. Dès lors que chaque départ d un salarié d une entreprise peut potentiellement mettre en cause la pérennité de certaines compétences, il n est pas surprenant que la formation joue un rôle central dans la stratégie des. Après le temps des espoirs démesurés, puis celui des promesses non tenues qui faisaient douter de l avenir du e-learning, ce mode d apprentissage arrive à l âge de la maturité. Confrontées à des besoins accrus de formation, les multiplient les expérimentations. Elles ont longtemps imaginé que leurs salariés allaient se former seuls face à leur ordinateur professionnel, n hésitant pas parfois à miser sur le tout technologique à partir de plateformes surdimensionnées. En effet, la croyance dans l universalité des outils e-learning donne souvent une «représentation formalisée de la formation», sans chercher à associer la pratique managériale. Les sont tentées de se conformer aux pratiques des autres organisations et estiment que la connaissance médiatisée par les nouvelles technologies est désormais un véritable avantage concurrentiel. Les entretiens menés dans le cadre de cette recherche permettent de constater que les ont souvent une approche contrastée du e-learning qui ne répond pas à une politique managériale précise. Les responsables reconnaissent généralement être 1 Autissier, D., Moutot, J. M., [2003], Pratiques et conduite du changement, du discours à l action, Paris, Dunod, pp Reix, R., [1990], «L impact organisationnel des nouvelles technologies de l information» Revue Française de Gestion, n 77, pp Kalika, M., [2000], «L émergence du e-management, Internet, remise en question des paradigmes en Sciences de Gestion», Institut Finance Dauphine. Cahier de recherche Crépa, n 57. encore dans une phase de déploiement de ce mode d apprentissage car la formation a souvent été l un des derniers secteurs de l organisation à être informatisé. Pourtant, de plus en plus reliés au e- management, les nouveaux modèles de gestion cherchent à inscrire la formation «dans des pratiques, des procédures ou des logiques d actions» [Isaac, H., 2002] 4. Le contexte organisationnel devient d autant plus structurant qu il déplace le lieu et le temps de la formation vers l expertise la plus opératoire [Bellier, S., 2002] 5. La volonté managériale de doter l entreprise d un modèle d évaluation du e-learning, comme pratique de formation, est manifeste dans tous les entretiens. Mais, pour le moment, les techniques utilisées font l objet de nombreuses critiques, d insuffisances caractérisées et de retours d expériences peu convaincants. Il leur est reproché de ne pas suffisamment prendre en compte la diversité des contextes qui président aux pratiques de travail. Il faut pourtant constater que si la réflexion sur les systèmes d information a permis de s attacher aux incitations qui poussent à recourir à une nouvelle technique de gestion dans le cadre d un processus d adoption [Pettigrew, A., 1987] 6, d insister sur les usages attendus de son intégration à l organisation [Moisdon, J.C., 1997] 7 ou sur les contraintes exercées par l environnement, la décision d adopter un outil n a pratiquement jamais été envisagée en terme de cohérence des pratiques de formation. L expression e-learning fait référence à l apprentissage à distance grâce au développement des réseaux et d Internet. Elle désigne une réalité qui s appuie sur des processus d apprentissage individuels et asynchrones qui permettent à un ou plusieurs salariés de se former à partir de leur ordinateur ou dans un centre de ressources à proximité du lieu de travail [Jacqmot, A. ; Milgrom, E., 1999] 8. Dans ce cadre, les ressources de l entreprise qui utilisent les savoirs à acquérir par les salariés doivent s intégrer à la formation, devenir 4 Isaac, H. [2002], «Le défi du management à l ère numérique», les défis du management, 15 réflexions pour l action managériales dans un environnement turbulent, Paris, Editions Liaisons, pp Bellier S., [2001], Le e-learning. Paris, Editions Liaisons, 6 p. 17. Pettigrew, A., [1987], «Context and Action in the Transformation of Firm, Journal of Management Studies, vol. 24, n 6, pp Moisdon, J. C., [1997], Du mode d existence des outils de gestion, Séli Arslan, p Jacqmot, A., Milgrom, E., [1999], «Formation par le Web : la technologie de l Internet à la rencontre des besoins de formation en entreprise», Gestion 2000, vol. 16, n 5, pp Les supports multimédias utilisés peuvent combiner du texte, des graphismes, du son, de l image, de l animation et même de la vidéo. 2
3 facilement disponibles pour faire face à tout événement professionnel rencontré. Pour prendre la mesure de ces phénomènes, notre recherche repose sur une démarche en plusieurs étapes. La méthodologie inductive préconisée par la grounded theory [Glaser B. G., ; Strauss, A., 1967] 9 préside à l appréhension des pratiques de formation [1], le terrain est constitué par un large échantillon d organisations, des entretiens analysés puis sont codés afin de faire émerger des catégories explicatives [2]. Les résultats de cette phase exploratoire sont finalement présentés [3] et discutés [4]. 1. La méthodologie. La théorie enracinée donne un rôle prépondérant aux situations de terrain [Macintosh M.B., 1994] 10. Cette méthodologie inductive s adapte particulièrement bien aux particularités du terrain de nos pour comprendre les raisons d adoption du e-learning et les changements induits par les pratiques de formation. Les retours d expérience constituent la première phase de l étude exploratoire de vingt-huit. La retranscription des entretiens a nécessité de structurer en permanence les données car «pour accéder aux contextes, il faut [ ] acquérir, avec le temps et dans l interaction, une familiarité suffisante avec le terrain» [Eisenhardt, K. M., 1989] 11. Les premiers dialogues informels menés avec les responsables de formation ont révélé que le processus d adoption était rarement une démarche de projet précise, bien que les conséquences sociales soient pourtant nombreuses. Le contexte d adoption apparaît toujours comme le facteur explicatif déterminant. Aussi faut-il identifier les motifs ou les incitations qui ont justifié la décision d adoption et préciser les changements mobilisés lors de l intégration de la nouvelle technologie dans le dispositif de formation. Cette approche met au premier plan la cohérence des pratiques de formation, insiste sur le contexte organisationnel qui dépend de la perception qu en ont les acteurs. Le responsable de formation doit absolument tenir compte de la part de contrainte ou de liberté dont il dispose pour prendre la décision d adoption du e-learning. 9 Glaser B. G., Strauss A. L., [1967], The Discovery of Grounded Theory: Strategies of Qualitative Research, New York, Aldine de Gruyter. 10 Macintosh M. B., [1994], Management accounting and control systems. An organizational and behavioural approach, John Wiley and Sons. 11 Eisenhardt, K. M., [1989], «Building theories form Case Study Research», Academy of Management Review, vol. 14, n 4, pp L échantillon retenu et la conduite des entretiens. L échantillon, composé de vingt-huit, a été constitué selon «l effet boule de neige» qui permet d identifier les cas significatifs grâce à des personnes qui connaissent d autres personnes qui connaissent des expériences de déploiement du e-learning [Lincoln, Y. S., Guba, E.G., 1985] 12. La sélection des premières donne déjà un certain recul et fait émerger les premières unités d analyse. Les entretiens permettent des comparaisons sur le terrain, puis d étendre l analyse aux catégories et d en venir aux propositions explicatives. Ainsi, tout d abord, la première collecte de données est «à la fois une observation une reconstitution des faits dans la plus grande fidélité» [Baumard, P., 1994] 13. Elle dégage des cas similaires qui répondent aux premières variables émergentes. Puis, de façon à répondre à la logique de la fiabilité des résultats, l étude est élargie aux cas extrêmes afin d accroître la validité des conclusions [Glaser, B. G., Strauss, A. L., 1967]. La méthode retenue pour les entretiens a permis de recueillir les données dans le cadre d une interprétation large. Dans un premier temps, une seule et unique question était formulée de la façon suivante : «Pouvez-vous me décrire les motifs qui vous ont convaincus [poussés] d adopter [d intégrer] le e-learning dans le dispositif de formation?». Une fois la réponse obtenue, nous improvisions les questions suivantes en réagissant aux propos du responsable de formation ; l objectif étant de l aider à mettre en forme sa pensée. La question ouverte de départ facilite la démarche exploratoire et permet de limiter «l effet de halo», qui correspond à la tendance du responsable d aller dans le sens des attentes du chercheur. Le champ de la réponse est libre et peut largement déborder la question initiale. Ces entretiens terminés, nous étions face à une grande quantité de données pour accéder aux discours et au vécu des acteurs dans l entreprise. A ce stade, l utilisation des concepts issue des données est essentielle ; elle assure une compréhension de toute situation dans une perspective interprétative et sociale. Il faut donc recourir à une analyse de contenu [Glaser, D. G., Strauss, A. L., 1967]. Elle débute par la division du discours en unité d analyse consistant à créer un travail de catégorisation pour définir un univers de référence. Chaque catégorie est repérée dans les réponses des responsables interrogés. 12 Lincoln Y. S., Guba, E. G., [1985], Naturalistic Inquiry, Beverly Hills, CA, Sage. 13 Baumard, P. [1994], Organisations déconcertées: les transformations de la connaissance dans la gestion de situations ambiguës. Thèse en Sciences de gestion. 3
4 Progressivement, il est possible de passer de la description aux unités d analyse. L interprétation permet la construction explicative [Wacheux, F. 1996] 14. Ensuite, les entretiens sont codés en tenant compte des unités d analyse qui sont des «pierres angulaires» [Corbin, J., Strauss, A., L., 1998]. Le codage ouvert se rapproche le plus possible des notes prises lors des entretiens, reportées mot à mot, générant la retranscription d environ 2 à 10 pages. Ce codage, appelé «méthode comparative constante d analyse» [Glaser, B. G., Strauss, A. L., 1967] 15, exprime le besoin de vérification des unités d analyse. Le codage axial transforme les codes en catégories, alors que le codage sélectif aboutit au modèle théorique. Notre liste de départ des codes a été constituée à partir des unités d analyse. Ces codes ont été rassemblés en catégories selon la méthode de Strauss et Corbin [1998] 16, et regroupés dans un code book. Un tableau de codage a été élaboré avec les noms des et la référence à 80 codes clés. Il permet de repérer les réponses de chaque entreprise et d opérer des comparaisons entre les en matière d adoption du e-learning. Les entretiens ont été intégrés au fur et à mesure dans le tableau, et peu à peu, les expériences des sont devenues évidentes, tandis que nous poursuivions les autres entretiens. 3. Les résultats de l étude. Les connaissances diffusées par les technologies de l information provenant de l environnement et des relations interpersonnelles jouent un rôle clé dans le processus d adoption [Bakos, J. Y., Treacy, M. E., 1986] 17. Les représentations du contexte organisationnel sont influencées par le système d information et la perception de l outil par les responsables de formation. On peut distinguer deux schémas d adoption du e-learning : une adoption fortement contrainte lorsque la décision est soumise à la pression technologique, à la perception par les acteurs des avantages prêtés au e-learning ; une adoption forcément plus libre, plus intentionnelle, lorsque la 14 Wacheux, F., [1996], Méthodes qualitatives et recherche en Gestion, Paris, Economica, p Glaser, B. G., Strauss, A., [1967], The Discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research. Chicago: Aldine, pp Strauss, A.L., Corbin, J., [1998], Basics of Qualitative Research: Grounded Theory Procedures and Techniques. London: Sage. 17 Bakos, J. Y., Treacy, M. E., [1986], Information Technology and Corporate Strategy: A Research Perspective, MIS Quarterly, vol. 10, n 2, pp décision est sensible au mimétisme, à la mode, ou intégrée dans un projet managérial. Le partage entre ces deux hypothèses de recours au e-learning est donc lié à des incitations qui correspondent à la vision du système d information. Lorsque le responsable de la formation redoute la détérioration de l image de son service par l absence de déploiement du e-learning, il assigne une ambition démesurée au système d information. Dans tous les cas, l entreprise adapte son comportement à l environnement et ajuste les processus de gestion aux habitudes de travail. L environnement technologique influence largement les investissements dont on espère un retour en terme de performance ; avec la pression des concurrents il est toujours un accélérateur de la décision d adoption. Les motifs d adoption ne semblent pas différer sensiblement selon les secteurs d activités, mais plutôt selon les spécificités culturelles des processus d apprentissage. Le e-learning combine à la fois processus d apprentissage et résultat obtenu de transmission des connaissances. Le processus d apprentissage vise à modifier la gestion des pratiques de formation mais ouvre la voie à l apprentissage organisationnel. Des modifications rapides demandent une grande capacité d action se traduisant par des capacités cognitives [Argyris, C., Schön D. A., 1978] 18. La préoccupation de l environnement est plus présente dans les activités de services, notamment bancaires où l apprentissage est devenu un élément important du changement des organisations. L investissement dans une plateforme e-learning dans le secteur industriel intervient aussi souvent sous la pression de la concurrence, mais sans beaucoup de préoccupations de sa compatibilité avec le système d information, généralement déjà très développé. L attente d usages précis du e-learning a des conséquences sur la formation qui doivent être relativisées en fonction du contexte. L approche contingente privilégie l adaptation de l organisation aux contraintes technologiques et explique le recours aux outils de gestion par des principes de gestion de la formation. L organisation doit se doter de nouvelles modalités d apprentissage au sein des équipes de travail. Le e-learning apparaît comme une solution rapide pour former des milliers de personnes réparties géographiquement dans de nombreux pays dès lors que les clients ont des attentes en terme de qualité des services. Les salariés peuvent rester sur leur lieu de travail ou encore se former librement en fin de journée. L avantage tiré de la flexibilité de ce mode de formation l emporte sur le coût qui est dans ce cas secondaire. En principe, la contrainte technologique incite le comportement d imitation 18 Argyris, C., Schön, D. A., [1978], Organizational Learning: a theory of action perspective, Addison Weslay. 4
5 dans les procédures d adaptation des structures. Les adoptant le e-learning pour imiter les concurrents apparaissent pourtant moins bien préparées aux conséquences de son adoption et de son déploiement. Au reste, le mécanisme d adaptation a été critiqué par l approche écologique qui pense que l environnement sélectionne la meilleure forme organisationnelle sans que l effort d adaptation puisse y changer quelque chose. Les interactionnistes ont également pris en considération les situations où les acteurs se représentent les éléments externes, créant ainsi du sens à leur environnement [Weick, K. E., 2003] 19. On peut donc se demander si la manière dont les utilisateurs perçoivent le e-learning a des influences sur la décision de l adopter, sur la volonté de s appuyer sur sa compatibilité avec le système d information, sa facilité d utilisation voire la rapidité des résultats de formation. Au demeurant, la décision d adoption du e-learning résulte rarement pour une organisation d une démarche de projet. Les des secteurs bancaires et des assurances qui déclarent adopter largement la nouvelle technologie sous la pression des concurrents, essaient parfois de la présenter comme une démarche de projet, mais uniquement dans un but de communication interne. Au contraire, les qui adoptent le e- learning en raison de comportements d imitation, et reconnaissent subir une faible pression de leur environnement, déploient souvent la nouvelle technologie selon une démarche de projet. Mais, si le contexte organisationnel détermine largement le caractère stratégique des pratiques de formation, le désir d anticiper sur l action de autres résulte souvent de relations étroites avec les consultants. En e-learning, les connaissances sont faibles, puisque au moment de la décision, l incertitude est très élevée du fait du degré de nouveauté de l outil ; ce qui rend l information d autant plus importante. Aussi, le processus d adoption est déterminant lorsque des contraintes fortes pèsent sur les représentations de ce que serait la nouvelle technologie : une pratique sociale, un outil de communication ou un outil de formation et d apprentissage. Les responsables de formation sont soumis à un nombre important d informations. Pour réduire la complexité de la situation, la décision d adoption est souvent associée à des contraintes directes exercées par l environnement et par le contexte organisationnel, mais aussi aux représentations des avantages espérés dans les pratiques de travail. En effet, les comportements des acteurs dépendent de croyances positives et de 19 Weick, K. E., [2003] ; «Préface», Vidaillet, B., [coord.,], Le sens de l action, Paris, Vuibert, pp croyances normatives [Boudon, R. Bouricaud, F., 2002] 20. Les croyances positives sont, en principe, contrôlables par confrontation avec la réalité alors que les croyances normatives incluent un jugement, une préférence, et sont difficilement démontrables. Ainsi, les perceptions des fonctionnalités de l outil sont avant tout des indicateurs de premier plan du contexte d adoption. L appui explicite de la direction générale de l entreprise favorise la mise en place du e-learning et contribue à une meilleure compréhension de son déploiement. La direction accepte parfois de tester cette nouvelle modalité de formation avant de se décider. En ce cas, l adoption est peu contrainte car l entreprise est dotée d un niveau élevé d informatisation. A contrario, ce sont les qui ont adopté le e-learning par contrainte qui impliquent moins leur direction générale et la hiérarchie de l organisation. La mise en place de l outil e-learning dans les pratiques de travail permet de recenser une grande diversité d utilisation selon les configurations de travail et l expérience des acteurs [Orlikowski, W., 1992] 21. L histoire de l organisation permet de mieux comprendre la nature du lien entre le changement et ses choix stratégiques [Mintzberg, H., 1990] 22. Au départ, une banque peut être attirée par le e-learning pour réaliser des économies de déplacement et d hébergement, pour faire baisser ses coûts de formation, puis, prendre conscience de la diversité des services procurés et dépasser les inhibitions liées au présentiel pour proposer des parcours diplômants aux salariés peu à l aise avec l apprentissage. Les organisations sont aussi un lieu de production de liens sociaux. L entreprise gère les ressources humaines selon son système social en référence au «management raisonnable» de Mintzberg, [Chanlat, J. F., 2000] 23. Les pratiques de gestion ne sont pas transposables d un lieu à un autre puisqu on retrouve des singularités, aussi est-il nécessaire de considérer les finalités principales du management. La volonté d inscrire le e-learning dans une culture de e-management intégrant l ensemble des outils technologiques est plus développée dans les industrielles que dans les services, même si la formation y est largement standardisée. Si la 20 Boudon, R., Bourricaud, F., [2002], Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, p Orlikowski, W., [1992], «Learning from Notes. Organizational Issues in Groupware Implementation, Proceedings of the Conference on CSCW 1992, Toronto, ACM, Press, pp Mintzberg, H., [1990], «Strategy Formation Schools of Thought» in J. W. Fredrickson, Perspectives on Strategic Management, New York, Haper Business, pp Chanlat, J.F., sous la dir., [2000], L individu dans l organisation, Québec, PU Laval, Eska, pp
6 dispersion géographique valorise la possibilité de réaliser des économies substantielles de frais de déplacement, il y a souvent aussi une nécessité de diffuser une formation au sein du groupe qui transforme l outil en processus d information sur le lieu de travail. Le système d information des grandes organisations, dont le site intranet, constitue une porte d entrée pour le e-learning. Une logique de prolongement de la configuration du système d information a un effet non négligeable dans le processus d adoption du e-learning. La relation entre le système d information et les motivations d adoption montre que la perception des pratiques informatiques joue seulement un rôle important dans les qui avouent ne pas subir l impact de leur environnement. Les autres sont très préoccupées de la cohérence sociale du projet de déploiement car leur système d information est plus développé. Elles voient dans le e-learning un facteur de réduction des coûts de formation. Ces soumises aux pressions de l environnement et de la technologie communiquent de manière souvent excessive sur le projet e-learning dans le but inavoué de convaincre les salariés des exigences qu elles subissent. A l inverse, les qui ont adopté le e-learning pour des raisons liées à leur développement technologique, insèrent mieux le projet dans une logique de prolongement technologique. Il apparaît donc une relation étroite entre le niveau de développement du système d information de l entreprise et les pratiques de gestion largement ouvertes aux fonctionnalités des échanges d informations comme le mail, le recueil de données informatisées et la recherche d informations. La technologie n est jamais pas neutre par rapport à l organisation [Reix, R., 1995] 24. La diversité des conceptions de la formation pour accéder aux compétences influence les déclarations des responsables sur le e-learning. Des raisons techniques expliquent souvent leurs hésitations. Le choix d une plateforme implique des décisions lourdes de conséquences et des problèmes de compatibilité avec le système d information. Quelques industrielles ont même été obligées de changer leur système d information pour intégrer une plateforme e-learning. L importance de cet investissement «requiert une décision centralisée qui se heurte aux habitudes décentralisées du groupe» [Kalika, M., 2002]. En effet, de nombreuses questions importantes apparaissent lors des choix d équipements : la comptabilité entre le réseau interne et la plateforme, le choix des sites 24 Reix, R., [1995] «Savoir tacite et savoir formalisé dans l entreprise», Revue Française de Gestion, n 105, pp périphériques, la compatibilité des équipements, l ergonomie du matériel informatique ou la configuration du centre de ressources. La prise en compte des clients par l organisation a souvent obligé les à intégrer la notion d adaptation permanente comme un principe d organisation. La pression de la clientèle, particulièrement forte dans les secteurs automobiles, des services et des transports, aboutit souvent à l adoption de pratiques homogènes. Ce «processus d homogénéisation» rapproche les organisations qui tendent à devenir semblables dans leurs caractéristiques organisationnelles, se rapprochent des mêmes standards [DiMaggio, P. J., Powell, W. W., 1991] 25. Si la technologie est porteuse d un modèle qui structure l ensemble des pratiques de formation, seules «les technologies d usage» [Argyris, C., Schön, D., 1978] 26 déployées dans l entreprise peuvent aider à comprendre les «arrangements institutionnels» des choix sociaux. Enfin, la formation n est plus du domaine exclusif du service formation. La direction générale, en partenariat avec d autres directions, se mobilise souvent sur un projet e- learning. Les rôles sont redistribués et le pouvoir traditionnel du service formation est remis en cause dans la relation qu il établit avec les autres structures. Dans une entreprise industrielle, où la formation est généralement impulsée par la direction financière et comptable en partenariat avec la direction et le service formation, le rôle de la direction, comme réservoir de connaissances, influence davantage l adoption que les contraintes exercées par l environnement, surtout lorsque l outil de formation constitue une vision partagée de l environnement de travail. 4. Discussion. Les stratégies de formation donnent lieu à de multiples configurations où les acteurs sont en relation directe avec le contexte organisationnel. La perspective contingente permet d insister largement sur le poids de l environnement et les contraintes de l activité de formation. Il existe, d une part, des contraintes par l environnement concurrentiel et technologique à adopter le e-learning. Elles sont très informatisées et s inscrivent dans une 25 DiMaggio, P. J., Powell, W. W., [1991], The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago: University of Chicago Press. 26 Argyris, C., Schön, D. A., [2002], Apprentissage organisationnel, théorie, méthode, pratique. Bruxelles, DeBoeck Université, 1 e ed. française, p. 47. [1996] Organizational Learning II: Theory, Method, and Practice, Addison-Weslay Publishing Company. 6
7 recherche de rationalisation de leur système d information. Elles sont largement soumises à des règles externes liées au contexte organisationnel et à la pression économique. Le responsable de formation procède en permanence à des ajustements partiels entre divers enjeux plus ou moins représentés par certaines catégories d acteurs internes ou externes. Beaucoup de ces subissent tellement de contraintes externes qu elles optent pour une formation en lien direct avec le marché, élaborent des plans de formations en concertation avec les clients. Ce «déterminisme environnemental» s accentue encore dans les pratiques de formation ; le retour sur investissement des plateformes est considéré comme vital pour la compétitivité. Mais il y a aussi, d autre part, des beaucoup plus ouvertes à l innovation, et à l adoption du e-learning. Elles sont souvent moins informatisées et bénéficient des appuis de la direction générale. Leurs choix de gestion cherchent à optimiser les ressources et à minimiser les risques de conflits lors du déploiement du e- learning. En général, elles subissent peu le poids de l environnement ; les responsables de formation sont guidés par la réussite de la formation dont dépendent les relations qu ils savent établir dans l organisation. Le service formation joue le rôle d expert des compétences et sert de médiateur dans la poursuite des objectifs économiques. La prise en compte du contexte d implantation de l e-learning montre la complexité de la décision d adoption, qui est toujours très structurante des pratiques de formation. La décision s intègre dans une pratique sociale d un processus collectif. Les contraintes proviennent de l environnement, de la technologie, des partenaires et de la culture d entreprise. Aussi les approches en terme de stratégie d adoption parviennent difficilement à évaluer de manière stable la contribution du e-learning au fonctionnement des pratiques de travail. Au cours des entretiens menés, les responsables de formation portent souvent des jugements différents, parfois contradictoires, sur l intérêt de l outil de gestion. Cette variabilité des expériences et des évaluations correspond à la superposition croissante de conceptions de la formation, bien que la configuration du système d information soit toujours un prolongement et un complément du processus d adoption du e-learning. présentielles, qui s opposent, sans se compléter, avec une formation e-learning. Certes, la formation présentielle et la formation en ligne qui se réfèrent à deux univers distincts de l expérience des acteurs, et peuvent potentiellement proposer une «conception interactive de deux univers» [Koenig G., 1993] 27. Néanmoins, aujourd hui encore, l introduction d un outil dans les pratiques de formation aboutit plutôt au maintien d anciennes formes de solidarité à côté des nouvelles, qu à leur substitution. La nature sociale de la technologie est peu exploitée, bien que toutes les technologies soient construites par les acteurs, car elles sont des «artefacts matériels et flexibles du point de vue des interprétations» [Orlikowski, W., 1992] 28. Ainsi, si la révolution promise par le e- learning est encore largement virtuelle, les qui tirent le plus de bénéfices de l outil ne sont pas forcément les plus cohérentes : une attente forte de la part des acteurs peut aboutir à une relative adhésion à l outil, mais, inversement, une attente plus réfléchie peut entraîner un fort engagement. En tout cas, les variables explicatives de l adoption du e-learning ne sont jamais sans conséquences sur l organisation de la formation. Les responsables de formation sont partagées entre la rationalisation des activités de formation, l autonomie et la responsabilité dans les pratiques de travail. Cette hésitation se retrouve autant dans la stratégie adoptée face à l usage de l outil que dans les conséquences organisationnelles liées à la variété de ses utilisations. Le e-learning renvoie souvent aux expériences des formations 27 Koenig, G., [1993] «Production de la connaissance et Constitution des pratiques organisationnelles», Revue de Gestion des Ressources humaines n 9, pp Orlikowski, W., [1992], The Duality of Technology: Rethinking the concept of technology in organizations, Organization Science, vol. 3, n 3, pp , p
8 5. Références. Allouche, J., coord. [2003], Encyclopédie des ressources humaines, Paris, Vuibert. Alter, N., [2003], L innovation ordinaire, Paris, PUF. Argyris, C., Schön, D.A., [1978], Organizational Learning: a theory of action perspective, Addison Weslay. Bocij, P. Greasley, D. Hickie S., [2003] Business information systems. Technology development and management for the e- business, Prentice Hall, 2e ed. Boudon, R., Bourricaud, F., [2002], Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF. Chanlat, J.F., sous la direct. [2000], L individu dans l organisation, Québec, PU Laval, Eska. Charreire, S., Huault, I., [2002], Les grands auteurs en management, Ed. EMS. Chute, A., Hancook, B, Thompson, M., [1998], Distance Learning. An implementation guide for trainers and human resources professionals, New York: McGraw-Hill. Cyert, R.M., March, J. G., [1963], A Behavioural Theory of the Firm, Englewood Cliffs, Prentice-Hall Davenport, D.A. Dickson T.H. [2000], Mastering information management, Ed., Prentice Hall, Dillenbourg, P., [1999], Collaborative Learning: cognitive and Computational Approaches, Amsterdam, Pergamon. Foray, D., Mairesse, J., sous la dir. [1999], Innovations et performances, Paris, EHESS. Glaser, B. G., Strauss, A. L., [1967], The discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research, New York, Aldine de Gruyter. Huberman, A. M., Miles, M. B., [2003], Analyse des données qualitatives, 2 e éd., Bruxelles, De Boeck. Kalika, M., [1995], Structures d, Paris, Economica. Kalika, M., [2002], Les défis du management, Paris, Editions Liaisons. Laudon, K. G., Laudon, J. P., [2001], Les systèmes d information de gestion, Paris, Pearson Education. Le Duff, R., [1999], Encyclopédie de la gestion et du management, Paris, Dalloz. March, J. G., [1988], Decisions and Organizations, Oxford, Blackwell. Mehrotra, C. M., Hollister, C. D., McGahey, L., [2001], Distance Learning. Principles for effective design, delivery, and evaluation, London: sage Publications. Nonaka, I., Takeuchi, H., [1995], The Knowledge Creating Company, How Japanese Companies create the dynamics of innovation, New York, Oxford University Press. Polanyi, M., [1966], The tacit dimension, London, Routledge and Kegan Paul. Reix, R., [2002], Systèmes d information et management des organisations, 4 e éd., Paris, Vuibert. Robson W. [1997], Strategic management and information systems, 2e ed., Prentice Hall, Romelaer, P., [1998], «Innovation et contraintes de gestion», Cahier Crépa, n 37. Romelaer, P., [2002], «Organisation, panorama d une méthode de diagnostic», Cahier Crépa, n 76. Rojot, J., [2003], Théorie des organisations, Paris, Eska. Rosenberg, M. J. [2001], E-Learning, Strategies for delivering knowledge in the digital age. New York: McGraw Hill. Rowe, F., coord., [2002], Faire de la recherche en systèmes d information, Paris, Vuibert. Senge, P., [1990], The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization, New York: Doubleday. Strauss, A. L., Corbin, J., [1990], Basics of Qualitative Research: Grounded Theory Procedures and Technics, Newbury Park, CA, Sage. Thiétart, R. A., [coll.], [2003], Méthodes de recherche en management, 2 e éd., Paris, Dunod. Wacheux, F., [1996], Méthodes qualitatives et recherche en gestion, Paris, Economica. Weick, K. E., [1995], Sensemaking in Organizations, Thousand Oaks, CA, Sage Publications. 8
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