Chapitre 10. Risque et assurance. Arthur Charpentier La problématique du provisionnment en assurance
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- Eloi Émond
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1 Chapitre 10 Risque et assurance Arthur Charpentier Dans ce chapitre, nous allons présenter quelques modèles utilisés par les assureurs afin de quantifier les risques pris. Dans les premiers chapitres, il était mentionné qu un risque était une variable aléatoire X (ou un ensemble de variables aléatoires X), et que la gestion des risques se résumait à calculer R(X) (ou R[h(X)] si h désigne une fonction d agrégation). Mais nous n avions pas encore introduit d aspect temporel, sous entendant dans les sections traitant de l inférence statistique qu au moment de quantifier le risque, des observations X i (ou X i ) étaient disponibles. C est bien entendu très simplificateur. A la fin de l année, un assureur ne connait pas les coûts des sinistres survenus pendant l année. On peut parler des accidents corporels en assurance automobile, ou de la responsabilité civile des hôpitaux, ou de l expérience du sang contaminé dans les centres de transfusion. On pourra aussi penser à l assurance décès : les engagements pris ne seront parfois honnorés que d ici plusieurs dizaines d années. Dans ce chapitre, nous insisterons sur deux risques (parmi beaucoup d autres). Le premier sera la modélisation des «provisions pour sinistres à payer», et plus particulièrement, la présentation de méthodes permettant de quantifier la marge d erreur associée à ce calcul de provisions. Le second sera le risque démographique présent dans les contrats d assurance en cas de décès, ou surtout en cas de vie, en essayant de calculer la probabilité qu un assuré décède dans 30 ou 40 ans La problématique du provisionnment en assurance Comme le définit (19), «les provisions techniques sont les provisions destinées à permettre le règlement intégral des engagements pris envers les assurés
2 2 Chapitre 10 et bénéficiaires de contrats. Elles sont liées à la technique même de l assurance, et imposées par la règlementation». D un point de vue plus formel, à la date t, la compagnie d assurance est tenue de constituer une provision pour les sinistres survenus avant la date t qu elle sera tenu d indemniser (et de tenir ainsi la promesse qu elle a vendue). Elle doit donc estimer le coût des sinistres survenus, et retrancher les montants déjà versés. Il s agit donc fondamentalement d un problème de prévision. En effet, contrairement à l hypothèse faite dans la plupart des modèles actuariels, les coûts de sinistres ne sont pas connus le jour de la survenance du sinistre. Il y a tout d abord un délai avant que le sinistre ne soit déclaré à la compagnie d assurance par l assuré, puis un temps (plus ou moins long) de gestion du sinistre, d expertises, de paiements, avant de le clôturer plusieurs mois, ou plusieurs années plus tard. La Figure 10.1 illustre la problématique du provisionnement, avec un diagramme de Lexis de la vie des sinistres. Années de développement Temps calendaire Figure 10.1 Évolution de la vie des sinistres, sur un diagramme de Lexis, avec en abscisse le temps calendaire (la date à laquelle un opération est effectuée : déclaration, paiement, etc), et en ordonnée l âge des sinistres. Les sinistres surviennent à la date, sont déclarrés à l assureur à la date + et clôturés à la date. L exercice de provisionnement consiste à estimer à une date donnée (ici fin 2010, correspondant au trait plein vertical), le montant des paiements restant à faire pour l ensemble des sinistres survenus (déclarés ou pas). En pratique, le jour de la déclaration du sinistre à l assureur (+), le gestionnaire de sinistres est tenu d estimer un montant du sinistre dont il vient
3 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 3 d avoir connaissance (à l aide de factures à sa disposition, ou de coûts moyens de sinistres similaires). Le montant réel du sinistre ne sera connu que le jour de la clôture ( ). Entre ces deux dates, le gestionnaire de sinistre peut réviser ses estimations de coûts, mais aussi effectuer des paiements. En pratique, au lieu de travailler sur des données individuelles, les données sont ici aggrégées par années (comme indiquée sur la Figure 10.1) : on s intéresse à l année de survenance du sinistre (i, en abscisse) et l année du paiement (par rapport à l année de la survenance, j, en ordonnées). Parmi les méthodes reconnues par les autorités de contrôles, les plus classiques sont basées sur les cadences de paiements. On raisonne pour cela par année de survenance de sinistre, et on suppose une certaine régularité dans la cadence de paiement Quelques définitions et notations La plupart des méthodes présentées ici sont détaillées dans (5), ou (21). L idée est d agréger les informations sur les sinistres dans des triangles, avec : l année de survenance en ligne i, l année de développement en colonne j = 0, 1, 2,, l année calendaire en diagonale i + j, Parmi les informations que l on trouvera résumée : Y i,j les incréments de paiments, pour les sinistres survenus l année i, et pour l année de développement j (autrement dit payé l année i+j), comme indiqués dans la Table 10.1 C i,j les paiments cumulés, au sens où C i,j = Y i,0 + Y i,1 + + Y i,j, pour l année de survenance i, correspondant à l ensemble des paiements effectués pour les sinistres survenus l année i, entre l année i et l année i + j, comme dans la Table 10.2 N i,j le nombre cumulé de sinistres pour l année de survenance i, vu au bout de j années, dans la Table 10.3 (en milliers) Les données sont celles utilisées dans (16), et les calculs numériques sont détaillés dans (2). Enfin, une information non aléatoire (les primes étant payées en début de période de couverture) peut aussi être utilisée P i la prime acquise pour l année i (répartie prorata temporis pour les contrats chevauchant une année calendaire), dans la Table 10.4 On parle de triangle car au delà de la dernière diagonale, les montants (et les nombres) ne sont pas connus. La difficulté est donc de prévoir les montants qui seront payés par le futur : comme rappelé en introduction, les compagnies d assurance sont tenues de constituer des provisions pour garantir que ces paiements pourront être faits. Comme le notait (1), «it is hoped that more casualty actuaries will involve themselves in this important area. IBNR reserves deserve more than just a clerical or cursory treatment and we believe, as did Mr. Tarbell Chat the problem of incurred but not reported claim reserves is essentially actuarial or statistical. Perhaps in today s environment the quotation would
4 4 Chapitre 10 Table 10.1 Triangle des incréments de paiements, Y = (Y i,j ) Table 10.2 Triangle des paiements cumulés, C = (C i,j ) be even more relevant if it stated that the problem...is more actuarial than statistical.» Formalisation du problème du provisionnement Comme évoqué dans le paragraphe précédant, le provisionnement est fondamentalement un problème de prédiction, conditionnelle à l information dont on dispose à la date n. En particulier, on a besoin de prévoir la charge ultime des sinistres, pour une année de survenance donnée, C i,. On notera F n l information disponible à la date n, soit formellement : H n = {(Y i,j ), i + j n} = {(C i,j ), i + j n}. On cherche à étudier, par année de survenance, la loi conditionnelle de C i, sachant H n, ou encore, si l on suppose les sinistres clos au bout de n années la loi de C i,n sachant H n. Si l on se focalise sur une année de survenance particulière, on pourra noter : F i,n i = {(Y i,j ), j = 0,, n i)} = {(C i,j ), j = 0,, n i)}. Cette notation permet de prendre en compte que l information disponible change d une ligne à l autre.
5 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 5 Table 10.3 Triangle des nombres de sinistres, cumulés, en milliers, N = (N i,j ) Table 10.4 Vecteur des primes acquises, P = (P i ) H n F i,n i On cherchera par la suite à prédire le coût final des sinistres à payer survenus l année i : Ĉ (n i) i, = E[C i, F i,n i ]. Classiquement, on commencera par supposera que les sinistres sont clôturés au bout de n années, au plus (on reviendra sur cette hypothèse par la suite). Aussi, C i, = C i,n, et on cherche alors à prédire : Ĉ (n i) i,n = E[C i,n F i,n i ], et la différence entre ce montant et le montant déjà payé constituera la provision pour sinistres à payer, R i = Ĉ(n i) i,n C i,n i. On essayera ensuite de quantifier l incertitude associée à cette prédiction. Comme on le verra les méthodes usuelles visaient à calculer Var[C i,n F i,n i ] ou Var[Ĉ(n i) i,n ], ce que l on appelera incertitude à horizon ultime. Mais ce n est pas ce qui est demandé d un point de vue comptable et réglementaire, Solvabilité II demandant
6 6 Chapitre 10 plutôt de mesurer une incertitude dite «à un an». Pour cela, on va s intéresser à la prédiction qui sera faite dans un an, Ĉ (n i+1) i,n = E[C i,n F i,n i+1 ] et plus particulièrement le changement dans l estimation de la charge ultime n i = Ĉ(n i+1) i,n Ĉ(n i) i,n. Si cette différence est positive, on parle de «mali» (il faudra gonfler la provision afin de pouvoir payer les sinistres), et si elle est négative, on parle de «boni» (l assureur avait trop provisionné, et sur-estimé la charge ultime des sinistres). On peut montrer que E[ n i F i,n i ] = 0, autrement dit, on ne peut espérer faire ni boni, ni mali, en moyenne. On a alors une propriété de martingale. Les contraintes règlementaires imposées par Solvabilité II demandent de calculer Var[ n i F i,n i ]. La Figure 10.2 montre les estimations de montant de provisions deux années consécutives. On note ici que la variation est faible, mais sur des branches d assurance à forte variabilité (en particulier pour les dommages corporels, ou la responsabilité civile), la variation peut ètre beaucoup plus importante Les cadences de paiements et la méthode Chain Ladder L idée d utiliser des cadences de paiements pour estimer la charge future date du début du XXème siècle. On suppose qu il existe une certaine proportionnalité, avec une relation de récurrence de la forme : C i,j+1 = λ j C i,j pour tout i, j = 1,, n. Un estimateur naturel pour λ j, basé sur l expérience passée est alors : λ j = n j i=1 C i,j+1 n j i=1 C i,j pour tout j = 1,, n 1. De telle sorte que l on peut alors prédire la charge pour la partie non-observée dans le triangle : ] Ĉ i,j = [ λn+1 i... λ j 1 C i,n+1 i.
7 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 7 Montant (paiements et réserves) Figure 10.2 Estimation de la charge ultime Ĉi,n deux années consécutives (n 1 et n), avec en gris le montant total de paiements déjà effectués, C i,n i et en noir le montant de provisions R i. Notons qu au lieu de calculer les facteurs de développement, on peut aussi des taux de développement, cumulés ou non. Autrement dit, au lieu d écrire C i,j+1 = λ j C i,j pour tout i, j = 1,, n, on suppose que : On notera que : γ j = C i,j = γ j C i,n ou Y i,j = ϕ j C i,n. n k=j+1 { 1 γ1 si j = 1 et ϕ j = λ k γ j γ j 1 si j > 1 Table 10.5 Facteurs de développement, λ = ( λ i ), exprimés en cadence de paiements par rapport à la charge ultime, en cumulé (noté γ), puis en incréments (noté ϕ) n λ j 1, , , , , ,0000 γ j 70,819% 97,796% 98,914% 99,344% 99,529% 100,000% ϕ j 70,819% 26,977% 1,118% 0,430% 0,185% 0,000%
8 8 Chapitre 10 On notera qu il est possible de voir l estimateur Chain-Ladder comme une moyenne pondérée des facteurs de transition individuels : n j C i,j λ j = ω i,j λ i,j où ω i,j = n j i=1 C i,j i=1 i=1 et λ i,j = C i,j+1 C i,j. Aussi, on peut obtenir ces coefficients à l aide de régressions linéaires pondérées sans constantes, en régressant les C,j+1 sur les C,j, { n j [ λ j = argmin C i,j λ C ] } 2 i,j+1, λ R C i,j soit : λ j = argmin λ R { n j i=1 } 1 [λc i,j C i,j+1 ] 2. (10.1) C i,j Table 10.6 Triangle des paiements cumulés, C = (C i,j ) i+j n avec leur projection future Ĉ = (Ĉi,j) i+j>n Modèle multiplicatif et méthode des marges Avec l écriture C i,j = γ j C i,n, on voit que la méthode Chain Ladder repose sur l utilisation d un facteur ligne (les C i,n ) et d un facteur colonne (les γ j ). On peut ainsi réécrire le modèle sous la forme C i,j = A i B j. Afin d identifier les paramètres, des contraintes doivent être imposer. Par exemple, il peut être légitime de demander une égalité de la somme par ligne, mais aussi par colonnes, des C i,j, mais aussi des A i B j. Autrement dit, on cherche des vecteurs A = (A 0,, A n ) et B = (B 0,, B n ), avec B B n = 1, tels que : n j n j n i n i A i B j = Y i,j pour tout j, et A i B j = Y i,j pour tout i, i=0 i=0 (on ne somme que sur la partie observée du triangle) les montants prédits dans la partie inférieure du triangles. Alors les termes (A i B j ) i+j>n (correspondant j=0 j=0
9 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 9 aux prédictions pour les paiements futurs), coïncident avec les quantités prédites par la méthode Chain Ladder ((18)). Proposition 10.1 S il existe A = (A 0,, A n ) et B = (B 0,, B n ), avec B B n = 1 (car il faut rajouter une contrainte d identifiabilité), tels que alors et n j n j n i n i A i B j = Y i,j pour tout j, et A i B j = Y i,j pour tout i, i=0 i=0 B k = j=k j=0 Ĉ i,n = A i = C i,n i 1 λ j j=k 1 k=n i λ k j=0 1 1, avec B 0 =. λ j j=k λ j Autrement dit, le montant de provision coïncide avec l estimateur obtenu par la méthode Chain Ladder. Preuve 10.1 La démonstration se fait de manière récursive. Commençons par réécrire les conditions, n j n j n j n i n i n i Y i,j = A i B j = B j A i, et Y i,j = A i B j =, A i B j. i=0 i=0 i=0 j=0 j=0 Pour i = 0 dans la dernière somme, on en déduit que n j=0 A 0 = Y i,j n n j=0 B = Y i,j = C 0,n. j Supposons que la relation sur les A i soit vérifiée pour 0, 1, 2,, n k 1, et que i j=0 B j = 1 λ j aux étapes n, n 1,, k. Alors à l étape n k, n k A i = i=0 qui peut se réécrire soit encore n k 1 i=0 n k 1 i=0 C i,k j=i A i + A n k = n k 1 k=n i i=0 C i,k n k 1 i=0 k=n i λ k + C n k,k j=0 C i,k λ k + k=n i k=n i C n k,k k j=0 B j n k λ k = i=0 λ k + C i,k j=0 k j=0 Y n k,j k j=0 B j k=n i λ k.
10 10 Chapitre 10 De plus, en réécrire k k+1 B j = B j B k+1 = j=0 j=0 Pour le terme de droite, en notant que n k 1 j=0 on obtient que Y j,k = k B j = j=0 n k 1 j=0 j=k [S j,k+1 S j,k ] = λ 1 j n k 1 j=0 ( ) λ n k λ 1 j = j=n k+1 n k 1 j=0 Y j,k n k 1 j=0 A j n k 1 S j,k+1 j=n k j=0 λ 1 j. En soustrayant à chacune des étapes, on obtient le résultat annoncé. Nous reviendrons sur ce modèle dans la sectionn 10.5, car la régression de Poisson avec un lien logarithmique (dont les paramètres sont estimés par maximum de vraisemblance) coïncide avec la méthode des marges. S j,k 10.4 De Mack à Merz & Wüthrich La méthode dite Chain Ladder, que nous venons de voir, est une méthode dite déterministe, au sens où l on ne construit pas de modèle probabiliste permettant de mesurer l incertitude associée à la prédiction du montant des réserves. Différents modèles ont été proposés à partir des années 90, à partir du modèles de Mack, jusqu à l approche proposée par Merz & Wüthrich qui introduira la notion de «incertitude à un an» Quantifier l incertitude dans une prédiction Nous avons obtenu, par la méthode Chain Ladder un estimateur du montant de provision, R (même si nous n avons pas, pour l instant, de modèle stochastique sous-jacent). Classiquement, pour quantifier l erreur associée à un estimateur, on calcule l erreur quadratique moyenne - ou «mean squared error» mse - associée : E([ R R] 2 ). Formellement, comme R est ici une variable aléatoire, on ne parle pas d erreur d estimation, mais d erreur de prévision : on va alors calculer un erreur quadratique moyenne de prediction - ou «mean squared error of prediction» - notée msep (on ne prédit pas sur les données passées, mais on utilisera les donnéees
11 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 11 pour calibrer un modèle qui servira ensuite à faire de la prédiction pour les années futures). Aussi msep( R) = E([ R R] 2 ). Ce terme peut se décomposer en deux (en faisant une approximation au premier ordre), au sens où E([ R R] 2 ) E([ R E(R)] 2 ) + E([R E(R)] 2 ) } {{ } } {{ } Var(R) mse( R) où le terme de gauche est l erreur d estimation, compte tenu du fait que nous avons dû estimer le montant de provisions à partir de la partie supérieure du triangle, et le terme de droite est l erreur classique de modèle (tout modèle comportant une partie résiduelle orthogonale aux observations, et donc imprévisible). En fait, en toute rigueur (et nous en aurons besoin par la suite), on cherche plutôt à calculer un msep conditionnel à l information dont on dispose au bout de n années, msep n ( R) = E([ R R] 2 H n ) Le formalisme de Mack (13) a proposé un cadre probabiliste afin de justifier l utilisation de la méthode Chain-Ladder. Pour cela, on suppose que (C i,j ) j 0 est un processus Markovien, et qu il existe λ = (λ j ) et σ = (σj 2 ) tels que { E(Ci,j+1 H i+j ) = E(C i,j+1 C i,j ) = λ j C i,j Var(C i,j+1 H i+j ) = Var(C i,j+1 C i,j ) = σ 2 j C i,j On note que sous ces hypothèses, E(C i,j+k H i+j ) = E(C i,j+k C i,j ) = λ j λ j+1 λ j+k 1 C i,j. (13) rajoute une hypothèse supplémentaire d indépendance entre les années de survenance, autrement dit (C i,j ) j=1,...,n et (C i,j) j=1,...,n sont indépendant pour tout i i. Une réécriture du modèle est alors de supposer que C i,j+1 = λ j C i,j + σ j Ci,j + ε i,j+1, où les résidus (ε i,j ) sont i.i.d. et centrés. A partir de cette écriture, il peut paraître légitime d utiliser les méthodes des moindres carrés pondérés pour estimer ces coefficients, en notant que les poids doivent être inversement proportionnels à la variance, autrement dit aux C i,j, i.e. à j donné, on cherche à résoudre min { n j i=1 } 1 (C i,j+1 λ j C i,j ) 2 C i,j
12 12 Chapitre 10 qui correspond à l équation 10.1 : on va donc retrouver le même montant de provisions qu avec la méthode Chain Ladder. Pour tester ces deux premières hypothèses, on commence par représenter les C,j+1 en fonction des C,j à j donné. Si la première hypothèse est vérifiée, les points doivent être alignés suivant une droite passant par l origine. La Figure 10.3 montre ainsi les nuages de points pour j = 1 et j = 2. PAID[, j + 1] PAID[, j + 1] PAID[, j] PAID[, j] Figure 10.3 Nuage de points C,j+1 en fonction des C,j droite de régression passant par l origine. pour j = 1, 2, et Pour la seconde hypothèse, on peut étudier les résidus standardisés ((13) parle de «weighted residuals»), ε i,j+1 = C i,j+1 λ j C i,j Ci,j. L utilisation des résidus standardisés nous donnent d ailleurs une idée simple pour estimer le paramètre de volatilité. ( n j 1 σ j 2 1 C i,j+1 = λ ) 2 j C i,j n j 1 Ci,j ce qui peut aussi s écrire σ 2 j = 1 n j 1 i=0 n j 1 i=0 ( Ci,j+1 C i,j λ j ) 2 C i,j (ce qui est à rapprocher de l écriture du facteur de transition λ comme moyenne pondérée des facteurs de transitions observés). Cette méthode permet d estimer les différents paramètres intervenant dans le modèle de (13).
13 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE La notion de «tail factor» Comme nous l avions expliqué dans l introduction, jusqu à présent, on a supposé que la première ligne de notre triangle est close : il n y a plus de sinistres ouverts, et donc le montant de provision pour cette année de survenance est nul. Aussi, pour tout i, on suppose que C i, = C i,n. Cette hypothèse peut être un peu trop forte pour les branches à déroulement long. (14) a posé les bases des premiers modèles qui sont toujours utilisés, reposant sur l idée d un «tail factor». On supposera qu il existe alors un λ > 1 tel que C i, = C i,n λ. Une méthode qui a souvent été utilisée a reposé sur l idée que l on pouvait projeter les λ i par une extrapolation exponentielle (ou une extrapolation linéaire des log(λ k 1)), puis on pose λ = k n λ k Mais mieux vaut faire attention, en particulier s il y a des valeurs aberrantes. Ici, cette méthode prévoit de rajouter 0, 07% de charge par rapport à la prédiction faite par les méthodes classiques, en supposant la première année close De l incertitude sur R i et R L incertitude est ici quantifiée à l aide de l erreur quadratique moyenne, ( mse( R ] ) 2 i ) = mse(ĉi,n C i,n i ) = mse(ĉi,n) = E [Ĉi,n C i,n H n. En utilisant l expression on peut réécrire le mse sous la forme E([X x] 2 ) = Var(X) + [E(X) x] 2, [ Ĉi,n] 2 mse(ĉi,n) = Var(Ĉi,n H n ) + E(Ĉi,n H n ), où l on a un terme d erreur de modèle, et un terme d erreur d estimation. soit Pour le premier terme, Var(Ĉi,n H n ) = E(Var(Ĉi,n F i,n i )) + Var(E(Ĉi,n F i,n i )) Var(Ĉi,n H n ) = E(Ĉi, F i,n i ) σ 2 + Var(Ĉi, F i,n i ) λ 2
14 14 Chapitre 10 d où, en itérant sur le dernier terme, Var(Ĉi,n H n ) = E(Ĉi, F i,n i ) σ 2 [ ] + E(Ĉi,n 2 F i,n i ) σn Z 2 + Var(Ĉi,n 2 F i,n i ) λ 2 n 2 λ 2 etc. On arrive, en itérant jusqu à n i (car C i,n i est observé), à la relation Var(Ĉi,n H n ) = k=n i [λ n i λ k 1 C i,n i ] σ 2 kλ 2 k+1 λ 2 en utilisant le fait que pour n i < k < n, C i,k = λ n i λ k 1 C i,n i. Pour le second terme, E(C i,n H n ) = E (E (C i,n F i,n i )) = E (λ C i, F i,n i ) = λ E (C i, F i,n i ), ce qui donne, par itérations successives, E(C i,n H n ) = λ n i λ n i+1 λ C i,n i. Aussi, [ ] 2 [ E(Ĉi,n H n ) Ĉi,n = C 2 i,n i λ n i λ λ n i λ ] 2. σ 2 k Pour estimer le premier terme, on remplace simplement λ k par λ k et σk 2 par, de telle sorte que Var(Ĉi,n H n ) = k=n i [ λn i λ k 1 C i,n i ] σ 2 k λ 2 k+1 λ 2 ce qui se réécrit encore, en se basant sur l estimation de la charge ultime (et plus sur la dernière valeur observée) Var(Ĉi,n H n ) = Ĉ2 i,n k=n i σ 2 k / λ 2 k Ĉ i,k. Pour le second terme, ça se complique un peu, car on ne peut pas simplement remplacer λ k par son estimateur. On va alors réécrire [λ n i λ λ n i λ ] sous la forme d une somme, [λ n i λ λ n i λ ] = k=n i S k
15 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 15 où S k = λ n i λ k 1 [λ k λ k ]λ k+1 λ, ce qui permet d écrire le carré de la somme En notant que on en déduit que k=n i S 2 k + 2 j<k S j S k. E([λ k λ k ] 2 H k ) = Var( λ k H k ) = E(S 2 k H k ) = λ n i λ k 1 σ 2 k σk 2 n k j=1 C, j,k n k j=1 C λ k+1 λ. j,k Et en revanche, pour j < k, E(S j S k H k ) = 0. Aussi, un estimateur pour le second terme peut être λ n i λ On en déduit le résultat suivant : k=n i k=n i σ k 2/ λ 2 k n k j=1 C. j,k Proposition 10.2 L erreur quadratique moyenne du montant de provision mse( R i ), pour une année de survenance i, peut être estimé par ( ) mse( R σ 2 i ) = Ĉ2 k 1 1 i,n + λ 2 k Ĉ n k i,k j=1 C. j,k Toutefois, une compagnie doit au minimum provisionner pour la branche d activité, et par par année. Il faut ensuite calculer le mse pour R = R R n. En fait, on notera que ] 2 mse( R) n n = E R i R i H n i=2 i=2 soit ( n ) [ ( mse( R) n ) ] 2 n = Var C i,n H n + E C i,n H n Ĉ i,n i=2 i=2 i=2 Comme on suppose que les années de survenance sont indépendantes, le premier terme se simplifie, ( n ) n Var C i,n H n = Var (C i,n H n ) i=2 i=2
16 16 Chapitre 10 (dont les terms sous le signe sommee ont été calculés auparavant). Pour le second terme, il peut être réécrit [ n ] 2 soit i=2 E (C i,n H n ) Ĉi,n n [E (C i,n H n ) Ĉi,n] [E (C j,n H n ) Ĉj,n]. i,j=2 En utilisant les notations précédantes, notons que [E (C i,n H n ) Ĉi,n] [E (C j,n H n ) Ĉj,n] = [C i,n i F i ] [C j,n j F j ] ce qui permet de réécrire l erreur quadratique moyenne pour R. En réutilise alors l astuce précédante pour estimer F i F j. Proposition 10.3 L erreur quadratique moyenne du montant de provision mse( R), pour l ensemble des années de survenance, peut être estimé par mse( R) = n mse( R i ) + 2 i=2 2 i<j n Ĉ i,n Ĉ j,n k=n i σ k 2/ λ 2 k n k l=1 C. l,k Cette vision est parfois appelée «vision à l ultime» de l incertitude relative au montant de provision. Exemple 10.1 Sur le triangle de paiements 10.2, mse( R) = 79.30, alors que mse( R n ) = 68.45, mse( R ) = 31.3 ou mse( R n 2 ) = L incertitude à un an de Merz & Wüthrich Pour comprendre la notion d incertitude à un an, plaçons nous un an en arrière. A la fin de l année n 1, nous disposions du triangle sans la dernière diagonale, que l on avait alors complété par la méthode Chain Ladder (Table ). Si l on ne s intéresse qu aux années antérieures, i = 0,, n 1, à la fin de l année n, nous avions obtenu un triangle avec une diagonale supplémentaire que l on avait alors complété par la méthode Chain Ladder (Table ). A la fin de l année, le montant de provisions constitué était de 2114, 61, pour ces n 1 premières années. Au final, on pensait payer 27513, 61 (toutes années confondues). A la fin de l année n, la charge totale était revue à la hausse, passant à 27697, 33. Cette augmentation de 183, 72 correspond à un «mali». C est l incertitude associée à cette quantité qui est aujourd hui demandé dans le cadre des changements des normes comptables imposées par Solvabilité II.
17 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 17 Table 10.7 Triangle des paiements cumulés sur les années antérieures, C = (C i,j ) i+j,i avec les projection future Ĉ = (Ĉi,j) i+j> Table 10.8 Triangle des paiements cumulés sur les années antérieures, C = (C i,j ) i+j n,i avec les projection future Ĉ = (Ĉi,j) i+j>n Si on souhaite formaliser le calcul que l on vient d effectuer, il convient d introduire dans les notations la date à laquelle est faite l estimation. Par exemple, on distinguera λ n j = n i 1 n i i=0 C i,j+1 n+1 i=0 n i 1 et λ j = C i,j+1 n i i=0 C i,j i=0 C i,j qui sont les facteurs de transitions obtenus l année n et l année n+1. La section précédante permet de monter que E( λ n j H n ) = λ j et E( λ n+1 j H n+1 ) = λ j. Sauf qu ici, on se place toujours à la date n. Il convient alors de calculer H n ). Notons que E( λ n+1 j n i λ n+1 i=0 j = C i,j+1 n i i=0 C = i,j soit simplement n i i=0 C i,j+1 S n+1 = j i i=0 C i,j+1 S n+1 j + C n j,j+1 S n+1 j λ n+1 j = Sn j λ n j S n+1 j + C n j,j+1 S n+1. j
18 18 Chapitre 10 Lemme 10.1 Sous les hypothèses du modèles de Mack, E( λ n+1 j H n ) = Sn j S n+1 j On en déduit en particulier que E(Ĉn+1 i,j H n ) = C i,n i λ n i λ n C n j,n j + λ j S n+1. j j 1 k=n i+1 ( λn+1 ) E k H n. En reprenant les notations de (15), on peut étudier la variation du boni/mali d une année sur l autre, c est à dire du changement dans la prédiction de la charge totale, entre deux années. Pour cela, on introduit le concept suivant Définition 10.1 Le «claims development result» CDR i (n + 1), pour l année de survenance i, entre les dates n et n + 1 est CDR i (n + 1) = E(R n i H n ) [ Y i,n i+1 + E(R n+1 i H n+1 ) ], où Y i,n i+1 correspond à l incrément de paiements, Y i,n i+1 = C i,n i+1 C i,n i. On notera que CDR i (n+1) est une martingale H n+1 -mesurable, et que l on peut réécrire CDR i (n + 1) = E(C i,n H n ) E(C i,n H n+1 ). De plus, E (CDR i (n + 1) H n ) peut s écrire ou encore C i,n i C i,n i j=n i λ n j λ n i 1 λ n i λ n n i j=n i+1 j=n i+1 [ ( S n j S n+1 j 1 + (λ j λ n j ) λ n j + λ j Cn j,j S n+1 j ] C n j,j λ n j. Sn+1 j ), A l aide de ces relations, on peut calculer, puis estimer, l erreur quadratique moyenne de prédiction conditionnel du boni-mali (ou du CDR avec ces notations), par année de survenance i pour commencer, puis en aggrégeant toutes les années. Pour l erreur de modélisation, on peut noter que Var(CDR i (n + 1) D n ) = E(C i,n D n ) 2 σ2 n i /λ2 n i C i,n i.
19 MODÈLES STATISTIQUES DU RISQUE EN ASSURANCE 19 Pour l erreur d estimation, où Pour l estimation de ces deux termes, on considère naturellement Var(CDR i (n + 1) D n ) = (Ĉn i,n) 2 [ σn n i ]2 /[ λ n n i ]2 C i,n i, [ σ n i] n 2 = 1 n j ( ) 2 Ci,j C i,j 1 n j C λ n j 1 i,j 1 j=n i i=0 En revanche pour le second terme, c est un peu plus compliqué. On peut toutefois écrire ( ) Ci,n ie 2 S n λ n j j λ n i S n+1 λ n j + λ j 2 Cn j,j j S n+1 H n. j j=n i+1 Un peu de calcul permet alors d obtenir [ ] [ σ 2 j /λ 2 j j=n i λ 2 j j=n i S n j j=n i+1 α 2 j σ 2 j /λ2 j S n j + 1 ] 2 j=n i+1 [ α j σ 2 j /λ2 j S n j + 1] où α j = Sn j S n+1 j. On arrive finalement à la propriété suivante Lemme 10.2 Sous les hypothèses du modèle de Mack, msepc (CDR i (t)) = Ĉ2 i,n ( Γi,n + ) i,n où et Γ i,n = i,n = σ 2 n i+1 λ 2 n i+1 Sn+1 n i+1 + ( ) σ 2 n i λ 2 n i+1 C i,n i+1 j=n i+2 j=n i+2 ( ( 1 + C n j+1,j S n+1 j σ 2 j ) 2 σ 2 j λ 2 j Sn j λ 2 j [Sn+1 j ] C 2 n j+1,j ) 1. (15) ont alors approché ce terme par σ 2 n i+1 Γ i,n λ 2 n i+1 C + i,n i+1 j=n i+2 ( C n j+1,j S n+1 j ) 2 σ 2 j λ 2 j C n j+1,j
20 20 Chapitre 10 en faisant tout simplement un développement de la forme (1+u i ) 1+ u i, mais qui n est valide que si u i est petit, soit ici σ j 2 λ 2 j << C n j+1,j. Si l on regarde finalement ce qui se passe toutes années de survenance confondues, (15) ont obtenu une formule fermée. Sur le triangle 10.1, on obtient les grandeurs données dans la Table avec respectivement l incertitude à l ultime, et l incertitude (avec ou sans l approximation discutée dans le paragraphe précédant). Table 10.9 Erreurs quadratiques moyenne de prévision conditionnelles, à l ultime ou sur les boni-mali (CDR), avec la formule exacte, et la forme approchée cumul Mack Merz-Wüthrich (app.) Merz-Wüthrich (ex.) Régression et modèles factoriels Dans cette section, nous nous éloignerons des modèles récursifs inspirés de la méthode Chain Ladder, et nous reviendrons sur des classes de modèles très utilisés dans les années 70, appelés «modèles à facteurs», remis au goût du jour en proposant une lecture économétrique de ces modèles, permettant ainsi d obtenir des intervalles de confiance des différentes grandeurs Les modèles à facteurs, un introduction historique Avant de présenter l utilisation des modèles de régression, on peut commencer par évoquer des modèles plus anciens. Par exemple (20) supposait que Y i,j = r j µ i+j, pour tout i, j, autrement dit, on suppose qu il existe un effet colonne de cadence de paiement (paramètre r j ), et un effet diagonal, que (20) interprète comme un facteur d inflation (paramètre µ i+j ). Ce modèle peut se réécrire, dès lors qu il n y a pas d incrément négatif, log Y i,j = α i + γ i+j
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