Le modèle de Weibull : un critère de rupture probabiliste
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- Jean-René Paradis
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1 Le odèle de Weibull : un critère de rupture probabiliste Edité le 01/07/2006 Sébastien GRANGE - Jean-Loup PRENSIER Les critères de diensionneent «classiques» utilisés pour les atériaux ductiles s'appliquent fort al aux atériaux fragiles : ceux-ci ropent à une contrainte qui seble varier forteent d'un échantillon à l'autre. Cette dispersion est due à la présence de défauts en quantités variables, qui ettent à al l'hypothèse classique d'hoogénéité du coporteent écanique. Le odèle de Weibull peret de reproduire cette dispersion sans odéliser expliciteent les défauts ; pour cela, il odélise l'état du atériau (sain ou ropu) par une variable aléatoire dépendant de la contrainte, dont la loi de probabilité peut être identifiée par une série d'essais sur un lot d'échantillons. 1 - Le diensionneent des pièces fragiles : les liites des critères usuels Les critères de diensionneent usuels qui postulent l'existence d'une contrainte adissible supposée hoogène au sein du atériau, s'appliquent bien aux atériaux ductiles ais beaucoup oins bien aux atériaux fragiles tels que les céraiques, le verre et le carbone «assifs» (nous ettons de côté leur utilisation dans les coposites voir le dossier théatique «Dossier Matériaux Coposites»- qui sont justeent conçus de sorte à suronter cette fragilité), les bétons en traction, et êe les étaux à très basse tepérature : ils ne rendent pas copte des dispersions observées expérientaleent. Pour ettre cette liitation en évidence, nous avons réalisé une capagne d'essais sur des éprouvettes de béton Ductal [1] (un béton fibré à ultra-hautes perforances), toutes réalisées à partir du êe atériau. Nous avons sollicité ces éprouvettes de sorte à obtenir une rupture fragile, et esuré la valeur de l'effort à rupture, puis nous avons tenté d'identifier la contrainte à rupture correspondante en siulant l'essai à l'aide de la résistance des atériaux : cela nous a conduits à une valeur variant forteent d'une éprouvette à l'autre, et l'analyse des causes possibles de ces variations a ontré que l'hypothèse d'hoogénéité de la contrainte à rupture n'était anifesteent pas réaliste La esure des efforts à rupture sur une série d'éprouvettes Tout d'abord, nous avons réalisé des essais de flexion 3 points (figure 1) sur une série de 18 éprouvettes en béton Ductal de êes géoétries noinales (parallélépipédiques, 2c x 2c x 8c). Nous avons esuré les diensions réelles de ces éprouvettes puis les avons ises sous chargeent onotone, en pilotant l'essai en déplaceent et en esurant l'effort appliqué ainsi que les déplaceents relatifs jusqu'à la rupture. 1
2 igure 1 : Photo du ontage de flexion 3 points Coe l'on pouvait s'y attendre, les éprouvettes ont systéatiqueent ropu dans la zone sollicitée en traction (les bétons sont beaucoup oins résistants en traction qu'en copression!) et la rupture est survenue de anière fragile sans signes précurseurs. Le tableau ci-dessous donne les réponses esurées (efforts à rupture) pour les différentes éprouvettes nuérotées de 1 à 18, classées par valeurs croissantes des efforts à rupture. La dispersion est anifesteent iportante, alors que les éprouvettes sont réputées identiques La siulation du coporteent des éprouvettes Ensuite, nous avons odélisé les éprouvettes par des poutres en flexion 3 points, dans le cadre de la résistance des atériaux «traditionnelle», en choisissant un odèle de coporteent élastique fragile pour le atériau ; notre objectif est d'identifier la contrainte à rupture de ce odèle, que l'on peut facileent relier aux efforts appliqués. Conforéent aux hypothèses de la résistance des atériaux, nous avons choisi ce odèle uniaxial (nous supposons les contraintes de cisailleent négligeables devant les contraintes norales) et hoogène ; cela nous conduit à la répartition des contraintes donnée sur la figure 2. 2
3 igure 2 : Répartition des contraintes norales dans une section norale de l'éprouvette (zone rouge : zone de copression ; zone verte : zone de traction). Nous avons odélisé le chargeent de chacune des éprouvettes par l'effort à rupture esuré, puis avons calculé la contrainte axiale correspondante, en prenant soin d'utiliser les diensions esurées sur les éprouvettes réelles et non les diensions noinales. Le calcul est détaillé dans l «Annexe : Siulation du coporteent des éprouvettes» et conduit aux valeurs suivantes : Si l'on part du principe que l'éprouvette ropt lorsqu'une certaine «contrainte à rupture», supposée hoogène dans le atériau, est atteinte, on peut alors identifier cette «contrainte à rupture» aux valeurs ci-dessus. Malheureuseent, cette «contrainte à rupture» présente de fortes dispersions (la valeur la plus élevée fait environ 1,4 fois la valeur la plus faible!) et est donc anifesteent contradictoire avec l'hypothèse d'hoogénéité, qui ipliquerait que l'on obtienne la êe valeur pour toutes les éprouvettes, puisque celles-ci sont réalisées à partir du êe volue de atériau Analyse des causes de la dispersion Nous avons analysé les causes possibles de cette dispersion (voir «Annexe : Analyse des causes de la dispersion des contraintes à rupture») aussi bien expérientales que liées à la odélisation. Nous avons conclu que, si certains choix peuvent introduire de légers écarts entre siulation et essais, seule la reise en cause de l'hoogénéité peret d'expliquer une dispersion aussi iportante : le coporteent du atériau à la rupture ne peut anifesteent pas être odélisé de façon satisfaisante à l'aide d'une «contrainte à rupture» hoogène. 2 - Un odèle probabiliste de rupture des atériaux : le critère de Weibull Objectif de la odélisation Pour rendre copte des observations expérientales, il faut donc odifier le critère de rupture eployé. Ici, le critère retenu doit : 3
4 Etre capable de prévoir la dispersion des contraintes à rupture, Etre identifiable à un coût raisonnable à partir d'essais. Le second point exclut que l'on utilise directeent une contrainte à rupture hétérogène. Cela nécessiterait en effet d'identifier la distribution des contraintes à rupture au sein de la atière, or la écanique de la rupture nous enseigne que la rupture des atériaux fragiles non fissurés est essentielleent pilotée par le nobre et la taille des défauts qu'ils contiennent, et il serait illusoire de vouloir identifier l'enseble des défauts se trouvant dans un lot de atière donné. Pour cette raison, nous choisissons plutôt un critère statistique : le critère de Weibull, qui porte sur la probabilité de rupture du atériau sous l'effet d'une contrainte donnée, notée P (σ) ( pour «failure» qui signifie rupture en anglais). En d'autres teres, ce critère donne une inforation du type «si la contrainte est de 20 MPa, alors le atériau a 20% de chances de ropre» ; de tels critères statistiques sont notaent utilisés pour le diensionneent en fatigue, notaent des rouleents (voir ressource «La conception fiabiliste Illustration pour les rouleents à billes») (la rupture par fatigue est un autre cas où l'on observe de fortes dispersions), et sont cohérents vis-à-vis de la aîtrise prévisionnelle des prestations (voir ressource «La Maîtrise Prévisionnelle des Prestations : concepts») qui fait appel à la notion de probabilité d'apparition d'une défaillance pour évaluer le risque d'insatisfaction du client Les hypothèses Nous présentons ici le critère de Weibull dans le cas d'une contrainte uniaxiale, ce qui suffit à l'utiliser dans le cadre de la résistance des atériaux en sollicitations siples ; nous ne traitons pas les états de contraintes coposées, qui font intervenir un foralise plus lourd. Conforéent au point de vue de la écanique des ilieux continus, le atériau est odélisé par une infinité de volues infinitésiaux dv. Le critère de Weibull repose sur deux hypothèses siples, que nous présentons ici : 1. Les résistances à la rupture de chaque éléent de volue sont odélisées par des variables aléatoires indépendantes. L'aspect aléatoire peret de prendre en copte la dispersion ; l'indépendance, quant à elle, iplique qu'il n'y ait pas d'interaction entre les volues infinitésiaux, c'est-à-dire que la rupture soit un phénoène pureent ponctuel (il s'agit naturelleent d'une siplification qui ne s'applique pas toujours dans la réalité!). Ce odèle revient à considérer que chaque volue infinitésial dv contient des défauts qui peuvent potentielleent conduire à la rupture (figure 3). Selon l'état de contrainte du volue dv, chacun de ces défaut peut être activé ou non, l'activation d'un défaut correspondant à la rupture du volue infinitésial. igure 3 : La répartition des défauts dans une éprouvette. 2. La rupture du volue infinitésial contenant le preier défaut activé entraîne la ruine de la structure : en d'autres teres, dès que la rupture survient en un point, on considère que les fonctions écaniques de la pièce entière sont perdues. Là encore, cette hypothèse est cohérente avec les pratiques de diensionneent usuelles : les concepteurs s'assurent 4
5 habituelleent que la contrainte adissible n'est dépassée en aucun point, ais il est encore rare qu'ils siulent ce qui se produit ensuite Choix d'un odèle probabiliste L'activation des défauts est odélisée en utilisant une loi de probabilités. Nous choisissons une loi de Poisson [2] classiqueent utilisée pour dénobrer l'occurrence d'événeents ponctuels (ici, en l'occurrence, l'événeent ponctuel est l'activation d'un défaut du atériau). Dans un volue V, la population de défauts est odélisée par le paraètre λ correspondant à une densité d'activation des défauts sous un chargeent donné. On appelle k la valeur entière prise par une variable aléatoire déterinant le nobre de défauts activés présents sur le volue donné. D après l hypothèse du aillon faible, k=0 correspond à la survie de l échantillon (aucun défaut), k>1 correspond à la présence d au oins un défaut activé et donc à la rupture. La probabilité de trouver k défauts activés dans un volue V est donnée par la loi de Poisson : ( P ( V ) k k V ) V La probabilité de survie, c'est-à-dire la probabilité de n'avoir aucun défaut activé, est donc donnée par la relation : Les paraètres du odèle P k0 k! ( V ) e λ est le paraètre représentant la population de défauts pour le atériau : il est écrit sous la fore d'une densité d'activation des défauts dans le atériau sous une contrainte σ. Plus la valeur de la contrainte augente, plus la densité de défauts activés est grande. Les observations expérientales ont aené Weibull à choisir une loi puissance pour représenter λ : e V 1 V 0 0 Le paraètre introduit pour odéliser la dispersion de la valeur de λ est le paraètre appelé odule de Weibull : plus ce paraètre est petit, plus la dispersion est élevée. Les deux autres paraètres, V 0 et σ 0, ne sont en réalité pas indépendants ; on peut se contenter d'en considérer (et d'en identifier!) un seul, appelé facteur d'échelle, qui traduit en quelque sorte la contrainte oyenne d'activation et l'échelle d'étude pour le atériau et vaut : V 1/ 0 0 En reprenant la loi de Poisson et en écrivant que P =1-P S, avec un volue V : P 1 exp V V 0 0 Le odule de Weibull est un paraètre atériau caractéristique de la dispersion des défauts (au critère de la sensibilité à la rupture) au sein de la atière : Lorsque le odule de Weibull est faible, la répartition des défauts est très hétérogène, et on observera donc une grande dispersion des contraintes à rupture dans un volue V de atière (figure 4) ; igure 4 : Exeple de répartition des défauts pour un atériau de odule de Weibull faible 5
6 Lorsque le odule de Weibull est élevé, la répartition des défauts est relativeent hoogène, et on observera donc une faible dispersion des contraintes à rupture dans le êe volue (figure 5). igure 5 : Exeple de répartition des défauts pour un atériau de odule de Weibull élevé Influence du volue Une propriété bien connue des atériaux fragiles est que plus le volue de l'échantillon est élevé, plus il est probable de rencontrer un «gros» défaut pouvant initier une rupture fragile sous une faible contrainte : c'est pourquoi le verre assif, par exeple, est peu résistant, alors que les fibres de verre supportent des contraintes bien plus élevées au point qu'elles sont utilisées coe renforts dans les atériaux coposites. Le critère de Weibull peret de rendre copte de ce phénoène. Pour l illustrer, iaginons l essai d un grand nobre d éprouvettes de volue V 1 identiques d un atériau donné, en traction, à un chargeent à contrainte σ 1. La probabilité de rupture P f1 de chaque volue éléentaire peut alors être esurée. Iaginons aintenant différents ontages en série de ces éprouvettes toujours sollicitées à la êe contrainte σ 1 (quelques ontages possibles sont présentés figure 6). igure 6 : Essais de traction sur différents ontages d'éprouvettes en série Pour l'essai 2, la condition de non-rupture est qu'aucune des deux éprouvettes ontées en série ne rope : 2 1 P log(1 P ) 2log P 1 Pf 2 f 1 f 2 1 f 1 En notant P fn la probabilité de rupture d'une éprouvette de longueur n fois plus grande (et donc de volue n fois plus grand que V 0, exeple de l'essai 3) que l'éprouvette 1 et en utilisant le êe raisonneent, nous obtenons : n 1 P log(1 P ) nlog P 1 Pfn f 1 fn 1 f 1 La probabilité de rupture d'une éprouvette de volue V est donc liée à la probabilité de rupture d'une éprouvette de volue V 0 par: log( 1 P ) V V 6 0 log 1 P 0
7 où P 0 est la probabilité de rupture pour un volue V 0 : on ontre facileent que l'écriture des probabilités de rupture prévues par la loi de Weibull conduit exacteent au êe résultat Influence du chargeent Les raisonneents précédents ont été enés sur des volues V souis à une contrainte unifore sans prendre en copte l influence du chargeent sur la répartition des contraintes dans la pièce. En raisonnant sur l'exeple de la flexion 3 points, il est clair que la probabilité d'activation des défauts sera plus élevée dans les zones souises à la plus forte contrainte. Un facteur H représentatif de l'hétérogénéité des contraintes est donc calculé pour prendre en copte une répartition des contraintes non hoogène dans la pièce, et le volue V est replacé par le volue effectif défini par V eff V. H V eff représente le volue que devrait avoir une éprouvette de traction qui, souise uniforéent à la contrainte axiale, aurait la êe probabilité de rupture que la pièce réelle. Ce volue effectif se calcule par : Veff V Le détail du calcul est donné pour l'exeple de la flexion 3 points (figures 7) : dv igure 7.1 : Montage expériental igure 7.2 : Schéatisation 7
8 igure 7.3 : Calcul de V eff en flexion 3 points Pour une éprouvette de volue V dans un état de contrainte hétérogène, la probabilité de rupture s'écrit donc : P V 1 exp V eff La déterination des paraètres de Weibull Enfin, nous présentons la déterination des paraètres de Weibull sur l'exeple de deux roches calcaires, la blanche de Beaucaire et le calcaire crinoïde La éthode Afin de prendre en copte l'aspect probabiliste et de déteriner les paraètres du critère de Weibull, un grand nobre d essais est nécessaire ; ici, nous avons testé 40 éprouvettes à l aide d un ontage de flexion 3 points siilaire à celui de la figure 1. A partir de l'enseble des réponses esurées, nous avons calculé la probabilité de rupture des éprouvettes à différents niveaux de chargeent. Nous avons ensuite déteriné la contrainte à rupture correspondant à chaque essai à l'aide d'une odélisation par la résistance des atériaux, de la êe façon que précédeent, et écrit le critère de Weibull sur l'enseble des contraintes à rupture obtenues, afin d'en identifier les paraètres. Après quelques calculs (voir «Annexe : Déterination des paraètres de Weibull»), on obtient : En posant : ln V ln1 P ln( ) ln 2 2( 1) V0 0 X ln[ ] et Y ln[ ln(1 P )] l'équation précédente s'écrit : Y X B 8
9 En traçant Y en fonction de X, on obtient une courbe perettant de déteriner les paraètres de Weibull et B par siple interpolation linéaire, la courbe théorique au sens du odèle étant une droite. La pente de cette droite peret de déteriner et une valeur en un point peret de déteriner B, puis le facteur d'échelle : Un exeple : les deux roches testées V 1/ 0 0 igure 8 : Résultats d'essais pour deux roches calcaires La pente des deux courbes figure 8 nous peret de calculer les odules de Weibull correspondants : =3,3 pour la blanche de Beaucaire, =22 pour le calcaire crinoïde. L observation des courbes ontre que plus le odule de Weibull est faible, plus la dispersion sur les contraintes à rupture est grande. Ainsi, pour des contraintes assez faibles, la probabilité d'avoir un défaut activé n'est pas nulle et le odèle peret de prévoir la rupture d'éprouvettes pour des valeurs de contraintes parfois très faibles. 4 - Conclusion Le critère de Weibull s'applique à des atériaux au coporteent fragile : il est appliqué par exeple sur des roches, des céraiques, des verres et des bétons. Les odèles probabilistes et la loi de Weibull sont cependant utilisés dans d'autres types d'études, coe par exeple pour le diensionneent en fatigue (la rupture en fatigue présente elle aussi d'iportantes variabilités). Plusieurs éthodes de conception probabilistes font d'ailleurs appel à la loi de Weibull : par exeple, on peut ontrer que le calcul de la durée de vie des rouleents selon la éthodologie «catalogue» usuelle correspond, en réalité, à une telle loi (voir ressource «La conception fiabiliste - Illustration pour les rouleents à billes»). Références : [1]: [2]: Ressource publiée sur EDUSCOL-STI : 9
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